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14/02/2006 | CEDH | N°15472/02

CEDH | FOLGERO et AUTRES c. NORVEGE


[TRADUCTION]
EN FAIT
Les requérants sont des parents, membres de l’Association humaniste norvégienne (Human-Etisk Forbund), et leurs enfants, qui étaient à l’époque des faits scolarisés dans l’enseignement primaire. Il s’agit de Mme Ingebjørg Folgerø (née en 1960) et M. Geir Tyberø (né en 1956) et leur fils Gaute A. Tyberø (né en 1987), de Mme Gro Larsen (née en 1966) et M. Arne Nytræ (né en 1963) et leurs deux fils Adrian Nytræ (né en 1987) et Colin Nytræ (né en 1990), et de Mme Carolyn Midsem (née en 1953) et son fils Eivind T. Fosse

(né en 1987). A l’origine, l’Association s’était également jointe à la requête, m...

[TRADUCTION]
EN FAIT
Les requérants sont des parents, membres de l’Association humaniste norvégienne (Human-Etisk Forbund), et leurs enfants, qui étaient à l’époque des faits scolarisés dans l’enseignement primaire. Il s’agit de Mme Ingebjørg Folgerø (née en 1960) et M. Geir Tyberø (né en 1956) et leur fils Gaute A. Tyberø (né en 1987), de Mme Gro Larsen (née en 1966) et M. Arne Nytræ (né en 1963) et leurs deux fils Adrian Nytræ (né en 1987) et Colin Nytræ (né en 1990), et de Mme Carolyn Midsem (née en 1953) et son fils Eivind T. Fosse (né en 1987). A l’origine, l’Association s’était également jointe à la requête, mais elle s’est par la suite désistée. Les requérants sont représentés devant la Cour par M. L. Stavrum, avocat à Lillehammer, Norvège. Le Gouvernement est représenté par son agente, Mme E. Holmedal, conseil, bureau de l’avocat général (affaires civiles).
A.  Les circonstances de l’espèce
La Norvège a une religion d’Etat et une Eglise d’Etat, à laquelle 86 % de la population appartiennent. L’article 2 de la Constitution dispose :
« Quiconque réside dans le Royaume jouit de la liberté de religion.
La religion évangélique luthérienne demeure la religion officielle de l’Etat. Les habitants du Royaume qui la professent sont tenus d’élever leurs enfants dans cette foi. »
L’instruction à la foi chrétienne fait partie des programmes scolaires en Norvège depuis 1739. A compter de 1889, les membres de communautés religieuses autres que l’Eglise de Norvège furent autorisés à être dispensés en tout ou partie de l’enseignement de la religion chrétienne.
1.  L’ancienne loi de 1969 sur l’école obligatoire
Dans le cadre de l’adoption de l’ancienne loi de 1969 sur l’école obligatoire (lov om grunnskolen, 13 juin 1969, no 24 – ci-après « la loi de 1969 »), le Parlement décida que l’enseignement de la religion chrétienne devait être dissocié de l’enseignement des sacrements assuré par l’Eglise et porter sur les passages essentiels de la Bible et les principaux événements de l’histoire de l’Eglise ainsi que sur les connaissances fondamentales destinées aux enfants de confession évangélique luthérienne (article 7 § 4 de la loi).
Aux termes de la « clause de vocation chrétienne » (den kristne formålsparagraf), prévue à l’article 1 de la loi :
« Avec la compréhension et la coopération des parents, l’école primaire vise à contribuer à donner aux élèves une éducation chrétienne et morale, à développer leurs capacités, tant spirituelles que physiques, et à leur donner une bonne culture générale de sorte qu’ils puissent devenir des êtres humains autonomes et utiles à leur famille et à la société.
L’école doit promouvoir la liberté spirituelle et la tolérance et s’attacher à créer des conditions favorables à une coopération entre les enseignants et les élèves et entre l’école et les parents. »
Il était demandé aux professeurs d’enseigner conformément à la confession évangélique luthérienne (article 18 § 3, ajouté en 1971).
En vertu de l’article 12 § 6 de la loi de 1969, les enfants de parents n’appartenant pas à l’Eglise de Norvège étaient habilités, à la demande de leurs parents, à être dispensés de tout ou partie des cours de religion chrétienne. Les élèves dispensés pouvaient bénéficier à la place de cours de philosophie.
2.  La réforme
L’enseignement primaire et secondaire obligatoire subit une réforme entre 1993 et 1997. Au printemps 1993, le Parlement décida que les enfants seraient désormais scolarisés à l’âge de six ans et non plus de sept ans et, au printemps suivant, il porta la durée de la scolarité obligatoire à dix ans contre neuf ans auparavant. De nouveaux programmes lui furent soumis. La majorité de la commission parlementaire des affaires religieuses, de l’éducation et de la recherche proposa que le christianisme, les autres religions et la philosophie soient enseignés ensemble. Elle souligna qu’il était important d’assurer un environnement ouvert et divers, et ce quels que soient l’origine sociale, la religion, la nationalité, le sexe, l’appartenance ethnique ou les capacités fonctionnelles des élèves. Il convenait que l’école soit le lieu de convergence des opinions les plus diverses. Des élèves de convictions religieuses et philosophiques différentes devaient se rencontrer et apprendre à connaître les pensées et traditions les uns des autres. L’école ne devait pas être un lieu de prédication ou d’activités missionnaires. Il était noté que, depuis 1969, l’enseignement de la religion chrétienne était dissocié de l’enseignement des sacrements de l’Eglise d’Etat et devait transmettre des connaissances sans être un instrument de prêche religieux. La majorité de la commission estimait de plus qu’il convenait de définir des lignes directrices en matière de dispense afin de parvenir à une pratique uniforme et qu’il fallait consulter les groupes minoritaires. Les dispenses devaient se limiter à certaines parties des cours, notamment les éléments à caractère confessionnel et la participation aux rites.
Ultérieurement parut un livre blanc (St.meld. nr. 14 pour 1995-1996) sur le christianisme, la religion et la philosophie (kristendomskunnskap med religions- og livssynsorientering – ci-après « le cours de KRL ») où le ministère des Affaires religieuses, de l’éducation et de la recherche indiquait les directives à suivre en matière de dispense :
« Aucun élève ne doit avoir l’impression qu’il est désagréable ou stigmatisant de bénéficier d’une dispense.
Aucun élève ne doit être contraint de devenir le représentant d’une philosophie de vie spécifique, raison pour laquelle l’école doit procéder avec les plus grandes précautions en classe ou dans l’école en général lorsqu’elle traite les demandes de dispense.
La dispense de certaines parties du programme ne doit pas être accordée automatiquement à certains élèves.
Si les circonstances s’y prêtent et si l’élève et ses parents le souhaitent, le contexte et les raisons qui ont conduit à la dispense peuvent être exploités en cours.
Une dispense ne constitue pas un passeport pour l’ignorance (...) »
La majorité de la commission parlementaire précitée approuva l’ensemble du programme et fit observer que le christianisme devait constituer la partie centrale du cours de KRL (Innst.s.nr 103 pour 1995-1996). Elle déclara également :
« La majorité tient aussi à souligner que l’enseignement ne doit pas s’abstenir de transmettre des valeurs. Ce n’est pas parce que l’enseignement ne doit pas être de l’ordre du prêche qu’il doit se dérouler dans un vide religieux/éthique. Tout enseignement et toute éducation dans nos écoles primaires doivent prendre comme point de départ la vocation chrétienne de l’école et, à l’intérieur du cours de KRL, le christianisme, les autres religions et la philosophie doivent être présentés selon leurs caractéristiques propres. Le cours de KRL doit mettre l’accent sur l’enseignement du christianisme. »
La minorité de la commission (une personne) proposa que tous les élèves des écoles primaires aient le droit de bénéficier d’une dispense totale du cours de KRL et de suivre un autre cours à la place.
Pendant la préparation des amendements à la loi, le ministère chargea M. E. Møse, qui était alors juge d’une cour d’appel, d’évaluer l’enseignement obligatoire de KRL sous l’angle des obligations découlant pour la Norvège du droit international public. Dans son rapport du 22 janvier 1997, M. Møse conclut :
« La vocation chrétienne de la loi sur l’enseignement primaire, qu’elle soit prise isolément ou combinée avec l’article 2 de la Constitution et d’autres règles spéciales relatives à l’Eglise et aux établissements scolaires, ne permet pas de conclure que l’enseignement du christianisme dans le cadre du nouveau programme exercera forcément une influence favorable à la foi évangélique luthérienne, que ce soit par le biais de la prédication ou de l’éducation. Le législateur peut décider que les élèves qui se réclament de cette foi recevront une instruction sous forme de sermon, mais non les autres élèves. Toutefois, cela serait contraire à nos obligations internationales et à l’article 110C de la Constitution relatif à la protection des droits de l’homme.
Il ressort, du point de vue légal, du concept quelque peu abscons de « base confessionnelle » que la conséquence découlant naturellement du système d’Eglise d’Etat est que le législateur permet à l’instruction en religion ou en philosophie de porter sur la pensée évangélique luthérienne et non sur d’autres formes de christianisme. C’est la voie qu’a choisi la loi sur le nouveau cours, qui comporte une partie sur le christianisme. (...) Cette solution a été retenue parce que la majorité de la population norvégienne est d’obédience évangélique luthérienne. Elle est à l’évidence motivée par des raisons objectives. Elle ne saurait être rejetée par les traités sur les droits de l’homme tant que l’enseignement est par ailleurs pluraliste, neutre et objectif. »
Sur la question de la dispense du cours de KRL, M. Møse déclara :
« Dans la situation telle qu’elle se présente, je pense que le plus sûr est de prévoir un droit général de dispense. Ainsi, les organes internationaux de contrôle n’auront pas à examiner de plus près les questions épineuses que peut susciter un enseignement obligatoire. Toutefois, je ne peux pas dire qu’une dispense partielle serait contraire aux conventions, à condition que le fonctionnement du système respecte les obligations pertinentes prévues par ces traités. Tout dépendra de la suite du processus législatif et de la manière dont le cours sera mis en œuvre en pratique. »
Les articles 7 et 13 de la loi de 1969 furent amendés par la loi du 19 juin 1997 (no 83), entrée en vigueur le 1er juillet 1997. Les nouvelles dispositions, auxquelles est venue s’ajouter une clause de vocation chrétienne comparable à l’article 1 de l’ancienne loi de 1969, furent par la suite englobées respectivement dans les articles 2-4 et 1-2 de la loi de 1998 sur l’éducation (Lov om grunnskolen og den videregående opplæring av 17. juli 1998 nr. 61 – ci-après « la loi de 1998 »), entrée en vigueur le 1er août 1999.
L’article 1-2 § 1 dispose :
« Dans le primaire et le premier cycle du secondaire, l’enseignement a pour vocation, avec l’accord et la coopération des parents, de contribuer à donner aux élèves une éducation chrétienne et morale, de développer leurs capacités physiques et mentales et de leur donner une bonne culture générale de sorte qu’ils puissent devenir des êtres humains autonomes et utiles à leur famille et à la société. »
L’article 2-4 est ainsi libellé :
« Le cours de christianisme, de religion et de philosophie doit :
i) transmettre une connaissance approfondie de la Bible et du christianisme comme héritage culturel ainsi que de la foi évangélique luthérienne ;
ii) transmettre une connaissance des autres communautés chrétiennes ;
iii) transmettre une connaissance des autres religions et philosophies du monde et de sujets d’éthique et de philosophie ;
iv) promouvoir la compréhension et le respect des valeurs chrétiennes et humanistes ; et
v) promouvoir la compréhension, le respect et l’aptitude au dialogue entre des personnes ayant des croyances et convictions différentes.
Le cours de christianisme, de religion et de philosophie est un cours comme les autres qui doit normalement rassembler tous les élèves. Il ne doit pas être enseigné sur le mode du prêche.
Toute personne qui enseigne le christianisme, la religion et la philosophie doit prendre comme point de départ la clause de vocation chrétienne définie à l’article 1-2 et présenter le christianisme, les différentes religions et la philosophie à partir de leurs caractéristiques propres, en appliquant les mêmes principes pédagogiques que ceux utilisés pour les autres matières.
Sur présentation d’un mot écrit de ses parents, un élève se verra dispensé des parties de l’enseignement assuré dans l’école fréquentée dont ceux-ci estiment, du point de vue de leur propre religion ou philosophie de vie, qu’elles reviennent à pratiquer une autre religion ou à embrasser une autre philosophie de vie. Cela peut notamment concerner les activités religieuses dans ou hors de la salle de classe. Dans le cas où les parents demandent une dispense, l’école doit s’efforcer dans toute la mesure du possible de trouver des solutions en favorisant un enseignement différencié dans le cadre des programmes scolaires. »
Si l’on se réfère aux moutures successives de ce texte, on s’aperçoit que l’expression « activités religieuses » visait à couvrir, par exemple, les prières, les psaumes, l’apprentissage de textes religieux par cœur et la participation à des pièces de nature religieuse.
Conformément à une circulaire du ministère du 10 juillet 1997, lorsque des parents adressent une note à l’école pour demander une dispense, ils doivent y exposer ce qui à leur avis s’apparente à la pratique d’une autre religion ou d’une autre philosophie de vie. L’élève bénéficie d’une dispense après que ses parents ont fourni ces explications. Si leur demande est rejetée, les parents peuvent faire appel auprès du service de l’éducation publique de la région concernée. L’appel est envoyé par l’intermédiaire de l’école, qui peut saisir cette occasion pour modifier sa décision.
L’exigence de motivation a fait l’objet de précisions complémentaires dans une circulaire ministérielle du 12 janvier 1998, laquelle a indiqué qu’il n’y avait pas besoin d’explications pour accorder une dispense d’activités manifestement religieuses. Parallèlement, pour ce qui est des questions ne relevant pas de la règle principale en matière d’octroi de dispenses, la motivation devait être appréciée au regard de critères plus stricts.
Lors de la phase d’élaboration du cours de KRL, les associations représentant les confessions minoritaires exprimèrent de fortes objections, déclarant notamment que ce cours faisait une trop grande part au christianisme évangélique luthérien et contenait certaines formes de prêche. L’Association humaniste norvégienne fit notamment valoir que ce cours avait une base confessionnelle (konfesjonsforankring) et que la possibilité d’obtenir une dispense de certaines parties du cours seulement n’était pas adaptée. Lors de son congrès national de mai 1997, l’Association décida d’appeler le Parlement à rejeter la proposition du Gouvernement visant à limiter le droit de dispense.
A partir de l’automne 1997, le cours de KRL fut progressivement introduit dans les programmes de l’enseignement primaire à la place du cours de christianisme et de philosophie de vie. Durant l’année scolaire 1999-2000, ce cours fut étendu à tous les niveaux d’enseignement.
3.  Evaluations du cours de KRL
Le 18 octobre 2000, le ministère publia un communiqué de presse à l’occasion de la parution de deux rapports d’évaluation du cours de KRL, l’un intitulé « Expériences de parents, d’élèves et de professeurs relatives au cours de KRL » (Foreldres, elevers og læreres erfaringer med KRL-faget), rédigé par Norsk Lærerakademi, et l’autre « Un cours pour tous les goûts ? Evaluation du cours de KRL » (Et fag for enhever smak? En evaluering av KRL-faget) fourni par Høgskulen i Volda et Diaforsk. Le Parlement avait demandé que soit réalisée au bout de trois ans une étude du fonctionnement des règles de dispense. Les deux rapports concluaient que le mécanisme de dispense partielle ne fonctionnait pas comme prévu et devait donc être entièrement revu.
B.  Les procédures judiciaires engagées par certains des requérants
Dans l’intervalle, le 14 mars 1998, l’Association humaniste norvégienne, ainsi que huit groupes de parents membres de l’Association et parents d’enfants scolarisés dans le primaire, engagèrent une action devant le tribunal de première instance (byrett) d’Oslo pour se plaindre du refus opposé par l’administration des établissements concernés aux demandes formulées par les parents en vue de la dispense totale de leurs enfants du cours de KRL. Ils se plaignaient que ce refus emportait violation dans le chef des parents et des enfants des droits garantis par l’article 9 de la Convention et l’article 2 du Protocole no 1, pris isolément ou combinés avec l’article 14 de la Convention. Ils invoquaient aussi, entre autres, les articles 18 et 26 du Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques et l’article 13 § 3 du Pacte international de 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Par un jugement du 16 avril 1999, le tribunal de première instance rejeta l’objection formulée par l’Etat selon laquelle l’Association n’avait pas d’intérêt juridique suffisant et n’avait donc pas qualité pour agir. Sur le fond, cependant, il se prononça en faveur de l’Etat et rejeta la plainte.
L’Association et les parents interjetèrent appel devant la cour d’appel (lagmannsrett) Borgarting.
Le 6 octobre 2000, cette dernière rendit un arrêt confirmant la décision du tribunal de première instance.
Les requérants formèrent un nouveau recours. Le 22 août 2001, la Cour suprême (Høyesterett) le rejeta à l’unanimité pour autant qu’il émanait de l’Association, au motif que celle-ci n’avait pas un intérêt suffisant pour avoir qualité pour agir. Pour autant que le recours concernait les autres plaignants, elle le rejeta à l’unanimité et confirma l’arrêt de la cour d’appel.
Dans son raisonnement, approuvé pour l’essentiel par les quatre autres juges siégeant dans l’affaire, le premier juge à voter, le juge Stang Lund, déclara d’emblée : « [l]’affaire concerne la validité des décisions administratives rejetant les demandes, formulées par des parents, de voir leurs enfants totalement dispensés du cours [de KRL] dans l’enseignement primaire et secondaire ». Il définit la question à trancher comme consistant à savoir « si l’enseignement du cours [de KRL] assorti d’un droit de dispense limité [était] contraire à l’obligation que les traités internationaux mettent à la charge de la Norvège de protéger notamment la liberté de religion et de conviction ».
Par la suite, le juge Stang Lund entreprit une analyse approfondie de l’histoire législative et de la situation au regard du droit international des droits de l’homme, notamment les dispositions pertinentes et la jurisprudence de la Convention européenne et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il déclara que, si on l’interprétait à la lumière de ces textes, l’article 2-4 § 4 de la loi de 1998 signifiait que les élèves avaient le droit d’être dispensés et que les parents n’avaient pas l’obligation de laisser leurs enfants suivre des cours de religion et de philosophie qu’ils considéraient comme de la prédication ou de l’endoctrinement au sens de ces traités. Les enfants pouvaient donc s’abstenir de suivre ces cours. La question de l’ampleur de la partie du programme touchée par la dispense devrait être décidée au cas par cas selon la façon dont l’enseignement était conçu et mis en œuvre. Pour le juge Stang Lund, la disposition sur la dispense n’était contraire à aucune exigence en matière de liberté religieuse et de droits parentaux.
Le juge Stang Lund examina en outre les parties du programme scolaire qui, d’après les appelants, donnaient la préférence à la foi chrétienne et poussaient les élèves à choisir le christianisme. Il observa toutefois que l’important était que les élèves apprennent à connaître une pluralité de convictions et de modes de pensée et que l’enseignement ne présente pas une foi comme supérieure aux autres. On devait pouvoir accepter, en fonction de l’histoire, de la culture et des traditions d’un Etat contractant, qu’une ou plusieurs religions ou philosophies de vie occupent une plus grande place que d’autres. Quant au fait que les appelants s’opposaient à ce que les élèves soient influencés par le recours à des images, chansons, pièces de théâtre, musiques et histoires extraites de la Bibles et de textes religieux, le juge Stang Lund considéra qu’il devait être possible de communiquer de façon neutre aux élèves les traditions et « modes de transmission des connaissances » (måte å formidle på) des différentes religions sans aller à l’encontre du droit international des droits de l’homme. Le programme mettait l’accent sur l’esprit d’ouverture et de pénétration, le respect et le dialogue et sur l’amélioration de la compréhension et de la tolérance dans les débats sur les questions morales et religieuses, et interdisaient la prédication. Dans le cadre du programme prévu, le cours de KRL pouvait être assuré sans provoquer le moindre conflit avec les dispositions pertinentes du droit international des droits de l’homme.
Quant à l’argument des appelants selon lequel les manuels scolaires, et notamment les volumes 2, 3, 5 et 6 du Bridges, s’apparentaient à de la prédication et étaient susceptibles d’influencer les élèves, le juge Stang Lund observa que, si certaines définitions de problèmes et formulations figurant dans cet ouvrage pouvaient donner à penser que la foi chrétienne offrait la réponse à des questions éthiques et morales, la Cour suprême n’avait reçu aucune autre information quant à la façon dont l’enseignement fondé sur ces outils était conçu et mis en œuvre.
A cet égard, le juge Stang Lund nota que le procès intenté par les appelants et le recours formé par eux devant la Cour suprême étaient dirigés contre le cours de KRL et sa mise en œuvre de manière générale. Les arguments et éléments de preuve fournis à propos de chaque décision de refus d’une dispense totale visaient à montrer comment le cours fonctionnait globalement. Les appelants n’avaient pas analysé dans le détail la validité de chaque décision individuelle. Ainsi, à cause de la manière dont l’affaire était présentée, il n’était pas possible de déterminer si l’enseignement suivi par les enfants des appelants avait été dispensé d’une manière qui violait les traités pertinents en matière de droits de l’homme. L’affaire portait sur la validité de décisions refusant une dispense totale du cours de KRL. Or les appelants n’avaient pas montré que, selon toute probabilité, l’enseignement avait été conçu et prodigué selon une méthode qui, conformément à ces textes, justifiait d’accorder une dispense totale du cours en question.
Enfin, le juge Stang Lund se pencha sur l’argument de la discrimination. Il fit observer qu’un droit de dispense de tout ou partie du cours, obligatoire, de KRL conduirait à une différence de traitement. Les parents et les élèves souhaitant une dispense devaient suivre le programme attentivement et demander une dispense lorsque cela leur paraissait nécessaire pour protéger l’intérêt de leurs enfants et le leur. Si l’on pouvait concevoir que la nécessité de fournir des motifs détaillés soit contraire aux articles 8 (vie privée) et 9 de la Convention, le mécanisme contesté prévoyait que les parents rédigent une note faisant état de leur souhait d’obtenir une dispense et indiquant grosso modo sur quelle partie du programme ils voulaient que porte la dispense. Ce mécanisme visait un but légitime et n’entraînait pas une ingérence disproportionnée, à condition que l’école aide les parents à se tenir informés du contenu des cours. L’enseignement obligatoire commun demandait un effort considérable en matière d’information des parents. Toutefois, les appelants n’avaient pas traité spécifiquement de l’exigence de motivation ni exposé le contenu des raisons qu’ils avaient invoquées à l’appui de leur demande de dispense. Il n’existait donc aucun élément permettant d’établir s’il y avait eu discrimination, ce qui aurait conduit à infirmer les décisions de refus attaquées.
C.  Les requêtes adressées par les parties aux procédures précitées et leurs enfants à la Cour et au Comité des droits de l’homme des Nations unies
Le 15 février 2002, les parents et enfants requérants présentèrent leur requête à la Cour.
Le 25 mars 2002, quatre autres groupes de parents qui avaient également été parties aux procédures internes précitées adressèrent conjointement avec leurs enfants une communication (no 1155/2003) au Comité des droits de l’homme de l’ONU au titre du Protocole au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le 3 novembre 2004, le Comité rejeta l’exception de l’Etat défendeur selon laquelle, étant donné que trois autres groupes de parents avaient soumis une plainte similaire à la Cour, celle-ci statuait déjà sur « la même question ». Le Comité déclara la communication recevable pour autant qu’elle portait sur les questions soulevées au titre des articles 17, 18 et 26 du Pacte. Quant au fond, le Comité déclara que le cadre actuel de fonctionnement du cours de KRL, y compris le régime de dispense, tel qu’appliqué à l’égard des plaignants (« les auteurs »), constituait une violation de l’article 18 § 4 du Pacte. Dans ces conditions, le Comité estima qu’il ne se posait aucune question distincte sous l’angle de l’article 18 ou des articles 17 et 26 du Pacte. Il accorda 90 jours à l’Etat partie pour fournir « des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations ». Les autorités norvégiennes décidèrent par la suite de prendre certaines mesures.
GRIEFS
Les requérants se plaignent que le refus des autorités internes compétentes de dispenser totalement les enfants du cours de KRL a emporté violation de leurs droits garantis par la Convention. Le fait que les enfants soient obligés de suivre le cours d’instruction religieuses constitue une ingérence injustifiée dans le droit de ceux-ci et de leurs parents à la liberté de conscience et de religion consacré par l’article 9 de la Convention. Cela emporte également violation du droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques, énoncé à la deuxième phrase de l’article 2 du Protocole no 1. De plus, le mécanisme d’octroi des dispenses contraint les parents à décrire en détail les parties de l’éducation ou de l’enseignement qui entrent en conflit avec leurs propres convictions, ce qui les amène à révéler des aspects de leur propre philosophie de vie et a pour effet de stigmatiser les enfants ou de les placer en position d’intermédiaires, au mépris de leur droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention.
En outre, les inconvénients précités, résultant des possibilités limitées et des modalités de demande de dispense, impliquent que les parents qui ne sont pas d’obédience chrétienne font face à une charge plus lourde que les parents de confession chrétienne, qui n’ont pas de raison de solliciter une dispense du cours de KRL, lequel est conçu en fonction des conceptions majoritaires. Etant donné que cette situation entraîne selon les requérants une discrimination, il y a aussi eu à leur avis violation des articles 8 et 9 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 1 combinés avec l’article 14 de la Convention.
EN DROIT
A.  Introduction
La Cour rappelle d’emblée que, dans sa décision partielle du 26 octobre 2004 sur la recevabilité, elle a rayé la requête du rôle pour autant que l’Association humaniste norvégienne était concernée et l’a déclarée irrecevable quant aux griefs des enfants et des parents relatifs aux possibilités et modalités d’obtention d’une dispense partielle du cours de KRL.
A cette occasion, la Cour a ensuite examiné la question de savoir – eu égard à la portée de l’affaire devant la Cour suprême norvégienne et à la communication adressée par certaines parties aux mêmes procédures internes au Comité des droits de l’homme de l’ONU à Genève au titre du Protocole au Pacte international relatif aux droits civils et politiques – si elle était empêchée de statuer sur la présente requête en vertu du second motif énoncé à l’article 35 § 2 b) de la Convention. Toutefois, elle n’a pas alors jugé nécessaire de se prononcer sur cette question et a décidé d’en ajourner l’examen afin d’en connaître avec le fond des griefs. Au stade actuel, il s’agit du premier point à trancher.
B.  Sur le point de savoir si la requête est irrecevable en vertu de l’article 35 § 2 b) de la Convention
L’article 35 § 2 b) de la Convention dispose :
«  2.  La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsque
b)  elle est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux. »
1.  Les arguments des parties
a.  Les requérants
Les requérants contestent l’argument du Gouvernement selon lequel la même requête serait examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Bien que quatre autres groupes de parents aient soumis des griefs similaires au Comité des droits de l’homme à propos de leurs enfants, il ne s’agit pas de « la même requête » au sens de l’article 35 § 2 b) de la Convention. Ils plaident que, même si les requêtes concernent la même violation, sur laquelle les juridictions nationales ont statué dans un même arrêt en considérant qu’il s’agissait d’une seule affaire, le fait qu’elles aient été soumises par des personnes différentes implique qu’on ne saurait les considérer comme « la même requête ». Le cas de chaque groupe de parents a été plaidé séparément devant les juridictions internes. Les griefs de chacun d’eux se rapportent à des décisions administratives distinctes portant sur leurs demandes respectives de dispense de l’enseignement offert par des écoles différentes. Chaque affaire a été présentée séparément, même si les renseignements sur le contexte global, la situation juridique et les commentaires généraux quant au contenu de la nouvelle législation ont été exposés de manière collective. Le fait que les parents partagent le même point de vue sur la nouvelle matière et les modalités d’obtention d’une dispense ne saurait disqualifier leurs demandes individuelles de dispense pour leurs enfants. Ce qui est fondamental est que leurs affaires et leurs griefs sont distincts même s’ils ont été présentés conjointement. Les affaires des parents ayant choisi de saisir le Comité des droits de l’homme se présentent sous un jour différent et font intervenir des arguments différents. Les questions soumises à cet organe ne sont pas les mêmes que celles présentées à la Cour et se rapportent à des dispositions que le Comité et la Cour ont chacun interprétées différemment.
b.  Le Gouvernement
Le Gouvernement déclare que les juridictions internes ont traité en une seule affaire les griefs des requérants se rapportant à la dispense totale du cours de KRL et les plaintes identiques émanant de quatre autres groupes de parents. Devant la Cour suprême et les juridictions inférieures, tous les plaignants étaient représentés par le même avocat (M. L. Stavrum) et ont présenté des allégations identiques. M. Stavrum a fait un exposé unique au nom de toutes les parties sans tenter de distinguer les particularités de chaque cas individuel. Dès lors, les juridictions internes ont jugé les diverses plaintes comme une seule et même requête et ont chacune rendu une seule décision traitant globalement des griefs de tous les requérants.
Bien qu’elles aient défendu leur cause conjointement devant les juridictions internes, les parties ont décidé de présenter une requête à la Cour de Strasbourg ainsi qu’une communication au Comité des droits de l’homme de l’ONU, à Genève, les 15 février et 25 mars 2002 respectivement. Ces deux actions portent essentiellement sur les mêmes questions, la seule différence entre elles tenant à l’identité de leurs auteurs. Les principaux éléments des griefs sont mot pour mot identiques. Il apparaît donc clairement que les requérants continuent à plaider une seule cause, mais désormais devant deux instances.
De plus, il convient de noter que toutes les plaintes visaient le cours de KRL de manière générale, de sorte qu’un constat de violation émanant soit de la Cour européenne soit du Comité des droits de l’homme vaudrait en réalité pour tous les requérants, quelle que soit l’instance à laquelle ils se sont adressée. A cet égard, le Gouvernement renvoie à l’arrêt de la Cour suprême, d’où ressort clairement le constat que l’affaire concernait le cours de KRL en général et non le cas particulier de chacun des requérants.
Le Gouvernement signale par ailleurs que le libellé de l’article 35 § 2 b) ne fait pas apparaître de manière nette si la situation décisive est celle qui prévaut au moment de la soumission de la requête ou celle qui règne lors de l’examen de la recevabilité. Lorsque la Cour a été saisie de la requête, la même requête n’avait pas encore été soumise au Comité des droits de l’homme. Celui-ci a prié le 30 janvier 2003 le Gouvernement de présenter ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication, qui lui ont été adressées le 21 novembre 2003. On peut donc arguer de manière défendable que « la même requête » avait déjà été soumise à une autre instance internationale d’enquête et faisait l’objet d’un examen en vertu d’une autre procédure.
2.  L’appréciation de la Cour
La Cour observe que les requérants qui l’ont saisie et les « auteurs » de la communication adressée au Comité des droits de l’homme de l’ONU dénonçaient tous, à l’issue de la même procédure interne à laquelle ils avaient tous été partie, l’absence de possibilité en droit norvégien d’obtenir une dispense totale du cours de KRL pour leurs enfants. Toutefois, d’après le principe établi dans la jurisprudence de la Convention, si les personnes qui se plaignent devant les deux institutions ne sont pas les mêmes (voir Council of Civil Service Unions c. Royaume-Uni, no 11603/85, décision de la Commission du 20 janvier 1987, Décisions et rapports (DR) 50, pp. 251-252, Peltonen c. Finlande, no 19583/92, DR 80-B, p. 38, Calcerrada Fornieles et Cabeza Mato c. Espagne, no 17512/90, décision du 6 juillet 1992, DR 73, p. 214, et Miguel Cereceda Martin et 22 autres c. Espagne (déc.), no 16358/90, 12 octobre 1992, Smirnova c. Russie (déc.), nos 46133/99 et 48183/99, 3 octobre 2002), la « requête » reçue à la Cour ne peut passer pour être « essentiellement la même qu’une requête (...) déjà soumise » en l’occurrence au Comité des droits de l’homme de l’ONU (il faut noter à cet égard que le libellé français de l’article 35 § 2 b) est plus strict que le texte anglais, qui dit : « application that ... is substantially the same as a matter ... submitted ... » – soulignement ajouté). Sans nier les points communs qui existent entre la requête soumise au titre de la Convention à Strasbourg et la communication présentée en vertu du Pacte de l’ONU à Genève, la Cour juge qu’il ne se justifie pas en l’espèce de faire exception à ce principe.
Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité formulée par le Gouvernement au titre de l’article 35 § 2 b) de la Convention.
C.  Grief tiré de l’article 9 de la Convention et de la deuxième phrase de l’article 2 du Protocole no 1
1.  Les arguments des parties
a.  Les requérants
Les requérants soutiennent que le cours de KRL n’est dispensé de manière ni objective, ni critique ni pluraliste et ne satisfait donc pas aux critères dégagés par la Cour dans l’interprétation qu’elle a donnée de l’article 2 du Protocole no 1 dans l’arrêt Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark (arrêt du 7 décembre 1976, série A no 23, pp. 26-27, § 53). A cet égard, ils renvoient également au critère de « neutralité et d’objectivité » énoncé par le Comité des droits de l’homme de l’ONU dans l’affaire Hartikainen c. Finlande à propos de la disposition correspondante figurant à l’article 18 § 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le but premier étant de renforcer l’identité religieuse des élèves, le cadre juridique qui comprend une clause de vocation chrétienne, un programme d’enseignement adoptant pleinement une optique religieuse et louant la foi et la tradition chrétiennes, joint à des manuels contenant des sermons chrétiens traditionnels, indiquerait en bref clairement que cet enseignement est dénué d’objectivité.
La question de savoir si la matière litigieuse figurant au programme de l’enseignement primaire en Norvège entraîne une violation des normes pertinentes en matière de droits de l’homme s’agissant de la liberté de religion, des droits parentaux, du respect de la vie privée et de l’interdiction de toute discrimination doit être examinée dans le contexte plus large d’une société à très forte prédominance chrétienne. La Norvège a une religion d’Etat et une Eglise d’Etat ; la foi chrétienne (évangélique luthérienne) y jouit de prérogatives constitutionnelles. Une clause de vocation chrétienne s’applique aux écoles et établissements préscolaires publics. On trouve des prêtres de l’Eglise d’Etat dans l’armée, les prisons, les universités et les hôpitaux. Les médias publics diffusent des prières et cultes quotidiens. Pas moins de 86 % de la population appartiennent à l’Eglise d’Etat, c’est-à-dire l’Eglise de Norvège.
Malgré tout, le droit à la liberté de religion pour les personnes qui ne sont pas d’obédience chrétienne a été pris en compte de différentes manières, notamment par le biais d’une possibilité de dispense du cours de connaissance chrétienne auparavant assuré dans les écoles publiques. Ce droit à une dispense générale – qui existait depuis plus de 150 ans – a été supprimé lors de l’introduction du cours de KRL en 1997. Le Gouvernement voulait notamment que tous les élèves soient réunis dans la classe pour l’enseignement de questions importantes telles que la lutte contre les préjugés et la discrimination, la compréhension de milieux différents, entre autres.
Les requérants ne désapprouvent pas l’objectif général consistant à encourager le dialogue interculturel, bien au contraire. Ils souscrivent totalement à beaucoup des buts tout à fait louables exprimés par le Gouvernement lors de l’introduction de la nouvelle matière. Le problème est que le cours de KRL n’atteint tout simplement pas ces objectifs, contrairement au cours de philosophie de la vie, auquel va la préférence des requérants.
Concernant la mention des activités religieuses qui est faite dans la règle sur la dispense partielle figurant à l’article 2-4 de la loi de 1998, les requérants ont du mal à comprendre comment celle-ci peut se concilier avec les exigences selon lesquelles l’enseignement doit être « objectif et neutre » ou même « pluraliste et critique ».
L’une des pierres angulaires du système de dispense partielle est la distinction entre connaissances normatives et connaissances descriptives, laquelle présuppose que l’on peut « apprendre » un texte (prière, psaume, histoire tirée de la Bible, déclaration de foi, par exemple) sans être soumis mentalement à ce qui constitue ou pourrait constituer une influence ou un endoctrinement non voulus. Les parents qui ont soumis la requête à l’étude ont expliqué dans leurs observations écrites que cette distinction ne fonctionne pas en ce qui concerne leurs enfants. C’est pourquoi la dispense partielle ne constitue pas pour eux une solution valable.
Comme le Gouvernement l’a admis et la Cour suprême l’a indiqué, les manuels pertinents renferment des parties pouvant être perçues comme professant le christianisme. Ces manuels ne font pas officiellement partie du cadre légal de la matière mais disposent d’un statut officiel du fait qu’ils ont été contrôlés et autorisés par une institution officielle de l’Etat, à savoir l’Agence norvégienne des manuels scolaires (Norsk Læremiddelsentral).
Les requérants contestent l’argument selon lequel la nouvelle matière ne comporte qu’un petit nombre d’activités susceptibles d’être perçues comme ayant un caractère religieux. En effet, le programme et les manuels utilisés dans les écoles ainsi que toutes les informations relatives à la mise en œuvre de l’enseignement montrent que le principal objectif du cours – renforcer le socle chrétien des élèves – est également le fil conducteur de cet enseignement. Le cours de KRL a été introduit principalement dans le but d’assurer le socle religieux pour la majorité des élèves de confession chrétienne. Si tel n’était pas le cas, la clause introductive de la loi de 1998 ne ferait pas fait obligation au professeur d’assurer son cours conformément à la clause de vocation chrétienne.
Pour les requérants, la meilleure manière de combattre les préjugés et la discrimination et d’œuvrer au respect mutuel et à la tolérance – ce qui constitue également un objectif avoué de la nouvelle matière – ne saurait consister à forcer les personnes ne partageant pas les traditions et la philosophie chrétiennes à participer à des cours portant essentiellement sur la religion chrétienne. Il aurait été préférable de conserver l’ancien système, avec une matière pour la majorité des élèves venant de familles chrétiennes et comprenant aussi des informations sur d’autres philosophies de vie, et une matière non confessionnelle fondée sur l’héritage commun, la philosophie et l’histoire générale des religions et la morale, entre autres, pour les autres élèves. Il aurait encore mieux valu mettre un frein à la supériorité chrétienne faisant partie intégrante du système scolaire norvégien en créant une matière commune, neutre et objective portant à la fois sur la religion et la philosophie de vie et ne privilégiant aucune forme d’activité religieuse ni le christianisme en particulier.
Le mécanisme de dispense partielle n’a pas fonctionné pour les requérants, qui l’ont essayé mais sans qu’il leur offre en pratique une solution. En effet, il a fallu qu’ils dévoilent, directement ou indirectement, leur propre philosophie de vie, et ils ont dû apprendre à connaître dans le détail une autre philosophie de vie (afin d’être en mesure de demander une dispense). Le fait de suivre le contenu du cours, de transmettre des messages, de donner des motifs a constitué pour eux une lourde charge, de même que la frustration et la stigmatisation qu’ils ont endurées. Ils ont vu leurs enfants souffrir de se sentir différents des autres enfants en ce qu’ils devaient jouer le rôle d’intermédiaires entre la maison et l’école et connaissaient des conflits de loyauté.
Dans ces conditions, les requérants n’avaient pas d’autre solution que de solliciter une dispense totale. Celle-ci leur ayant été refusée, ils ont dû se plier à un mécanisme de dispense partielle qui ne respectait pas leurs droits.
b.  Le Gouvernement
Pour le Gouvernement, il découle de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen (précité) qu’aucune violation de l’article 2 du Protocole no 1 ne saurait être établie à raison de l’absence de droit à une dispense totale du cours de KRL. Comme cet arrêt le reconnaît (au paragraphe 53), dès lors que l’éducation se fonde sur des connaissances, elle est dans la plupart des cas susceptible de poser des questions de conviction. Les parents ne sont même pas autorisés à s’opposer à pareille éducation, sans quoi « tout enseignement institutionnalisé courrait le risque de se révéler impraticable ». Un droit de dispense totale tel que celui réclamé par les requérants en l’espèce rendrait à l’évidence encore plus impraticable tout enseignement institutionnalisé et obligatoire.
Le Gouvernement déclare que, eu égard à la décision partielle sur la recevabilité rendue par la Cour le 26 octobre 2004 et délimitant la portée de l’affaire, deux questions se posent. La première est celle de savoir si le cours de KRL en général suppose la diffusion d’informations et de connaissances d’une manière qui puisse objectivement être considérée comme un endoctrinement, c’est-à-dire non objective, neutre et pluraliste. Dans l’affirmative, la seconde question est celle de savoir si la possibilité d’obtenir une dispense totale est la seule solution de rechange viable de nature à répondre aux souhaits des parents. La Cour se doit de procéder à une appréciation objective du cours de KRL au lieu de s’appuyer sur les impressions des requérants, et de partir de l’hypothèse que le cours de KRL est assuré conformément aux réglementations et directives en vigueur. Or la façon dont les requérants perçoivent le cours de KRL semble différer de ce qui peut être objectivement déduit des faits.
Le cours de KRL est conçu pour promouvoir la compréhension, la tolérance et le respect parmi des élèves de milieux différents et pour développer le respect et la compréhension envers l’identité de chacun, l’histoire nationale et les valeurs de la Norvège ainsi qu’envers d’autres religions et philosophies de vie. Dès lors, le cours de KRL constitue une mesure importante pour l’accomplissement par la Norvège des obligations qui sont les siennes en vertu de l’article 13 § 1 du Pacte de l’ONU relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de l’article 29 § 1 de la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant.
Grosso modo, la moitié du programme se rapporte à la transmission de connaissances approfondies sur la Bible et le christianisme en tant qu’héritage culture et sur la foi évangélique luthérienne, et de connaissances quant aux autres communautés chrétiennes. L’autre moitié est consacrée à la transmission de connaissances relatives aux religions et philosophies des autres parties du monde et à des sujets éthiques et philosophiques, ainsi qu’au développement de la compréhension et du respect des valeurs chrétiennes et humanistes et de la compréhension, du respect et de la capacité à établir un dialogue entre des gens ayant des croyances et convictions différentes. Dès lors, si les requérants, au nom de leurs enfants, devaient obtenir une dispense totale, ces derniers seraient privés de connaissances se rapportant non seulement au christianisme mais aussi à d’autres religions et à d’autres philosophies de vie et questions éthiques et philosophiques. Pour le Gouvernement, le simple fait que cette matière apporte des connaissances sur les religions et philosophies du monde, sur des sujets d’éthique et de philosophie et que son but soit de favoriser la compréhension des valeurs humanistes et le dialogue entre des personnes aux opinions diverses doit suffire à conclure que la Convention ne saurait exiger la création d’une dispense totale de ce cours. Pareille exigence empêcherait tout enseignement obligatoire non seulement des religions mais aussi d’autres philosophies de vie et questions éthiques. Elle ne serait pas tenable et irait à l’encontre des obligations positives qui découlent pour la Norvège d’autres traités internationaux de défense des droits de l’homme. Ne serait-ce que pour ce seul motif, on peut sans se tromper conclure que les parents ne sauraient réclamer pour leurs enfants un droit de dispense totale du cours de KRL en se prévalant de la Convention.
Le Gouvernement conteste l’argument implicite des requérants selon lequel le manque allégué de proportion soulèverait une question sous l’angle de l’article 9 de la Convention ou de l’article 2 du Protocole no 1. Premièrement, apporter aux enfants un enseignement sur le christianisme ne saurait en soi poser une question au titre de la Convention du moment que le cours est donné de manière objective, pluraliste et neutre. Deuxièmement, il existe dans la société norvégienne contemporaine des motifs légitimes de consacrer plus de temps à la connaissance du christianisme qu’à celle d’autres religions et philosophies de vie. Ces motifs ont été exposés dans les travaux préparatoires, dans le programme ainsi que dans l’évaluation ultérieure du cours de KRL.
La clause de vocation chrétienne figurant à l’article 1-2 de la loi de 1998 ne saurait donner lieu, selon le Gouvernement, à des préoccupations sur le terrain de l’article 9 de la Convention ou de l’article 2 du Protocole no 1. Premièrement, cette clause dispose qu’elle ne doit s’appliquer que « avec l’accord et la coopération des parents ». Ainsi, la contribution de l’école à l’éducation chrétienne ne peut avoir lieu qu’avec le consentement des parents. Deuxièmement, en vertu de l’article 3 de la loi norvégienne sur les droits de l’homme, il convient d’interpréter et d’appliquer ledit article 1-2 conformément aux traités internationaux de défense des droits de l’homme qui sont incorporés en droit interne par le biais de cette loi. Partant, la clause de vocation chrétienne n’autorise aucune forme de prédication ou d’endoctrinement dans les écoles norvégiennes.
Même si le cours de KRL a été conçu pour être enseigné de manière pluraliste, objective et critique, cela ne saurait exclure des activités pouvant être perçues par les parents comme étant de nature religieuse, à l’instar des visites d’églises, de synagogues, de mosquées ou de temples, ou la présence à des cérémonies et cultes religieux dans diverses communautés religieuses. Cela ne justifierait pas non plus de prévoir la possibilité d’une dispense totale du cours de KRL.
Le Gouvernement a examiné avec beaucoup d’attention et de sérieux, lors des débats sur le meilleur contenu à adopter pour le cours de KRL, le problème que constitue la présence éventuelle d’activités pouvant aller à l’encontre des convictions philosophiques ou religieuses des parents. Tant le Gouvernement que le législateur ont reconnu que les parents disposaient du droit de veiller à ce que leurs enfants bénéficient d’une éducation et d’un enseignement conformes à leurs propres convictions religieuses et philosophiques, mais ils ont dans le même temps admis qu’il était dans l’intérêt légitime de la société, et que celle-ci avait l’obligation, d’accroître le respect mutuel, la compréhension et la tolérance parmi des élèves de milieux différents en matière de religion ou de philosophie de vie. Enfin, ils ont aussi reconnu l’intérêt des élèves eux-mêmes à développer et renforcer leur identité et à élargir leur horizon en apprenant à connaître de nouvelles religions et philosophies de vie.
La Convention protège contre l’endoctrinement, non contre l’acquisition de connaissances. Or toutes les informations transmises par le biais du système scolaire contribuent peu ou prou au développement de l’enfant et aident celui-ci à prendre ses propres décisions, et ce quels que soient la matière enseignée ou le niveau de la classe. De plus, des informations objectives, critiques et pluralistes sur les religions et philosophies de vie forment une toile de fond par rapport à laquelle chaque enfant peut élaborer ses pensées et se forger une identité. Le simple fait que de telles informations et connaissances soient susceptibles de contribuer au développement de l’enfant n’enfreint pas la Convention, qui protège bien au contraire le droit de l’enfant à l’éducation.
Il ressort clairement des travaux préparatoires que la solution retenue en matière de dispense, présentée ci-dessous, est le fruit d’un compromis équilibré entre ces deux intérêts. Le conflit que représentent ces intérêts concurrents a été résolu grâce à la mise en place de trois mécanismes visant à prendre en compte le droit des parents d’assurer à leurs enfants une éducation et un enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques : premièrement – il s’agit probablement là de la mesure la plus importante – l’article 2-4 § 4 de la loi de 1998 autorisant une dispense partielle des cours ; deuxièmement, un enseignement différencié visant à remédier aux problèmes dus aux convictions religieuses ou philosophiques des parents ; troisièmement, la possibilité pour les parents d’obtenir un contrôle administratif et/ou juridictionnel s’ils estiment que l’éducation ou l’enseignement n’est pas conforme à leurs convictions.
Le Gouvernement fait également valoir que les requérants n’étaient pas obligés de scolariser leurs enfants dans l’enseignement public. Des particuliers, groupes de particuliers, organisations, congrégations ou autres peuvent, sur demande, fonder leur propre école ou assurer un enseignement par les parents à domicile. Dès lors, l’Association humaniste norvégienne, ou des parents ne souhaitant pas que leurs enfants suivent les cours de KRL alors même qu’existe la possibilité d’obtenir une dispense partielle, sont libres d’éviter le problème en créant leurs propres écoles, soit par eux-mêmes soit en coopération avec des personnes partageant les mêmes convictions. Il s’agit là d’une solution de rechange réaliste et viable également sur le plan économique, puisque plus de 85 % de tous les frais de création et de fonctionnement des écoles privées sont payés par l’Etat.
L’affirmation des requérants selon laquelle aucun parent de confession chrétienne n’aurait sollicité une dispense ou émis des plaintes concernant le cours de KRL est infondée. Bien que le Gouvernement ne tienne pas de statistiques sur le milieu culturel des parents ayant demandé une dispense du cours de KRL, il apparaît que plusieurs communautés chrétiennes ont fondé des écoles privées parce qu’elles n’étaient pas satisfaites de l’instruction sur le christianisme fournie dans les écoles du secteur public. Plusieurs de ces écoles ont été créées après l’introduction du cours de KRL en 1997. Il existe à l’heure actuelle 82 écoles privées assurant une instruction axée sur la philosophie de vie. Depuis 2001, 31 des 36 demandes soumises au total portaient sur la création de nouvelles écoles privées chrétiennes. On peut donc sans risque présumer que des parents ayant une philosophie de vie chrétienne étaient mécontents de certains aspects du cours de KRL et ont sollicité des dispenses.
2.  Appréciation de la Cour
La Cour répète tout d’abord que, dans sa décision du 26 octobre 2004, elle a déclaré la requête irrecevable en vertu de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention pour autant que les enfants étaient concernés. Ensuite, comme il ressort de l’arrêt de la Cour suprême, la procédure intentée par les parents requérants et leur recours devant cette juridiction visaient le cours de KRL et la mise en œuvre de celui-ci en général. C’est la raison pour laquelle la Cour suprême n’a disposé d’aucun élément lui permettant de déterminer si l’enseignement suivi par les enfants avait méconnu les conventions pertinentes en matière de droits de l’homme. Enfin, la Cour a conclu que les parents requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours internes pour ce qui est de leur grief portant sur les possibilités et modalités d’obtention d’une dispense partielle du cours de KRL, ce pourquoi elle a déclaré cette partie de la requête irrecevable au titre de l’article 35 § 4 de la Convention. Eu égard aux observations des parties, la Cour continue cependant à considérer que le grief général tiré par les parents requérants de l’article 9 de la Convention et de la deuxième phrase de l’article 2 du Protocole no 1 quant à l’absence de possibilité d’obtenir une dispense totale du cours de KRL soulève de sérieuses questions de droit et de fait qui appellent un examen au fond. La Cour en conclut que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Par ailleurs, aucun autre motif d’irrecevabilité de ce grief n’a été établi.
D.  Article 14 de la Convention combiné avec les articles 8 et 9 de la Convention et l’article 2, deuxième phrase, du Protocole no 1
1.  Arguments des parties
a.  Les requérants
Les requérants contestent la manière dont le Gouvernement a compris les conséquences découlant de la décision prise par le Cour le 26 octobre 2004 de déclarer certaines parties de la requête irrecevables et d’ajourner son examen pour le surplus. Limiter l’appréciation de la Cour à la question générale de savoir si une violation a eu lieu ne répondrait pas à la nécessité d’effectuer une étude approfondie. La Cour doit connaître du cas de chacun des requérants et notamment de l’enseignement suivi dans chaque cas particulier.
Les requérants soutiennent que la décision prise en 2001 par le Gouvernement de simplifier la procédure de dispense en créant un formulaire de notification spécial montre clairement que la procédure de dispense en vigueur jusqu’alors ne fonctionnait pas correctement. Cette simplification a été introduite quatre ans après l’adoption de la loi de 1998 et bien après qu’ils eurent sollicité une dispense. Cependant, le Gouvernement n’a pas reconnu que le mécanisme de dispense partielle initialement conçu et appliqué de 1997 à 2001 présentait des défauts.
En dépit de la modification apportée au mécanisme de dispense partielle, les carences fondamentales du cours de KRL n’ont pas trouvé de remède. Les élèves peuvent être dispensés de participer à certaines activités, mais non de connaître le contenu des activités ou de l’enseignement en cause. Ils peuvent être dispensés de réciter des passages de la Bible, de chanter des chansons ou de dire des prières, mais non de connaître le contenu de ces textes. Le mécanisme de dispense repose sur l’idée qu’il est possible d’établir mentalement une cloison entre la connaissance et la participation. Cependant, les évaluations du cours de KRL ont montré que cette distinction n’a pas été comprise en pratique, pas même par les professeurs. La dispense partielle ne permet pas aux requérants de jouir des droits parentaux et de la liberté de religion tels que protégés par les normes de défense des droits de l’homme.
Lorsque les parents sollicitent une dispense partielle de certaines parties du cours autres que les activités religieuses énumérées dans le formulaire, ils doivent indiquer « brièvement » les motifs de leur demande afin de permettre à l’école de déterminer si l’activité en question peut raisonnablement être perçue comme la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre conviction philosophique conformément à l’article 2-4 § 4 de la loi de 1998. Il n’est pas facile pour tous les parents de connaître dans le détail le cours et d’en sélectionner les parties qu’ils désapprouvent pour demander une dispense, sachant notamment que l’ensemble du cours de KRL est fondé sur une conception religieuse qui est par principe contraire à leur philosophie de vie.
Pour les requérants, un système les obligeant à soumettre à l’examen des professeurs et personnels administratifs de l’école leurs opinions et convictions philosophiques profondément personnelles laisse beaucoup à désirer. Même si les parents ne sont pas tenus d’exposer formellement leurs propres convictions, il est vraisemblable que celles-ci seront mises au jour dans les motifs qu’ils doivent fournir pour obtenir une dispense partielle. Telle que les requérants l’ont vécue, il s’agit d’une expérience indigne.
En pratique, la procédure de demande de dispense partielle ne s’applique qu’aux parents ne professant pas la foi chrétienne. Il s’agit pour certains d’entre eux d’immigrants ayant une connaissance nulle ou insuffisante de la langue et du système scolaire norvégiens et peu ou aucune des compétences nécessaires pour mener un dialogue théorique sur une religion qui ne leur est pas familière. Cela n’est toutefois pas le cas des requérants, tous norvégiens de souche. Or même à eux, qui disposent de compétences élevées en communication orale et écrite, certains étant d’ailleurs de bons connaisseurs du système scolaire norvégien, il a été difficile de communiquer de façon satisfaisante avec l’administration scolaire lors de la procédure de demande de dispense. L’une des difficultés tient à la définition de ce que les parents trouvent incompatible avec leur propre philosophie de vie. Un autre problème vient de l’organisation pratique du cours. Afin de discerner les parties du cours dont ils demandaient la dispense, les parents devaient savoir exactement ce qui serait enseigné et quand, quelles parties du manuel seraient utilisées et quelles activités seraient organisées. Il fallait qu’ils suivent avec attention le programme et la progression du cours, par exemple en demandant à leur enfant où il en était et comment il avançait, étape par étape. Même si les thèmes enseignés paraissaient en théorie acceptables, les parents devaient se renseigner pour savoir comment le professeur présentait le matériel. Les rapports d’évaluation ont montré qu’il était extrêmement difficile d’obtenir les renseignements nécessaires en temps voulu, comme les requérants en ont eux-mêmes fait l’expérience.
De plus, le mécanisme de dispense partielle porte préjudice à la relation entre les parents et leur enfant. Le rôle d’intermédiaire entre les parents et l’école joué par l’enfant ainsi que la pression ressentie par celui-ci du fait qu’il se sentait différent des autres ont été à l’origine de frustrations et de conflits de loyauté entre les requérants et leurs enfants, auxquels leur sentiment d’être stigmatisé a aussi contribué.
La situation en classe durant le cours de KRL est susceptible de provoquer une discrimination. Un enfant dispensé de certaines parties du cours ou des activités doit : 1) être physiquement conduit ailleurs ; ou 2) être occupé par une autre tâche ou activité ; ou 3) rester passif et « non totalement présent » pendant que le cours se poursuit. Pendant une prière, par exemple, un enfant peut se trouver présent dans la salle de classe, sans participer, tout en devant quand même acquérir une connaissance de cette prière.
Le système de dispense partielle a entraîné pour les parents des difficultés et une charge qui ont provoqué une discrimination inutile. Par comparaison, le système antérieur de dispense générale, les élèves dispensés bénéficiant en remplacement d’un cours non confessionnel et pluraliste de philosophie de vie, était de nature tant à satisfaire aux obligations scolaires qu’à protéger les droits parentaux garantis par la Convention.
b.  Le Gouvernement
D’après le Gouvernement, les griefs tirés par les requérants des articles 8 et 9 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 1, combinés avec l’article 14 de la Convention, paraissent tous se rapporter aux « possibilités et modalités d’obtention d’une dispense partielle ». Or cette partie de la requête a été déclarée irrecevable par la Cour le 26 octobre 2004.
Le Gouvernement conteste que le fait de demander aux parents de solliciter une dispense pour certains aspects du cours de KRL (dispense partielle) soit à l’origine d’une discrimination contraire à l’article 14.
L’exigence énoncée à l’article 2-4 de la loi de 1998 selon laquelle les parents doivent demander une dispense du cours de KRL n’entraîne aucune atteinte à leur vie privée au sens de l’article 8. Les parents ne doivent motiver leur demande qu’en ce qui concerne les activités n’apparaissant pas d’emblée relever de la pratique d’une religion particulière ou de l’adhésion à une philosophie de vie différente. Lorsqu’ils doivent donner des raisons, les parents ne sont pas obligés de fournir des informations sur leurs convictions religieuses ou philosophiques.
Le Gouvernement soutient que la clause de dispense prévue dans la loi de 1998 ne crée aucune discrimination. Tous les parents peuvent bénéficier d’une dispense dans les mêmes conditions et, pour reprendre les termes de l’article 14 de la Convention, sans distinction fondée sur « le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale (...) ». La clause de dispense n’établit aucune distinction entre les chrétiens d’une part et les non chrétiens d’autre part.
Quoi qu’il en soit, les conditions imposées dans la clause de dispense ne sauraient passer pour disproportionnées ou pour représenter une charge déraisonnable à telle enseigne qu’il faille créer un droit de dispense totale. Comme indiqué plus haut, les demandes de dispense n’ont pas à être justifiées par les parents lorsque les activités en cause peuvent être à l’évidence perçues comme revêtant un caractère religieux. Les parents ne doivent fournir des raisons que lorsqu’ils demandent une dispense plus large et, même en ce cas, ces raisons n’ont pas besoin d’être très détaillées.
En outre, il faut préciser que d’autres matières telles que l’histoire, la musique, l’éducation physique et les sciences sociales peuvent soulever des questions sur le plan de la religion ou de l’éthique, et que la clause de dispense énoncée à l’article 2-4 de la loi de 1998 s’applique ainsi à toutes les matières. En suivant le raisonnement des parents, autoriser une simple dispense partielle pour ces cours serait également discriminatoire. Pour sa part, le Gouvernement estime que le seul système viable pour ces matières comme pour le cours de KRL consiste à autoriser des dispenses partielles. Si cela devait constituer une discrimination, alors l’article 14 rendrait dans la plupart des cas impossible en pratique tout enseignement obligatoire.
2.  Appréciation de la Cour
Pour ce qui est du désaccord entre les parties quant à la portée de l’affaire telle que délimitée dans sa décision partielle du 26 octobre 2004 sur la recevabilité, la Cour répète qu’elle a déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes le grief distinct des parents relatif aux possibilités et modalités d’obtention d’une dispense partielle du cours de KRL. Elle a noté que la procédure engagée par les parents ainsi que leur recours à la Cour suprême visaient le cours de KRL ainsi que sa mise en œuvre de manière générale, ce pourquoi la Cour suprême n’a disposé d’aucun élément pour déterminer si l’enseignement suivi par les enfants des requérants s’était déroulé en méconnaissance des traités pertinents en matière de droits de l’homme. La Cour a de plus observé que la portée de l’affaire était limitée au grief général des parents concernant l’absence de possibilité d’obtenir une dispense totale du cours de KRL. Toutefois, les limitations relatives à la portée de l’affaire découlant de sa décision du 26 octobre 2004 n’empêchent pas la Cour de se pencher sur les aspects généraux du mécanisme de dispense partielle à l’occasion de son examen de la question de la dispense totale, en particulier à propos du grief tiré par les parents de l’article 14.
Eu égard aux observations des parties, la Cour considère que le grief de discrimination soumis par les parents requérants sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 8 et 9 de la Convention et l’article 2 du Protocole no 1 soulève de sérieuses questions de droit et de fait qui appellent un examen au fond. La Cour en conclut que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Par ailleurs, aucun autre motif d’irrecevabilité de ce grief n’a été établi.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief tiré par les parents de l’article 9 de la Convention et de l’article 2, deuxième phrase, du Protocole no 1 portant sur l’absence d’un droit à une dispense totale, ainsi que leur grief tiré de l’article 14 combiné avec les dispositions précitées et l’article 8 de la Convention.
Søren Nielsen Christos Rozakis   Greffier Président
Document Name: décision Folgero c. Norvège
Document Number: 1811343
Document Author: Cohin
Document Type: DCF
Application: MS WORD
Document Name: décision Folgero c. Norvège
Document Number: 1811343
Document Author: Cohin
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Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 15472/02
Date de la décision : 14/02/2006
Type d'affaire : Décision (Finale)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 6-3-d ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-3) DROITS DE LA DEFENSE


Parties
Demandeurs : FOLGERO et AUTRES
Défendeurs : NORVEGE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-02-14;15472.02 ?
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