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15/02/2007 | CEDH | N°50899/99

CEDH | AFFAIRE KRASIMIR YORDANOV c. BULGARIE


CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE KRASIMIR YORDANOV c. BULGARIE
(Requête no 50899/99)
ARRÊT
STRASBOURG
15 février 2007
DÉFINITIF
15/05/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Krasimir Yordanov c. Bulgarie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
M. P. Lorenzen, président,   Mme S. Botoucharova,   M. V. Butkevych,   Mme M. Tsatsa-Nikol

ovska,   MM. R. Maruste,    J. Borrego Borrego,   Mme R. Jaeger, juges,  et de Mme C. Westerdiek, greffi...

CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE KRASIMIR YORDANOV c. BULGARIE
(Requête no 50899/99)
ARRÊT
STRASBOURG
15 février 2007
DÉFINITIF
15/05/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Krasimir Yordanov c. Bulgarie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
M. P. Lorenzen, président,   Mme S. Botoucharova,   M. V. Butkevych,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   MM. R. Maruste,    J. Borrego Borrego,   Mme R. Jaeger, juges,  et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 janvier 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 50899/99) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Krasimir Yordanov Yordanov (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 mai 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me M. Ekimdjiev, avocat à Plovdiv. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par son coagent, Mme M. Kotzeva, du ministère de la Justice.
3.  Le requérant se plaignait en particulier de la durée excessive de la procédure pénale menée à son encontre, ainsi que d'une atteinte à son droit au respect de la vie privée et de la correspondance du fait du défaut de restitution des documents personnels saisis dans le cadre de l'enquête. Il dénonçait en outre l'absence de recours effectifs susceptibles de remédier aux violations alléguées.
4.  Par une décision du 15 septembre 2005, la Cour a décidé de joindre au fond de l'affaire l'examen de l'exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement concernant le grief tiré de l'article 8 de la Convention et a déclaré la requête partiellement recevable.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5.  Le requérant est né en 1967 et réside à Plovdiv.
A.  Les événements du 31 janvier 1991
6.  En 1990, le requérant entreprit une activité commerciale et s'inscrivit au registre en tant que commerçant (еднолична фирма). Il proposait à ses clients potentiels d'importer de l'étranger des appareils hi-fi et électroménagers sur commande, après versement d'un acompte sur le prix.
7.  Le 31 janvier 1991, des clients mécontents dont les commandes n'avaient pas été honorées se rendirent au magasin du requérant et dérobèrent une partie des marchandises qui s'y trouvaient, ainsi que de l'argent et divers documents tels que des factures. Le 4 février 1991, le requérant porta plainte pour cambriolage et fournit au parquet la liste des personnes en cause.
8.  Par une ordonnance datée du 25 septembre 1991, qui fut notifiée au requérant le 11 mai 1992, le procureur de district de Bourgas refusa d'engager des poursuites pénales. Selon le procureur, il résultait des éléments de l'enquête, et notamment des dépositions des clients concernés, que le requérant les avait lui-même autorisés à prendre la marchandise, n'étant pas en mesure de leur rembourser les acomptes versés.
9.  Le requérant recourut contre cette décision et le 10 août 1992 le procureur général annula l'ordonnance de non-lieu et renvoya le dossier au parquet de district pour un complément d'enquête. Le 7 mai 1993, les personnes concernées furent mises en examen pour voie de fait (самоуправство).
10.  En mai, puis en juillet 1999, le requérant écrivit au parquet pour se plaindre de l'inactivité des organes d'enquête. Par une ordonnance du 26 juin 2000, le procureur de district mit un terme à la procédure pénale en raison de la prescription de l'action publique.
B.  Les poursuites pénales à l'encontre le requérant
11.  Suite à plusieurs plaintes de clients, le requérant fut mis en examen le 15 février 1991 du chef de détournement des fonds qui lui avaient été confiés (обсебване), en vertu de l'ancien article 258 du Code pénal, et d'infractions à la réglementation sur le transfert de devises (en vertu de l'ancien article 250).
12.  Dans le cadre de l'enquête, des documents commerciaux et comptables liés à son activité, trois cassettes vidéo contenant les enregistrements de réunions commerciales, des courriers privés et le passeport international du requérant furent saisis, ainsi qu'il résulte des procès-verbaux des 14 et 26 février 1991.
13.  Un acte d'accusation fut établi le 28 décembre 1991 et le requérant fut renvoyé en jugement. A l'audience tenue le 14 avril 1992 devant le tribunal de district (районен съд) de Bourgas, le tribunal décida de retourner le dossier au procureur pour un complément d'instruction.
14.  Suite à un nouveau renvoi en jugement, le tribunal retourna encore une fois le dossier pour un complément d'instruction le 2 octobre 1992.
15.  Par lettres du 26 octobre 1992 et du 30 novembre 1992, le requérant s'adressa au président du tribunal de district pour se plaindre de la passivité des organes d'enquête, mais n'obtint pas de réponse.
16.  Par une ordonnance du 26 novembre 1998, le procureur de district mit fin aux poursuites en raison de la dépénalisation des faits de transfert de devises et de l'insuffisance des preuves concernant l'infraction de détournement de fonds.
17.  Le requérant introduisit un recours contre l'ordonnance de non-lieu en demandant que le parquet se prononce sur la question de savoir s'il avait commis ou non les faits dépénalisés. Il se plaignit en outre de l'absence de restitution des documents et correspondance saisis.
18.  Le 7 janvier 1999, le procureur régional confirma le motif du non-lieu et ordonna que les documents et effets personnels réclamés soient restitués à l'intéressé. Lorsque le requérant se rendit au parquet de district, il fut été verbalement informé que la majeure partie des pièces saisies ne figurait pas au dossier et avait probablement été perdue.
19.  Suite à de nouveaux recours du requérant, l'ordonnance de non-lieu fut confirmée par le parquet d'appel le 16 février 1999, puis par le parquet de cassation le 22 juin 1999.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Les infractions reprochées au requérant
20.  L'ancien article 250 du Code pénal réprimait différentes infractions à la réglementation sur le transfert de devises étrangères. Ce texte a été abrogé en février 1993.
21.  L'ancien article 258 du Code pénal réprimait le fait de détourner à son profit des biens ou valeurs appartenant à autrui que l'auteur du délit a en sa possession ou sous sa garde (обсебване).
B.  Saisie et conservation des éléments de preuve matériels
22.  En vertu de l'article 108 du Code de procédure pénale de 1974 (ci-après CPP), en vigueur à l'époque des faits, les éléments de preuve matériels sont gardés jusqu'à la fin de la procédure pénale.
23.  Les objets saisis peuvent être restitués à leur propriétaire avant la fin de la procédure si cela ne compromet pas le bon déroulement de celle-ci. Depuis le 1er janvier 2000, un éventuel refus de l'enquêteur ou du procureur de les restituer est susceptible d'un recours judiciaire.
24.  Lorsque la procédure pénale est clôturée sans que l'affaire ne soit déférée au tribunal, le procureur est tenu de se prononcer sur le sort des éléments de preuve matériels (article 237 alinéa 2 CPP). Les objets ayant servi à la perpétration de l'infraction ou dont la possession est interdite sont confisqués, de même que ceux dont le propriétaire n'est pas connu et qui n'ont pas été revendiqués dans un délai d'un an après la clôture de la procédure (article 53 du Code pénal et article 109 CPP). Dans les autres cas, les objets sont restitués à leur propriétaire.
C.  La loi de 1988 sur la responsabilité de l'Etat pour les dommages causés aux particuliers (Закон за отговорността на държавата за вреди причинени на граждани)
25.  Cette loi prévoyait, dans sa rédaction au moment des faits de l'espèce :
Article 1
« L'Etat est responsable des dommages causés aux particuliers du fait des actes, actions ou inactions illégaux de ses autorités ou agents à l'occasion de l'accomplissement de leurs fonctions en matière administrative. (...) »
Article 2
« L'Etat est responsable des dommages causés aux particuliers par les autorités de l'instruction, du parquet et par les juridictions, du fait :
1.  D'une détention, notamment la détention provisoire, lorsque celle-ci a été annulée pour absence de fondement légal ;
2.  D'une accusation en matière pénale, lorsque l'intéressé est ensuite relaxé ou qu'il est mis fin aux poursuites au motif qu'il n'est pas l'auteur des faits, que les faits ne sont pas constitutifs d'une infraction, que la procédure pénale a été engagée après l'extinction de l'action publique en raison de la prescription ou d'une amnistie ;
3.  D'une condamnation pénale ou d'une sanction administrative, lorsque l'intéressé est par la suite relaxé ou la sanction annulée; (...) »
26.  Selon la jurisprudence dominante, quiconque se prétend lésé par des faits entrant dans le champ d'application de la loi de 1988 ne peut prétendre à une indemnisation en application des règles générales de la responsabilité délictuelle, la loi sur la responsabilité de l'Etat étant un texte spécial qui déroge au régime général de la responsabilité (voir notamment реш. no 1370 от 16.12.1992, гр. д. no 1181/92, ВС IV г. о.).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 et 13 DE LA CONVENTION
27.  Le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure pénale menée à son encontre et de l'absence de recours à cet égard, au regard des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, dont les parties pertinentes sont libellées comme suit :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
28.  Le Gouvernement n'a pas soumis d'observations sur ces griefs.
A.  Sur la durée à prendre en considération
29.  La Cour relève que la procédure pénale contre le requérant a débuté par sa mise en examen le 15 février 1991. Toutefois, la Cour n'est compétente à examiner que la partie de la procédure qui a eu lieu après l'entrée en vigueur de la Convention pour la Bulgarie le 7 septembre 1992, tout en tenant compte, conformément à la jurisprudence, de l'état de la procédure à cette date.
30.  En ce qui concerne la fin de la procédure, la Cour note que la date à prendre en compte serait soit le 26 novembre 1998, lorsque le procureur a formellement mis fin aux poursuites, soit le 22 juin 1999, date à laquelle l'ordonnance du procureur est devenue définitive suite aux recours du requérant. Toutefois, compte tenu de sa conclusion ci-après concernant le fond du grief, la Cour n'estime pas nécessaire de trancher cette question (voir S.H.K. c. Bulgarie, no 37355/97, § 27, 23 octobre 2003) et partira de l'hypothèse que la procédure litigieuse a pris fin le 26 novembre 1998. La durée entrant dans la compétence ratione temporis de la Cour s'élève donc à six ans et plus de deux mois.
B.  Sur le caractère raisonnable de cette durée
31.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi d'autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).
32.  En l'espèce, la Cour relève que le tribunal de district a renvoyé l'affaire du requérant au procureur pour un complément d'instruction le 2 octobre 1992. Après cette date, le dossier est resté au point mort et aucun acte n'a été effectué de la part des autorités jusqu'à l'ordonnance de non-lieu du 26 novembre 1998. La Cour estime qu'un tel délai ne saurait passer pour raisonnable ; le Gouvernement n'a au demeurant fourni aucune explication pour le justifier.
33.  Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.
C.  Sur l'existence d'un recours effectif
34.  La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant d'examiner le contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention et d'offrir un redressement approprié (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI). Eu égard à sa conclusion ci-dessus concernant le caractère excessif de la durée de la procédure, la Cour considère que le requérant disposait d'un « grief défendable » de méconnaissance de l'article 6 § 1.
35.  Le Gouvernement n'a pas invoqué et la Cour ne dispose par ailleurs d'aucun élément indiquant l'existence en droit bulgare, à l'époque des faits, d'une voie de recours susceptible d'accélérer le cours d'une procédure pénale ou de fournir aux personnes concernées une réparation pour les retards déjà intervenus.
36.  La Cour conclut dès lors à la violation de l'article 13 en ce que le requérant ne disposait pas d'un recours pour remédier à son grief tiré de la durée excessive de la procédure pénale.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8 ET 13 DE LA CONVENTION
37.  Le requérant expose par ailleurs que la correspondance et les autres effets saisis dans le cadre de la procédure pénale ne lui ont pas été restitués à la clôture de celle-ci. Il invoque l'article 8 et l'article 13 de la Convention, libellés comme suit en leurs parties pertinentes :
Article 8
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
A.  Sur l'exception du Gouvernement
38.  Le Gouvernement a soulevé une exception de non-épuisement des voies de recours internes, considérant que le requérant aurait pu demander réparation du préjudice subi du fait de la perte des pièces saisies en application de la loi sur la responsabilité de l'Etat ou du droit commun. Le requérant conteste ces allégations et considère qu'aucune des hypothèses visées par la loi sur la responsabilité de l'Etat ne couvre un cas comme le sien. Quant au droit commun de la responsabilité civile, son application serait exclue vis-à-vis des autorités publiques.
39.  Considérant que l'exception soulevée était étroitement liée à la substance du grief tiré de l'absence de recours effectifs en droit interne, la Cour a décidé, dans sa décision sur la recevabilité de la requête du 15 septembre 2005, de joindre celle-ci au fond de l'affaire. La Cour examinera dès lors les arguments des parties à cet égard dans le cadre du grief tiré de l'article 13 de la Convention.
B.  Sur la violation alléguée de l'article 8 de la Convention
1.  Arguments des parties
40.  Le requérant fait valoir que les correspondances, documents et cassettes saisis n'avaient aucun lien avec les accusations portées contre lui pour transfert illégal de devises et ne constituaient dès lors pas des « éléments de preuve matériels » au sens du Code de procédure pénale. Ils auraient donc dû lui être retournés en cours de procédure, dès que cette absence de lien avait été constatée. Il considère en conséquence que la privation prolongée de sa correspondance et effets n'était pas légale, ni proportionnée au regard de l'article 8 § 2. Il estime qu'en tout état de cause la perte ou la destruction des pièces saisies, empêchant leur restitution après la clôture de la procédure n'était ni « prévue par la loi », ni « nécessaire dans une société démocratique » au sens de cette disposition.
41.  Le Gouvernement met en avant que la conservation des pièces saisies constituait une restriction légitime du droit de l'intéressé au respect de la correspondance, rendue nécessaire dans le cadre de la procédure pénale dont il faisait l'objet.
2.  Appréciation de la Cour
42.  La Cour relève d'emblée que le Gouvernement ne conteste pas que la saisie et le défaut de restitution de la correspondance personnelle et commerciale, des cassettes vidéo et du passeport du requérant constituent une ingérence dans son droit au respect de la correspondance et de la vie privée garanti par l'article 8. Elle ne relève par ailleurs aucune raison pour considérer autrement.
43.  La Cour rappelle que pour se concilier avec le paragraphe 2 de l'article 8, une ingérence dans l'exercice d'un droit garanti par celui-ci doit être « prévu par la loi », inspiré par un ou des buts légitimes visés dans ce paragraphe et proportionné à ces buts (Dudgeon c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1981, série A no 45, § 43).
44.  Concernant la présente espèce, la Cour note d'emblée qu'elle n'a pas à se pencher sur la légalité et la justification de la perquisition et de la saisie effectuées, celles-ci ayant eu lieu avant l'entrée en vigueur de la Convention pour la Bulgarie, le 7 septembre 1992 (voir la décision sur la recevabilité de la requête du 15 septembre 2005).
45.  S'agissant de la conservation des pièces saisies pendant la procédure pénale, le requérant n'a pas fourni d'éléments susceptibles de mettre en doute la justification de celle-ci au regard des exigences susmentionnées de l'article 8 § 2 ; il n'a en particulier pas demandé la restitution des pièces en cours de procédure, ce qui aurait mis les autorités compétentes en position soit de les lui restituer, soit de lui exposer les motifs justifiant leur conservation.
46.  La Cour relève en revanche que les pièces saisies n'ont pas pu être restituées au requérant après la clôture de la procédure en raison de leur disparition du dossier. De l'avis de la Cour, une telle situation ne saurait être considérée comme « prévue par la loi » ou proportionnée à un quelconque but légitime.
47.  Partant, l'article 8 de la Convention a été méconnu.
C.  Sur l'existence d'un recours
1.  Arguments des parties
48.  Le requérant soutient qu'il ne disposait pas de recours effectif en droit interne susceptible de remédier à la violation alléguée de l'article 8 de la Convention. Le Gouvernement conteste cette thèse et avance que la perte des pièces saisies constituait un acte illégal de l'administration et que le requérant pouvait dès lors demander réparation du préjudice subi de ce fait en vertu du régime spécial de la responsabilité de l'Etat ou bien du droit commun.
49.  Le requérant réplique que la loi sur la responsabilité de l'Etat ne couvre pas le cas de l'espèce : l'article 1 de la loi ne concernerait que l'activité administrative, alors que la responsabilité des autorités judiciaires serait limitée par l'article 2 à certaines hypothèses, énumérées de manière exhaustive. Quant au droit commun de la responsabilité civile, son application vis-à-vis des autorités publiques serait exclue par l'effet de la loi spéciale régissant la responsabilité de l'Etat.
2.  Appréciation de la Cour
50.  La Cour l'a observé ci-dessus, l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant d'examiner le contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention et d'offrir un redressement approprié. La portée de l'obligation découlant de cette disposition varie en fonction de la nature du grief tiré de la Convention mais le recours en question doit être « effectif » en pratique comme en droit (Kudła, précité, loc. cit.).
51.  En l'espèce, eu égard à sa conclusion ci-dessus concernant l'article 8 de la Convention, la Cour considère que le requérant disposait d'un « grief défendable » de méconnaissance de cette disposition. Il convient dès lors d'examiner si le droit interne était susceptible de lui offrir un recours adéquat.
52.  La Cour relève que le requérant avait, en vertu de l'article 108 du CPP, la faculté de demander au procureur la restitution des pièces saisies dans le cadre de la procédure pénale. L'intéressé a fait usage de cette possibilité au moment où les poursuites ont été terminées et le 7 janvier 1999 le procureur a ordonné la restitution des pièces en question. Toutefois, leur restitution effective n'a pas été possible en raison de leur disparition du dossier. Cette voie de recours s'est donc révélée inopérante en l'espèce.
53.  S'agissant de la possibilité d'obtenir une indemnisation pour le préjudice éventuellement subi en raison du défaut de restitution des pièces, la Cour relève que l'article 2 de la loi sur la responsabilité de l'Etat invoquée par le Gouvernement énumère de manière limitative les hypothèses dans lesquelles la responsabilité de l'Etat pourrait être engagée du fait de l'action des autorités judiciaires, ce que constitue, de prime abord, l'action du parquet concernant la saisie, la conservation et la restitution d'objets en relation avec une procédure pénale. Cette disposition vise le préjudice subi suite à une détention illégale, une accusation ou une condamnation qui se sont révélées injustifiées eu égard au constat de non-culpabilité ultérieur (paragraphe 25 ci-dessus) et il n'apparait pas qu'une hypothèse comme celle de l'espèce soit couverte. Le Gouvernement ne produit au demeurant aucune décision où une action en application de cette loi aurait aboutie dans un cas similaire et n'étaye dès lors pas la pertinence et les chances de succès d'une telle procédure.
54.  Quant au droit commun de la responsabilité civile, la Cour relève que la jurisprudence interne semble exclure son application lorsqu'une autorité de l'Etat est en cause (paragraphe 26 ci-dessus) et que le Gouvernement n'a produit aucun élément mettant en doute ce constat.
55.  Au vu de ces observations, le requérant n'avait pas à sa disposition un ou plusieurs recours effectifs, susceptibles de remédier à la violation alléguée de l'article 8. Partant, la Cour rejette l'exception préliminaire du Gouvernement et conclut à la violation de l'article 13 en combinaison avec l'article 8 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
56.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
57.  Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral subi du fait de la durée excessive de la procédure, 2 000 EUR pour la violation de l'article 8 et 2 000 EUR pour a violation de l'article 13, soit un total de 9 000 EUR. Il considère que les montants sollicités sont justifiés compte tenu de l'augmentation du niveau de vie en Bulgarie ces dernières années.
58.  Le Gouvernement n'a pas soumis d'observations.
59.  Compte tenu de tous les éléments en sa possession et statuant en équité, comme le veut l'article 41, la Cour estime qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 2 000 EUR au titre de préjudice moral.
B.  Frais et dépens
60.  Le requérant demande également 2 870 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour, dont 2 590 EUR d'honoraires d'avocat et 280 EUR de frais. Il produit un décompte du travail effectué pour un total de 37 heures au taux horaire de 70 EUR, ainsi que des justificatifs de frais postaux. Il demande que les montants alloués par la Cour soient directement versés à son avocat.
61.  Le Gouvernement n'a pas soumis d'observations.
62.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu de tous les éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR tous frais confondus, dont il convient de déduire l'assistance judiciaire versée par le Conseil de l'Europe, soit 701 EUR. Elle accorde en conséquence 799 EUR au requérant à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
63.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention concernant la durée de la procédure pénale ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 en combinaison avec l'article 6 § 1 ;
3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention concernant le défaut de restitution au requérant des pièces saisies dans le cadre de l'enquête pénale ;
4.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 en combinaison avec l'article 8 ;
5.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares selon les taux applicables au moment du règlement :
i.  2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral ;
ii.  799 EUR (sept cent quatre-vingt dix-neuf euros) pour frais et dépens, à verser sur le compte désigné par l'avocat du requérant ;
iii.  tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 février 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen   Greffière Président
ARRÊT KRASIMIR YORDANOV c. BULGARIE
ARRÊT KRASIMIR YORDANOV c. BULGARIE 


Synthèse
Formation : Cour (cinquième section)
Numéro d'arrêt : 50899/99
Date de la décision : 15/02/2007
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Violations de l'art. 13 ; Violation de l'art. 8 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédures nationale et de la Convention

Analyses

(Art. 13) RECOURS EFFECTIF, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE


Parties
Demandeurs : KRASIMIR YORDANOV
Défendeurs : BULGARIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-02-15;50899.99 ?

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