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28/02/2006 | CEDH | N°4124/02

CEDH | AFFAIRE TOSUN c. TURQUIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE TOSUN c. TURQUIE
(Requête no 4124/02)
ARRÊT
STRASBOURG
28 février 2006
DÉFINITIF
28/05/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
En l’affaire Tosun c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    I. Cabral Barreto,    R. Türmen,    V. Butkevych,   Mme D

. Jočienė,   M. D. Popović, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du ...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE TOSUN c. TURQUIE
(Requête no 4124/02)
ARRÊT
STRASBOURG
28 février 2006
DÉFINITIF
28/05/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
En l’affaire Tosun c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    I. Cabral Barreto,    R. Türmen,    V. Butkevych,   Mme D. Jočienė,   M. D. Popović, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 13 septembre 2005 et 7 février 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 4124/02) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Zeynep Tosun (« la requérante »), a saisi la Cour le 1er mars 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représentée par Mes I. Bilmez et O. Yıldız, avocats à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3.  La requérante alléguait la non-communication de l’avis du procureur général près la Cour de cassation.
4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6.  Par une décision du 13 septembre 2005, la Cour (deuxième section) a déclaré la requête partiellement recevable.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7.  La requérante est née en 1973 et réside à Istanbul. Elle était la rédactrice en chef du quotidien Özgür Bakış du 9 juin au 2 juillet 1999.
8.  Le 21 juin 1999, à la demande du même jour du procureur de la République et en application de l’article 1 § 2 de la loi no 5680 sur la presse, la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul ordonna la saisie du numéro 65 du quotidien Özgür Bakış paru le 21 juin 1999, en raison de la publication – en page 6 – d’un article intitulé « Le membre du conseil de la présidence du PKK1 Cemil Bayık : en Turquie la majorité est en faveur d’un dénouement » (« PKK başkanlık konseyi üyesi Cemil Bayık : Türkiye’de çoğunluk çözümden yana »).
9.  Par un arrêt du 25 novembre 1999, en application des articles 5 et 6 § 2 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme et de l’article 169 du code pénal, la cour de sûreté de l’Etat condamna la requérante, en sa qualité de rédactrice en chef du quotidien, pour avoir publié l’article incriminé, à une peine d’emprisonnement de quatre ans et six mois. Puis, en application de l’article 16 de la loi no 5680, elle commua cette peine d’emprisonnement en une amende de 8 200 000 livres turques (TRL). Enfin, en application de l’article 2 § 1 de la loi no 5680, elle interdit la parution du quotidien pour trois jours.
10.  Le 26 novembre 1999, la requérante forma un pourvoi en cassation. Elle demanda la cassation de l’arrêt attaqué au motif que son droit à la liberté d’expression avait été méconnu.
11.  Le 13 décembre 1999, le procureur près la cour de sûreté de l’Etat demanda la cassation de l’arrêt au motif que l’élément légal de l’infraction n’avait pas été constitué.
12.  Le 20 juin 2000, le procureur général près la Cour de cassation présenta son avis sur le fond du recours. Dans son avis écrit (tebliğname) à la neuvième chambre criminelle de la Cour de cassation, il déclara qu’eu égard à la procédure de première instance, aux éléments de preuve réunis, à l’objet de la demande et au pouvoir discrétionnaire de la première juridiction, l’arrêt rendu par la cour de sûreté de l’Etat devait être confirmé.
13.  Cet avis ne fut pas communiqué à la requérante.
14.  Par un arrêt du 20 septembre 2000, la Cour de cassation confirma l’arrêt attaqué.
15.  Le 12 juin 2002, le parquet près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul informa le parquet de cette même ville que la peine prononcée à l’encontre de la requérante était inscrite à son ordre du jour en vue de son exécution.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
16.  La loi no 4778, entrée en vigueur le 11 janvier 2003, a ajouté un nouvel alinéa à l’article 316 du code de procédure pénale, selon lequel l’avis du procureur général près la Cour de cassation doit être désormais notifié aux parties concernées. La loi no 4829, entrée en vigueur le 19 mars 2003, a précisé que l’avis du procureur général près la Cour de cassation doit être notifié notamment aux accusés et à ses défenseurs, et que ces derniers peuvent y répondre dans un délai de sept jours suivant la notification de l’avis.
17.  Ces dernières modifications législatives ont été introduites dans le nouveau code de procédure pénale adopté par la loi no 5271, entrée en vigueur le 17 décembre 2004 (voir notamment l’article 297 du nouveau code de procédure pénale).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
18.  La requérante se plaint du manque d’équité dans la procédure devant la Cour de cassation, dans la mesure où elle n’a pas eu la possibilité de répondre à l’avis écrit que le procureur général avait soumis à la Cour de cassation sur le fond de son pourvoi. Elle y voit une violation de l’article 6 § 1 de la Convention qui, en sa partie pertinente, se lit ainsi :
«  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
19.  Le Gouvernement explique que tant la requérante que le parquet près la cour de sûreté de l’Etat ont formé un pourvoi contre l’arrêt rendu par cette dernière cour. L’avis du procureur général permet de distribuer le dossier de l’affaire entre les différentes chambres de la Cour de cassation. Il ne s’agit pas d’un acte d’accusation mais d’un acte qui permet au procureur général de contrôler, une fois le dossier de l’affaire reçu, si tous les actes ont été effectués dans les délais impartis et si la loi a été appliquée correctement. Il s’agit d’un examen sommaire du dossier avant son envoi devant la chambre compétente de la Cour de cassation.
20.  Le procureur général peut demander la cassation ou la confirmation de la décision de première instance. L’avis n’est pas un document secret et, dans la pratique, toute partie au procès peut le consulter ou demander son contenu dès que le dossier parvient à la chambre compétente et ce jusqu’au moment de son examen par celle-ci. L’avis indique à la chambre la position du procureur général après un examen sommaire de l’affaire par celui-ci. Cet avis ne lie pas la chambre chargée de l’affaire, laquelle est libre de traiter le recours sans en tenir compte. L’avis se limite d’ailleurs à des formules telles que « vu l’ensemble du dossier, il faut casser ou confirmer la décision » ou « la décision est conforme à la procédure et aux lois ». Le procureur général n’est pas autorisé à assister aux délibérations de la chambre. Ainsi, la non-communication de cet avis à la requérante n’a pas enfreint le principe de l’égalité des armes entre les deux parties.
21.  Le Gouvernement explique que, dans son pourvoi en cassation, la requérante devait présenter des arguments contre l’arrêt de la cour de sûreté de l’Etat. Si l’avis allait dans le sens du pourvoi présenté par l’intéressée, il n’y aurait pas eu de problème. Le fait que l’avis indiquait que l’arrêt devait être confirmé n’emportait pas violation du principe de l’égalité des armes puisque il n’apportait aucun élément nouveau qui aurait pu modifier ou avoir une incidence sur son droit de défense.
22.  La Cour rappelle avoir examiné un grief identique à celui présenté par la requérante et avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la non-communication de l’avis du procureur général, compte tenu de la nature des observations de celui-ci et de l’impossibilité pour un justiciable d’y répondre par écrit (voir Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 55, CEDH 2002-V, et Abdullah Aydın (no 2) c. Turquie, no 63739/00, § 30, 10 novembre 2005).
23.  La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.
24.  Partant, l’article 6 § 1 de la Convention a été violé en l’espèce.
II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
25.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
26.  La requérante n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable après la décision sur la recevabilité bien que, dans la lettre qui lui a été adressée le 19 septembre 2005, son attention fût attirée sur l’article 60 du règlement de la Cour qui dispose que toute demande de satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention doit être exposée dans les observations écrites sur le fond. En outre, la requérante ne sollicite aucune somme au titre des frais et dépens.
Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer une satisfaction équitable à la requérante.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 février 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. Costa   Greffière Président
1.  Parti des Travailleurs du Kurdistan.
ARRÊT TOSUN c. TURQUIE
ARRÊT TOSUN c. TURQUIE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 4124/02
Date de la décision : 28/02/2006
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) PROCEDURE CONTRADICTOIRE


Parties
Demandeurs : TOSUN
Défendeurs : TURQUIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-02-28;4124.02 ?

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