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20/02/2007 | CEDH | N°39856/02

CEDH | AFFAIRE OYMAN c. TURQUIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE OYMAN c. TURQUIE
(Requête no 39856/02)
ARRÊT
STRASBOURG
20 février 2007
DÉFINITIF
09/07/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Oyman c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Mme F. Tulkens, présidente,   MM. I. Cabral Barreto,    R. Türmen,    M. Ugrekhelidze,    V. Zagrebelsky,   

Mme A. Mularoni,   M. D. Popović, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en cha...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE OYMAN c. TURQUIE
(Requête no 39856/02)
ARRÊT
STRASBOURG
20 février 2007
DÉFINITIF
09/07/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Oyman c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Mme F. Tulkens, présidente,   MM. I. Cabral Barreto,    R. Türmen,    M. Ugrekhelidze,    V. Zagrebelsky,   Mme A. Mularoni,   M. D. Popović, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 janvier 2007,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 39856/02) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, Mme Ayşe Oyman (« la requérante »), a saisi la Cour le 18 septembre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représentée par Me S. Çetinkaya, avocat à Izmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3.  Le 29 avril 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  La requérante est née en 1978 et réside à Izmir.
5.  Le 29 avril 2002, le juge assesseur près la cour de sûreté de l’État d’Izmir, sur demande du procureur de la République, délivra un mandat de perquisition du bureau local du journal Yedinci Gündem dont la requérante était la représentante.
6.  Le même jour, cinq policiers se rendirent sur les lieux et saisirent neuf exemplaires du journal, lesquels avaient été interdits par une décision de la cour de sûreté de l’État d’Istanbul.
7.  Entendue le 6 mai 2002 par le procureur de la République, la requérante indiqua ne pas avoir eu connaissance de la décision d’interdiction.
8.  Le 21 mai 2002, le procureur de la République inculpa la requérante pour désobéissance aux injonctions des autorités publiques. L’acte d’accusation ne fut pas notifié à l’intéressée.
9.  Le 6 juin 2002, statuant sur dossier, le tribunal de police d’Izmir délivra une ordonnance pénale par laquelle il condamna la requérante à une peine d’emprisonnement de trois mois, commuée en une amende de 381 682 144 livres turques [environ 263 euros (EUR)]. Il ordonna également la confiscation des journaux saisis.
10.  Le 28 août 2002, le tribunal correctionnel d’Izmir rejeta l’opposition formée contre cette ordonnance, conformément à l’avis du procureur de la République non communiqué à la requérante.
11.  A aucun moment de la procédure, la requérante ne bénéficia d’une audience publique devant les juridictions internes.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
12.  Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Karahanoğlu c. Turquie (no 74341/01, 3 octobre 2006).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
13.  La requérante soutient que sa cause n’a pas été entendue équitablement dans la mesure où les juridictions n’ont pas tenu d’audience, la privant ainsi de son droit d’assister aux débats et, par conséquent, d’exercer pleinement son droit de défense. Elle se plaint aussi de n’avoir pas été informée des accusations portées contre elle et de n’avoir pas été en mesure de répondre à l’avis du procureur de la République étant donné que celui-ci ne lui a pas été communiqué.
14.  La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention s’analysent en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1. Elle estime opportun d’examiner les griefs de la requérante sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
15.  Le Gouvernement s’oppose à ces allégations et soutient que l’ordonnance pénale a été délivrée au terme d’une procédure équitable. Il s’agit d’une procédure visant à diminuer la charge de travail des tribunaux en simplifiant la procédure pour les affaires dites d’importance mineure. D’après lui, le droit turc offre un recours efficace contre les ordonnances pénales à travers l’opposition formée devant le tribunal correctionnel. S’agissant de l’absence de notification de l’acte d’accusation et de l’avis du procureur de la République, il ajoute que la requérante pouvait à tout moment avoir accès à ces documents qui se trouvaient dans le dossier de l’affaire au greffe de la juridiction. Il explique que l’acte d’accusation ne fait qu’énoncer les chefs d’accusations et qu’il revient ensuite au tribunal de police de statuer sur ceux-ci. Dans la mesure où la requérante a eu la possibilité de former un recours contre le jugement du tribunal de police, elle ne saurait prétendre que le principe de l’égalité des armes a été enfreint. Le Gouvernement en conclut que la procédure d’ordonnance pénale est conforme aux exigences de l’article 6 de la Convention.
Le Gouvernement fait remarquer que la procédure d’ordonnance pénale n’existe plus en droit turc depuis l’adoption des nouveaux codes pénal et de procédure pénale, en vigueur depuis le 1er juin 2005.
16.  La requérante réitère ses allégations.
A.  Sur la recevabilité
17.  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B.  Sur le fond
18.  La Cour rappelle que la publicité des débats judiciaires constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Elle protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue ainsi l’un des moyens de contribuer à préserver la confiance dans les tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l’article 6 § 1, à savoir le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique (voir Gautrin et autres c. France, arrêt du 20 mai 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, pp. 1023-1024, § 42, Stefanelli c. Saint-Marin, no 35396/97, § 19, CEDH 2000-II, et Karahanoğlu c. Turquie, no 74341/01, § 35-39).
19.  L’article 6 § 3 a) souligne la nécessité de mettre un soin extrême à notifier l’« accusation » à l’intéressé. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre elle (Kamasinski c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 168, pp. 36-37, § 79). L’article 6 § 3 a) reconnaît à l’accusé le droit d’être informé non seulement de la cause de l’accusation, c’est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce d’une manière détaillée (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 51, CEDH 1999-II).
20.  Le droit à une procédure contradictoire implique en principe le droit pour les parties à un procès civil ou pénal de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant – comme le procureur de la République en l’espèce – en vue d’influencer sa décision (voir, parmi d’autres, Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 55, CEDH 2002-V).
21.  La Cour relève d’abord que l’absence d’audience devant le tribunal correctionnel a été débattue par la Cour constitutionnelle turque, laquelle a considéré que celle-ci n’était pas compatible avec le droit à un procès équitable et les droits de la défense. Elle prend en considération ce constat ainsi que l’absence de disposition sur l’ordonnance pénale dans les nouveaux codes pénal et de procédure pénale.
22.  Elle note ensuite que, selon les dispositions pertinentes de l’ancien code de procédure pénale, le juge d’instance pouvait, pour certaines catégories d’infractions, émettre une ordonnance pénale sur la seule base du dossier, sans tenir d’audience. La procédure d’opposition devant le tribunal correctionnel se déroulait également sans audience lorsqu’elle était formée contre une ordonnance portant sur une condamnation à une amende légère ou lourde ou à une interdiction temporaire d’exercer une profession et un métier ou une saisie. Le tribunal correctionnel statuait sur la seule base du dossier et de l’avis écrit du procureur de la République qu’il pouvait entendre, si nécessaire.
23.  A aucun stade de la procédure, la requérante n’a bénéficié d’une audience devant les juridictions internes. Ni le tribunal de police qui a délivré l’ordonnance pénale ni le tribunal correctionnel qui s’est prononcé sur l’opposition n’ont tenu d’audience. La requérante n’a jamais eu la possibilité de comparaître personnellement devant les magistrats appelés à la juger.
24.  Par ailleurs, l’acte d’accusation n’a pas été notifié à la requérante et celle-ci n’a pas été en mesure de prendre connaissance de son contenu, vu l’absence de débats. Elle a été informée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle seulement lorsqu’elle a reçu notification de l’ordonnance pénale la condamnant au paiement d’une amende. Or, à cet instant, le tribunal de police avait déjà considéré qu’elle était coupable de l’infraction pénale qui lui était reprochée. Enfin, l’intéressée n’a pas eu la possibilité de répondre à l’avis du procureur de la République, lequel était destiné à influencer la décision du tribunal correctionnel.
25.  A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la cause de la requérante n’a pas été entendue équitablement par les juridictions saisies de son affaire, faute pour celle-ci d’avoir pu d’exercer pleinement ses droits de défense.
26.  Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 9 ET 10 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1
27.  Invoquant les articles 9 et 10 de la Convention, la requérante se plaint d’une atteinte à son droit à la liberté de communiquer des informations. D’après elle, sa condamnation a enfreint son droit à la liberté d’expression. Elle allègue également une atteinte à son droit de propriété en raison de la confiscation des publications litigieuses. Elle invoque à cet égard l’article 1 du protocole no 1.
28.  La Cour estime que la question juridique principale posée par la présente requête consiste à savoir si l’ordonnance pénale a été délivrée à l’issue d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention.
Eu égard à son constat de violation (paragraphe 26 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner ces autres griefs séparément.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
29.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
30.  La requérante allègue avoir subi un préjudice matériel d’un montant de 670 EUR. Elle réclame également 20 000 EUR au titre du préjudice moral.
31.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.
32.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et rejette cette demande. Elle estime par ailleurs que la requérante a subi un certain préjudice moral que le simple constat de violation suffit à compenser.
B.  Frais et dépens
33.  La requérante demande 3 387 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour. Elle ne fournit aucun justificatif.
34.  Le Gouvernement conteste ce montant.
35.  Bien que la requérante n’ait pas dûment documenté sa demande, la Cour estime qu’en vertu de l’article 60 de son règlement, il convient de lui accorder, compte tenu des éléments en sa possession et statuant en équité, 1 000 EUR à ce titre, moins les 850 EUR versés par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire.
C.  Intérêts moratoires
36.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les autres griefs de la requérante ;
4.  Dit que le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la requérante ;
5.  Dit
a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, moins les 850 EUR (huit cent cinquante euros) versés par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 février 2007 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé F. Tulkens   Greffière Présidente
ARRÊT OYMAN c. TURQUIE
ARRÊT OYMAN c. TURQUIE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 39856/02
Date de la décision : 20/02/2007
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(Art. 13) RECOURS EFFECTIF


Parties
Demandeurs : OYMAN
Défendeurs : TURQUIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-02-20;39856.02 ?

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