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20/03/2007 | CEDH | N°5410/03

CEDH | AFFAIRE TYSIAC c. POLOGNE


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE TYSIĄC c. POLOGNE
(Requête no 5410/03)
ARRÊT
STRASBOURG
20 mars 2007
DÉFINITIF
24/09/2007
En l’affaire Tysiąc c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Giovanni Bonello,   Matti Pellonpää,   Kristaq Traja,   Lech Garlicki,   Javier Borrego Borrego,   Ljiljana Mijović, juges,  et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil l

e 20 février 2007,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se tro...

QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE TYSIĄC c. POLOGNE
(Requête no 5410/03)
ARRÊT
STRASBOURG
20 mars 2007
DÉFINITIF
24/09/2007
En l’affaire Tysiąc c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Giovanni Bonello,   Matti Pellonpää,   Kristaq Traja,   Lech Garlicki,   Javier Borrego Borrego,   Ljiljana Mijović, juges,  et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 février 2007,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5410/03) dirigée contre la République de Pologne et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Alicja Tysiąc (« la requérante »), a saisi la Cour le 15 janvier 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représentée par Mme M. Gąsiorowska et Mme A. Wilkowska-Landowska, avocates respectivement à Varsovie et Sopot, assistées de Mme A. Coomber et Mme V. Vandova de l’organisation Interights, de Londres. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. J. Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.
3.  La requérante alléguait que les circonstances de l’affaire avaient emporté violation de l’article 8 de la Convention, et invoquait aussi l’article 3 de la Convention. Elle se plaignait en outre de n’avoir pas disposé d’un recours effectif, au mépris de l’article 13. Enfin, sur le terrain de l’article 14, elle soutenait avoir subi une discrimination dans l’exercice de ses droits garantis par l’article 8.
4.  Par une décision du 7 février 2006, la chambre a déclaré la requête recevable après une audience qui a porté à la fois sur la recevabilité et le fond (article 54 § 3 du règlement). Elle a décidé de joindre au fond l’exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.
5.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement). Les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l’autre. Des observations ont également été reçues du Center for Reproductive Rights, une association de New York, de la Fédération polonaise des femmes et du planning familial ainsi que de la branche polonaise de la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme de Varsovie, du Forum des femmes polonaises de Gdańsk et de l’Association des familles catholiques de Cracovie, que le président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).
6.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 7 février 2006 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  M. J. Wołąsiewicz, ministère des Affaires étrangères, agent,  Mme A. Gręziak, sous-secrétaire d’Etat,    ministère de la Santé,  MM. J. Szaflik,   B. Chazan,    K. Wiak,   Mme K. Bralczyk, conseillers ;
–  pour la requérante  Mmes M. Gąsiorowska,    A. Wilkowska-Landowska, conseils,   V. Vandova,   A. Coomber, conseillers.
La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Gręziak, M. Wołąsiewicz, Mme Wilkowska-Landowska, Mme Gąsiorowska, M. Chazan et M. Szaflik.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7.  La requérante est née en 1971 et réside à Varsovie.
8.  Elle souffre depuis 1977 d’une forte myopie, évaluée à - 0,2 à l’œil gauche et - 0,8 à l’œil droit. Avant sa grossesse, un collège de médecins de la sécurité sociale avait conclu qu’elle était atteinte d’une invalidité de gravité moyenne.
9.  La requérante se trouva enceinte en février 2000. Elle avait déjà eu deux enfants, tous deux nés par césarienne. Comme elle s’inquiétait des conséquences que l’accouchement pourrait avoir sur sa santé, elle décida de consulter ses médecins. Trois ophtalmologues (les docteurs M.S., N.S.-B. et K.W.) l’examinèrent. Il ressort des documents soumis par l’intéressée que le docteur M.S. recommandait que celle-ci subisse de fréquents contrôles de santé et évite l’exercice physique. Pour le docteur N.S.-B., la requérante devait envisager de se faire stériliser après la naissance du bébé, et les trois médecins concluaient qu’en raison de changements pathologiques survenus à la rétine de la requérante, la grossesse et l’accouchement entraîneraient des risques pour sa vue. Ils refusèrent cependant d’émettre un certificat autorisant une interruption de grossesse, en dépit des demandes de l’intéressée, au motif qu’il existait un risque, mais pas de certitude, que la rétine se décolle à cause de la grossesse.
10.  Par la suite, la requérante sollicita l’avis d’autres médecins. Le 20 avril 2000, le docteur O.R.G., médecin généraliste, émit un certificat indiquant que la troisième grossesse constituait une menace pour la santé de la requérante en raison d’un risque de rupture de l’utérus consécutif aux deux précédents accouchements par césarienne. Cette thérapeute mentionnait également la myopie de l’intéressée ainsi que d’importantes modifications pathologiques de la rétine. Selon elle, tout cela imposait que la requérante évite les efforts physiques, consigne qui serait en tout état de cause extrêmement difficile à respecter étant donné qu’à l’époque celle-ci élevait seule deux enfants en bas âge. La requérante comprit que ce certificat lui permettrait de se faire avorter légalement.
11.  Le 14 avril 2000, au cours du deuxième mois de grossesse, la requérante subit un examen des yeux. Il fut établi qu’elle avait besoin de lunettes corrigeant sa vue de 24 dioptries aux deux yeux.
12.  Par la suite, la requérante prit contact avec un hôpital public, la clinique de gynécologie et d’obstétrique de Varsovie, dont elle dépendait géographiquement, en vue de se faire avorter. Le 26 avril 2000, elle se rendit à un rendez-vous avec le docteur R.D., chef du service de gynécologie et d’obstétrique de la clinique.
13.  Ce dernier examina la requérante de visu pendant moins de cinq minutes et ne consulta pas son dossier ophtalmologique. Après cela, il nota au verso du certificat émis par le docteur O.R.G. que ni la myopie ni les deux césariennes de la requérante ne constituaient des motifs d’avortement thérapeutique. Il estimait que, dans ces conditions, la requérante devait accoucher par césarienne. Pendant que la requérante était dans son cabinet, le docteur R.D. consulta un endocrinologue, le docteur B., avec qui il s’entretint à voix basse devant la requérante. L’endocrinologue contresigna la note du docteur R.D. sans avoir adressé la parole à la requérante.
14.  L’examen de la requérante eut lieu dans une pièce qui donnait sur un couloir, la porte ouverte, ce qui, d’après la requérante, ne créait pas un climat favorable à un examen médical. A la fin du rendez-vous, le docteur R.D. déclara à la requérante qu’elle pourrait même avoir huit enfants si elle accouchait par césarienne.
15.  En conséquence, la requérante ne put bénéficier d’une interruption de grossesse. Elle accoucha par césarienne en novembre 2000.
16.  Après la naissance, sa vue se détériora considérablement. Le 2 janvier 2001, six semaines environ après l’accouchement, elle fut emmenée au service d’urgence de la clinique ophtalmologique de Varsovie. Lors d’un test qui consistait à compter les doigts, elle ne put voir qu’à une distance de trois mètres avec son œil gauche et de cinq mètres avec son œil droit, alors qu’avant sa grossesse, elle pouvait distinguer des objets à une distance de six mètres. On diagnostiqua une occlusion vasculaire en résorption à l’œil droit et une aggravation de la dégénérescence de la macula à l’œil gauche.
17.  D’après un certificat médical émis le 14 mars 2001 par le docteur M.S., ophtalmologue, la détérioration de la vue de la requérante provenait de ses récentes hémorragies de la rétine. La requérante risque en conséquence de devenir aveugle. Lors de l’examen, le docteur M.S. lui suggéra d’apprendre le braille. Cette thérapeute informa aussi la requérante que, comme les modifications de sa rétine étaient très avancées, il n’y avait aucune possibilité de les corriger par une intervention chirurgicale.
18.  Le 13 septembre 2001, le collège statuant en matière d’invalidité déclara que la requérante était atteinte d’une invalidité importante alors qu’auparavant, son invalidité avait été qualifiée de moyennement grave. Il estima de plus qu’elle avait besoin de soins constants et d’une aide pour ses tâches quotidiennes.
19.  Le 29 mars 2001, la requérante déposa une plainte pénale contre le docteur R.D. en alléguant que celui-ci l’avait empêchée d’obtenir, comme le recommandait le médecin généraliste, un avortement thérapeutique au titre de l’une des exceptions prévues à l’interdiction de l’avortement. Elle se plaignait d’une atteinte à son intégrité physique du fait qu’elle avait presque complètement perdu la vue à la suite de sa grossesse et de son accouchement. Elle invoquait l’article 156 § 1 du code pénal, qui punit cette infraction, et indiquait aussi qu’en vertu de la législation en vigueur en matière de sécurité sociale, elle n’avait pas droit à une pension d’invalidité car elle n’avait pas travaillé le nombre requis d’années avant l’apparition de son invalidité puisqu’elle élevait ses enfants.
20.  L’enquête sur la plainte fut menée par le procureur du district de Varsovie-Śródmieście. Celui-ci recueillit la déposition des ophtalmologues qui avaient examiné la requérante pendant sa grossesse, lesquels déclarèrent que l’accouchement par césarienne aurait pu bien se passer.
21.  Le procureur commanda en outre une expertise à un collège de trois médecins experts (un ophtalmologue, un gynécologue et un spécialiste de médecine légale) de l’académie de médecine de Białystok. Selon le rapport qui en résulta, les grossesses et accouchements n’avaient pas eu d’effet sur la détérioration de la vue de la requérante. Eu égard à la gravité de la déficience visuelle de la requérante, le risque de décollement de rétine avait toujours existé et continuait d’être présent ; la grossesse et l’accouchement n’avaient pas augmenté ce risque. De plus, les experts conclurent que rien ne s’était opposé à ce que la requérante mène sa grossesse à son terme et mette son bébé au monde.
22.  Lors de l’enquête, ni le docteur R.D. ni le docteur B., qui avaient tous deux signé le certificat du 26 avril 2000, ne furent interrogés.
23.  Le 31 décembre 2001, le procureur classa l’affaire sans suite au motif qu’il n’y avait aucune raison de poursuivre le docteur R.D. S’appuyant sur l’expertise, il conclut qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre les actions de ce médecin et la détérioration de la vue de la requérante. Il observa que cette aggravation « n’avait été provoquée ni par les actions du gynécologue ni par une quelconque autre intervention humaine ».
24.  La requérante fit appel de cette décision devant le procureur régional de Varsovie. Elle contestait le rapport établi par les experts de l’académie de médecine de Białystok, alléguant notamment qu’elle n’avait en réalité été examinée que par l’un de ces experts, à savoir l’ophtalmologue, alors que le rapport était signé de la totalité d’entre eux. De plus, aucun des équipements spécialisés d’ophtalmologie qui servaient habituellement à contrôler la vue n’avaient été utilisés lors de l’examen, qui n’avait duré que dix minutes. Les deux autres experts signataires du rapport, dont un gynécologue, ne l’avaient pas du tout examinée.
25.  Elle signalait en outre certaines incohérences dans le rapport et indiquait qu’avant ses deuxième et troisième accouchements, les médecins avaient recommandé une stérilisation pendant la césarienne afin de prévenir toute autre grossesse. Elle faisait valoir que, si la détérioration de sa vue était due à son état de santé, il lui semblait que ce processus s’était accéléré lors de sa troisième grossesse, et soutenait qu’il y avait un lien de causalité entre le refus d’un avortement et la dégradation de sa vue. Elle se plaignait aussi que les autorités de poursuite n’aient accordé aucune considération au certificat émis par son médecin généraliste.
26.  Elle indiquait qu’elle n’avait pu prendre connaissance du dossier car les résumés des dépositions des témoins et d’autres documents étaient écrits de manière illisible. Le procureur avait refusé à plusieurs reprises de prêter son concours pour la lecture du dossier, alors même qu’il savait qu’elle souffrait d’une très forte myopie. Elle n’avait donc pas pu lire les documents versés au dossier, ce qui avait nui à sa capacité à exercer ses droits procéduraux au cours de l’enquête.
27.  Le 21 mars 2002, le procureur régional de Varsovie confirma dans une décision d’un paragraphe la décision du procureur de district, considérant que les conclusions de ce dernier étaient fondées sur le rapport d’expertise. Il réfuta l’argument de la requérante selon lequel elle n’avait pas été examinée par les trois experts en indiquant que les deux autres experts ayant signé le rapport s’étaient appuyés sur une étude de son dossier médical. Il ne traita pas la question procédurale soulevée par la requérante dans son recours.
28.  Par la suite, la décision de classement fut transmise au tribunal de district de Varsovie-Śródmieście pour contrôle juridictionnel.
29.  Par une décision définitive du 2 août 2002, insusceptible de recours et longue de vingt-trois lignes, le tribunal de district confirma la décision de classement. Eu égard au rapport de l’expertise médicale, le tribunal estima que le refus d’autoriser une interruption de grossesse n’avait eu aucune incidence sur la détérioration de la vue de la requérante. De plus, il constata qu’il était de toute façon probable que la requérante ait une hémorragie oculaire eu égard à la nature et à la gravité de son état. Le tribunal ne traita pas du grief procédural soulevé par la requérante dans son recours contre la décision du procureur de district.
30.  La requérante tenta également d’engager une procédure disciplinaire contre les docteurs R.D. et B. Il fut toutefois définitivement mis un terme à cette procédure le 19 juin 2002, les autorités compétentes de l’ordre des médecins ayant estimé qu’il n’y avait eu aucune négligence professionnelle.
31.  A l’heure actuelle, la requérante ne peut distinguer des objets à plus de 1,50 mètre environ et craint de devenir aveugle. Le 11 janvier 2001, le centre de sécurité sociale émit un certificat attestant qu’elle n’était pas en mesure de s’occuper de ses enfants car elle ne voyait pas au-delà de 1,50 mètre. Le 28 mai 2001, un collège de médecins rendit une décision certifiant qu’elle souffrait d’une infirmité importante. La requérante est sans emploi et perçoit une pension d’invalidité mensuelle de 560 zlotys polonais (PLN). Elle élève seule ses trois enfants.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  La Constitution
32.  L’article 38 de la Constitution est ainsi rédigé :
« La République de Pologne protège par la loi la vie de tout être humain. »
33.  L’article 47 de la Constitution est libellé en ces termes :
« Chacun jouit du droit de voir protéger par la loi sa vie privée et familiale, son honneur et sa réputation, et de prendre des décisions concernant sa vie personnelle. »
B.  La loi de 1993 sur le planning familial (protection du fœtus humain et conditions dans lesquelles l’interruption de grossesse est autorisée) et dispositions connexes
34.  La loi sur le planning familial (protection du fœtus humain et conditions dans lesquelles l’interruption de grossesse est autorisée), toujours en vigueur, a été adoptée par le Parlement en 1993. Son article 1 disposait à l’époque que « tout être humain jouit du droit à la vie depuis la conception ».
35.  Cette loi prévoit que l’avortement n’est légal que jusqu’à la douzième semaine de grossesse lorsque celle-ci met en danger la vie ou la santé de la mère ou lorsque des tests prénatals ou d’autres résultats médicaux montrent qu’il existe un risque élevé que le fœtus soit atteint d’une malformation grave et irréversible ou d’une maladie incurable qui menace sa vie, ou encore lorsqu’il existe de sérieuses raisons de croire que la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste.
36.  Le 4 janvier 1997 entra en vigueur la version de la loi de 1993 telle qu’amendée le 30 juin 1996. L’article 1 § 2 dispose désormais que « le droit à la vie, y compris au stade prénatal, est protégé dans la mesure fixée par la loi ». Cet amendement prévoit que la grossesse peut également être interrompue au cours des douze premières semaines lorsque la mère connaît des difficultés matérielles ou se trouve dans une situation personnelle difficile.
37.  En décembre 1997, de nouveaux amendements furent apportés au texte de la loi de 1993 à la suite d’un arrêt rendu par la Cour constitutionnelle en mai 1997, où celle-ci déclarait que la disposition légalisant l’avortement en cas de difficultés matérielles ou personnelles était incompatible avec la Constitution telle qu’elle était rédigée à l’époque1.
38.  L’article 4a de la loi de 1993, dans sa version actuellement en vigueur, dispose dans ses passages pertinents :
« 1.  Seul un médecin peut pratiquer un avortement, et ce lorsque :
1)  la grossesse met en danger la vie ou la santé de la mère ;
2)  des tests prénatals ou d’autres résultats médicaux montrent qu’il existe un risque élevé que le fœtus soit atteint d’une malformation grave et irréversible ou d’une maladie incurable qui menace sa vie ;
3)  il existe de sérieuses raisons de croire que la grossesse résulte d’un acte criminel.
2.  Dans les cas énumérés en 2) ci-dessus, l’avortement peut être pratiqué jusqu’au moment où le fœtus est capable de survivre en dehors du corps de la mère et, dans les cas cités en 3) ci-dessus, jusqu’à la fin de la douzième semaine de grossesse.
3.  Dans les cas cités en 1) et 2) ci-dessus, l’avortement est pratiqué par un médecin en milieu hospitalier.
5.  Les circonstances dans lesquelles l’avortement est autorisé au titre du paragraphe 1, alinéas 1 et 2 ci-dessus, doivent faire l’objet d’un certificat émis par un médecin autre que celui qui doit effectuer l’avortement, sauf si la grossesse fait peser une menace directe sur la vie de la femme. »
39.  Une ordonnance du ministre de la Santé du 22 janvier 1997 portant sur les qualifications des médecins autorisés à pratiquer des avortements renferme deux dispositions matérielles. Elle énonce en son article 1 les qualifications exigées des médecins habilités à effectuer des avortements légaux dans les conditions indiquées dans la loi de 1993. Elle dispose en son article 2 :
« Les circonstances indiquant que la grossesse constitue une menace pour la vie ou la santé de la femme doivent être attestées par un médecin spécialisé dans la branche de la médecine dont relève le problème de santé qui touche cette femme. »
40.  L’article 37 de la loi de 1996 sur les professions médicales précise qu’en cas de doute thérapeutique ou quant au diagnostic, un médecin peut de sa propre initiative ou à la demande de la patiente, et s’il le juge raisonnable au vu des exigences de la science médicale, solliciter l’avis d’un spécialiste ou organiser une consultation avec d’autres médecins.
C.  Avortement effectué dans des conditions non autorisées par la loi de 1993
41.  Procéder à une interruption de grossesse sans respecter les conditions exposées dans la loi de 1993 constitue une infraction pénale réprimée par l’article 152 § 1 du code pénal. Quiconque pratique un avortement en violation de la loi ou prête son concours à un tel acte est passible d’une peine d’emprisonnement de trois ans au maximum. La femme enceinte n’encourt elle-même aucune responsabilité pénale en cas d’avortement effectué au mépris de la loi de 1993.
D.  Dispositions du code de procédure pénale
42.  Toute personne faisant l’objet d’une accusation en matière pénale peut, si elle n’a pas les moyens de rémunérer un avocat, solliciter l’assistance judiciaire au titre de l’article 78 § 1 du code de procédure pénale. De même, en vertu des articles 87 § 1 et 88 § 1 dudit code, toute personne qui se prétend victime d’une infraction pénale est habilitée à demander à être admise au bénéfice de l’assistance judiciaire en vue de se faire représenter pendant l’enquête et la procédure pénales.
E.  Atteinte à l’intégrité physique
43.  L’article 156 § 1 du code pénal de 1997 dispose qu’une personne qui a porté atteinte à l’intégrité physique d’autrui est passible d’une peine d’emprisonnement de un à dix ans.
F.  Responsabilité délictuelle
44.  Les articles 415 et suivants du code civil polonais, qui traitent de la responsabilité délictuelle, prévoient que quiconque provoque par sa faute un dommage à autrui est tenu de redresser ce dommage.
45.  En vertu de l’article 444 du code civil, quiconque cause un préjudice corporel ou une atteinte à la santé est tenu de réparer la totalité du dommage matériel qui en découle.
G.  Jurisprudence des tribunaux polonais
46.  Par un arrêt du 21 novembre 2003 (V CK 167/03), la Cour suprême a dit qu’un refus illégal d’interrompre une grossesse résultant d’un viol, c’est-à-dire dans des circonstances prévues par l’article 4a § 1, alinéa 3, de la loi de 1993, pouvait donner lieu à une demande de réparation du dommage matériel subi en conséquence de ce refus.
47.  Par un arrêt du 13 octobre 2005 (IV CJ 161/05), la Cour suprême a exprimé l’avis qu’un refus de procéder à des tests prénatals dans des circonstances où l’on pouvait raisonnablement supposer que la femme enceinte risquait de donner le jour à un enfant atteint d’une malformation grave et irréversible, à savoir dans des circonstances prévues par l’article 4a § 1, alinéa 2, de la loi de 1993, donnait lieu à une demande en réparation.
III.  TEXTES PERTINENTS EN DEHORS DE LA CONVENTION
A.  Observations du Comité des droits de l’homme de l’ONU
48.  Après avoir examiné en 1999 le quatrième rapport périodique soumis par la Pologne quant au respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité a adopté les conclusions suivantes (Document CCPR/C/SR.1779) :
« 11.  Le Comité relève avec préoccupation : a) la rigueur des lois sur l’avortement, qui se traduit par un nombre élevé d’avortements clandestins, avec les risques qui en découlent pour la vie et la santé des femmes ; b) le fait que les femmes n’ont qu’un accès limité aux contraceptifs, en raison de leurs prix élevés et de la difficulté d’obtenir la prescription voulue ; c) la disparition de l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires ; et d) l’insuffisance des programmes publics de planification de la famille (articles 3, 6, 9 et 26).
L’Etat partie devrait mettre en place des politiques et des programmes favorisant le plein accès à toutes les méthodes de planification de la famille et réintroduire l’éducation sexuelle dans l’enseignement public. »
49.  Le gouvernement polonais, dans son cinquième rapport périodique soumis au Comité (CCPR/C/POL/2004/5), a déclaré :
« 106.  En Pologne, les données relatives à l’avortement se limitent aux avortements pratiqués en hôpital, c’est-à-dire aux avortements légalement autorisés. Le nombre d’avortements indiqués dans les statistiques officielles actuelles est faible par rapport à celui des années précédentes. Les organisations non gouvernementales estiment quant à elles à entre 80 000 et 200 000 le nombre d’avortements pratiqués illégalement chaque année en Pologne.
107.  Il ressort des rapports annuels du gouvernement sur l’application de la loi [de 1993] [que le Gouvernement est obligé de soumettre au Parlement] et des rapports des organisations non gouvernementales que les dispositions de la loi ne sont pas pleinement appliquées et que certaines femmes, bien qu’elles répondent aux critères d’admissibilité de l’avortement, n’en bénéficient pas. D’une part, certains médecins des services de santé publique, invoquant la « clause de conscience », refusent de pratiquer l’avortement ; d’autre part, certaines femmes qui auraient droit à un avortement légal ne sont pas informées de la procédure à suivre. Il arrive que des femmes, auxquelles il est demandé de fournir des certificats additionnels, soient amenées à retarder l’intervention jusqu’au moment où l’avortement devient dangereux pour leur santé. Il n’y a pas de statistiques officielles concernant les plaintes liées au refus des médecins de pratiquer l’avortement. (...) De l’avis du gouvernement, il est indispensable d’appliquer effectivement les dispositions déjà en vigueur en ce qui concerne (...) la réalisation des avortements. »
50.  Le Comité, après avoir examiné le cinquième rapport périodique de la Pologne au cours de ses réunions des 27 et 28 octobre et 4 novembre 2004, a adopté dans ses observations finales (Document CCPR/C/SR.2251) les remarques pertinentes ci-dessous :
« 8.  Le Comité réitère sa profonde préoccupation devant la législation restrictive qui existe en Pologne en matière d’avortement et risque d’inciter les femmes à recourir à des avortements peu sûrs, illégaux, avec les risques qui en découlent pour leur vie et leur santé. Il est aussi préoccupé par l’impossibilité pratique de recourir à l’avortement même lorsque la législation l’autorise, par exemple en cas de grossesse faisant suite à un viol, et par l’absence d’information sur les cas où les médecins qui refusent de pratiquer des avortements légaux font valoir la clause d’objection de conscience. Le Comité regrette l’absence d’information sur l’étendue des avortements illégaux et leurs conséquences pour les intéressées.
L’Etat partie devrait libéraliser sa législation et sa pratique en matière d’avortement. Il devrait donner un complément d’information sur l’utilisation de la clause d’objection de conscience par les médecins et, dans la mesure du possible, sur le nombre d’avortements illégaux pratiqués dans le pays. Ces recommandations devraient être prises en compte lorsque le Parlement sera saisi du projet de loi sur la sensibilisation parentale. »
B.  Observations d’organisations non gouvernementales
51.  Dans un rapport préparé par le réseau ASTRA sur la santé et les droits dans le domaine de la reproduction en Europe centrale et orientale à l’intention du Forum sur la population en Europe, qui s’est réuni à Genève du 12 au 14 janvier 2004, il est dit que :
« La loi anti-avortement en vigueur en Pologne depuis 1993 a entraîné de nombreuses conséquences négatives sur la santé des femmes dans le domaine de la reproduction, par exemple :
de nombreuses femmes qui ont droit à un avortement légal se voient souvent refuser ce droit dans leur hôpital de secteur,
les avortements pour des motifs sociaux ne sont pas stoppés mais simplement repoussés dans la clandestinité, car les femmes qui veulent un avortement peuvent trouver un médecin qui le pratiquera illégalement ou se rendre à l’étranger,
les effets de la loi se font principalement sentir sur les femmes les plus pauvres et les moins éduquées car les avortements clandestins sont onéreux.
Le manque de connaissances au sujet de la planification de la famille abaisse la qualité de vie des femmes. Leur sexualité est mise en danger soit par la crainte permanente d’une grossesse non désirée soit par la recherche d’un avortement peu sûr. Les femmes qui choisissent d’avorter en profitant des rares cas de figure où cela reste autorisé font l’objet d’une réprobation et d’une obstruction très fortes. Les médecins et hôpitaux dirigent ou informent fréquemment mal les femmes qui ont légalement droit à un avortement, ce qui fait peser de graves risques sur leur santé. Il arrive souvent que des médecins (voire des hôpitaux entiers, bien qu’ils n’aient pas le droit d’agir ainsi) refusent de pratiquer des avortements dans les hôpitaux où ils travaillent en invoquant la « clause de conscience » – c’est-à-dire le droit de refuser de pratiquer un avortement en raison de croyances religieuses ou d’objections morales – ou même sans donner la moindre justification, créant ainsi des problèmes jusqu’à ce qu’il devienne impossible de pratiquer un avortement légalement. Il existe toutefois un système bien organisé d’avortement clandestin – les avortements sont effectués illégalement dans des cliniques privées, très souvent par les médecins mêmes qui ont refusé l’avortement à l’hôpital. Le coût moyen d’un avortement est de 2000 PLN environ (l’équivalent du salaire brut moyen en Pologne). La fédération des femmes et du planning familial estime que le nombre réel d’avortements en Pologne est de 80 000 à 200 000 par an. »
C.  Rapport de synthèse du réseau d’experts indépendants de l’Union européenne en matière de droits fondamentaux
52.  Dans son rapport de synthèse intitulé « conclusions et recommandations sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union européenne et ses Etats membres en 2004 », daté du 15 avril 2005, le réseau a notamment déclaré :
« Tout en reconnaissant qu’il n’existe à ce jour aucune jurisprudence arrêtée en droit international ou européen relatif aux droits de l’homme indiquant un quelconque point d’équilibre entre, d’une part, le droit de la femme à interrompre sa grossesse, expression particulière du droit général à l’autonomie de la personne sous-jacent au droit au respect de la vie privée, et, d’autre part, la protection de la potentialité de la vie humaine, le Réseau s’inquiète néanmoins d’un certain nombre de situations qui, aux yeux des experts indépendants, sont discutables dans l’état actuel du droit international des droits de l’homme.
Une femme souhaitant avorter ne devrait pas être contrainte à se rendre à l’étranger pour le faire, en raison du manque de structures disponibles dans son pays de résidence même s’il était légal pour elle de subir un avortement, ou parce que, bien que légal lorsque pratiqué à l’étranger, un avortement dans des circonstances identiques est interdit dans le pays de résidence. Cela peut être source de discrimination entre les femmes qui peuvent se rendre à l’étranger et celles qui, en raison d’un handicap, de leur état de santé, du manque de ressources, de leur situation administrative, voire du manque d’informations adéquates (...), ne peuvent pas le faire. Une femme ne devrait pas avorter en raison de l’insuffisance de structures d’aide, par exemple dans le cas des jeunes mères, en raison du manque d’informations concernant les aides qui devraient être disponibles, ou par crainte que cela puisse conduire à la perte d’un emploi : cela exige, à tout le moins, un contrôle rigoureux des particularités des avortements pratiqués dans les juridictions où l’avortement est légal, afin d’identifier les besoins des personnes ayant recours à l’avortement et les circonstances qui devraient être créées afin de mieux répondre à ces besoins. (...) Renvoyant aux Observations finales adoptées le 5 novembre 2004 par le Comité des droits de l’homme à l’examen du rapport présenté par la Pologne conformément au Pacte international [relatif aux] droits civils et politiques (CCPR/CO/82/POL/Rev. 1, § 8), le Réseau remarque qu’une interdiction de l’avortement non thérapeutique ou l’impossibilité matérielle de l’avortement peut en réalité avoir pour effet d’élever le nombre d’avortements clandestins qui sont pratiqués, car les femmes concernées peuvent être tentées d’avoir recours à l’avortement clandestin en l’absence de services d’aide adéquats pour les informer des différentes alternatives s’offrant à elles. (...)
Lorsqu’un Etat choisit d’interdire l’avortement, il devrait au moins suivre attentivement l’incidence de cette prohibition sur la pratique de l’avortement, et communiquer ces informations afin d’alimenter un débat public éclairé. Enfin, dans les circonstances où l’avortement est légal, les femmes devraient avoir accès à des services d’avortement sans discrimination aucune. »
EN DROIT
I.  SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
53.  Aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes.
54.  A cet égard, le Gouvernement avance que la requérante n’a pas épuisé tous les recours disponibles en droit polonais ainsi que l’exige l’article 35 § 1 de la Convention.
55.  Il invoque la jurisprudence de la Cour selon laquelle la Convention énonce certaines obligations positives qui impliquent la mise en place par l’Etat d’un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades. Ces obligations impliquent également l’instauration d’un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du décès d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé et d’obliger ceux-ci à répondre de leurs actes (Powell c. Royaume-Uni (déc.), no 45305/99, CEDH 2000-V). Cette dernière obligation positive n’exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale. Dans le contexte spécifique des négligences médicales, pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile appropriée, tel le versement de dommages-intérêts (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002-I).
56.  Le Gouvernement déclare de plus que le système juridique polonais comporte des voies légales qui permettent d’établir la responsabilité des médecins pour tout préjudice dû à une faute professionnelle, que ce soit par le biais d’une procédure pénale ou de demandes civiles en indemnisation. Dans le cas de la requérante, une demande de dommages et intérêts aurait eu de bonnes chances d’aboutir.
57.  Le Gouvernement renvoie à cet égard aux dispositions du code civil relatives à la responsabilité délictuelle. Il cite aussi deux arrêts rendus par les juridictions civiles dans le contexte de la loi de 1993. Dans le premier, rendu par la Cour suprême le 21 novembre 2003, cette juridiction a dit que le refus illégal d’interrompre une grossesse résultant d’un viol habilitait à réclamer une indemnisation. Dans le second, le tribunal régional de Łomża a rejeté le 6 mai 2004 une demande de réparation du dommage moral émanant de parents qui s’étaient vu refuser un examen prénatal et dont l’enfant était né avec de graves malformations.
58.  La requérante soutient que, d’après la jurisprudence de la Cour, elle ne saurait être tenue de se prévaloir à la fois de recours qui existent au civil et au pénal quant à la violation alléguée de l’article 8 de la Convention. Lorsqu’il existe plus d’un recours, le requérant n’a pas besoin d’utiliser plus d’un d’entre eux (Yağcı et Sargın c. Turquie, 8 juin 1995, §§ 42-44, série A no 319-A). Elle cite un autre arrêt où la Cour a considéré qu’ayant épuisé toutes les possibilités que leur ouvrait le système de la justice pénale, les requérants n’étaient pas obligés, en l’absence d’une enquête officielle au sujet de leurs doléances, d’essayer une nouvelle fois d’obtenir réparation en engageant au civil une action en dommages-intérêts (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 86, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII).
59.  La requérante plaide qu’intenter une action au civil ne saurait dans son cas être un recours effectif. En effet, aucune juridiction polonaise n’a à ce jour rendu de jugement définitif octroyant des dommages et intérêts pour un problème de santé dû à un refus d’autoriser un avortement thérapeutique au titre de la loi de 1993. Elle souligne que les deux affaires citées par le Gouvernement sont postérieures à la requête qu’elle a soumise à la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention. Surtout, elles ne sont pas pertinentes car elles concernent des situations totalement différentes de la sienne, tant en fait qu’en droit. L’une se rapporte à une demande d’indemnisation à la suite d’un refus illégal d’autoriser un avortement alors que la grossesse résultait d’un viol, et la seconde traite d’une demande de dommages et intérêts à la suite du refus d’effectuer un examen prénatal.
60.  Enfin, elle signale que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le choix de la voie de droit la plus appropriée aux circonstances dépend du requérant (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 23, série A no 32). Pour dissuader effectivement de commettre de graves atteintes à l’intégrité physique (telles que le viol dans l’affaire M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, CEDH 2003-XII), qui mettent en jeu des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la vie privée, il faut des dispositions pénales efficaces (ibidem, §§ 124, 148-153, et X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, §§ 23-24, série A no 91). Dans les circonstances de l’espèce, la requérante estime que c’est la voie pénale, qu’elle a choisie, qui était la plus appropriée.
61.  La Cour rappelle que, dans sa décision sur la recevabilité de la requête, elle a joint au fond l’examen de la question de l’épuisement des voies de recours internes (paragraphe 4 ci-dessus). Elle s’en tient à cette approche.
II.  LE FOND DE L’AFFAIRE
A.  Sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention
62.  La requérante se plaint que les faits de la cause ont emporté violation de l’article 3 de la Convention, qui dispose en ses passages pertinents :
« Nul ne peut être soumis à (...) des (...) traitements inhumains ou dégradants. »
63.  Le Gouvernement combat cette thèse.
64.  La requérante avance que les circonstances de l’affaire s’analysent en un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention.
65.  Elle déclare qu’un traitement revêt un caractère dégradant lorsqu’il est de nature à créer chez les victimes « des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier [et] à les avilir » (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 167, série A no 25). Le fait que l’Etat n’ait pas permis qu’elle bénéficie d’un avortement légal alors que sa santé était menacée et n’ait pas mis en place le mécanisme procédural nécessaire pour qu’elle puisse exercer ce droit signifie qu’elle a dû poursuivre sa grossesse pendant six mois en sachant qu’elle serait quasi aveugle au moment de l’accouchement. L’angoisse et la détresse qui ont résulté de cette situation ainsi que l’effet dévastateur qu’a eu ensuite la perte de sa vue sur sa vie et sur celle de sa famille ne sauraient être exagérés. Avant cette épreuve, elle avait déjà des difficultés à élever ses jeunes enfants avec sa mauvaise vue, et elle savait que sa grossesse anéantirait les capacités visuelles qui lui restaient. Comme son médecin le lui avait prédit en avril 2000, sa vue s’est gravement détériorée, ce qui lui a causé d’immenses difficultés personnelles et souffrances psychologiques.
66.  La Cour rappelle sa jurisprudence relative à la notion de mauvais traitement et aux circonstances dans lesquelles la responsabilité d’un Etat contractant peut se trouver engagée, y compris au regard de l’article 3 de la Convention, au motif que des soins médicaux appropriés n’ont pas été prodigués (voir entre autres, mutatis mutandis, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII). Vu les circonstances de la présente cause, la Cour juge que les faits allégués ne révèlent aucune violation de l’article 3. Elle estime par ailleurs qu’il convient plutôt d’examiner les griefs de la requérante sous l’angle de l’article 8 de la Convention.
B.  Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention 
67.  La requérante se plaint que les faits de la cause ont emporté violation de l’article 8 de la Convention. En effet, son droit au respect de sa vie privée et de son intégrité physique et morale a été enfreint tant sur le plan matériel, car elle n’a pas pu bénéficier d’un avortement thérapeutique légal, que sur le plan des obligations positives de l’Etat, auxquelles celui-ci a failli en ne prévoyant pas un cadre légal complet protégeant ses droits.
L’article 8 dispose en ses passages pertinents :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...)
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1.  Arguments des parties
a)  Le Gouvernement
68.  Le Gouvernement commence par souligner que, par principe, la grossesse et l’interruption de grossesse ne ressortissent pas exclusivement à la vie privée de la mère. Lorsqu’une femme est enceinte, sa vie privée devient étroitement associée au fœtus qui se développe. Il ne fait aucun doute que certains intérêts relatifs à la grossesse font l’objet d’une protection légale (Brüggemann et Scheuten c. Allemagne, no 6959/75, rapport de la Commission du 12 juillet 1977, Décisions et rapports (DR) 10, p. 123). Par ailleurs, la législation polonaise protège aussi le fœtus et ne permet donc une interruption de grossesse au titre de la loi de 1993 que dans des circonstances strictement définies. Le Gouvernement estime que, dans le cas de la requérante, les conditions fixées dans cette loi pour bénéficier d’un avortement légal pour des motifs de santé n’étaient pas remplies.
69.  Le Gouvernement plaide que, pour autant que la requérante alléguait que sa grossesse entraînait une menace pour sa vue en raison de sa forte myopie, seul un spécialiste en ophtalmologie pouvait décider s’il était médicalement conseillé qu’elle avorte. Or les ophtalmologues qui ont examiné l’intéressée durant sa grossesse n’ont pas estimé que la grossesse et l’accouchement constituaient une menace pour sa santé ou sa vie. L’intention de ces médecins était véritablement de protéger la santé de la requérante. Ils étaient tous d’avis que la requérante devait accoucher par césarienne. C’est d’ailleurs ainsi que les choses se sont en fin de compte passées.
70.  Le Gouvernement souligne qu’il existait une possibilité d’accouchement qui ne représentait aucune menace pour la santé de la requérante. Dès lors, la loi de 1993 ne permettait pas aux médecins d’émettre un certificat autorisant l’avortement. La requérante n’a donc pas pu bénéficier d’un avortement, car sa situation ne correspondait pas aux conditions fixées par la loi.
71.  Le Gouvernement conteste l’argument de la requérante selon lequel il n’existe en droit polonais aucune procédure pour évaluer le caractère approprié d’un avortement thérapeutique. Il fait valoir que les dispositions de l’ordonnance du 22 janvier 1997 émise par le ministre de la Santé ont instauré une procédure régissant les décisions en matière d’accès à l’avortement thérapeutique.
72.  Il déclare en outre que l’article 37 de la loi de 1996 sur les professions médicales permet à une patiente d’obtenir le contrôle de la décision d’un médecin quant au point de savoir si un avortement est indiqué, et ce par les collègues de ce médecin. Enfin, si la requérante n’était pas satisfaite des décisions médicales la concernant, elle pouvait se prévaloir des possibilités prévues en droit administratif.
73.  Pour conclure, le Gouvernement estime qu’il était loisible à la requérante de contester les décisions médicales rendues à son égard en recourant aux procédures offertes par la loi.
b)  La requérante
74.  La requérante conteste l’argument du Gouvernement selon lequel la jurisprudence des institutions de la Convention étend au fœtus la protection du droit à la vie consacré par l’article 2. D’après cette jurisprudence, « [l]a vie du fœtus est intimement liée à la vie de la femme qui le porte et ne saurait être considérée isolément » (X c. Royaume-Uni, no 8416/79, décision de la Commission du 13 mai 1980, DR 19, p. 261, § 19). La Cour elle-même a dit que la législation fixant le point de départ du droit à la vie relève de la marge d’appréciation des Etats, et a rejeté l’idée que la Convention assurait une telle protection. La Cour a observé que la solution à donner à ladite protection n’était pas arrêtée au sein de la majorité des Etats contractants et qu’aucun consensus européen n’existait sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie (Vo c. France [GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004-VIII).
75.  La requérante se plaint que les faits de la cause ont donné lieu à une violation de l’article 8 de la Convention. Pour ce qui est de l’applicabilité de cette disposition, elle souligne que les événements à l’origine de sa requête relèvent de la « vie privée », qui recouvre l’intégrité physique et morale de la personne (X et Y c. Pays-Bas, précité, § 22).
76.  Elle arguë que les droits consacrés par l’article 8 ont été violés dans son chef tant sur le plan matériel, car elle n’a pas pu bénéficier d’un avortement légal, que sur le plan des obligations positives de l’Etat, auxquelles celui-ci a failli en ne prévoyant pas un cadre légal complet protégeant ses droits par les moyens procéduraux appropriés.
77.  S’agissant du premier volet de sa plainte, la requérante soutient que les faits très particuliers de la cause ont entraîné une violation de l’article 8. Elle a cherché à se faire avorter lorsqu’elle s’est trouvée face à un risque pour sa santé. Le refus d’un avortement lui a fait courir un grave risque pour sa santé et a emporté violation de son droit au respect de sa vie privée.
78.  La requérante combat la thèse du Gouvernement selon laquelle son état n’était pas d’une gravité telle qu’il correspondait aux conditions requises pour obtenir un avortement thérapeutique définies à l’article 4a de la loi de 1993 en ce qu’il n’était pas établi que la détérioration de sa vue après l’accouchement ait été la conséquence directe de la grossesse et de l’accouchement. En effet, elle souligne que cet argument n’est pas pertinent car la loi de 1993 dispose que l’avortement est légal dès que la santé de la femme enceinte est menacée, sans qu’il soit nécessaire que cette menace se concrétise.
Quoi qu’il en soit, cette menace s’est malheureusement matérialisée dans son cas, d’où une grave détérioration de sa vue après son accouchement.
79.  La requérante souligne de plus que l’ingérence dénoncée n’était pas « prévue par la loi » au sens de l’article 8 de la Convention. L’article 4a de la loi de 1993 autorise l’interruption de grossesse lorsque la poursuite de cette dernière constitue une menace pour la vie ou la santé de la mère. Elle disposait dès lors d’un droit, au titre de la législation polonaise, d’avorter pour des raisons de santé.
80.  Quant au second volet de son grief, relatif aux obligations positives de l’Etat, la requérante considère que les faits révèlent une violation de son droit à un respect effectif de la vie privée. L’Etat était tenu par l’obligation positive de fournir un cadre juridique complet pour régir les conflits opposant des femmes enceintes et des médecins quant à la nécessité d’interrompre une grossesse en cas de menace pour la santé de la femme. Or il n’existe aucun mécanisme institutionnel et procédural effectif permettant de statuer sur de tels cas et de les résoudre en pratique.
81.  La requérante souligne que la nécessité d’un tel mécanisme se faisait et se fait toujours sentir de manière aiguë. Les dispositions de l’ordonnance de 1997 et de la loi sur les professions médicales, invoquées par le Gouvernement, n’apportent aucun éclaircissement car elles sont toutes rédigées en termes extrêmement généraux. Elles prévoient que les médecins peuvent adresser des patientes à un service pratiquant l’avortement thérapeutique, mais sans donner de détails sur la façon de procéder ni sur les délais à respecter. Et, ce qui est grave, il n’existe aucun mécanisme permettant de contrôler ou de contester les décisions prises par les médecins de ne pas adresser la patiente à un service d’avortement.
82.  La requérante souligne par ailleurs que l’article 4a de la loi de 1993, pour autant qu’il renferme une exception à la règle d’interdiction de l’avortement, se rapporte à un domaine très sensible de la pratique médicale. Les médecins hésitent à effectuer les avortements nécessaires à la protection de la santé de la femme en raison de la nature très émotionnelle du débat sur l’avortement en Pologne. Ils craignent aussi que leur réputation soit ternie si l’on apprend qu’ils ont procédé à un avortement dans des conditions prévues par l’article 4a. Ils peuvent également redouter des poursuites pénales.
83.  Elle indique que, l’Etat n’ayant pas mis en place au moins une procédure rudimentaire de prise de décision, les choses ne se sont pas déroulées dans son cas de manière équitable, et sa vie privée ainsi que son intégrité physique et morale n’ont pas été dûment respectées.
84.  A son avis, c’est à l’Etat qu’incombe la charge de veiller à ce que les services médicaux dont ont besoin les femmes enceintes et qui sont prévus par la loi soient disponibles en pratique. Le système légal polonais, pris dans son ensemble, parvient à l’effet inverse en ce qu’il dissuade fortement les médecins de fournir les services d’avortement autorisés par la loi. La souplesse que la loi semble offrir pour déterminer ce qui constitue une « menace pour la santé de la femme » au sens de l’article 4a de la loi de 1993 ainsi que l’absence de procédures et de contrôles adéquats tranchent avec le caractère strict de la législation pénale qui sanctionne les médecins pratiquant des avortements illégaux.
85.  La requérante indique que lorsqu’il existe, comme dans son cas, un profond désaccord entre une femme enceinte craignant qu’un troisième accouchement ne lui fasse perdre la vue, et des médecins, il n’est ni approprié ni raisonnable de laisser les médecins seuls arbitres de l’équilibre à ménager entre les droits fondamentaux. En l’absence de toute disposition prévoyant un contrôle équitable et indépendant, et eu égard à la vulnérabilité des femmes dans de telles circonstances, les médecins sont quasiment toujours en situation d’imposer leur avis quant à l’accès à l’avortement, en dépit de l’importance primordiale que leur décision revêt pour la vie privée de la femme concernée. Les circonstances de l’affaire révèlent l’existence d’un échec structurel sous-jacent du système légal polonais s’agissant de déterminer si les conditions requises pour un avortement légal sont ou non réunies dans un cas précis.
2.  Arguments des tiers intervenants
a)  Le Center for Reproductive Rights
86.  Dans ses observations du 23 septembre 2005 adressées à la Cour, le Center for Reproductive Rights soutient que la question centrale en l’espèce est celle de savoir si un Etat partie qui accorde dans la loi aux femmes le droit de recourir à un avortement lorsque la grossesse menace leur santé physique, mais ne prend pas les mesures légales et de politique afin que les femmes se trouvant dans ce cas puissent exercer effectivement leur droit, méconnaît les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention. Cette association estime que l’Etat qui s’engage à autoriser l’avortement dans certaines circonstances est par là même tenu de veiller à ce que la garantie de pouvoir bénéficier d’un avortement inscrite dans les textes se traduise dans les faits. A cette fin, les Etats doivent prendre des mesures concrètes pour assurer aux femmes un accès effectif à l’avortement. Parmi ces mesures doivent figurer des procédures d’appel ou de contrôle des décisions médicales de rejet de demandes formulées par des femmes en vue d’être autorisées à avorter.
87.  La Pologne ne dispose pas de mécanismes juridiques et administratifs effectifs permettant de contester en appel ou de demander le contrôle de décisions de médecins constatant que les conditions nécessaires pour autoriser un avortement ne sont pas remplies, au contraire de nombreux autres Etats contractants. L’existence de procédures de recours ou de contrôle dans des pays de toute l’Europe tels que la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, la Finlande, la Norvège, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie ou la Suède est révélatrice d’un consensus quant à la nécessité de protéger le droit des femmes à avorter légalement dans les cas où les services de santé refusent de pratiquer l’avortement, y compris lorsque la santé de la femme est menacée.
88.  La plupart des lois et règlements relatifs aux procédures de recours en matière d’avortement prévoient des délais stricts pour trancher en la matière, ce parce que le facteur temps est décisif dans le domaine de l’avortement et que les procédures habituelles de contrôle administratif ou juridictionnel ne peuvent aboutir dans les délais nécessaires. Tandis que de telles contraintes de temps obligent implicitement les médecins qui rejettent une demande d’avortement à transmettre immédiatement le dossier médical de la femme à l’organe chargé d’effectuer le contrôle ou d’examiner l’appel, certaines lois renferment des dispositions explicites contraignant les médecins à procéder ainsi. Dans certains pays, l’organe d’appel ou de contrôle doit indiquer à la femme l’endroit où l’avortement sera pratiqué si son appel est accueilli. Lorsqu’un tel organe constate que les conditions nécessaires pour autoriser l’interruption de grossesse ne sont pas réunies, certaines lois exigent que la femme en soit informée par écrit. Dans tous les pays, il n’est pas nécessaire de suivre la procédure d’appel lorsque la grossesse constitue une menace pour la santé ou la vie de la femme enceinte. Dans certains Etats contractants tels que la Norvège et la Suède, une demande d’avortement rejetée est automatiquement examinée par un organe de contrôle. En Norvège, le médecin de comté forme un comité, dont la femme enceinte fait partie.
89.  L’association indique que la législation de nombreux Etats contractants renferme des dispositions soulignant expressément le droit des femmes à la dignité et à une prise de décision autonome s’agissant des demandes d’avortement et de la disponibilité des services d’avortement. Elle renvoie aux législations norvégienne et française qui mettent fortement l’accent sur l’autonomie de la femme et sa participation active à l’ensemble du processus de décision au sujet de l’accès à l’avortement.
90.  Elle conclut que l’absence en Pologne de procédures de recours rapide porte atteinte au droit des femmes d’accéder aux soins dans le domaine de la reproduction, ce qui n’est pas sans conséquences potentiellement graves sur leur vie et leur santé. Cela prive en outre les femmes du droit à un recours effectif garanti par l’article 13 de la Convention.
b)  La Fédération polonaise des femmes et du planning familial, et la branche polonaise de la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme
91.  La Fédération polonaise des femmes et du planning familial et la branche polonaise de la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme indiquent dans leurs observations du 6 octobre 2005 que l’affaire porte essentiellement sur la difficulté à obtenir un avortement thérapeutique, autorisé lorsque l’une des conditions énumérées à l’article 4a de la loi de 1993 est remplie. Ces associations soulignent qu’en Pologne il arrive souvent en pratique que des médecins refusent d’émettre un certificat autorisant un avortement thérapeutique alors qu’il existe de véritables motifs pour cela. Il arrive aussi souvent qu’une femme obtienne un certificat mais que le médecin à qui elle s’adresse ensuite mette en cause la validité de ce document et la compétence du médecin qui l’a rédigé et refuse en fin de compte de procéder à l’avortement, parfois après que le délai fixé par la loi pour l’avortement légal ait expiré.
92.  Le fait qu’en droit polonais l’avortement soit assimilé à une infraction pénale en l’absence de procédures transparentes et claires à suivre pour déterminer dans quels cas un avortement thérapeutique peut être effectué constitue l’un des facteurs qui dissuadent les médecins de pratiquer de telles interventions. Il y a donc de fortes chances pour que soient rendues des décisions négatives concernant les demandes d’avortement thérapeutique.
93.  Il n’existe aucune directive pour définir ce qu’est une menace pour la vie ou la santé d’une femme au sens de l’article 4a de la loi. Il apparaît que certains médecins ne prennent pas en compte une menace pour la santé de la femme du moment qu’il y a des chances qu’elle survive à l’accouchement. En outre, déterminer si la grossesse constitue une menace pour la santé ou la vie de la femme pose un problème lorsque celle-ci souffre d’ennuis de santé multiples et complexes. En pareil cas, on ne sait pas clairement qui doit être reconnu comme le spécialiste compétent pour émettre le certificat médical dont il est question à l’article 2 de l’ordonnance de 1997.
94.  La loi polonaise ne prévoit pas de mesures effectives pour contrôler les refus d’autoriser un avortement thérapeutique. En conséquence, les femmes qui se voient opposer un tel refus n’ont pas la possibilité de consulter un organe indépendant ou de faire contrôler pareilles décisions.
95.  En bref, la façon dont les garanties prévues à l’article 4a de la loi de 1993 sont actuellement appliquées en Pologne va à l’encontre des exigences de l’article 8 de la Convention.
c)  Le Forum des femmes polonaises
96.  Le Forum des femmes polonaises plaide dans ses observations du 3 novembre 2005 que les droits garantis par l’article 8 de la Convention imposent à l’Etat l’obligation de s’abstenir de toute ingérence arbitraire, mais non celle d’agir. Cette disposition de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des actes arbitraires des pouvoirs publics (Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, § 31, série A no 297-C). Ne serait-ce que pour cette raison, il est impossible de déduire de cet article l’obligation de faire procéder à des interventions médicales, en particulier lorsqu’il s’agit d’un avortement.
97.  Le forum déclare de plus que, concernant l’avortement, on ne saurait dire que la grossesse relève exclusivement de la sphère de la vie privée. Même à supposer que les questions juridiques que pose la grossesse puissent être traitées sous l’angle de l’article 8 de la Convention, les Etats peuvent adopter des restrictions légales dans la sphère privée si pareilles mesures visent à protéger la morale ou les droits et libertés d’autrui. Dans l’interprétation qu’elle a donnée de cette disposition jusqu’à présent, la Cour n’a pas contesté que les droits du fœtus devaient être protégés par la Convention.
98.  En particulier, la Cour n’a pas exclu la possibilité que, dans certains cas, les garanties puissent s’étendre à l’enfant à naître (Vo, précité, § 85). Le système juridique polonais accorde une protection constitutionnelle à la vie du fœtus sur le fondement de la conception selon laquelle la vie humaine doit être protégée par la loi à tous les stades du développement. La loi de 1993 admet des exceptions à ce principe de protection juridique de la vie humaine dès la conception.
99.  Toutefois, contrairement à ce que la requérante avance, la législation polonaise applicable ne prévoit aucun droit à l’avortement, s’agissant même des exceptions à l’interdiction générale de l’avortement qui figurent à l’article 4a de la loi de 1993. Cette disposition ne confère nullement à une femme enceinte un droit à l’avortement, mais se borne à supprimer le caractère illégal de l’avortement en Pologne dans des situations de conflit entre le droit du fœtus à la vie et d’autres intérêts. En tout état de cause, le simple fait que l’avortement soit légal dans certains cas qui constituent une exception au principe général ne permet pas de conclure que la préférence de l’Etat va à cette solution.
100.  Le forum plaide de plus que l’ordonnance de 1997 laisse les médecins libres d’apprécier les conditions dans lesquelles peut être pratiqué un avortement pour motifs médicaux. Les raisons pour lesquelles la grossesse menace la vie ou la santé de la femme doivent faire l’objet d’une attestation de la part d’un médecin spécialisé dans le domaine médical dont relève l’état de la femme. Toutefois, un gynécologue peut refuser de pratiquer un avortement pour des motifs de conscience. C’est pourquoi une patiente ne peut pas traduire en justice un médecin qui a refusé de procéder à un avortement et le tenir pour responsable des problèmes de santé qui surviennent après l’accouchement.
101.  Enfin, il considère que l’on ne saurait conclure a posteriori que la grossesse menaçait de porter atteinte à la santé d’une femme enceinte si la détérioration de son état s’est produite après la naissance de l’enfant.
d)  L’association des familles catholiques
102.  Dans ses observations du 20 décembre 2005, l’association des familles catholiques soutient que la requérante commet une erreur de droit lorsqu’elle affirme que la Convention garantit le droit à l’avortement. En réalité, la Convention ne garantit nullement un tel droit. Tout au contraire, l’article 2 protège le droit à la vie, qui constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme. De plus, la Cour oppose dans sa jurisprudence le droit à la vie à un droit hypothétique à mettre fin à la vie (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, CEDH 2002-III).
3.  Appréciation de la Cour 
a)  Portée de l’affaire
103.  La Cour rappelle que, dans sa décision sur la recevabilité du 7 février 2006, elle a déclaré recevables les griefs tirés par la requérante des articles 3, 8, 13, et 14 de la Convention combiné avec l’article 8. Ainsi, la portée de l’affaire devant elle est limitée aux doléances qu’elle a déjà déclarées recevables (voir, entre autres, Sokur c. Ukraine, no 29439/02, § 25, 26 avril 2005).
104.  A cet égard, la Cour observe que le droit interne applicable, à savoir la loi de 1993, interdit l’avortement tout en renfermant certaines exceptions. L’article 4a § 1, alinéa 1, de la loi, notamment, dispose que l’avortement est légal lorsque la grossesse met en danger la vie ou la santé de la femme, et que cela est certifié par deux médecins, quel que soit le stade de la grossesse. Dès lors, la Cour n’a pas en l’espèce à rechercher si la Convention garantit un droit à l’avortement.
b)  Applicabilité de l’article 8 de la Convention
105.  La Cour observe en premier lieu que les parties ne contestent pas que l’article 8 est applicable dans les circonstances de la cause et que le droit de la requérante au respect de la vie privée est en jeu en l’occurrence.
106.  La Cour confirme que tel est bien le cas. Elle rappelle tout d’abord que la législation régissant l’interruption de grossesse touche au domaine de la vie privée étant donné que lorsqu’une femme est enceinte, sa vie privée devient étroitement associée au fœtus qui se développe (Brüggemann et Scheuten, précité, rapport de la Commission, p. 123).
107.  La Cour réitère également que la notion de « vie privée » est large et englobe notamment des aspects de l’identité physique et sociale d’un individu comme le droit à l’autonomie personnelle, le droit au développement personnel et le droit d’établir et d’entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur (voir, par exemple, Pretty, précité, § 61). De plus, si la Convention ne garantit pas en tant que tel le droit à un niveau particulier de soins médicaux, la Cour a dit précédemment que la vie privée recouvre l’intégrité physique et morale de la personne et que l’Etat a également l’obligation positive de reconnaître à ses ressortissants le droit au respect effectif de cette intégrité (Glass c. Royaume-Uni, no 61827/00, §§ 74-83, CEDH 2004-II, Sentges c. Pays-Bas (déc.), no 27677/02, 8 juillet 2003, Pentiacova et autres c. Moldova (déc.), no 14462/03, CEDH 2005-I, Nitecki c. Pologne (déc.), no 65653/01, 21 mars 2002, Odièvre c. France [GC], no 42326/98, CEDH 2003-III, mutatis mutandis). La Cour note que la présente cause porte sur une combinaison particulière de différents aspects de la vie privée. Alors que la réglementation de l’Etat sur l’avortement implique de procéder à l’exercice habituel de mise en balance de la vie privée et de l’intérêt public, il faut aussi – en cas d’avortement thérapeutique – l’examiner au regard de l’obligation positive qui incombe à l’Etat de reconnaître aux futures mères le droit au respect de leur intégrité physique.
108.  La Cour relève enfin que, selon la requérante, le refus de l’autoriser à avorter a aussi entraîné une ingérence à son égard dans les droits garantis par l’article 8. Toutefois, la Cour estime que, vu les circonstances de la cause et notamment la nature du grief soulevé, il est préférable d’examiner l’affaire sous l’angle des seules obligations positives de l’Etat susmentionnées.
c)  Principes généraux
109.  L’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics. Toute ingérence dans le droit énoncé au paragraphe 1 de l’article 8 doit être justifiée au regard du paragraphe 2, c’est-à-dire qu’elle doit être « prévue par la loi » et « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre un ou plusieurs des buts légitimes cités. Selon la jurisprudence constante de la Cour, la notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et notamment proportionnée au but légitime visé par les autorités (Olsson c. Suède (no 1), 24 mars 1988, § 67, série A no 130).
110.  L’article 8 peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie privée. Ces obligations peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux, y compris tant la création d’un cadre réglementaire instaurant un mécanisme judiciaire et exécutoire destiné à protéger les droits des individus que la mise en œuvre, là où il convient, de mesures spécifiques (voir, entre autres, X et Y c. Pays-Bas, précité, § 23).
111.  La frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au titre de cette disposition ne se prête toutefois pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, entre autres, Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, série A no 290, Różański c. Pologne, no 55339/00, § 61, 18 mai 2006).
112.  La Cour observe que la notion de « respect » manque de netteté, surtout quand il s’agit de telles obligations positives ; ses exigences varient beaucoup d’un cas à l’autre vu la diversité des pratiques suivies et des conditions existant dans les Etats contractants. Cependant, pour l’appréciation des obligations positives de l’Etat, il faut garder à l’esprit que la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999-II, Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 63, CEDH 2000-VI, et Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, § 133, 24 novembre 2005). La compatibilité avec les exigences de la prééminence du droit implique que le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention (Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, § 67, série A no 82, et, plus récemment, Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, § 84, CEDH 2000-XI).
113.  Enfin, la Cour rappelle que, pour apprécier la présente cause, il faut garder à l’esprit que la Convention vise à garantir des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32). L’article 8 ne renferme certes aucune exigence procédurale explicite mais il importe, pour la jouissance effective des droits garantis par cette disposition, que le processus décisionnel soit équitable et permette de respecter comme il se doit les intérêts qui y sont protégés. Il y a lieu de déterminer, eu égard aux circonstances particulières de la cause et notamment à la nature des décisions à prendre, si l’individu a joué dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle suffisamment important pour lui assurer la protection requise de ses intérêts (voir, mutatis mutandis, Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 99, CEDH 2003-VIII).
d)  Observation de l’article 8 de la Convention
114.  Pour examiner les circonstances de la présente cause, la Cour doit tenir compte de son contexte global. Elle relève que la loi de 1993 interdit l’avortement en Pologne et ne ménage que certaines exceptions à cette règle. Un médecin qui procède à une interruption de grossesse en enfreignant les conditions énoncées dans cette loi est réputé coupable d’une infraction pénale punie d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans (paragraphe 41 ci-dessus).
D’après la Fédération polonaise des femmes et du planning familial, le fait que l’avortement soit assimilé à une infraction pénale dissuade les médecins d’autoriser un avortement, en particulier en l’absence de procédures transparentes et claires pour déterminer si les conditions dans lesquelles la loi permet de pratiquer un avortement thérapeutique sont réunies dans un cas donné.
115.  La Cour observe aussi que, dans son cinquième rapport périodique au Comité des droits de l’homme de l’ONU portant sur le respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le gouvernement polonais a entre autres reconnu qu’il y avait eu des lacunes dans la manière dont la loi de 1993 avait été appliquée en pratique (paragraphe 49 ci-dessus). Pour la Cour, cela souligne encore plus l’importance que revêtent des garanties procédurales en matière d’accès à l’avortement thérapeutique tel que prévu dans la loi de 1993.
116.  La nécessité de telles garanties se fait d’autant plus sentir lorsque survient un désaccord, que ce soit entre la femme enceinte et ses médecins ou entre les médecins eux-mêmes, quant au point de savoir si les conditions préalables requises pour un avortement légal se trouvent réunies dans un cas donné. Selon la Cour, en pareille situation, les dispositions légales applicables doivent avant tout définir clairement la position de la femme enceinte au regard de la loi.
La Cour note de plus que l’interdiction de l’avortement prévue dans la loi, combinée avec le risque pour les médecins de se voir accusés d’une infraction pénale en vertu de l’article 156 § 1 du code pénal, est tout à fait susceptible d’avoir un effet dissuasif sur les praticiens lorsqu’ils décident si les conditions pour autoriser un avortement légal sont réunies dans un cas particulier. Les dispositions définissant les conditions dans lesquelles il est possible de bénéficier d’un avortement légal doivent être formulées de façon à atténuer cet effet. Une fois que le législateur a décidé d’autoriser l’avortement, il ne doit pas concevoir le cadre légal correspondant d’une manière qui limite dans la réalité la possibilité d’obtenir une telle intervention.
117.  A cet égard, la Cour répète que les notions de légalité et de prééminence du droit dans une société démocratique exigent que les mesures touchant les droits fondamentaux soient dans certains cas soumises à une forme de procédure devant un organe indépendant, compétent pour contrôler les motifs de ces mesures et les éléments de preuve pertinents (voir, entre autres, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, §§ 55-63, CEDH 2000-V). Pour s’assurer du respect de cette condition, il y a lieu de considérer les procédures applicables d’un point de vue général (AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 55, série A no 108, et, mutatis mutandis, Jokela c. Finlande, no 28856/95, § 45, CEDH 2002-IV). Dans des circonstances telles que celles de l’espèce, pareille procédure devrait au moins garantir à une femme enceinte la possibilité d’être entendue en personne et de voir son avis pris en compte. L’organe compétent devrait aussi mettre par écrit les motifs de sa décision.
118.  A ce sujet, la Cour observe que la nature même des questions en jeu dans les décisions d’interruption de grossesse est telle que le facteur temps revêt une importance cruciale. Les procédures en place doivent donc être conçues pour que ces décisions soient prises en temps et en heure, afin de prévenir ou limiter le préjudice qui pourrait découler pour la santé de la femme d’un avortement tardif. Des procédures prévoyant le contrôle a posteriori de décisions relatives à la possibilité d’avorter légalement ne sauraient remplir un tel rôle. La Cour estime que l’absence de procédures préventives de ce type en droit interne peut passer pour constituer un manquement de l’Etat aux obligations positives qui lui incombent au titre de l’article 8 de la Convention.
119.  Le contexte général ainsi posé, la Cour observe que nul ne conteste que la requérante souffrait depuis 1977 d’une forte myopie. Dès avant sa grossesse, il avait été officiellement reconnu qu’elle était atteinte d’une invalidité de gravité moyenne (paragraphe 8 ci-dessus).
Connaissant son état, la requérante consulta des médecins pendant sa troisième grossesse. La Cour relève qu’un désaccord survint entre ses médecins quant au point de savoir si la grossesse et l’accouchement étaient susceptibles d’avoir un effet sur sa vue déjà fragile. L’avis donné par les deux ophtalmologues ne permettait pas de tirer une conclusion quant à l’impact possible de la grossesse sur l’état de santé de la requérante. La Cour note aussi que le médecin généraliste a rédigé un certificat attestant que la grossesse de la requérante constituait une menace pour la santé de celle-ci, tandis qu’un gynécologue était de l’avis opposé.
La Cour souligne qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause le jugement clinique des médecins concernant la gravité de l’état de la requérante (voir, mutatis mutandis, Glass, précité, § 87). Il ne convient pas non plus qu’elle se livre à des conjectures, à partir des renseignements médicaux dont elle dispose, sur le caractère correct des conclusions des médecins quant au point de savoir si la grossesse de la requérante pouvait ou non entraîner à l’avenir une détérioration de la vue de celle-ci. Il lui suffit de noter que la requérante craignait que sa grossesse et son accouchement conduisent à une nouvelle aggravation de son état. A la lumière des avis médicaux que la requérante a obtenus pendant sa grossesse et, ce qui est important, de son état de santé à l’époque, ainsi que de ses antécédents médicaux, la Cour estime que les craintes de l’intéressée ne sauraient être considérées comme irrationnelles.
120.  La Cour a étudié comment le cadre juridique régissant la disponibilité de l’avortement thérapeutique en Pologne a été appliqué dans le cas de la requérante et comment il a répondu aux préoccupations de celle-ci quant aux conséquences négatives éventuelles de la grossesse et de l’accouchement sur sa santé.
121.  Elle relève que le Gouvernement s’est référé à l’ordonnance du ministre de la Santé du 22 janvier 1997 (paragraphe 71 ci-dessus). Toutefois, elle observe que cette ordonnance se borne à énoncer les qualifications professionnelles des médecins pouvant pratiquer légalement l’avortement. Ce texte dispose aussi qu’une femme qui souhaite avorter pour des raisons de santé doit obtenir un certificat d’un médecin « spécialisé dans la branche de la médecine dont relève le problème de santé qui touche cette femme ».
La Cour note que l’ordonnance en question prévoit une procédure relativement simple afin d’obtenir un avortement légal pour des motifs médicaux : il suffit de réunir les avis concordants de deux spécialistes autres que le médecin qui pratiquera l’avortement. Cette procédure permet de prendre rapidement les mesures nécessaires et ne diffère pas fondamentalement des solutions adoptées dans certains autres Etats membres.
Toutefois, cette ordonnance n’établit pas de distinction entre les cas où la femme enceinte et les médecins sont en plein accord – où cette procédure est à l’évidence praticable – et ceux où il existe un désaccord entre la femme enceinte et ses médecins, ou entre les médecins eux-mêmes. Ce texte ne contient aucune procédure particulière pour traiter et résoudre ces conflits, mais se borne à obliger la femme à se procurer un certificat auprès d’un spécialiste, sans indiquer ce qu’elle peut faire si son avis et celui du spécialiste divergent.
122.  Le Gouvernement s’est également appuyé sur l’article 37 de la loi de 1996 sur les professions médicales (paragraphe 72 ci-dessus). Cette disposition permet à un médecin, en cas de doute thérapeutique ou quant au diagnostic, ou à la demande d’une patiente, de solliciter un deuxième avis auprès d’un confrère. Toutefois, la Cour relève que cet article s’adresse aux médecins et se contente d’indiquer dans quelles conditions ceux-ci peuvent demander l’avis d’un confrère au sujet d’un diagnostic ou du traitement à prescrire dans un cas particulier. Elle souligne que ce texte ne crée aucune garantie procédurale permettant à une patiente d’obtenir un tel avis ou de le contester en cas de désaccord. Il ne traite pas non plus spécifiquement le cas d’une femme enceinte qui souhaite avorter légalement.
123.  A cet égard, la Cour note que, dans certains Etats parties, divers mécanismes procéduraux et institutionnels ont été créés pour ce qui est de la mise en œuvre de la législation portant sur les conditions d’accès à un avortement légal (paragraphes 86-87 ci-dessus).
124.  La Cour conclut qu’il n’a pas été démontré que la législation polonaise, telle qu’appliquée en l’espèce, renfermait des mécanismes effectifs permettant de déterminer si les conditions à remplir pour bénéficier d’un avortement légal étaient réunies dans le cas de la requérante. Dès lors, celle-ci s’est trouvée plongée dans une incertitude prolongée et a éprouvé de grandes angoisses lorsqu’elle envisageait les conséquences négatives découlant de sa grossesse et de son accouchement susceptibles d’affecter sa santé.
125.  La Cour pense en outre que les dispositions du droit de la responsabilité délictuelle appliquées par les juridictions polonaises n’ont pas offert à la requérante un instrument procédural qui lui aurait permis de faire valoir son droit au respect de la vie privée. Le recours de droit civil n’a qu’un caractère rétroactif et compensatoire. Il aurait seulement pu conduire, et à condition que la requérante obtienne gain de cause, à ce que les tribunaux lui accordent des dommages et intérêts pour réparer le préjudice irrémédiable causé à sa santé qui s’est manifesté après l’accouchement.
126.  De plus, la requérante a demandé l’ouverture d’une procédure pénale contre le docteur R.D. en alléguant qu’elle avait subi une atteinte à son intégrité physique en raison du refus de celui-ci de l’autoriser à obtenir un avortement. La Cour observe en premier lieu que, pour établir la responsabilité pénale, il devait exister un lien direct de causalité entre les actes dénoncés – en l’occurrence, le refus d’un avortement – et la grave détérioration de la santé de la requérante. Partant, l’examen de la question de l’existence d’un lien de causalité entre le refus d’autoriser l’avortement et la détérioration ultérieure de la vue de la requérante ne concernait pas le point de savoir si la grossesse avait constitué une « menace » pour la santé de l’intéressée au sens de l’article 4a de la loi de 1993.
Par ailleurs – et cela est crucial – l’examen des circonstances de l’affaire dans le cadre de l’enquête pénale n’aurait pas permis d’empêcher le préjudice pour la santé de la requérante de survenir. Ce constat vaut également pour la procédure disciplinaire devant les organes de l’ordre des médecins.
127.  La Cour conclut que de telles mesures rétroactives ne suffisent pas à elles seules à protéger comme il convient l’intégrité physique de personnes se trouvant dans une situation aussi vulnérable que la requérante (Storck c. Allemagne, no 61603/00, § 150, CEDH 2005-V).
128.  Eu égard aux circonstances de l’espèce prises dans leur ensemble, on ne saurait donc dire qu’en créant des recours juridiques permettant d’établir la responsabilité des médecins, l’Etat polonais a satisfait à l’obligation positive qui lui incombait de protéger le droit de la requérante au respect de la vie privée dans le cadre d’un désaccord portant sur le point de savoir si elle avait le droit de bénéficier d’un avortement thérapeutique.
129.  Dès lors, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement et dit que les autorités n’ont pas respecté leur obligation positive consistant à assurer à la requérante le respect effectif de sa vie privée.
130.  La Cour conclut donc à la violation de l’article 8 de la Convention.
C.  Sur la violation alléguée de l’article 13 de la Convention
131.  La requérante se plaint d’une violation de l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
132.  Le Gouvernement déclare que le droit polonais prévoit une procédure régissant les décisions médicales en matière d’avortement pour motifs thérapeutiques. Il cite la loi de 1993 ainsi que l’ordonnance du ministre de la Santé du 22 janvier 1997. Il se réfère également à l’article 37 de la loi de 1996 sur les professions médicales, qui permet selon lui de faire contrôler une décision thérapeutique prise par un spécialiste.
133.  La requérante soutient que le cadre juridique polonais régissant l’interruption de grossesse s’est révélé inadapté. Il ne lui a pas fourni une protection procédurale raisonnable lui permettant de jouir des droits garantis par l’article 8 de la Convention.
134.  La Cour a constamment considéré que l’article 13 exigeait un recours en droit interne s’agissant des doléances pouvant passer pour « défendables » au regard de la Convention (voir, par exemple, Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 54, série A no 131). En l’espèce, la Cour ayant constaté une violation de l’article 8, elle doit examiner le grief tiré de l’article 13.
135.  Toutefois, elle observe que la plainte de la requérante relative au fait que l’Etat n’a pas mis en place un cadre légal approprié en vue du règlement de litiges liés à l’application de la loi de 1993, pour autant que celle-ci autorise dans certains cas l’avortement, recoupe pour l’essentiel les questions qui ont été examinées sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Or la Cour a conclu à la violation de cette disposition à raison du manquement de l’Etat à ses obligations positives. Elle dit donc qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13 de la Convention.
D.  Sur la violation alléguée de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8
136.  La requérante se plaint que les faits de la cause ont emporté violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8. L’article 8 étant applicable à l’affaire, l’article 14 peut être invoqué. Cette dernière disposition est ainsi libellée :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
1.  Arguments des parties
a)  La requérante
137.  La requérante rappelle que la Cour a dit à maintes reprises qu’en raison du caractère accessoire de l’article 14, un grief de discrimination doit tomber dans le champ d’application d’un droit protégé par la Convention.
138.  Elle indique en outre qu’elle n’a pas eu véritablement la possibilité de participer à l’enquête, alors que les autorités de poursuite savaient pertinemment qu’elle avait des problèmes de vue. C’est d’ailleurs sa quasi-cécité qui formait la base même de son grief selon lequel il y avait eu infraction pénale. Dans ces conditions, ne pas lui donner un accès effectif aux documents afférents à l’enquête pénale ou une autre forme d’assistance l’a empêchée de participer réellement à la procédure.
La requérante estime que l’enquête menée par les autorités se caractérise par un certain nombre de lacunes importantes. Premièrement, en première instance, le procureur a omis d’entendre un témoin crucial, à savoir le docteur R.D. Deuxièmement, la décision du procureur de classer l’affaire reposait essentiellement sur le rapport de trois experts de l’académie de médecine de Białystok. Or cette expertise ne saurait être considérée comme fiable étant donné qu’elle avait été préparée à partir d’un bref examen effectué par un seul des trois experts (un ophtalmologue). Les deux autres médecins s’étaient bornés à consulter son dossier médical. Troisièmement, elle avait été concrètement empêchée d’exercer ses droits procéduraux, comme le dépôt de demandes en vue d’obtenir des éléments de preuve à l’appui de son grief. Cela venait de ce que les autorités n’avaient tenu compte en rien de son handicap, à cause duquel elle n’avait pu lire le dossier de l’enquête. Quatrièmement, le procureur de district n’avait pas accordé la moindre attention au certificat émis par son généraliste, le docteur O.R.G., et avait aussi négligé de prendre en considération le fait que les médecins lui avaient recommandé de se faire stériliser avant ses deuxième et troisième accouchements.
Elle fait valoir que le raisonnement du procureur en deuxième instance a laissé de côté les arguments fondamentaux qu’elle avait soulevés dans son appel. Les autorités n’ont accordé que peu de poids à sa vulnérabilité particulière due à son handicap : une très grave déficience de la vue confinant à la cécité. Elle affirme qu’en conséquence elle n’a pas pu jouer dans l’enquête un rôle suffisamment important pour lui assurer la protection requise de ses intérêts.
139.  La requérante conclut que le fait que les autorités n’aient pas raisonnablement tenu compte de son handicap lors de l’enquête a donné lieu à une discrimination fondée sur ce handicap.
b)  Le Gouvernement
140.  Le Gouvernement plaide tout d’abord qu’il faut en premier lieu établir s’il y a eu violation des droits et libertés matériels consacrés par la Convention avant d’examiner le grief de violation de l’article 14 combiné avec l’une des clauses matérielles de la Convention.
141.  Il estime ensuite que l’enquête portant sur le grief de la requérante selon lequel le refus de procéder à un avortement a entraîné une infraction pénale a été menée avec diligence. Le procureur a entendu tous les témoins susceptibles de communiquer des éléments pertinents. Il n’a pas jugé utile d’interroger le docteur R.D. puisque trois experts avaient exprimé l’avis qu’il n’existait pas de lien de causalité entre le refus d’interrompre la grossesse et la détérioration ultérieure de la vue de la requérante.
142.  Il soutient que la décision de classement se justifiait car elle reposait sur l’avis de ces experts. Il souligne à cet égard que ces spécialistes avaient pris connaissance du dossier médical de la requérante.
143.  Il indique en outre que, le 6 juin 2001, la requérante a été informée par le procureur des droits et obligations qui lui incombaient en tant que partie à une procédure pénale. Elle savait ainsi que si elle avait le moindre problème pour étudier le dossier en raison de sa mauvaise vue, elle pouvait à tout stade de la procédure demander la désignation d’office d’un avocat.
2.  Appréciation de la Cour
144.  Eu égard aux motifs pour lesquels elle a conclu à la violation de l’article 8 et rejeté l’exception préliminaire du Gouvernement, la Cour ne juge pas nécessaire d’examiner séparément les griefs de la requérante sous l’angle de l’article 14 de la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
145.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
146.  La requérante déclare que les événements qu’elle dénonce ont eu pour elle des conséquences extrêmement graves. Elle est désormais quasi aveugle et est officiellement reconnue comme atteinte d’une infirmité importante. Elle a besoin de soins constants et d’aide dans sa vie quotidienne. On l’a aussi prévenue que son état était irréversible. Perdre la vue l’a rendue totalement incapable de s’occuper de ses enfants et de travailler.
147.  La requérante réclame 36 000 euros (EUR), soit l’équivalent de 144 000 zlotys polonais (PLN), pour dommage matériel. Cette somme correspond aux dépenses médicales auxquelles elle estime qu’elle devra faire face à l’avenir. Elle considère qu’un traitement médical adéquat lui coûtera environ 300 PLN par mois, somme qui couvre les visites médicales régulières, à raison de 140 PLN la visite, ainsi que les médicaments (y compris des antidépresseurs) qu’elle doit prendre afin de prévenir toute nouvelle aggravation de son état. Le total a été calculé en tenant compte de l’espérance de vie en Pologne, qui est évaluée par l’Organisation mondiale de la santé à soixante-dix-neuf ans.
148.  La requérante demande par ailleurs à la Cour de lui octroyer 40 000 EUR en réparation du dommage moral qu’elle estime avoir subi, à savoir les souffrances et les angoisses qu’elle a connues et continue de connaître à cause des événements qu’elle dénonce.
149.  Le Gouvernement estime que la requérante n’a pas subi un dommage matériel du montant indiqué, qui est purement spéculatif et, de plus, exorbitant. Il est en effet impossible d’évaluer les dépenses médicales auxquelles la requérante devra, le cas échéant, faire face à l’avenir.
150.  Quant à la demande de la requérante pour dommage moral, le Gouvernement soutient qu’elle est exagérée et doit donc être rejetée.
151.  La Cour observe que la demande de la requérante pour dommage matériel se fonde sur l’effet néfaste qu’aurait eu sur sa santé le refus d’un avortement. A cet égard, elle rappelle avoir conclu qu’elle ne saurait spéculer sur le caractère correct de la conclusion des médecins quant au point de savoir si la grossesse de la requérante pouvait ou non conduire à l’avenir à une détérioration de sa vue (paragraphe 119 ci-dessus). Par conséquent, la Cour rejette la demande de la requérante de ce chef.
152.  En revanche, eu égard aux arguments avancés par l’intéressée, la Cour considère que celle-ci a forcément dû connaître des angoisses et souffrances considérables, et notamment craindre de ne plus avoir la capacité physique de s’occuper d’un autre enfant et de veiller à son bien-être et à son bonheur, ce qui ne saurait être réparé par un simple constat de violation de la Convention. Eu égard aux circonstances de l’affaire prise dans son ensemble et statuant en équité, la Cour alloue à la requérante 25 000 EUR au titre du dommage moral.
B.  Frais et dépens
153.  La requérante réclame le remboursement des frais et dépens qu’elle a exposés dans la procédure devant la Cour. Elle a désigné deux avocates polonaises et deux avocates de l’organisation Interights et du Centre international de protection juridique des droits de l’homme, à Londres, pour la représenter devant la Cour.
154.  Selon elle, il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que des frais peuvent raisonnablement être exposés par plus d’un avocat et que les avocats d’un requérant peuvent se trouver dans des juridictions différentes (Kurt c. Turquie, 25 mai 1998, Recueil 1998-III, Yaşa c. Turquie, 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI). La participation d’avocats étrangers implique certaines conséquences. Le niveau des honoraires dans leur pays peut différer de celui qui prévaut dans l’Etat défendeur. Dans l’affaire Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, la Cour a déclaré que « compte tenu des grandes différences dans les barèmes d’honoraires existant à l’heure actuelle d’un Etat contractant à l’autre, une approche uniforme de l’évaluation des honoraires (...) ne paraît pas appropriée » (13 juillet 1995, § 77, série A no 316-B).
155.  La requérante réclame, factures fournies par Mme Gąsiorowska et Mme Wilkowska-Landowska à l’appui, 10 304 EUR en remboursement des frais et dépens afférents au travail de ces deux avocates. Les honoraires, qui se montent à 10 050 EUR, correspondent à 201 heures consacrées à la préparation des observations soumises en l’affaire, à raison de 50 EUR de l’heure. Elle indique de plus que les frais exposés dans l’affaire, soit 254 EUR, recouvrent les frais de déplacement et d’hébergement de Mme Wilkowska-Landowska lorsqu’elle s’est rendue à l’audience. Elle sollicite par ailleurs le remboursement, là encore facture à l’appui, des frais et dépens correspondant au travail effectué par Mme Coomber et Mme Vandova, pour un total de 11 136 EUR. Les honoraires correspondent à 98 heures de préparation des observations, à raison de 103,60 EUR de l’heure. Le montant total des honoraires réclamés s’élève donc à 21 186 EUR. La requérante a fourni les factures pertinentes à la Cour. Le reste des frais, soit 959 EUR, correspond aux frais de voyage et d’hébergement occasionnés par l’audience qui s’est tenue devant la Cour.
156.  Le Gouvernement prie la Cour de n’accorder le remboursement des frais et dépens que pour autant qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés et étaient raisonnables quant à leur taux. Il indique en outre que la requérante n’a pas fourni de factures à propos des frais d’hébergement et de déplacement de ses représentantes. En tout état de cause, il considère que les sommes réclamées sont exorbitantes vu les montants alloués par la Cour dans des affaires similaires.
157.  Le Gouvernement prie aussi la Cour de déterminer s’il est raisonnable que la requérante se voie rembourser les frais et dépens de quatre avocates.
158.  La Cour rappelle qu’au titre de l’article 41 de la Convention elle rembourse les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d’un montant raisonnable (voir notamment les arrêts Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II, et Smith et Grady c. Royaume-Uni (satisfaction équitable), nos 33985/96 et 33986/96, § 28, CEDH 2000-IX). A la lumière des pièces fournies, la Cour est convaincue que les frais afférents à l’espèce ont été réellement exposés.
159.  Pour ce qui est des montants concernés, la Cour rappelle tout d’abord avoir déjà jugé que l’emploi de plus d’un avocat peut parfois se justifier par l’importance des questions soulevées par une affaire (voir, entre autres, Sunday Times c. Royaume-Uni (article 50), 6 novembre 1980, § 30, série A no 38). La Cour relève à cet égard que les questions en jeu en l’espèce ont donné lieu en Pologne à un débat juridique vigoureux et prolongé. Elle a de plus indiqué dans sa décision sur la recevabilité que les questions se rapportant à l’épuisement des voies de recours internes étaient suffisamment complexes pour être examinées en même temps que le fond de l’affaire (paragraphe 61 ci-dessus). Il est d’ailleurs pertinent de noter que la jurisprudence des juridictions polonaises sur le sujet est très peu abondante. Enfin, la Cour estime que les questions que l’affaire soulève au regard de la Convention sont d’une nouveauté et d’une complexité considérables.
160.  Globalement, la Cour est donc d’avis, eu égard aux questions juridiques qui se posent tant sous l’angle du droit interne que de la Convention, que l’emploi de quatre avocates se justifiait en l’espèce.
161.  En revanche, tout en reconnaissant la complexité de l’affaire, la Cour n’est pas convaincue que le nombre d’heures cité par la requérante puisse passer pour refléter équitablement le temps qui était réellement nécessaire pour traiter les questions en jeu en l’espèce. Quant aux barèmes horaires indiqués, la Cour estime qu’ils cadrent avec la pratique en vigueur dans les deux juridictions où les avocates de la requérante exercent, et ne sauraient passer pour excessifs.
162.  La Cour note toutefois que ces quatre avocates ont toutes assisté à l’audience qui s’est tenue devant elle. Or elle ne pense pas que les frais exposés à cette occasion puissent être considérés comme ayant été « nécessairement » exposés, étant donné que la requérante a bénéficié de l’assistance judiciaire dans le cadre de la procédure devant elle.
163.  Dès lors, la Cour, statuant en équité et tenant compte de la ventilation des prétentions soumises, alloue à la requérante la somme globale de 14 000 EUR pour frais et dépens. Cette somme comprend la taxe sur la valeur ajoutée pouvant être due ; il faut en déduire les 2 442,91 EUR versés à la requérante par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire.
C.  Intérêts moratoires
164.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Rejette, à l’unanimité, l’exception préliminaire du Gouvernement ;
2.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en ce que l’Etat n’a pas satisfait à son obligation positive d’assurer à la requérante le respect effectif de sa vie privée ;
4.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément la question de savoir s’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
5.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré par la requérante de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 ;
6.  Dit, à l’unanimité,
a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt :
i.  25 000 EUR (vingt-cinq mille euros) pour dommage moral,
ii.  14 000 EUR (quatorze mille euros) pour frais et dépens, moins 2 442,91 EUR (deux mille quatre cent quarante-deux euros quatre-vingt-onze centimes) versés à la requérante par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 20 mars 2007, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early Nicolas Bratza   Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
–  opinion concordante du juge Bonello ;
–  opinion dissidente du juge Borrego Borrego.
N.B.  T.L.E. 
OPINION CONCORDANTE DU JUGE BONELLO
(Traduction)
1.  En l’espèce, la Cour n’était ni saisie d’un droit abstrait à l’avortement ni d’un quelconque droit fondamental à l’avortement qui serait tapi quelque part dans la pénombre des marges de la Convention.
2.  La décision prise dans la présente cause concerne un pays qui a déjà rendu l’avortement médical légal dans certains cas précis. La Cour était seulement appelée à statuer sur une question : existait-il, en cas de divergence d’opinion (entre une femme enceinte et les médecins ou entre les médecins eux-mêmes) quant à savoir si les conditions nécessaires pour obtenir un avortement légal étaient ou non réunies, un mécanisme effectif permettant de trancher ce point ?
3.  Mon vote en faveur de la violation ne va pas au-delà de cela.
OPINION DISSIDENTE   DU JUGE BORREGO BORREGO
(Traduction)
1.  Je suis au regret de ne pouvoir me rallier à l’avis de la majorité en cette affaire.
2.  Les faits sont très simples : une femme qui souffrait d’une forte myopie s’est trouvée enceinte pour la troisième fois et, « [inquiète] des conséquences que l’accouchement pourrait avoir sur sa santé, elle décida de consulter ses médecins » (paragraphe 9 de l’arrêt). La loi polonaise autorise l’avortement à condition qu’il existe « une menace pour la vie ou la santé de la femme (...) attesté[e] par un médecin spécialisé dans la branche de la médecine dont relève le problème de santé qui touche cette femme » (paragraphe 39 de l’arrêt). Trois ophtalmologues, et non pas un seul, ont examiné la requérante et ont tous conclu « qu’en raison de changements pathologiques survenus à la rétine de la requérante, (...) il existait un risque, mais pas de certitude, que la rétine se décolle à cause de la grossesse » (paragraphe 9 de l’arrêt). La requérante obtint un certificat médical favorable à l’avortement auprès d’une femme médecin généraliste. Or un médecin généraliste n’est pas un spécialiste, et le gynécologue refusa de pratiquer l’avortement au motif que seul un spécialiste en ophtalmologie pouvait décider si une interruption de grossesse était médicalement conseillée (paragraphe 69 de l’arrêt).
Quelques mois après l’accouchement, la vue de la requérante se dégrada et l’intéressée intenta une action pénale contre le gynécologue. Après avoir étudié les déclarations des trois ophtalmologues qui avaient examiné la requérante pendant sa grossesse ainsi que le rapport d’un collège de trois médecins experts, il fut conclu « qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre les actions [du gynécologue] et la détérioration de la vue de la requérante ».
3.  Il est vrai que la vue de la requérante s’est détériorée. Et il est aussi vrai que la Pologne n’est pas un Etat insulaire au sein de l’Europe. Par ailleurs, la Cour n’est pas non plus une œuvre de charité ni un substitut du parlement national. Je pense que cet arrêt va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour, tant par son approche que par sa conclusion. Je pense également qu’il va trop loin.
4.  Il y a huit mois, la même section de la Cour a rendu une décision au sujet de la requête D. c. Irlande ((déc.), no 26499/02, 28 juin 2006). Je ne comprends pas pourquoi la décision adoptée aujourd’hui en l’espèce en diffère autant.
5.  Il n’existe pas d’unanimité au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe en matière d’avortement. Certains pays sont assez restrictifs, d’autres très permissifs, la majorité d’entre eux adoptant néanmoins une attitude médiane.
L’Irlande est l’un des pays les plus restrictifs. Comme indiqué à l’article 40 § 3, alinéa 3, de sa Constitution « l’Etat reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître (...) ». Ce n’est qu’en cas de « risque réel et important » pour la vie de la mère qu’il est possible d’engager une action constitutionnelle, qui met en jeu une procédure qui est en principe non confidentielle et d’une durée inconnue, en vue d’obtenir l’autorisation de bénéficier d’un avortement légal.
La Pologne a pour sa part une position intermédiaire : la législation de cet Etat contractant prévoit une « procédure relativement simple afin d’obtenir un avortement légal pour des motifs médicaux (...). Cette procédure permet de prendre rapidement les mesures nécessaires et ne diffère pas fondamentalement des solutions adoptées dans certains autres Etats membres » (paragraphes 34 et 121 de l’arrêt).
6.  Pour ce qui est du débat sur l’avortement, dans l’affaire D. c. Irlande précitée (§ 97), la Cour a également pris note du « caractère sensible, passionné et souvent polarisé du débat en Irlande ».
En l’espèce, la Cour a négligé le débat qui a lieu en Pologne au sujet de l’avortement.
7.  Dans l’affaire D. c. Irlande, la vie de la mère était en réel danger. La requérante était une femme enceinte de dix-huit semaines de jumeaux lorsqu’on l’informa que l’un des fœtus avait « cessé de se développer » et que le second était atteint d’une grave anomalie chromosomique (« une anomalie létale du fœtus »). Quelques jours plus tard, elle se fit avorter au Royaume-Uni. A la suite de cette épreuve, sa relation avec son partenaire prit fin, elle arrêta de travailler, etc.
8.  Dans les deux affaires, la Cour a adopté une position différente en matière d’avortement. Je dirais que son attitude est empreinte de respect dans l’affaire D. c. Irlande : « c’est particulièrement le cas lorsque la question centrale est nouvelle, implique de procéder à une mise en balance complexe et sensible de droits à la vie placés sur le même pied d’égalité et exige une analyse délicate de valeurs et mœurs propres à un pays. De plus, c’est précisément l’interaction entre les droits égaux à la vie dont jouissent la mère et l’enfant « à naître » (...) » (§ 90).
En revanche, dans l’affaire contre la Pologne à l’étude, tout le débat est centré sur l’obligation positive qui incombe à l’Etat de reconnaître le droit au « respect effectif » de la vie privée en protégeant l’individu contre toute ingérence arbitraire des pouvoirs publics (paragraphes 109 et 110 de l’arrêt). Il n’est fait aucune référence à « la mise en balance complexe et sensible de droits à la vie placés sur le même pied d’égalité (...) de la mère et de l’enfant à naître » dont il est question dans l’affaire D. c. Irlande. En l’espèce, il s’agit d’un tout autre équilibre, à savoir le « juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble » (paragraphe 111 de l’arrêt).
9.  Dans l’affaire D. c. Irlande, tout doit être objectif. En l’espèce, tout est subjectif.
Concernant la requérante irlandaise, la Cour déclare dans sa décision : « il est indéniable que la requérante était profondément perturbée notamment par le diagnostic et les conséquences de celui-ci. Toutefois, pareille détresse ne saurait en soi dispenser la requérante de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes » (D. c. Irlande, décision précitée, § 101).
A la dix-huitième semaine de grossesse, alors qu’un risque réel pesait sur sa vie et qu’elle devait mener une procédure non confidentielle d’une durée inconnue, la femme irlandaise a été réputée dans l’obligation d’épuiser les voies de recours internes. Elle a « sollicité l’avis, informel, d’un ami avocat qui lui a déclaré que, si elle écrivait aux autorités pour protester, l’Etat pourrait tenter de l’empêcher de se rendre à l’étranger pour avorter et (....) elle n’était pas prête à prendre ce risque ». Toutefois, dans cette affaire, la Cour a dit que « le fait de consulter informellement un ami n’équivaut pas à désigner un avocat ou un conseil et à obtenir un avis juridique autorisé » (ibidem, § 102).
Il est très intéressant de comparer cette déclaration avec celle figurant dans l’affaire polonaise, où la requérante « craignait que sa grossesse et son accouchement conduisent à une nouvelle aggravation de son état ». En l’espèce, la Cour juge cette crainte « suffisante » et « estime que les craintes de l’intéressée ne sauraient être considérées comme irrationnelles » (paragraphe 119 de l’arrêt).
10.  La majorité a fondé sa conclusion de violation de l’article 8 sur le fait que la Partie contractante n’avait pas satisfait à son obligation positive consistant à respecter la vie privée de la requérante.
Je ne partage pas cet avis. En effet, avant l’accouchement, cinq experts (trois ophtalmologues, un gynécologue et un endocrinologue) n’ont pas cru que la santé de la femme risquait d’être menacée par la grossesse et l’accouchement.
Après l’accouchement, les trois ophtalmologues et un collège de trois médecins experts (un ophtalmologue, un gynécologue et un spécialiste de médecine légale) ont conclu que « les grossesses et accouchements n’avaient pas eu d’effet sur la détérioration de la vue de la requérante » (paragraphe 21 de l’arrêt).
Cela dit, la Cour « relève qu’un désaccord survint entre ses médecins » (paragraphe 119 de l’arrêt). Bien. D’un côté, huit spécialistes déclarent unanimement qu’ils ne voient aucune menace ni aucun lien entre la grossesse et l’accouchement et la détérioration de la vue de la requérante. De l’autre côté, un médecin généraliste émet un certificat comme si elle était experte dans trois spécialités médicales : gynécologie, ophtalmologie et psychiatrie et, dans un totum revolutum (opinion où tout est mélangé), conseille une interruption de grossesse (paragraphe 10 de l’arrêt).
J’ai du mal à comprendre les raisons qui ont conduit la Cour à considérer dans l’affaire irlandaise que l’avis d’un avocat – un ami de la requérante – ne constituait pas un « avis formel » et donc ne pouvait être pris en compte, alors qu’elle juge au contraire recevable l’avis d’un généraliste en l’espèce.
11.  Si l’avis des experts était unanime et bien motivé, pourquoi n’a-t-il pas été pris en considération ?
Je crains que la réponse ne soit très simple : au paragraphe 116, la Cour « note de plus que l’interdiction de l’avortement prévue dans la loi, combinée avec le risque pour les médecins de se voir accusés d’une infraction pénale en vertu de l’article 156 § 1 du code pénal, est tout à fait susceptible d’avoir un effet dissuasif sur les praticiens lorsqu’ils décident si les conditions pour autoriser un avortement légal sont réunies dans un cas particulier » (« interdiction de l’avortement prévue dans la loi »/« avortement légal » : pas de commentaire).
Je trouve très difficile d’admettre qu’une appréciation discréditant à ce point la profession médicale en Pologne provienne non pas de l’une des Parties, mais de la Cour elle-même.
12.  L’avortement est légal en droit polonais, mais les circonstances de l’espèce ne correspondent pas aux cas de figure dans lesquels la loi polonaise autorise l’avortement.
Le raisonnement qui sous-tend la conclusion de la Cour selon laquelle il y a eu violation de la Convention est le suivant.
Premièrement, la Cour accorde une grande importance aux craintes de la requérante, alors que ces craintes n’étaient pas vérifiées et que, de plus, elles se sont révélées infondées.
Deuxièmement, la Cour s’efforce de comparer l’avis unanime de huit spécialistes et l’avis isolé et confus d’un médecin généraliste.
Troisièmement, elle discrédite les médecins polonais.
Pour finir, l’arrêt va trop loin car il contient des indications à l’intention des autorités polonaises quant à « la mise en œuvre de la législation portant sur les conditions d’accès à un avortement légal » (paragraphe 123 de l’arrêt).
13.  La Cour paraît proposer que la Haute Partie contractante, la Pologne, se joigne aux Etats qui ont adopté une approche plus permissive en matière d’avortement. Il faut souligner que, dans « certains Etats parties », pour reprendre les termes du paragraphe 123, l’« avortement à la demande » est autorisé jusqu’à dix-huit semaines de grossesse. Est-ce là la loi que la Cour cherche à imposer à la Pologne ? Je considère que la Cour se contredit à la dernière phrase du paragraphe 104, lorsqu’elle affirme : « la Cour n’a pas en l’espèce à rechercher si la Convention garantit un droit à l’avortement ».
Pour conclure, l’arrêt rendu dans la présente affaire, nonobstant la législation polonaise pertinente, est centré sur l’opinion de la requérante : « [l’ordonnance du 22 janvier 1997] se borne à obliger la femme à se procurer un certificat auprès d’un spécialiste, sans indiquer ce qu’elle peut faire si son avis et celui du spécialiste divergent » (paragraphe 121).
Je considère que la décision prise par la Cour en l’occurrence favorise l’« avortement à la demande », ainsi qu’il ressort clairement du paragraphe 128 : « Eu égard aux circonstances de l’espèce prises dans leur ensemble, on ne saurait donc dire [que] (...) l’Etat polonais a satisfait à l’obligation positive qui lui incombait de protéger le droit de la requérante au respect de la vie privée dans le cadre d’un désaccord portant sur le point de savoir si elle avait le droit de bénéficier d’un avortement thérapeutique. »
14.  Je suis au regret de dire qu’à mon avis il n’appartient pas à la Cour de formuler pareille déclaration.
Il est vrai qu’il existait en l’occurrence un désaccord. D’un côté, on trouve la loi polonaise, l’avis unanime de médecins experts et l’absence confirmée de lien de causalité entre l’accouchement et la détérioration de la vue de la requérante. De l’autre, il y a les craintes de la requérante.
Comment la Partie contractante a-t-elle résolu ce désaccord ? En respectant la loi interne. Mais la Cour a jugé qu’il ne s’agissait pas d’une solution convenable et que l’Etat n’avait pas satisfait à son obligation positive de protéger la requérante. La protéger du droit interne et des avis médicaux ? D’après la Cour, l’Etat aurait dû protéger la requérante, en dépit du droit interne pertinent et des avis médicaux, parce qu’elle avait peur. Et l’arrêt, sur la seule base des craintes de la requérante, conclut à la violation de la Convention.
15.  Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Aujourd’hui, la Cour a décidé qu’un être humain était né à la suite d’une violation de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon ce raisonnement, il existe un enfant polonais, âgé actuellement de six ans, dont le droit de naître va à l’encontre de la Convention.
Je n’aurais jamais pensé que la Convention aille si loin, et je trouve cela effrayant.
1.  A cet arrêt se trouvaient jointes trois opinions séparées qui ne traitaient d’aucun des autres motifs légaux d’avortement, dont l’avortement thérapeutique qui est en jeu en l’espèce.
ARRÊT TYSIĄC c. POLOGNE
ARRÊT TYSIĄC c. POLOGNE 
ARRÊT TYSIĄC c. POLOGNE 
ARRÊT TYSIĄC c. POLOGNE – OPINION DISSIDENTE
DU JUGE BOREGO BORREGO
ARRÊT TYSIĄC c. POLOGNE – OPINION DISSIDENTE  
DU JUGE BORREGO BORREGO


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 5410/03
Date de la décision : 20/03/2007
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Non-violation de l'art. 3 ; Violation de l'art. 8 ; Aucune question distincte au regard de l'art. 13 ; Non-lieu à examiner l'art. 8+14 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 13) RECOURS EFFECTIF, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 3) TRAITEMENT DEGRADANT, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE


Parties
Demandeurs : TYSIAC
Défendeurs : POLOGNE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-03-20;5410.03 ?
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