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15/02/2007 | CEDH | N°6281/02

CEDH | AFFAIRE VARSAK c. TURQUIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE VARSAK c. TURQUIE
(Requête no 6281/02)
ARRÊT
STRASBOURG
15 février 2007
DÉFINITIF
15/05/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Varsak c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,    J. Hedigan,    R. Türmen,    C. Bîrsan,   Mme A. Gyulumyan,   MM. E. M

yjer,    David Thór Björgvinsson, juges,  et de M. S. Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en c...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE VARSAK c. TURQUIE
(Requête no 6281/02)
ARRÊT
STRASBOURG
15 février 2007
DÉFINITIF
15/05/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Varsak c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,    J. Hedigan,    R. Türmen,    C. Bîrsan,   Mme A. Gyulumyan,   MM. E. Myjer,    David Thór Björgvinsson, juges,  et de M. S. Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 janvier 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 6281/02) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Şeref Varsak (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 janvier 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me K. Bilgiç, avocat à Izmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n'a pas désigné d'agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3.  Le 26 janvier 2004, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Le 31 août 2006, se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4.  Le requérant est né en 1968 et réside à Izmir.
5.  Le 10 mars 2001, l'épouse du requérant déposa une plainte pour violence conjugale.
6.  Le 6 juin 2001, le requérant fut inculpé sur la base de l'article 456 de l'ancien code pénal réprimant l'atteinte volontaire à l'intégrité physique ou morale d'une personne.
7.  Le 19 juin 2001, se fondant sur le rapport médical, les différents procès-verbaux et l'ensemble des éléments du dossier, le tribunal de police d'Izmir délivra une ordonnance pénale par laquelle il condamna le requérant à une amende de 189 820 800 livres turques [environ 100 euros (EUR)].
8.  Le 19 juillet 2001, statuant sur dossier, le tribunal correctionnel d'Izmir rejeta l'opposition formée contre cette ordonnance.
9.  Le requérant s'acquitta du montant de l'amende.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
10.  Les dispositions pertinentes de l'ancien code de procédure pénale étaient ainsi libellées :
Article 386
« Le juge d'instance statue sans tenir d'audience par une ordonnance pénale sur les infractions du domaine de compétence des tribunaux de police.
L'ordonnance pénale peut uniquement porter sur la condamnation à une amende légère ou lourde ou à une peine d'emprisonnement de trois ans au maximum ou à l'interdiction temporaire d'exercer une profession et un métier ou une saisie (...) »
Article 387
« Si le juge pénal voit un inconvénient à statuer sans audience, il peut fixer une date pour la tenue de celle-ci. »
Article 390
« Une audience est tenue en cas d'opposition formée contre une ordonnance pénale portant sur une peine d'emprisonnement légère.
En cas d'opposition formée contre une ordonnance portant sur une condamnation à une amende légère ou lourde ou à une interdiction temporaire d'exercer une profession et un métier ou une saisie (...), le président du tribunal correctionnel ou le juge examine l'opposition en application des articles 301, 302 et 303 [du présent code]. (...) »
Article 302
« A l'exception des cas prévus par la loi, la procédure d'opposition se déroule sans audience. Le procureur de la République est entendu si nécessaire.
Si l'opposition est accueillie, la même juridiction examine le bien-fondé de l'affaire. »
11.  Par un arrêt rendu le 30 juin 2004, la Cour constitutionnelle, à l'unanimité, a déclaré l'article 390 § 3 de l'ancien code de procédure pénale non conforme à l'article 36 de la Constitution et l'a annulé. Elle a considéré que l'absence d'audience devant le tribunal correctionnel, appelé à se prononcer sur l'opposition formée contre une ordonnance pénale, méconnaissait le droit à un procès équitable et restreignait les droits de défense tels que prévus aux articles 6 de la Convention et 36 de la Constitution. Tout en soulignant la légitimité de la procédure d'ordonnance pénale, elle a relevé qu'une audience devait avoir lieu devant le tribunal correctionnel.
12.  Le 1er juin 2005, les nouveaux codes pénal et de procédure pénale sont entrés en vigueur. Ils ne contiennent aucune disposition sur l'ordonnance pénale.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
13.  Le requérant soutient que sa cause n'a pas été entendue équitablement dans la mesure où les juridictions n'ont pas tenu d'audience. Il a ainsi été privé de son droit d'assister aux débats, d'être informé des accusations portées contre lui, de bénéficier du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, de se faire assister d'un avocat et, par conséquent, d'exercer pleinement son droit de défense. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.
La Cour estime opportun d'examiner ce grief sous l'angle du paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention, ainsi libellé en sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
14.  Le Gouvernement s'oppose à ces allégations et soutient que l'ordonnance pénale a été délivrée au terme d'une procédure équitable et dans le respect des règles de droit. Il fait observer qu'il s'agit d'une procédure courante rencontrée dans plusieurs pays et visant à diminuer la charge de travail des tribunaux en simplifiant la procédure pour les affaires dites d'importance mineure. Il explique que le droit turc offrait un recours efficace contre les ordonnances pénales à travers l'opposition formée devant le tribunal correctionnel. À cet égard, il produit des exemples de jugements rendus par le tribunal correctionnel dans lesquels l'opposition a été accueillie. Il en conclut que la procédure d'ordonnance pénale était conforme aux exigences de l'article 6 de la Convention.
15.  Le Gouvernement ajoute que la procédure d'ordonnance pénale n'existe plus en droit turc depuis l'adoption des nouveaux codes pénal et de procédure pénale, en vigueur depuis le 1er juin 2005.
16.  Le requérant réitère ses allégations.
A.  Sur la recevabilité
17.  La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B.  Sur le fond
18.  La Cour rappelle que la publicité des débats judiciaires constitue un principe fondamental consacré par l'article 6 § 1 de la Convention. Elle protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue ainsi l'un des moyens de contribuer à préserver la confiance dans les tribunaux. Par la transparence qu'elle donne à l'administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l'article 6 § 1, à savoir le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique (voir Sutter c. Suisse, arrêt du 22 février 1984, série A no 74, p. 12, § 26, Gautrin et autres c. France, arrêt du 20 mai 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, pp. 1023-1024, § 42, Serre c. France, no 29718/96, § 21, 29 septembre 1999, et Stefanelli c. Saint-Marin, no 35396/97, § 19, CEDH 2000-II).
19.  La Cour note que, selon les dispositions pertinentes de l'ancien code de procédure pénale, le juge d'instance pouvait, pour certaines catégories d'infractions, émettre une ordonnance pénale sur la seule base du dossier, sans tenir d'audience. La procédure d'opposition devant le tribunal correctionnel se déroulait également sans audience lorsqu'elle était formée contre une ordonnance portant sur une condamnation à une amende légère ou lourde ou à une interdiction temporaire d'exercer une profession et un métier ou une saisie. Le tribunal correctionnel statuait sur la seule base du dossier et de l'avis écrit du procureur de la République qu'il pouvait entendre, si nécessaire
20.  En l'espèce, elle note qu'à aucun stade de la procédure, le requérant n'a bénéficié d'une audience devant les juridictions internes. Ni le tribunal de police qui a délivré l'ordonnance pénale ni le tribunal correctionnel qui s'est prononcé sur l'opposition n'ont tenu d'audience. Le requérant n'a jamais eu la possibilité de comparaître personnellement devant les magistrats appelés à le juger.
21.  La Cour relève aussi que l'absence d'audience devant le tribunal correctionnel a été débattue par la Cour constitutionnelle, laquelle a considéré que celle-ci n'était pas compatible avec le droit à un procès équitable et les droits de la défense. Elle prend en considération ce constat ainsi que l'absence de disposition sur l'ordonnance pénale dans les nouveaux codes pénal et de procédure pénale.
22.  Dès lors, la Cour considère qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce que la cause du requérant n'a pas été entendue équitablement par les juridictions saisies de son affaire.
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
23.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
24.  Le requérant allègue avoir subi un préjudice matériel et moral qu'il évalue à 10 000 EUR.
25.  Le Gouvernement conteste ce montant.
26.  La Cour ne saurait spéculer sur les conclusions auxquelles les juridictions turques auraient abouti en l'absence des manquements relevés, et rejette donc la demande du requérant au titre du préjudice matériel.
Elle estime que le requérant a subi un certain préjudice moral que le simple constat de violation suffit à compenser.
B.  Frais et dépens
27.  Le requérant réclame 5 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Il ne produit aucun justificatif.
28.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.
29.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 700 EUR tous frais confondus et l'accorde au requérant.
C.  Intérêts moratoires
30.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention du fait de l'absence d'audience dans le cadre de la procédure interne ;
3.  Dit que le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
4.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 700 EUR (sept cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 février 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič   Greffier Président
ARRÊT VARSAK c. TURQUIE
ARRÊT VARSAK c. TURQUIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(Art. 37-1-c) POURSUITE DE L'EXAMEN NON JUSTIFIEE, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : VARSAK
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 15/02/2007
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 6281/02
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-02-15;6281.02 ?

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