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03/10/2006 | CEDH | N°543/03

CEDH | AFFAIRE McKAY c. ROYAUME-UNI


GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE McKAY c. ROYAUME-UNI
(Requête no 543/03)
ARRÊT
STRASBOURG
3 octobre 2006
En l’affaire McKay c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Christos Rozakis, président,
Jean-Paul Costa,
Nicolas Bratza,
Peer Lorenzen,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Nina Vajić,
Matti Pellonpää,
Rait Maruste,
Kristaq Traja,
Snejana Botoucharova,
Javier Borrego Borrego,
Ljiljana Mijović,
Egbert Myje

r,
Sverre Erik Jebens,
Ján Šikuta,
Ineta Ziemele, juges,  et de Vincent Berger, greffier f.f.,
Après en avoir délibér...

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE McKAY c. ROYAUME-UNI
(Requête no 543/03)
ARRÊT
STRASBOURG
3 octobre 2006
En l’affaire McKay c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Christos Rozakis, président,
Jean-Paul Costa,
Nicolas Bratza,
Peer Lorenzen,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Nina Vajić,
Matti Pellonpää,
Rait Maruste,
Kristaq Traja,
Snejana Botoucharova,
Javier Borrego Borrego,
Ljiljana Mijović,
Egbert Myjer,
Sverre Erik Jebens,
Ján Šikuta,
Ineta Ziemele, juges,  et de Vincent Berger, greffier f.f.,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 juin et le 13 septembre 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 543/03) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mark McKay (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 décembre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant a été représenté par Me P. McDermott, avocat au barreau de Belfast. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. J. Grainger, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.
3.  Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaignait que le magistrat devant lequel il avait été traduit après son arrestation n’eût pas eu le pouvoir d’ordonner sa mise en liberté provisoire.
4.  La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour. Elle a été déclarée recevable par une chambre de ladite section, composée des juges Josep Casadevall, Nicolas Bratza, Matti Pellonpää, Rait Maruste, Kristaq Traja, Ljiljana Mijović et Ján Šikuta, et de Michael O’Boyle, greffier de section. Le 17 janvier 2006, la chambre s’est dessaisie en faveur de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).
5.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement.
6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur le fond de l’affaire.
7.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 14 juin 2006 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  MM. J. Grainger, agent,   D. Perry,   P. Maguire, conseils,   I. Wimpress,  Mme C. Mersey, conseillers ;
–  pour le requérant  MM. J. Larkin QC,    B. Torrens, conseils,  Me P. McDermott, solicitor.
La Cour a entendu MM. Perry et Larkin en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions des juges.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8.  Le requérant est né en 1983 et réside à Bangor, dans le comté de Down, en Irlande du Nord.
9.  Soupçonné d’avoir commis un vol qualifié dans une station-service à Bangor, il fut arrêté le samedi 6 janvier 2001, à 22 heures. Le dimanche 7 janvier 2001, il reconnut être l’auteur du vol et fut inculpé à 12 h 37.
10.  Le lundi 8 janvier 2001, à 10 heures, il comparut pour la première fois devant la magistrates’ court. Il donna pour instructions à ses solicitors de demander sa mise en liberté provisoire. Un policier déclara devant le tribunal que le vol n’était pas lié au terrorisme et que, sous réserve de conditions adéquates, il n’objecterait pas à la mise en liberté provisoire. Le magistrat détaché (resident magistrate) qui siégeait écarta la demande, indiquant que le requérant était inculpé d’une infraction relevant d’un régime particulier et que lui-même n’était donc pas habilité à ordonner l’élargissement (article 67 § 2 de la loi de 2000 sur le terrorisme (Terrorism Act) et article 3 § 2 de la loi de 1996 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act)).
11.  Le 8 janvier 2001, le requérant sollicita sa mise en liberté provisoire devant la High Court. Le 9 janvier 2001, cette juridiction examina la demande et l’accueillit.
12.  Le 12 avril 2001, le requérant plaida coupable de vol qualifié devant la Crown Court et fut condamné à une peine de deux ans de détention dans un établissement pour délinquants juvéniles, qui serait suivie d’une mise à l’épreuve d’un an.
13.  Dans l’intervalle, le 9 janvier 2001, il présenta une demande de contrôle juridictionnel en vue d’obtenir une déclaration d’incompatibilité de la législation susmentionnée avec les articles 5 et 14 de la Convention.
14.  Le 3 mai 2002, la High Court rejeta la demande. Le juge Kerr s’exprima ainsi :
« Ni le texte de l’article 5 ni la jurisprudence de la CEDH n’exigent que la juridiction devant laquelle une personne arrêtée doit être traduite soit la même que celle qui a le pouvoir d’ordonner la mise en liberté provisoire. La personne arrêtée doit être traduite aussitôt devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Elle doit également avoir la possibilité de demander sa mise en liberté provisoire. Toutefois, il ne faut pas forcément que ces deux droits séparés et distincts puissent être revendiqués en même temps ou devant la même juridiction. Dès lors que la personne arrêtée est aussitôt traduite devant un tribunal habilité à examiner la légalité de sa détention et qu’elle a la possibilité de demander sans retard injustifié à être libérée pendant la procédure, les exigences de l’article 5 § 3 sont remplies.
Le demandeur a été aussitôt traduit devant la magistrates’ court, dans les trente-six heures qui ont suivi son arrestation. Il a automatiquement comparu devant ce tribunal, sans avoir à prendre l’initiative. En outre, le magistrat détaché [resident magistrate] était habilité à contrôler la légalité de la détention de l’intéressé (...) Le magistrat peut vérifier la base légale de la détention. Il doit se convaincre de la légalité de l’arrestation et du maintien en détention. S’il n’y parvient pas, il doit ordonner la libération de la personne détenue. En l’espèce, le demandeur avait donc droit à un examen rapide et automatique par un magistrat compétent de la base légale de son arrestation et de son maintien en détention. Il pouvait de plus prétendre à un examen rapide par un juge de son droit à être libéré pendant la procédure et en a bénéficié. (...) »
15.  Le juge rejeta également les arguments, tirés de l’article 14, selon lesquels les accusés appartenant aux forces de l’ordre étaient traités plus favorablement que d’autres accusés s’agissant de la mise en liberté provisoire, et repoussa la demande d’autorisation d’interjeter appel.
16.  Le 16 mai 2002, la Divisional Court refusa au requérant l’autorisation de se pourvoir devant la Chambre des lords, mais n’en reconnut pas moins comme un point de droit d’intérêt général la question de savoir si la législation était compatible avec la Convention et si l’article 5 exigeait que le tribunal devant lequel un accusé était traduit en vertu de l’article 5 § 3 fût habilité à accorder une mise en liberté provisoire à l’intéressé.
17.  Le 4 décembre 2002, la Chambre des lords refusa au requérant l’autorisation de se pourvoir devant elle.
II.  Le droit et la pratique internes pertinents
A.  Le pouvoir de libérer pendant la procédure une personne accusée d’infractions relevant d’un régime particulier
18.  L’article 67 § 2 de la loi de 2000 sur le terrorisme (Terrorism Act – qui est entrée en vigueur le 19 février 2001) est essentiellement le même que l’article 3 § 2 de la loi de 1996 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act, lequel s’appliquait à l’époque où le requérant a comparu) ; il énonce :
« Sous réserve des paragraphes 6 et 7, une personne à laquelle le présent article s’applique peut uniquement être admise au bénéfice d’une libération pendant la procédure –
a)  par un juge de la High Court ou de la Cour d’appel, ou
b)  par le juge du fond qui ajourne le procès d’une personne accusée d’une infraction relevant d’un régime particulier. »
19.  Depuis 1973, la High Court, la Cour d’appel et le juge du fond sont seuls compétents pour ordonner la libération pendant la procédure en cas d’infractions relevant d’un régime particulier. Cette pratique se fonde sur les dispositions originales de la loi de 1973 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord. Sa raison d’être découle du rapport Diplock (« Rapport de la commission chargée d’examiner les procédures juridiques pour traiter les activités terroristes en Irlande du Nord » (1972, Cmnd. 5185)), lequel avait conclu que les magistrats détachés (resident magistrates) qui examinaient les demandes de libération pendant la procédure étaient particulièrement exposés à des menaces et des actes d’intimidation (à l’époque en question, un magistrat avait été tué par balles et la maison de deux autres avait fait l’objet d’un attentat à la bombe). La loi de 2000 prévoit un examen annuel des dispositions par le Parlement. Des rapports annuels sur le fonctionnement de la législation sont soumis au Parlement à cet effet.
20.  Dans son rapport de 2002, Lord Carlile of Berriew QC, qui procéda à l’étude indépendante, recommanda de redonner aux magistrates’ courts compétence pour examiner les demandes de libération pendant la procédure. Il nota que l’exigence selon laquelle toutes les demandes en cas d’infractions relevant d’un régime particulier devaient être soumises à la High Court avait dans la pratique pour conséquence que certaines personnes qui étaient arrêtées passaient des jours supplémentaires en détention alors que, pour finir, une fraction importante d’entre elles n’étaient pas poursuivies, étaient acquittées ou condamnées à des peines non privatives de liberté. Lord Carlile of Berriew recommanda de conférer cette compétence à un petit nombre de magistrats spécialement formés. Toutefois, dans son rapport de 2004, il releva d’une part que persistait un danger découlant de crimes terroristes sophistiqués et de nombreuses infractions pénales graves ayant un lien étroit avec le terrorisme, ainsi que du crime organisé à connexions paramilitaires qui ne cessait d’augmenter et, d’autre part, que les actes d’intimidation demeuraient légion. Lorsqu’il examina le point de savoir s’il fallait ou non donner aux magistrats détachés le pouvoir de traiter les demandes de libération pendant la procédure, il ne réitéra pas sa recommandation antérieure, faisant observer que, d’un point de vue sécuritaire, de fortes menaces d’actes d’intimidation et de violence pèseraient sur ces magistrats et leurs proches. Il admit toutefois qu’il fallait pouvoir tenir des audiences consacrées aux demandes de mise en liberté provisoire au cours des week-ends. Cette modification fut mise en vigueur immédiatement (paragraphe 23 ci-dessous).
21.  Lorsqu’il implique l’utilisation d’un explosif, d’une arme à feu, d’une arme factice ou de tout autre objet, le vol qualifié est défini au paragraphe 10 b) de l’annexe 9 à la loi de 2000 sur le terrorisme comme une infraction relevant d’un régime particulier.
B.  La procédure relative aux demandes de libération pendant la procédure soumises à la High Court
22.  Cette procédure est exposée dans l’ordonnance no 79 du règlement de la Cour suprême d’Irlande du Nord (Rules of the Supreme Court (Northern Ireland)), qui est complétée par la directive en matière de procédure (Practice Direction) no 1 de 1976. Il est prévu que la High Court siège tous les jours, sauf les samedis et dimanches, aux fins notamment d’examiner les demandes de mise en liberté provisoire. La directive en matière de procédure précise que les documents doivent être déposés avant 11 heures la veille de l’examen des demandes. Depuis octobre 2000, ce délai est prolongé jusqu’à midi et le bureau a pour pratique d’accepter les demandes envoyées par télécopie. Le juge qui connaît des demandes de mise en liberté provisoire examine également s’il y a lieu d’admettre une demande tardive dans une affaire réellement exceptionnelle.
23.  Depuis le 31 janvier 2004, la High Court siège également les samedis pour examiner des demandes de mise en liberté provisoire.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
24.  Le requérant dénonce le fait que le magistrat devant lequel il a été traduit après son arrestation n’avait pas le pouvoir de lui accorder une mise en liberté provisoire. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention, dont le passage pertinent en l’espèce est ainsi libellé :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »
L’article 5 § 1, dans sa partie pertinente en l’espèce, énonce :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction (...) »
A.  Thèses des comparants
1.  Le requérant
25.  Le requérant soutient que rien ne justifie dans la pratique ou sous l’angle de la jurisprudence des institutions de Strasbourg de séparer le pouvoir de contrôler la légalité d’une détention de celui d’ordonner une mise en liberté provisoire, lequel constitue un aspect beaucoup plus concret du contrôle juridictionnel, car dans un grand nombre de cas, lors de la première comparution devant un magistrat, la détention est légale du point de vue formel mais rien ne s’oppose à une mise en liberté provisoire. Le régime particulier prévu pour certaines infractions s’applique à de nombreuses affaires, telles que la sienne, dans lesquelles il n’existe pas même un vague soupçon de lien avec le terrorisme. L’argument avancé à cet égard par le Gouvernement ne repose donc sur aucun fait ni sur une politique. Les actes d’intimidation dont les magistrats risqueraient d’être l’objet dans les affaires de terrorisme ne sauraient logiquement justifier de les dessaisir de leur compétence en matière de mise en liberté provisoire, alors qu’ils demeurent habilités à examiner la légalité d’une détention et à libérer un accusé.
26.  Pour le requérant, le juge devant lequel un accusé est traduit doit jouir de la plénitude de juridiction, et doit avoir compétence pour se prononcer non seulement sur la légalité pure et simple de la détention mais également sur le point de savoir si la détention est objectivement justifiée sur le fond. D’après la jurisprudence de la Cour, le contrôle doit être suffisamment ample pour couvrir les diverses circonstances militant pour et contre la détention. Même si l’examen de la légalité formelle précède logiquement celui du caractère approprié d’une mise en liberté provisoire, il est arbitraire d’interpréter la jurisprudence comme autorisant à soustraire l’examen des mises en liberté provisoire à la compétence du magistrat. L’obligation absolue voulant qu’un détenu comparaisse devant un tel magistrat incombe à l’Etat et la comparution doit intervenir rapidement et automatiquement.
27.  Le requérant estime par conséquent qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 3 en ce que le magistrat n’avait pas le pouvoir d’envisager la mise en liberté provisoire et que lui-même a dû, de sa propre initiative, solliciter une telle libération. Cette exigence peut avoir une incidence particulière pour les détenus les plus vulnérables, tels que les déficients ou malades mentaux, les personnes victimes de mauvais traitements pendant leur détention ou celles qui ne parlent pas la langue employée au tribunal.
2.  Le Gouvernement
28.  Le Gouvernement considère que l’article 5 § 3 vise à l’existence d’une garantie contre la détention arbitraire en exigeant un examen indépendant des raisons de la détention d’un accusé et la libération de l’intéressé si son maintien en détention n’est pas justifié. Le magistrat concerné doit être indépendant et habilité à ordonner l’élargissement. Toutefois, ni le texte de l’article 5 ni la jurisprudence de la Cour ne requièrent que le tribunal devant lequel une personne arrêtée doit être traduite soit le même que celui qui a le pouvoir d’ordonner la mise en liberté provisoire. La personne détenue doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ; elle doit également avoir la possibilité de demander sa mise en liberté provisoire. Seule la première condition doit être automatique. La seconde, celle qui est liée à la mise en liberté provisoire, n’entre en jeu que lorsque l’arrestation et la détention sont légales et ne fait pas forcément partie du contrôle automatique à bref délai du bien-fondé.
29.  Pour le Gouvernement, l’article 5 § 3 a donc été observé dans le cas du requérant. Le magistrat pouvait examiner la base légale de la détention de l’intéressé et devait s’assurer que l’arrestation et la privation de liberté étaient régulières et donc dépourvues d’arbitraire ; s’il n’avait pas réussi à se forger une telle conviction, il aurait dû ordonner la libération du requérant. Dès lors, celui-ci a bénéficié aussitôt d’un examen par un juge de la base légale de son arrestation et de son maintien en détention. Il avait également la possibilité d’obtenir, et a d’ailleurs obtenu, un examen rapide par un juge de la High Court de son droit à être libéré pendant la procédure. Invoquant la marge d’appréciation, le Gouvernement conclut que la législation assure un juste équilibre entre les droits de l’individu et les impératifs de la défense de la société contre le danger persistant que représentent la criminalité terroriste et les manœuvres d’intimidation de grande envergure, et se concilie pleinement avec l’objectif poursuivi par la Convention en ce qu’elle promeut la prééminence du droit.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
30.  Avec les articles 2, 3 et 4, l’article 5 de la Convention figure parmi les principales dispositions garantissant les droits fondamentaux qui protègent la sécurité physique des personnes (voir, par exemple, le lien de cette disposition avec les articles 2 et 3 dans les affaires relatives à des disparitions, par exemple Kurt c. Turquie, 25 mai 1998, § 123, Recueil des arrêts et décisions 1998-III) et, en tant que tel, revêt une importance primordiale. Il a essentiellement pour but de protéger l’individu contre une privation de liberté arbitraire ou injustifiée (voir, par exemple, Loukanov c. Bulgarie, 20 mars 1997, § 41, Recueil 1997-II, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 171, CEDH 2004-II, et Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 461, CEDH 2004-VII). Trois grands principes en particulier ressortent de la jurisprudence de la Cour : les exceptions, dont la liste est exhaustive, appellent une interprétation étroite (voir, par exemple, Ciulla c. Italie, 22 février 1989, § 41, série A no 148) et ne se prêtent pas à l’importante série de justifications prévues par d’autres dispositions (les articles 8 à 11 de la Convention en particulier) ; la régularité de la détention sur laquelle l’accent est mis de façon répétée du point de vue tant de la procédure que du fond, et qui implique une adhésion scrupuleuse à la prééminence du droit (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33) ; et l’importance de la rapidité ou de la célérité des contrôles juridictionnels requis (en vertu de l’article 5 §§ 3 et 4).
31.  L’article 5 § 3, en tant qu’il s’inscrit dans ce cadre de garanties, vise structurellement deux aspects distincts : les premières heures après une arrestation, moment où une personne se retrouve aux mains des autorités, et la période avant le procès éventuel devant une juridiction pénale, pendant laquelle le suspect peut être détenu ou libéré, avec ou sans condition. Ces deux volets confèrent des droits distincts et n’ont apparemment aucun lien logique ou temporel (T.W. c. Malte [GC], no 25644/94, § 49, 29 avril 1999).
a)  L’arrestation
32.  Concernant la phase initiale de détention visée à la première phrase, la jurisprudence de la Cour établit qu’il faut protéger par un contrôle juridictionnel la personne arrêtée ou détenue parce que soupçonnée d’avoir commis une infraction. Un tel contrôle doit fournir des garanties effectives contre le risque de mauvais traitements, qui est à son maximum durant cette phase initiale de détention, et contre un abus par des agents de la force publique ou une autre autorité des pouvoirs qui leur sont conférés et qui doivent s’exercer à des fins étroitement limitées et en stricte conformité avec les procédures prescrites. Le contrôle juridictionnel doit répondre aux exigences suivantes.
i.  Promptitude
33.  Le contrôle juridictionnel lors de la première comparution de la personne arrêtée doit avant tout être rapide car il doit permettre de détecter tout mauvais traitement et de réduire au minimum toute atteinte injustifiée à la liberté individuelle. La stricte limite de temps imposée par cette exigence ne laisse guère de souplesse dans l’interprétation, sinon on mutilerait, au détriment de l’individu, une garantie procédurale offerte par cet article et l’on aboutirait à des conséquences contraires à la substance même du droit protégé par lui (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 62, série A no 145-B, la Cour ayant jugé dans cette affaire que des périodes de détention de plus de quatre jours sans comparution devant un juge emportaient violation de l’article 5 § 3, même dans le contexte spécial d’enquêtes sur des infractions terroristes).
ii.  Caractère automatique du contrôle
34.  Le contrôle doit être automatique et ne peut être rendu tributaire d’une demande formée par la personne détenue. A cet égard, la garantie offerte est distincte de celle prévue par l’article 5 § 4 qui donne à la personne détenue le droit de demander sa libération. Le caractère automatique du contrôle est nécessaire pour atteindre le but de ce paragraphe, étant donné qu’une personne soumise à des mauvais traitements pourrait se trouver dans l’impossibilité de saisir le juge d’une demande de contrôle de la légalité de sa détention ; il pourrait en aller de même pour d’autres catégories vulnérables de personnes arrêtées, telles celles atteintes d’une déficience mentale ou celles qui ne parlent pas la langue du magistrat (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 49, CEDH 1999-III).
iii.  Les caractéristiques et pouvoirs du magistrat
35.  Le magistrat doit présenter les garanties requises d’indépendance de l’exécutif et des parties, et doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 146, Recueil 1998-VIII). Concernant la portée de ce contrôle, la formulation à la base de la jurisprudence constante de la Cour remonte à l’affaire Schiesser c. Suisse (4 décembre 1979, § 31, série A no 34) :
« A cela s’ajoutent, d’après l’article 5 § 3, une exigence de procédure et une de fond. A la charge du « magistrat », la première comporte l’obligation d’entendre personnellement l’individu traduit devant lui (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Winterwerp précité, p. 24, § 60) ; la seconde, celle d’examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d’ordonner l’élargissement (arrêt Irlande c. Royaume-Uni, [18 janvier 1978, série A no 25], p. 76, § 199). »
Plus récemment, la Cour a exprimé ce principe ainsi : « [e]n d’autres termes, l’article 5 § 3 exige que le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détention » (T.W. c. Malte et Aquilina, précités, respectivement § 41 et § 47).
36.  Toutefois, l’examen de ces affaires ne permet pas de conclure que le contrôle doit systématiquement englober la question de la libération, assortie ou non de conditions, pendant la procédure pour des raisons autres que celles se rapportant à la régularité de la détention ou à l’existence de motifs plausibles de soupçonner que l’intéressé a commis une infraction. L’arrêt Schiesser précité ne fait pas mention de la mise en liberté provisoire et, bien qu’il renvoie à l’arrêt Irlande c. Royaume-Uni (18 janvier 1978, § 199, série A no 25) quant à la déclaration générale de principe citée plus haut, qui semble de prime abord susceptible d’englober des considérations comme la mise en liberté provisoire, cet arrêt Irlande c. Royaume-Uni ne renferme aucun élément permettant de formuler une telle déclaration. La mise en liberté provisoire n’était d’ailleurs pas non plus en cause dans l’affaire Schiesser, qui concernait principalement la question de savoir si le procureur de district présentait les garanties d’indépendance inhérentes à la notion de magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires (Schiesser, précité, §§ 33-35). Rien ne permet donc de dire qu’en parlant des « circonstances qui militent pour ou contre la détention » la Cour ait fait davantage qu’indiquer que le magistrat devait avoir le pouvoir de contrôler la régularité d’une arrestation et d’une détention au regard du droit interne et leur conformité avec les exigences de l’article 5 § 1 c).
37.  S’agissant des affaires maltaises (T.W. c. Malte et Aquilina, précités), les termes « bien-fondé de la détention » doivent être lus dans leur contexte. Dans les deux affaires, les requérants avaient été aussitôt traduits devant un magistrat mais, comme la Cour l’a constaté, ni le magistrat devant lequel les intéressés avaient d’abord comparu ni un quelconque autre magistrat n’avaient le pouvoir d’effectuer d’office un contrôle du respect des exigences de l’article 5 § 1 c). D’après le gouvernement maltais, la libération aurait pu être ordonnée si la personne détenue avait été accusée d’infractions pour lesquelles la loi n’autorisait pas même le placement en détention. Or la Cour a estimé que, quand bien même c’eût été le cas, la portée des pouvoirs de contrôle était clairement insuffisante pour répondre aux exigences du paragraphe 3 de l’article 5, étant donné que, comme le reconnaissait le Gouvernement, le magistrat n’avait pas le pouvoir d’ordonner la libération en l’absence de raisons plausibles de soupçonner que la personne détenue avait commis une infraction. En outre, le fait, invoqué par le Gouvernement, que les requérants auraient pu demander leur mise en liberté provisoire ne satisfaisait pas non plus aux exigences du paragraphe 3 puisque la personne détenue devait d’abord présenter une demande à cet effet, alors que le contrôle juridictionnel de la régularité de la détention et de l’existence d’une base adéquate en vertu du premier membre de phrase du paragraphe 3 doit être automatique.
38.  Cette interprétation des arrêts de Grande Chambre en question se trouve étayée par l’affaire maltaise ultérieure, Sabeur Ben Ali c. Malte (no 35892/97, 29 juin 2000), dans laquelle la Cour, examinant la compatibilité avec l’article 5 § 3 d’une arrestation et d’une détention similaires d’un requérant, a cité le passage pertinent de l’arrêt Aquilina (précité, § 47) et estimé que cette exigence n’avait pas été satisfaite puisque « le requérant n’avait pas pu obtenir une décision automatique d’une autorité judiciaire sur le point de savoir si des soupçons plausibles pesaient sur lui ».
39.  A l’examen, l’affaire S.B.C. c. Royaume-Uni (no 39360/98, 19 juin 2001) n’apparaît pas davantage comme un précédent convaincant autorisant la conclusion qu’un juge doit avoir le pouvoir d’ordonner une mise en liberté provisoire lors de la première comparution obligatoire devant lui d’une personne détenue. Cette affaire concernait la loi de 1994 sur la justice pénale et l’ordre public (Criminal Justice and Public Order Act), qui disposait qu’une personne accusée d’une infraction grave telle que l’homicide volontaire, l’homicide involontaire ou le viol ne pouvait en aucun cas se voir libérée pendant la procédure si elle avait déjà été condamnée pour une infraction similaire. Cette absence de contrôle juridictionnel pendant toute la période de la détention provisoire a été jugée contraire à l’article 5 § 3 de la Convention. Pareille impossibilité de bénéficier d’une mise en liberté provisoire méconnaissait clairement le droit indépendant conféré par le second membre de phrase du paragraphe 3. La Grande Chambre n’est pas en mesure de souscrire à une interprétation selon laquelle les magistrats devraient avoir le pouvoir d’accorder la mise en liberté provisoire à une personne détenue dès sa première comparution après son arrestation.
40.  Le contrôle automatique initial portant sur l’arrestation et la détention doit donc permettre d’examiner les questions de régularité et celle de savoir s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne arrêtée a commis une infraction, c’est-à-dire si la détention se trouve englobée par les exceptions autorisées énumérées à l’article 5 § 1 c). S’il n’en est pas ainsi, ou si la détention est illégale, le magistrat doit avoir le pouvoir d’ordonner la libération.
b)  La période de détention provisoire
41.  Il existe une présomption en faveur de la libération. Comme la Cour l’a dit dans l’affaire Neumeister c. Autriche (27 juin 1968, p. 37, § 4, série A no 8), le deuxième volet de l’article 5 § 3 n’offre pas aux autorités judiciaires une option entre la mise en jugement dans un délai raisonnable et une mise en liberté provisoire. Jusqu’à sa condamnation, la personne accusée doit être réputée innocente et la disposition analysée a essentiellement pour objet d’imposer la mise en liberté provisoire dès que le maintien en détention cesse d’être raisonnable.
42.  La poursuite de la détention ne se justifie donc dans une espèce donnée que si des indices concrets révèlent une véritable exigence d’intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d’innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle fixée à l’article 5 de la Convention (voir, parmi d’autres précédents, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 110 et suiv., CEDH 2000-XI).
43.  Il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que dans une affaire donnée la détention provisoire subie par un accusé n’excède pas une durée raisonnable. A cet effet, il leur faut, en tenant dûment compte du principe de la présomption d’innocence, examiner toutes les circonstances de nature à manifester ou écarter l’existence de ladite exigence d’intérêt public justifiant une dérogation à la règle fixée à l’article 5 et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement au vu des motifs figurant dans lesdites décisions et sur la base des faits non contestés indiqués par l’intéressé dans ses moyens que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 (voir, par exemple, Weinsztal c. Pologne, no 43748/98, § 50, 30 mai 2006).
44.  La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain laps de temps elle ne suffit plus. La Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ils se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle recherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, parmi d’autres précédents, Letellier c. France, 26 juin 1991, § 35, série A no 207, et Yağcı et Sargın c. Turquie, 8 juin 1995, § 50, série A no 319-A).
45.  En résumé, les juridictions internes doivent exercer un contrôle sur le maintien en détention provisoire d’une personne en vue de garantir sa libération lorsque les circonstances ne justifient plus sa privation de liberté. Au moins pendant une période initiale, l’existence de soupçons raisonnables peut justifier la détention, mais vient un moment où ceux-ci ne suffisent plus. Etant donné que le caractère raisonnable d’une période de détention ne peut pas être apprécié dans l’abstrait, mais doit être vérifié dans chaque cas en fonction des particularités de la cause, il n’existe aucune période fixe applicable à chaque affaire.
46.  La Cour n’a pas encore eu l’occasion d’examiner la toute première phase de la détention provisoire dans ce contexte, probablement du fait que, dans la plupart des cas, l’existence de soupçons fournit un motif suffisant pour un placement en détention, et que l’impossibilité de bénéficier d’une mise en liberté provisoire n’est pas véritablement contestable. Cela dit, il doit indubitablement être possible de voir examiner par un juge la question d’une libération pendant la procédure car, même à ce stade, il existe des cas où, eu égard à la nature de l’infraction ou à la situation personnelle de son auteur présumé, la détention cesse d’être raisonnable ou légitimée par des motifs pertinents et suffisants. Il n’y a aucune exigence expresse de « célérité » comme à la première phrase du paragraphe 3 de l’article 5. Cependant, un tel examen, qu’il soit demandé par le requérant ou effectué à l’initiative du juge, doit intervenir rapidement pour que toute privation de liberté injustifiée soit réduite à un minimum acceptable.
47.  Afin que le droit garanti soit concret et effectif, et non pas théorique et illusoire, le magistrat qui procède au premier contrôle automatique de la régularité de la privation de liberté et de l’existence d’un motif de détention devrait également avoir la compétence d’examiner la question d’une mise en liberté provisoire ; non seulement il s’agirait là d’une bonne pratique mais ce serait hautement souhaitable pour réduire les délais au minimum. Toutefois, ce n’est pas une exigence posée par la Convention et il n’y a aucune raison de principe pour que ces questions ne puissent pas être examinées par deux magistrats, dans le laps de temps requis. Quoi qu’il en soit, on ne saurait avancer une interprétation qui voudrait que l’examen d’une mise en liberté provisoire soit conduit à plus bref délai que le premier contrôle automatique, pour lequel la Cour a défini un délai maximum de quatre jours (Brogan et autres, précité).
2.  Application au cas d’espèce
48.  La Cour rappelle que le requérant, soupçonné d’avoir commis un vol qualifié dans une station-service, a été arrêté le 6 janvier 2001, à 22 heures. Il a été inculpé le lendemain à 12 h 37. Le 8 janvier 2001, à 10 heures, il a comparu pour la première fois devant la magistrates’ court qui a ordonné son placement en détention provisoire. Il n’est pas contesté que le magistrat était compétent pour examiner la régularité de l’arrestation et de la détention et l’existence de raisons plausibles de soupçonner le requérant d’avoir commis l’infraction ni qu’il avait de surcroît le pouvoir d’ordonner la libération si ces exigences n’étaient pas remplies. Cela a suffi à fournir des garanties satisfaisantes contre un abus de pouvoir des autorités et à rendre l’examen conforme à la première phrase de l’article 5 § 3, en ce qu’il a été rapide et automatique, et s’est déroulé devant un magistrat dûment habilité.
49.  La question d’une libération pendant la procédure est un problème distinct et séparé, qui n’entre logiquement en ligne de compte qu’après l’établissement de l’existence d’une base légale et d’un motif de détention conforme à la Convention. Dans le cas du requérant, cette question a été examinée environ vingt-quatre heures après, le 9 janvier 2001, par la High Court, qui a ordonné la libération de l’intéressé. Ni le fait que ce soit un autre tribunal ou juge qui ait ordonné cet élargissement ni le fait que l’examen de cette question fût tributaire d’une demande du requérant ne révèlent un élément d’abus ou d’arbitraire. L’avocat du requérant a déposé la demande sans rencontrer d’entrave ou de difficulté ; il n’apparaît pas – et il n’y a d’ailleurs pas lieu de se prononcer sur cette question en l’espèce – que le système en vigueur empêcherait les personnes faibles ou vulnérables de se prévaloir de cette possibilité.
50.  Certes, la police n’avait rien à objecter à la mise en liberté provisoire et si le magistrat avait eu le pouvoir de l’ordonner, le requérant aurait été élargi un jour plus tôt, mais la Cour estime qu’en l’espèce la procédure a été conduite avec la diligence requise, pour aboutir à la libération de l’intéressé environ trois jours après l’arrestation.
51.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 3 octobre 2006.
Vincent Berger Christos Rozakis   Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions suivantes :
–  opinion séparée commune aux juges Rozakis, Tulkens, Botoucharova, Myjer et Ziemele ;
–  opinion séparée du juge Borrego Borrego ;
–  opinion dissidente du juge Jebens.
C.L.R.  V.B.
OPINION SÉPARÉE COMMUNE AUX JUGES ROZAKIS, TULKENS, BOTOUCHAROVA, MYJER ET ZIEMELE
(Traduction)
Même si nous souscrivons à l’issue donnée à l’affaire, nous sommes en désaccord avec le raisonnement qu’a suivi la majorité pour parvenir à cette conclusion.
1.  La Cour a jugé de manière constante que les premiers mots de l’article 5 § 3 ne se contentent pas de prévoir l’accès du détenu à une autorité judiciaire (Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 231, CEDH 2003-VI). Le magistrat doit présenter les garanties requises d’indépendance de l’exécutif et des parties, et doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention (voir, par exemple, Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 146, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII : « (...) [le magistrat] doit avoir le pouvoir d’ordonner de manière contraignante l’élargissement » ; Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 49, CEDH 1999-II, H.B. c. Suisse, no 26899/95, § 55, 5 avril 2001, Chichkov c. Bulgarie, no 38822/97, § 53, CEDH 2003-I, et Rahbar-Pagard c. Bulgarie, nos 45466/99 et 29903/02, § 49, 6 avril 2006).
Quant à la portée de ce contrôle, il est de jurisprudence constante que :
« (...) [Il existe], d’après l’article 5 § 3, une exigence de procédure et une de fond. A la charge du « magistrat », la première comporte l’obligation d’entendre personnellement l’individu traduit devant lui (voir, mutatis mutandis, Winterwerp [c. Pays-Bas, 24 octobre 1979], p. 24, § 60, [série A no 33]) ; la seconde, celle d’examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d’ordonner l’élargissement (Irlande c. Royaume-Uni, [18 janvier 1978], p. 76, § 199, [série A no 25]). » (Schiesser c. Suisse, 4 décembre 1979, § 31, série A no 34)
Plus récemment, la Cour a exprimé ce principe ainsi : « [e]n d’autres termes, l’article 5 § 3 exige que le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détention » (Pantea, précité, § 231 in fine, T.W. c. Malte [GC], no 25644/94, § 41, 29 avril 1999, et Aquilina c. Malte [GC], no 25642/99, § 47, CEDH 1999-III).
Ces passages sont manifestement assez larges pour englober des considérations ayant trait non seulement à la régularité de la détention et à l’existence de raisons plausibles de soupçonner l’individu concerné, comme le requiert l’article 5 § 1 c), mais également à la justification ou à la nécessité du maintien en détention dans les circonstances d’une affaire donnée. 
2.  Cette interprétation se trouve étayée par l’affaire S.B.C. c. Royaume-Uni (no 39360/98, 19 juin 2001) qui constitue un précédent convaincant autorisant la conclusion qu’un juge doit avoir le pouvoir d’ordonner une mise en liberté provisoire lors de la première comparution obligatoire devant lui d’une personne détenue. Cette affaire concernait la loi de 1994 sur la justice pénale et l’ordre public (Criminal Justice and Public Order Act), qui disposait qu’une personne accusée d’une infraction grave telle que l’homicide volontaire, l’homicide involontaire ou le viol ne pouvait en aucun cas se voir libérée pendant la procédure si elle avait déjà été condamnée pour une infraction similaire. Cette absence de contrôle juridictionnel à partir de l’arrestation a été jugée contraire à l’article 5 § 3 de la Convention.
En outre, la jurisprudence de la Cour concernant la durée de la détention provisoire met de manière générale l’accent sur la présomption en faveur d’une libération. Comme la Cour l’a dit pour la première fois dans l’affaire Neumeister c. Autriche (27 juin 1968, p. 37, § 4, série A no 8), la deuxième phrase de l’article 5 § 3 n’offre pas aux autorités judiciaires une option entre la mise en jugement dans un délai raisonnable et une mise en liberté provisoire. Jusqu’à sa condamnation, la personne accusée doit être réputée innocente et la disposition analysée a essentiellement pour objet d’imposer la mise en liberté provisoire dès que le maintien en détention cesse d’être raisonnable (Jablonski c. Pologne, no 33492/96, § 83, 21 décembre 2000). La poursuite de l’incarcération ne se justifie donc dans une espèce donnée que si des indices concrets révèlent une véritable exigence d’intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d’innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle fixée à l’article 5 de la Convention (voir, parmi d’autres précédents, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 110 et suiv., CEDH 2000-XI).
3.  La Cour n’a pas encore eu l’occasion d’examiner la toute première phase de la détention provisoire dans ce contexte, probablement du fait que, dans la plupart des cas, l’existence de soupçons ou d’un risque potentiel d’atteinte au bon déroulement de l’enquête en cours fournit un motif pour un placement en détention, et que l’impossibilité de bénéficier d’une mise en liberté provisoire n’est pas véritablement contestable. Cela dit, il doit indubitablement être possible de voir examiner par un juge, même à ce stade, la question d’une libération pendant la procédure car il existe des cas où, eu égard à la nature de l’infraction, à l’état d’avancement de l’enquête ou à la situation personnelle de l’auteur présumé de l’infraction, la détention cesse d’être raisonnable ou légitimée par des motifs pertinents et suffisants.
Dans ces situations, on sert davantage le but fondamental de la Convention et plus particulièrement de son article 5 § 3 – protéger la liberté individuelle – si on interprète celui-ci comme faisant obligation au juge de libérer une personne détenue soit de sa propre initiative soit à la demande de celle-ci. Une interprétation restrictive du troisième paragraphe qui dénierait au juge exerçant en vertu de cette disposition la compétence de libérer une personne lorsque les circonstances le permettent réduirait à néant l’une des principales garanties de ce paragraphe, à savoir celle visant à réduire au minimum les restrictions illégitimes à la liberté grâce à un contrôle juridictionnel prompt et diligent.
4.  Par conséquent, afin que le droit garanti soit concret et effectif, et non pas théorique et illusoire (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37, dans lequel ce principe directeur d’interprétation de la Convention a été énoncé pour la première fois), le magistrat qui procède au premier contrôle automatique de la régularité de la privation de liberté et de l’existence d’un motif de détention doit avoir pleine juridiction, c’est-à-dire avoir également la compétence d’examiner la question d’une libération, avec ou sans condition.
Si la question de la libération pendant la procédure est donc une question distincte et séparée qui ne devient logiquement pertinente qu’après l’établissement de l’existence d’une base légale et d’un motif de détention prévu par la Convention, elle doit également relever de la compétence d’un magistrat lors de la première comparution automatique d’un détenu devant lui. Donc, selon nous, le juge devant lequel l’individu arrêté comparaît doit en principe non seulement avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement d’un accusé lorsque la détention n’est pas régulière ou lorsqu’il n’y a pas ou plus de raisons plausibles de soupçonner celui-ci, mais aussi lorsqu’il estime que la privation de liberté ne se justifie plus ou n’est plus nécessaire pour d’autres motifs.
5.  A notre avis, le raisonnement que suit la majorité pour conclure qu’il n’y a pas obligation d’envisager automatiquement la question d’une mise en liberté provisoire à la première comparution devant un magistrat, ne se concilie pas avec l’objet même de l’article 5 § 3 de la Convention. Cette disposition vise à protéger, grâce à un contrôle juridictionnel dans les meilleurs délais, un individu qui est arrêté ou détenu parce qu’on le soupçonne d’avoir commis une infraction pénale et à le libérer dès qu’il est établi qu’il n’y a pas – ou plus – de raisons plausibles de le soupçonner qui justifient l’arrestation ou la poursuite de la privation de liberté, qu’il n’y a pas – ou plus – de motifs qui justifient ou commandent la poursuite de la privation de liberté ou que l’on peut aussi réagir par des mesures moins rigoureuses qu’une privation de liberté, par exemple une mise en liberté provisoire. Pour le dire en d’autres termes, la majorité n’insiste pas suffisamment sur le principe qui se dégage du paragraphe 1 combiné avec le paragraphe 3 de l’article 5 : une personne en état d’arrestation a, pendant la procédure, le droit à un contrôle juridictionnel prompt et exhaustif et le droit à se voir libérée immédiatement, à moins qu’il n’existe (encore) des motifs suffisants de la maintenir en détention.
6.  En l’espèce, le requérant – qui était un jeune délinquant –, soupçonné d’avoir commis un vol qualifié dans une station-service, a été arrêté le 6 janvier 2001, à 22 heures. A noter que l’infraction qu’il avait commise ne présentait aucun lien avec une activité terroriste. L’intéressé a été inculpé le lendemain à 12 h 37. Le 8 janvier 2001, à 10 heures, il a comparu pour la première fois devant la magistrates’ court qui a ordonné son placement en détention provisoire. Il n’est pas contesté que le magistrat avait la compétence d’examiner la régularité de l’arrestation et de la détention et l’existence de raisons plausibles de soupçonner le requérant d’avoir commis l’infraction ni qu’il avait de surcroît le pouvoir d’ordonner la libération si ces exigences n’étaient pas satisfaites. Toutefois, le magistrat n’était pas habilité à ordonner la mise en liberté provisoire, bien que la police ou quiconque d’autre n’eût rien à objecter à une telle mesure, de sorte que le requérant a été maintenu en détention, sans aucune justification. Dès lors, à cet égard, la comparution du requérant devant le magistrat n’a pas satisfait aux exigences de l’article 5 § 3 de la Convention.
Il n’en demeure pas moins qu’à la suite de la demande dont il a saisi la High Court et qui a été examinée le 9 janvier 2001, le requérant a été libéré. Cet élargissement étant intervenu moins de trente-six heures après son arrestation, c’est-à-dire dans le délai maximum de quatre jours défini dans l’affaire Brogan et autres c. Royaume-Uni (29 novembre 1988, série A no 145-B), le requérant ne saurait se plaindre de n’avoir pas bénéficié du contrôle juridictionnel requis de la régularité de son arrestation et de sa détention. Dès lors, les exigences de promptitude et de célérité, qui à nos yeux revêtent une importance primordiale, ont été satisfaites. C’est pourquoi nous arrivons à la conclusion qu’en l’espèce il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
OPINION SÉPARÉE DU JUGE BORREGO BORREGO
J’ai voté pour la non-violation. Cependant, à mon avis, cette requête aurait dû être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement (article 35 § 3 de la Convention).
La Grande Chambre pouvait-elle déclarer l’irrecevabilité de cette requête ? Sans aucun doute. Ainsi, dans l’arrêt Azinas c. Chypre, du 28 avril 2004 ([GC], no 56679/00, § 32, CEDH 2004-III) la Grande Chambre a dit que « la Cour [pouvait] revenir sur la décision par laquelle la requête a été déclarée recevable (...) » (§ 32). Plus récemment, dans l’arrêt Blečić c. Croatie, du 8 mars 2006 ([GC], no 59532/00, § 65, CEDH 2006-III), la Grande Chambre a réaffirmé cette possibilité de « réexaminer une décision de recevabilité à tout stade de la procédure (...) » conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.
La composition de la Grande Chambre qui a examiné cette affaire est déterminée par l’article 24 § 2 du règlement et, partant, les membres de la chambre qui s’est dessaisie après avoir déclaré la recevabilité sont également membres de cette Grande Chambre. Par contre, lorsqu’une affaire est renvoyée devant la Grande Chambre selon la procédure établie par l’article 43 de la Convention, la Grande Chambre, conformément à l’article 24 § 2 d) du règlement, ne comprend – sauf exceptions prévues par cet article – aucun juge ayant siégé dans la chambre originaire ayant rendu l’arrêt ou s’étant prononcée sur la recevabilité de la requête.
Par conséquent, il semblerait plus facile de réexaminer la recevabilité de l’affaire lorsque celle-ci est déférée en vertu de l’article 43 de la Convention que lorsque l’affaire est renvoyée devant la Grande Chambre en vertu de l’article 30 de la Convention, car dans ce dernier cas la Grande Chambre comprend également les membres de la chambre qui, après la recevabilité, s’est dessaisie. Toutefois, cette variation dans la composition de la Grande Chambre en fonction de l’origine de son intervention (que je qualifierais peut-être d’incohérente) ne prive pas la Cour de la possibilité de déclarer une requête irrecevable « à tout stade de la procédure ».
Cette requête était-elle clairement irrecevable ? A mon avis, oui.
Comme le rappelle l’arrêt au paragraphe 47, dans l’arrêt Brogan et autres c. Royaume-Uni (29 novembre 1988, série A no 145-B), la Cour avait fixé un délai maximum de quatre jours pour une détention sans comparution devant un juge. Dans le cas d’espèce, moins de trois jours se sont écoulés entre le placement en détention (qui a eu lieu un samedi soir) et l’élargissement décidé par le juge. En général, lorsque le laps de temps est aussi bref, comme dans le cas d’espèce, un comité déclare la requête irrecevable. 
Cependant, dans la présente affaire, la Grande Chambre a décidé de rechercher si le premier juge devant lequel a comparu le requérant avait ou non la compétence d’accorder l’élargissement.
Je souhaiterais soulever deux points. Premièrement, la Cour « ne se trouve pas appelée à examiner in abstracto la législation attaquée ; elle doit se limiter aux circonstances de la cause » (Brogan et autres, précité, § 53). A mon avis, le présent arrêt est justement un exemple d’examen in abstracto de la loi interne.
Deuxièmement, dans un arrêt, le seul raisonnement qui ait force de res judicata est la ratio decidendi. Dans le cas d’espèce, il est évident que la ratio decidendi pour conclure à la non-violation est le court délai entre l’arrestation et la mise en liberté provisoire. Même si le reste de l’arrêt est important, notamment puisqu’il s’agit d’un arrêt de Grande Chambre, tout ce qui ne constitue pas la ratio decidendi n’exprime qu’une opinion et devient superflu. Pareillement, tout en étant d’accord sur l’importance de la procédure, j’estime que le fait de magnifier le volet procédural de façon réitérée, partout et pour tout, risque de faire de la procédure le nouveau veau d’or à adorer. A mon avis, ce serait exagéré.
Il me paraît difficile d’essayer d’expliquer au grand public, au citoyen européen, que la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a concentré toute son attention et tout son temps à l’examen du grief soulevé par un requérant, qui est l’auteur reconnu d’un vol qualifié et a été mis en liberté moins de trois jours après son arrestation. D’où cette opinion séparée.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE JEBENS
(Traduction)
Je marque respectueusement mon désaccord avec la majorité quant à l’ampleur du contrôle prévu par le premier volet de l’article 5 § 3, ainsi qu’avec la minorité pour ce qui est des conséquences qui se rattachent au fait que le magistrat qui a décidé le placement en détention n’avait pas le pouvoir d’ordonner la mise en liberté provisoire. Je m’explique aux paragraphes suivants, d’abord en rappelant les exigences de l’article 5 § 3, puis en mettant l’accent sur certains éléments de fait et enfin en examinant le point de savoir s’il y a eu violation.
L’article 5 § 3 décrit le contrôle initial de la détention en matière pénale dans sa première partie ; il énonce que le « juge ou autre magistrat » devant lequel la personne arrêtée doit être « traduite aussitôt » doit être « habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». Ce libellé implique que le magistrat doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, mais il ne définit pas par lui-même l’ampleur du contrôle. La Cour a toutefois tenté de clarifier celle-ci dans sa jurisprudence. Elle a dit que le magistrat doit examiner « les circonstances qui militent pour ou contre la détention » (Schiesser c. Suisse, 4 décembre 1979, § 31, série A no 34) et « se pencher sur le bien-fondé de la détention » (T.W. c. Malte [GC], no 25644/94, § 41, 29 avril 1999, et Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 47, CEDH 1999-III ; ou, plus récemment, Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 231, CEDH 2003-VI). D’après moi, cela indique nettement que le magistrat ne peut limiter son examen à la légalité de la détention et à l’existence de raisons plausibles de soupçonner l’intéressé. D’ailleurs, un examen limité de la sorte ne suffirait pas dans un grand nombre d’affaires où il s’agit de rechercher d’abord non pas s’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’individu concerné, mais si la détention se justifie à cause d’un danger de fuite ou de collusion ou de la nécessité de sauvegarder des éléments de preuve, d’empêcher des infractions pénales ou de maintenir l’ordre public. Il faut aussi prendre en compte les circonstances tenant à la personne concernée, telles que son jeune ou son grand âge, la maladie ou la fragilité. Un examen qui se limite à la légalité de la détention et à la question des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé pourrait donc selon moi aisément conduire à des détentions non justifiées.
Il en découle que le contrôle initial doit être large et automatique. Toutefois, le magistrat ne peut ordonner la mise en liberté provisoire que si elle représente une vraie solution réaliste dans les circonstances de la cause. La mise en liberté provisoire doit en conséquence être subordonnée à une demande du détenu ou de son avocat. Cette question ne peut donc en principe figurer dans le contrôle automatique.
Or, en l’espèce, le requérant avait chargé ses solicitors de demander sa mise en liberté provisoire, ce qu’ils ont fait. En outre, l’officier de police qui a comparu devant la magistrates’ court n’avait rien à objecter à la mise en liberté, sous réserve que soient fixées des conditions adéquates. La mise en liberté provisoire du requérant n’en a pas moins été refusée parce que le magistrat détaché n’était pas habilité à l’ordonner compte tenu des règles spéciales applicables en Irlande du Nord aux infractions relevant d’un régime particulier.
Le fait que le magistrat devant lequel le requérant avait été traduit n’ait pas envisagé la mise en liberté provisoire implique que l’intéressé a été privé de son droit à un examen plein et entier, garanti par le premier volet de l’article 5 § 3. Il reste à déterminer si le fait que le requérant ait été élargi un jour plus tard, en vertu d’une décision de la High Court, a remédié à ce manque.
La minorité estime que le requérant ne peut alléguer ne pas avoir bénéficié du contrôle juridictionnel voulu de son arrestation et de sa détention car il a été relâché dans le délai maximum de quatre jours que la Cour a défini dans l’affaire Brogan et autres c. Royaume-Uni (29 novembre 1988, § 62, série A no 145-B). Selon moi, cet argument n’est pas pertinent, pour les raisons que voici.
Le premier volet de l’article 5 § 3 énonce deux droits pour les personnes détenues parce qu’on a des raisons plausibles de les soupçonner d’une infraction pénale. D’abord, la personne doit être « traduite aussitôt devant un juge ou autre magistrat », ensuite ce magistrat doit être « habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». Ces droits sont liés l’un à l’autre, notamment parce qu’ils se réfèrent au même magistrat. Il s’agit cependant de droits distincts en ce qu’ils renvoient respectivement aux exigences de célérité et d’automaticité, d’une part, et à l’exhaustivité du contrôle juridictionnel initial, d’autre part. Les manquements à l’un des ces droits ne peuvent donc être redressés par le respect de l’autre droit.
Pour en venir à la présente affaire, il ne prête pas à controverse que le requérant a été traduit devant la magistrates’ court dans le délai autorisé par le premier volet de l’article 5 § 3. Le magistrat détaché chargé de l’affaire a toutefois refusé sa mise en liberté provisoire, non pas à cause du fond de l’affaire, mais parce qu’il n’avait pas cette compétence. Pour pouvoir bénéficier d’une mise en liberté provisoire, le requérant a dû saisir la High Court. En d’autres termes, il a dû invoquer le droit à un contrôle juridictionnel continu, qui est garanti à l’article 5 § 4 et s’applique à toutes les privations de liberté, pour pouvoir obtenir une décision sur la mise en liberté provisoire.
Ni le fait que la High Court ait accordé la mise en liberté provisoire au requérant après qu’il eut interjeté son appel, ni le fait que cette décision ait été rendue un jour après la comparution du requérant devant la magistrates’ court ne peuvent donc à mon avis redresser la lacune du contrôle juridictionnel initial. Je considère en conséquence qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
ARRÊT McKAY c. ROYAUME-UNI
ARRÊT McKAY c. ROYAUME-UNI 
ARRÊT McKAY c. ROYAUME-UNI 
ARRÊT McKAY c. ROYAUME-UNI – OPINION SÉPARÉE COMMUNE
ARRÊT McKAY c. ROYAUME-UNI – OPINION SÉPARÉE COMMUNE 
ARRÊT McKAY c. ROYAUME-UNI
ARRÊT McKAY c. ROYAUME-UNI – OPINION SÉPARÉE
DU JUGE BORREGO BORREGO 
ARRÊT McKAY c. ROYAUME-UNI – OPINION DISSIDENTE
DU JUGE JEBENS 
ARRÊT McKAY c. ROYAUME-UNI – OPINION DISSIDENTE
DU JUGE JEBENS


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 543/03
Date de la décision : 03/10/2006
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Non-violation de l'art. 5-3

Analyses

(Art. 5-3) GARANTIE ASSURANT LA COMPARUTION A L'AUDIENCE, (Art. 5-3) LIBERE PENDANT LA PROCEDURE


Parties
Demandeurs : McKAY
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-10-03;543.03 ?

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