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07/02/2006 | CEDH | N°19028/02

CEDH | TAMER ET AUTRES c. TURQUIE


DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 19028/02  présentée par Fazıl Ahmet TAMER et autres  contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 7 février 2006 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    R. Türmen,    K. Jungwiert,    M. Ugrekhelidze,   Mmes A. Mularoni,    E. Fura-Sandström, juges,   et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 22 avril 2002,
Vu les obser

vations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en ...

DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 19028/02  présentée par Fazıl Ahmet TAMER et autres  contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 7 février 2006 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    R. Türmen,    K. Jungwiert,    M. Ugrekhelidze,   Mmes A. Mularoni,    E. Fura-Sandström, juges,   et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 22 avril 2002,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, MM. Fazıl Ahmet Tamer, né en 1966, Erol Kaplan, né en 1967, Hasan Demir, né en 1967, Rıdvan Kura, né en 1969, Mme Fatma Günay, née en 1975, et M. Mustafa Demir, né en 1963, sont des ressortissants turcs et résident à Istanbul. Ils sont représentés devant la Cour par Mes Florinali, Demir et Türker, avocats à Istanbul.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1.  L’arrestation des requérants et les certificats médicaux établis par la suite
Le 19 avril 1994, dans le cadre d’une opération policière dirigée contre une organisation illégale, le Parti de la libération du peuple de Turquie / Union de refondation – Forces de libération du peuple (THKP/Yeniden Kuruluş Birliği / Halk Kurtuluş Güçleri), la police d’Istanbul appréhenda les requérants et les plaça en garde à vue dans les locaux de la direction de la sûreté d’Istanbul, section de lutte contre le terrorisme, en vue de leur interrogatoire.
Le 2 mai 1994, les requérants furent entendus par le procureur de la République et reconduits ensuite dans les locaux de la direction de la sûreté.
Le 3 mai 1994, ils furent déférés devant le juge assesseur près de la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul, lequel ordonna leur placement en détention provisoire.
A la fin de leur garde à vue et par la suite, les requérants furent soumis à plusieurs examens médicaux. Les examens pertinents propres à chacun des requérants peuvent se résumer comme suit :
a)  Fazıl Ahmet Tamer
Le rapport établi le 2 mai 1994 par un médecin légiste, membre de l’institut médico-légal d’Istanbul, fit état de douleurs et perte de sensibilité aux deux bras. Le médecin ordonna un arrêt de travail de trois jours.
Le médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa, dans son rapport du 4 mai 1994, fit état de ce que l’intéressé présentait des érythémateuses de tailles différentes sur les parties dorsales des épaules, des lésions, de la sensibilité au niveau des pectoraux et de la région axillaire deltoïde, et une diminution sérieuse des mouvements d’abduction des bras et des mouvements de rotation des jointures des épaules. Selon ce rapport, l’intéressé ne pouvait lever ses bras au niveau des jointures avec l’épaule, ni réaliser activement les mouvements de flexion avec les jointures des doigts de la main. Il présentait également une diminution notable des mouvements de flexion de la racine des doigts et d’extension de l’avant-bras, ainsi qu’une diminution de mouvements des poignets et une faiblesse lors des mouvements des coudes et des jointures. Il souffrait en outre d’un déficit moteur et d’une perte de sensibilité sur la partie dorsale du poignet de la main gauche, des hypoesthésies sur la paume et le dos des deux mains, ainsi qu’une lésion avec croûte et érythème de 3-4 cm de long se trouvant à 5 cm de la partie malléolaire du poignet gauche, et des allégations de douleurs à la partie occipitale droite. Le médecin prit note d’allégations de douleurs répandues sur les deux épaules, sur la partie dorsale, sur la poitrine et les deux poignets.
Dans le rapport de l’électromyographie (EMG) du 11 mai 1994, la présence de lésions concernant l’ensemble des parties médianes et antérieures des deux plexus brachiaux fut décelée. Le rapport fit état de ce que la lésion sur le plexus brachial droit avait provoqué une démyélinisation segmentaire au niveau de la zone de cordes médiales, ainsi qu’une perte partielle d’axones des cordes postérieures. Le rapport indiqua également que la lésion sur le plexus brachial gauche avait provoqué une perte aggravée d’axones des cordes médiales, ainsi qu’une perte moindre d’axones sur les parties supérieures du plexus.
Selon le rapport du 26 mai 1994 établi par le médecin légiste, l’intéressé faisait état de douleurs aux deux épaules et deux poignets, au dos et à la poitrine. Il présentait également des inflammations et des zones sensibles aux deux épaules, une diminution de mouvement des jointures des épaules, une faiblesse de mouvements des avant-bras, un défaut de sensibilité et de motricité particulièrement remarquable sur la partie dorsale du poignet de la main gauche, des hypoesthésies et des para-esthésies sur la paume et le dos des deux mains, ainsi qu’une lésion avec croûte et érythème de 3-4 cm de long se trouvant à 5 cm de la partie malléolaire du poignet gauche et des allégations de douleurs à la partie occipitale droite. Le rapport constata également des séquelles en phase de guérison en forme de lignes parallèles sur les deux clavicules, d’autres séquelles d’1 et 2 cm ayant perdu leur croûte sur la lombaire no 4, une séquelle ovale d’un diamètre d’un cm ayant perdu sa croûte, se trouvant sur la partie supérieure de la zone malléolaire de la plante du pied gauche, un gonflement du poignet et de l’avant-bras gauche couverts d’œdèmes, une modification de couleur de la partie distale du bras gauche. L’intéressé présentait en outre une diminution partielle de motricité du poignet, de l’avant-bras et de la jointure du bras droit, et une diminution aggravée de motricité du poignet, de l’avant-bras gauche ainsi qu’une absence de capacité motrice, et absence du mouvement d’extension de la jointure du bras gauche. Le médecin ordonna un arrêt de travail de quinze jours.
Le rapport du 3 juin 1994 fit état de l’absence de mouvement actif du poignet gauche, d’une perte de force au niveau du bras droit, et d’hypoesthésies sur les deux extrémités. L’intéressé souffrait d’une paralysie bilatérale du plexus brachial, d’origine traumatique.
Lors de l’examen médical du 11 février 2000, l’intéressé déclara avoir été suspendu et battu lors de sa garde vue six ans auparavant, ce qui avait causé une perte de force des bras durant quatre mois et une perte de sensibilité de sa main gauche. Aucune lésion traumatique ne fut trouvée et aucune atrophie détectée. Il fut établi que la sensation d’engourdissement était due à la lésion bilatérale du plexus brachial, selon l’EMG, et un arrêt de travail de quinze jours fut ordonné.
A la demande de la cour d’assises d’Istanbul, un rapport médical fut établi, le 20 décembre 2000, par l’institut médico-légal. Le rapport conclut que la vie du requérant n’était pas en danger et que les lésions neurologiques constatées sur ses bras pouvaient provenir, comme il l’alléguait, de la pratique de la pendaison.
b)  Hasan Demir
Le rapport établi le 2 mai 1994 par le médecin légiste fit état de douleurs et d’une perte de sensibilité aux deux bras. L’intéressé présentait également une lésion d’un diamètre de 2 cm partiellement couverte d’une croûte sur l’avant-bras gauche, une ecchymose et un œdème d’un diamètre d’un cm de couleur violette et datant de trois à cinq jours sur la région frontale gauche. Le médecin ordonna un arrêt de travail de cinq jours.
Le médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa, dans son rapport du 4 mai 1994, fit état de ce que l’intéressé présentait des zones sensibles aux deux coudes, sur les épaules, sur le dos et sur la poitrine, ainsi qu’une faiblesse des deux bras, un engourdissement du pouce de la main gauche, une lésion de 2-3 cm en phase de guérison sur le côté extenseur du poignet de la main gauche, un érythème avec lésion sur le coude gauche, une lésion avec croûte sur la région dorsale de la jointure de la troisième métacarpe de la main droite, des lésions nombreuses sur la partie frontale de la zone tibiale, une zone sensible sur les régions lombaires et fémorales, une diminution de mouvement des jointures des épaules lors des rotations extérieures et antérieures, une faiblesse et diminution de mouvement des coudes, des douleurs à différentes parties du corps.
Selon le rapport du 12 mai 1994 établi par le médecin légiste, l’intéressé présentait une lésion de 2 à 1 cm entourée d’inflammation à l’aisselle gauche, une égratignure linéaire de 2 cm en phase de guérison sur la partie médiane intérieure de l’omoplate gauche, des ecchymoses commençant à s’éclaircir de 3 à 2 cm sur la colonne vertébrale au niveau lombaire ainsi que sur la partie extérieure de l’avant-bras gauche d’une taille de 3 à 2 cm. Le rapport fit également état de plaies de différentes tailles sur la main gauche, à l’intérieur et sur le pied droit ; un engourdissement et une perte de sensibilité aux deux épaules, aux deux mains et pouces. Le médecin ordonna un arrêt de travail de dix jours.
c)  Erol Kaplan
Selon le rapport établi le 2 mai 1994 par un médecin légiste, membre de l’institut médico-légal d’Istanbul, le requérant présentait des éraflures sur l’épaule et le genou gauches. Il disait éprouver des douleurs et une perte de sensibilité aux deux bras. Le médecin ordonna un arrêt de travail de cinq jours.
Le médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa, dans son rapport du 4 mai 1994, fit état de ce que l’intéressé présentait entre autres un engourdissement du bras gauche ainsi qu’une diminution de mouvement, des érosions de taille différente sur la colonne vertébrale, des lésions ecchymotiques avec croûte de 3-4 cm sur la partie antérieure du genou gauche, des lésions ecchymotiques avec croûte de 1-2 cm sur la plante du pied gauche et sur la zone malléolaire extérieure.
Selon le rapport du 11 mai 1994 établi par le médecin légiste de l’institut de médico-légal d’Eyüp, l’intéressé présentait notamment une diminution de mouvement, un engourdissement et une restriction lors des mouvements actifs à l’épaule, au bras, à l’avant-bras et à la main gauches ; une plaie sur la partie médiane de la clavicule gauche, une autre sur la partie dorsale externe de l’épaule droite, quatre lésions avec ecchymoses de 2 à 3 cm sur les lombaires nos 3-4-5, une douleur aiguë des voies respiratoires, particulièrement du côté droit, trois plaies sur la partie externe antérieure du genou droit, des plaies en phase de guérison, dont l’une sur la partie malléolaire externe du pied gauche, des cicatrices d’une opération antérieure résultant d’un accident de la circulation sur la partie externe du coude gauche. Le médecin ordonna un arrêt de travail de dix jours.
A l’examen du 11 février 2000, le requérant déclara avoir été battu et pendu lors de sa garde à vue six ans auparavant, ce qui lui avait causé des douleurs au dos pendant trois ans.
Selon le rapport final du 13 octobre 2000, l’éraflure décrite dans le rapport du 2 mai 1994, ainsi que les érosions de tailles différentes constatées sur la colonne vertébrale reportées dans le rapport du 4 mai 1994 pouvaient provenir d’un choc traumatique aigu mais qu’elles ne pouvaient être datées en l’absence de précision. De même, les plaies constatées dans le rapport du 11 mai 1994 ne pouvaient être datées. Un arrêt de travail de trois jours fut ordonné.
d)  Mustafa Demir
Selon le rapport établi le 2 mai 1994 par un médecin légiste, le requérant présentait des éraflures de 2 cm de long, partiellement couvertes sur l’avant-bras gauche, et alléguait des douleurs et une perte de sensibilité aux deux bras. Le médecin ordonna un arrêt de travail de cinq jours.
Le médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa, dans son rapport du 4 mai 1994, fit état de ce que l’intéressé alléguait des douleurs aux deux bras, plus particulièrement au bras droit, aux genoux, et une sensibilité dans la région dorsale, aux cuisses et à l’intérieur des genoux, une diminution de mouvement aux doigts de la main droite, notamment lors des mouvements de flexion.
e)  Rıdvan Kura
Selon le rapport établi le 2 mai 1994 par le médecin légiste, le requérant ne présentait aucune trace de mauvais traitements.
Le médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa, dans son rapport du 4 mai 1994, fit état de ce que l’intéressé alléguait des douleurs répandues au niveau des deux aisselles et un engourdissement de l’auriculaire droit. L’examen permit de constater notamment une sensibilité dans la région deltoïde et dorsale, une diminution de mouvement, visible plus particulièrement à l’abduction, des jointures des épaules, des douleurs aiguës dans la région inguinale.
Selon le rapport du 12 mai 1994 établi par un médecin légiste, l’intéressé présentait des ecchymoses commençant à s’éclaircir de 2 x 2 cm sur la naissance des deux épaules, de 0, x 1 cm sur la face avant de l’épaule gauche, de 0,3 cm sur le coté lombaire gauche, une plaie de 1-2 cm sur le dos du pied droit ; il alléguait aussi des douleurs, engourdissement et perte de sensibilité aux doigts de la main droite et sous les aisselles. Le médecin ordonna un arrêt de travail de sept jours.
Pendant l’examen du 11 février 2000, le requérant affirma avoir été suspendu et battu lors de sa garde vue en avril 1994, ce qui a causé une perte de force et de sensibilité de ses bras durant un mois.
Le rapport final du 13 octobre 2000 établit que les ecchymoses décrites dans le rapport du 12 mai 1994 provenaient d’un choc traumatique aigu et que l’origine de la plaie sur la région dorsale du pied droit ne pouvait être déterminée. Un arrêt de travail de trois jours fut ordonné.
f)  Fatma Günay
Selon le rapport établi le 2 mai 1994 par un médecin légiste, la requérante ne présentait aucune trace de mauvais traitements.
Selon le rapport du 12 mai 1994 établi par un médecin légiste, l’intéressée alléguait des douleurs aux deux bras et présentait des zones avec érythèmes sur la région des malaires, une ecchymose d’un cm de diamètre sur la région deltoïde de l’épaule gauche et des douleurs subjectives. Le rapport fit également état de zones d’ecchymoses de 3 cm de diamètre sur la naissance des deux épaules vers l’arrière, de 0,5 x 2 cm sur la partie médiane extérieure de l’omoplate droite, de 3 x 3 cm au milieu du bras droit, de 3 x 2 cm à l’arrière du bras gauche, de couleur verdâtre et brun sur la partie médiane extérieure et des éraflures avec croûte sur la partie médiane gauche ainsi que des douleurs aux genoux et aux jambes. Le médecin ordonna un arrêt de travail de sept jours.
2.  La plainte des requérants et la mise en accusation pour mauvais traitements de huit policiers responsables de la garde à vue en question
Le 21 juin 1994, le procureur de la République entama une enquête contre huit policiers, responsables de la garde à vue des requérants, pour torture.
Entre juillet et octobre 1994, les huit policiers, tous membres de la section de lutte contre le terrorisme, à savoir Dursun Ali Öztürk, Ali Ersan, Nizamettin Tuncer, Nihat Çulhaoğlu, Bahattin Çiftçi, Aydın Oruç Aydemir, Erhan Mamikoğlu et Ramazan Ayan, furent interrogés. Dans leurs déclarations, ces derniers nièrent avoir infligé des mauvais traitements aux requérants.
Le 6 décembre 1994, cinq des requérants, à savoir MM. Tamer, Demir, Kura, Kaplan et Mme Günay, portèrent plainte contre les policiers responsables de leur garde à vue.
Dans le cadre de cette plainte, entre le 28 mars 1995 et le 27 octobre 1995, le procureur de la République entendit à nouveau les huit policiers mis en cause. Ces derniers nièrent avoir maltraité les requérants concernés.
Par un acte d’accusation déposé le 26 décembre 1995, le procureur de la République entama une action publique devant la cour d’assises d’Istanbul contre les policiers en question sur la base de l’article 243 du code pénal, réprimant la torture.
Lors de l’audience du 7 mars 1996, les requérants Tamer, Demir, Kura et Kaplan présentèrent une demande de constitution de partie intervenante à la procédure pénale, au sens de l’article 365 du code de procédure pénale, laquelle fut accueillie.
Au cours de cette audience, la cour d’assises procéda à l’audition des accusés présents, à savoir Dursun Ali Öztürk, Nihat Çulhaoğlu, Bahattin Çiftçi, Ramazan Ayan et Erhan Mamikoğlu. Ces derniers nièrent avoir maltraité les requérants. Ils indiquèrent par contre avoir fait usage de la force lors de l’arrestation des plaignants. Ils déclarèrent en outre avoir filmé les requérants lors de la reconstitution des lieux et que les cassettes vidéo pouvaient prouver l’absence de traces de mauvais traitements.
Au cours de la même audience, les requérants furent entendus. Ils contestèrent les rapports médicaux du 2 mai 1994 établis par le Dr Apaydın, médecin de l’institut médico-légal d’Eyüp. Ils affirmèrent qu’une enquête disciplinaire avait été entamée par l’Ordre des médecins contre ce dernier.
Le 27 mars 1996, l’Ordre des médecins informa la cour d’assises que le Dr Apaydın avait été suspendu de ses fonctions pour une durée de six mois pour n’avoir pas établi les rapports médicaux conformément aux règles établies en la matière.
Le 1er avril 1996, la déposition d’un des policiers accusés, Nizamettin Tuncer, fut recueillie sur commission rogatoire et versée au dossier. Il en fut de même, le 12 avril 1996, pour la déposition d’Oruç Aydemir.
Pendant les audiences des 29 mai et 18 septembre 1996, tenues en l’absence des requérants et des accusés, la cour d’assises demanda l’établissement de l’adresse de deux des requérants, à savoir Mme Günay et M. Demir, et le dossier médical de M. Tamer. De même, elle convoqua Ali Ersan, l’un des policiers accusés, aux fins d’une confrontation avec les requérants.
A l’audience du 6 novembre 1996, MM. Tamer, Demir et Kura procédèrent à l’identification des policiers présents. En particulier, M. Tamer identifia Erhan Mamikoğlu et déclara que Dursun Ali Öztürk, absent à l’audience, était le chef du commissariat à l’époque de la garde à vue et présent pendant les séances de torture. M. Demir identifia Erhan Mamikoğlu et Nihat Çulhaoğlu. Il déclara en outre avoir identifié formellement Mustafa Karabulut, Hilmi Kalaycı, Abdülkadir Dilber et Ceylani Baydar comme étant ses autres tortionnaires dans la procédure entamée contre lui devant la cour de sûreté de l’Etat et demanda en conséquence qu’une action publique fût entamée à leur encontre.
Au cours de la même audience, les déclarations des requérants furent entendues. MM. Tamer, Demir et Kura déclarèrent notamment avoir subi la pendaison palestinienne et d’autres formes de sévices.
Le 23 janvier 1997, la cour d’assises tint une audience en l’absence des accusés, lors de laquelle l’avocat des requérants demanda l’accélération de la procédure.
Le 26 mars 1997, trois des accusés, Ali Ersan, Ramazan Ayan et Bahattin Çiftçi, se présentèrent à l’audience. La cour d’assises recueillit la déposition d’Ali Ersan qui nia avoir infligé des mauvais traitements aux requérants.
Le 28 mai 1997, les requérants Tamer et Demir identifièrent Nizamettin Tuncer à partir de photos transmises à la cour. Ils déclarèrent en revanche ne pas reconnaître Oruç Aydemir à partir de ces photos.
Pendant les audiences des 18 septembre et 19 novembre 1997, la cour d’assises accusa réception du dossier médical de M. Tamer. De même, le 19 novembre 1997, ce dernier identifia Ramazan Ayan et déclara ne pas reconnaître Ali Ersan.
A l’audience du 25 février 1998, M. Demir identifia Ali Ersan. M. Kaplan, quant à lui, identifia Ramazan Ayan et Bahattin Çiftçi.
Le 30 mars 1998, le représentant des requérants attira l’attention sur de nombreuses irrégularités frappant la procédure. Il demanda notamment l’accélération de la procédure.
Le 27 avril 1998, la cour d’assises tint une audience en l’absence des requérants et des accusés.
Le 10 juin 1998, le représentant des requérants contesta la discordance des rapports médicaux et demanda que les cassettes vidéo enregistrées, selon les accusés, lors de l’interrogatoire ainsi que les résultats de l’EMG de M. Tamer fussent versés au dossier. A l’audience du même jour, la cour d’assisses fit droit aux demandes du représentant des requérants.
A l’audience du 5 octobre 1998, la cour d’assises entendit un témoin et constata que les cassettes vidéo demandées par les requérants avaient été versées au dossier.
A l’audience du 17 février 1999, la cour d’assises entendit les policiers Abdülkadir Dilber, Mustafa Ekici et Ilhami Çavuş. Ces derniers déclarèrent avoir fait usage de la force afin de procéder à l’arrestation des requérants. De même, ils soutinrent que, lors de l’arrestation, les passants dans la rue s’en étaient pris aux requérants.
Au cours de la même audience, M. Tamer identifia Abdülkadir Dilber en soutenant qu’il s’agissait de l’un de ses tortionnaires. La cour d’assises renonça à entendre d’autres témoins estimant que la plupart des policiers dont les noms figuraient sur le procès-verbal d’arrestation avaient été entendus et décida de transmettre au bureau médico-légal les dossiers des requérants afin d’établir les origines des séquelles constatées.
Entre le 5 mai 1999 et le 30 janvier 2001, la cour d’assises tint six audiences au cours desquelles elle constata l’absence de communication des dossiers médicaux demandés.
A l’audience du 30 janvier 2001, elle entendit M. Demir.
A l’audience du 3 avril 2001, le représentant des accusés fit valoir que la Cour constitutionnelle était appelée à trancher la constitutionnalité de l’article 243 du code pénal et demanda en conséquence que l’on attendît son arrêt. La cour d’assises constata que les dossiers médicaux établis par l’institut médico-légal concernant les requérants avaient été versés au dossier.
Lors des audiences des 12 juin et 12 juillet 2001, le représentant des requérants attira l’attention de la cour d’assises sur le fait que l’action pénale risquait d’être prescrite et demanda l’accélération de la procédure.
A l’audience du 12 juillet 2001, la cour d’assises décida de demander l’issue de la saisine de la Cour constitutionnelle.
A l’audience du 18 septembre 2001, le représentant des accusés demanda l’élargissement de l’enquête afin de déterminer les circonstances de l’arrestation des requérants. La cour d’assises décida de transmettre le dossier au procureur de la République afin d’apprécier l’opportunité de l’élargissement de l’enquête et pour la préparation des conclusions le cas échéant.
Par un arrêt du 15 octobre 2001, la cour d’assises décida de mettre fin à la procédure diligentée à l’encontre des accusés Dursun Ali Öztürk, Nizamettin Tuncer, Nihat Çulhaoğlu, Bahattin Çiftçi, Aydın Oruç Aydemir, Erhan Mamikoğlu et Ramazan Ayan, pour prescription. Quant à Ali Ersan, elle décida de l’acquitter pour insuffisance de preuves.
L’affaire est toujours pendante devant la Cour de cassation.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
A l’époque des faits, le code pénal érigeait en infraction le fait pour un agent public de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements). Les obligations incombant aux autorités quant à la conduite d’une enquête préliminaire au sujet de faits et omissions susceptibles de constituer pareilles infractions sont régies par les articles 151 à 153 du code de procédure pénale.
Aux termes de l’article 102 du code pénal, combiné avec les articles 243 et 245 précités, pour ce qui est des actes de mauvais traitements et de tortures infligés par des membres de la fonction publique, il y avait prescription des poursuites cinq ans après la commission de l’infraction.
En vertu de l’article 8, alinéa 39 de la circulaire sur la discipline au sein de la direction de la sûreté (Emniyet Örgütü Disiplin Tüzüğü), adoptée le 23 mars 1979, si un policier torture quelqu’un dans les locaux de la sûreté, il est sanctionné par une révocation.
GRIEFS
Les requérants prétendent avoir subi des traitements incompatibles avec l’article 3 de la Convention.
Ils se plaignent également, sur le terrain de l’article 13 de la Convention, de l’absence d’un recours effectif.
EN DROIT
1.  Sur l’épuisement des voies de recours internes
Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. A cet égard, il souligne que la procédure litigieuse est actuellement pendante devant la Cour de cassation.
Les requérants contestent cette thèse.
Au vu des circonstances de la cause et des arguments des parties, la Cour décide de joindre au fond l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours (voir, dans le même sens, Batı et autres c. Turquie (nos 33097/96 et 57834/00, § 104, CEDH 2004-... (extraits)).
2.  Sur le fond
Les requérants invoquent une violation des articles 3 et 13 de la Convention.
Le Gouvernement plaide l’absence de violation de ces dispositions.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de son examen, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Décide de joindre au fond la question sur l’épuisement des voies de recours internes ;
Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
S. Dollé J.-P. Costa   Greffière Président
DÉCISION TAMER ET AUTRES c. TURQUIE
DÉCISION TAMER ET AUTRES c. TURQUIE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 19028/02
Date de la décision : 07/02/2006
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) PROCEDURE CONTRADICTOIRE


Parties
Demandeurs : TAMER ET AUTRES
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-02-07;19028.02 ?
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