La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/10/2006 | CEDH | N°18114/02

CEDH | AFFAIRE HERMI c. ITALIE


GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE HERMI c. ITALIE
(Requête no 18114/02)
ARRÊT
STRASBOURG
18 octobre 2006
En l‘affaire Hermi c. Italie,
La Cour européenne des droits de l‘homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Luzius Wildhaber, président,   Loukis Rozakis,   Jean-Paul Costa,   Boštjan M. Zupančič,   Rıza Türmen,   Corneliu Bîrsan,   John Hedigan,   András Baka,   Vladimiro Zagrebelsky,   Javier Borrego Borrego,   Alvina Gyulumyan,   Dean Spielmann,   Egbert Myjer,   Davíd Thór Björgvins

son,   Danutė Jočienė,   Dragoljub Popović,   Ineta Ziemele, juges,  et de Lawrence Early, greffier de section,
...

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE HERMI c. ITALIE
(Requête no 18114/02)
ARRÊT
STRASBOURG
18 octobre 2006
En l‘affaire Hermi c. Italie,
La Cour européenne des droits de l‘homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Luzius Wildhaber, président,   Loukis Rozakis,   Jean-Paul Costa,   Boštjan M. Zupančič,   Rıza Türmen,   Corneliu Bîrsan,   John Hedigan,   András Baka,   Vladimiro Zagrebelsky,   Javier Borrego Borrego,   Alvina Gyulumyan,   Dean Spielmann,   Egbert Myjer,   Davíd Thór Björgvinsson,   Danutė Jočienė,   Dragoljub Popović,   Ineta Ziemele, juges,  et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 3 mai et 6 septembre 2006,
Rend l‘arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l‘origine de l‘affaire se trouve une requête (no 18114/02) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant tunisien, M. Fausi Hermi (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 mars 2002 en vertu de l‘article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l‘homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me M. Marini et Me D. Puccinelli, avocats à Guidonia (Rome). Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I.M. Braguglia, et par son coagent, M. F. Crisafulli.
3.  Le requérant alléguait en particulier n‘avoir pu participer à une audience devant la cour d‘appel de Rome, qui s‘était tenue dans le cadre d‘une procédure pénale pour trafic de stupéfiants.
4.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 23 septembre 2004, elle a été déclarée partiellement recevable par une chambre de ladite section, composée de Loukis Rozakis, Peer Lorenzen, Giovanni Bonello, Anatoly Kovler, Vladimiro Zagrebelsky, Elisabeth Steiner, Khanlar Hajiyev, juges, et de Søren Nielsen, greffier de section.
5.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6.  Le 28 juin 2005, une chambre de la quatrième section, composée de Nicolas Bratza, Josep Casadevall, Giovanni Bonello, Rait Maruste, Vladimiro Zagrebelsky, Stanislav Pavlovschi, Lech Garlicki, juges, et de Michael O‘Boyle, greffier de section, a rendu un arrêt dans lequel elle a conclu, par quatre voix contre trois, qu‘il y avait eu violation de l‘article 6 de la Convention. Elle a également octroyé au requérant 1 000 euros pour dommage moral.
7.  Le 23 septembre 2005, le Gouvernement a demandé le renvoi de l‘affaire devant la Grande Chambre au titre des articles 43 de la Convention et 73 du règlement. Le 30 novembre 2005, un collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.
8.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement.
9.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé un mémoire.
10.  Une audience s‘est déroulée en public au Palais des droits de l‘homme, à Strasbourg, le 3 mai 2006 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  M. F. Crisafulli, magistrat, ministère     des Affaires étrangères, coagent ;
–  pour le requérant  Me D. Puccinelli, avocate,  conseil.
La Cour les a entendus en leurs déclarations.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L‘ESPÈCE
11.  Né en 1969, le requérant purge actuellement sa peine au pénitencier de Viterbe.
A.  L‘arrestation du requérant et sa condamnation en première instance
12.  Le 28 novembre 1999, le requérant fut trouvé en possession d‘un paquet contenant 485 grammes d‘héroïne et arrêté par les carabiniers de Rome. Des poursuites furent entamées à son encontre pour trafic de stupéfiants. Le 23 décembre 1999, le requérant nomma deux avocats de son choix, Mes M. Marini et D. Puccinelli.
13.  Une audience en chambre du conseil se tint devant le juge de l‘audience préliminaire (giudice dell‘udienza preliminare – ci-après « le GUP ») de Rome le 25 février 2000 en présence du requérant et de ses deux avocats. Il ressort du procès-verbal de cette audience qu‘aucun interprète n‘y a assisté. Le requérant déclara avoir compris la teneur du chef d‘accusation et des éléments de preuve à charge et parler l‘italien. Il demanda ensuite l‘adoption de la procédure abrégée (giudizio abbreviato) prévue aux articles 438 à 443 du code de procédure pénale (CPP). Ses avocats demandèrent qu’à la détention provisoire de leur client fût substituée une assignation à résidence (arresti domiciliari). Le GUP, estimant que l‘accusation contre le requérant pouvait être tranchée sur la base des actes accomplis au cours des investigations préliminaires (allo stato degli atti), ordonna l‘adoption de la procédure abrégée et ajourna la procédure.
14.  Une nouvelle audience en chambre du conseil eut lieu le 24 mars 2000. Le requérant et ses deux avocats y étaient présents. Le procès-verbal de l‘audience indique que le requérant « parle la langue italienne » (si da atto che parla la lingua italiana). L‘un des avocats du requérant sollicita la libération de son client au motif que celui-ci détenait les stupéfiants pour sa consommation personnelle. A titre subsidiaire, il demanda que la détention provisoire fût remplacée par une mesure de sûreté moins sévère. Ces demandes furent rejetées par le GUP.
15.  Par un jugement du 24 mars 2000, le GUP de Rome condamna le requérant à une peine d‘emprisonnement de six ans et à une amende de 40 millions de lires italiennes (environ 20 658 euros). Il observa que la quantité de stupéfiant détenue pour la consommation personnelle ne devait pas dépasser ce qui était nécessaire pour satisfaire un besoin immédiat ; or le requérant venait d‘acheter une quantité correspondant à plus de 8 000 doses quotidiennes moyennes.
B.  Les procédures d‘appel et de cassation
16.  Le requérant interjeta appel de ce jugement, réitérant les arguments invoqués en première instance pour sa défense. Il fit valoir qu‘il était contraire à la Constitution d‘interpréter la loi sur les stupéfiants comme punissant les consommateurs de drogue.
17.  Le 1er septembre 2000, Me Marini fut informé que l‘audience avait été fixée au 3 novembre 2000. Le requérant, qui était détenu au pénitencier de Rome, en reçut également notification le même jour. Il reçut une communication intitulée « citation à comparaître en appel devant la cour réunie en chambre du conseil » (decreto di citazione per il giudizio di appello davanti la Corte in camera di consiglio) et dont les parties pertinentes se lisent ainsi :
« Le président (...) de la cour d‘appel (...) vu la déclaration d‘appel faite par 1) Pacilyanathan Basilaran né [au] Sri Lanka le 1/11/64 et détenu [au] pénitencier [de] Vasto 2) Hermi Fauzi né [en] Tunisie le 27/1/69 et détenu [au] pénitencier Regina Coeli (...) contre le jugement (...) du G[U]P de Rome en date du 24 mars 2000 par lequel ils ont été jugés comme [il résulte] des actes [ ;] attendu que la cour doit statuer sur l‘appel en chambre du conseil car on se trouve dans l‘hypothèse prévue aux articles 443 § 4 [et] 599 § 1 CPP (...) ; vu l‘article 601 du code de procédure pénale précité ; cite les [personnes] susmentionnées à comparaître à l‘audience que cette cour d‘appel (...) tiendra en chambre du conseil le 3/11/2000 à 9 heures pour statuer sur l‘appel susdit et avertit que jusqu‘à 5 jours avant l‘audience susdite ces personnes pourront, par l‘intermédiaire de [leur] défenseur, examiner au greffe les actes et les documents et (...) en faire une copie et les consulter (...) »
18.  Entre le 1er septembre 2000 et le jour de l‘audience, le requérant n‘eut aucun contact avec ses avocats.
19.  Le 23 octobre 2000, les avocats du requérant déposèrent un mémoire au greffe de la cour d‘appel de Rome. Ils alléguaient qu‘il n‘existait aucune preuve que les stupéfiants en la possession du requérant étaient destinés à la vente et que, dès lors, les juges auraient dû accepter la déclaration de l‘intéressé selon laquelle la drogue en question servait à satisfaire ses besoins personnels. De plus, l‘expertise chimique de la drogue avait été effectuée par la police en l‘absence de l‘avocat de l‘accusé, et était donc nulle. Le juge de première instance avait également omis de se prononcer sur une exception d‘inconstitutionnalité soulevée par la défense. A titre subsidiaire, les avocats du requérant demandèrent une réduction de peine.
20.  A l‘audience du 3 novembre 2000, Me Marini demanda un ajournement de l‘audience au motif que Me Puccinelli, l‘autre conseil du requérant, était malade. La cour d‘appel rejeta cette demande. Me Marini s‘opposa alors à la poursuite de la procédure en l‘absence de son client et demanda le transfert de ce dernier de la prison à la salle d‘audience. La cour d‘appel de Rome rejeta cette demande, observant que le requérant n‘avait pas préalablement fait savoir aux autorités qu‘il souhaitait participer au procès en appel.
21.  Par un arrêt du 3 novembre 2000, la cour d‘appel confirma le jugement de première instance.
22.  Le requérant se pourvut en cassation. Il allégua, entre autres, que les juges d‘appel ne lui avaient pas permis d‘assister à son procès et que la citation à comparaître en appel n‘avait pas été traduite en langue arabe.
23.  Dans ses conclusions, le procureur général de la République demanda l‘annulation de la décision attaquée.
24.  Par un arrêt du 24 janvier 2002, la Cour de cassation débouta le requérant. Elle observa que ni la Convention européenne des droits de l‘homme ni le code de procédure pénale n‘imposaient de traduire les actes de procédure dans la langue d‘un accusé étranger se trouvant en Italie ; l‘intéressé avait cependant le droit de se faire assister gratuitement par un interprète afin de comprendre l‘accusation portée contre lui et de suivre l‘accomplissement des démarches le concernant. Quant aux autres doléances, la Cour de cassation releva que la présence de l‘accusé n‘était pas nécessaire dans le cadre de la procédure abrégée, dont le requérant avait personnellement et de plein gré demandé l‘adoption. Par ailleurs, l‘intéressé n‘avait pas manifesté sa volonté de participer à l‘audience d‘appel.
C.  La procédure d‘exécution de la peine et les antécédents du requérant
25.  Le 4 juillet 2003, le tribunal d‘application des peines de Rome autorisa le requérant à bénéficier pour le restant de sa peine d‘une assignation à résidence. Le 10 juillet 2003, le requérant quitta le pénitencier de Frosinone. A cette occasion, il signa un procès-verbal faisant état des obligations découlant de l‘assignation à résidence et choisit de résider dans une propriété (tenuta) appartenant à l‘un de ses avocats. Il retourna ultérieurement au pénitencier de Viterbe.
26.  Il ressort des documents produits par le Gouvernement devant la Grande Chambre que le requérant fut identifié par la préfecture (Questura) de Rome une première fois le 15 septembre 1990 dans le cadre d‘une enquête sur un trafic de stupéfiants. Ses empreintes digitales furent relevées par les autorités au moins à sept autres reprises, les 18 janvier et 27 février 1991, 5 mai et 7 septembre 1992, 15 janvier 1993 et 31 janvier et 26 avril 1999. A cette dernière occasion, le requérant avait été arrêté alors qu‘il conduisait une voiture volée. Il avait avoué aux carabiniers qu‘il s‘était approprié le véhicule depuis une semaine. Dans le cadre de la procédure pénale pour vol et conduite sans permis entamée par la suite à son encontre, le requérant communiqua son adresse et déclara qu‘il se réservait le droit de désigner un avocat. Le requérant adressa par la suite deux lettres manuscrites au tribunal d‘application des peines de Viterbe. Ces deux courriers, datés des 20 juillet et 25 novembre 2005, étaient rédigés en italien et signés du requérant. Dans le premier, celui-ci se plaignait sur deux pages du refus d‘une autorisation de sortie. Dans le deuxième, composé d‘une seule page, il demandait l‘octroi d‘une mesure autre que la détention (semilibertà). Il avait adressé un autre courrier manuscrit en mars 2004 à la Cour de cassation. L‘intéressé avait en outre, le 29 juin 2003, écrit une brève note en italien à son avocat.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  La procédure abrégée
27.  La procédure abrégée est régie par les articles 438 et 441 à 443 CPP. Elle se fonde sur l‘hypothèse que l‘affaire peut être tranchée en l‘état (allo stato degli atti) lors de l‘audience préliminaire. En cas d‘adoption de la procédure abrégée, l‘audience a lieu en chambre du conseil et est consacrée aux plaidoiries des parties. En principe, et exception faite pour le cas où l‘accusé sollicite la production de nouvelles preuves (integrazione probatoria), les parties doivent se baser sur les pièces figurant dans le dossier du parquet. Si le juge décide de condamner l‘accusé, la peine infligée est réduite d‘un tiers. Le jugement est prononcé en chambre du conseil.
28.  Telles que modifiées par la loi no 479 du 16 décembre 1999 et dans leurs parties pertinentes, les dispositions du code de procédure pénale concernant la procédure abrégée se lisent comme suit :
Article 438
« 1.  L‘accusé peut demander que l‘affaire soit tranchée à l‘audience préliminaire en l‘état (...)
2.  La demande peut être faite, oralement ou par écrit, tant que les conclusions n‘ont pas été présentées aux termes des articles 421 et 422.
3.  La volonté de l‘accusé est exprimée personnellement ou par l‘intermédiaire d‘un représentant spécialement mandaté [per mezzo di procuratore speciale] et la signature est authentifiée selon les formalités prévues à l‘article 583 § 3 [par un notaire, par une autre personne autorisée ou par le défenseur].
4.  Le juge se prononce sur la demande dans l‘ordonnance par laquelle il adopte la procédure abrégée.
5.  L‘accusé (...) peut subordonner sa demande à la production de nouvelles preuves nécessaires à la décision. Le juge adopte la procédure abrégée si la production de ces preuves est nécessaire pour la décision et compatible avec les finalités d‘économie propres à la procédure, compte tenu des pièces déjà recueillies et pouvant être utilisées. Dans ce cas, le ministère public peut demander l‘admission d‘une preuve contraire. (...)
Article 441
« 1.  La procédure abrégée suit, dans la mesure où elles peuvent être appliquées, les dispositions prévues pour l‘audience préliminaire, exception faite de celles énoncées aux articles 422 et 423 [il s‘agit de dispositions régissant le pouvoir du juge d‘ordonner ex officio la production de preuves décisives et la possibilité, pour le ministère public, de modifier le chef d‘inculpation].
3.  La procédure abrégée se déroule en chambre du conseil ; le juge ordonne que le procès se déroule en audience publique lorsque tous les accusés le demandent.
5.  Lorsque le juge estime ne pas pouvoir décider en l‘état, il se procure [assume], même d‘office, les éléments nécessaires à sa décision. Dans un tel cas, l‘article 423 trouve à s‘appliquer.
6.  Pour la production des preuves [mentionnées] au paragraphe 5 du présent article et à l‘article 438 § 5, il est procédé selon les modalités prévues à l‘article 422 §§ 2, 3 et 4 [ces derniers paragraphes prévoient la possibilité, pour les parties, de poser, par l‘intermédiaire du juge, des questions aux témoins et experts et le droit pour l‘accusé de demander à être interrogé]. »
Article 442
« 1.  Une fois les débats terminés, le juge décide aux termes des articles 529 et suivants [il s‘agit des dispositions concernant le prononcé d‘un jugement de non-lieu, d‘acquittement ou de condamnation].
1-bis.  Pour les délibérations, le juge utilise les actes contenus dans le dossier [mentionné] à l‘article 416 § 2 [il s‘agit du dossier du parquet, contenant les actes accomplis pendant les investigations préliminaires], les documents [indiqués] à l‘article 419 § 3 [il s‘agit des actes relatifs aux investigations accomplies après la demande de renvoi en jugement], et les preuves produites à l‘audience.
2.  En cas de condamnation, la peine que le juge inflige en tenant compte de toutes les circonstances est réduite d‘un tiers. La condamnation à perpétuité est remplacée par une condamnation à trente ans d‘emprisonnement. La peine perpétuelle avec isolement (...) est remplacée par une peine perpétuelle d‘emprisonnement.
3.  Le jugement est notifié à l‘accusé qui n‘a pas comparu.
Article 443
« 1.  L‘accusé et le ministère public ne peuvent pas interjeter appel de jugements d‘acquittement lorsque l‘appel a pour but d‘obtenir une forme [d‘acquittement] différente.
3.  Le ministère public ne peut pas interjeter appel de jugements de condamnation, sauf s‘il s‘agit d‘un jugement qui modifie la qualification juridique de l‘infraction [il titolo del reato].
4.  Le procès d‘appel se déroule selon les modalités prévues à l‘article 599. »
B.  Les pouvoirs de la juridiction d‘appel et les modalités de déroulement des audiences en chambre du conseil
29.  Aux termes de l‘article 597 § 1 CPP,
« En deuxième instance, le juge n‘a le pouvoir de se prononcer [la cognizione del procedimento] que sur [limitatamente] les points de la décision auxquels se référent les moyens d‘appel. »
30.  Dans ses parties pertinentes, l‘article 603 §§ 1 et 2 CPP se lit ainsi :
« 1.  Lorsqu‘une partie, dans ses moyens d‘appel (...) a demandé une nouvelle production de preuves déjà fournies au cours des débats de première instance ou la production de nouvelles preuves, le juge, s‘il estime ne pas être en mesure de trancher [l‘affaire] en l‘état [se ritiene di non essere in grado di decidere allo stato degli atti], ordonne la réouverture de l‘instruction.
2.  Si les nouvelles preuves sont apparues ou [ont été] découvertes après le procès de première instance, le juge ordonne la réouverture de l‘instruction dans les limites prévues à l‘article 495 § 1 [exclusion des preuves interdites par la loi, manifestement superflues ou sans intérêt pour la procédure]. »
31.  En vertu du renvoi contenu à l‘article 443 § 4 CPP (paragraphe 28 in fine ci-dessus), lorsqu‘un appel est interjeté dans le cadre de la procédure abrégée, le procès de deuxième instance se déroule selon les modalités indiquées à l‘article 599 CPP. Dans ses parties pertinentes, cette disposition est ainsi libellée :
« 1.  Lorsque l‘appel a pour seul objet le type ou le quantum de la peine (...) la cour siège en chambre du conseil selon les modalités prévues à l‘article 127.
2.  L‘audience est ajournée si l‘accusé qui a manifesté sa volonté de comparaître a un empêchement légitime.
3.  En cas de réouverture de l‘instruction au cours des débats, le juge recueille les preuves en chambre du conseil, aux termes de l‘article 603, avec la participation obligatoire du ministère public et des défenseurs. Si ces derniers ne sont pas présents lorsque la réouverture est ordonnée, le juge fixe une nouvelle audience et ordonne qu‘une copie de sa décision soit communiquée au ministère public et notifiée aux défenseurs.
32.  Les modalités générales du déroulement des audiences en chambre du conseil sont fixées à l‘article 127 CPP, ainsi libellé :
« 1.  Lorsqu‘il faut siéger en chambre du conseil, le juge ou le président de la chambre fixe la date de l‘audience et la fait signifier aux parties, aux autres personnes intéressées et aux défenseurs. L‘avis est communiqué ou notifié au moins dix jours avant la date choisie. Si l‘accusé n‘a pas de défenseur, l‘avis est transmis [au défenseur] commis d‘office.
2.  Il est possible de déposer des mémoires au greffe jusqu‘à cinq jours avant l‘audience.
3.  Le ministère public, les autres destinataires de l‘avis ainsi que les défenseurs sont entendus s‘ils comparaissent. Si l‘intéressé est détenu ou interné dans un lieu situé en dehors de la circonscription du juge et s‘il le demande, il doit être entendu avant le jour de l‘audience par le juge de l‘application des peines de ce lieu.
4.  L‘audience est ajournée en cas d‘empêchement légitime de l‘accusé ou du condamné qui a demandé à être entendu personnellement et qui n‘est pas détenu ou interné dans un lieu différent de celui où le juge a son siège.
5.  Les dispositions des paragraphes 1, 3 et 4 doivent être respectées sous peine de nullité.
6.  L‘audience se déroule à huis clos.
7.  Le juge statue par une ordonnance qui est communiquée ou notifiée dans les meilleurs délais aux personnes indiquées au paragraphe 1 ; ces personnes peuvent se pourvoir en cassation.
8.  Le pourvoi ne suspend pas l‘exécution de l‘ordonnance, à moins que le juge qui l‘a émise ne dispose autrement par une décision motivée [con decreto motivato].
9.  L‘irrecevabilité de l‘acte introductif d‘instance est déclarée par le juge par ordonnance, même sans formalités de procédure, sauf si d‘autres dispositions sont prévues. Les paragraphes 7 et 8 s‘appliquent.
10.  Le procès-verbal de l‘audience est rédigé, en règle générale, sous forme de résumé aux termes de l‘article 140 § 2. »
33.  La Cour de cassation a jugé cette disposition applicable à l‘audience d‘appel dans le cadre de la procédure abrégée. En particulier, dans son arrêt no 6665 du 24 avril 1995 (affaire Visciano), elle a exprimé le principe de droit suivant : « l‘accusé détenu ou assigné à résidence doit aussi être entendu (...), seulement s‘il le demande en respectant le délai prévu à l‘article 127 § 2 CPP (c‘est-à-dire jusqu‘à cinq jours avant l‘audience), dans la procédure d‘appel contre un jugement prononcé [à l‘issue de] la procédure abrégée aux termes de l‘article 442 CPP, en vertu du renvoi que fait le dernier paragraphe de l‘article 443 CPP à l‘article 590, lequel à son tour dans son premier paragraphe se réfère aux « formalités prévues par l‘article 127 » pour la procédure en chambre du conseil. »
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L‘ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
34.  Le requérant se plaint de n‘avoir pu participer à l‘audience du 3 novembre 2000 devant la cour d‘appel de Rome. Il invoque l‘article 6 de la Convention qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
a)  être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu‘il comprend et d‘une manière détaillée, de la nature et de la cause de l‘accusation portée contre lui ;
b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c)  se défendre lui-même ou avoir l‘assistance d‘un défenseur de son choix et, s‘il n‘a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d‘office, lorsque les intérêts de la justice l‘exigent ;
d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l‘interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e)  se faire assister gratuitement d‘un interprète, s‘il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l‘audience. »
A.  Arrêt de la chambre
35.  La chambre a conclu à la violation de l‘article 6 de la Convention. Elle a estimé que le requérant avait le droit de comparaître et de se défendre devant la cour d‘appel de Rome, cette dernière étant appelée à se prononcer à la fois sur des questions de fait et de droit. Cette juridiction devait non seulement trancher les exceptions d‘inconstitutionnalité ou les questions d‘interprétation de la loi interne soulevées par l‘avocat de l‘accusé, mais aussi évaluer si les éléments recueillis en première instance étaient suffisants pour justifier un verdict de culpabilité.
36.  La chambre a également considéré que des doutes sérieux se posaient quant à la compréhension, par le requérant, du contenu de l‘avis l‘informant de la date de l‘audience. Elle a observé que cet avis n‘avait pas été traduit dans l‘une des deux langues (arabe et français) que le requérant affirmait parler. Par ailleurs, il n‘avait pas été établi si, et dans quelle mesure, l‘intéressé comprenait l‘italien et était capable de saisir la signification d‘un document juridique d‘une certaine complexité.
37.  Enfin, selon la chambre, aucune renonciation non équivoque au droit de comparaître ne pouvait être établie en l‘espèce. Le requérant, conduit d‘office à l‘audience de première instance, pouvait raisonnablement s‘attendre à ce que la même chose se passe en appel. De plus, le 3 novembre 2000, l‘avocat du requérant, ayant constaté l‘absence de son client, avait demandé le transfert de M. Hermi de la prison à la salle d‘audience, manifestant ainsi d‘une façon claire la volonté de l‘accusé de participer aux débats en appel.
B.  Arguments des parties
1.  Le requérant
38.  Selon le requérant, toute procédure (ordinaire ou abrégée, de première, deuxième ou troisième instance) devrait être publique et se dérouler en présence de l‘accusé. En l‘espèce, la cour d‘appel était juge du fait et du droit. L‘appel portait en effet aussi sur la question de savoir si le requérant possédait l‘héroïne pour son usage personnel et sur le renouvellement de l‘expertise chimique. En appel, l‘accusé peut demander à être entendu et les juges de deuxième instance peuvent, même d‘office, rouvrir l‘instruction, recueillir de nouvelles preuves, entendre de nouveaux témoins et ordonner des expertises dans le but d‘établir la vérité.
39.  Soutenir, comme le fait le Gouvernement, que l‘adoption de la procédure abrégée rendait superflue la présence de l‘accusé irait contre l‘esprit de la loi. Par ailleurs, comme il était impossible de prévoir ce qui se passerait en appel, la participation de l‘accusé ne pouvait être exclue a priori. En l‘espèce, l‘audience s‘est déroulée en chambre du conseil, sans la présence du public et de l‘accusé, ce qui constitue une violation flagrante de l‘article 6 de la Convention. Par ailleurs, l‘article 6 reconnaît à tout accusé le droit de se défendre lui-même, d‘interroger ou faire interroger les témoins et de se faire assister d‘un interprète, ce qui ne se conçoit guère sans sa présence. Un accusé devrait toujours avoir la possibilité de se défendre personnellement et d‘invoquer par lui-même tout moyen de fait et de droit en sa faveur.
40.  Le requérant souligne que l‘avis l‘informant de la date de l‘audience était libellé en italien, une langue qu‘il ne comprenait pas. A l‘époque de son procès, il avait une connaissance passive, très insuffisante et superficielle de l‘italien oral. Il n‘était absolument pas en mesure de lire l‘italien. Il était donc incapable de comprendre un acte juridique techniquement complexe rédigé dans cette langue. A cet égard, le requérant conteste l‘authenticité des lettres produites par le Gouvernement qui, de toute manière, auraient été rédigées bien après la fin de son procès. De plus, en première instance, le requérant n‘a pu comprendre les chefs d‘inculpation et les éléments à charge que grâce à la traduction en français fournie par Me Marini, qui lui a également proposé l‘adoption de la procédure abrégée.
41.  Dès lors, il appartenait aux autorités de donner une traduction de cet avis dans l‘une des deux langues parlées par le requérant, à savoir l‘arabe et le français. L‘intervention de tiers (un codétenu, l‘avocat de la défense) ne pouvait pas remplacer une telle traduction. Dans les prisons italiennes, il serait utopique, pour les détenus, d‘obtenir une traduction des actes de leurs procès. Les services des interprètes sont en effet payants et ces derniers interviendraient uniquement à la demande du parquet. De plus, il serait inconcevable qu‘en l‘absence d‘une mention spécifique de ses droits et de leurs limitations, un accusé de langue maternelle arabe puisse connaître les nuances de la procédure italienne.
42.  Le requérant admet ne pas avoir demandé à comparaître, mais il considère ne pas avoir renoncé à ce droit. Une telle renonciation devrait être explicite et ne pourrait pas être présumée. Ayant été conduit d‘office aux audiences devant le GUP, il s‘attendait à ce que la même chose se passe en appel. Me Marini, ayant constaté l‘absence de l‘intéressé à l‘audience du 3 novembre 2000, a demandé « in primis et in limine litis » que son client soit conduit dans le prétoire. Par ailleurs, le procureur général près la Cour de cassation a demandé que le procès d‘appel soit déclaré nul et non avenu, soulignant que le requérant avait le droit de comparaître et que l‘avis l‘informant de la date de l‘audience, non traduit en arabe, n‘expliquait, d‘une manière compréhensible pour le requérant, ni les droits de l‘accusé ni les démarches pour les faire valoir.
43.  Selon le Gouvernement, le requérant aurait dû, au moins cinq jours avant l‘audience, demander par écrit et en italien à être traduit devant la cour d‘appel. Or cette obligation serait en elle-même contraire à la Convention. On ne saurait en effet imposer à un accusé d‘accomplir une série de formalités écrites et orales pour pouvoir se prévaloir de son droit de participer aux débats d‘appel. La procédure abrégée, où la présence de l‘accusé n‘est pas nécessaire, serait contraire à la Convention et à la Constitution italienne, et devrait être abrogée.
44.  Le requérant considère que dans l‘avis l‘informant de la date de l‘audience les autorités auraient dû indiquer tous ses droits, sans exclusion. Elles auraient également dû préciser les formalités à accomplir pour participer au procès d‘appel. Or il résulte d‘une simple lecture de l‘avis litigieux que celui-ci ne fait aucune mention de ces démarches. On ne saurait s‘attendre à ce que les avocats interviennent pour combler des lacunes imputables à l‘Etat.
45.  Il convient enfin de noter que la Cour de cassation a annulé une condamnation parce que l‘avis informant de la date de l‘audience n‘avait pas été traduit dans la langue maternelle des accusés (voir arrêt de la sixième section no 293 du 14 janvier 1994, dans l‘affaire Chief Mbolu). A cette occasion, elle a rappelé que l‘article 143 § 1 CPP, qui prévoit le droit de tout accusé étranger de se faire assister d‘un interprète, s‘applique à tous les actes oraux et écrits qui lui sont notifiés, et en particulier à l‘avis informant de la date de l‘audience, qui constitue un acte fondamental du procès. La jurisprudence italienne n‘est donc pas unanime à cet égard.
2.  Le Gouvernement
46.  Le Gouvernement rappelle d‘emblée que le procès d‘appel s‘est déroulé selon la procédure abrégée, une démarche simplifiée dont le requérant lui-même a demandé l‘adoption et qui permet à l‘accusé de bénéficier de certains avantages. Dans cette procédure, où la décision est prise sur la base du dossier du parquet et où la production de nouvelles preuves est en principe exclue, la présence de l‘accusé revêt une importance réduite. L‘appel est débattu en chambre du conseil et les parties sont entendues seulement si elles comparaissent.
47.  En droit italien, lorsque les droits de la défense ne peuvent pas être exercés conjointement par l‘accusé et par son représentant, une préférence est accordée à la défense technique de l‘avocat. Cela vaut spécialement dans des cas comme la présente espèce, où l‘accusé a été arrêté en flagrant délit, où les arguments avancés par la défense étaient de nature essentiellement juridique et où l‘apport personnel du requérant était négligeable. Ce dernier n‘a jamais tenté de nier les faits et n‘a pas subordonné sa demande d‘adoption de la procédure abrégée à la production de nouvelles preuves, comme le permet l‘article 438 § 5 CPP.
48.  Le Gouvernement souligne que la compétence des juges d‘appel était limitée aux questions soulevées dans les moyens d‘appel : les notions légales de « trafic » et d‘« usage personnel » de drogue, de « quantité considérable » d‘héroïne, la nullité d‘une expertise, l‘interprétation et l‘application de l‘article 73 de la loi sur les stupéfiants et sa conformité avec la Constitution. Ces questions étaient toutes de nature essentiellement juridique. La culpabilité ou l‘innocence de l‘accusé devait certes être établie, mais sous l‘angle juridique et non sous l‘angle factuel. La cour d‘appel n‘était pas non plus appelée à juger le caractère ou la personnalité de l‘accusé, ni à déterminer s‘il était toxicomane. Certes, elle pouvait réévaluer les preuves déjà versées au dossier, mais cela ne constituait qu‘une simple vérification de l‘existence des éléments déjà recueillis.
49.  De plus, toute forme de reformatio in pejus était interdite à la juridiction d‘appel. Le Gouvernement signale également que la réouverture de l‘instruction en appel revêt un caractère exceptionnel et n‘est possible que si le juge l‘estime nécessaire. Cette éventualité est encore plus rare dans la procédure abrégée. Par ailleurs, en première instance, le requérant a pu participer à deux audiences devant le GUP. Malgré l‘assistance obligatoire d‘un avocat, il avait le loisir d‘intervenir personnellement pour sa défense.
50.  Compte tenu des circonstances évoquées ci-dessus, et s‘appuyant sur la jurisprudence élaborée par la Cour dans l‘arrêt Kamasinski c. Autriche (19 décembre 1989, série A no 168), et, a contrario, dans l‘affaire Kremzow c. Autriche (21 septembre 1993, série A no 268-B), le Gouvernement conclut que la présence du requérant à l‘audience d‘appel n‘était pas nécessaire aux termes de la Convention. En tout état de cause, même à supposer qu‘une irrégularité ait eu lieu à cause de l‘absence du requérant à l‘audience d‘appel, la procédure dans son ensemble aurait été équitable.
51.  A cet égard, le Gouvernement rappelle que l‘article 6 de la Convention exige la traduction des seules pièces écrites dont la compréhension s‘avère essentielle pour la connaissance exacte des reproches faits à l‘accusé et donc pour l‘exercice effectif du droit de se défendre. En la présente espèce, il s‘agissait d‘une simple convocation n‘ayant aucun rapport avec le fond de l‘affaire ou les chefs d‘accusation. L‘Etat n‘était donc pas obligé de la traduire. Quoi qu‘il en soit, en cas de mauvaise compréhension de l‘avis l‘informant de la date de l‘audience, le requérant aurait pu demander à être assisté gratuitement d‘un interprète ou bien demander la traduction à un codétenu ou des explications à l‘avocat de son choix, qui était censé maîtriser l‘italien et être en mesure de comprendre la signification d‘un document juridique dépourvu de toute complexité.
52.  Il est vrai que l‘avis litigieux n‘indiquait pas les démarches à suivre pour participer à l‘audience. Cependant, on ne saurait imposer à l‘Etat l‘obligation d‘expliquer aux justiciables les subtilités de la procédure dans tout acte oral ou écrit. Affirmer un tel principe, spécialement lorsqu‘il s‘agit de formalités simples, pourrait conduire à saper l‘efficacité des systèmes judiciaires. En revanche, les avocats choisis par le requérant auraient pu prendre contact avec leur client pour lui expliquer que, s‘il souhaitait participer aux débats d‘appel, il devait demander à être conduit au tribunal. Ces avocats auraient également pu solliciter le transfert de leur client dans le mémoire qu‘ils ont déposé au greffe de la cour d‘appel de Rome le 23 octobre 2000 (paragraphe 19 ci-dessus).
53.  Par ailleurs, il ressort du procès-verbal de l‘audience du 25 février 2000 que le requérant a formulé personnellement sa demande d‘adoption de la procédure abrégée. Il connaissait donc la langue du procès, ce qui lui a permis de comprendre les explications de son avocat concernant la procédure abrégée. Cela est confirmé par le fait qu‘aux audiences des 25 février et 24 mars 2000, le requérant a déclaré parler l‘italien et avoir compris les accusations portées à son encontre. L‘intéressé vivait en Italie depuis au moins 1990, et lors de son arrestation du 26 avril 1999, il a démontré sa maîtrise de l‘italien en avouant un vol et en donnant des précisions quant aux circonstances de l‘infraction (paragraphe 26 ci-dessus). Le requérant a également remis aux autorités de la prison où il était détenu une déclaration selon laquelle il révoquait le mandat conféré à ses précédents avocats et nommait deux nouveaux conseils pour le représenter. Il a en outre écrit deux longues lettres de sa propre main. Tous ces documents sont rédigés en italien. A supposer même que le requérant ait exagéré sa connaissance de l‘italien, ses déclarations suffisaient pour permettre aux autorités de présumer légitimement qu‘il était en mesure de comprendre la convocation à l‘audience d‘appel.
54.  De l‘avis du Gouvernement, en omettant de signaler aux autorités son intention d‘être traduit devant la cour d‘appel, le requérant a renoncé, tacitement mais sans équivoque, à son droit de participer à l‘audience du 3 novembre 2000. La demande de transfert devait être formulée au moins cinq jours avant l‘audience (voir l‘article 127 § 2 CPP, estimé applicable à cette situation par la Cour de cassation dans son arrêt no 6665 de 1995 – paragraphe 33 ci-dessus). Ayant reçu l‘avis litigieux le 1er septembre 2000, le requérant disposait de presque deux mois pour formuler sa demande.
55.  Aux yeux du Gouvernement, il est singulier et regrettable qu‘aucun des deux avocats du requérant n‘ait éprouvé le besoin de s‘entretenir avec son client, ou de le contacter par téléphone ou par lettre en vue de l‘audience d‘appel. S‘agissant d‘avocats choisis par le requérant, cette circonstance ne saurait être mise à la charge des autorités, car les éventuelles défaillances des conseils en question n‘étaient pas manifestes et n‘ont pas été portées en temps utile à l‘attention des tribunaux.
56.  En l‘espèce, le requérant était ou aurait dû être au courant des poursuites, de l‘appel, de la date de l‘audience et de la nécessité de demander aux autorités pénitentiaires d‘être conduit dans le prétoire. Estimer que dans pareilles circonstances l‘absence de l‘accusé aux débats d‘appel n‘a pas été voulue en pleine connaissance de cause constituerait une rupture manifeste avec la jurisprudence constante de la Cour et romprait l‘équilibre devant régner entre les exigences de la justice et celles du respect des droits de la défense. Le Gouvernement se réfère, à cet égard, à l‘affaire Medenica c. Suisse (no 20491/92, CEDH 2001-VI), et, a contrario, à l‘arrêt rendu par la Grande Chambre dans l‘affaire Sejdovic c. Italie ([GC], no 56581/00, CEDH 2006-II).
57.  Enfin, la demande formulée à l‘audience par Me Marini ne saurait avoir un poids déterminant. En Italie, la présence de l‘accusé à l‘audience est une faculté et non une obligation. Partant, face au contraste entre l‘attitude de l‘intéressé et les propos de son avocat, ces derniers ne sauraient prévaloir. En effet, l‘avocat représente et défend son client, mais il ne peut pas se substituer à lui pour les actes concernant la sphère privée, relevant de la liberté de décision et d‘action.
C.  Appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
a)  Droit de prendre part à l‘audience
58.  La comparution d‘un prévenu revêt une importance capitale dans l‘intérêt d‘un procès pénal équitable et juste (Lala c. Pays-Bas, 22 septembre 1994, § 33, série A no 297-A ; Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 35, série A no 277-A ; De Lorenzo c. Italie (déc.), no 69264/01, 12 février 2004), et l‘obligation de garantir à l‘accusé le droit d‘être présent dans la salle d‘audience – soit pendant la première procédure à son encontre, soit au cours d‘un nouveau procès – est l‘un des éléments essentiels de l‘article 6 (Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 56, 24 mars 2005).
59.  En effet, quoique non mentionnée en termes exprès au paragraphe 1 de l‘article 6, la faculté pour l‘« accusé » de prendre part à l‘audience découle de l‘objet et du but de l‘ensemble de l‘article. Du reste, les alinéas c), d) et e) du paragraphe 3 reconnaissent à « tout accusé » le droit à « se défendre lui-même », « interroger ou faire interroger les témoins » et « se faire assister gratuitement d‘un interprète, s‘il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l‘audience », ce qui ne se conçoit guère sans sa présence (Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 27, série A no 89, et Sejdovic précité, § 81).
60.  La comparution personnelle du prévenu ne revêt pourtant pas la même importance décisive en appel qu‘au premier degré (Kamasinski précité, § 106). Les modalités d‘application de l‘article 6 de la Convention en appel dépendent des particularités de la procédure dont il s‘agit ; il faut prendre en compte l‘ensemble du procès mené dans l‘ordre juridique interne et le rôle qu‘y a joué la juridiction d‘appel (Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 27, série A no 134, et Monnell et Morris c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 56, série A no 115).
61.  Les procédures d‘autorisation d‘appel, ou consacrées exclusivement à des points de droit et non de fait, peuvent remplir les exigences de l‘article 6 même si la cour d‘appel ou de cassation n‘a pas donné au requérant la faculté de s‘exprimer en personne devant elle, pourvu qu‘il y ait eu audience publique en première instance (voir, entre autres, Monnell et Morris précité, § 58, pour l‘autorisation d‘appel, et Sutter c. Suisse, 22 février 1984, § 30, série A no 74, pour la Cour de cassation). La raison en est pourtant, dans le second cas, qu‘il n‘incombe pas à la juridiction concernée d‘établir les faits, mais uniquement d‘interpréter les règles juridiques litigieuses (Ekbatani précité, § 31).
62.  Pourtant, même dans l‘hypothèse d‘une cour d‘appel dotée de la plénitude de juridiction, l‘article 6 n‘implique pas toujours le droit à une audience publique ni, a fortiori, le droit de comparaître en personne (Fejde c. Suède, 29 octobre 1991, § 31, série A no 212-C). En la matière, il faut prendre en compte, entre autres, les particularités de la procédure en cause et la manière dont les intérêts de la défense ont été exposés et protégés devant la juridiction d‘appel, eu égard notamment aux questions qu‘elle avait à trancher (Helmers c. Suède, 29 octobre 1991, §§ 31-32, série A no 212-A) et à leur importance pour l‘appelant (Kremzow précité, § 59 ; Kamasinski précité, § 106 in fine ; Ekbatani précité, §§ 27-28).
63.  De plus, par la nature des choses, un appelant incarcéré n‘a pas la même latitude qu‘un appelant en liberté, ou une partie civile, pour se présenter devant une juridiction d‘appel. En effet, pour amener un tel appelant devant pareille juridiction, il faut prendre des mesures techniques spéciales, notamment en matière de sécurité (Kamasinski précité, § 107).
64.  En revanche, lorsque la juridiction d‘appel doit examiner une affaire en fait et en droit et procéder à une appréciation globale de la culpabilité ou de l‘innocence, elle ne peut statuer à ce sujet sans évaluer directement les éléments de preuve présentés en personne par l‘inculpé qui souhaite prouver qu‘il n‘a pas commis l‘acte constituant prétendument une infraction pénale (Dondarini c. Saint-Marin, no 50545/99, § 27, 6 juillet 2004).
65.  Faisant application de ces principes, dans l‘affaire Ekbatani (arrêt précité, § 32), la Cour a estimé que la présence de l‘accusé aux débats d‘appel était nécessaire lorsque la cause ne pouvait bien se résoudre sans une appréciation directe des témoignages personnels du requérant et du plaignant, la cour d‘appel étant appelée à trancher, au principal, quant à la culpabilité ou l‘innocence du prévenu. Cette conclusion ne saurait être modifiée par la circonstance que la cour d‘appel ne pouvait aggraver la peine prononcée en première instance (voir également, mutatis mutandis, Dondarini précité, § 28, et De Biagi c. Saint-Marin, no 36451/97, § 23, 15 juillet 2003).
66.  En revanche, dans l‘affaire Kamasinski (arrêt précité, §§ 107-108), la Cour a considéré que la décision par laquelle la Cour suprême avait refusé d‘autoriser le requérant à comparaître devant elle à l‘audience n‘était pas incompatible avec l‘article 6 de la Convention, compte tenu notamment du fait qu‘en droit autrichien les audiences d‘appel n‘impliquaient pas un nouvel examen des preuves ni de la culpabilité ou de l‘innocence de l‘accusé. Par ailleurs, dans ses moyens d‘appel, M. Kamasinski ne soulevait pas de problèmes liés à sa personnalité et à son caractère, et toute forme de reformatio in pejus était interdite à la Cour suprême.
67.  La Cour est parvenue à des conclusions analogues dans l‘affaire Kremzow (arrêt précité, § 63), dans la mesure où le requérant se plaignait de son absence devant la Cour suprême, appelée à rechercher si une offre de preuve avait été repoussée à bon droit par le juge du fond et si les faits écartés auraient pu influer sur le verdict du jury. Par contre, dans la même affaire (§ 67), la Cour a jugé que le caractère équitable de la procédure impliquait le droit, pour le requérant, d‘assister aux débats d‘appel, qui avaient une importance cruciale pour lui car ils entraînaient une appréciation non seulement de son caractère mais également de ses mobiles, ce qui pouvait avoir des conséquences importantes sur le quantum de la peine à infliger.
b)  Droit de l‘accusé d‘être informé des accusations portées contre lui
68.  Aux termes du paragraphe 3 a) de l‘article 6 de la Convention, tout accusé a le droit à « être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu‘il comprend et d‘une manière détaillée, de la nature et de la cause de l‘accusation portée contre lui ». Si elle ne spécifie pas qu‘il échet de fournir ou traduire par écrit à un inculpé étranger les renseignements pertinents, cette disposition montre la nécessité de mettre un soin extrême à notifier l‘« accusation » à l‘intéressé. L‘acte d‘accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, l‘inculpé est officiellement avisé par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre lui. Un accusé à qui la langue employée par le tribunal n‘est pas familière peut en pratique se trouver désavantagé si on ne lui délivre pas aussi une traduction de l‘acte d‘accusation, établie dans un idiome qu‘il comprenne (Sejdovic précité, § 89 ; Kamasinski précité, § 79 ; Tabaï c. France (déc.), no 73805/01, 17 février 2004 ; Vakili Rad c. France, no 31222/96, décision de la Commission du 10 septembre 1997, non publiée).
69.  De plus, le paragraphe 3 e) de l‘article 6 proclame le droit à l‘assistance gratuite d‘un interprète. Ce droit ne vaut pas pour les seules déclarations orales à l‘audience, mais aussi pour les pièces écrites et pour l‘instruction préparatoire. La disposition en question signifie que l‘accusé ne comprenant ou ne parlant pas la langue employée dans le prétoire a droit aux services gratuits d‘un interprète afin que lui soit traduit ou interprété tout acte de la procédure engagée contre lui dont il lui faut, pour bénéficier d‘un procès équitable, saisir le sens ou le faire rendre dans la langue du tribunal (Luedicke, Belkacem et Koç c. Allemagne, 28 novembre 1978, § 48, série A no 29).
70.  Le paragraphe 3 e) ne va pourtant pas jusqu‘à exiger une traduction écrite de toute preuve documentaire ou pièce officielle du dossier. A cet égard, il convient de noter que le texte de la disposition en question fait référence à un « interprète », et non à un « traducteur ». Cela donne à penser qu‘une assistance linguistique orale peut satisfaire aux exigences de la Convention (Husain c. Italie (déc.), no 18913/03, CEDH 2005-III). Il n‘en demeure pas moins que l‘assistance prêtée en matière d‘interprétation doit permettre à l‘accusé de savoir ce qu‘on lui reproche et de se défendre, notamment en livrant au tribunal sa version des événements (Güngör c. Allemagne (déc.), no 31540/96, 17 mai 2001). Le droit ainsi garanti doit être concret et effectif. L‘obligation des autorités compétentes ne se limite donc pas à désigner un interprète : il leur incombe en outre, une fois alertées dans un cas donné, d‘exercer un certain contrôle ultérieur de la valeur de l‘interprétation assurée (Kamasinski précité, § 74).
71.  La Cour a estimé que, dans le cadre de l‘application du paragraphe 3 e), la question des connaissances linguistiques du requérant est primordiale et qu‘elle doit également se pencher sur la nature des faits reprochés à un inculpé ou des communications qui lui sont adressées par les autorités internes pour évaluer s‘ils sont d‘une complexité telle qu‘il aurait fallu une connaissance approfondie de la langue employée dans le prétoire (voir, mutatis mutandis, Güngör, décision précitée).
72.  Enfin, même si la conduite de la défense appartient pour l‘essentiel à l‘accusé et à son avocat, commis au titre de l‘aide judiciaire ou rétribué par son client (Kamasinski précité, § 65, et Stanford c. Royaume-Uni, 23 février 1994, § 28, série A no 282-A), les tribunaux internes sont les ultimes garants de l‘équité de la procédure, y compris en ce qui concerne l‘absence éventuelle de traduction ou d‘interprétation en faveur d‘un accusé étranger (Cuscani c. Royaume-Uni, no 32771/96, § 39, 24 septembre 2002).
c)  Renonciation au droit de comparaître
73.  Ni la lettre ni l‘esprit de l‘article 6 de la Convention n‘empêchent une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d‘un procès équitable de manière expresse ou tacite (Kwiatkowska c. Italie (déc.), no 52868/99, 30 novembre 2000). Cependant, pour entrer en ligne de compte sous l‘angle de la Convention, la renonciation au droit de prendre part à l‘audience doit se trouver établie de manière non équivoque et s‘entourer d‘un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Poitrimol précité, § 31). De plus, elle ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Sejdovic précité, § 86, et Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 66, série A no 171-A).
74.  La Cour a estimé que, lorsqu‘il ne s‘agissait pas d‘un inculpé atteint par une notification à personne, la renonciation à comparaître et à se défendre ne pouvait pas être inférée de la simple qualité de « latitante » (c‘est-à-dire le fait de se soustraire volontairement à l‘exécution d‘une ordonnance de justice) fondée sur une présomption dépourvue de base factuelle suffisante (Colozza précité, § 28). Elle a également eu l‘occasion de souligner qu‘avant qu‘un accusé puisse être considéré comme ayant implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important sous l‘angle de l‘article 6, il doit être établi qu‘il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences du comportement en question (Jones c. Royaume-Uni (déc.), no 30900/02, 9 septembre 2003).
75.  Par ailleurs, il faut qu‘il n‘incombe pas à l‘accusé de prouver qu‘il n‘entendait pas se dérober à la justice, ni que son absence s‘expliquait par un cas de force majeure (Colozza précité, § 30). En même temps, il est loisible aux autorités nationales d‘évaluer si les excuses fournies par l‘accusé pour justifier son absence étaient valables ou si les éléments versés au dossier permettaient de conclure que son absence était indépendante de sa volonté (Medenica précité, § 57 ; voir également Sejdovic précité, §§ 87-88).
76.  Eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (voir, parmi beaucoup d‘autres, Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25 in fine, série A no 11), l‘article 6 de la Convention implique pour toute juridiction nationale l‘obligation de vérifier si l‘accusé a eu la possibilité d‘avoir connaissance de la date de l‘audience et des démarches nécessaires pour y participer lorsque, comme en l‘espèce, surgit sur ce point une contestation qui n‘apparaît pas d‘emblée manifestement dépourvue de sérieux (voir, mutatis mutandis, Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 72, CEDH 2004-IV). Il en va de même dans le cas de procédures simplifiées telles que la procédure abrégée, où l‘accusé renonce à certains de ses droits.
2.  Application de ces principes au cas d‘espèce
77.  La Cour note tout d‘abord que le requérant a été présent aux audiences qui ont eu lieu en première instance les 25 février et 24 mars 2000 devant le GUP de Rome. Il est vrai que, comme le souligne le requérant, ces deux audiences n‘ont pas été publiques puisqu‘elles se sont déroulées en chambre du conseil.
78.  Cependant, la Cour relève que le manque de publicité des débats découlait de l‘adoption de la procédure abrégée, une démarche simplifiée que le requérant a lui-même sollicitée de son plein gré. Cette procédure entraîne des avantages indéniables pour l‘accusé : en cas de condamnation, il bénéficie d‘une importante réduction de peine et le parquet ne peut interjeter appel des jugements de condamnation qui ne modifient pas la qualification juridique de l‘infraction (voir les articles 442 § 2 et 443 § 3 CPP – paragraphe 28 ci-dessus). En revanche, la procédure abrégée est assortie d‘un affaiblissement des garanties de procédure offertes par le droit interne, notamment en ce qui concerne la publicité des débats et la possibilité de demander la production d‘éléments de preuve non contenus dans le dossier du parquet.
79.  La Cour estime que le requérant, qui était assisté de deux avocats de son choix, était sans nul doute en mesure de connaître les conséquences découlant de sa demande d‘adoption de la procédure abrégée. De plus, il n‘apparaît pas davantage que le différend ait soulevé des questions d‘intérêt public s‘opposant à la renonciation aux garanties de procédure susmentionnées (Kwiatkowska, décision précitée).
80.  A cet égard, la Cour rappelle qu‘elle a accepté que d‘autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d‘un traitement rapide des affaires inscrites au rôle, entrent en ligne de compte pour déterminer si des débats publics correspondent à un besoin après le procès en première instance (voir, par exemple, Helmers précité, § 36 ; Jan Åke Andersson c. Suède, 29 octobre 1991, § 27, série A no 212-B ; Fejde précité, § 31 ; Hoppe c. Allemagne, no 28422/95, § 63, 5 décembre 2002). Or l‘introduction de la procédure abrégée par le législateur italien semble spécifiquement viser à simplifier, et donc à accélérer, les procès pénaux (voir, mutatis mutandis, Rippe c. Allemagne (déc.), no 5398/03, 2 février 2006).
81.  A la lumière de ce qui précède, la circonstance que les débats de première et deuxième instance se soient déroulés en chambre du conseil et donc sans la présence du public ne saurait passer pour contraire à la Convention. Il reste à déterminer si l‘absence du requérant à l‘audience du 3 novembre 2000 devant la cour d‘appel de Rome a enfreint le droit de l‘intéressé à un procès équitable.
82.  Aux termes de la loi italienne, le requérant avait sans conteste le droit d‘être présent aux débats d‘appel, à condition qu‘il demandât à y être conduit. Cela n‘est pas contesté par le Gouvernement et ressort par ailleurs des dispositions internes relatives aux audiences en chambre du conseil. En particulier, l‘article 127 § 3 CPP précise que « les autres destinataires de l‘avis [informant de la date de l’audience] » – parmi lesquels figure l‘accusé – « sont entendus s‘ils comparaissent » (paragraphe 32 ci-dessus), et l‘article 599 § 2 CPP prévoit l‘ajournement de la procédure en cas d‘empêchement légitime « de l‘accusé qui a manifesté sa volonté de comparaître » (paragraphe 31 ci-dessus), ce qui ne se concevrait guère si la loi ne conférait pas au prévenu la faculté de participer à l‘audience d‘appel.
83.  Cette constatation n‘implique cependant pas nécessairement que la présence du requérant à l‘audience d‘appel soit requise par l‘article 6 § 1 de la Convention, les exigences de cette disposition étant autonomes par rapport à celles de la législation nationale.
84.  En l‘espèce, la Cour estime opportun de partir des faits suivants. La compétence de la cour d‘appel de Rome était comme il se doit limitée aux points de la décision de première instance auxquels se référaient les moyens d‘appel du requérant (article 597 § 1 CPP – paragraphe 29 ci-dessus). Or dans ces derniers l‘intéressé s‘était borné à réitérer les arguments invoqués devant le GUP pour sa défense, à savoir qu‘il détenait les stupéfiants pour sa consommation personnelle. Il alléguait également que la manière dont la loi sur les stupéfiants avait été interprétée était contraire à la Constitution (paragraphes 14 et 16 ci-dessus). De plus, dans leur mémoire du 23 octobre 2000, les avocats du requérant avaient excipé de la nullité de l‘expertise chimique pour vice de procédure (paragraphe 19 ci-dessus).
85.  Aux yeux de la Cour, ces motifs portaient, pour l‘essentiel, sur la qualification juridique des faits et sur l‘interprétation de la loi interne en matière de stupéfiants et de validité des expertises. En revanche, que le requérant eût détenu les stupéfiants ne prêtait pas à discussion en appel (voir, mutatis mutandis, Fejde précité, § 33). En effet, l‘intéressé, arrêté en flagrant délit (paragraphe 12 ci-dessus), n‘a à aucun moment de la procédure tenté de nier la base factuelle des accusations portées contre lui. En particulier, dans la mesure où le requérant continuait d‘affirmer en appel, contre toute vraisemblance, que les stupéfiants trouvés en sa possession étaient destinés, non à la vente, mais à sa consommation personnelle, alors que leur quantité correspondait, selon le GUP, à plus de vingt années de consommation moyenne (paragraphe 15 ci-dessus), la Cour voit mal comment en l‘espèce la présence physique du requérant à l‘audience d‘appel aurait pu avoir une quelconque influence sur la qualification de trafic de stupéfiants ayant servi de base à sa condamnation.
86.  La Cour note également que, le parquet ne pouvant interjeter appel d‘un jugement de condamnation ne modifiant pas la qualification juridique de l‘infraction, toute forme de reformatio in pejus était interdite à la cour d‘appel de Rome. Cette dernière pouvait soit confirmer la peine infligée en première instance, soit la réduire ou relaxer le requérant. Cela différencie la présente espèce de l‘affaire Kremzow précitée.
87.  La Cour constate enfin que, dans le cadre de la procédure abrégée, voulue par le requérant, la production de nouvelles preuves est en principe exclue, la décision devant être prise sur la base des actes contenus dans le dossier du parquet (voir, notamment, les articles 438 § 1 et 442 § 1-bis CPP – paragraphe 28 ci-dessus). Certes, aux termes du paragraphe 5 de l‘article 438 précité, l‘accusé peut subordonner sa demande d‘adoption de la procédure abrégée à la production de nouvelles preuves nécessaires à la décision. Cependant, tel n‘a pas été le cas en l‘espèce, le requérant ayant accepté d‘être jugé exclusivement sur la base des éléments recueillis par les autorités pendant les investigations préliminaires. Dès lors, il savait ou aurait dû savoir grâce à ses avocats que l‘audience d‘appel serait en principe limitée aux plaidoiries des parties, sans production de preuves ou interrogation de témoins.
88.  A la lumière de ce qui précède, et ayant pris en compte toutes les circonstances particulières de la présente affaire, la Cour estime que, eu égard à la participation du requérant aux audiences de première instance et à la nature contradictoire des débats, les exigences d‘un procès équitable, telles que définies par la Convention, ne commandaient pas la présence de l‘intéressé aux débats d‘appel.
89.  Cette constatation suffirait pour conclure qu‘il n‘y a pas eu violation de l‘article 6 § 1 de la Convention. En tout état de cause, la Cour relève que, à supposer même que le requérant ait eu, aux termes de la Convention, le droit de comparaître à l‘audience du 3 novembre 2000, il a été dûment informé de la date de cette audience et a renoncé à son droit de s‘y présenter.
90.  A ce dernier égard, et contrairement à la chambre, la Grande Chambre considère qu‘il ressort du dossier que le requérant avait une connaissance de l‘italien suffisante pour comprendre la signification de l‘avis l‘informant de la date de l‘audience devant la cour d‘appel. Elle observe qu‘aux audiences de première instance des 25 février et 24 mars 2000, le requérant a lui-même déclaré parler l‘italien et avoir compris la teneur du chef d‘accusation et des éléments de preuve à charge (paragraphes 13-14 ci-dessus). La véracité et la spontanéité de cette déclaration n‘ont pas été mises en doute par le requérant ou ses avocats au cours de la procédure judiciaire nationale. De plus, comme le Gouvernement l‘a à juste titre souligné, à l‘époque de son procès d‘appel le requérant avait vécu en Italie depuis au moins dix ans et lors d‘une arrestation, survenue en 1999, il avait été en mesure de donner aux carabiniers des précisions quant à la base factuelle des reproches dirigés contre lui (paragraphe 26 ci-dessus).
91.  Aux yeux de la Cour, ces éléments suffisaient pour amener les autorités judiciaires nationales à estimer que le requérant était en mesure de comprendre la signification de l‘avis l‘informant de la date de l‘audience et qu‘aucune traduction ou interprétation de celui-ci n‘était nécessaire. Par ailleurs, la Cour note également que l‘intéressé ne semble pas avoir fait part aux autorités pénitentiaires d‘éventuelles difficultés dans la compréhension du document litigieux.
92.  Il est regrettable que ce document n‘ait pas indiqué qu‘il appartenait au requérant de demander, au moins cinq jours avant la date de l‘audience, d‘être conduit dans le prétoire (paragraphe 17 ci-dessus). On ne saurait cependant faire peser sur l‘Etat l‘obligation de mentionner en détail, dans chaque acte de procédure, les droits et les facultés de l‘accusé. En revanche, il appartient au conseil d‘un accusé de renseigner son client quant à la suite de la procédure à son encontre et aux démarches à entamer pour faire valoir ses droits.
93.  En l‘espèce, le requérant a été informé de la date de l‘audience d‘appel le 1er septembre 2000, soit avec un préavis de plus de deux mois. Il en va de même pour le conseil choisi par l‘intéressé (paragraphe 17 ci-dessus). Durant cette période, les avocats du requérant n‘ont pas estimé nécessaire de joindre leur client (paragraphe 18 ci-dessus). Il ne ressort pas du dossier que l‘intéressé ait tenté d‘entrer en contact avec eux.
94.  La Cour ne peut que regretter le manque de communication entre le requérant et ses avocats. Des explications précises au sujet de la demande de transfert à l‘audience, ainsi que du délai et des modalités pour la présenter, auraient pu dissiper tout doute que le requérant était susceptible de nourrir à cet égard. Sur ce point, la Cour rappelle qu‘il ressort du libellé de l‘article 599 § 2 CPP (paragraphe 31 ci-dessus) et de la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêt no 6665 de 1995 – paragraphe 33 ci-dessus) qu‘un détenu qui souhaite être présent aux débats d‘appel dans le cadre d‘une procédure abrégée doit signaler, au moins cinq jours avant l‘audience, son intention d‘y être conduit. Cela aurait été connu des avocats choisis par le requérant.
95.  La Cour rappelle que, s‘il reconnaît à tout accusé le droit à « se défendre lui-même ou avoir l‘assistance d‘un défenseur (...) », l‘article 6 § 3 c) de la Convention n‘en précise pas les conditions d‘exercice. Il laisse ainsi aux Etats contractants le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir ; la tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie qu‘ils ont empruntée cadre avec les exigences d‘un procès équitable (Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, § 30, série A no 205). A cet égard, il ne faut pas oublier que la Convention a pour but de « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs », et que la nomination d‘un conseil n‘assure pas à elle seule l‘effectivité de l‘assistance qu‘il peut procurer à l‘accusé (Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275, et Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37).
96.  On ne saurait pour autant imputer à un Etat la responsabilité de toute défaillance d‘un avocat d‘office ou choisi par l‘accusé. L‘article 6 § 3 c) n‘oblige les autorités nationales compétentes à intervenir que si la carence de l‘avocat d‘office apparaît manifeste ou si on les en informe suffisamment de quelque autre manière (Daud c. Portugal, 21 avril 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, et Sannino c. Italie, no 30961/03, § 49, CEDH 2006-VI).
97.  En l‘espèce, le requérant n‘a jamais porté à l‘attention des autorités d‘éventuelles difficultés qu‘il aurait rencontrées dans la préparation de sa défense. De plus, aux yeux de la Cour, les carences des avocats de l‘intéressé n‘étaient pas manifestes. Les autorités internes n‘étaient dès lors pas obligées d‘intervenir ou de prendre des mesures pour garantir à l‘accusé une défense et une représentation effectives (voir, a contrario, Sannino précité, § 51).
98.  La Cour note de surcroît que la cour d‘appel de Rome a, en substance, interprété l‘omission de demander le transfert en salle d‘audience comme une renonciation non équivoque quoique implicite, par le requérant, à son droit de participer aux débats d‘appel (paragraphe 20 ci-dessus). Dans les circonstances particulières de la présente espèce, la Cour estime que cette conclusion était raisonnable et non entachée d‘arbitraire.
99.  Elle observe à ce sujet que l‘obligation qui pesait sur le requérant de signaler son intention d‘être conduit à l‘audience n‘entraînait pas l‘accomplissement de formalités particulièrement complexes. Par ailleurs, le transfert d‘un détenu implique des mesures de sûreté et nécessite une organisation préalable. Cela justifie la prévision d‘un délai de rigueur pour l‘introduction de la demande de transfert.
100.  Il y a également lieu d‘observer que d‘autres éléments étaient susceptibles de renforcer la conclusion selon laquelle le requérant ne souhaitait pas participer à l‘audience d‘appel. En premier lieu, il ne ressort pas du dossier que le jour de l‘audience, ayant constaté qu‘il n‘allait pas être conduit dans le prétoire, le requérant ait protesté auprès des autorités pénitentiaires. En deuxième lieu, dans leur mémoire du 23 octobre 2000, déposé au greffe de la cour d‘appel onze jours seulement avant la date de l‘audience, ses représentants n‘ont pas sollicité le transfert de M. Hermi.
101.  Il est vrai que, devant la cour d‘appel, Me Marini s‘est opposé à la poursuite de la procédure en l‘absence de son client (paragraphe 20 ci-dessus). Cependant, aux yeux de la Cour, une telle opposition, tardive et non appuyée par une déclaration de l‘accusé lui-même, ne saurait contredire l‘attitude du requérant.
102.  A la lumière de ce qui précède, et compte tenu notamment du comportement des avocats du requérant, la Cour estime qu‘il était loisible aux autorités judiciaires italiennes de conclure que le requérant avait renoncé d‘une manière tacite mais non équivoque à son droit de comparaître à l‘audience du 3 novembre 2000 devant la cour d‘appel de Rome. De plus, aucune formalité excessive n‘était imposée au requérant pour faire valoir le droit en question.
103.  Il s‘ensuit qu‘il n‘y a pas eu violation de l‘article 6 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par douze voix contre cinq, qu‘il n‘y a pas eu violation de l‘article 6 de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l‘homme, à Strasbourg, le 18 octobre 2006.
Lawrence Early Luzius Wildhaber   Greffier de section Président       Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l‘exposé des opinions séparées suivantes :    –  opinion dissidente commune aux juges Rozakis, Spielmann, Myjer et Ziemele ;   –  opinion dissidente du juge Zupančič.
L.W.
T.L.E.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES ROZAKIS, SPIELMANN, MYJER ET ZIEMELE
1.  Nonobstant le fait que nous sommes d‘accord avec la majorité pour ce qui est du rappel des principes généraux applicables concernant le droit de l‘accusé de prendre part à l‘audience et d‘être informé des accusations portées contre lui et la renonciation au droit de comparaître (paragraphes 58 à 76 de l‘arrêt), nous ne saurions souscrire à l‘application de ces principes au cas d‘espèce telle qu‘elle est exposée dans l‘arrêt.
2.  Il échet de rappeler les faits.
Tout d‘abord, le requérant a été informé que l‘audience d‘appel avait été fixée au 3 novembre 2000. Toutefois, à aucun moment on ne lui a fait part d‘une quelconque exigence quant à une déclaration de sa part indiquant qu‘il entendait participer à l‘audience. La communication intitulée « citation à comparaître en appel devant la cour réunie en chambre du conseil » mentionnait uniquement que « jusqu‘à 5 jours avant l‘audience susdite [le requérant] pourr[a], par l‘intermédiaire de son défenseur, examiner au greffe les actes et les documents et (...) en faire une copie et les consulter. »
3.  La règle selon laquelle le prévenu doit expressément demander d‘être entendu en personne résulte en réalité d‘une interprétation jurisprudentielle. Dans son arrêt no 6665 du 24 avril 1995 (affaire Visciano), la Cour de cassation a exprimé le principe de droit suivant : « l‘accusé détenu ou assigné à résidence doit aussi être entendu (...), seulement s‘il le demande en respectant le délai prévu à l‘article 127 § 2 CPP (c‘est-à-dire jusqu‘à cinq jours avant l‘audience), dans la procédure d‘appel contre un jugement prononcé [à l‘issue de] la procédure abrégée aux termes de l‘article 442 CPP, en vertu du renvoi que fait le dernier paragraphe de l‘article 443 CPP à l‘article 590, lequel à son tour dans son premier paragraphe se réfère aux « formalités prévues par l‘article 127 » pour la procédure en chambre de conseil. » (paragraphe 33 de l‘arrêt)
4.  Il est rappelé qu‘à l‘audience du 3 novembre 2000 l‘un des avocats s‘est opposé à la poursuite de la procédure en l‘absence de son client et a demandé le transfert de ce dernier de la prison à la salle d‘audience.
5.  Ensuite, il échet de souligner que les débats devant la cour d‘appel concernaient la question de savoir si la drogue en possession du requérant servait à satisfaire ses besoins personnels et si la juridiction de première instance avait interprété la législation pertinente au détriment des simples consommateurs de drogues. La cour d‘appel était investie d‘une plénitude de juridiction et était libre d‘apprécier à la fois les faits et le droit.
6.  Enfin, le requérant était un étranger ne disposant que de connaissances limitées du système juridique italien. Sa maîtrise de la langue italienne était probablement trop approximative pour qu‘il puisse se familiariser avec les arcanes de la procédure pénale italienne. En tout état de cause, nous estimons que la question de savoir si le requérant avait les capacités linguistiques nécessaires pour comprendre la signification de l‘avis l‘informant de la date de l‘audience devant la cour d‘appel n‘est pas réellement pertinente, car cet avis ne contenait aucune mention des démarches à accomplir pour pouvoir comparaître à cette audience.
7.  Certes, le rôle joué par les avocats du requérant n‘est pas à l‘abri de toute critique. Nous n‘avons aucune difficulté à suivre le raisonnement de la majorité, qui critique le manque de diligence de ces avocats. S‘il y avait eu une meilleure communication entre ceux-ci et le requérant et si les avocats avaient pris des dispositions pour assurer la présence de celui-ci à l‘audience d‘appel, aucun problème ne se serait posé au regard de la Convention.
8.  Toutefois, la conduite et les manquements des avocats ne sauraient affranchir les autorités de leur responsabilité.
En effet, même si la « procédure abrégée » appliquée au cas d‘espèce est particulière, force est de constater qu‘elle ne contient aucune limitation explicite quant à la possibilité de participer au procès à quelque stade de la procédure que ce soit. Il est parfois admis sous forme de boutade, à tort ou à raison, que les détenus connaissent mieux leurs droits et les règles de la procédure pénale que nombre d‘avocats. Cela ne saurait toutefois constituer pour les autorités une excuse les dispensant d‘informer les détenus quant à leurs droits élémentaires.
9.  La jurisprudence de notre Cour est claire.
Comme le paragraphe 58 de l‘arrêt le rappelle à juste titre, « [l]a comparution d‘un prévenu revêt une importance capitale dans l‘intérêt d‘un procès pénal équitable et juste (Lala c. Pays-Bas, 22 septembre 1994, § 33, série A no 297-A ; Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 35, série A no 277-A ; De Lorenzo c. Italie (déc.), no 69264/01, 12 février 2004), et l‘obligation de garantir à l‘accusé le droit d‘être présent dans la salle d‘audience – soit pendant la première procédure à son encontre, soit au cours d‘un nouveau procès – est l‘un des éléments essentiels de l‘article 6 (Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 56, 24 mars 2005). »
Ces principes sont en conformité avec le texte de l‘article 6 de la Convention. Comme le rappelle la Cour au paragraphe 59 de l‘arrêt, « quoique non mentionnée en termes exprès au paragraphe 1 de l‘article 6, la faculté pour l‘« accusé » de prendre part à l‘audience découle de l‘objet et du but de l‘ensemble de l‘article. Du reste, les alinéas c), d) et e) du paragraphe 3 reconnaissent à « tout accusé » le droit à « se défendre lui-même », « interroger ou faire interroger les témoins » et « se faire assister gratuitement d‘un interprète, s‘il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l‘audience », ce qui ne se conçoit guère sans sa présence 
(Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 27, série A no 89, et Sejdovic [c. Italie [GC], no 56581/00], § 81 [, CEDH 2006-II]). »
10.  Aux paragraphes 64 et 65 de l‘arrêt, il est rappelé que « lorsque la juridiction d‘appel doit examiner une affaire en fait et en droit et procéder à une appréciation globale de la culpabilité ou de l‘innocence, elle ne peut statuer à ce sujet sans évaluer directement les éléments de preuve présentés en personne par l‘inculpé qui souhaite prouver qu‘il n‘a pas commis l‘acte constituant prétendument une infraction pénale (Dondarini c. Saint-Marin, no 50545/99, § 27, 6 juillet 2004) » [et que] « [f]aisant application de ces principes, dans l‘affaire Ekbatani ([c. Suède, 26 mai 1988], § 32 [, série A no 134] ), la Cour a estimé que la présence de l‘accusé aux débats d‘appel était nécessaire lorsque la cause ne pouvait bien se résoudre sans une appréciation directe des témoignages personnels du requérant et du plaignant, la cour d‘appel étant appelée à trancher, au principal, quant à la culpabilité ou l‘innocence du prévenu. Cette conclusion ne saurait être modifiée par la circonstance que la cour d‘appel ne pouvait aggraver la peine prononcée en première instance (voir également, mutatis mutandis, Dondarini précité, § 28, et De Biagi c. Saint-Marin, no 36451/97, § 23, 15 juillet 2003). »
11.  Or, en l‘espèce, la juridiction d‘appel devait précisément examiner l‘affaire en fait et en droit et procéder à une appréciation globale de la culpabilité ou de l‘innocence du requérant. A cela s‘ajoute – comme le rappelle notre collègue Zupančič dans son opinion dissidente – que la séparation du « droit » et des « faits » n‘est pas facile à faire.
12.  Concernant la renonciation au droit de comparaître, la Cour a toujours exigé une renonciation « non équivoque ». Elle rappelle d‘ailleurs ce principe au paragraphe 76 dans les termes suivants :
« Eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (voir, parmi beaucoup d‘autres, Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25 in fine, série A no 11), l‘article 6 de la Convention implique pour toute juridiction nationale l‘obligation de vérifier si l‘accusé a eu la possibilité d‘avoir connaissance de la date de l‘audience et des démarches nécessaires pour y participer lorsque, comme en l‘espèce, surgit sur ce point une contestation qui n‘apparaît pas d‘emblée manifestement dépourvue de sérieux (voir, mutatis mutandis, Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 72, CEDH 2004-IV). Il en va de même dans le cas de procédures simplifiées telles que la procédure abrégée, où l‘accusé renonce à certains de ses droits. »1
13.  Nous sommes donc d‘avis que le requérant avait le droit de participer à son procès devant la cour d‘appel. Ce droit, qui existait en droit italien, est de surcroît garanti par l‘article 6 de la Convention. Les principes  
généraux de notre jurisprudence auraient dû s‘appliquer dans leur intégralité sachant que la présente affaire se rapproche plus de l‘affaire Dondarini précitée que de l‘affaire Kamasinski c. Autriche (19 décembre 1989, série A no 168).
14.  Le requérant n‘avait pas renoncé de manière non équivoque au droit de comparaître. En effet, même si la cour d‘appel de Rome a retenu que le requérant n‘avait pas préalablement fait savoir aux autorités qu‘il souhaitait participer au procès en appel et que la Cour de cassation a simplement rappelé que l‘intéressé n‘avait pas manifesté sa volonté de participer à l‘audience d‘appel, aucune de ces juridictions ne s‘est référée à une renonciation du requérant à son droit de comparaître. Une telle renonciation explicite aurait du moins exigé que les autorités informent officiellement le requérant que, s‘il ne se manifestait pas dans un certain délai, il serait réputé avoir renoncé explicitement à ce droit.
15.  Le cas d‘espèce était une affaire sérieuse, tant du point de vue de la nature de l‘infraction que de celui de la peine encourue. Dans de telles circonstances, une juridiction nationale se doit d‘être particulièrement vigilante afin de respecter toutes les garanties procédurales. Une telle vigilance se serait en l‘espèce révélée d‘autant plus nécessaire que le requérant, en détention provisoire, dépendait du service public assurant le transport de la prison à la salle d‘audience.
16.  A cela s‘ajoute qu‘il n‘y avait en l‘espèce aucune difficulté insurmontable pour faire droit à la demande de reporter l‘audience. Il est rappelé dans ce contexte que l‘endroit où l‘appel devait être examiné était situé dans la même ville que celle où était détenu le requérant, à savoir Rome. Un report de l‘audience aurait permis sans difficulté le transfert du requérant de la prison à la salle d‘audience. Vu la proximité des lieux, ce transfert aurait pu s‘effectuer à très bref délai.
17.  En conclusion, nous estimons qu‘il y a eu violation de l‘article 6 de la Convention.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ
(Traduction)
Je souscris à l‘opinion dissidente commune aux juges Rozakis, Spielmann, Myjer et Ziemele. Toutefois, pour autant que la décision prise en l‘espèce repose sur la distinction entre les faits et le droit – c‘est-à-dire pour autant que la cour d‘appel de Rome, considérant qu‘elle était seulement appelée à trancher des points de droit, aurait eu raison de statuer en l‘absence de l‘accusé – j‘aimerais exposer mon point de vue quant à la nature relative de la distinction entre les faits et le droit.
Il n‘est pas facile de démêler les questions de droit et les considérations factuelles, que ce soit sur le plan abstrait ou sur le plan concret.
La raison en est très simple. Dans l‘abstrait, on peut dire que la qualification du cas en fonction de laquelle l‘ensemble des faits doivent être évalués détermine à l‘évidence quels faits seront considérés comme pertinents et lesquels ne le seront pas. Le choix d‘une autre qualification juridique met d‘autres faits en avant, ou à tout le moins une interprétation différente des mêmes faits. L‘on peut même à cet égard défendre une position « hobbiste » extrême consistant à dire qu‘il n‘y a tout simplement pas de faits pertinents sans l‘existence préalable d‘une norme juridique (pénale) à l‘aune de laquelle ces faits deviennent pertinents2. Pour citer un exemple, l‘assassinat de l‘usurière dans le roman de Dostoïevski « Crime et châtiment » ne peut être qualifié de « meurtre » que parce que préexistait une norme matérielle de droit pénal qui décrivait et sanctionnait un tel comportement en le qualifiant de « meurtre ».
Dans les juridictions continentales, en vertu de l‘adage jura novit curia, les tribunaux pénaux ne sont généralement pas tenus par la qualification juridique des faits à laquelle procède le procureur. L‘accusation expose les éléments de preuve qui forment un certain schéma factuel (un événement passé) et propose la qualification juridique qui est à son avis la plus apte à le décrire. La défense s‘efforce normalement de faire rejeter cette qualification-là. Quant au tribunal, il choisit l‘une des deux versions ou adopte la sienne propre.
On est donc autorisé à dire que cette dialectique opère par le biais de la conversion mutuelle des faits en un choix de norme et de ce dernier en la sélection des faits pertinents. C‘est ainsi que le choix initial de la norme dépend de la perception primaire des faits. Par la suite et réciproquement, la manière dont les faits pertinents sont perçus peut à son tour déterminer le choix d‘une norme (différente). Cette boucle mentale est souvent répétée plusieurs fois avant de parvenir à la qualification optimale du schéma factuel. Ce processus mental se déroule en silence, c‘est-à-dire qu‘il ne se reflète généralement pas dans le raisonnement définitif (la motivation) du jugement. Il est néanmoins réel et décisif. La police tente d‘abord une première qualification juridique, qui est ensuite corrigée par l‘accusation, commentée par la défense puis adoptée ou rejetée par les juridictions du fond et d‘appel selon le principe jura novit curia.
Les trois parties s‘efforcent donc de trouver la qualification juridique la plus apte à rendre compte du schéma factuel en cause. On peut même généraliser en disant que dans tout raisonnement juridique – à quelque degré de juridiction que ce soit – le gagnant est celui qui propose avec le plus de persuasion la qualification juridique la plus appropriée et la plus concise. Pour autant que l‘on peut dire que l‘issue de cet exercice mental est objectivement prédéterminée et non soumise aux préférences arbitraires des juges, l‘on peut parler d‘état de droit (par opposition au gouvernement des juges).
Quoi qu‘il en soit, le raisonnement juridique en appel – tout comme en première instance – consiste à subsumer les faits établis sous la norme juridique choisie. En d‘autres termes, si l‘on procède à une qualification juridique différente en appel, ce sont d‘autres faits que ceux qui étaient jusque-là décisifs qui vont devenir pertinents juridiquement.
Certes, en appel, il est plus probable que ces « faits » seront des violations procédurales. La Cour européenne des droits de l‘homme, pour sa part, continue à affirmer qu‘elle n‘est pas une juridiction de quatrième instance et qu‘elle n‘entend pas examiner les faits soumis au principe d‘immédiateté dans un procès. Néanmoins, le choix d‘une nouvelle prémisse majeure sur le plan juridique appellera toujours à prendre de nouveaux éléments pour composer la prémisse mineure, c‘est-à-dire des faits d‘une sorte ou d‘une autre.
Cette interaction dialectique entre le choix de la prémisse majeure (la norme) et la perception de la prémisse mineure, à savoir la répartition des faits entre faits pertinents et faits non pertinents, constitue une antinomie. Les normes sont créées pour diriger la conduite. Elles doivent donc être à la fois différentes et distinctes des faits. L‘antinomie provient de ce que le choix des faits qui vont devenir pertinents dépend du choix de la norme légale et vice versa. En d‘autres termes, parce qu‘il n‘y a pas de faits indépendants qui soient tout simplement là à attendre qu‘on leur applique  
une norme juridique, il en résulte que les faits et le droit sont imbriqués. Au bout du compte, on ne peut donc pas dire que les normes et les faits sont différents et distincts. Sur les millions de « faits » constituant les conditions nécessaires pour que l‘événement en question se produise, seuls quelques-uns seront mis en avant et retenus car considérés comme pertinents. Or ils ne sont mis en avant et retenus que parce que nous avons choisi une norme juridique particulière sous laquelle nous voulons les subsumer.
Ce processus mental donne lieu à une complication supplémentaire. La norme choisie (la qualification du cas) ne consiste pas simplement en un paragraphe d‘un article du code pénal. Il faut combiner plusieurs normes pour rendre compte convenablement du schéma factuel. Des questions telles que la culpabilité pénale (relevant de la partie générale du code pénal) se combinent avec le choix des accusations spécifiques (relevant de la partie spécialisée du code pénal) – sans parler de l‘absence nécessaire de moyens de défense actifs (aliénation mentale, nécessité, erreurs de fait, etc.).
Autrement dit, la prémisse majeure est toujours une combinaison de différentes dispositions du code pénal. Cela montre encore plus clairement que la rigueur du principe de légalité ne tient pas, comme on le croit généralement, à la subsomption unidimensionnelle d‘un schéma factuel évident sous une norme exclusive, unique et évidente. Le choix de la combinaison de plusieurs normes la plus apte à rendre compte du schéma factuel est lui-même un exercice mental complexe où, comme dans une partie d‘échecs, diverses combinaisons sont envisagées avant que le choix définitif soit arrêté.
Dans ces conditions, il n‘est tout simplement pas tenable d‘affirmer que les « faits » peuvent être facilement séparés du « droit ».
Toutefois, la question de savoir si dans le cas d‘espèce la cour d‘appel aurait pu statuer sur l‘affaire sans que l‘accusé donne sa version des faits est quelque peu superflue. Dans l‘abstrait, le droit italien lui-même prévoit la possibilité pour l‘accusé de participer précisément parce qu‘il est sensible à la complexité exposée ci-dessus.
Or, concrètement, la deuxième chambre criminelle de la cour d‘appel a décidé qu‘elle pouvait statuer en l‘absence de l‘accusé. J‘ose supposer que, même au regard des normes procédurales internes, cette décision – statuer hors de la présence de l‘accusé en dépit de l‘absence de renonciation explicite et non équivoque de sa part résultant de son consentement éclairé – était contraire à l‘esprit de l‘article 599 § 2 du code italien de procédure pénale. Selon moi, le fait que l‘avis n‘ait pas prévu soit une renonciation explicite soit un transfert automatique de l‘accusé devant la cour d‘appel n‘était qu‘un simple oubli dû à une négligence dans la rédaction du formulaire imprimé.
La conséquence en est toutefois que nous ne savons pas si l‘absence du requérant à l‘audience devant la cour d‘appel de Rome était le résultat de son consentement éclairé, d‘un oubli de ses avocats ou encore d‘un autre facteur. Eu égard à l‘esprit tant de l‘article 599 § 2 du code italien de procédure pénale que de notre propre jurisprudence, je dirais que c‘est au gouvernement italien qu‘incombait la charge de nous convaincre que la renonciation était explicite et non équivoque.
Or le Gouvernement n‘a pas réussi à nous convaincre de cela. J‘estime donc que ma décision de voter pour la violation, plutôt que pour la non-violation, de l‘article 6 de la Convention est justifiée.
1.  Les italiques sont de nous.
1.  « De cette relation du péché à la loi, et de l’infraction à la loi civile, on peut inférer que : (…) [d]euxièmement, là où il n’y a pas de loi civile, il n’y a pas d’infraction à la loi, car comme aucune loi ne demeure, sinon la loi de nature, il n’y a aucunement lieu qu’il y ait accusation, tout homme étant son propre juge, accusé seulement par sa propre conscience, et innocenté par la droiture de sa propre intention. (…) Troisièmement, quand il n’y a pas de pouvoir souverain, il n’y a pas non plus d’infraction à la loi, car quand n’existe pas un tel pouvoir, on ne peut avoir aucune protection de la loi, et, par conséquent, chacun peut se protéger par son propre pouvoir ». (Thomas Hobbes, Léviathan, ch. XXVII « Des infractions à la loi, excuses et circonstances atténuantes »)
ARRÊT HERMI c. ITALIE
ARRÊT HERMI c. ITALIE 
 ARRÊT HERMI c. ITALIE
ARRÊT HERMI c. ITALIE – OPINION DISSIDENTE COMMUNE  
AUX JUGES ROZAKIS, SPIELMANN, MYJER ET ZIEMELE
  ARRÊT HERMI c. ITALIE – OPINION DISSIDENTE COMMUNE  
AUX JUGES ROZAKIS, SPIELMANN, MYJER ET ZIEMELE
  ARRÊT HERMI c. ITALIE  
ARRÊT HERMI c. ITALIE – OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ  
 ARRÊT HERMI c. ITALIE   OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPAN I


Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Non-violation de l'art. 6

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) ACCES INTERDIT AU PUBLIC, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-1) PROCES ORAL, (Art. 6-1) PROCES PUBLIC, (Art. 6-3) DROITS DE LA DEFENSE, (Art. 6-3-a) INFORMATION SUR LA NATURE ET LA CAUSE DE L'ACCUSATION, (Art. 6-3-c) SE DEFENDRE AVEC L'ASSISTANCE D'UN DEFENSEUR


Parties
Demandeurs : HERMI
Défendeurs : ITALIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (grande chambre)
Date de la décision : 18/10/2006
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18114/02
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2006-10-18;18114.02 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award