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09/03/2006 | CEDH | N°10162/02

CEDH | AFFAIRE EKO-ELDA AVEE c. GRECE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE EKO-ELDA AVEE c. GRÈCE
(Requête no 10162/02)
ARRÊT
STRASBOURG
9 mars 2006
DÉFINITIF
09/06/2006
En l’affaire Eko-Elda AVEE c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Loukis Loucaides, président,   Christos Rozakis,   Françoise Tulkens,   Peer Lorenzen,   Nina Vajić,   Snejana Botoucharova,   Anatoly Kovler, juges,  et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil

le 14 février 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE EKO-ELDA AVEE c. GRÈCE
(Requête no 10162/02)
ARRÊT
STRASBOURG
9 mars 2006
DÉFINITIF
09/06/2006
En l’affaire Eko-Elda AVEE c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Loukis Loucaides, président,   Christos Rozakis,   Françoise Tulkens,   Peer Lorenzen,   Nina Vajić,   Snejana Botoucharova,   Anatoly Kovler, juges,  et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 février 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 10162/02) dirigée contre la République hellénique par une société anonyme, Eko-Elda AVEE (« la requérante »), qui a saisi la Cour le 28 février 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La société requérante est représentée par Me P. Rizos, Me S. Maratos et Me E. Miha, avocats au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme S. Trekli, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3.  La société requérante se plaignait, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, du refus de l’Etat de lui verser des intérêts moratoires pour une somme indûment payée au titre de l’impôt sur le revenu.
4.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5.  Par une décision du 27 mai 2004, la chambre a déclaré la requête recevable.
6.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
7.  Tant la société requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8.  La requérante est une société anonyme spécialisée dans le domaine des produits pétroliers. Elle a succédé à la société Carburants et lubrifiants grecs – Société anonyme industrielle et commerciale (EKO AVEE).
9.  Le 8 mai 1987, la société requérante versa à l’administration fiscale une somme de 137 020 491 drachmes ((GDR) – environ 402 338 euros (EUR)) à titre d’acompte sur l’impôt dû sur son revenu pour l’exercice 1987. Le 11 mai 1987, l’administration fiscale accorda à la société requérante une réduction de 10 % sur la somme payée, comme prime pour avoir réglé la totalité de l’acompte dû sans avoir sollicité son échelonnement. De ce fait, l’acompte sur l’impôt finalement versé par la société requérante s’éleva à 123 387 306 GDR (environ 362 105 EUR).
10.  Le 10 mai 1988, la société requérante déposa auprès de l’administration fiscale sa déclaration pour l’exercice 1987. Elle y faisait état d’une perte importante de bénéfices, ce qui entraînait pour l’administration l’obligation de rembourser à la société requérante la somme déjà payée, puisque indûment versée.
11.  Le 24 juin 1988 et le 9 décembre 1991, la société requérante sollicita auprès de l’administration fiscale des sociétés anonymes d’Athènes le remboursement de la somme de 123 387 306 GDR due au titre de l’impôt sur le revenu de l’année 1987. A une date non précisée, l’Etat refusa de faire droit à sa demande.
12.  Le 27 décembre 1991, la société requérante saisit le tribunal administratif d’Athènes d’une action contre l’Etat. Elle demandait que lui soit remboursée, en vertu de l’article 38 § 2 de la loi no 1473/1984, la somme de 123 387 306 GDR, indûment versée au titre de l’impôt sur le revenu. Elle réclamait par ailleurs le versement d’intérêts moratoires sur cette somme à compter du 10 mai 1988, date à partir de laquelle l’Etat avait été informé du versement de l’impôt indu et ce, jusqu’à leur paiement. La requérante fondait ses prétentions sur l’article 345 du code civil, qui prévoit le versement d’intérêts moratoires en cas de dette pécuniaire.
13.  Le 4 mars 1993 fut publiée la loi no 2120/1993. Celle-ci prévoit, en vertu de l’article 3, le versement d’intérêts par l’Etat en cas de remboursement d’impôts ou de taxes indûment payés. S’agissant des affaires pendantes au moment de la publication de la loi, celle-ci prévoit que les intérêts commencent à courir le premier jour du mois qui suit une période de six mois après sa publication.
14.  Le 12 novembre 1993, et avant l’audience en l’affaire fixée au 23 septembre 1994, l’Etat remboursa à la société requérante la somme de 123 387 306 GDR payée par celle-ci au titre de l’impôt. Dans ses observations devant le tribunal administratif, la société requérante limita ses prétentions aux intérêts légaux pour le retard dans le versement de la somme remboursée.
15.  Le 26 janvier 1995, le tribunal administratif jugea le recours de la société requérante irrecevable (décision no 512/1995). Le 3 novembre 1995, la société requérante interjeta appel.
16.  Le 6 juin 1996, la cour administrative d’appel d’Athènes déclara recevable l’appel de la société requérante, mais le jugea mal fondé car, au moment des faits, le code des impôts ne prévoyait pas le versement par l’Etat d’intérêts en cas de retard dans le remboursement d’un impôt indûment payé. De surcroît, cette juridiction jugea que l’article 345 du code civil ne s’appliquait pas au cas d’espèce, cette disposition ne régissant que des relations de droit civil (décision no 4042/1996).
17.  Le 27 juin 1997, la société requérante se pourvut en cassation.
18.  Le 8 novembre 2000, par un arrêt no 3547/2000, le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi. Il releva que l’Etat n’avait pas l’obligation de verser des intérêts de retard en cas d’impôts indûment payés. Une telle obligation ne découlait pas des dispositions pertinentes du code civil relatives aux intérêts de retard car celles-ci ne s’appliquaient pas en cas de dette trouvant son origine dans une relation de droit public. De surcroît, le Conseil d’Etat souligna qu’une telle obligation n’incombait pas à l’Etat antérieurement à la loi no 2120/1993, publiée le 4 mars 1993 (paragraphes 21 et 22 ci-dessous). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 26 octobre 2001.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
19.  Les articles pertinents du code civil disposent :
Article 345
« En matière de dette pécuniaire, le créancier a le droit, en cas de mise en demeure, de réclamer les intérêts moratoires fixés par la loi ou par l’acte juridique sans avoir à faire la preuve d’un préjudice. Le créancier qui, en outre, fait la preuve d’un autre dommage a le droit d’en réclamer également l’indemnisation, sauf disposition contraire de la loi. »
Article 346
« Le débiteur d’une dette pécuniaire, même s’il ne se trouve pas mis en demeure, doit des intérêts légaux à partir de la signification de la demande en justice relative à la dette échue. »
Article 904
« Quiconque s’est enrichi sans motif légitime au moyen ou aux dépens du patrimoine d’autrui est tenu à la restitution du profit. Cette obligation vaut notamment en cas de paiement de l’indu, ou de prestation pour une cause qui ne s’est pas réalisée ou a cessé d’exister, ou qui est illicite ou immorale. (...) »
Article 911
« Toute personne qui bénéficie [éventuellement d’un enrichissement sans cause] est tenue aux mêmes obligations que si une assignation lui avait été signifiée : 1) en cas de réclamation de l’indu, si elle savait que la dette n’existait pas ou à partir du moment où elle l’a su ; 2) en cas de réclamation pour cause illicite ou immorale. »
20.  L’article 6 du décret législatif no 356/1974 dispose :
« Des majorations pour cause de paiement tardif sont imposées sur les créances échues envers l’Etat, à partir du premier jour ouvrable qui suit la date de l’échéance. Le taux de la majoration est fixé à 1 % par mois de retard. »
21.  L’article 38 § 2 de la loi no 1473/1984 disposait que l’Etat était tenu de rembourser les impôts indûment payés sans devoir verser les intérêts y afférents. L’article 3 de la loi no 2120/1993 a modifié l’article 38 § 2 de la loi no 1473/1984. Le nouveau texte, ainsi amendé, dispose :
« Tout impôt ou taxe, direct ou indirect, principal ou supplémentaire, ou amende, reconnus comme indûment payés en vertu d’une décision définitive d’une juridiction administrative (...) sont compensés ou remboursés avec un intérêt dont le taux applicable est celui en vigueur pour les obligations de l’Etat d’une durée de trois mois. (...) S’agissant des affaires pendantes au moment de la publication de la présente loi, les intérêts commencent à courir à partir du premier jour du mois qui suit une période de six mois après la publication de ladite loi. »
22.  Par deux arrêts nos 1274 et 1275/2002, le Conseil d’Etat a reconnu que l’Etat avait l’obligation de verser des intérêts moratoires même dans les cas pendants, c’est-à-dire ceux dans lesquels l’impôt indu n’avait pas encore été remboursé à la date de publication de la loi no 2120/1993 (le 4 mars 1993). Selon la haute juridiction administrative grecque, cette obligation incombe à l’Etat à partir de la date à laquelle les juridictions compétentes sont saisies d’une demande.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
23.  La société requérante se plaint du refus de l’administration fiscale de lui verser des intérêts pour compenser le retard de paiement d’un crédit d’impôt dont elle était titulaire. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1, qui se lit comme suit :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
24.  Le Gouvernement allègue que la société requérante n’était pas titulaire d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Il soutient que l’obligation pour elle de verser l’impôt pour l’exercice 1987 se fondait sur un acte administratif. Celui-ci jouissait, jusqu’à sa révocation administrative ou son annulation par voie judiciaire, de la présomption de légalité. L’Etat restitua à la société requérante la totalité de la somme versée au titre de l’impôt le 12 novembre 1993, à savoir avant l’audience en l’affaire devant la juridiction administrative. Par conséquent, la créance alléguée de la société requérante n’a jamais été préalablement reconnue certaine et exigible par une décision judiciaire. En outre, le Gouvernement affirme que, par son arrêt no 3547/2000, le Conseil d’Etat a jugé que l’administration n’avait pas l’obligation de verser des intérêts de retard pour la somme indûment payée au titre de l’impôt. Il estime que la Cour ne saurait substituer son point de vue à la solution retenue par les juridictions internes.
25.  La société requérante allègue qu’à partir du moment où il a été prouvé que l’impôt versé était indu, l’Etat avait une dette envers elle. Partant, l’Etat devait honorer cette obligation sur le fondement des dispositions concernant l’enrichissement sans cause (articles 345, 346 et 904 du code civil). Par ailleurs, le remboursement de l’impôt en 1993 sans intérêts de retard, alors que l’Etat était informé depuis juin 1988 que cette somme n’était pas due, constitue une pratique contraire à l’article 1 du Protocole no 1. Selon la société requérante, l’Etat, à travers ses juridictions, n’a pas respecté le principe de légalité ; en effet, les articles 345, 346 et 911 du code civil prévoient explicitement le paiement d’intérêts moratoires et légaux. En outre, dans le cas d’espèce, le Conseil d’Etat n’a pas suivi sa propre jurisprudence, qui obligeait l’Etat à verser des intérêts même dans le cas de litiges pendants, c’est-à-dire ceux pour lesquels l’impôt indu n’avait pas encore été remboursé à la date de publication de la loi no 2120/1993.
26.  La Cour rappelle qu’une créance peut représenter un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 si elle est suffisamment établie pour être exigible (voir notamment Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 59, série A no 301-B).
27.  En l’occurrence, la Cour observe que, selon l’article 38 § 2 de la loi no 1473/1984, l’Etat est tenu de rembourser tout impôt ou taxe reconnus comme indûment versés en vertu d’une décision de justice définitive. Le 24 juin 1988, la société requérante sollicita pour la première fois auprès du fisc le remboursement de la somme de 123 387 306 GDR. Après la saisine de la justice par la requérante, l’administration procéda au remboursement de la somme indûment perçue le 12 novembre 1993. Ce faisant, l’administration a reconnu qu’elle était redevable à la société requérante de l’impôt indûment versé. Nul doute que la société requérante était titulaire d’un intérêt patrimonial constituant un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 pour ce qui est du remboursement de l’impôt indûment payé (voir, mutatis mutandis, Buffalo S.r.l. en liquidation c. Italie, no 38746/97, §§ 28-29, 3 juillet 2003).
28.  Il reste donc à déterminer si le refus de l’Etat de verser à la requérante des intérêts pour compenser le retard dans le paiement du crédit d’impôt indûment payé est conforme à l’article 1 du Protocole no 1. Aux yeux de la Cour, cette question relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1, qui énonce de manière générale le principe du respect des biens (voir, parmi beaucoup d’autres, Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal, nos 29813/96 et 30229/96, § 48, CEDH 2000-I).
29.  Sur ce point, la Cour rappelle que sa jurisprudence associe constamment le versement d’intérêts moratoires à un retard éventuel des autorités à rembourser un crédit. En particulier, la Cour a déclaré à plusieurs reprises que le caractère adéquat d’un dédommagement se trouverait diminué si son paiement faisait abstraction d’éléments susceptibles d’en réduire la valeur, tel l’écoulement d’un laps de temps que l’on ne saurait qualifier de raisonnable (Angelov c. Bulgarie, no 44076/98, § 39, 22 avril 2004, et Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres, précité, § 54). Dans ce cas, la Cour recherche principalement si l’administration a versé des intérêts de retard pour compenser la dépréciation de la somme due en raison du laps de temps écoulé (voir, parmi d’autres, Akkuş c. Turquie, 9 juillet 1997, § 29, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV). Bref, selon l’article 1 du Protocole no 1, le versement d’intérêts est intrinsèquement lié à l’obligation de l’Etat de compenser le décalage entre la somme redevable et celle finalement perçue par l’intéressé.
30.  S’agissant en particulier du paiement des impôts, la Cour rappelle que l’obligation financière née du prélèvement d’impôts ou de cotisations peut méconnaître la garantie consacrée par l’article 1 du Protocole no 1 si les conditions de remboursement imposent à la personne ou à l’entité en cause une charge excessive ou portent fondamentalement atteinte à sa situation financière (voir, en ce sens, Buffalo S.r.l. en liquidation, précité, § 32). Dans l’affaire susmentionnée, la Cour, appelée à examiner une question semblable à la présente affaire, a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 au seul motif que l’indisponibilité prolongée des impôts indûment payés par la société requérante avait eu un impact certain et considérable sur la situation financière de celle-ci (ibidem, § 37).
31.  En l’occurrence, la Cour constate que le remboursement de l’impôt indûment payé a eu lieu le 12 novembre 1993, à savoir cinq ans et cinq mois environ après le 24 juin 1988, date à laquelle la société requérante a sollicité auprès de l’administration fiscale des sociétés anonymes d’Athènes le remboursement de la somme qu’elle avait indûment versée. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le refus de l’administration de payer des intérêts de retard pour une aussi longue période a rompu le juste équilibre qui doit exister entre l’intérêt général et l’intérêt individuel.
Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
32.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommages matériel et moral
33.  S’agissant du préjudice matériel, la requérante soumet à la Cour un rapport d’expertise rédigé à sa demande par Hadjipavlou Sofianos & Campanis S.A., représentants en Grèce du cabinet d’expertise Deloitte & Touche. Aux termes de ce rapport, le préjudice matériel de la requérante pour la période comprise entre le 10 mai 1988 et le 12 novembre 1993 s’établit comme suit :
i.  soit 612 524 EUR correspondant au total des intérêts simples produits sur la somme de 123 387 306 GDR (362 105 EUR) pour la période précitée ;
ii.  soit 1 231 831 EUR correspondant au total des intérêts composés produits sur la somme de 123 387 306 GDR (362 105 EUR) pour la période précitée.
34.  Par ailleurs, la requérante sollicite 6 000 EUR pour préjudice moral.
35.  Le Gouvernement affirme que le constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.
36.  La Cour constate qu’en l’espèce l’ingérence en cause a trait au refus de l’Etat de verser à la requérante des intérêts moratoires sur la somme indûment payée à titre d’impôt. Le non-paiement des intérêts moratoires ainsi que l’impossibilité de disposer de la somme correspondante et l’incertitude en découlant ont sans conteste entraîné pour la requérante un préjudice tant matériel que moral qui doit être réparé.
37.  Eu égard aux incertitudes inhérentes à toute tentative d’estimation des pertes réelles subies par la requérante, et statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour décide d’allouer à celle-ci, forfaitairement pour une période allant du 24 juin 1988 au 12 novembre 1993, 6 % per annum de la somme remboursée (362 105 EUR), à savoir 120 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme (voir, mutatis mutandis, Malama c. Grèce (satisfaction équitable), no 43622/98, § 11, 18 avril 2002).
38.  Quant au dommage moral, la Cour estime que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.
B.  Frais et dépens
39.  Pour les frais et dépens exposés devant les juridictions nationales et la Cour, la requérante réclame 33 386,29 EUR, somme qu’elle ventile de la façon suivante :
i.  2 024,40 EUR pour les procédures suivies devant les instances nationales ;
ii.  20 564,89 EUR pour la procédure suivie devant la Cour ;
iii.  10 797 EUR pour les honoraires et les frais relatifs à la réalisation de l’expertise.
La société requérante a fourni des justificatifs à l’appui des dépenses citées en ii et iii mais non de celles mentionnées en i.
40.  La société requérante souligne qu’elle a dû recourir, en raison de la complexité de l’affaire, à trois avocats, dont les qualifications étaient nécessaires pour la poursuite de l’affaire tant devant les instances nationales que devant la Cour.
41.  Le Gouvernement rétorque que le recours tant à trois avocats qu’au cabinet Deloitte & Touche n’était pas nécessaire pour ce type d’affaire. Il estime que la somme requise au titre des frais et dépens est exorbitante.
42.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Dans le cas d’espèce, la Cour note que la société requérante ne produit aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant les juridictions saisies. Il y a donc lieu de rejeter cette partie de ses prétentions. En ce qui concerne les frais exposés pour les besoins de la représentation de la société requérante devant elle, la Cour observe que les prétentions de cette dernière sont détaillées et accompagnées des justificatifs nécessaires. De plus, la Cour rappelle avoir déjà jugé que l’emploi de plus d’un avocat peut parfois se justifier par l’importance des questions soulevées par une affaire (ibidem, § 56). Toutefois, elle considère que, même si la présente affaire revêtait une certaine complexité, le concours de trois avocats ne correspondait pas à une nécessité. Enfin, la question de l’application de l’article 41 n’était pas complexe au point d’exiger la réalisation d’une expertise par un cabinet spécialisé (voir, a contrario, Malama (satisfaction équitable), précité, § 17). Au vu de ce qui précède, la Cour décide d’allouer à la société requérante 4 000 EUR au titre du remboursement des frais encourus dans la procédure à Strasbourg, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
C.  Intérêts moratoires
43.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
2.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i.  120 000 EUR (cent vingt mille euros) pour dommage matériel,
ii.  4 000 EUR (quatre mille euros) pour frais et dépens,
iii.  tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 mars 2006, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Loukis Loucaides   Greffier Président
ARRÊT EKO-ELDA AVEE c. GRÈCE
ARRÊT EKO-ELDA AVEE c. GRÈCE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de P1-1 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédures nationale et de la Convention

Analyses

(P1-1-1) BIENS


Parties
Demandeurs : EKO-ELDA AVEE
Défendeurs : GRECE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (première section)
Date de la décision : 09/03/2006
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 10162/02
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-03-09;10162.02 ?

Source

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