La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/03/2006 | CEDH | N°66820/01

CEDH | AFFAIRE SVIPSTA c. LETTONIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE SVIPSTA c. LETTONIE
(Requête no 66820/01)
ARRÊT
STRASBOURG
9 mars 2006
DÉFINITIF
09/06/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Svipsta c. Lettonie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,    J. Hedigan,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   M. V. Zagrebelsky,   Mme A. Gyulumyan,

   M. David Thór Björgvinsson,   Mme I. Ziemele, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Après...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE SVIPSTA c. LETTONIE
(Requête no 66820/01)
ARRÊT
STRASBOURG
9 mars 2006
DÉFINITIF
09/06/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Svipsta c. Lettonie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,    J. Hedigan,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   M. V. Zagrebelsky,   Mme A. Gyulumyan,   M. David Thór Björgvinsson,   Mme I. Ziemele, juges,  et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 février 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 66820/01) dirigée contre la République de Lettonie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Astrīda Svipsta (« la requérante »), a saisi la Cour le 23 janvier 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante a été représentée par Me J.-C. Pastille, avocat à Berlin (Allemagne). Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mlle I. Reine.
3.  La requérante alléguait que sa détention provisoire n'avait pas été conforme aux exigences de l'article 5 § 1 de la Convention et qu'elle avait dépassé une durée raisonnable, au mépris de l'article 5 § 3. Elle se plaignait également d'avoir été privée d'un contrôle juridictionnel effectif de sa détention provisoire, en violation de l'article 5 § 4 de la Convention. Enfin, invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, elle dénonçait la durée de la procédure pénale diligentée contre elle.
4.  La requête a été attribuée à l'ancienne première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Par une décision du 6 mai 2004, la chambre a déclaré la requête recevable.
6.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement). La chambre ayant décidé après consultation des parties qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 3 in fine du règlement), les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l'autre.
7.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A.  L'ouverture de la procédure pénale contre la requérante et l'arrestation de celle-ci
8.  Le 17 février 2000, Mme I.S., chef de division à l'Agence nationale de la privatisation, fut assassinée devant la porte de son immeuble, à Riga. Le même jour, le parquet spécialisé dans le crime organisé et d'autres domaines (Organizētās noziedzības un citu nozaru specializētā prokuratūra) ouvrit une enquête préliminaire concernant ce crime.
9.  Le 27 mars 2000, la police arrêta deux personnes, MM. V.S. et V.B., au motif qu'elles étaient soupçonnées (aizdomās turētie) du meurtre en question, et les plaça en garde à vue. Peu après, MM. V.S. et V.B. furent inculpés et placés en détention provisoire.
Le 18 avril 2000, la police biélorusse, saisie d'une demande des autorités lettonnes, interpella deux autres hommes, MM. I.F. et I.Č., qui avaient entre-temps fui vers le Belarus. Le 28 avril 2000, ceux-ci furent extradés vers la Lettonie. Ils furent eux aussi inculpés du meurtre de I.S., puis traduits devant le juge compétent, qui ordonna leur détention provisoire.
10.  Au cours de l'instruction préliminaire, les quatre coïnculpés avouèrent au parquet que c'était la requérante, alors directrice d'une entreprise privée, qui avait commandité et financé le meurtre de I.S. pour des motifs de vengeance personnelle. I.F. indiqua que la requérante lui   avait remis d'abord 10 000 dollars américains comme gages pour l'accomplissement du meurtre, puis des sommes comparables pour lui permettre de fuir à l'étranger. En outre, le 20 avril 2000, la petite amie de I.F., interrogée en qualité de témoin, affirma avoir entendu une conversation entre son compagnon et I.Č., lors de laquelle les deux hommes s'étaient référés à V.B. en tant qu'auteur du meurtre.
11.  Par conséquent, le 1er juin 2000, la requérante fut arrêtée au motif qu'elle était soupçonnée d'être l'organisatrice et l'instigatrice principale du meurtre. Placée en garde à vue et interrogée, elle reconnut qu'elle avait eu des relations personnelles avec la victime, mais nia l'existence de liens financiers.
Le même jour, la police effectua deux perquisitions, l'une au domicile de la requérante, l'autre à son bureau. Elle saisit de très nombreux documents et dossiers qui remplirent quarante cartons qu'elle emporta.
12.  Le lendemain, le 2 juin, le parquet mit la requérante en examen pour meurtre. En même temps, V.S., V.B., I.F. et I.Č. furent inculpés pour exécution du meurtre.
13.  Toujours le 2 juin 2000, le parquet saisit le tribunal de première instance de l'arrondissement de Kurzeme, à Riga, l'invitant à ordonner la détention provisoire de la requérante et des quatre exécutants présumés du meurtre pour une durée initiale de deux mois. Devant le juge, le parquet se référa aux déclarations des quatre hommes, qu'il jugeait crédibles, et insista sur la nécessité de la détention « pour lui permettre d'effectuer une instruction préliminaire complète et d'établir objectivement les circonstances de l'affaire ». Selon le ministère public, « en restant en liberté, A. Svipsta risqu[ait] d'entraver l'établissement de la vérité [et] de se soustraire à l'instruction et au procès ».
Par une ordonnance contradictoire rendue le 2 juin 2000 en présence de la requérante et de son avocat, le tribunal fit droit à la demande du parquet. D'après ce document, la détention était nécessaire pour écarter le risque de collusion et pour empêcher la requérante d'entraver les investigations. En outre, cette mesure était justifiée par la gravité de l'infraction en cause, par la personnalité de l'inculpée et par « d'autres circonstances ». La requérante ne fit pas appel de cette ordonnance.
14.  Interrogée les 6, 7 et 9 juin 2000, l'intéressée avoua finalement l'existence d'un lien financier entre elle et I.S. En particulier, elle précisa qu'à partir de décembre 1998, période à laquelle elle avait commencé à percevoir des revenus en tant qu'administratrice d'entreprises publiques en liquidation, I.S. s'était mise à lui extorquer de l'argent. Contrairement à ses déclarations antérieures, elle affirma également qu'elle connaissait I.F. et qu'elle lui avait parlé d'une dispute entre elle et la victime au sujet de leurs relations financières.
15.  Le 29 juin 2000, le parquet présenta à la requérante une version complétée des accusations portées contre elle. D'après l'établissement des faits du parquet, en 1996, la requérante et I.S. avaient passé un accord secret aux termes duquel I.S. s'engageait à nommer la requérante administratrice des entreprises publiques dont elle-même contrôlait la liquidation. En contrepartie, la requérante avait promis à I.S. de lui verser 500 000 dollars américains. A la date de l'assassinat de I.S., la requérante avait déjà payé à celle-ci près de la moitié de la somme convenue.
16.  Le 12 juillet 2000, le parquet reçut une attestation d'une banque lettonne selon laquelle la requérante et I.S. s'étaient rendues ensemble en Suisse ; lors de ce voyage, la requérante avait payé la totalité des frais avec sa carte de crédit. Le 19 juillet 2000, la société nationale des télécommunications remit au parquet des relevés de communications effectuées par téléphone portable entre la requérante et I.S., entre la requérante et I.F., et, enfin, entre les quatre auteurs présumés du meurtre.
B.  La prolongation de la détention provisoire de la requérante
17.  Le 24 juillet 2000, le procureur chargé du dossier demanda au tribunal de l'arrondissement de Kurzeme de prolonger la détention provisoire de la requérante jusqu'au 29 septembre 2000 au motif qu'il était encore nécessaire de procéder à une série de mesures d'instruction que le parquet précisa. Il s'agissait en effet d'effectuer des expertises de preuves matérielles recueillies chez la requérante et de l'état de santé de celle-ci, d'organiser au moins six confrontations des coaccusés, d'interroger au moins dix témoins supplémentaires, et de demander des informations pertinentes du Bureau central national d'Interpol. En outre, pour le parquet, la culpabilité de la requérante était « démontrée par les dépositions des coaccusés et des témoins, par les constats [des lieux et les preuves matérielles], par les avis des experts et par les autres pièces du dossier ».
18.  Par une ordonnance du 26 juillet 2000, prise en présence de l'avocat de la requérante, le juge compétent du tribunal de l'arrondissement de Kurzeme fit droit à la demande du parquet. Cette ordonnance était ainsi libellée :
« Ordonnance portant prolongation de la détention provisoire
A Riga, le 26 juillet 2000
[L.B.], juge au tribunal de l'arrondissement de Kurzeme, à Riga, a examiné les pièces du dossier pénal (...) relatif au meurtre de [I.S.], commis à Riga, avec des circonstances aggravantes, dans la cour de l'immeuble sis au 20, rue Valguma, le 17 février 2000, ledit dossier ayant été présenté par le procureur [S.N.], du parquet spécialisé dans le crime organisé et d'autres domaines, qui demande la prolongation de la détention provisoire d'Astrīda Svipsta, accusée sur le fondement des articles 20 § 2 et 117 (...) du code pénal ; après avoir entendu les observations du procureur [S.N.] et l'avis de l'avocat / des avocats [A.D.], le tribunal
ayant constaté [ce qui suit] :
Le délai de mise en accusation dans l'affaire a été prolongé jusqu'au 29 septembre 2000.
A. Svipsta est accusée d'un crime particulièrement grave ; dès lors, si elle reste en liberté, elle risque de se soustraire à l'instruction et au procès, de continuer à commettre des infractions pénales et d'empêcher l'établissement de la vérité dans l'affaire pénale ; [par conséquent], sans examiner la question de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusée relativement à l'infraction incriminée, j'estime qu'il y a lieu de prolonger la détention en cause.
Eu égard à ce qui précède et sur la base de l'article 77 du KPK,
je décide :
De prolonger la détention provisoire d'Astrīda Svipsta (...) jusqu'au 29 septembre 2000.
L'ordonnance est susceptible de recours devant la cour régionale de Riga ; ce recours doit être déposé au tribunal de l'arrondissement de Kurzeme.
Le recours n'est pas suspensif.
Le juge : [signature] »
19.  L'ordonnance précitée, longue d'une page, était tapée à l'ordinateur et imprimée. Cependant, les champs destinés à contenir la date, le nom du juge et celui de l'avocat étaient vides ; ces mentions (indiquées ci-dessus en italique) furent ajoutées à la main.
20.  La requérante forma contre cette ordonnance un recours devant la cour régionale de Riga. Dans son mémoire, elle soutenait que le juge de première instance avait omis de procéder à un examen complet de toutes les pièces du dossier avant de prendre l'ordonnance attaquée. En outre, d'après elle, la gravité de l'infraction ne suffisait pas, à elle seule, à justifier la prolongation de sa détention et aucune pièce du dossier ne donnait à penser qu'elle avait effectivement l'intention de se soustraire à l'enquête ou de commettre de nouveaux délits. A cet égard, elle souligna qu'après l'assassinat elle s'était rendue plusieurs fois à l'étranger et était toujours revenue en Lettonie, ce qui prouvait l'absence de toute intention de sa part de s'évader ou d'entraver l'instruction.
21.  Par une ordonnance du 15 août 2000, rendue à l'issue d'une audience à laquelle participèrent la requérante et son avocat, la cour régionale de Riga rejeta le recours dans les termes suivants :
« (...) Après avoir pris connaissance des pièces du dossier et entendu les parties, la cour conclut qu'il y a des raisons plausibles de considérer que si elle reste en liberté A. Svipsta risque de se soustraire à l'instruction et au procès, et d'entraver l'établissement de la vérité ; en outre, la cour prend en considération la gravité de l'accusation portée contre A. Svipsta ; [elle] estime que l'ordonnance rendue par le tribunal de première instance de l'arrondissement de Kurzeme (...) le 26 juillet 2000 est conforme à la loi et fondée. (...) »
22.  Entre-temps, le 6 août 2000, la requérante communiqua au parquet des informations précises quant aux sommes d'argent qu'elle avait versées à I.S. à partir de janvier 1998. Le 17 août 2000, elle adressa au procureur général de la République des renseignements supplémentaires d'après lesquels I.S. l'avait harcelée et lui avait extorqué des sommes d'argent très importantes ; elle sollicita donc l'ouverture d'une instruction pénale séparée du chef d'extorsion et demanda la relaxe.
23.  Le 18 septembre 2000, le parquet invita le tribunal de l'arrondissement de Kurzeme à prolonger la détention provisoire de la requérante jusqu'au 28 novembre 2000. A l'appui de cette demande, il invoqua la nécessité d'effectuer au moins deux autres confrontations, d'interroger cinq témoins supplémentaires, d'analyser les nouvelles déclarations de la requérante selon lesquelles I.S. lui avait extorqué des fonds, d'examiner et d'analyser les pièces reçues de l'étranger dans le cadre de la coopération judiciaire internationale, d'examiner certaines preuves matérielles, et de commander une expertise de l'état de santé psychique des inculpés I.F. et I.Č.
24.  Par une ordonnance du 20 septembre 2000, le juge compétent fit droit à la demande du parquet. Les termes et la forme (police de caractères, emplacement du texte et interlignes) de ce document étaient strictement identiques à ceux de l'ordonnance du 26 juillet 2000. Seuls la date, le nom du juge, sa signature et les durées de détention étaient différents. Quant au champ destiné à contenir le nom de l'avocat, il était vide.
25.  La requérante attaqua cette ordonnance par voie de recours devant la cour régionale de Riga qui, par une ordonnance contradictoire du 17 octobre 2000, la débouta au motif qu'elle « [était] accusée d'un crime particulièrement grave [et] plaid[ait] non coupable ; que le crime en question a[vait] été commis en groupe organisé ; qu'il exist[ait] des raisons plausibles de soupçonner qu'elle tentât d'empêcher l'établissement de la vérité dans l'affaire ».
26.  Le 30 octobre 2000, la requérante se plaignit auprès du parquet général que le ministère public « eût négligé, sans aucun fondement, les remarques et les suggestions orales de la défense ayant trait aux solutions procédurales dans l'affaire ». Selon la requérante, son avocat avait demandé oralement l'autorisation de consulter le dossier de l'instruction. Le parquet ne répondit pas.
27.  Le 17 novembre 2000, le parquet requit une nouvelle prolongation de la détention de la requérante, cette fois jusqu'au 30 janvier 2001. Les motifs invoqués étaient essentiellement les mêmes que ceux de la demande du 18 septembre 2000 ; la seule différence tenait au nombre des témoins à interroger (vingt-sept) et à la nécessité d'effectuer des analyses biologiques, notamment d'ADN.
28.  Par une ordonnance du 22 novembre 2000, le juge décida de maintenir la requérante en détention jusqu'au 28 janvier 2001. Ce document était rédigé de la même manière que ceux des 26 juillet et 20 septembre, la date et le nom de l'avocat ayant été ajoutés à la main. Le nom du juge initialement tapé à l'ordinateur était rayé au stylo et le cachet personnel d'un autre juge apposé à côté. L'ordonnance était signée par ce deuxième magistrat.
29.  La requérante forma alors un nouveau recours devant la cour régionale de Riga. Dans son mémoire, elle soutenait que la procédure ayant abouti à l'adoption du document attaqué avait gravement violé les dispositions de l'ancien code de procédure pénale (Latvijas Kriminālprocesa kodekss, « le KPK »), alors en vigueur. A cet égard, elle faisait remarquer que toutes les ordonnances du tribunal de première instance, prises par trois juges différents, étaient absolument identiques, même sur le plan rédactionnel. Elle en concluait que les juges n'avaient fait que signer les projets de ces ordonnances, préparés à l'avance par le parquet. Elle soulignait que sa thèse se trouvait confirmée par le fait que la dernière décision avait été prise à huis clos, dans le bureau du juge, ce dernier n'ayant autorisé l'avocat de l'accusée à entrer qu'après avoir passé une vingtaine de minutes en tête-à-tête avec le procureur. Par conséquent, l'avocat n'avait même pas eu la possibilité d'entendre les observations du ministère public, le juge n'ayant fait que signer le projet de décision tout prêt en présence de la défense. Par ailleurs, la requérante réitérait ses arguments habituels contre son maintien en détention.
30.  Par une ordonnance contradictoire du 5 décembre 2000, similaire à celle du 17 octobre 2000, la cour régionale de Riga rejeta le recours de la requérante et confirma l'ordonnance litigieuse, faisant remarquer que le meurtre en question avait été commis par un groupe de personnes et que la requérante ne plaidait pas coupable. Devant la cour, l'avocat de la requérante fut invité à s'exprimer en premier ; toutefois, nonobstant ses demandes répétées, le juge ne lui permit pas de répliquer aux observations du procureur. Quant aux arguments de la requérante fondés sur l'article 5 de la Convention, tel qu'interprété dans certains arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme, la cour régionale les laissa sans réponse, refusant de prendre connaissance des copies de ces arrêts et de les joindre au dossier.
31.  Le 10 décembre 2000, la requérante adressa au parquet général une deuxième plainte dénonçant une série d'irrégularités procédurales ; elle mettait notamment en cause le refus du procureur compétent d'autoriser l'avocat de la défense à accéder au dossier. Par une lettre du 8 janvier 2001, le parquet rejeta cette plainte au motif que les demandes prétendument formulées par la défense n'étaient consignées dans aucun procès-verbal régulièrement dressé ; il ajouta que l'intégralité du dossier serait communiqué à la requérante une fois l'instruction du dossier terminée.
32.  Le 2 janvier 2001, le parquet essaya d'obtenir des renseignements sur les virements de fonds entre la requérante et la victime. A cet effet, il adressa une demande à quinze banques lettonnes, mais aucune de celles-ci n'avait de compte ouvert aux noms en question.
33.  Le 16 janvier 2001, le parquet requit une nouvelle prolongation de la détention de la requérante au motif que celle-ci avait entre-temps fait de nouvelles déclarations selon lesquelles I.F., l'un des auteurs présumés du meurtre, l'avait violée, puis avait fait pression sur elle. Pour le reste, il invoqua la nécessité d'effectuer les mêmes actes d'instruction que ceux mentionnés dans ses précédentes demandes, seul le nombre des témoins à interroger étant différent (six).
34.  Par une ordonnance du 25 janvier 2001, le tribunal de l'arrondissement de Kurzeme prolongea la détention de la requérante jusqu'au 30 mars 2001. De nouveau, cette ordonnance fut pratiquement identique aux ordonnances précédentes du même tribunal, sauf quelques différences quant aux noms du juge, des procureurs et de l'avocat. Cette ordonnance était entièrement dactylographiée, rien n'ayant été ajouté ou corrigé à la main.
35.  Le 31 janvier 2001, la requérante forma un recours devant la cour régionale de Riga, dénonçant notamment le refus du parquet et du tribunal d'autoriser son avocat à accéder aux pièces du dossier de l'instruction ayant servi à justifier son maintien en détention. Le 9 février 2001, la cour rejeta le recours par une ordonnance pratiquement identique à celles des 15 août et 17 octobre 2000. En plus de la gravité du crime, cette ordonnance était fondée sur le risque que la requérante prît la fuite ou se soustrayât à la justice.
36.  Entre-temps, le 26 janvier 2001, V.S., l'un des coaccusés de la requérante, avait été libéré et placé sous la surveillance de la police (nodošana policijas uzraudzībā). En outre, le 30 avril 2001, le parquet ajouta un chef d'inculpation contre la requérante, l'accusant de corruption commerciale au sens de l'article 199 du code pénal.
37.  Par deux ordonnances rendues les 29 mars et 30 avril 2001, le tribunal de l'arrondissement de Kurzeme prolongea la détention de la requérante respectivement jusqu'aux 30 avril et 18 mai 2001. Dans les deux cas, le tribunal statua sur des demandes du ministère public fondées sur la nécessité d'effectuer un certain nombre de mesures d'enquête supplémentaires. Comme dans les précédentes demandes, le parquet invoqua la nécessité d'interroger d'autres témoins (quatre) ; cependant, il insista surtout sur la nécessité de présenter les pièces du dossier à la requérante, à ses coaccusés et à leurs avocats, de rédiger l'acte final d'accusation et de préparer le dossier pour le renvoi en jugement.
Du point de vue de la forme, les deux ordonnances étaient de nouveau identiques à toutes les ordonnances précédentes prises dans l'affaire par le même tribunal. Bien que celle du 29 mars 2001, entièrement dactylographiée, était visuellement différente des autres, son contenu était identique.
38.  Les 30 mars et 2 mai 2001, la requérante forma des recours devant la cour régionale de Riga, se plaignant notamment du refus du parquet et du tribunal d'autoriser son avocat à accéder aux pièces de l'instruction ayant servi de fondement à son maintien en détention.
Les 17 avril et 11 mai 2001 respectivement, la cour régionale de Riga rejeta les recours de la requérante et confirma les ordonnances attaquées. Toutes les décisions de cette juridiction étaient rédigées en des termes pratiquement identiques à ceux des ordonnances des 15 août et 17 octobre 2000. Seule celle du 17 avril 2001 précisait que la détention de la requérante était justifiée par sa personnalité, et que les craintes du tribunal de première instance relatives au risque de collusion étaient fondées et légitimes, la requérante ayant organisé la fuite de ses complices à l'étranger.
C.  Le renvoi en jugement et la procédure ultérieure
39.  Le 11 mai 2001, le parquet prononça la clôture de l'instruction et transmit les copies des pièces du dossier à la requérante. Le 14 mai 2001, celle-ci commença la lecture du dossier, composé de seize volumes.
Les 5 juillet et 1er août 2001, la requérante se plaignit au parquet général de l'attitude du procureur compétent, qui ne lui présentait qu'une partie des pièces à la fois et avec des délais considérables. Par des lettres des 30 juillet et 7 août 2001 respectivement, le parquet rejeta les plaintes sans motiver les décisions.
40.  Par ailleurs, le 18 mai 2001, le dernier mandat de détention de la requérante vint à expiration. Toutefois, l'intéressée ayant entamé la lecture du dossier, sa libération fut « suspendue » en application du cinquième alinéa de l'article 77 du KPK (paragraphe 60 ci-après). Elle fut donc maintenue en détention.
41.  Le 18 juillet 2001, la requérante termina la lecture des pièces du dossier. Le même jour, elle demanda au parquet l'autorisation d'interroger plusieurs personnes qui l'auraient vue dans un hôtel, à Riga, le lendemain du meurtre de I.S. Cette demande fut rejetée pour défaut de motivation, le ministère public ayant estimé que la défense n'avait pas suffisamment expliqué en quoi les témoignages des personnes en cause pourraient disculper l'intéressée ou apporter des éléments nouveaux dans son dossier.
42.  Les coaccusés de la requérante, V.S., I.F., V.B. et I.Č., terminèrent la lecture du dossier les 2 août, 3 août, 2 octobre et 5 octobre 2001 respectivement. Le 5 octobre 2001, le procureur chargé de l'affaire informa la requérante que toutes les parties avaient pris connaissance des pièces du dossier.
43.  Le 8 octobre 2001, le parquet signa l'acte d'accusation final (apsūdzības raksts) dirigée contre la requérante et ses quatre coaccusés. Par la suite, le dossier fut transmis à la juridiction du fond, la cour régionale de Riga en l'espèce. Le 11 octobre 2001, le juge compétent de la cour régionale estima que le dossier renfermait suffisamment d'éléments et prit la décision de déférer l'accusée devant le tribunal (lēmums par apsūdzētās nodošanu tiesai). Quant à la mesure préventive appliquée à la requérante, le juge décida de la reconduire, sans toutefois motiver sa décision.
44.  Par une lettre du 12 octobre 2001, la requérante adressa à ce même juge une demande de mise en liberté. Elle l'invita à tenir, le cas échéant, une audience préparatoire (rīcības sēde) consacrée au bien-fondé de sa détention. Par une lettre du 19 octobre 2001, le juge rejeta la demande, tout en rappelant à l'intéressée qu'elle était accusée d'un crime passible de la réclusion à perpétuité, et que la mesure préventive avait été appliquée compte tenu de la gravité de l'accusation et de la personnalité de l'accusée. En outre, le juge indiqua qu'il n'y avait « aucun fondement » pour tenir une audience préparatoire. Enfin, il fit remarquer que la requérante aurait la possibilité de réitérer sa demande d'élargissement à l'audience consacrée au fond de l'accusation, et l'informa que cette audience avait été fixée pour l'année 2003.
45.  Le 31 octobre 2001, la requérante demanda au président de la cour régionale de Riga de réexaminer le bien-fondé de sa détention et d'accélérer l'examen de son affaire, soutenant notamment qu'une détention prolongée serait contraire aux dispositions de l'article 5 §§ 1 et 3 de la Convention. Par une lettre du 9 novembre 2001, le président lui répondit qu'il n'était pas compétent pour mettre en cause le bien-fondé des décisions d'ordre procédural prises par les juges du fond chargés du dossier. Quant aux délais d'examen de l'affaire, le président indiqua qu'il était impossible de l'accélérer. Selon lui, « [l]es reproches ou les demandes adressés au tribunal concernant l'examen de l'affaire « dans un délai raisonnable » n'[étaient] absolument pas pertinents, puisque la cour travaill[ait] avec les ressources que l'Etat lui a[vait] allouées ».
46.  En dépit de la date fixée initialement pour la première audience, l'examen de l'affaire sur le fond débuta le 26 juin 2002. Devant les juges, la requérante plaida non coupable.
Le 14 août 2002, le ministère public prononça son réquisitoire. Le lendemain, le 15 août 2002, les avocats de la défense prirent la parole.
47.  Par un arrêt prononcé le 13 septembre 2002, la cour régionale de Riga déclara que la requérante avait organisé le meurtre en question. Toutefois, elle estima que l'animus necandi de la requérante et de deux de ses coaccusés n'avait pas été démontré ; par conséquent, ils furent déclarés coupables de coups et blessures volontaires graves ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
En revanche, V.B. fut reconnu coupable de meurtre et de port illégal d'une arme blanche. Il fut également établi qu'après l'arrestation de V.B. et V.S. la requérante avait effectivement versé aux deux autres coaccusés d'importantes sommes d'argent afin d'assurer leur fuite à l'étranger. Enfin, la cour estima que la culpabilité de la requérante du chef de corruption commerciale était suffisamment prouvée.
Par conséquent, la cour régionale condamna l'intéressée à une peine ferme de douze ans d'emprisonnement. Ses coaccusés furent eux aussi condamnés à de lourdes peines fermes de prison : V.B. à dix-sept ans, I.F. à douze ans, I.Č. à dix ans. Quant à V.S., il écopa de quatre ans d'emprisonnement avec sursis.
48.  Contre cet arrêt, la requérante et ses coaccusés interjetèrent appel devant la chambre des affaires pénales de la Cour suprême. Par un arrêt du 11 septembre 2003, la chambre maintint la condamnation de la requérante du chef de coups et blessures graves ; en revanche, elle l'acquitta du chef de corruption commerciale et ramena sa peine globale à dix ans d'emprisonnement.
49.  La requérante se pourvut alors en cassation devant le sénat de la Cour suprême. Par un arrêt définitif du 6 février 2004, le sénat rejeta son pourvoi, ainsi que les pourvois des autres condamnés dans l'affaire.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Dispositions du droit matériel
50.  A l'époque des faits, l'article 117 du nouveau code pénal (Krimināllikums, adopté le 17 juin 1998 et entré en vigueur le 1er avril 1999) qualifiait d'aggravé un meurtre commis, entre autres, « avec une cruauté particulière » (point 4), « dans le but de dissimuler une autre infraction pénale ou de la faciliter » (point 8), « pour des motifs de cupidité » (point 9), ou encore par un groupe de personnes (point 10). Le meurtre aggravé était passible de la réclusion à perpétuité ou de dix à vingt ans d'emprisonnement ; en outre, la disposition précitée prévoyait des peines complémentaires sous forme d'une confiscation des biens et d'un contrôle policier (policijas kontrole) pour une durée limitée à trois ans.
51.  L'article 199 du même code sanctionnait la corruption commerciale (komerciālā uzpirkšana). A l'époque des faits, ce délit était passible d'une peine maximale de deux ans d'emprisonnement, d'une peine de détention de courte durée (arests) ou d'une amende (paragraphe 1). En cas de récidive ou de soustraction d'une « somme importante » d'argent, le délit était passible d'une peine de cinq ans d'emprisonnement ou d'une amende portée au double de l'amende susmentionnée (paragraphe 2).
B.  Dispositions du droit procédural
52.  L'ancien code de procédure pénale (le KPK), hérité de l'époque soviétique et maintes fois modifié, était applicable aux faits relatés dans la présente requête. Il resta en vigueur jusqu'au 1er octobre 2005, date à laquelle il fut remplacé par la nouvelle loi sur la procédure pénale (Kriminālprocesa likums).
1.  Les mesures préventives
a)  La détention provisoire dans le système général des mesures préventives
53.  Aux termes de l'article 68 du KPK, une mesure préventive pouvait être appliquée lorsqu'il existait des raisons plausibles de soupçonner que l'accusé chercherait à se soustraire à l'instruction ou qu'il entraverait l'établissement de la vérité dans l'affaire. Il existait huit types de mesures préventives : engagement de ne pas changer de résidence, garantie personnelle, cautionnement, placement sous surveillance de la police, assignation à résidence, détention en prison, ainsi que deux mesures spécifiques applicables respectivement aux mineurs et aux membres des forces armées.
54.  Conformément à l'article 72 du KPK, l'application et le choix d'une mesure préventive devaient s'opérer en fonction des critères suivants : la gravité de l'infraction imputée ; la personnalité de l'accusé, la probabilité qu'il tentât de se soustraire à l'instruction et d'entraver l'établissement de la vérité dans l'affaire, son activité professionnelle, son âge, sa situation familiale et son état de santé, ainsi que d'autres critères pertinents. Toute mesure préventive devait être prononcée par une ordonnance dûment motivée.
55.  En vertu de l'article 76, le placement en détention provisoire ne pouvait être prononcé que par un juge et qu'à l'égard d'une personne accusée d'une infraction passible d'emprisonnement. L'ordonnance de détention devait être prise à l'issue d'un examen contradictoire des pièces justificatives présentées par le parquet ou la police ; la présence de l'intéressé était en principe obligatoire.
b)  La durée de la détention provisoire et les voies de recours contre cette mesure
56.  A l'époque des faits, les principes régissant la durée de détention provisoire et le système de recours étaient fondamentalement différents selon qu'il s'agissait du stade de l'instruction préliminaire (pirmstiesas izmeklēšana) ou de la phase judiciaire de la procédure (iztiesāšana).
i.  L'instruction préliminaire
57.  Au stade de l'instruction préliminaire (qui comprend l'enquête et l'information), la durée initiale d'une détention provisoire ne pouvait excéder deux mois (article 77 du KPK). Toutefois, lorsqu'il était impossible de terminer l'instruction préliminaire et de renvoyer l'affaire devant le tribunal dans ce délai, et « lorsqu'il n'y a[vait] pas de raisons de modifier la mesure préventive », le procureur pouvait demander au juge de prolonger la détention. Dans cette hypothèse, l'accusé et son avocat étaient entedus « si nécessaire ».
58.  La loi du 20 juin 2001 (entrée en vigueur le 12 juillet 2001) avait porté modification du deuxième alinéa de l'article 77 en précisant que chacune des prolongations successives de la détention ne pouvait pas dépasser deux mois. Le détenu pouvait attaquer une ordonnance prolongeant sa détention par voie de recours devant une juridiction supérieure, qui devait examiner ce recours dans un délai de sept jours suivant sa réception. Après avoir entendu le détenu et le ministère public, la juridiction supérieure tranchait la question par voie d'une ordonnance définitive (article 222-1 du KPK).
59.  A ce stade de la procédure, la durée totale de la détention provisoire ne pouvait en aucun cas excéder un an et six mois ; si, après l'écoulement de ce délai, l'affaire n'était pas encore renvoyée en jugement, le détenu devait être impérativement remis en liberté.
60.  L'article 77, cinquième alinéa, du KPK était ainsi libellé :
« Une fois l'instruction terminée, et avant l'expiration du délai maximum fixé par la loi, les pièces du dossier doivent être immédiatement transmises à l'accusé et à son défenseur, afin qu'ils puissent en prendre connaissance. Dans ce cas, le temps nécessaire à tous les accusés pour prendre connaissance des pièces du dossier d'instruction n'entre pas dans le calcul de la durée de la détention provisoire (...) »
En pratique, le parquet et les tribunaux interprétaient la deuxième phrase de cette disposition comme autorisant le maintien de l'accusé en détention pendant toute la période au cours de laquelle lui-même et, éventuellement, ses coaccusés prenaient connaissance du dossier, même après l'expiration du dernier mandat de détention délivré par le juge.
ii.  Le stade du jugement
61.  Après avoir rédigé et signé l'acte final d'accusation, le parquet devait transmettre le dossier à la juridiction de jugement (articles 209 à 211 du KPK). Dans un délai de quatorze jours suivant sa réception, cette juridiction devait, sans se prononcer sur la culpabilité, décider si le dossier était suffisant pour traduire l'accusé devant le tribunal ou si l'affaire devait être renvoyée pour un complément d'information ou classée.
En général, l'ordonnance en vertu de laquelle l'accusé devait être traduit devant le tribunal (lēmums par apsūdzētā nodošanu tiesai) était prise par un juge unique (articles 223 et 226), qui devait également se prononcer sur la prorogation, la modification ou l'annulation de la mesure préventive appliquée jusqu'alors. Lorsque le juge estimait que la mesure préventive était justifiée, il la confirmait par une décision définitive. En revanche, s'il avait des doutes sur la légalité ou le bien-fondé de cette mesure, il convoquait une audience préparatoire (rīcības sēde) pour trancher la question. L'ordonnance prise à l'audience préparatoire était susceptible de recours devant une juridiction supérieure.
62.  Aux termes de l'article 241 du KPK, « [l]'examen de l'affaire à l'audience d[evait] débuter au plus tard dans les vingt jours ou, dans des cas exceptionnels, au plus tard dans le mois suivant la date de la réception du dossier par le tribunal ». Cependant, cette disposition, héritée de l'époque soviétique et jamais modifiée jusqu'alors, n'était pratiquement jamais respectée par les tribunaux lettons.
63.  En principe, une fois le maintien de l'accusé en détention ordonné, cette décision restait en vigueur pour toute la durée de la procédure en première instance. En d'autres termes, avant le 1er novembre 2002, la durée de la détention provisoire n'était pas limitée à ce stade. La loi du 20 juin 2002, entrée en vigueur le 1er novembre de la même année et portant modification de l'article 77 du KPK, limita cette durée à un an et six mois ; ce délai devait être calculé à partir du moment où la juridiction du fond avait reçu le dossier d'instruction jusqu'à la date du prononcé du jugement en première instance. Passé ce délai, le détenu devait être immédiatement remis en liberté.
Toutefois, à l'origine, lorsqu'il s'agissait de « crimes particulièrement graves avec violence ou menaces de violence », le sénat de la Cour suprême pouvait prolonger la détention au-delà du délai maximum. A la suite d'un arrêt de la Cour constitutionnelle du 27 juin 2003, déclarant une partie de cette disposition non conforme à la Constitution, le Parlement, par une loi du 25 septembre 2003, y apporta une modification qui garantissait à l'intéressé le droit de présenter ses observations sur une telle prolongation exceptionnelle et précisait ses droits procéduraux.
64.  En pratique, bien qu'aucune voie de recours contre la détention ne fût expressément prévue à ce stade par les textes législatifs, les juges examinaient toutes les demandes d'élargissement soumises par les détenus. La réponse revêtait le plus souvent la forme d'un simple courrier, qui n'était pas susceptible de recours ; toutefois, dans les affaires plus compliquées, le tribunal se prononçait par voie d'ordonnance (Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 45, 28 novembre 2002).
65.  Par ailleurs, une loi portant modification des articles 237, 248 et 465 du KPK, entrée en vigueur le 1er avril 1999, avait introduit un droit de recours contre les ordonnances prononçant des mesures préventives au cours de la phase judiciaire. Toutefois, cette loi ne concernait que la période suivant le début de l'examen contradictoire de l'affaire. Qui plus est, l'exercice de ce droit était subordonné à la condition que l'examen de l'affaire fût ajourné pour une durée minimale d'un mois. Le recours pouvait être introduit dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'ordonnance, le tribunal étant obligé de l'examiner dans les sept jours suivant sa réception.
66.  Le troisième alinéa in fine de l'article 226 précisait enfin que l'accusé pouvait réitérer sa demande de libération à l'audience sur le fond de l'affaire.
2.  L'accès de l'avocat aux pièces du dossier au stade de l'instruction préliminaire
67.  L'article 97, troisième alinéa, du KPK se lisait ainsi :
« L'avocat de la défense a le droit de prendre connaissance de toutes les pièces du dossier, d'en copier des extraits à la main ou à l'aide de moyens techniques :
1.  dans les affaires dans lesquelles sont accusées des personnes visées par l'article 98, points 1 et 2, du présent code [mineurs ou handicapés physiques ou mentaux] – dès le moment de la mise en examen ;
2.  dans toutes les autres affaires – dès le moment de la mise en examen, avec le consentement de l'autorité chargée de l'enquête ou du procureur ;
3.  dans toutes les affaires – dans les cas visés à l'article 204 du présent code [à la fin de l'instruction préliminaire et avant le renvoi du dossier devant le juge du fond]. »
68.  Le septième alinéa du même article interdisait à l'avocat de divulguer les informations qu'il avait reçues dans le cadre du procès. L'article 130 du KPK renforçait cette obligation de discrétion ; il autorisait la divulgation des informations obtenues lors de l'instruction préliminaire uniquement avec l'autorisation du chef de l'institution chargée de l'instruction ou du procureur, et uniquement dans la mesure où ces derniers l'estimaient possible. Le cas échéant, le procureur devait rappeler aux témoins, aux victimes, aux avocats et aux autres personnes intervenant dans le procès qu'ils engageraient leur responsabilité pénale en cas de manquement à cette obligation.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
69.  La requérante dénonce le caractère injustifié de sa détention provisoire, surtout après le renvoi de son dossier à la juridiction de jugement. A cet égard, elle invoque l'article 5 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l'espèce sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
c)  s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;
A.  Les arguments des parties
1.  Le Gouvernement
70.  Le Gouvernement est convaincu que la détention provisoire de la requérante était pleinement compatible avec les exigences de l'article 5 § 1 pendant toute la durée de la procédure en cause. Quant à savoir si cette mesure est restée justifiée au fil du temps, il considère que cette question relève du paragraphe 3 plutôt que du paragraphe 1 c) de l'article 5 la Convention.
71.  A l'appui de sa thèse, le Gouvernement divise la détention de la requérante en neuf parties, chacune des périodes successives étant selon lui justifiée au regard de la disposition précitée :
a)  En ce qui concerne tout d'abord la période initiale, allant du 2 juin 2000 (date de la mise en examen de la requérante et de son placement en détention) au 26 juillet 2000 (date de la première prolongation de la détention), le Gouvernement estime que le grief, pour autant qu'il a trait à cette partie de la détention, est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. En effet, la requérante a omis de former un recours devant la juridiction supérieure (la chambre des affaires pénales de la Cour suprême en l'espèce) contre l'ordonnance de la cour régionale de Riga du 2 juin 2000, comme le prévoyait l'article 222-1 du KPK. A supposer même que le grief ne soit pas irrecevable, le Gouvernement considère que les dépositions de V.S., V.B., I.Č. et I.F., ainsi que celle de l'amie de ce dernier, étaient suffisamment logiques et concordantes pour faire naître des soupçons très graves quant à la culpabilité de la requérante. L'arrestation et la détention de celle-ci étaient donc justifiées.
b)  Quant à la détention de la requérante pendant la seconde période, allant du 27 juillet au 29 septembre 2000, le Gouvernement l'estime également justifiée. Il souligne que de nouveaux éléments de preuve importants avaient été obtenus entre-temps (les nouvelles dépositions de la requérante, les données attestant les liens financiers entre l'intéressée et la victime et le relevé d'appels téléphoniques entre la requérante et ses coaccusés).
c)  Pour ce qui est de la détention de la requérante du 30 septembre au 28 novembre 2000, sa prolongation fut motivée par la nécessité d'analyser les nouvelles déclarations faites les 6 et 17 août par l'intéressée au sujet des agissements de la victime. Le Gouvernement souligne à cet égard qu'à la suite de la plainte déposée par la requérante le 17 août 2000 le parquet avait effectivement ouvert une enquête afin d'éclaircir les faits de l'affaire, ce qui nécessita un examen approfondi de tous les documents saisis lors des perquisitions du 1er juin 2000. En réalité, cet examen se prolongea jusqu'au 31 mars 2001. De surcroît, les soupçons quant à la culpabilité de la requérante se trouvaient inchangés, sinon renforcés par sa déclaration du 17 août 2000.
d)  De même, pendant la période allant du 29 novembre 2000 au 28 janvier 2001, la détention de la requérante fut fondée sur la nécessité de vérifier l'exactitude des déclarations qu'elle avait faites les 6 et 17 août 2000. Ainsi, afin d'établir la nature exacte et, éventuellement, délictuelle, des comportements de la victime, le parquet dut procéder à une enquête séparée. Le résultat de cette enquête parvint au parquet le 14 mars 2001 et ne fit qu'aggraver les soupçons quant à la culpabilité de la requérante.
e)  La décision de prolonger la détention de la requérante jusqu'au 30 mars 2001, puis jusqu'au 30 avril 2001, fut elle aussi fondée sur les soupçons graves et plausibles pesant sur la requérante, et ces soupçons ne cessèrent de s'alourdir au fur et à mesure des nouvelles preuves apportées par l'instruction. Il s'agissait notamment des renseignements se rapportant aux opérations bancaires de la requérante et de la victime, ainsi que des témoignages de vingt-sept personnes avec lesquelles I.S. avait eu des conversations téléphoniques avant sa mort.
f)  Il en est de même pour la période allant du 1er mai au 18 mai 2001. En effet, les éléments de preuve obtenus avant le 30 avril 2001 (les témoignages, les renseignements fournis par l'Agence nationale de privatisation et par deux agences de voyages) confirmaient les soupçons portant non seulement sur la participation de la requérante au meurtre de I.S., mais également sur l'infraction de corruption commerciale aggravée.
g)  Pour ce qui est de la période du 19 mai au 11 octobre 2001, la détention de la requérante eut le même fondement que pendant les périodes précédentes. A cet égard, le Gouvernement insiste de nouveau sur la plausibilité des soupçons qui pesaient sur la requérante. Il rappelle que le 18 juillet 2001 le parquet rejeta la demande de la requérante qui souhaitait faire interroger des témoins supplémentaires, les indices de la culpabilité de l'intéressée étant alors suffisamment solides pour ne pas avoir besoin de témoignages supplémentaires.
h)  Enfin, quant à la période allant du 11 octobre 2001, date à laquelle le juge compétent de la cour régionale de Riga décida de « déférer [la requérante] devant le tribunal » et de la maintenir en détention jusqu'au 13 septembre 2002, date de la condamnation de l'intéressée en première instance, le Gouvernement est d'avis qu'elle n'entre pas dans le champ d'application de l'article 5 § 1 c) de la Convention. Selon lui, cette disposition autorise la détention d'une personne « en vue [de la] condui[re] devant l'autorité judiciaire compétente » ; or une « décision de déférer l'accusé devant le tribunal » (lēmums par apsūdzētā nodošanu tiesai), qui marque la fin de l'instruction préliminaire et le début de la phase judiciaire, correspond exactement à cette formule. Par conséquent, d'après le Gouvernement, l'article 5 § 1 c) cessa d'être applicable dès ce moment.
2.  La requérante
72.  La requérante combat les arguments du Gouvernement. Elle souligne d'emblée que son accusation du chef de corruption commerciale n'a jamais servi de base à sa détention, justifiée uniquement par l'accusation de meurtre. En effet, le parquet n'a jamais cité le délit de corruption commerciale à l'appui de ses demandes de prolongation de la détention litigieuse ; les juges qui ont examiné ces demandes ne s'y sont pas non plus référés dans leurs décisions. Par conséquent, le Gouvernement n'est pas fondé à invoquer cette infraction devant la Cour.
73.  La requérante estime que sa détention ne fut justifiée par un soupçon plausible à aucun moment de l'instruction. Elle consent à fractionner sa privation de liberté en plusieurs périodes successives afin de démontrer l'incohérence de l'argumentation du Gouvernement concernant chacune de ces périodes.
74.  S'agissant de la période allant du 2 juin au 26 juillet 2000, l'intéressée est d'avis qu'on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir épuisé les voies de recours internes ; en effet, la période initiale en question ne saurait être dissociée de la période totale de détention. Elle souligne que, par la suite, elle a plusieurs fois contesté la justification de sa détention devant les tribunaux ; tous ses recours ultérieurs ont porté sur la période globale de détention, y compris la période initiale. Quant au fond, elle soutient qu'au moment de son incarcération seules les dépositions de I.F., le principal inculpé, la désignaient nommément en tant qu'organisatrice du meurtre ; en revanche, la fille de la victime et plusieurs autres personnes avaient attesté des liens d'amitié l'unissant à I.S. Dans ces conditions, une détention aussi longue (deux mois en l'espèce) n'était certainement pas justifiée.
75.  Quant à la seconde période, allant du 27 juillet au 29 septembre 2000, la requérante soutient qu'aucune circonstance nouvelle ne corrobora les soupçons initiaux du parquet. Le seul fait qui fût réellement établi durant cette période fut qu'elle avait entretenu des relations personnelles avec I.F.
Pour ce qui est de sa détention du 30 septembre au 28 novembre 2000, la requérante estime qu'elle ne fut pas non plus justifiée, tous les renseignements obtenus par le parquet ayant porté sur les machinations financières concertées de la requérante et de I.S. et non sur le meurtre.
76.  S'agissant de la période allant du 29 novembre 2000 au 30 avril 2001, la requérante ne conteste pas que le ministère public a procédé à une série de mesures d'enquête. Toutefois, selon elle, le Gouvernement n'a cité aucune preuve concrète de nature à confirmer les soupçons éventuels concernant le meurtre que le parquet aurait recueillie pendant cette période. Il en est de même pour la période allant du 1er mai au 11 octobre 2001.
77.  Par ailleurs, la requérante s'estime victime d'une grave violation de l'article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne la période comprise entre le 18 mai 2001, date d'expiration du dernier mandat de détention délivré par le tribunal de l'arrondissement de Kurzeme, et le 11 octobre 2001, date à laquelle le juge du fond a décidé de la déférer devant le tribunal tout en la maintenant en détention. En effet, elle aurait normalement dû être libérée le 18 mai 2001 ; or sa libération fut « suspendue » en application de l'article 77, cinquième alinéa, du KPK (paragraphe 60 ci-dessus). Si l'on interprète cette disposition en tenant compte de l'esprit de la Convention, il y a lieu d'en déduire que le temps de lecture du dossier n'était pas inclus dans la durée de détention maximale, à savoir un an et six mois. En revanche, l'article 77 ne suspendait pas la nécessité de légitimer la détention par voie judiciaire ; si les autorités avaient jugé nécessaire de maintenir l'intéressée en prison, elles auraient dû prolonger sa détention par des ordonnances successives, tout comme au stade antérieur de la procédure. Les autorités ayant failli à cette obligation, la requérante a dû attendre jusqu'au 11 octobre 2001 pour faire contrôler de nouveau la régularité et le bien-fondé de sa détention.
78.  Enfin, s'agissant de la période allant du 11 octobre 2001 au 13 septembre 2002, date de sa condamnation en première instance, la requérante combat vigoureusement la thèse du Gouvernement selon laquelle cette période ne relève pas de l'article 5 § 1 c) de la Convention. S'appuyant sur la jurisprudence de la Cour, elle soutient que cette disposition est bel et bien applicable à ladite période, et ce jusqu'à sa condamnation en première instance.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Principes généraux établis par la jurisprudence de la Cour
79.  La Cour rappelle les principes établis par sa jurisprudence constante quant à l'interprétation de l'article 5 § 1 c) de la Convention :
a)  La « plausibilité des soupçons » sur lesquels doit se fonder une arrestation constitue un élément essentiel de la protection offerte par l'article 5 §1 c) contre les privations de liberté arbitraires. L'existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou renseignements propres à persuader un observateur neutre et objectif que l'individu en cause peut avoir accompli l'infraction. Cependant, les faits donnant naissance à des soupçons ne doivent pas être du même niveau que ceux nécessaires pour justifier une condamnation ou même pour porter une accusation, ce qui intervient dans une phase suivante de la procédure pénale (voir, parmi d'autres, Murray c. Royaume-Uni, arrêt du 28 octobre 1994, série A no 300-A, p. 27, § 55, Erdagöz c. Turquie, arrêt du 22 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2314, § 51, et K.-F. c. Allemagne, arrêt du 27 novembre 1997, Recueil 1997-VII, p. 2673, § 57).
b)  Les termes « régulièrement » et « selon les voies légales » qui figurent à l'article 5 § 1 renvoient pour l'essentiel à la législation nationale et consacrent l'obligation d'en observer les normes de fond comme de procédure. S'il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit interne, il en est autrement s'agissant d'affaires dans lesquelles, au regard de l'article 5 § 1, l'inobservation du droit interne emporte violation de la Convention. En pareil cas, la Cour peut et doit exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a bien été respecté (voir, parmi beaucoup d'autres, Douiyeb c. Pays-Bas [GC], no 31464/96, §§ 44-45, 4 août 1999, et Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 50, CEDH 2000-III).
c)  La « régularité » de la détention au regard du droit interne est un élément essentiel, mais non décisif. La Cour doit en outre être convaincue que la détention pendant la période en jeu est conforme au but de l'article 5 § 1, à savoir protéger l'individu contre toute privation de liberté arbitraire. La Cour doit donc s'assurer que le droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris aux principes énoncés ou impliqués par elle (voir, par exemple, Erkalo c. Pays-Bas, arrêt du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2477, § 52).
d)  Une détention prolongée ne peut être reconnue « régulière », au sens de l'article 5 § 1 c) de la Convention, que si elle a été ordonnée par un tribunal, par un juge ou par toute autre personne « habilitée à exercer des fonctions judiciaires ». Même si cette exigence n'est pas explicitement inscrite dans le texte de l'article 5 § 1, elle peut se déduire de l'article 5 pris dans sa globalité, en particulier du libellé du paragraphe 1 c) et du paragraphe 3 lus conjointement. En outre, la garantie d'habeas corpus que contient l'article 5 § 4 vient également appuyer l'idée que la détention qui est prolongée au-delà de la période initiale envisagée au paragraphe 3 appelle toujours l'intervention d'un « tribunal » comme garantie contre l'arbitraire (Baranowski, arrêt précité, § 57). En revanche, d'éventuelles lacunes dans la motivation du mandat de dépôt n'affectent pas nécessairement la régularité de la détention, au sens de l'article 5 § 1 (Jėčius c. Lituanie, no 34578/97, § 68, CEDH 2000-IX).
e)  Lorsqu'il s'agit d'une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention. Ce critère exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s'entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé (Steel et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII, p. 2735, § 54).
f)  La période couverte par l'article 5 § 1 c) de la Convention prend généralement fin à la date où il est statué sur le bien-fondé de l'accusation portée contre l'intéressé, fût-ce seulement en première instance (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 104, CEDH 2000-XI, et Lavents, arrêt précité, § 66).
2.  Application desdits principes au cas d'espèce
80.  La Cour relève d'emblée que, dans la présente affaire, la période visée par l'article 5 § 1 c) de la Convention a commencé le 1er juin 2000, date de l'arrestation de la requérante. Quant au terme de cette période, elle considère, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, qu'il se situe à la date de la condamnation de l'intéressée en première instance, à savoir le 13 septembre 2002.
81.  La Cour estime opportun de fractionner la période susmentionnée en trois phases distinctes, délimitées respectivement par le 18 mai et le 11 octobre 2001. Elle examinera successivement si la détention de la requérante au cours de chacune de ces périodes était conforme à l'article 5 § 1 c) de la Convention.
a)  La période allant du 1er juin 2000 au 18 mai 2001
82.  S'agissant tout d'abord de la privation de liberté de la requérante pendant la période allant du 1er juin 2000, date de son arrestation, au 18 mai 2001, la Cour juge que les soupçons pesant sur l'intéressée atteignaient le niveau de plausibilité exigé. En effet, ces soupçons se fondaient sur une série de faits concrets et de dépositions concordantes des quatre coïnculpés (paragraphe 10 ci-dessus), qui donnaient à penser que la requérante avait pu être l'instigatrice du meurtre de I.S. De même, considérant la période en question dans son ensemble, la Cour relève que les soupçons susvisés n'ont pas disparu au fil du temps ; bien au contraire, certains aveux et déclarations de la requérante (paragraphes 14, 22 et 33 ci-dessus), ainsi que la découverte des relations financières entre les deux femmes, étaient plutôt de nature à les renforcer. Par ailleurs, vu le fait que la requérante avait pu organiser et financer la fuite de ses complices à l'étranger, la Cour ne décèle rien d'arbitraire ni de déraisonnable dans la thèse selon laquelle l'intéressée elle-même risquait sinon de fuir, du moins de se soustraire au procès.
Eu égard à toutes les circonstances pertinentes de l'affaire, la Cour ne voit aucune raison de mettre en cause l'attitude du parquet et du tribunal de l'arrondissement de Kurzeme quant à la plausibilité des soupçons pesant sur la requérante.
83.  Au demeurant, la Cour relève que la requérante ne conteste pas la « régularité » formelle de cette partie de sa détention provisoire, en ce qu'en ordonnant cette détention, puis en la prolongeant successivement jusqu'au 18 mai 2001, le tribunal de l'arrondissement de Kurzeme a agi dans les limites de ses compétences, définies notamment aux articles 68, 76 et 77 du KPK (paragraphes 53, 55, 57 et 58 ci-dessus).
84.  En résumé, la Cour estime que le tribunal de l'arrondissement de Kurzeme a en principe agi conformément à la législation interne pertinente. Dès lors, elle admet que la privation de liberté de la requérante pendant la période litigieuse était justifiée au regard du paragraphe 1 c) de l'article 5.
b)  La détention provisoire du 18 mai au 11 octobre 2001
85.  La Cour constate que, par une ordonnance du 30 avril 2001, confirmée en appel, le tribunal de l'arrondissement de Kurzeme prolongea la détention de la requérante jusqu'au 18 mai 2001. A cette date, ce mandat de dépôt vint à expiration sans être prolongé. Toutefois, la requérante ne fut pas libérée ; en effet, nul ne conteste que du 18 mai au 11 octobre 2001, à savoir quatre mois et vingt-trois jours, l'intéressée demeura en prison sans qu'une décision judiciaire autorisât cette détention. Ce fait suffit en lui-même pour poser un problème grave sous l'angle de l'article 5 § 1 de la Convention (paragraphe 79 d) ci-dessus).
86.  Il apparaît en l'occurrence que la requérante fut maintenue en détention sur la base de l'article 77, cinquième alinéa, du KPK, qui disposait que « [l]e temps nécessaire à tous les accusés pour prendre connaissance des pièces du dossier d'instruction, n'entr[ait] pas dans le calcul de la durée de la détention provisoire ». Cependant, aux yeux de la Cour, ce libellé était suffisamment vague pour susciter des doutes quant à ses implications exactes et pour se prêter à plus d'une interprétation (voir, mutatis mutandis, Jėčius, arrêt précité, §§ 57-59). En tout état de cause, il n'en ressortait avec clarté ni l'obligation de maintenir l'accusé en détention, ni la possibilité de le faire sans mandat judiciaire. Cette disposition était donc incompatible avec les exigences de « légalité » posées par l'article 5 § 1 de la Convention (paragraphe 79 e) ci-dessus).
Il apparaît en réalité que le prolongement automatique de la détention provisoire résultait d'une pratique généralisée des autorités lettonnes, laquelle n'avait aucun fondement législatif précis et était destinée, à l'évidence, à combler les lacunes du KPK. Or, la Cour a déjà jugé qu'une telle pratique était contraire aux principes de la sécurité juridique et de la protection contre l'arbitraire, qui constituent des éléments fondamentaux à la fois de la Convention et de l'Etat de droit (Baranowski, arrêt précité, §§ 54-57).
87.  Par ailleurs, la Cour rappelle que, dans une série d'affaires impliquant la Lituanie, elle a conclu à l'existence d'une violation de l'article 5 § 1 de la Convention du fait de l'application similaire d'une disposition du droit lituanien (voir, en outre, l'arrêt Jėčius précité, Grauslys c. Lituanie, no 36743/97, §§ 39-41, 10 octobre 2000, Butkevičius c. Lituanie, no 48297/99, §§ 36-39, CEDH 2002-II, et Stašaitis c. Lituanie, no 47679/99, §§ 58-61, 21 mars 2002). La Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente en l'espèce.
En résumé, la détention provisoire de la requérante pendant la période allant du 18 mai au 11 octobre 2001 n'était pas conforme aux exigences de l'article 5 § 1 de la Convention.
c)  La détention provisoire du 11 octobre 2001 au 13 septembre 2002
88.  S'agissant enfin de la période postérieure au 11 octobre 2001, la Cour constate qu'à cette date, le juge compétent de la cour régionale de Riga ordonna le maintien de la requérante en détention. Cette ordonnance avait pour fondement les articles 223 et 226 du KPK (paragraphe 61 ci-dessus), en vertu desquels un juge saisi d'une affaire renvoyée en jugement devait prendre une décision sur le maintien, la modification ou l'annulation de la mesure préventive appliquée jusqu'alors à l'accusé. La détention de la requérante pendant la période en question était donc « régulière » au sens du droit interne, avait été ordonnée « selon les voies légales » et se fondait sur un mandat de dépôt délivré par un magistrat compétent.
Pour ce qui est de la plausibilité des soupçons pesant sur la requérante, la Cour ne peut que renvoyer aux conclusions auxquelles elle est parvenue pour la période antérieure (paragraphes 82-84 ci-dessus).
89.  En résumé, il y a lieu d'admettre que la détention provisoire de la requérante du 11 octobre 2001 au 13 septembre 2002 était conforme à l'article 5 § 1 c) de la Convention.
3.  Conclusion
90.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention concernant les périodes allant du 1er juin 2000 au 18 mai 2001 et du 11 octobre 2001 au 13 septembre 2002. En revanche, cette disposition a été violée du fait de la détention de la requérante du 18 mai au 11 octobre 2001.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
91.  La requérante se plaint que sa détention provisoire a dépassé une durée raisonnable, au mépris de l'article 5 § 3 de la Convention, dont le passage pertinent est ainsi libellé :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »
A.  Arguments des parties
1.  Le Gouvernement
92.  Le Gouvernement souligne d'emblée que si la gravité des infractions reprochées fut le principal motif du maintien en détention de la requérante, ce ne fut pas le seul. Il rappelle les motifs suivants qui ont été cités par la cour régionale de Riga : le risque de fuite et d'entrave à l'instruction, la personnalité de l'intéressée, la perpétration de l'infraction en groupe organisé, et le risque de récidive. Tout en admettant que la motivation des tribunaux était très sommaire et que ceux-ci se sont limités à citer les motifs prévus par la loi sans expliquer plus précisément en quoi ils entraient en jeu, le Gouvernement soutient que cette motivation était suffisante aux fins de l'article 5 § 3. En effet, les juges ont pris amplement connaissance des dépositions des deux parties, y compris des éléments de preuve très abondants présentés par le ministère public.
93.  S'agissant de la gravité de l'infraction, le Gouvernement rappelle que la requérante était accusée d'avoir organisé un meurtre passible de la réclusion à perpétuité. En outre, elle était accusée de corruption commerciale aggravée. La gravité des deux infractions en cause, considérées ensemble, suffit donc à démontrer le danger que courait la société si la requérante avait été libérée. Les mêmes préoccupations ont justifié le maintien de l'intéressée en détention après qu'elle fut déférée devant le tribunal. En effet, à cette époque, l'un des coaccusés, V.S., fut libéré et placé sous surveillance de la police ; de même, le dossier contenait les noms des seize témoins que la cour régionale devait encore interroger. La sécurité de toutes ces personnes aurait donc pu être menacée si la requérante avait retrouvé sa liberté avant le procès.
94.  Pour ce qui est du risque que la requérante prît la fuite ou se soustrayât à la justice, le Gouvernement estime que les craintes du parquet et des juges sur ce point étaient fondées, pour les raisons suivantes. Tout d'abord, la requérante était consciente qu'elle était passible de la réclusion à perpétuité, surtout si elle était déclarée coupable des deux infractions en cause. Or, la crainte d'un tel châtiment pouvait très bien inciter l'intéressée à fuir. Qui plus est, dès le début de l'instruction préliminaire, le ministère public avait disposé de preuves plausibles et concordantes selon lesquelles la requérante avait remis à I.F. des sommes d'argent très importantes afin que lui-même et ses complices puissent quitter la Lettonie. Dans ces conditions, les autorités avaient de sérieuses raisons de craindre que la requérante s'enfuie une fois libérée.
Le Gouvernement reconnaît qu'après le 17 février 2000, date du meurtre de I.S., la requérante a effectué plusieurs voyages à l'étranger (le premier ayant eu lieu le lendemain du meurtre) et qu'elle est toujours rentrée en Lettonie. Toutefois, il estime que ce fait ne suffit pas à démontrer l'absence d'une volonté de fuir. En effet, tous ces allers et retours ont eu lieu à l'époque où ni la requérante ni ses complices n'avaient pas encore été déclarés suspects du meurtre en question.
95.  Par ailleurs, il y avait des raisons plausibles de soupçonner la requérante non seulement de vouloir fuir, mais également de suborner les témoins afin que ceux-ci modifient leurs dépositions. A cet égard, le Gouvernement cite l'exemple de quatre témoins qui, au cours de la procédure, ont brusquement changé leurs témoignages en faveur de la requérante et de ses coaccusés ; qui plus est, le 17 mars 2003, le tribunal de première instance de l'arrondissement du centre de la ville de Riga a condamné l'un de ces quatre témoins pour faux témoignage.
96.  S'agissant de la personnalité de la requérante, citée parmi les motifs dans les ordonnances rendues par la cour régionale de Riga les 17 avril et 11 octobre 2001, le Gouvernement l'estime également pertinente pour justifier la détention prolongée de l'intéressée. A cet égard, il souligne qu'à plusieurs stades de l'instruction la requérante a fait des dépositions complètement différentes, voire contradictoires. Ce fait a jeté le doute sur la totalité de ses aveux et le parquet a dû soigneusement vérifier l'exactitude ou au moins la crédibilité de tous ses dires. Cela étant, le Gouvernement ne voit pas chez la requérante de caractéristiques positives qui auraient pu justifier à l'époque la mise en liberté de celle-ci.
97.  Le Gouvernement attire l'attention de la Cour sur le fait qu'en prolongeant la détention de la requérante les juges n'ont pas aveuglément exécuté les demandes du parquet ; en effet, dans son ordonnance du 29 mars 2001, le tribunal de première instance de l'arrondissement de Kurzeme a prolongé la détention de la requérante pour une durée d'un mois au lieu des deux mois requis par le procureur. L'ordonnance de ce même tribunal du 30 avril 2001 prolongea la détention de la requérante pour dix-huit jours seulement, cette durée ayant été expressément requise par le ministère public pour l'accomplissement de certains actes procéduraux.
98.  Enfin, le Gouvernement reconnaît que la requérante est demeurée en prison après le 11 octobre 2001, date à laquelle elle a été déférée devant le tribunal, et ce jusqu'au 26 juin 2002, date du début de l'examen de l'affaire par la cour régionale de Riga. A cet égard, il se réfère à l'arrêt Wemhoff c. Allemagne du 27 juin 1968 (série A no 7) selon lequel « si un accusé détenu a droit à ce que son cas soit traité par priorité avec une célérité particulière, celle-ci doit ne pas nuire aux efforts poursuivis par les magistrats afin de faire pleinement la lumière sur les faits dénoncés, de fournir tant à la défense qu'à l'accusation toutes facilités pour produire leurs preuves et pour présenter leurs explications, et de ne se prononcer qu'après mûre réflexion sur l'existence des infractions et sur la peine » (op.cit., p. 26, « En droit », § 17). Le Gouvernement est d'avis que ce raisonnement est applicable, par analogie, à la détention d'un accusé entre le renvoi de celui-ci devant le juge du fond et l'ouverture du procès. En effet, les juges doivent bénéficier d'un certain temps pour prendre connaissance du dossier et pour se préparer pour le procès.
2.  La requérante
99.  La requérante allègue que la durée de sa détention n'était pas conforme à l'exigence du « délai raisonnable », au mépris de l'article 5 § 3. A cet égard, elle insiste sur le caractère extrêmement succinct des arguments avancés par le parquet et par les tribunaux pour justifier son maintien prolongé en prison. Ainsi, ses avocats avaient saisi le parquet de plusieurs demandes par lesquelles ils entendaient la faire libérer ou préparer sa libération ; toutes ces demandes contenaient une argumentation juridique élaborée fondée, entre autres, sur la Convention. En revanche, les décisions des tribunaux prolongeant la détention de la requérante ou rejetant ses recours contre de telles prolongations étaient rédigées à l'aide de formules stéréotypées ; ces décisions ne citaient pas les arguments avancés par l'intéressée et ne permettaient pas de comprendre comment et dans quelle mesure les critères énumérés par la loi entraient en jeu dans le cas d'espèce.
100.  Quant aux explications plus élaborées présentées par le Gouvernement à la Cour, la requérante les estime dénuées de fondement. L'intéressée combat vigoureusement la référence que font les tribunaux et le Gouvernement à sa « personnalité » en tant que facteur ayant justifié son maintien en prison. Selon elle, la « personnalité » d'un accusé, concept défini par rapport à des critères moraux ou éthiques, ne peut pas entrer en ligne de compte lorsqu'il s'agit de décider de la nécessité d'un maintien en détention, sauf si et dans la mesure où les éléments à l'appui sont des indices concrets énoncés par la loi. Or, même ces indices concrets font défaut dans la présente affaire.
101.  Il en est notamment ainsi de l'assertion selon laquelle, une fois libérée, la requérante aurait pu perpétrer de nouvelles infractions pénales ou constituer un danger pour la société. En effet, la gravité de l'infraction dont une personne est accusée n'implique pas automatiquement un risque de récidive ou de danger social, et les observations du Gouvernement ne font pas ressortir en quoi un tel risque existait dans les circonstances particulières de l'espèce. Dans la mesure où le Gouvernement se réfère à la corruption commerciale reprochée à la requérante, celle-ci rappelle que ce chef d'accusation n'a jamais été invoqué pour motiver sa détention. En tout état de cause, le Gouvernement a omis d'expliquer qui aurait été visé par une telle corruption après le décès de I.S.
102.  La requérante conteste l'argument du Gouvernement relatif au risque de fuite, aucun élément concret n'ayant été cité à cet égard. En effet, la gravité de la sanction encourue ne suffit pas à soupçonner l'intéressé de vouloir fuir. De même, selon la requérante, le Gouvernement n'a fourni aucun indice concret montrant qu'elle aurait pu entraver l'instruction de son affaire par le parquet. En premier lieu, la requérante rappelle que les principaux témoignages relatifs à sa culpabilité ont été recueillis au stade initial de la procédure, et que les coaccusés dont émanaient ces témoignages étaient détenus. En deuxième lieu, pratiquement toutes les preuves matérielles ont été recueillies avant qu'elle-même ne passe aux aveux, le 17 août 2000. Cela étant, il était fort peu probable qu'une fois en liberté elle altérât des preuves ou fît pression sur ses coaccusés.
103.  Enfin, la requérante formule deux observations supplémentaires relatives à la justification de sa détention. Premièrement, dans la mesure où le Gouvernement invoque son refus de plaider coupable et les dépositions contradictoires qu'elle a faites aux différents stades de la procédure, l'intéressée rétorque que c'est son droit fondamental de ne pas s'incriminer elle-même et de défendre sa propre version des faits, et que l'exercice de ce droit ne peut en aucun cas être qualifié d'obstructif. Deuxièmement, la requérante critique l'attitude générale du Gouvernement relativement à son maintien en détention. Elle souligne que, pour la plupart des périodes en question, le Gouvernement indique qu'il n'y avait pas d'éléments factuels concrets susceptibles de réfuter l'existence d'un risque présumé de fuite, d'entrave, etc., alors que normalement il aurait dû rechercher et exposer des éléments confirmant l'existence d'un tel risque.
104.  La requérante affirme que les autorités n'ont pas apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure. En premier lieu, elle estime que son affaire pénale n'était pas particulièrement compliquée, d'autant que la plupart des preuves avaient déjà été recueillies au début de l'instruction. Quant au volume du dossier d'instruction, il n'était pas excessif par rapport à d'autres affaires de meurtre.
En deuxième lieu, à l'inverse de ce que soutient le Gouvernement, la requérante elle-même et ses avocats n'ont rien fait pour entraver l'instruction. Bien au contraire, elle-même et ses avocats ont fini la lecture du dossier le 18 juillet 2001 ; les pièces du dossier ont alors été transmises aux autres accusés qui ont commencé à en prendre connaissance. La requérante ne voit donc pas comment on peut justifier son maintien en détention après la date susmentionnée ; en effet, c'était aux autorités, et à elles seules, de trouver des solutions appropriées afin que l'exercice, par des tiers, de leurs droits procéduraux ne lui portât pas préjudice.
105.  Pour ce qui est de la période allant du 11 octobre 2001 au 26 juin 2002, la requérante souligne qu'il s'agit de presque neuf mois d'inaction de la part des autorités. Elle estime que le Gouvernement n'est pas fondé à se référer à l'arrêt Wemhoff précité pour justifier cette inaction ; le passage qu'il cite ne concerne que les délais d'examen de l'affaire par le juge du fond et non une phase d'attente comme en l'espèce.
B.  Appréciation de la Cour
106.  La Cour renvoie aux principes fondamentaux se dégageant de sa jurisprudence et déterminant le caractère raisonnable d'une détention, au sens de l'article 5 § 3 de la Convention (Lavents, arrêt précité, §§ 70-71, et la jurisprudence y citée).
107.  S'agissant de la période à prendre en considération sous l'angle de l'article 5 § 3 de la Convention, la Cour rappelle qu'elle est la même que pour l'article 5 § 1 c), à savoir du 1er juin 2000 au 13 septembre 2002 (paragraphe 80 ci-dessus). Cette période a donc duré deux ans, trois mois et treize jours. La Cour estime d'emblée que ce délai est, en tant que tel, suffisamment long pour poser problème sous l'angle de l'article 5 § 3 (voir, en dernier lieu et parmi beaucoup d'autres, Sulaoja c. Estonie, no 55939/00, § 52, 15 février 2005, et Rokhlina c. Russie, no 54071/00, § 60, 7 avril 2005).
108.  La Cour observe ensuite que le tribunal de l'arrondissement de Kurzeme a prolongé la détention provisoire de la requérante par six ordonnances prises respectivement les 26 juillet, 20 septembre et 22 novembre 2000 et les 25 janvier, 29 mars et 30 avril 2001. Ces ordonnances furent confirmées, en appel, par la cour régionale de Riga, qui se prononça respectivement les 15 août, 17 octobre et 5 décembre 2000 et les 9 février, 17 avril et 11 mai 2001. En guise de motivation de leurs ordonnances, ces deux juridictions invoquèrent la gravité de l'infraction dont était accusée la requérante, le fait que cette infraction avait été commise en groupe organisé, ainsi que, parfois, le risque éventuel de récidive et le fait que la requérante ne plaidait pas coupable. De même, elles ont fait valoir que, si elle restait en liberté, la requérante risquait « de se soustraire à l'instruction et au procès, de continuer à commettre des infractions pénales et d'empêcher l'établissement de la vérité dans l'affaire ». Les mêmes arguments ont été réitérés, en substance, par les deux juridictions au cours de toute la période de détention provisoire de la requérante. Dans son avant-dernière ordonnance, celle du 17 avril 2001, la cour régionale de Riga a en outre invoqué de manière générale la personnalité de la requérante, et a estimé fondé le danger de collusion de la part de l'intéressée (paragraphe 38 ci-dessus).
109.  A cet égard, la Cour ne peut que se référer aux conclusions qu'elle a rendues dans l'arrêt Lavents précité (§§ 73-75). Elle relève le caractère trop succinct et abstrait de la motivation de toutes les ordonnances en question, qui se bornaient à mentionner certains critères prévus par la loi mais omettaient de spécifier comment ces critères entraient en jeu dans le cas de la requérante. Qui plus est, il apparaît que les six ordonnances du tribunal de l'arrondissement de Kurzeme étaient rédigées selon un modèle unique et stéréotypé, répétant, au fil du temps, les mêmes critères selon la même formule. La seule exception fut l'ordonnance de la cour régionale de Riga du 17 avril 2001, qui mentionnait une seule fois les agissements concrets de l'intéressée ; toutefois, à l'évidence, cela ne suffit pas aux fins de l'article 5 § 3 de la Convention.
110.  Certes, dans ses observations écrites à la Cour, le Gouvernement a expliqué de façon détaillée la manière dont chacun des critères prévus par la loi pouvait s'appliquer en l'espèce. Cependant, la Cour rappelle qu'en principe le respect des exigences de l'article 5 § 3 s'apprécie en fonction des motifs figurant dans les décisions judiciaires ordonnant ou prolongeant la détention en question (Muller c. France, arrêt du 17 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 388, § 35, et, mutatis mutandis, Rokhlina, précité, § 65).
111.  La Cour admet que la gravité de l'infraction dont était accusée la requérante pouvait initialement suffire, à elle seule, à légitimer l'incarcération de l'intéressée. Toutefois, les motifs éventuels ayant justifié cette détention sont, en tout état de cause, devenus moins pertinents avec le temps. En particulier, le risque que la requérante mît des obstacles au bon déroulement de l'instruction ou empêchât l'établissement de la vérité a diminué au fur et à mesure de la découverte, par le parquet, des éléments de preuve à charge ; qui plus est, ce motif a perdu sa pertinence après la clôture de l'instruction préliminaire du dossier. Or, la motivation des ordonnances litigieuses était restée pratiquement la même, et elle était clairement insuffisante pour satisfaire aux exigences de l'article 5 § 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Lavents, arrêt précité, § 74).
112.  La Cour constate également que la période du 11 octobre 2001 (date à laquelle la requérante fut déférée devant le tribunal) au 26 juin 2002 (date de la première audience sur le fond devant la cour régionale de Riga) a constitué un simple « temps mort » pendant lequel aucune mesure d'instruction n'a été effectuée ; cette période a pourtant duré presque neuf mois. Là encore, seules les raisons les plus impérieuses pouvaient justifier le maintien de l'intéressée en détention pendant toute cette période ; or la Cour ne décèle pas de telles raisons en l'espèce.
113.  En résumé, les motifs retenus par les juridictions lettonnes à l'appui de leurs décisions, ou même ceux invoqués par le Gouvernement dans ses observations à la Cour, sont insuffisants pour justifier la détention prolongée de la requérante. Cela étant, la Cour estime qu'il n'est pas nécessaire d'établir de surcroît si les autorités compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure.
Il y a donc eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
A.  Sur l'exception préliminaire du Gouvernement
114.  Dans ses observations supplémentaires du 19 octobre 2005, le Gouvernement soulève une exception préliminaire concernant le grief de la requérante tiré de l'article 5 § 4 de la Convention. Selon le Gouvernement, dans les observations qu'elle a déposées après la décision sur la recevabilité de la requête, l'intéressée a étendu la portée de ce grief en l'appliquant également à la période allant du 18 mai au 11 octobre 2001. Or, si l'intéressée voulait se plaindre de l'absence d'un contrôle judiciaire effectif de sa détention pendant ce laps de temps, elle aurait dû le faire dans un délai de six mois à partir du dernier jour de cette période, à savoir le 11 octobre 2001. Ce délai ayant expiré en avril 2002, le gouvernement estime le grief en question est tardif et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
115.  La requérante ne formule aucune observation particulière sur ce point.
116.  La Cour rappelle tout d'abord qu'au sens l'article 35 § 1 de la Convention une période de détention doit en principe passer non pas pour un acte instantané, mais pour une situation qui perdure. Par conséquent, le délai de six mois évoqué dans cette disposition ne commence à courir que lorsque la situation litigieuse prend fin ; dans la plupart des cas, c'est le moment de la libération de l'intéressé. En outre, lorsqu'elle applique l'article 35 § 1 de la Convention, la Cour s'efforce de dépasser les simples apparences et d'éviter un formalisme excessif (voir, notamment, Jėčius, arrêt précité, § 44). Cela étant, la Cour a généralement admis que, lorsqu'il s'agissait de l'article 5 de la Convention, c'était la période globale de la détention qui devait être prise en compte aux fins de l'application de la règle des six mois.
117.  Certes, dans l'arrêt Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, CEDH 2004-II), la Cour a adopté une approche contraire en ce qu'elle a fractionné la détention de l'intéressé en deux périodes distinctes, qui n'avaient pas même été entrecoupées par une mise en liberté, et a examiné le respect de la règle des six mois pour chacune de ces périodes. Cependant, la détention en question avait été infligée à M. Assanidzé dans le cadre de deux procédures séparées qui avaient des bases légales complètement différentes (ibidem, § 159). En revanche, dans la présente affaire, il s'agit d'une seule et même procédure pénale. La Cour note qu'après l'expiration du dernier mandat de détention de la requérante, le 18 mai 2001, celle-ci fut maintenue en prison en vertu de l'article 77, cinquième alinéa, du KPK (paragraphe 60 ci-dessus). Or, ce changement de base légale n'a eu aucune incidence, ni en fait ni en droit, sur la situation de l'intéressée, qui demeura en détention tout comme avant la date susmentionnée.
Dans ces conditions, la Cour estime qu'il faut prendre en compte la période globale de la détention provisoire de la requérante pour l'application de la règle des six mois en l'espèce. La détention visée par l'article 5 § 1 c) de la Convention ayant pris fin le 13 septembre 2002, date de la condamnation de la requérante en première instance (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 104, CEDH 2000-XI, et Lavents, arrêt précité, § 66), la Cour ne peut pas conclure à la tardiveté du grief en question.
118.  Au demeurant, et dans la mesure où le Gouvernement reproche à la requérante d'avoir arbitrairement étendu l'objet de sa requête, la Cour rappelle qu'aux termes de l'article 55 de son règlement si la partie défenderesse entend soulever une exception d'irrecevabilité, elle doit le faire dans ses observations écrites ou orales sur la recevabilité de la requête. En l'occurrence, le 28 février 2002, l'ancienne première section de la Cour a communiqué la présente affaire au gouvernement défendeur en lui posant, sous l'angle de l'article 5 § 4 de la Convention, deux questions distinctes, portant respectivement sur la période antérieure et sur la période postérieure au 11 octobre 2001. Le laps de temps entre le 18 mai et le 11 octobre 2001 était donc clairement et entièrement couvert par l'objet du litige tel qu'il a été initialement circonscrit par la Cour. Cela étant, il était loisible au Gouvernement de formuler cette exception au stade de la recevabilité de la requête, ce qu'il n'a pas fait. Vu l'absence de raisons particulières justifiant cette omission, la Cour estime que le Gouvernement est forclos à le faire (voir, mutatis mutandis, Hartman c. République tchèque, no 53341/99, §§ 53-54, CEDH 2003-VIII, et Prodan c. Moldova, no 49806/99, § 36, CEDH 2004-III).
119.  Eu égard à ce qui précède, la Cour rejette l'exception préliminaire du Gouvernement.
B.  Sur le fond du grief
120.  La requérante se plaint de l'absence de tout contrôle judiciaire effectif de la légalité de sa détention provisoire. A cet égard, elle invoque quatre faits constitutifs, selon elle, d'une violation de l'article 5 § 4 de la Convention : la motivation trop sommaire des ordonnances prolongeant sa détention, le refus du juge compétent d'autoriser son avocat à accéder aux pièces de l'instruction, le caractère inéquitable de la procédure devant la cour régionale de Riga, et l'absence d'un recours adéquat contre la détention au stade du procès.
L'article 5 § 4 de la Convention est ainsi libellé :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
1.  Les arguments des parties
a)  Le Gouvernement
121.  En ce qui concerne tout d'abord la motivation des ordonnances prolongeant la détention de la requérante, le Gouvernement est convaincu que, même si elles ne renfermaient pas de réponses concrètes aux arguments avancés par la défense, ces ordonnances étaient néanmoins conformes à l'article 5 § 4 de la Convention. En effet, avant de les prendre, les juges avaient soigneusement examiné les pièces du dossier et entendu les observations des deux parties, comme le voulait l'article 76 du KPK. De même, le Gouvernement estime erronée la thèse de la requérante relativement à l'uniformité du libellé des ordonnances en question. A cet égard, il souligne certaines différences textuelles dans plusieurs d'entre elles pour conclure qu'elles ne pouvaient pas avoir été préparées à l'avance. En tout état de cause, selon le Gouvernement, seules les ordonnances définitives prises en appel par la cour régionale de Riga entrent en ligne de compte sur ce point. Le Gouvernement soutient donc que le grief de la requérante est « de nature formelle » et invite la Cour à prendre en compte « le contenu plutôt que la forme ».
122.  En deuxième lieu, dans la mesure où la requérante dénonce l'impossibilité pour son avocat d'accéder aux pièces de l'instruction, le Gouvernement soutient que l'intéressée n'a pas épuisé les voies de recours internes dont elle disposait. A cet égard, il rappelle que l'article 97 du KPK autorisait l'avocat à prendre connaissance des pièces du dossier d'instruction « dès le moment de la mise en examen, avec le consentement de l'autorité chargée de l'enquête ou du procureur ».
123.  Pour ce qui est de la condition précitée, le Gouvernement explique qu'elle était motivée par la nécessité de préserver la confidentialité des pièces du dossier jusqu'à la fin de l'instruction. Or, dans le cas d'espèce, l'avocat de la requérante s'est borné à se plaindre au juge de l'impossibilité d'obtenir l'accès au dossier, mais a omis de saisir le procureur compétent d'une demande d'accès. A supposer même que l'avocat eût formulé des demandes orales de consultation du dossier, aucune des lettres du parquet ne l'atteste.
Il est vrai qu'une de ces lettres indiquait à l'avocat que « l'accès à l'intégralité du dossier ser[ait] possible une fois l'instruction terminée », mais il s'agissait là d'un simple rappel d'ordre procédural qui ne suffit pas à démontrer que l'avocat a effectivement demandé l'accès. De même, le Gouvernement souligne que cet avocat n'a déposé devant la cour régionale de Riga que deux plaintes écrites à ce sujet, les 31 janvier et 2 mai 2001, alors qu'à partir de la mise en examen de sa cliente il aurait pu en déposer au moins six. Dès lors que la requérante a omis de se prévaloir des voies procédurales effectives disponibles en droit letton, on ne saurait considérer que l'Etat letton a méconnu l'article 5 § 4 de la Convention.
124.  En troisième lieu, quant au caractère prétendument inéquitable de la procédure portant sur le maintien en détention de la requérante, le Gouvernement soutient que cette procédure était conforme aux exigences fondamentales de l'équité procédurale. En particulier, l'impossibilité pour l'avocat de la défense de répliquer aux observations du ministère public ne peut pas en soi être jugé contraire au principe de l'égalité des armes.
125.  En quatrième lieu, pour ce qui est de l'absence de contrôle judiciaire régulier après le 11 octobre 2001, le Gouvernement estime qu'elle n'est pas contraire à la disposition précitée. En effet, une fois l'accusé déféré devant le tribunal, la nécessité de sa détention est appréciée par le même juge chargé du fond de l'affaire. Or, si ce juge considère une fois que les circonstances de la cause et la personnalité de l'accusé justifient le maintien en prison de celui-ci, il est peu probable que la défense puisse avancer de nouveaux arguments réfutant les éléments du dossier et susceptibles d'infléchir la position du juge. Le Gouvernement conclut donc qu'un tel contrôle revêtirait un caractère purement formel.
b)  La requérante
126.  La requérante soutient qu'il découle clairement de l'article 5 § 4 de la Convention que les juridictions internes ont l'obligation d'exposer avec soin les motifs militant en faveur de la détention d'un accusé. Une telle motivation est nécessaire pour rendre les tribunaux responsables de leurs décisions, assurer la transparence du contrôle judiciaire de la légalité de la détention, et permettre à l'accusé d'adopter une stratégie de défense. Par conséquent, cette exigence est loin d'être « formelle ». Or, dans le cas d'espèce, la motivation adoptée par les juges lettons était manifestement insuffisante, la plupart des ordonnances étant pratiquement identiques quant à leur forme et à leur contenu.
127.  Quant à l'accès de l'avocat de la défense au dossier, la requérante maintient, pièces à l'appui, qu'elle a épuisé les recours internes à sa disposition. En effet, même avant la clôture de l'instruction préliminaire, elle avait formulé plusieurs demandes en ce sens. De même, à l'occasion de différentes mesures d'instruction effectuées par le parquet, ses avocats ont plusieurs fois sollicité oralement l'accès au dossier. Cependant, toutes ces demandes sont restées sans réponse. La requérante souligne en particulier que le parquet, par une lettre du 8 janvier 2001, a rejeté ses doléances au motif qu'elles ne figuraient sur aucun procès-verbal régulièrement établi. Or, la requérante ne peut pas être tenue pour responsable de l'omission ou de la négligence du ministère public, qui n'a pas dressé un tel procès-verbal. Elle soutient que ses demandes d'accès au dossier constituent un fait prouvé ; selon elle, la simple absence de trace dans le dossier d'une telle demande ne suffit pas en soi à établir que celle-ci n'a pas été présentée.
128.  Enfin, la requérante combat l'assertion du Gouvernement selon laquelle un contrôle judiciaire régulier après son renvoi en jugement aurait été « purement formel ». En effet, la question de savoir si la détention provisoire d'un accusé reste légale est bien distincte des questions de fond. En toute hypothèse, des faits nouveaux ne justifient pas à eux seuls la libération d'un accusé ; le passage du temps exige en soi une réévaluation régulière des intérêts militant pour et contre une incarcération. Or, le droit letton ne prévoit aucun contrôle adéquat de la régularité d'une détention provisoire au stade judiciaire de la procédure. Même si, en pratique, le juge compétent de la cour régionale de Riga a effectivement examiné la demande d'élargissement formée par la requérante le 12 octobre 2001, il l'a rejetée par une simple lettre, sans tenir une audience et sans donner à la requérante une possibilité adéquate d'exposer ses observations.
2.  Appréciation de la Cour
a)  Principes généraux établis par la jurisprudence de la Cour
129.  La Cour rappelle les principes établis par sa jurisprudence constante en matière d'interprétation de l'article 5 § 4 de la Convention.
a)  Aux termes de l'article 5 § 4 de la Convention, les personnes arrêtées ou détenues ont droit à un examen du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité » et à la « légalité », au sens de l'article 5 § 1, de leur privation de liberté (voir, parmi beaucoup d'autres, Brogan et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145-B, pp. 34-35, § 65). Cet examen doit pouvoir aboutir, à bref délai, à une décision judiciaire mettant fin à la détention si elle se révèle illégale (Baranowski, arrêt précité, § 68).
b)  De même que toute autre disposition de la Convention et de ses protocoles, l'article 5 § 4 doit s'interpréter de telle manière que les droits y consacrés ne soient pas théoriques et illusoires mais concrets et effectifs (voir, parmi d'autres, Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, pp. 15-16, § 33, et Schöps c. Allemagne, no 25116/94, § 47, CEDH 2001-I).
c)  Une voie de recours, au sens de l'article 5 § 4 de la Convention, doit toujours exister à un degré suffisant de certitude, sans quoi lui manquent l'accessibilité et l'efficacité requises par cette disposition (E. c. Norvège, arrêt du 29 août 1990, série A no 181-A, pp. 25-26, § 60, et Sakık et autres c. Turquie, arrêt du 26 novembre 1997, Recueil 1997-VII, p. 2625, § 53).
d)  L'article 5 § 4 n'astreint pas les Etats contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l'examen de demandes d'élargissement. Néanmoins, un Etat qui se dote d'un tel système doit en principe accorder aux détenus les mêmes garanties en appel qu'en première instance (Toth c. Autriche, arrêt du 12 décembre 1991, série A no 224, p. 23, § 84, ainsi que Rutten c. Pays-Bas, no 32605/96, § 53, 24 juillet 2001, et Lanz c. Autriche, no 24430/94, § 42, 31 janvier 2002).
e)  La procédure relevant de l'article 5 § 4 ne doit pas toujours s'accompagner de garanties identiques à celles que l'article 6 § 1 prescrit pour les litiges civils ou pénaux, les deux dispositions poursuivant des buts différents (Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 39, CEDH 2005-...). Cependant, elle doit toujours revêtir un caractère judiciaire et offrir à l'individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint (voir, entre autres, D.N. c. Suisse [GC], no 27154/95, § 41, CEDH 2001-III). Pour déterminer si une procédure offre de telles garanties, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (voir, par exemple, Megyeri c. Allemagne, arrêt du 12 mai 1992, série A no 237-A, pp. 11-12, § 22). En tout état de cause, cette procédure doit respecter, autant que possible, les exigences fondamentales d'un procès équitable (Lietzow c. Allemagne, no 24479/94, § 44, CEDH 2001-I, et Schöps, arrêt précité, § 44).
f)  La première garantie fondamentale découlant naturellement de l'article 5 § 4 de la Convention est le droit d'être effectivement entendu par le juge saisi d'un recours contre une détention. Certes, cette disposition n'oblige pas le magistrat à étudier en profondeur chacun des arguments avancés par l'appelant. Toutefois, les garanties qu'elle consacre seraient vidées de leur sens si le juge, en s'appuyant sur le droit et la pratique internes, pouvait considérer comme dénués de pertinence, ou omettre de prendre en compte, des faits concrets invoqués par le détenu et susceptibles de jeter un doute sur la « légalité » de la privation de liberté au sens de l'article 5 § 1 (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 61, CEDH 1999-II).
g)  Ensuite, pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l'article 5 § 1 c) de la Convention, l'article 5 § 4 exige la tenue d'une audience (Kampanis c. Grèce, arrêt du 13 juillet 1995, série A no 318-B, p. 45, § 47, et Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000-XI). Cette audience doit être contradictoire, ce qui suppose normalement la représentation par un défenseur et la possibilité, le cas échéant, de citer et d'interroger des témoins (Hussain c. Royaume-Uni et Singh c. Royaume-Uni, arrêts du 21 février 1996, Recueil 1996-I, p. 271, § 60, et p. 300, § 68, respectivement).
h)  Un procès portant sur un recours formé contre une détention doit garantir l'égalité des armes entre les parties, c'est-à-dire entre le ministère public et le détenu (Nikolova, arrêt précité, § 58, et Włoch, arrêt précité, loc.cit.). L'une des implications les plus importantes de cette égalité est le droit d'accès au dossier d'instruction : en effet, la possibilité de réfuter utilement les déclarations ou considérations que le parquet fonde sur certaines pièces du dossier présuppose en principe que la défense puisse y accéder. Il existe un lien trop étroit entre l'appréciation de la nécessité de la détention et celle – ultérieure – de la culpabilité pour que l'on puisse refuser la communication de pièces dans le premier cas tandis que la loi l'exige dans le second (Lamy c. Belgique, arrêt du 30 mars 1989, série A no 151, pp. 16-17, § 29). Certes, les autorités nationales peuvent remplir cette exigence de diverses manières, mais la méthode qu'elles adoptent doit toujours garantir que la défense soit au courant du dépôt d'observations du parquet et jouisse d'une possibilité véritable de les commenter (Lietzow, arrêt précité, § 44, et Schöps, arrêt précité, § 44).
b)  Application desdits principes au cas d'espèce
i.  Sur la motivation des ordonnances ayant prolongé la détention de la requérante
130.  La Cour relève qu'au stade de l'instruction préliminaire de l'affaire la détention provisoire de la requérante a été prolongée à six reprises : les 26 juillet, 20 septembre et 22 novembre 2000 et les 25 janvier, 29 mars et 30 avril 2001. Il ressort du dossier qu'à chacune de ces occasions le tribunal de l'arrondissement de Kurzeme a statué sur un réquisitoire écrit du parquet et après avoir tenu une audience à laquelle avaient participé le procureur et l'avocat de la défense. La Cour ignore quels arguments ce dernier a soulevés oralement à l'audience. En revanche, elle observe que le parquet, dans toutes ses demandes écrites, a mentionné les faits concrets qu'il avait découverts et les mesures d'instruction qui, selon lui, s'imposaient en l'espèce et justifiaient le maintien de la requérante en détention. Or, il apparaît que le juge compétent a toujours répondu par une formule très brève et stéréotypée, énumérant simplement les critères prévus par la loi et négligeant absolument les arguments des deux parties.
La Cour admet l'affirmation du Gouvernement selon laquelle, avant de prendre chacune des ordonnances litigieuses, le juge avait lu les pièces du dossier et entendu les observations des parties. Toutefois, c'est en premier lieu le texte d'une décision judiciaire qui révèle l'intention et la motivation exactes d'un tribunal. Or, en l'espèce, aucune des six ordonnances précitées ne montre que le juge qui les a prises ait tenu compte des arguments et des faits concrets qui lui avaient été présentés.
131.  Qui plus est, la Cour constate que les six ordonnances sont presque totalement les mêmes sur le plan rédactionnel. En effet, il ressort que les ordonnances des 26 juillet, 20 septembre et 22 novembre 2000 et des 25 janvier et 30 avril 2001 étaient identiques non seulement quant à leur contenu – à part les dates, les noms du juge et des comparants, et les durées de détention – mais également sur le plan rédactionnel, y compris la police de caractère, l'emplacement du texte et les interlignes (paragraphes 24, 28, 34 et 37 ci-dessus). Quant à la décision du 29 mars 2001, elle était différente du point de vue de sa présentation, mais son contenu était exactement le même. Par ailleurs, plusieurs ordonnances, dactylographiées et imprimées, comportaient des blancs destinés à être remplis à la main ; dans celle du 22 novembre 2000, le nom du juge a en outre été corrigé au stylo (paragraphe 28 ci-dessus).
Dans ces conditions, pour la Cour, la seule conclusion qui puisse raisonnablement s'imposer est que le texte des ordonnances ayant prolongé la détention de la requérante provenait d'un modèle, préparé à l'avance, qui faisait à chaque fois l'objet de quelques adaptations mineures, et était ensuite imprimé et signé de manière expéditive à l'issue de chaque audience. La Cour reconnaît que les exigences procédurales de l'article 5 § 4 sont généralement plus souples que celles de l'article 6 § 1, tout en étant beaucoup plus strictes quant à la célérité de la procédure (Reinprecht, arrêt précité, § 40). Elle admet donc qu'une telle manière de procéder n'est peut-être pas toujours contraire à l'article 5 § 4 de la Convention ; toutefois, elle l'est certainement lorsqu'elle traduit l'absence d'un examen effectif des observations des parties. Pour la Cour, la pratique litigieuse du tribunal de première instance s'analyse en un déni caractéristique des garanties fondamentales de l'article 5 § 4 de la Convention.
132.  La Cour rappelle que toutes les ordonnances portant prolongation de la détention provisoire de la requérante ont fait l'objet d'un recours devant la cour régionale de Riga, qui les a confirmées par des ordonnances définitives les 15 août, 17 octobre et 5 décembre 2000 et les 9 février, 17 avril et 11 mai 2001. Elle reconnaît que ces décisions étaient plus élaborées que celles du tribunal de première instance ; toutefois, là encore, la juridiction d'appel s'est contentée de mentionner vaguement la gravité de l'infraction commise, le fait qu'elle avait été perpétrée en groupe organisé, la personnalité de la requérante et le risque de collusion, sans étayer ces allégations. Seule l'ordonnance de la cour régionale du 17 avril 2001 faisait référence aux agissements concrets de l'intéressée ; cependant, il s'agit là d'une exception qui ne suffit pas à rendre toute la procédure en question compatible avec l'article 5 § 4 de la Convention.
133.  En ce qui concerne la procédure après le renvoi de l'affaire en jugement, la Cour note que la décision du juge compétent de la cour régionale du 11 octobre 2001, qui ordonnait le maintien de la requérante en détention pour une durée indéterminée, était dépourvue de toute motivation. Cette ordonnance ne peut donc pas, elle non plus, passer pour compatible avec les exigences d'un « contrôle judiciaire effectif » de la légalité de la détention en cause.
134.  En résumé, en prolongeant la détention provisoire de la requérante par des ordonnances dépourvues d'une motivation adéquate, les juridictions lettonnes ont méconnu l'article 5 § 4 de la Convention.
ii.  Sur l'accès de l'avocat de la défense au dossier d'instruction
135.  Quant au grief de la requérante relatif au refus du parquet d'autoriser son avocat à accéder aux pièces du dossier d'instruction, la Cour constate d'emblée l'existence d'une controverse entre les parties quant aux faits. La requérante affirme que son avocat a demandé oralement à consulter le dossier, déjà avant le 30 octobre 2000, date à laquelle il se serait plaint au parquet général du rejet de sa demande par le procureur chargé de l'affaire (paragraphe 26 ci-dessus). En tout cas, le 10 décembre 2000, la requérante avait saisi le parquet général d'une deuxième plainte en ce sens, qui fut rejetée (paragraphe 31 ci-dessus). Le Gouvernement conteste cette allégation ; selon lui, en l'absence d'une mention écrite explicite dans le dossier, on ne saurait affirmer qu'un tel recours a bien été formé. Le Gouvernement reconnaît cependant que dans les recours qu'elle a adressés à la cour régionale de Riga les 31 janvier et 2 mai 2001 la défense a effectivement soulevé la question de l'accès au dossier.
136.  La Cour rappelle qu'une personne inculpée qui se plaint de l'impossibilité d'accéder au dossier d'instruction doit en principe avoir elle-même dûment sollicité un tel accès conformément à la législation nationale, mais la simple absence de trace d'une telle demande dans le dossier de l'affaire ne suffit pas en soi à prouver qu'elle n'a pas été présentée (Schöps, arrêt précité, § 46). En l'espèce, le Gouvernement admet que l'avocat de la requérante s'est plaint au juge de l'impossibilité de consulter les pièces de l'instruction ; il lui reproche toutefois de ne pas avoir saisi le procureur d'une demande en ce sens. A cet égard, la Cour rappelle que, dans des cas semblables à celui de l'espèce, tant les autorités nationales que la Cour doivent, en principe, éviter tout excès de formalisme (ibidem, § 52). Or, l'article 97, troisième alinéa, du KPK garantissait à l'avocat de la défense « le droit de prendre connaissance de toutes les pièces du dossier (...) avec le consentement (...) du procureur » ; en revanche, il ne prévoyait aucune obligation formelle de s'adresser au ministère public préalablement à la saisine du juge. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à l'avocat de la requérante d'avoir directement soulevé cette question devant le tribunal, ce dernier ayant toujours la faculté de rediriger l'avocat vers le parquet afin qu'il sollicite le consentement voulu.
137.  La Cour reconnaît la nécessité d'une conduite efficace des enquêtes pénales, ce qui peut impliquer qu'une partie des informations recueillies durant ces investigations doivent être gardées secrètes afin d'empêcher les accusés d'altérer des preuves et de nuire à la bonne administration de la justice. Toutefois, ce but légitime ne saurait être poursuivi au prix de restrictions importantes apportées aux droits de la défense. En conséquence, des informations essentielles pour apprécier la légalité de la détention d'une personne doivent toujours être mises à disposition de son avocat d'une manière adaptée à la situation (Lietzow, arrêt précité, § 47, et Garcia Alva c. Allemagne, no 23541/94, § 42, 13 février 2001).
138.  En tout état de cause, nul ne conteste qu'en 2001 la requérante n'a pas eu accès au dossier, bien qu'elle eût dénoncé à deux reprises l'impossibilité pour son avocat d'accéder aux pièces de l'instruction. Or, il apparaît qu'à cette époque, le dossier, déjà volumineux, contenait toute une série d'éléments qui ont, semble-t-il, joué un rôle essentiel dans le maintien de l'intéressée en détention. Il s'agissait non seulement des dépositions des quatre coaccusés de la requérante, V.S., V.B., I.F. et I.Č., qui la désignaient comme organisatrice du meurtre (paragraphe 10 ci-dessus), mais également de divers témoignages, de preuves matérielles, d'expertises et de renseignements obtenus dans le cadre de la coopération judiciaire internationale, éléments que le parquet a abondamment cités dans ses demandes de prolongation de la détention de la requérante. Il était donc essentiel que la défense eût la possibilité de consulter le dossier, afin qu'elle fût en mesure de contester efficacement la légalité de la détention provisoire de la requérante, qui, en janvier 2001, avait déjà duré plus de six mois. Vu l'absence d'une telle possibilité, la procédure relative à la détention litigieuse n'a pas satisfait à l'exigence élémentaire d'égalité des armes, inhérente à une procédure juridictionnelle équitable.
139.  L'article 5 § 4 de la Convention a donc été enfreint sur ce point également.
iii  Sur le caractère prétendument inéquitable de la procédure devant la cour régionale de Riga
140.  Pour ce qui est du caractère prétendument inéquitable de la procédure de recours devant la cour régionale de Riga, la Cour a conclu que l'équité procédurale, et notamment l'égalité des armes qui en est l'aspect essentiel, a été méconnue, l'avocat de la défense n'ayant pas eu accès aux pièces de l'instruction. Elle estime que cette conclusion la dispense d'examiner de surcroît la question du caractère équitable de cette procédure prise dans son ensemble.
iv.  Sur l'absence alléguée d'un recours adéquat au stade du jugement
141.  S'agissant enfin du stade du jugement, la Cour observe que, par une ordonnance du 11 octobre 2001, le juge compétent de la cour régionale de Riga a pris la décision de déférer l'accusée devant le tribunal, tout en la maintenant en détention. La Cour a conclu que cette ordonnance ne répondait pas aux exigences fondamentales de l'article 5 § 4 de la Convention (paragraphe 133 ci-dessus). Toutefois, à supposer même qu'il n'en fût pas ainsi, il y a lieu de relever que le KPK ne limitait pas cette prolongation dans le temps et qu'en principe elle demeurait en vigueur jusqu'au prononcé du jugement sur le fond. Or, il apparaît qu'aucun recours susceptible d'assurer un contrôle périodique de la légalité de la détention au stade du jugement n'était prévu en droit letton. A cet égard, la Cour rappelle que l'article 5 § 4 ne peut pas être interprété comme exemptant la détention de tout contrôle ultérieur pour peu qu'un tribunal l'ait autorisé par une décision initiale ; bien au contraire, de par sa nature, cette disposition exige qu'un contrôle adéquat soit effectué à des intervalles raisonnables (voir, mutatis mutandis, Iribarne Pérez c. France, arrêt du 24 octobre 1995, série A no 325-C, p. 63, § 30). La Cour estime que ce principe s'applique également au stade du jugement, tel qu'il est délimité en droit letton.
142.  Il est vrai que le juge chargé du dossier a examiné la demande d'élargissement présentée par la requérante le 12 octobre 2001. Toutefois, la Cour relève qu'il s'agissait d'une simple pratique des magistrats lettons, dépourvue d'une base normative claire et pouvant être changée à tout moment (paragraphe 64 ci-dessus). Cette voie ne remplissait donc pas les conditions d'accessibilité et d'efficacité requises par l'article 5 § 4. De même, la Cour note que la demande susmentionnée a été rejetée par une simple lettre, qui, par définition, n'a pas le caractère d'une décision judiciaire.
Certes, le 1er avril 1999, le législateur letton avait introduit dans le KPK une voie de recours contre les ordonnances relatives à la détention provisoire prises au stade du jugement. Toutefois, cette voie n'était accessible qu'après le début de l'examen de l'affaire sur le fond et à condition que cet examen eût été ajourné au moins pour un mois (paragraphe 65 ci-dessus), conditions qui, à l'évidence, n'étaient pas réunies en l'espèce.
143.  La Cour estime donc qu'après le 11 octobre 2001 la requérante a été privée d'un recours adéquat qui lui eût permis de faire contrôler la légalité de sa détention provisoire, en violation de l'article 5 § 4 de la Convention.
c)  Conclusion
144.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu'au cours des différentes phases de la procédure la requérante n'a pas bénéficié d'un recours judiciaire conforme aux exigences de l'article 5 § 4 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition en l'espèce.
V.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
145.  La requérante soutient que la durée de la procédure pénale diligentée à son encontre a dépassé les limites du « raisonnable » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. Les parties pertinentes de cette disposition sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
A.  Equité de la procédure
146.  La Cour note d'emblée que dans les observations supplémentaires sur le fond de l'affaire qu'elle lui a adressées le 12 juillet 2004, la requérante mentionne une série de faits ayant trait à l'équité de la procédure pénale en cause. Bien que la plupart de ces faits soient antérieurs au 6 mai 2004, ils ne figuraient pas dans les observations et les communications soumises par l'intéressée avant le stade de la recevabilité de la requête. Sur la base de ces éléments, la requérante invite la Cour non seulement à faire droit à ses griefs déclarés recevables, mais de surcroît à constater une violation de l'article 6 § 1 de la Convention quant au droit à un procès équitable, ainsi que de l'article 6 § 3 d) de la Convention.
147.  Le Gouvernement rétorque que la requérante étend, de manière inacceptable, l'objet et la portée de ses griefs initiaux. Quoi qu'il en soit, d'après lui, les nouveaux griefs soulevés par la requérante sont soit manifestement mal fondés, soit tardifs.
148.  La Cour rappelle que l'objet du litige qu'elle est appelée à trancher sur le fond se trouve délimité par sa décision sur la recevabilité, et ce, tant sur le plan factuel que sur le plan juridique (voir, par exemple, Assanidzé, arrêt précité, § 162, et Gennadi Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 95, 10 février 2004). Or, le seul grief que la requérante ait initialement soulevé sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention et qui ait été déclaré recevable par la décision du 6 mai 2004, portait uniquement sur la durée de la procédure pénale diligentée contre elle et non sur l'équité de cette procédure. Quant à l'article 6 § 3 d), qui ne figure ni dans la requête elle-même ni dans les communications subséquentes, il n'a été invoqué pour la première fois qu'après la décision sur la recevabilité de la requête.
Il est vrai que, dans certains cas et dans l'intérêt de l'économie de la procédure, la Cour peut connaître de faits ultérieurs s'ils constituent le prolongement de ceux auxquels ont trait les griefs recevables (Olsson c. Suède (no 1), arrêt du 24 mars 1988, série A no 130, pp. 28-29, § 56, et Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, § 101, CEDH 2000-VIII). Toutefois, en l'occurrence, il s'agit de faits essentiellement différents de ceux couverts par la décision sur la recevabilité. Ils pourraient éventuellement faire l'objet d'une nouvelle requête devant la Cour, ce qui n'est manifestement pas le cas en l'espèce.
149.  En résumé, dans le cadre de la présente affaire, la Cour se limitera à l'examen des griefs qu'elle a déclarés recevables dans sa décision du 6 mai 2004. Elle ne peut examiner ni le grief tiré de l'article 6 § 3 d) de la Convention, ni celui tiré de l'article 6 § 1 et portant sur l'équité du procès litigieux.
B.  Durée de la procédure
1.  La période à prendre en considération
150.  La Cour rappelle qu'en matière pénale le « délai raisonnable » débute dès l'instant qu'une personne se trouve « accusée » ; il peut s'agir d'une date antérieure à la saisine de la juridiction de jugement, celle notamment de l'arrestation, de l'inculpation ou de l'ouverture des enquêtes préliminaires. L'« accusation », au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, peut se définir comme « la notification officielle, émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir accompli une infraction pénale ». Dans certains cas, elle peut également revêtir la forme d'autres mesures impliquant un tel reproche et entraînant elles aussi des « répercussions importantes sur la situation » du suspect (Lavents, arrêt précité, § 85).
La Cour estime que, pour la requérante, la période à prendre en considération sur le terrain de l'article 6 § 1 a débuté le 1er juin 2000, date à laquelle elle fut interrogée pour la première fois en qualité de suspecte. Quant au terme de cette période, nul ne conteste qu'il s'agit en l'espèce du 6 février 2004, date du rejet définitif du pourvoi en cassation de l'intéressée. La procédure en question a donc duré trois ans, huit mois et six jours.
2.  Le caractère raisonnable de la durée de la procédure
151.  La Cour rappelle d'emblée que le caractère « raisonnable » de la durée d'une procédure pénale s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement de l'accusé et celui des autorités compétentes (Lavents, arrêt précité, § 87, et la jurisprudence y citée).
a)  Les arguments des parties
i.  Le Gouvernement
152.  Pour ce qui est de la complexité de l'affaire, le Gouvernement rappelle que la requérante était accusée d'avoir organisé et financé un crime particulièrement grave, et que ce crime avait été exécuté, d'une manière concertée, par quatre personnes. Les autorités ont donc dû examiner le rôle et le mobile de chacun des coïnculpés afin de se faire une image cohérente du meurtre. Il leur a donc fallu interroger chacun des inculpés, procéder à des confrontations, interroger plusieurs témoins pour chacun des prévenus (certains témoins ont été interrogés plusieurs fois), et analyser les documents et les objets saisis au domicile et au bureau de la requérante.
153.  En résumé, le Gouvernement fournit le rapport suivant des mesures d'enquête et d'instruction prises par la police et le parquet dans la présente affaire :
a)  Pendant la période du 2 juin au 26 juillet 2000, le parquet a interrogé tous les accusés et douze témoins. Il lui a fallu encore quinze jours pour examiner le contenu des nombreux dossiers et des disquettes informatiques saisis chez la requérante le 1er juin 2000, et la liste des conversations téléphoniques de celle-ci. De même, le parquet a dû procéder à des investigations, par l'intermédiaire d'Interpol, concernant l'objet des voyages de la requérante et de la victime en Allemagne, en Suisse et au Liechtenstein. Il a également demandé à deux banques lettonnes des relevés des comptes de la société commerciale gérée par la requérante.
b)  Pendant la période du 27 juillet au 29 septembre 2000, le parquet a interrogé deux témoins et procédé à six confrontations. De plus, en septembre, il a passé quinze jours supplémentaires à étudier les pièces saisies chez la requérante le 1er juin.
c)  Pendant la période du 30 septembre au 28 novembre 2000, le parquet a interrogé trois accusés et quatre témoins et procédé à une confrontation. De même que pour la période précédente, il lui a fallu quinze jours pour étudier les pièces saisies chez la requérante le 1er juin 2000.
d)  Pendant la période du 29 novembre 2000 au 28 janvier 2001, le parquet a interrogé treize témoins. A trois reprises, il lui a fallu se pencher de nouveau sur les pièces du dossier saisies lors de la perquisition susmentionnée. En outre, le parquet a reçu de trois sociétés de télécommunications des relevés des communications téléphoniques de la requérante et les a examinés attentivement.
e)  Pendant la période du 29 janvier au 30 mars 2001, le parquet a continué l'examen des pièces du dossier ; en outre, il a interrogé onze témoins et l'accusé V.B. et obtenu de deux agences de voyages des informations relatives aux déplacements de la requérante en Suisse et au Danemark.
f)  Pendant la période du 31 mars au 30 avril 2001, le parquet a notifié aux accusés les actes finaux d'accusation, leur a présenté des éléments de preuve supplémentaires et les a interrogés. En résumé, au cours de ce laps de temps, seize décisions d'ordre procédural ont été prises à l'égard des accusés.
g)  Enfin, pendant la période du 1er mai au 11 octobre 2001, la requérante et ses coaccusés ont pris connaissance du dossier d'instruction avant le renvoi de l'affaire en jugement.
154.  Par ailleurs, le Gouvernement rappelle que la requérante était accusée de corruption commerciale aggravée. Le parquet a dû instruire cette accusation avec un soin particulier, car, dès le début, on avait soupçonné que les machinations financières en cause étaient le principal mobile du meurtre de I.S. En d'autres termes, il a d'abord fallu bien établir la culpabilité de la requérante dans le délit commercial afin de déterminer son rôle dans le meurtre.
En résumé, l'affaire de la requérante était compliquée. Elle était aussi volumineuse, le dossier s'étant composé de seize volumes. L'analyse d'une telle quantité de documents a donc exigé beaucoup de temps.
155.  S'agissant du comportement de la requérante, le Gouvernement rappelle tout d'abord qu'au cours de l'instruction elle a changé plusieurs fois ses dépositions. Ainsi, lorsqu'elle a été interpellée le 1er juin 2000, elle a nié avoir eu des relations financières avec I.S. et déclaré ne pas connaître son coïnculpé I.F. Cependant, au bout de cinq jours, le 6 juin, elle a avoué le contraire. Cette attitude de la requérante a mis en doute la crédibilité de tous ses dires, et le parquet a dû soigneusement vérifier toutes ses dépositions.
156.  En outre, le Gouvernement rappelle que le parquet a dû reporter la présentation de l'acte final d'accusation à la requérante, les avocats de celle-ci n'ayant pas pu être présents. Par conséquent, le parquet a demandé la prolongation de la détention de la requérante jusqu'au 18 mai 2001. Enfin, pendant les cinq mois ayant précédé le renvoi de l'affaire en jugement, la requérante et ses coaccusés ont lu le dossier d'instruction ; bien que l'intéressée elle-même achevât sa lecture le 18 juillet 2001, ses coaccusés la terminèrent plus tard, le 5 octobre 2001. Bref, tous les retards éventuels dans la procédure sont imputables au comportement de la requérante.
157.  En revanche, selon le Gouvernement, aucun retard important n'est dû aux autorités. En effet, tous les actes de l'instruction ont été accomplis par le parquet dans les meilleurs délais et avec une diligence exemplaire, ce qui est amplement démontré par la motivation des demandes de prolongation de la détention de la requérante que le ministère public a présentées aux tribunaux. Quant au stade judiciaire de la procédure, le Gouvernement rappelle que la première audience a initialement été fixée pour 2003 ; cependant, la cour régionale de Riga a décidé d'accorder une certaine priorité à l'affaire et de l'examiner plus tôt que prévu.
ii. La requérante
158.  La requérante considère que l'article 6 § 1 de la Convention a été violé. Elle rappelle en particulier que l'article 241 du KPK obligeait le juge du fond à commencer l'examen de l'affaire dans un délai de vingt jours ou d'un mois à compter de la réception du dossier d'instruction. Or, cette disposition n'a pas été respectée dans son affaire.
b)  Appréciation de la Cour
159.  La Cour rappelle tout d'abord que le non-respect des délais impartis par le droit interne n'enfreint pas en soi l'article 6 § 1 de la Convention (voir, par exemple, G. c. Italie, arrêt du 27 février 1992, série A no 228-F, p. 68, § 17, et Wiesinger c. Autriche, arrêt du 30 octobre 1991, série A no 213, p. 22, § 60). C'est essentiellement par rapport aux critères dégagés par sa propre jurisprudence que la Cour doit déterminer dans chaque cas s'il y eu dépassement d'un « délai raisonnable ».
160.  Aux yeux de la Cour, la complexité de l'affaire pénale en cause était indéniable. En premier lieu, l'accusation étant en l'occurrence dirigée contre cinq personnes, la tâche des autorités consistait à identifier la nature exacte des actes commis par chacune d'elles. En deuxième lieu, la Cour note le nombre considérable d'éléments de preuve recueillis au cours de l'enquête. En effet, il apparaît que les documents et les dossiers saisis lors des perquisitions le jour de l'arrestation de la requérante remplirent quarante cartons. Par la suite, le parquet obtint une quantité importante d'autres pièces – dépositions de nombreux autres témoins, attestations ayant trait aux dépenses de la requérante, relevés des communications téléphoniques, rapports d'expertise, preuves matérielles, et renseignements obtenus des autorités étrangères dans le cadre de la coopération judiciaire internationale. Toutes ces pièces furent réunies en un dossier qui, finalement, comporta seize volumes. La nécessité de recueillir ces preuves était exposée dans les demandes ultérieures de prolongation de la détention de la requérante, présentées par le ministère public au tribunal de l'arrondissement de Kurzeme. La requérante n'ayant jamais mis en doute la réalité de ces mesures d'instruction, il y a lieu d'admettre que tous ces éléments ont effectivement été recueillis, qu'ils étaient nécessaires à l'établissement de la vérité, et que leur analyse par le parquet puis par le tribunal a exigé beaucoup de temps.
161.  S'agissant ensuite des autorités lettonnes, la Cour considère que leur comportement n'a pas engendré des retards considérables contraires à l'article 6 § 1 de la Convention. En effet, il ressort des observations du Gouvernement, non contestées par la requérante, que les mesures d'instruction ont été effectuées par le parquet avec une célérité et une diligence suffisantes (paragraphe 153 ci-dessus). Quant au procès sur le fond devant la juridiction de première instance, qui a eu lieu du 26 juin au 13 septembre 2002, la Cour n'y voit pas non plus de retard important (paragraphes 46-47 ci-dessus). Elle note en particulier qu'en dépit de la fixation initiale de la première audience pour l'année 2003, la cour régionale de Riga a finalement consenti à l'avancer ; la procédure en première instance a donc pu être terminée déjà en 2002.
162.  Dans ces conditions, la Cour estime qu'il n'est pas nécessaire de se pencher de surcroît sur la question de savoir si, et dans quelle mesure, d'éventuels retards de la procédure sont imputables au comportement de la requérante. Eu égard à la complexité du dossier et aux autres circonstances de la cause, elle estime que la durée globale de la procédure – environ trois ans et huit mois, délai qui comprend l'instruction préliminaire et le procès contradictoire à trois degrés de juridiction – n'a pas dépassé les limites du « raisonnable », au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.
En conséquence, il n'y a pas eu violation de cette disposition en l'espèce.
VI.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
163.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
1.  Dommage matériel
164.  La requérante demande réparation pour le dommage matériel qu'elle a subi du fait des multiples violations de la Convention dans son affaire. Il s'agit notamment du préjudice résultant de l'interruption de ses activités commerciales pendant sa détention ; elle cite également l'irrégularité de sa détention, l'atteinte à sa réputation, l'état de détresse émotionnelle dans lequel elle se trouve, et la « dégradation de la qualité de vie dont elle a souffert et continue à souffrir ». La requérante déclare ne pas être en mesure de chiffrer exactement ces dommages ; cependant, selon elle, ils devraient être évalués à 30 000 euros (EUR) au moins.
165.  Le Gouvernement ne se prononce pas séparément sur ce point.
166.  La Cour rappelle que la condition sine qua non à l'octroi d'une réparation d'un dommage matériel au titre de l'article 41 de la Convention est l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice allégué et la violation constatée (Nikolova, arrêt précité, § 73, et Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 49, CEDH 2002-II). Toutefois, aucun lien direct de cette sorte ne se trouve établi dans la présente affaire. S'agissant en particulier de l'interruption des activités commerciales de la requérante du fait de sa détention, la Cour rappelle qu'elle vient de conclure à la non-violation de l'article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne la plus grande partie de la détention en cause (paragraphe 90 ci-dessus). Quant à « l'état de détresse », « l'atteinte à la réputation », etc., il s'agit plutôt d'éléments d'un préjudice moral (voir, par exemple, Lavents, arrêt précité, § 149) ; or, la requérante a expressément déclaré qu'elle considérait le constat d'une violation comme une réparation adéquate de tout préjudice moral subi par elle.
Partant, la Cour rejette les prétentions de l'intéressée à ce titre.
2.  Dommage moral
167.  La requérante déclare que le constat des multiples violations de ses droits au titre de la Convention constituerait en soi une réparation adéquate du préjudice moral qu'elle a subi. La Cour ne voit aucune raison d'en juger autrement (voir Lavents, arrêt précité, § 151).
B.  Frais et dépens
168.  La requérante demande le remboursement des frais exposés pour la préparation et la présentation de son affaire devant la Cour. Elle rappelle que, dès le début de la procédure devant la Cour, elle a engagé pour sa représentation non seulement Me Pastille, mais également M. D. Krauss, professeur de droit à l'université Humboldt de Berlin. Ces deux conseils ont initialement été rémunérés à l'heure (125 EUR l'heure pour Me Pastille, 180 EUR pour M. Krauss). Cependant, compte tenu de la situation financière délicate de la requérante, ils ont finalement consenti à une rémunération forfaitaire. Aux termes du contrat d'assistance juridique daté du 1er décembre 2004 et expédié à la Cour le 3 janvier 2005, la requérante s'engageait à verser à Me Pastille une première somme de 8 000 EUR, payable dans le délai de trois mois à compter de l'adoption, par la Cour, d'une décision dans l'affaire. Elle s'engageait à lui payer ensuite une somme supplémentaire de 4 000 EUR « pour tout travail supplémentaire effectué en tant qu'avocat après la décision sur la recevabilité ». Selon la requérante, ces sommes couvrent toutes les heures de travail de Me Pastille et M. Krauss sur la présente affaire, ainsi que les frais administratifs. La somme totale des frais et dépens s'élèverait donc à 12 000 EUR.
169.  Selon le Gouvernement, la demande de remboursement des frais et dépens présentée par la requérante ne remplit pas les exigences fondamentales se dégageant de la jurisprudence de la Cour en la matière. En effet, le seul justificatif présenté à cet effet est le contrat daté du 1er décembre 2004 ; toutefois, étant donné qu'il ne chiffre pas avec précision toutes les dépenses prétendument encourues par la requérante, ce document est manifestement insuffisant pour démontrer la réalité desdites dépenses. En tout état de cause, le Gouvernement est d'avis que l'affaire n'était pas particulièrement compliquée et, par conséquent, que la somme indiquée par la requérante est excessive. En résumé, si la Cour décide d'allouer une somme à la requérante, celle-ci ne devrait pas dépasser 1 000 EUR.
170.  La Cour rappelle que, pour avoir droit à l'allocation des frais et dépens en vertu de l'article 41 de la Convention, la partie lésée doit les avoir réellement « engagés » ou « supportés » (voir, parmi beaucoup d'autres, Eckle c. Allemagne (article 50), arrêt du 21 juin 1983, série A no 65, p. 11, § 25). Toutefois, ce principe doit s'interpréter à l'aune des buts généraux poursuivis par l'article 41 ; par conséquent, la Cour a toujours accordé le remboursement des frais et dépens dans des situations où les honoraires restaient, au moins en partie, dus par le requérant (voir, par exemple, Kamasinski c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 168, p. 47, § 115, Koendjbiharie c. Pays-Bas, arrêt du 25 octobre 1990, série A no 185-B, p. 42, § 35, et Iatridis c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 31107/96, § 55, CEDH 2000-XI). En outre, pour être remboursés, les frais doivent se rapporter à la violation ou aux violations constatées et être d'un montant raisonnable. En particulier, l'article 60 § 2 du règlement de la Cour prévoit que toute prétention soumise au titre de l'article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie (Lavents, arrêt précité, § 154).
171.  Dans la présente affaire, la Cour constate que le seul document fourni par la requérante à l'appui de ses prétentions est un contrat d'assistance juridique, lequel ne précise ni la nature exacte des services effectivement rendus par Me Pastille, ni le coût de chacun de ces services pris isolément. Quant à M. Krauss, la Cour voit mal quel rôle il a effectivement eu dans la procédure, le contrat précité n'ayant été conclu qu'avec Me Pastille et la correspondance de la requérante avec la Cour ayant toujours été conduite par lui. En toute hypothèse, le montant global réclamé par la requérante au titre des frais et des dépens est quelque peu excessif. Par ailleurs, la Cour ne conteste pas que l'affaire revêtait une certaine complexité qui n'était pas sans incidence sur les frais de préparation de la requête. Dans ces conditions, la Cour, statuant en équité comme le veut l'article 41, décide d'allouer à la requérante 3 000 EUR, tous frais confondus. Cette somme est à compléter de tout montant éventuellement dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (Lavents, arrêt précité, loc.cit.).
C.  Intérêts moratoires
172.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Rejette l'exception préliminaire du Gouvernement ;
2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention à raison de la détention de la requérante pendant les périodes allant du 1er juin 2000 au 18 mai 2001 et du 11 octobre 2001 au 13 septembre 2002 ;
3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention à raison de la détention de la requérante pendant la période allant du 18 mai au 11 octobre 2001 ;
4.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;
5.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention ;
6.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
7.  Dit que le constat de violations fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la requérante ;
8.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
9.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 mars 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič   Greffier Président
ARRÊT SVIPSTA c. LETTONIE
ARRÊT SVIPSTA c. LETTONIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 66820/01
Date de la décision : 09/03/2006
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 5-1 (quant à la détention de la requérante du 18 mai au 11 octobre 2001) ; Violation de l'art. 5-3 ; Violation de l'art. 5-4 ; Non-violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 5-1-c) RAISONS PLAUSIBLES DE SOUPCONNER, (Art. 5-3) DUREE DE LA DETENTION PROVISOIRE, (Art. 5-4) CONTROLE DE LA LEGALITE DE LA DETENTION, (Art. 5-4) GARANTIES PROCEDURALES DE CONTROLE, (Art. 5-4) INTRODUIRE UN RECOURS, (Art. 6) PROCEDURE PENALE


Parties
Demandeurs : SVIPSTA
Défendeurs : LETTONIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-03-09;66820.01 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award