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09/02/2006 | CEDH | N°22897/02

CEDH | AFFAIRE BARILLON c. FRANCE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BARILLON c. FRANCE
(Requête no 22897/02)
ARRÊT
STRASBOURG
9 février 2006
DÉFINITIF
09/05/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Barillon c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,    J. Hedigan,    J.-P. Costa,    C. Bîrsan,   Mmes M. Tsatsa-Nikolovska

,    R. Jaeger,   M. E. Myjer, juges,  et de M. M. Villiger, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré e...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BARILLON c. FRANCE
(Requête no 22897/02)
ARRÊT
STRASBOURG
9 février 2006
DÉFINITIF
09/05/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Barillon c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,    J. Hedigan,    J.-P. Costa,    C. Bîrsan,   Mmes M. Tsatsa-Nikolovska,    R. Jaeger,   M. E. Myjer, juges,  et de M. M. Villiger, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 janvier 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22897/02) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mlle Régine Barillon (« la requérante »), a saisi la Cour le 7 juin 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante est représentée par M. P. Bernardet, sociologue à La Fresnaye-sur-Chedouet. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3.  Le 18 mars 2005, le président de la chambre (troisième section) a décidé de communiquer les griefs tirés de la durée de la procédure et de l’absence de recours à cet égard au Gouvernement défendeur. Se prévalant de l’article 29 § 3, il a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
4.  Tant le gouvernement que la requérante ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
5.  Le président de la chambre a décidé de ne pas joindre au dossier de la requête des observations complémentaires de la requérante sur la satisfaction équitable parce que ces observations n’avaient pas été sollicitées par la Cour.
EN FAIT
6.  La requérante est née en 1943 et réside à Clichy.
7.  Par un arrêté du 17 avril 1989, le recteur de l’académie de Créteil mit fin à ses fonctions de maître auxiliaire d’enseignement.
8.  Le 25 septembre 1991, elle saisit le ministre de l’Education nationale afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice né de la décision du recteur. Elle n’obtint aucune réponse.
9.  Le 11 janvier 1993, l’arrêté du recteur fut annulé par le tribunal administratif de Paris pour non-respect des formes prescrites à son émission.
10.  Le 24 juillet 1997, la requérante saisit le tribunal administratif de Paris d’une requête tendant à l’indemnisation du préjudice né de la décision du recteur.
11.  Le 23 juin 2000, le tribunal administratif de Paris rejeta la requête.
12.  Le 18 septembre 2000, la requérante interjeta appel de ce jugement.
13.  Le 31 décembre 2003, la cour administrative d’appel de Paris rejeta le recours de la requérante, estimant qu’elle n’était pas fondée à demander réparation d’un quelconque préjudice.
14.  Le 12 janvier 2004, la requérante sollicita le bénéfice de l’aide juridictionnelle auprès du bureau d’aide juridictionnelle près le Conseil d’Etat. Par une décision du 25 mai 2004, notifiée par acte du 24 juin 2004, cette aide lui fut refusée au motif de l’absence de moyens de cassation sérieux.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
A.  Durée de la procédure
15.  La requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
1.  Sur la recevabilité
16.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement de la voie de recours interne en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice.
17.  La Cour renvoie à l’arrêt Broca et Texier-Micault c. France du 21 octobre 2003 (nos 27928/02 et 31694/02), dans lequel elle a jugé qu’en matière de durée d’une procédure devant les juridictions administratives françaises, le recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice a acquis, le 1er janvier 2003, le degré de certitude juridique requis pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. Tout grief de cette nature introduit devant la Cour à compter du 1er janvier 2003 sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d’un tel recours est irrecevable ; il en va autrement des griefs introduits avant cette date.
En l’espèce, la Cour ayant été saisie de la présente affaire le 7 juin 2002, il ne saurait être reproché à la requérante de ne pas avoir usé de ce recours.
18.  Il convient donc de rejeter cette exception.
19.  La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2.  Sur le fond
20.  La période à considérer a débuté le 24 juillet 1997 et s’est terminée le 25 mai 2004, durant ainsi plus de six ans et dix mois pour trois instances.
21.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
22.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, en particulier la complexité du cas soumis en l’espèce aux juridictions internes, et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse a été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
B.  Equité de la procédure devant le bureau d’aide juridictionnelle de la Cour de cassation
23.  La requérante se plaint de ce que le bureau d’aide juridictionnelle s’est substitué aux juges afin d’évaluer ses moyens de cassation. Elle estime la violation de l’article 6 de la Convention caractérisée encore davantage par la circonstance que la procédure devant le Conseil d’Etat requiert l’assistance obligatoire d’un avocat.
24.  La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention ne trouve en principe pas à s’appliquer aux procédures portant sur l’octroi de l’aide juridictionnelle en matière civile (Gutfreund c. France, no 45681/99, §§ 38-46, CEDH 2003-VII, et Harder-Herken et autre c. Allemagne (déc.), no 45584/99, 14 octobre 2004). Elle rappelle également qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes (voir notamment Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, p. 19, § 36).
25.  La Cour relève que la requérante se plaint de la procédure d’aide juridictionnelle en tant que telle. A supposer l’article 6 de la Convention applicable à la présente espèce, la Cour note que la requérante n’a pas contesté le refus d’aide juridictionnelle dont elle se plaint devant le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, voie de recours dont elle a pourtant été expressément informée dans la lettre lui notifiant la décision incriminée du bureau d’aide juridictionnelle.
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
26.  La requérante allègue ensuite une violation de l’article 13 de la Convention, invoqué en combinaison avec l’article 6 de celle-ci. Les dispositions pertinentes de l’article 13 de la Convention se lisent comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
27.  Elle estime en effet qu’elle ne disposait pas, au moment de l’introduction de sa requête devant la Cour, d’une voie de recours afin de contester la durée d’une procédure devant les juridictions administratives françaises.
28.  Le Gouvernement renvoie à ses développements sur l’article 6 § 1 et fait valoir qu’il existe en droit français une possibilité de rechercher la responsabilité de l’Etat à raison de la durée excessive d’une procédure devant les juridictions administratives, voie de recours que la requérante doit épuiser avant de saisir la Cour. Il invite la Cour à conclure que la requérante dispose d’un recours interne effectif.
A.  Sur la recevabilité
29.  La Cour relève que ce grief est lié à celui relatif à la durée de la procédure examiné ci-dessus, et doit donc lui aussi être déclaré recevable.
B.  Sur le fond
30.  La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, CEDH 2000-XI) et que c’est à la date d’introduction de la requête que l’« effectivité » du recours, au sens de l’article 13, doit être appréciée, à l’instar de l’existence de voies de recours internes à épuiser au sens de l’article 35 § 1, ces deux dispositions présentant « d’étroites affinités » (cf. Kudla, précité, § 152 ; arrêt Lutz c. France (no 1), no 48215/99, § 20, 26 mars 2002).
31.  En conséquence, pour conclure en l’espèce à la violation de l’article 13, il suffit à la Cour de constater qu’en tout état de cause, à la date d’introduction de la requête, l’effectivité « en pratique » et « en droit » du recours invoqué par le Gouvernement n’était pas avérée (Lutz, précité, ibidem, et, mutatis mutandis, Broca et Texier-Micault, précité, §§ 21-23).
Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
32.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
33.  La requérante réclame 30 000 euros (EUR) pour préjudice moral et 4 000 EUR au titre de l’effet dissuasif que doit, selon elle, revêtir la satisfaction équitable.
34.  Le Gouvernement conteste ces prétentions et, pour le cas où la Cour constaterait une violation, évalue le préjudice moral de la requérante à 4 000 EUR.
35.  La Cour, statuant en équité, estime qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 4 000 EUR au titre du préjudice moral et rejette sa demande pour le surplus.
B.  Frais et dépens
36.  La requérante demande également 1 850 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Elle produit une facture établie par son représentant devant la Cour, M. Philippe Bernardet, datée du 29 septembre 2005, et portant la mention « TVA non facturée ».
37.  Le Gouvernement conteste ces prétentions et évalue les frais et dépens à 300 EUR.
38.  La Cour rappelle que, dans la phase consécutive à la décision sur la recevabilité de la requête, un requérant ne peut en principe être représenté devant elle que par un conseil habilité à exercer dans l’une des Parties contractantes (article 36 §§ 3 et 4 du règlement). La Cour en a déduit que, lorsque son représentant ne remplit pas cette condition (comme en l’espèce), un requérant peut obtenir le remboursement des frais de représentation engagés antérieurement à la décision sur la recevabilité mais pas de ceux engagés postérieurement (Marie-Louise Loyen et autre c. France, no 55929/00, § 73, 5 juillet 2005).
En l’espèce, la Cour a examiné en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire, et la requérante est donc habilitée à réclamer la totalité de ses frais de représentation, à supposer qu’ils soient justifiés et qu’ils soient raisonnables. A cet égard, la Cour estime que le montant sollicité ne saurait en l’espèce être considéré comme raisonnable et décide d’allouer la somme de 500 EUR à la requérante pour frais et dépens.
C.  Intérêts moratoires
39.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare irrecevable le grief tiré de l’iniquité alléguée de la procédure devant le bureau d’aide juridictionnelle près le Conseil d’Etat ;
2.  Déclare le restant de la requête recevable ;
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
5.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i.  4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral ;
ii.  500 EUR (cinq cents euros) pour frais et dépens ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 février 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Mark Villiger Boštjan M. Zupančič   Greffier adjoint Président
ARRÊT BARILLON c. FRANCE
ARRÊT BARILLON c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 22897/02
Date de la décision : 09/02/2006
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 13 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 13) RECOURS EFFECTIF, (Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE


Parties
Demandeurs : BARILLON
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-02-09;22897.02 ?
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