La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/02/2006 | CEDH | N°76478/01

CEDH | AFFAIRE CUMA ALI DOGAN ET BETÜL c. TURQUIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE CUMA ALİ DOĞAN ET BETÜL DOĞAN c. TURQUIE
(Requête no 76478/01)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 2006
DÉFINITIF
21/05/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Cuma Ali Doğan et Betül Doğan c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    I. Cabral Barreto,    R. T

ürmen,    V. Butkevych,    M. Ugrekhelidze,   Mme D. Jočienė,   M. D. Popović, juges,  et de M. S. Naismith, gref...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE CUMA ALİ DOĞAN ET BETÜL DOĞAN c. TURQUIE
(Requête no 76478/01)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 2006
DÉFINITIF
21/05/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Cuma Ali Doğan et Betül Doğan c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    I. Cabral Barreto,    R. Türmen,    V. Butkevych,    M. Ugrekhelidze,   Mme D. Jočienė,   M. D. Popović, juges,  et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 janvier 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 76478/01) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet État, M. Cuma Ali Doğan et Mme Betül Doğan (« les requérants »), ont saisi la Cour le 31 octobre 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés par Mes Tekin Akıllıoğlu, Adil Aktay et Mustafa Nerse, avocats à Ankara. Dans la présente affaire, le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3.  Invoquant les articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignaient notamment du retard pris par l’État dans le paiement d’une indemnité complémentaire d’expropriation.
4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5.  Le 4 juillet 2002, la Cour (troisième section) a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a également décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.
6.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7.  En 1993, la direction générale des routes nationales (« la direction ») procéda à l’expropriation d’un terrain appartenant aux requérants, pour la construction d’une voie périphérique à İskenderun.
8.  Les requérants, en désaccord avec le montant payé par la direction, introduisirent un recours en augmentation de l’indemnité d’expropriation auprès du tribunal de grande instance d’İskenderun (« le tribunal »).
9.  Par un jugement du 27 novembre 1997, le tribunal donna gain de cause aux requérants et leur accorda 3 291 112 000 livres turques (TRL). Cette somme était assortie d’intérêts moratoires simples au taux légal de 30 % l’an, à calculer à partir de la date de cession du bien à la direction.
10.  Le 6 avril 1999, la Cour de cassation confirma ce jugement.
11.  L’indemnité complémentaire, majorée d’intérêts, fut versée aux requérants le 9 juin 2000, date à laquelle la somme due s’élevait à 8 631 425 000 TRL.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
12.  Pour le droit et la pratique internes pertinents en matière d’expropriation, voir Akkuş c. Turquie (arrêt du 9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1305-1306, §§ 13-16), et Aka c. Turquie (arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VI, pp. 2674-2676, §§ 17-25).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION
13.  Les requérants allèguent une violation de l’article 1 du Protocole no 1, sous deux volets. En premier lieu, ils font remarquer que l’indemnité initiale, fixée en 1993, ne leur a été versée qu’en 1996, après la cession effective du terrain à l’État. Puis, ils dénoncent le retard dans le paiement de l’indemnité complémentaire jugé à l’issue de la procédure ultérieure. A ce sujet, ils soutiennent que ce retard ne fut pas compensé du fait de l’absence d’un quelconque intérêt moratoire quant au premier volet, et du fait de l’insuffisance des intérêts accordés par rapport au taux d’inflation très élevé en Turquie, quant au second.
L’article 1 du Protocole no 1 se lit comme-ci :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A.  Sur la recevabilité
14.  S’agissant du premier volet du grief, la Cour note que les requérants n’ont pas été en mesure de démontrer qu’ils ont subi un quelconque préjudice disproportionné, durant les trois premières années écoulées après l’inscription de la décision d’expropriation au registre foncier. Quoi qu’il en soit, cette partie du grief se heurte au motif de non-épuisement, aucune démarche n’ayant été effectuée par les requérants devant les instances nationales pour la faire valoir. Partant, la Cour examinera l’affaire seul sous son volet tiré du retard dans le paiement de l’indemnité complémentaire.
15.  A cet égard, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes : les requérants n’auraient ni soulevé cette doléance devant les juridictions internes ni exercé le recours offert par l’article 105 du code des obligations. Il soutient également que la Cour n’a pas été saisie dans le délai de six mois qui serait à calculer à partir du 6 avril 1999, date de l’arrêt de la Cour de cassation.
Les requérants contestent cette thèse.
16.  La Cour reconnaît que s’agissant des griefs tels que ceux des requérants la seule voie de recours disponible en théorie est celle prévue par l’article 105 du code des obligations. Cependant, pour les motifs ayant déjà conduit la Cour à conclure au caractère ineffectif dudit recours (Aka, précité, pp. 2678-2679, §§ 34-37), l’exception formulée à ce titre doit être rejetée.
17.  La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir notamment Akkuş, précité) et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que cette partie du grief doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en effet que celle-ci ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité.
B.  Sur le fond
18.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, Akkuş, précité, p. 1310, §§ 30-31, et Aka, précité, p. 2682, §§ 50-51).
19.  La Cour a examiné les circonstances de l’espèce et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate que le retard pris dans le paiement de l’indemnité complémentaire accordée par les juridictions internes est imputable à l’administration expropriante, qui a fait subir aux propriétaires un préjudice distinct s’ajoutant à l’expropriation de leurs biens. C’est ce retard, doublé de la durée effective totale de la procédure en question, qui amène la Cour à considérer que les requérants ont eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens.
20.  Par conséquent, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
21.  Les requérants se plaignent également de ce que la durée de la procédure d’expropriation, qui débuta en 1993 avec l’inscription au registre foncier de la décision d’exproprier et qui prit fin avec le paiement de l’indemnité complémentaire en juin 2000, a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention.
22.  A cet égard, le Gouvernement souligne que les instances nationales ayant mené l’affaire à un rythme soutenu, la durée de la procédure répond aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.
23.  Les requérants contestent cette thèse.
24.  La Cour estime que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a non plus été relevé. Cependant, eu égard à sa conclusion sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour n’estime pas nécessaire de réexaminer la question de célérité de plus sous l’angle de l’article 6 § 1.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
25.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommages et frais et dépens
26.  Dans leurs observations écrites du 9 septembre 2002, les requérants affirment devoir être dédommagés seulement pour leur préjudice matériel qu’ils évaluent à 2 551 dollars américains (USD).
En revanche, dans leur formulaire de requête, ils réclamaient 3 569 USD au titre de dommage matériel. Dans leurs observations en réponse du 20 janvier 2003, ils demandent la réparation d’un dommage moral et le remboursement des frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour, sans pour autant chiffrer leurs prétentions.
27.  Le Gouvernement ne se prononce pas sur ces points.
28. Considérant le mode de calcul adopté dans l’arrêt Akkuş (précité, p. 1311, §§ 35-36 et 39) et à la lumière des données économiques pertinentes, la Cour accorde aux requérants conjointement, au titre du dommage matériel, 2 106 euros (EUR), somme équivalant à 2 551 USD à la date de l’arrêt de la Cour.
29.  Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.
30.  Pour ce qui est des frais et dépens, la Cour rappelle que, sur le terrain de l’article 41 de la Convention, elle rembourse uniquement les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d’un montant raisonnable (voir, parmi beaucoup d’autres, Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II).
En l’espèce, bien que leur demande ne soit pas dûment documentée, la Cour estime qu’en vertu de l’article 60 de son règlement il convient d’accorder aux requérants conjointement 1 000 EUR, tous frais confondus.
B.  Intérêts moratoires
31.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare recevables le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1, en tant qu’il porte sur le paiement tardif de l’indemnité complémentaire, ainsi que le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2.  Déclare la requête irrecevable pour le surplus ;
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;
4.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le bien-fondé du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;
5. Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable pour le préjudice moral ;
6.   Dit
a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du versement :
i.  2 106 EUR (deux mille cent six euros) pour dommage matériel ;
ii.  1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens ;
iii. plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe ou toutes autres charges fiscales exigibles au moment du versement ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 février 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Naismith J.-P. Costa   Greffier adjoint Président
ARRÊT CUMA ALİ DOĞAN ET BETÜL DOĞAN c. TURQUIE
ARRÊT CUMA ALİ DOĞAN ET BETÜL DOĞAN c. TURQUIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de P1-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-1 ; Irrecevable pour le surplus ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES


Parties
Demandeurs : CUMA ALI DOGAN ET BETÜL
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 21/02/2006
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 76478/01
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-02-21;76478.01 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award