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22/05/2006 | CEDH | N°6213/03

CEDH | LEDERER c. ALLEMAGNE


CINQUIEME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 6213/03  présentée par Gerd LEDERER  contre l'Allemagne
La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant le 22 mai 2006 en une chambre composée de :
M. P. Lorenzen, président,   Mme S. Botoucharova,   MM. K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   MM. R. Maruste,    J. Borrego Borrego, juges,  et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 30 janvier 2003,
Après

en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Gerd Lederer, est un ressor...

CINQUIEME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 6213/03  présentée par Gerd LEDERER  contre l'Allemagne
La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant le 22 mai 2006 en une chambre composée de :
M. P. Lorenzen, président,   Mme S. Botoucharova,   MM. K. Jungwiert,    V. Butkevych,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   MM. R. Maruste,    J. Borrego Borrego, juges,  et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 30 janvier 2003,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Gerd Lederer, est un ressortissant allemand, né en 1950 et résidant à Munich. Il est représenté devant la Cour par   Me M. Kleine-Cosack, avocat au barreau de Fribourg (en Brisgau).
A.  Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
1.  La genèse de l'affaire
Le 6 septembre 1980, le ministère de la Justice du Land de Bavière autorisa le requérant à s'inscrire comme avocat (Rechtsanwalt) au barreau auprès du tribunal d'instance (Amtsgericht) et du tribunal régional (Landgericht) de Munich.
Depuis le 10 octobre 1985, il était également inscrit comme avocat au barreau auprès de la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Munich et, à partir du 11 mai 1992, auprès du tribunal régional de Landshut.
Il fut nommé professeur de droit commercial et de droit du travail à l'université (Fachhochschule) de Munich avec le statut de fonctionnaire stagiaire (Beamter auf Probe) avec effet au 1er septembre 1997.
Par une lettre du 12 août 1997, le requérant indiqua qu'il souhaitait continuer à exercer sa profession d'avocat, conformément à l'article 47 § 1, première phrase, de la loi fédérale sur les avocats (Bundesrechts-anwaltsordnung – BRAO – voir droit interne pertinent ci-dessous).
Par des ordonnances successives des 25 septembre 1997, 4 mars 1998 et 11 janvier 1999, il obtint les autorisations sollicitées pour une durée déterminée.
Le requérant a été nommé fonctionnaire titulaire (Beamter auf Lebenszeit) avec effet au 26 mai 1999.
2.  La procédure devant les juridictions nationales
Par une décision du 19 novembre 1999, la présidente de la cour d'appel de Munich ordonna la radiation du requérant du barreau, conformément à l'article 14 § 2 no 5 de la loi fédérale sur les avocats (voir droit interne pertinent ci-dessous), au motif que, malgré sa nomination comme fonctionnaire titulaire, il n'avait pas renoncé à son inscription au barreau. Elle souligna qu'il s'agissait là d'une disposition impérative qui ne permettait aucune marge d'appréciation. Il n'était donc pas nécessaire ni d'ailleurs possible de faire une exception pour les professeurs d'université : le législateur était parti du principe que le statut particulier des fonctionnaires titulaires, et notamment la prééminence du lien de droit public qui les unit à l'Etat (öffentlich-rechtliche Bindung an den Dienstherrn), était incompatible avec la profession d'avocat. La fonction de professeur d'université ne se distinguait pas fondamentalement, à cet égard, de celle d'autres fonctionnaires en activité.
Par une décision du 19 mars 2001, la chambre de la Cour professionnelle des avocats (Senat des Bayerischen Anwaltsgerichtshofs) du Land de Bavière confirma la radiation du requérant du barreau pour les mêmes motifs. Elle ajouta que, dans le cas du requérant, il ne s'agissait de surcroît que du maintien d'une activité professionnelle secondaire et que les exigences au regard du respect de la Constitution étaient dès lors moindres que dans le cas d'une activité professionnelle principale.
D'après la chambre, la mesure litigieuse respectait également le principe de proportionnalité car le législateur cherchait à garantir la liberté de la profession d'avocat dans l'intérêt du public et d'une bonne administration de la justice. De plus, la gravité de l'ingérence était amoindrie à plusieurs égards : ainsi la radiation du barreau n'est requise que pour des juges ou des fonctionnaires titulaires et plusieurs dispositions procédurales (voir droit interne pertinent ci-dessous) autorisent les professeurs d'université à agir comme mandataires ad litem (Prozessbevollmächtigte), ainsi qu'à rédiger des rapports d'expertise. En raison de ces nombreuses réglementations en faveur des professeurs, la Cour constitutionnelle fédérale a toujours refusé de faire en leur faveur une exception à la règle générale d'incompatibilité entre fonctionnaires titulaires et avocats.
De plus, la chambre considéra que cette règle d'incompatibilité ne méconnaissait pas les principes d'égalité et du libre exercice de la profession de son choix, inscrits respectivement aux articles 3 § 1 et 12 § 1 de la Loi fondamentale (Grundgesetz – voir droit interne pertinent ci-dessous), et que, malgré la liberté relative dont disposaient les professeurs d'université, une réglementation particulière en leur faveur n'était pas nécessaire, car les points communs avec les autres fonctionnaires prévalaient. Ainsi les professeurs d'université doivent-ils, comme tous les fonctionnaires, obtenir l'autorisation d'exercer une activité professionnelle secondaire, ce qui n'est en général accordé que si cette activité ne dépasse pas un certain pourcentage de leur travail hebdomadaire. L'autorisation ainsi accordée au requérant le 6 octobre 1997 aux fins de « conseil et représentation dans des affaires de droit commercial privé et de droit du travail, en particulier comme avocat » (Beratung und Vertretung in wirtschaftsprivat- und arbeitsrechtlichen Angelegenheiten, insbesondere als Rechtsanwalt) précisait que son activité secondaire ne devait pas dépasser une journée par semaine en moyenne. De plus, à compter d'un certain montant, les revenus doivent être déclarés à l'employeur, ce qui n'est pas compatible avec le libre exercice de la profession d'avocat.
Enfin, la chambre estima que, même si dans les nouveaux Länder, les professeurs d'université n'étaient pas fonctionnaires mais salariés, cela ne changeait rien à la situation, car il ne s'agissait pas d'une incompatibilité entre deux professions, mais d'une incompatibilité de principe entre le statut de fonctionnaire et celui d'avocat. Cela expliquait également que le requérant puisse exercer la profession de conseil fiscal (Steuerberater) en vertu de l'article 57 § 3 no 4 sur les conseils fiscaux (StBerG – Steuerberatungsgesetz), car il s'agissait là d'une profession libérale, différente de celle d'avocat.
La chambre conclut en indiquant qu'en l'espèce, le droit européen ne trouvait pas à s'appliquer, car la situation était purement interne à un Etat membre, le requérant ayant la nationalité allemande, ne disposant pas d'une résidence dans un autre Etat membre et n'ayant pas acquis de qualification dans un tel Etat. Or les Etats membres peuvent librement réglementer l'accès aux professions de leurs propres ressortissants, étant donné qu'il n'existe pas de directive européenne régissant l'accès à la profession d'avocat. Enfin, même si un ressortissant d'un autre Etat membre comme la France par exemple – où une telle incompatibilité entre la fonction d'avocat et celle de professeur d'université fonctionnaire n'existe pas –, cherchait à exercer sa profession d'avocat en Allemagne en vertu du principe de la libre circulation des services et de la liberté d'établissement, il n'y aurait pas de discrimination. En effet, l'avocat étranger ne peut intervenir dans des litiges en Allemagne qu'en collaboration avec un confrère allemand, restriction à laquelle les avocats allemands ne sont bien sûr pas soumis et, s'il souhaite effectivement s'inscrire à un barreau allemand, les articles 6 à 42 de la loi fédérale sur les avocats s'appliquent à lui au même titre qu'à ses confrères allemands.
Par une décision du 22 avril 2002, la Chambre spéciale de la Cour fédérale de Justice statuant sur les litiges ayant trait aux avocats auprès de la Cour fédérale de justice (Senat für Anwaltssachen des Bundesgerichtshofes) rejeta le recours du requérant en se référant à sa jurisprudence constante en la matière. Elle souligna notamment que, s'agissant d'une activité professionnelle secondaire, le législateur disposait d'une marge d'appréciation relativement large pour limiter la possibilité, pour le requérant, d'exercer la profession d'avocat alors qu'il est déjà professeur d'université avec le statut de fonctionnaire titulaire.
Par une décision du 12 août 2002, la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht), siégeant en comité de trois juges, décida de ne pas retenir le recours constitutionnel du requérant au motif que ce recours ne revêtait pas une signification constitutionnelle de principe et ne méconnaissait pas les droits fondamentaux du requérant.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
1.  La Loi fondamentale
Les articles pertinents de la Loi fondamentale sont ainsi rédigés :
Article 3 § 1
« Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. »
Article 12 § 1
« Tous les allemands ont le droit de choisir librement leur profession, leur emploi et leur établissement de formation. L'exercice de la profession peut être réglementé par la loi ou en vertu d'une loi. »
2.  La loi fédérale sur les avocats
L'article 7 no 10 de la loi fédérale sur les avocats prévoit que l'inscription au barreau doit être refusée si le candidat est fonctionnaire titulaire.
L'article 14 § 2 no 5 prévoit qu'un avocat doit être radié du barreau s'il est nommé fonctionnaire titulaire.
L'article 47 § 1, première phrase, prévoit que les avocats qui ont par ailleurs le statut de fonctionnaires – mais sans être titulaires – ne sauraient exercer la profession d'avocat. Cependant l'administration judiciaire du Land peut autoriser l'avocat, s'il en fait la demande, à continuer d'exercer sa profession si cela ne porte pas préjudice à la bonne administration de la justice.
3.  Les dispositions procédurales autorisant les professeurs d'université à agir en tant que mandataires ad litem devant certaines juridictions
Les articles 138 du code de procédure pénale (StPO – Strafprozessordnung), 67 de la loi sur les juridictions administratives (VwGO – Verwaltungsgerichtsordnung), 392 de la loi sur les impôts (AO – Abgabenordnung), 40 de la loi disciplinaire fédérale (pour les fonctionnaires) (BDO – Bundesdisziplinarordnung) et 22 de la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale (BVerfGG – Bundesverfassungsgerichts-gesetz) prévoient que les professeurs de droit d'universités allemandes (Rechtslehrer an deutschen Hochschulen) peuvent agir en tant que mandataires ad litem au même titre que les avocats devant les juridictions concernées.
Devant les juridictions civiles (article 157 § 3 du code de procédure civile – ZPO – Zivilprozessordnung), les professeurs d'université doivent obtenir une autorisation au cas par cas.
GRIEFS
1.  Le requérant se plaint de sa radiation du barreau par la présidente de la cour d'appel de Munich, laquelle radiation a été confirmée par les décisions ultérieures des juridictions internes.
Il allègue que ces décisions méconnaissent son droit au respect de ses biens prévu à l'article 1 du Protocole no 1.
2.  Il soutient également que ces décisions méconnaissent son droit à une égalité de traitement au regard de son droit au respect de ses biens et qu'elles sont donc contraires à l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1.
EN DROIT
1.  Le requérant soutient que les décisions des juridictions allemandes ainsi que les articles 7 no 10 et 14 § 2 no 5 de la loi fédérale sur les avocats méconnaissent son droit au respect de ses biens prévu à l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
S'appuyant sur sa jurisprudence antérieure, la Cour relève que, pour autant qu'il porte sur un manque à gagner, le grief du requérant tombe en dehors du champ d'application de l'article 1 du Protocole no 1, qui ne vaut pas pour les revenus à venir, mais seulement pour les biens existants, c'est-à-dire les revenus déjà gagnés ou ceux à l'égard desquels il existe une revendication défendable (voir notamment Van Marle et autres c. Pays-Bas, arrêt du 26 juin 1986, série A no 101, p. 13, §§ 39-41, Wendenburg et autres c. Allemagne (déc.), no 71630/01, CEDH 2003-II, et Buzescu c. Roumanie, no 61302/00, § 81, 24 mai 2005). Toutefois, l'article 1 s'applique aux études d'avocats et à leur clientèle, car il s'agit d'entités ayant une certaine valeur. Revêtant à beaucoup d'égards le caractère d'un droit privé, elles s'analysent en une valeur patrimoniale, donc en un bien au sens de la première phrase de l'article 1 (Van Marle et autres précité, p. 13, § 41, Döring c. Allemagne (déc.), no 37595/97, CEDH 1999-VIII, Wendenburg et autres précité, et Buzescu précité, § 81 in fine).
En l'espèce, même si la nomination du requérant à titre principal comme professeur d'université aurait probablement de toute façon entraîné une baisse de son activité de conseil, la Cour admet que la radiation du barreau du requérant, qui a dû fermer son cabinet d'avocat, a conduit à une perte d'une partie de sa clientèle. Il y a donc eu ingérence dans son droit au respect de ses biens. Cette ingérence s'analyse en une mesure de réglementation de l'usage des biens, à examiner sous l'angle du second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1, comme la Cour l'a décidé dans des affaires similaires (voir notamment Döring précité, et Buzescu précité, § 88).
Quant à la légalité de l'ingérence, la Cour relève tout d'abord que la mesure litigieuse était fondée sur les articles 7 no 10 et 14 § 2 no 5 de la loi fédérale sur les avocats. Ces dispositions prévoient expressément l'incompatibilité des fonctions d'avocat et de fonctionnaire titulaire, sans prévoir d'exception pour les professeurs d'université. Ensuite, les juridictions internes, en se référant notamment à la jurisprudence constante de la Cour fédérale de justice et de la Cour constitutionnelle fédérale en la matière, ont confirmé que ces dispositions ne méconnaissaient pas la Loi fondamentale.
En ce qui concerne la finalité de l'ingérence, la Cour considère qu'il est indéniable que celle-ci poursuivait un but d'intérêt général, à savoir garantir l'indépendance de la profession d'avocat dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. Il y a en effet incompatibilité de principe entre le statut de fonctionnaire titulaire, caractérisé par la prééminence du lien de droit public qui l'unit à l'Etat, et celui d'avocat, ce dernier exerçant une profession de nature libérale par essence et occupant un rôle central en tant qu'auxiliaire indépendant de la justice.
Enfin, la Cour doit se pencher sur la proportionnalité de l'ingérence. A cet égard, elle rappelle que le second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l'article. La Cour a dégagé de celle-ci la condition qu'une mesure d'ingérence ménage un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (voir, entre autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26, § 69). Le souci d'assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l'article 1 tout entier, donc aussi dans le second alinéa. Il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Tre Traktörer, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 159, p. 23, § 59).
Le requérant soutient que sa radiation du barreau n'était pas proportionnée au but poursuivi au regard de l'article 1 du Protocole no 1.
D'après lui, une application systématique des articles 7 no 10 et 14 § 2 no 5 de la loi fédérale sur les avocats à tous les fonctionnaires, sans prendre en compte la situation particulière des professeurs d'université, ne saurait être acceptée. Ces derniers disposent en effet d'un statut « libéral » (freiheitlich) qui les distingue fondamentalement des autres fonctionnaires, ce qui rend l'application de cette règle d'incompatibilité dans leur cas d'autant plus incompréhensible. Le requérant souligne que les professeurs d'université exercent leur profession en toute indépendance en vertu de la liberté de la science, de la recherche et de l'enseignement garantie par l'article 5 § 3 de la Loi fondamentale. Ceci explique également qu'ils soient autorisés à plaider en justice, ce qui implique que les professions d'avocat et de professeur d'université ne sont pas incompatibles. Cette absence de justification apparaît également au regard des règles qui existent dans d'autres Etats européens comme la France ou l'Espagne par exemple.
La Cour relève tout d'abord qu'en l'espèce, les juridictions internes – et en particulier la Cour professionnelle des avocats du Land de Bavière – ont largement développé les raisons pour lesquelles la législation interne n'a prévu aucune exception à la règle d'incompatibilité des fonctions d'avocat et de fonctionnaire titulaire pour les professeurs d'université. Une première raison est que, nonobstant la liberté relative dont disposent les professeurs d'université, les points communs avec les autres fonctionnaires titulaires prévalent, ce qu'illustre notamment le fait que le requérant a dû obtenir de son employeur l'autorisation d'exercer une activité secondaire et qu'il doit déclarer ses revenus à son employeur à partir d'un certain montant. Une deuxième raison est qu'en réalité un certain nombre de dispositions procédurales (voir droit interne pertinent ci-dessus) autorisent les professeurs d'université à plaider au même titre que les avocats devant des juridictions internes, et notamment devant la Cour constitutionnelle fédérale.
Il en résulte, aux yeux de la Cour, que la portée de l'ingérence litigieuse est considérablement limitée dans la pratique. En effet, d'une part, le requérant peut conserver une partie de sa clientèle et la représenter en justice devant certaines juridictions internes, même en l'absence du titre d'avocat. D'autre part, il ne s'agit que du maintien d'une activité secondaire, limitée dans son cas à une journée par semaine en moyenne.
La Cour rappelle par ailleurs que les autorités nationales jouissent d'une large marge d'appréciation pour juger de la nécessité d'une mesure de contrôle. En principe, le jugement du législateur en ce domaine est respecté, sauf s'il se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable (Lithgow et autres c. Royaume Uni, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 102, p. 51, § 122 ; Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 75, CEDH 1999-III, et Wendenburg et autres précité).
Or les justifications avancées par les juridictions internes, et notamment l'existence de dispositions procédurales qui autorisent les professeurs d'université à plaider au même titre que les avocats devant certaines juridictions internes, ne sauraient passer aux yeux de la Cour pour dépourvues de base raisonnable, et ce malgré le fait que, dans d'autres Etats européens ayant des traditions différentes en la matière, la législation autorise les professeurs d'université, même s'ils sont fonctionnaires titulaires, à s'inscrire au barreau.
Compte tenu de tous ces éléments, la Cour estime que l'Etat défendeur n'a pas excédé sa marge d'appréciation et qu'il n'a pas manqué, eu égard à l'objectif légitime poursuivi, de ménager un « juste équilibre » entre les intérêts du requérant et l'intérêt général d'une bonne administration de la justice.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention.
2.  Le requérant soutient également que les décisions litigieuses méconnaissent son droit à une égalité de traitement au regard de son droit au respect de ses biens et qu'elles sont donc contraires à l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1.
L'article 14 de la Convention est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Le requérant considère notamment que le fait que les professeurs d'université nommés fonctionnaires titulaires peuvent exercer les professions de conseil fiscal ou de commissaire aux comptes (Wirtschaftsprüfer) mais pas celle d'avocat, constitue une différence de traitement qui n'est pas justifiée.
La Cour rappelle qu'une distinction est discriminatoire au sens de l'article 14, si elle « manque de justification objective et raisonnable », c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s'il n'y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ». Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (voir, mutatis mutandis, Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72225/01, CEDH 2005-...).
La Cour considère qu'en l'espèce, les professions auxquelles le requérant fait référence peuvent être clairement distinguées de celle d'avocat dont le champ d'activité est nettement plus étendu en tant qu'auxiliaire indépendant de la justice.
Eu égard au but légitime poursuivi et à la marge d'appréciation dont dispose l'Etat, cette différence de traitement ne saurait passer pour déraisonnable ni pour génératrice d'une charge démesurée au détriment du requérant (voir ci-dessus le raisonnement de la Cour sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1). Les dispositions litigieuses doivent dès lors être considérées comme se fondant sur une justification objective et raisonnable.
Il s'ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen   Greffière Président
DÉCISION LEDERER c. ALLEMAGNE
DÉCISION LEDERER c. ALLEMAGNE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 6213/03
Date de la décision : 22/05/2006
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Violation de l'art. 3 ; Violation de l'art. 5-3 ; Violations de l'art. 5-4 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 3) TRAITEMENT DEGRADANT, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 5-3) CARACTERE RAISONNABLE DE LA DETENTION PROVISOIRE, (Art. 5-3) DUREE DE LA DETENTION PROVISOIRE, (Art. 5-3) LIBERE PENDANT LA PROCEDURE, (Art. 5-4) CONTROLE A BREF DELAI, (Art. 5-4) CONTROLE DE LA LEGALITE DE LA DETENTION


Parties
Demandeurs : LEDERER
Défendeurs : ALLEMAGNE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-05-22;6213.03 ?
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