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21/06/2006 | CEDH | N°1513/03

CEDH | AFFAIRE DRAON c. FRANCE


GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE DRAON c. FRANCE
(Requête no 1513/03)
ARRÊT
(Satisfaction équitable – Radiation)
STRASBOURG
21 juin 2006
En l’affaire Draon c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Luzius Wildhaber, président,   Christos Rozakis,   Jean-Paul Costa,   Nicolas Bratza,   Giovanni Bonello,   Lucius Caflisch,   Loukis Loucaides,   Corneliu Bîrsan,   Peer Lorenzen,   Karel Jungwiert,   Volodymyr Butkevych,   András Baka,   Mindia Ug

rekhelidze,   Vladimiro Zagrebelsky,   Khanlar Hajiyev,   Renate Jaeger,   Danutė Jočienė, juges,  et de Lawr...

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE DRAON c. FRANCE
(Requête no 1513/03)
ARRÊT
(Satisfaction équitable – Radiation)
STRASBOURG
21 juin 2006
En l’affaire Draon c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Luzius Wildhaber, président,   Christos Rozakis,   Jean-Paul Costa,   Nicolas Bratza,   Giovanni Bonello,   Lucius Caflisch,   Loukis Loucaides,   Corneliu Bîrsan,   Peer Lorenzen,   Karel Jungwiert,   Volodymyr Butkevych,   András Baka,   Mindia Ugrekhelidze,   Vladimiro Zagrebelsky,   Khanlar Hajiyev,   Renate Jaeger,   Danutė Jočienė, juges,  et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 juin 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 1513/03) dirigée contre la République française et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Lionel Draon et Mme Christine Draon (« les requérants »), ont saisi la Cour le 2 janvier 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants ont été représentés par Me F. Nativi et Me H. Rousseau-Nativi, avocats à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3.  Faisant suite au dessaisissement de la chambre à laquelle la requête avait été initialement attribuée, la Cour (Grande Chambre) a rendu un arrêt le 6 octobre 2005 (« l’arrêt au principal »). Dans cet arrêt, elle a estimé que l’article 1er de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé avait porté atteinte au droit des requérants au respect de leurs biens. La Cour a relevé en effet que, à la suite de la naissance d’un enfant avec un handicap non décelé pendant la grossesse en raison d’une faute commise dans l’établissement du diagnostic prénatal, les requérants avaient introduit une demande de réparation du préjudice subi devant les juridictions nationales. Eu égard au régime de responsabilité interne pertinent, et compte tenu notamment d’une jurisprudence constante des juridictions administratives, les requérants pouvaient légitimement espérer obtenir réparation de leur préjudice, y compris les charges particulières découlant du handicap de leur enfant. Or la loi du 4 mars 2002 susmentionnée, applicable aux instances en cours, intervint dans celle des requérants et exclut la prise en compte des « charges particulières » dans le cadre de la réparation du préjudice. La Cour a considéré que la loi critiquée a privé les requérants, sans indemnisation adéquate, d’une partie substantielle de leurs créances en réparation, leur faisant ainsi supporter une charge spéciale et exorbitante. Par conséquent, les requérants ont été victimes d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1 (Draon c. France [GC], no 1513/03, §§ 78 à 86, 6 octobre 2005).
Compte tenu de ce constat de violation, la Cour n’a pas jugé nécessaire d’examiner le grief des requérants tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.
Par ailleurs, eu égard aux circonstances particulières de l’affaire ainsi qu’au raisonnement qui l’a conduite à constater une violation de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour n’a pas estimé nécessaire d’examiner séparément le grief des requérants sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.
La Cour n’a constaté de violation ni de l’article 13 ni de l’article 8 de la Convention, et ce en admettant même que l’article 8 soit applicable.
Quant au grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, la Cour a constaté qu’il sortait du champ d’examen de l’affaire telle qu’elle avait été déférée à la Grande Chambre (Draon, précité, §§ 91, 95, 97 à 99, 105 à 117).
Enfin, la Cour a alloué aux requérants la somme de 15 244 euros (EUR) pour les frais et dépens exposés par eux jusque-là dans la procédure devant elle.
4.  En vertu de l’article 41 de la Convention, les requérants alléguaient avoir subi un préjudice matériel correspondant aux sommes qu’ils auraient perçues en l’état du droit antérieur à la loi du 4 mars 2002. Ils demandaient, justificatifs à l’appui, une somme totale de 5 615 069,63 EUR. En outre, les requérants demandaient 12 000 EUR en réparation du préjudice moral résultant des violations de la Convention dont ils se plaignaient.
5.  En ce qui concerne la somme à octroyer aux requérants pour tout dommage matériel ou moral résultant de la violation constatée, la Cour dit dans l’arrêt au principal que la question de l’application de l’article 41 ne se trouvait pas en état, et la réserva. Elle invita le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur la question et, en particulier, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient parvenir (Draon, précité, §§ 119 à 122 et point 7 du dispositif).
6.  Par des lettres du 6 avril 2006, le Gouvernement et les requérants informèrent la Cour de ce que les parties étaient parvenues à un accord au titre de la satisfaction équitable.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7.  Les requérants sont nés respectivement en 1961 et 1962 et résident à Rosny-sous-Bois.
8.  Au printemps 1996, la requérante débuta sa première grossesse. La seconde échographie, pratiquée au cinquième mois de grossesse, permit de déceler une anomalie dans le développement du fœtus.
9.  Le 20 août 1996, une amniocentèse fut pratiquée à l’hôpital Saint-Antoine, dépendant de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le liquide prélevé fut confié pour analyse au laboratoire de cytogénétique de l’établissement (service du professeur T.), avec demande de caryotype et enzyme digestive. En septembre 1996, T. informa les requérants que les résultats de l’amniocentèse montraient « une formule chromosomique fœtale masculine sans anomalie décelée ».
10.  R. naquit le 10 décembre 1996. Très rapidement, des anomalies multiples furent constatées, notamment un défaut d’évolution psychomotrice. Les examens pratiqués permirent de conclure à une cardiopathie congénitale due à une « anomalie chromosomique ».
11.  Alerté, T. reconnut l’erreur de diagnostic commise par son service, l’anomalie étant déjà à l’époque de l’amniocentèse tout à fait décelable. Il précisa : « concernant l’enfant Draon R. (...) nous sommes au regret de dire qu’il existait effectivement une asymétrie entre les deux chromosomes 11 du fœtus, anomalie ou particularité qui a échappé à notre attention. »
12.  Selon les rapports médicaux, R. présente des malformations cérébrales causant des troubles graves, une infirmité majeure et une invalidité totale et définitive, ainsi qu’une cassure de la croissance pondérale. Cela implique la nécessité d’organiser une vie matérielle pour son entretien, sa surveillance et son éducation, incluant des soins spécialisés et non spécialisés permanents.
13.  Le 10 décembre 1998, les requérants adressèrent à l’AP-HP une réclamation tendant à l’indemnisation des préjudices subis du fait du handicap de R.
14.  Par une lettre du 8 février 1999, l’AP-HP répondit qu’elle « n’entend[ait] pas contester sa responsabilité dans cette affaire », mais invita les requérants à « saisir d’un recours le tribunal administratif de Paris, qui dans sa sagesse, procédera à l’évaluation des préjudices indemnisables ».
15.  Le 29 mars 1999, les requérants saisirent le tribunal administratif de Paris d’une requête introductive d’instance au fond dirigée contre l’AP-HP et demandant l’évaluation des préjudices subis.
16.  Parallèlement, les requérants saisirent le juge des référés du même tribunal d’une demande tendant à la désignation d’un expert et à l’allocation d’une provision.
17.  Par une ordonnance rendue le 10 mai 1999, le juge des référés du tribunal administratif de Paris alloua aux requérants une première provision de 250 000 francs français (FRF) (38 112,25 EUR) et désigna un expert. Il releva notamment que :
« l’[AP-HP] ne conteste pas que l’absence de diagnostic de l’anomalie chromosomique dont est atteint le jeune R. engage sa responsabilité ; (...) eu égard au préjudice moral, aux troubles dans les conditions d’existence et aux charges particulières qui résultent pour les époux Draon de l’infirmité de leur enfant, l’obligation de l’[AP-HP] envers les intéressés peut être regardée, en l’état de l’instruction, comme non sérieusement contestable pour un montant de 250 000 francs. »
18.  L’expert déposa son rapport le 16 juillet 1999 et confirma la gravité de l’état de santé de R.
19.  Le 14 décembre 1999, les requérants, par un mémoire complémentaire au fond, demandèrent au tribunal administratif d’évaluer le quantum de l’indemnisation devant être mise à la charge de l’AP-HP.
20.  Le mémoire en réponse de l’AP-HP fut enregistré le 19 juillet 2000. Les requérants versèrent ensuite aux débats un mémoire en réplique ainsi que de nouvelles pièces concernant les aménagements domotiques et les appareillages rendus nécessaires par l’état de santé de R.
21.  Par ailleurs, ils saisirent le juge des référés d’une nouvelle requête aux fins d’allocation d’une provision. Par une ordonnance du 11 août 2001, le juge des référés du tribunal administratif de Paris alloua aux requérants une provision complémentaire de 750 000 FRF (114 336,76 EUR) « compte tenu de la gravité des troubles dont demeur[ait] atteint le jeune R. et des coûts élevés occasionnés par son éducation et son entretien depuis 1996 ».
22.  Après plusieurs relances verbales et écrites de la part des requérants, le tribunal administratif de Paris les informa de l’inscription de l’affaire à l’audience du 19 mars 2002.
23.  Le 5 mars 2002, la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (ci-après « la loi du 4 mars 2002 ») fut publiée au Journal officiel de la République française. L’article 1er de cette loi, applicable aux instances en cours, intervint dans le cadre de celle des requérants.
24.  Par une lettre du 15 mars 2002, le tribunal administratif de Paris informa les requérants du report de l’audience à une date ultérieure et leur indiqua que la décision était susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office, tiré de l’incidence sur la requête de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002.
25.  Par un jugement rendu le 3 septembre 2002, le tribunal administratif de Paris, faisant suite à une observation formulée par le commissaire du Gouvernement, sursit à statuer et saisit le Conseil d’Etat d’une demande d’avis portant sur l’interprétation des dispositions de la loi du 4 mars 2002 et leur compatibilité avec les conventions internationales.
26.  Le 6 décembre 2002, le Conseil d’Etat rendit un avis contentieux dont le texte figure dans l’arrêt au principal (§ 51).
27.  Se fondant sur cet avis, le 2 septembre 2003, le tribunal administratif de Paris statua sur le fond de l’affaire. Il releva d’abord :
« Sur la responsabilité :
(...) considérant que les dispositions de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 en l’absence de dispositions dans la loi prévoyant une entrée en vigueur différée sont applicables dans les conditions du droit commun à la suite de la publication de la loi au Journal officiel de la République française ; que le régime qu’elle définit décidé par le législateur pour des motifs d’intérêt général, tenant à des raisons d’ordre éthique, à la bonne organisation du système de santé et au traitement équitable de l’ensemble des personnes handicapées, n’est incompatible ni avec les stipulations de l’article 6 de la Convention (...) ni avec celles des articles 5, 8, 13 et 14 de cette Convention, ni avec celles de l’article 1er du premier Protocole additionnel à [la] Convention (...) ; qu’enfin les motifs d’intérêt général que le législateur a pris en compte pour édicter les règles des trois premiers alinéas du I justifient leur application aux situations apparues antérieurement aux instances en cours ; qu’il suit de là que lesdites dispositions sont applicables à la présente instance introduite le 29 mars 1999 ;
Considérant que le juge administratif n’est pas juge de la constitutionnalité des lois ; que, par suite, les conclusions par lesquelles [les requérants] demandent au tribunal de vérifier la constitutionnalité de la loi du 4 mars 2002 précitée doivent être rejetées ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’il a été proposé à M. et Mme Draon, à cinq mois de grossesse de celle-ci, un caryotype du fœtus après amniocentèse avec interruption volontaire de grossesse en cas d’anomalie chromosomique décelable, en raison d’un défaut manifeste de croissance constaté lors d’une échographie ; que M. et Mme Draon décident alors de réaliser ce caryotype à l’hôpital Saint-Antoine qui les informera le 13 septembre 1996 qu’aucune anomalie de la formule chromosomique fœtale masculine n’a été décelée ; que toutefois, rapidement après la naissance survenue le 10 décembre 1996, une I.R.M. révèle une malformation cérébrale grave due à une anomalie cariotypique ;
Considérant, qu’il ressort du rapport de l’expert nommé par le tribunal que cette anomalie était tout à fait décelable ; que, par suite, l’[AP-HP] a commis une faute caractérisée ayant privé M. et Mme Draon de la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique, ouvrant droit à réparation en application de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002. »
28.  Le tribunal procéda ensuite en ces termes à l’évaluation du préjudice subi par les requérants :
« (...) en premier lieu, (...) les sommes demandées au titre des soins non spécialisés et des frais spécifiques non pris en charge par la sécurité sociale ainsi que les frais de construction d’une maison adaptée aux besoins de l’enfant avec un certain nombre d’aménagements domotiques et d’achat d’un véhicule spécialement adapté sont relatives à des charges particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant de son handicap et ne peuvent, par suite, engager la responsabilité de l’[AP-HP] ;
(...) en second lieu, (...) M. et Mme Draon subissent un préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence notamment professionnels, très importants eu égard à la modification profonde et durable de leur vie du fait de la naissance d’un enfant gravement handicapé ; (...) ces deux chefs de préjudice doivent être évalués dans les circonstances de l’espèce à la somme de 180 000 euros ;
(...) enfin (...), si M. et Mme Draon soutiennent qu’ils ne peuvent plus se rendre en vacances dans un bien acheté en Espagne, ils ne sont pas privés du droit d’user de ce bien ; (...) par suite, il y a lieu de rejeter leur demande tendant à être indemnisé de la perte de jouissance d’un bien immobilier ; (...) »
29.  Le tribunal conclut en condamnant l’AP-HP à payer aux requérants la somme de 180 000 EUR sous déduction des provisions versées, ladite somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable le 14 décembre 1998, avec capitalisation des intérêts échus à la date du 14 décembre 1999 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. L’AP-HP fut également condamnée à payer aux requérants la somme de 3 000 EUR au titre des frais non compris dans les dépens, et à prendre en charge les frais de l’expertise ordonnée par le président du tribunal.
30.  Le 3 septembre 2003, les requérants ont interjeté appel de ce jugement. L’appel est actuellement pendant devant la cour administrative d’appel de Paris.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
31.  Il est fait référence à l’arrêt au principal (§§ 36 à 58).  EN DROIT
32.  Le 10 mai 2006, les requérants firent parvenir au greffe le texte d’un protocole d’accord, signé par les représentants des parties, qui se lit ainsi :
« PROTOCOLE D’ACCORD
Entre d’une part,
L’Etat, représenté par Monsieur Xavier BERTRAND, Ministre de la Santé et des Solidarités (...)
L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, établissement public de santé (...)
Et d’autre part,
Monsieur et Madame DRAON (...)
Les signataires du présent protocole étant ci-après dénommés « les parties »,
IL A ÉTÉ PRÉALABLEMENT EXPOSÉ CE QUI SUIT :
Madame DRAON a débuté une grossesse en 1996.
La première échographie était normale mais lors de la deuxième, à cinq mois, il a été constaté un défaut de croissance du fœtus. Il a alors été proposé à Monsieur et Madame DRAON d’établir un caryotype du fœtus après amniocentèse.
Ce caryotype a été effectué à l’hôpital Saint-Antoine, établissement dépendant de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.
Le caryotype a été déclaré normal, la grossesse poursuivie et la naissance a eu lieu le 10 décembre 1996.
Des anomalies sont rapidement apparues. Une IRM et un caryotype ont été réalisés. L’IRM a révélé une grave malformation cérébrale et le caryotype a mis en évidence une anomalie caractérisée par une duplication centromérique du chromosome 11.
Monsieur et Madame DRAON ont alors adressé une réclamation à l’AP-HP le 10 décembre 1998 tendant à obtenir la réparation intégrale des préjudices subis consécutivement à l’interprétation erronée du caryotype commise au sein du Laboratoire d’Embryologie Pathologique et de Cytogénétique de l’hôpital Saint-Antoine.
Par une décision en date du 8 février 1999, l’AP-HP a reconnu sa responsabilité et a suggéré aux époux DRAON de saisir le Tribunal Administratif de Paris d’un référé afin de procéder à l’évaluation des préjudices indemnisables. Ce qu’ils ont fait le 29 mars 1999.
Parallèlement, Monsieur et Madame DRAON ont introduit une procédure au fond devant le Tribunal Administratif de Paris.
Dans un jugement du 2 septembre 2003, le Tribunal Administratif de Paris a rappelé les termes de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, lequel indique : « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance (...) lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation ».
Il a été jugé que l’anomalie du caryotype était tout à fait décelable et constituait une faute caractérisée ouvrant droit à réparation dans les conditions prévues à l’article 1er de la loi du 4 mars 2002.
Le Tribunal a condamné l’AP-HP à indemniser Monsieur et Madame DRAON au titre du préjudice moral et des troubles dans leurs conditions d’existence, notamment professionnels mais a écarté les demandes d’indemnisation formées par les intéressés au titre des charges particulières découlant du handicap de leur enfant.
En exécution de ce jugement, l’AP-HP a versé à Monsieur et Madame DRAON une somme de 196 793,75 euros (180 000 + 16 793,75 d’intérêts).
Monsieur et Madame DRAON ont interjeté appel de la décision du Tribunal Administratif de Paris auprès de la Cour Administrative d’Appel de Paris, le 23 octobre 2003.
Aux termes de leur requête, Monsieur et Madame DRAON ont précisé que les dispositions de la loi du 4 mars 2002 étaient inapplicables à la présente espèce et ont sollicité l’indemnisation de l’ensemble des préjudices subis du fait de l’erreur d’interprétation du caryotype.
Par ailleurs, le 10 janvier 2003, Monsieur et Madame DRAON ont déposé une requête devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Cette requête mettait directement en cause la conformité à la Convention de l’article 1er de la loi 2002-303 du 4 mars 2002, relative à la responsabilité médicale à raison de la naissance d’un enfant handicapé.
Le 6 octobre 2005, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France dans la mesure où l’effet rétroactif de la loi a privé les requérants, sans indemnisation raisonnablement proportionnée, d’une partie substantielle de leurs créances en réparation.
Dans son arrêt, la Grande Chambre de la Cour a estimé que « Les considérations liées à l’éthique, à l’équité et à la bonne organisation du système de santé mentionnées par le Conseil d’Etat dans son avis contentieux du 6 décembre 2002 et invoquées par le Gouvernement ne pouvaient pas, en l’espèce, légitimer une rétroactivité dont l’effet a été de priver les requérants, sans indemnisation adéquate, d’une partie substantielle de leurs créances en réparation, leur faisant ainsi supporter une charge spéciale et exorbitante » [paragraphe 85].
Dans son arrêt du 6 octobre 2005, la Cour européenne des Droits de l’Homme a invité les parties à trouver une solution négociée.
Il convient ainsi de réparer les préjudices subis par les époux DRAON du fait des fautes de l’AP-HP et du caractère rétroactif de la loi litigieuse.
Les parties se sont rapprochées et ont décidé de mettre un terme à leur litige.
EN CONSÉQUENCE DE QUOI IL A ÉTÉ CONVENU ET ARRÊTÉ CE QUI SUIT :
Article 1 :
Conformément aux préconisations de la Cour, le présent protocole a pour objet d’accorder une satisfaction équitable aux époux DRAON et de mettre fin aux litiges qui les opposent à l’Etat et à l’AP-HP en raison des préjudices qu’ils ont subis du fait des fautes de l’AP-HP et de la portée rétroactive de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002.
Article 2 : Indemnisation
L’indemnisation proposée à Monsieur et Madame DRAON en réparation des préjudices subis est de 2 131 018 EUR (deux millions cent trente et un mille dix-huit euros), soit :
1 428 540 EUR, capital versé au titre de l’entretien de l’enfant, tout au long de sa vie, par les parents ;
702 478 EUR au titre de tous les autres chefs de préjudice.
La somme de 2 131 018 EUR porte intérêts à compter du 14 décembre 1998. Les intérêts échus à la date du 14 décembre 1999 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts et arrêtés à la date du 31 mars 2006.
Les intérêts moratoires et les intérêts capitalisés arrêtés au 31 mars 2006 s’élèvent ainsi à la somme de 541 768,02 EUR (cinq cent quarante et un mille sept cent soixante-huit euros et deux centimes).
Le montant de l’indemnisation, tous intérêts compris, s’élève donc à la somme de 2 672 786,02 EUR (deux millions six cent soixante-douze mille sept cent quatre-vingt-six euros et deux centimes).
De ce montant, il convient de retirer les sommes versées aux époux DRAON à la suite du jugement du tribunal administratif de Paris du 2 septembre 2003, soit 196 793,75 EUR (cent quatre-vingt-seize mille sept cent quatre-vingt-treize euros et soixante-quinze centimes).
Ainsi, après avoir ajouté la somme de 12 121 EUR (douze mille cent vingt et un euros), demandée à la Cour européenne des Droits de l’Homme par les époux DRAON au titre de l’indemnisation du préjudice moral supporté par eux du fait de la loi du 4 mars 2002 (12 000 EUR + 121 EUR d’intérêts courant du 6 octobre 2005, date de l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, jusqu’au 31 mars 2006), le montant total et définitif de l’indemnisation qui sera versée à Monsieur et Madame DRAON s’élève à la somme de 2 488 113,27 EUR (deux millions quatre cent quatre-vingt-huit mille cent treize euros et vingt-sept centimes).
Cette indemnité est exclusive de toute autre forme de réparation au profit de Monsieur et Madame DRAON pour les mêmes préjudices.
Article 3 : Renonciations
En contrepartie du paiement de la somme transactionnelle prévue à l’article 2, Monsieur et Madame DRAON, s’engagent à se désister de leur requête déposée à l’encontre de l’AP-HP (req. no 03PA04057) devant la Cour administrative d’appel de Paris. De plus, ils informeront la CEDH qu’ils ont obtenu une satisfaction équitable et qu’ils se désistent de toutes autres prétentions indemnitaires à l’encontre de l’Etat français devant cette Cour.
Article 4 : Caractère transactionnel
Le présent Protocole est régi par le droit français et constitue une transaction au sens des articles 2044 et suivants du Code Civil.
Le présent Protocole a autorité de chose jugée selon l’article 2052 du Code Civil.
Article 5 : Règlement
Le paiement de la somme due aux termes de la présente transaction sera effectué par virement bancaire ou postal de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris au profit de Monsieur et Madame DRAON dans un délai de 45 jours à compter de la date de réception du présent protocole d’accord par l’AP-HP, dûment signé des parties. Monsieur et Madame DRAON adresseront à cette fin un relevé d’identité bancaire ou postal à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.
Le comptable assignataire de la dépense est Monsieur le Trésorier-payeur général près l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (...) »
33.  La Cour prend acte de cet accord. Elle note qu’il a pour objectif de mettre fin au litige. Elle note également que la transaction ainsi conclue prévoit le paiement aux requérants d’une indemnisation en réparation des préjudices matériel et moral subis et qu’en contrepartie ils se désistent de toutes autres prétentions indemnitaires à l’encontre de l’Etat français devant la Cour, ainsi que de la requête déposée à l’encontre de l’AP-HP devant la cour administrative d’appel de Paris.
34.  Ayant examiné les termes de l’accord intervenu, la Cour considère que celui-ci est équitable au sens de l’article 75 § 4 du règlement de la Cour et qu’il s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement).
35.  Partant, il y a lieu de rayer le restant de l’affaire du rôle (articles 37 § 1 b) de la Convention et 43 § 3 du règlement).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Prend acte des termes de l’accord intervenu entre les parties et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements qui y sont énoncés (article 43 § 3 du règlement) ;
2.  Décide de rayer le restant de l’affaire du rôle.
Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 21 juin 2006, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early Luzius Wildhaber   Greffier Président
ARRÊT DRAON c. FRANCE (SATISFACTION ÉQUITABLE)
ARRÊT DRAON c. FRANCE (SATISFACTION ÉQUITABLE) 


Type d'affaire : Arrêt (Radiation du rôle)
Type de recours : Radiation du rôle (solution du litige)

Analyses

(Art. 37-1-b) LITIGE RESOLU


Parties
Demandeurs : DRAON
Défendeurs : FRANCE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (grande chambre)
Date de la décision : 21/06/2006
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 1513/03
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-06-21;1513.03 ?

Source

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