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15/05/2007 | CEDH | N°2115/04

CEDH | DEPAUW c. BELGIQUE


DEUXIEME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 2115/04  présentée par Jean DEPAUW  contre la Belgique
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 15 mai 2007 en une chambre composée de :
M. A.B. Baka, président,   Mme F. Tulkens,   MM. I. Cabral Barreto,    V. Zagrebelsky,   Mmes A. Mularoni,    D. Jočienė,   MM. D. Popović, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 12 décembre 2003,
Vu les observations sou

mises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir déli...

DEUXIEME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 2115/04  présentée par Jean DEPAUW  contre la Belgique
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 15 mai 2007 en une chambre composée de :
M. A.B. Baka, président,   Mme F. Tulkens,   MM. I. Cabral Barreto,    V. Zagrebelsky,   Mmes A. Mularoni,    D. Jočienė,   MM. D. Popović, juges,  et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 12 décembre 2003,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Jean Depauw, est un ressortissant belge, né en 1946 et résidant à Visé. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. C. Debrulle, directeur du Service public fédéral de la justice.Z*
A.  Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Devant les juridictions du travail (licenciement)
1.  Le requérant explique qu'il était l'employé et administrateur de la société C. (qui, le 31 mars 1983, fusionna avec la société D.).
Le 22 avril 1981, il fut démis de ses fonctions d'administrateur et le 24 avril 1981, il fut licencié pour faute grave, sans indemnité de préavis.
Le 24 août 1981, le requérant assigna la société devant le tribunal du travail de Huy.
Par un jugement du 2 mars 1984, ce tribunal jugea qu'aucune faute grave ne pouvait être imputée au requérant et lui accorda un droit de préavis de dix-huit mois ainsi qu'un franc au titre de dommage moral. La société interjeta appel.
Par un arrêt du 16 septembre 1985, la cour du travail de Liège confirma le jugement, qui ne fut jamais exécuté.
Dans l'intervalle, le requérant avait signifié, le 19 mars 1985, un commandement préalable à saisie à la société.
Le 22 avril 1985, la société fit opposition à la saisie devant le tribunal de commerce de Huy. D'après le requérant, le tribunal ne se prononça pas sur le recours.
Le 28 février 1986, le requérant signifia à la société un nouveau commandement préalable à saisie.
Le 24 mars 1986, la société forma opposition. Selon le requérant, le tribunal de commerce de Huy ne statua jamais sur ce recours.
Le 2 juillet 1987, la société D. fut mise en liquidation et un liquidateur, M. L., fut désigné.
A une date indéterminée, une nouvelle société E, fut créée.
Devant le tribunal du commerce (procédure en faillite)
2.  Le 15 janvier 1988, le requérant cita la société D. en faillite. Il déposa également une plainte pour faillite frauduleuse et détournement d'actifs du fait de la création de la société E.
Le 14 septembre 1988, le tribunal de commerce de Huy prononça la faillite de la société D. et Me D. fut désigné comme curateur. Un appel fut interjeté.
Le 20 septembre 1988, le requérant déclara sa créance auprès du curateur.
Par un arrêt du 17 janvier 1989, la cour d'appel de Liège confirma la faillite.
Le 28 décembre 1989, le requérant fut convoqué par le curateur à une assemblée des créanciers le 14 février 1990.
Lors de cette assemblée, les créanciers demandèrent au curateur de transmettre un rapport au parquet.
Le 17 mai 1990, le curateur cita le liquidateur de la société D. devant le tribunal.
Devant les juridictions pénales (action en responsabilité du liquidateur et des ex-administrateurs)
3.  Le 25 mai 1990, le requérant introduisit une action en responsabilité du liquidateur (L.) et de quatre anciens administrateurs de la société D. auprès du tribunal de commerce pour les dommages personnels résultant de la condamnation.
Le 9 avril 1991, le tribunal nomma un expert, qui remettra un premier rapport trente mois plus tard.
Le 15 avril 1991, le requérant écrivit au substitut du procureur du Roi, M. La., pour se plaindre des lenteurs de l'instruction et être entendu.
Le 7 janvier 1992, le requérant fut entendu par le parquet.
A l'issue de l'instruction, l'affaire fut transmise à la chambre du conseil de Huy, chargée de statuer sur l'issue à y réserver. Elle examina l'affaire le 9 septembre 1994, après une série de remises.
Le 7 octobre 1994, la chambre du conseil prit une ordonnance de renvoi. Sur appel des prévenus, l'affaire fut examinée après plusieurs reports par la chambre des mises en accusation le 25 janvier 1995 ainsi que le 27 mars 1995.
Par un arrêt du 12 avril 1995, la chambre des mises en accusation prit une ordonnance de renvoi en ce qui concerne L. et déclara les faits prescrits en tant qu'ils concernaient quatre ex-administrateurs de la société.
L'affaire fut examinée au fond par le tribunal correctionnel de Huy à l'audience du 30 janvier 1996, après plusieurs reports.
Le 27 février 1996, le tribunal correctionnel de Huy condamna L. pour les faits suivants : banqueroute frauduleuse, ne pas avoir fait la déclaration de cessation de paiement dans le délai de trois jours prévus par la loi et manquement à ses obligations comptables. Il le condamna au paiement d'un franc provisionnel en faveur du requérant. L. interjeta appel.
Le 9 mai 1997, le conseil du requérant écrivit au président de la cour d'appel et insista sur la volonté de son client que l'affaire soit terminée avant les vacances judiciaires, arguant du risque de prescription.
La cour d'appel clôtura les débats à l'audience du 5 juin 1997.
Par un arrêt du 27 juin 1997, la cour d'appel de Liège confirma le jugement pour l'essentiel dans ses dispositions pénales. Statuant au civil, elle déclara l'action du requérant irrecevable, estimant que le préjudice qu'il invoquait à titre personnel ne pouvait être distingué de celui de la masse des créanciers. Pour le reste, elle ordonna la réintégration de la masse de tous les biens, droits et actions frauduleusement soustraits.
L. forma un pourvoi en cassation, qui fut rejeté par la Cour de cassation le 19 novembre 1998.
Le 21 janvier 2000, le curateur lança citation à l'encontre de L. et des anciens administrateurs de la société D., devenus ceux de la société E. devant le tribunal correctionnel de Huy afin qu'il statue sur les intérêts civils restants du litige. La comparution fut reportée.
Selon le requérant, le dossier aurait été perdu. Une nouvelle citation fut lancée pour le 12 septembre 2000. L'examen de l'affaire connut plusieurs reports.
Par un jugement du 29 mai 2001, le tribunal correctionnel de Huy condamna L. au paiement d'une somme d'argent. Faute d'appel, cette condamnation devint définitive en juin 2001.
Le tribunal correctionnel de Huy rendit un jugement le 14 février 2005, par lequel il constata la prescription de l'action.
Devant le tribunal du commerce (concordat judiciaire)
4.  Dans l'intervalle, le 8 mars 2000, les administrateurs de la société E. avaient demandé le concordat judiciaire, qui fut accordé le 27 septembre 2000 par le tribunal de commerce de Huy, présidé par La., ancien substitut du procureur du Roi. Un administrateur provisoire fut nommé, Me H. Ce dernier était membre du même cabinet d'avocats que Me D. L'administration provisoire rendit son rapport le 3 septembre 2002.
Le 2 octobre 2002, la société E. fut déclarée en faillite et le tribunal nomma un curateur, A.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
1.  Le code civil
Article 1382
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par lequel il est arrivé, à le réparer. »
Article 1383
« Chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
2.  La jurisprudence relative à la responsabilité de l'Etat du fait des magistrats
Depuis un arrêt du 19 décembre 1991, la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel la responsabilité civile de l'Etat peut être engagée pour le dommage causé par des fautes commises par des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions (Pas., 1992, I, p. 316). Aux termes de cet arrêt :
« Attendu que l'Etat est, comme les gouvernés, soumis aux règles de droit et notamment à celles régissant la réparation des dommages découlant des atteintes portées par des fautes aux droits subjectifs et aux intérêts légitimes des personnes ;
Attendu qu'en règle, la faute dommageable commise par un organe de l'Etat engage la responsabilité directe de celui-ci, sur la base des articles 1382 et 1383 du code civil, lorsque l'organe a agi dans les limites de ses attributions légales ou qu'il doit être tenu comme ayant agi dans ces limites par tout homme raisonnable et prudent ;
Attendu que les principes de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance du pouvoir judiciaire et des magistrats qui le composent n'impliquent pas que l'Etat serait, d'une manière générale, soustrait à l'obligation de réparer le dommage causé par sa faute ou celle de ses organes dans l'administration du service public de la justice, notamment dans l'accomplissement des actes qui constituent l'objet direct de la fonction juridictionnelle. »
Dans un arrêt du 8 décembre 1994, la Cour de cassation a précisé :
« la faute du magistrat pouvant, sur la base des articles 1382 et 1383 du code civil, entraîner la responsabilité de l'Etat consiste, en règle, en un comportement qui, ou bien s'analyse en une erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère du magistrat normalement soigneux et prudent, placé dans les mêmes conditions, ou bien, sous réserve d'une erreur invincible ou d'une autre cause de justification, viole une norme du droit national ou d'un traité international ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne, imposant au magistrat de s'abstenir ou d'agir de manière déterminée »
3.  La jurisprudence relative à la responsabilité de l'Etat du fait du dépassement du délai raisonnable en matière administrative
Un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 21 mars 1980 a condamné l'Etat belge à payer des dommages et intérêts dans une affaire où le directeur des contributions, organe de l'Etat n'appartenant pas à la magistrature mais exerçant à cette occasion une fonction juridictionnelle, n'avait toujours pas pris de décision quant à la réclamation du demandeur introduite plus de quatre ans auparavant (J.D.F., 1980, 289). Cette décision n'a fait l'objet d'aucun recours.
Par un arrêt du 8 avril 1992, la cour d'appel d'Anvers a constaté l'existence d'une faute de l'Etat du fait du retard non justifié de l'administration des douanes à prendre une décision sur les tarifs douaniers applicables à certains produits importés. Relevant que la demande avait été faite le 1er avril 1985 et que la décision n'avait été prise que le 3 juillet 1987, la cour estima que ce retard avait porté préjudice au demandeur, les tarifs douaniers corrects n'ayant pu être appliqués qu'à partir du 15 octobre 1987.
Par un arrêt du 22 septembre 1998, la cour d'appel d'Anvers a constaté l'existence d'une faute de l'Etat du fait de l'absence de mise en œuvre d'une procédure d'expropriation autorisée par un arrêté royal du 14 mai 1973, relevant qu'elle constituait une atteinte manifeste à ses obligations, compromettait gravement le statut juridique des citoyens et leur déniait toute sécurité juridique.
Un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 18 janvier 2002 (R.G.C.F., 2003, p. 45) a condamné l'Etat belge pour le retard de cinq ans mis à statuer sur une réclamation introduite en matière fiscale :
« un tel immobilisme, inexpliqué de plus de cinq ans, est constitutif de faute dans le chef du défendeur, le contribuable était en droit d'attendre que l'Etat statue dans un délai raisonnable, sur sa réclamation. Que l'incertitude dans laquelle a ainsi été maintenue la demanderesse et sa famille, lui a incontestablement causé un préjudice moral  ».
Un appel a été introduit par l'Etat belge, toujours pendant. Dans son appel, l'Etat conteste principalement être responsable d'une faute du fait du dépassement du délai raisonnable, du fait du « caractère éminemment complexe de cette affaire qui s'inscrivait dans un contexte de mécanisme frauduleux faisant d'ailleurs l'objet d'une action judiciaire », et subsidiairement l'existence d'un dommage et d'un lien de causalité entre la faute et le dommage allégués.
Un jugement du tribunal de première instance du 15 avril 2005, non publié, a condamné l'Etat belge a réparer le dommage encouru par un demandeur d'asile au motif que le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides n'avait toujours pas statué sur sa demande, cinq ans après l'avoir entendu. Il n'est pas déterminé si l'Etat belge a fait appel ou non de ce jugement.
4.  La jurisprudence relative à la responsabilité de l'Etat belge du fait du dépassement du délai raisonnable dans une procédure de nature civile
Plusieurs décisions de juridictions du fond ont accueilli favorablement le principe de la responsabilité civile de l'Etat belge du fait du dépassement du délai raisonnable dans une procédure de caractère civil.
a)  Un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 10 décembre 1998 a fait droit à la demande, introduite le 28 juin 1996, tendant à la réparation du dommage causé par le constat de la prescription de l'action publique établi lors du règlement de la procédure d'une instruction ouverte suite à une plainte avec constitution de partie civile. L'arrêt du 2 février 1989 de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Liège, qui avait constaté la prescription, avait aussi relevé les lenteurs et lacunes de l'instruction.
Le jugement du 10 décembre 1998 se lit comme suit :
« Attendu qu'il ne fait aucun doute que le défendeur est tenu de réparer le dommage qu'il cause à autrui, par une faute qu'il aurait commise dans l'organisation de l'administration du service public de la justice ; que sa responsabilité est également engagée en raison de fautes commises par les magistrats ou greffiers dans l'exercice de leur fonction ;
Attendu que la faute d'un magistrat ou greffier peut consister en une erreur de conduite que n'aurait pas commise le magistrat ou greffier normalement soigneux ou prudent placé dans les mêmes conditions ; qu'en outre, leur responsabilité, et spécialement celle des magistrats, peut être engagée en cas de violation d'une norme juridique établie, mais que si cette violation est constatée dans un acte, la demande en réparation du dommage causé ne peut être reçue que si ledit acte a été retiré, réformé, annulé ou rétracté par une décision passée en force de chose jugée, faute de quoi, la demande en réparation se heurterait à l'autorité de la chose jugée que revêtirait la décision alléguée fautive ;
Attendu qu'en l'espèce le demandeur n'invoque pas la responsabilité du défendeur à raison d'une décision judiciaire qui aurait violé une norme juridique établie ; qu'il se plaint des lenteurs de l'instruction ayant suivi son dépôt de plainte, et des graves lacunes ayant affecté cette instruction ;
Attendu que la demande est donc recevable et que le demandeur a un intérêt certain en réparation de son préjudice. »
Sur appel de l'Etat qui contestait ces lenteurs et lacunes, la cour d'appel de Bruxelles, par un arrêt du 16 décembre 1999 (J.L.M.B., 2000, 578, hebdomadaire du 7 avril 2000 dans lequel figure aussi, en note, des extraits du jugement du 10 décembre 1998), a confirmé la responsabilité de l'Etat belge et l'a condamné à payer à la partie civile dans la procédure litigieuse une somme de 500 000 francs belges (BEF), soit 12 394,68 euros (EUR) au titre du dommage matériel (frais de photocopies, frais de déplacement et honoraires d'avocats « exposés en pure perte ») et 200 000 BEF (4 957,87 EUR) au titre du dommage moral.
La cour d'appel motiva sa décision comme suit :
« Attendu qu'en l'espèce, la faute imputée à l'Etat belge et sur la base de laquelle P. poursuit la réparation du dommage qu'il allègue, consiste en un mauvais fonctionnement et une organisation déficiente de l'administration de la justice ; que cette faute procède, notamment, de la lenteur et des lacunes de l'instruction ouverte sur la base de la plainte qu'il avait déposée qui ont conduit la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Liège à constater la prescription des infractions imputées au prévenu ; que les manquements reprochés sont imputables aux organes et préposés de l'Etat, à savoir certains membres du parquet, certains juges d'instruction et certains greffiers, dont l'Etat doit répondre ;
Attendu qu'en l'espèce, P. allègue qu'une accumulation de négligences, de lenteur et d'impérities entache fautivement le traitement de la plainte qu'il avait déposée le 13 janvier 1978 et poursuit la réparation du préjudice qui en est la conséquence ; que la demande, qui tend à l'indemnisation par l'Etat belge, - responsable de l'organisation et du fonctionnement de l'appareil judiciaire -, du dommage résultant des négligences fautives commise par ses organes et agents, est recevable ;
que le dommage qui doit être réparé est celui qu'a subi P. et qui est en relation avec la faute telle qu'elle a été définie ci-avant, à savoir les lenteurs et lacunes de l'instruction qui ont conduit la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Liège à constater, 9 ans après le dépôt de la plainte pénale, que l'action était prescrite ».
Cet arrêt n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation.
b)  Un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 27 octobre 2000 (T.M.R., 2000, 273) a retenu la faute de l'Etat belge dans une affaire où le Conseil d'Etat avait mis 10 ans à statuer sur un recours en annulation d'une décision de la compétence de la Région flamande. Le tribunal a estimé que l'Etat belge était responsable du mauvais fonctionnement du Conseil d'Etat, puisqu'il devait notamment veiller à ce que le Conseil d'Etat dispose d'un personnel suffisant pour traiter les recours et statuer dans un délai raisonnable, mais a estimé que la partie demanderesse n'avait subi aucun dommage du fait du retard à statuer.
Un appel a été introduit par la partie demanderesse. Dans ses conclusions, l'Etat belge, qui relevait que sa responsabilité avait été mise en cause du fait que le Conseil d'Etat avait mis dix ans – un délai qu'on ne pouvait considérer comme raisonnable – pour statuer sur le recours porté devant lui, conteste l'existence d'une faute, relevant que le retard n'était pas imputable au Conseil d'Etat, mais essentiellement à l'attitude de la partie adverse, la Région flamande, qui avait tardé à déposer le dossier administratif, ainsi qu'à la complexité de l'affaire. Le recours est toujours pendant.
c)  Un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 6 novembre 2001 (J.T., 2001, 865) ayant condamné l'Etat belge au paiement d'un franc provisionnel pour le retard mis à statuer sur une erreur médicale, du fait de la carence fautive du législateur et du pouvoir exécutif à prendre les dispositions législatives et réglementaires nécessaires au bon fonctionnement de ses juridictions, rappelant que ceux-ci « ont à prendre des dispositions indispensables au respect du principe du délai raisonnable visé par l'article 6 § 1 de la Convention ». L'Etat a interjeté appel, alléguant notamment que le juge n'avait pas identifié l'auteur de la faute qui aurait été commise, assimilant trop rapidement les pouvoirs exécutifs et législatifs pour rendre l'Etat indistinctement responsable des actes ou omissions fautives de l'un de ces pouvoirs. Il soutenait qu'en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, l'exécutif n'avait pas à répondre des carences éventuelles du législateur et que ce dernier ne pouvait voir sa responsabilité recherchée dès lors qu'il ne s'identifie pas à l'Etat mais à la Nation, détentrice de la souveraineté nationale et qui, comme telle, est au dessus des lois. Il soutenait que, selon cette thèse, la sanction d'une faute du législateur appartient aux électeurs et échappe au pouvoir judiciaire. Il ajoutait qu'aucune abstention fautive ne pouvait, de toute manière, être reprochée au législateur.
La cour d'appel de Bruxelles a confirmé le jugement du 6 novembre 2001 par un arrêt du 4 juillet 2002. Elle s'est notamment exprimée comme suit :
« Le retard de fixation devant le tribunal procède de l'insuffisance du nombre de magistrats francophones du siège au tribunal de première instance de Bruxelles.
Attendu que c'est à bon droit que F. met en cause la responsabilité du législateur belge en raison du retard anormal considérable qu'a pris le traitement de son affaire par les juridictions bruxelloises, lui reprochant de ne pas avoir pris les mesures adéquates,(augmentation des cadres et des budgets, modification éventuelle de la loi du 15 juin 1935) qui eussent permis au tribunal de 1re instance et à la cour d'appel de Bruxelles de remplir adéquatement leur mission de service public et, en particulier, de pouvoir traiter la cause de l'intimée de manière efficace et dans le délai normal prescrit à l'article 6 § 1 de la Convention (...) ;
Que ce n'est pas le ministre de la Justice qui est à la cause, ni le seul pouvoir exécutif, mais l'Etat belge dans sa globalité, personne morale unique, qui est appelé à répondre des fautes qu'auraient pu commettre ses organes, qu'ils appartiennent à la sphère exécutive, législative ou judiciaire (...) ;
Attendu, par ailleurs, que la distinction opérée entre d'une part, l'Etat (exécutif et judiciaire), susceptible de voir sa responsabilité engagée à l'égard des citoyens et ses fautes sanctionnées par les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire, et d'autre part, la Nation (le législatif) qui jouirait d'une immunité de principe en tant que détentrice de la souveraineté et émanation du peuple, est étonnante et sans fondement constitutionnel, légal, jurisprudentiel et doctrinal ;
Que l'Etat, seul titulaire de la personnalité juridique, comprend trois pouvoirs qui, dans l'exercice de leurs compétences respectives, peuvent commettre des fautes lésant des droits individuels, commissions ou omissions dont l'Etat en tant que tel doit répondre devant les tribunaux de l'ordre judiciaire par application de l'article 92 de la Constitution ;
Que le pouvoir législatif ne jouit d'aucune immunité de principe qu'aucun texte n'autorise ;
Attendu qu'il résulte de ces motifs que l'Etat belge commet une faute qui engage sa responsabilité à l'égard de ses nationaux lorsqu'il omet de prendre les mesures législatives susceptibles d'assurer le respect des prescriptions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, en particulier, lorsque cette carence a pour effet de priver le droit judiciaire – et en l'espèce les juridictions bruxelloises - des moyens suffisants pour lui permettre de traiter les causes qui lui sont soumises dans le délai raisonnable (de 6 à 8 mois) qui a été défini ci-avant ;
Que cette carence de l'Etat constitue une violation grave et caractérisée de l'article 6 § 1 de la Convention qui confère aux particuliers un droit subjectif à ce que leur cause soit entendue dans les conditions qu'elle énonce ; que sa méconnaissance peut être sanctionnée devant les juridictions de l'ordre judiciaire sur la base des articles 1382 et 1383 du code civil ».
L'Etat belge a introduit un pourvoi en cassation contre cette décision contestant sa responsabilité en tant que pouvoir exécutif car aucune faute n'a été relevée dans son chef. Il conteste également sa responsabilité en tant que pouvoir législatif par le moyen suivant :
« Il n'appartient pas au juge judiciaire de contrôler le pouvoir législatif et de se prononcer sur la conduite du législateur qui aurait été prudent ou imprudent, négligent ou attentif, le Parlement ne devant répondre de son travail législatif que devant le corps électoral.
En décider autrement serait contraire aux principes de la séparation de pouvoirs et reviendrait, en définitive, à permettre au pouvoir judiciaire de s'immiscer dans le processus politique d'élaboration des lois (...). Il n'appartient pas au juge judiciaire, dans son examen de la faute éventuellement commise par le législateur, de porter un jugement d'opportunité sur le travail de celui-ci ».
Le 28 septembre 2006, la Cour de cassation (section française) a rejeté le pourvoi et a confirmé l'arrêt de la cour d'appel du 4 juillet 2002. La Cour de cassation s'est notamment exprimée comme suit :
« En règle, la faute dommageable commise par l'un de ses organes engage la responsabilité directe de l'Etat sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil lorsque l'organe a agi dans les limites de ses attributions légales ou qu'il doit être tenu comme ayant agi dans ces limites par tout homme raisonnable et prudent.
Le principe de la séparation des pouvoirs, qui tend à réaliser un équilibre entre les différents pouvoirs de l'Etat, n'implique pas que celui-ci serait, de manière générale, soustrait à l'obligation de réparer le dommage causé à autrui par sa faute ou celle de ses organes dans l'exercice de la fonction législative.
Ni ce principe ni les articles 33, 36 et 42 de la Constitution ne s'opposent à ce qu'un tribunal de l'ordre judiciaire constate pareille faute pour condamner l'Etat à réparer les conséquences dommageables qui en sont résulté.
En appréciant le caractère fautif du comportement dommageable du pouvoir législatif, ce tribunal ne s'immisce pas dans la fonction législative et dans le processus politique d'élaboration des lois mais se conforme à la mission du pouvoir judiciaire de protéger les droits civils.
Saisi d'une demande tendant à la réparation d'un dommage causé par une atteinte fautive à un droit consacré par une norme supérieure imposant une obligation à l'Etat, un tribunal de l'ordre judiciaire a le pouvoir de contrôler si le pouvoir législatif a légiféré de manière adéquate ou suffisante pour permettre à l'Etat de respecter cette obligation, lors même que la norme qui la prescrit laisse au législateur un pouvoir d'appréciation quant aux moyens à mettre en œuvre pour en assurer le respect.
En déclarant le demandeur responsable envers la défenderesse en raison de la faute consistant à avoir " omis de légiférer afin de donner au pouvoir judiciaire les moyens nécessaires pour lui permettre d'assurer efficacement le service public de la justice, dans le respect notamment de l'article 6.1 de la Convention (...) de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ", l'arrêt ne méconnaît pas le principe général du droit et ne viole aucune des dispositions que vise le moyen, en cette branche ».
GRIEFS
1.  Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du dépassement du délai raisonnable eu égard au délai global écoulé dans les diverses procédures de l'espèce. Il se plaint en particulier de la prescription des faits constatée à l'égard de certains administrateurs de la société D. par la chambre des mises en accusation de Liège dans son arrêt du 12 avril 1995, qui est selon lui imputable au parquet.
2.  Invoquant la même disposition, le requérant se plaint d'un défaut d'impartialité du tribunal de commerce de Huy ayant rendu le jugement du 27 septembre 2000 au motif qu'il était présidé par La, ancien substitut du procureur du roi dans le cadre de l'enquête concernant la faillite de la société D., pour lesquels les faits ont été jugés prescrits.
3.  Le requérant se plaint enfin du défaut d'impartialité de Me H., l'administrateur provisoire désigné dans le cadre du concordat de la société E. au motif que celui-ci appartenait au même cabinet d'avocats que Me D. Il fait valoir qu'il aurait donc dû refuser sa mission ou que Me D. aurait dû le récuser.
EN DROIT
I.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
Le requérant dénonce plusieurs violations de l'article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A.  Grief tiré de la durée globale de la procédure
Le requérant allègue que la durée globale de la procédure a dépassé le délai raisonnable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.
1.  Sur l'exception soulevée par le Gouvernement
Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il se prévaut des arrêts de la Cour de cassation belge du 19 décembre 1991 et du 8 décembre 1994 et fait valoir que le principe d'une justice appropriée dans un délai raisonnable, consacré à l'article 6 de la Convention, impose aux magistrats d'agir de manière déterminée et, par conséquent, sous réserve d'une erreur invincible ou d'une autre cause de justification, la violation de ce principe constitue une faute pouvant engager la responsabilité de l'Etat.
A l'appui de sa thèse, le Gouvernement cite plusieurs décisions de juridictions : un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 21 mars 1980, un arrêt de la cour d'appel d'Anvers du 8 avril 1992, un arrêt de la cour d'appel d'Anvers du 22 septembre 1998, un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 16 décembre 1999, un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 27 octobre 2000, un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 6 novembre 2001, l'arrêt rendu en appel par la cour d'appel de Bruxelles le 4 juillet 2002, et deux jugements du tribunal de première instance de Bruxelles du 18 janvier 2002 et du 15 avril 2005.
Le Gouvernement, qui se prévaut de l'affaire Liedekerke c. Belgique (no 45168/99, décision du 3 mai 2005), soutient que le requérant aurait dès lors dû assigner l'Etat belge devant les juridictions civiles internes pour l'entendre condamner, sur la base de l'article 1382 du code civil, à indemniser le préjudice éventuel subi, cette procédure ayant des chances raisonnables de succès. Faute de l'avoir fait, il n'a, selon le Gouvernement, pas épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 35 de la Convention.
Enfin, le Gouvernement considère que l'arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2006 vient renforcer sa thèse. Il ajoute que le recours en responsabilité de l'Etat – pouvoir législatif – pour non-respect du délai raisonnable est toujours ouvert au requérant en vertu de l'article 2262bis du code civil.
Le requérant conteste cette thèse.
La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes : tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l'occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Cette règle se fonde sur l'hypothèse – objet de l'article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d'étroites affinités – que l'ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V ; Mifsud c. France [GC] (déc.), no 57220/00, 11 septembre 2002).
En matière de « délai raisonnable » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, un recours purement indemnitaire – tel le recours en responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice dont il est question en l'espèce – est en principe susceptible de constituer une voie de recours à épuiser au sens de l'article 35 § 1, même lorsque la procédure est pendante au plan interne au jour de la saisine de la Cour (voir Mifsud, précitée ; Broca et Texier-Micault c. France (déc.), nos 27928/02 et 31694/02, 21 octobre 2003).
L'article 35 § 1 de la Convention ne prescrit toutefois l'épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues ; il incombe à l'Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (ibidem, notamment). A cela, il faut ajouter que l'épuisement des voies de recours internes s'apprécie en principe à la date d'introduction de la requête devant la Cour, soit, en l'espèce, le 12 décembre 2003 (voir, par exemple, Stoeterij Zangersheide N.V. et autre c. Belgique (déc.), no 47295/99, 27 mai 2004 ; Zutter c. France (déc.), no 30197/96, 27 juin 2000 ; Van der Kar et Lissaur van West c. France (déc.), nos 44952/98 et 44953/98, 7 novembre 2000, et Malve c. France (déc.), no 46051/99, 20 janvier 2001).
La Cour observe, tout d'abord, qu'elle ne saurait, dans le cas d'espèce, avoir égard aux décisions, invoquées par le Gouvernement, qui portent sur la durée anormale de procédures administratives et non judiciaires.
La Cour constate, ensuite, qu'à la date d'introduction de la requête, la Cour de cassation belge avait admis, dans son arrêt du 19 décembre 1991, le principe selon lequel la responsabilité de l'Etat peut être engagée du fait de fautes commises par des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions. Toutefois, la Cour constate que, pas plus que dans des affaires similaires (Panier, Lenardon et Vandaele et Van Acker c. Belgique (déc.), requêtes nos 2527/02, 18211/03 et 19443/02, 20 octobre 2005, 8 décembre 2005 et 19 janvier 2006), la présente requête ne met en cause des fautes personnelles de magistrats mais la fixation tardive d'une affaire résultant de la carence fautive du législateur à prendre les dispositions législatives et réglementaires nécessaires au bon fonctionnement de ses juridictions.
La Cour rappelle que le gouvernement belge a déjà, par le passé, formulé sans succès devant la Commission européenne des Droits de l'Homme une exception de non-épuisement tirée de ce que l'action en responsabilité de l'Etat, fondée sur l'article 1382 du code civil, constituait un recours efficace pour se plaindre d'une durée de procédure résultant de la fixation tardive d'une affaire. Dans l'affaire Sansen et Vanholst c. Belgique (no 34551/97, décision du 16 avril 1998, non publiée), la Commission motiva son rejet comme suit :
« Le Gouvernement n'ayant pas été à même de citer une seule décision faisant application dudit principe [mise en cause de la responsabilité de l'Etat pour non-respect du délai raisonnable], la Commission est amenée à constater que le Gouvernement n'a pas démontré que le recours que les requérants devaient, selon lui, utiliser pour satisfaire aux exigences de l'épuisement des voies de recours internes était efficace ».
Le Gouvernement soulève de nouveau cette exception dans la présente affaire, en se fondant sur l'évolution de la jurisprudence des juridictions judiciaires et la récente prise de position de la Cour de cassation.
Par son arrêt du 4 juillet 2002 qui mettait en cause la fixation tardive d'une affaire, la cour d'appel de Bruxelles a fait droit à des conclusions tendant à la réparation de préjudices nés du dépassement du « délai raisonnable » de l'article 6 § 1 de la Convention en raison des carences fautives du pouvoir exécutif et du législateur et a alloué au demandeur une indemnité provisionnelle. Par un arrêt du 28 septembre 2006, la Cour de cassation a confirmé l'arrêt de la cour d'appel et a rejeté le pourvoi introduit par l'Etat.
La Cour constate que cet arrêt se réfère expressément à l'article 6 § 1 de la Convention et consacre clairement le principe selon lequel la responsabilité civile de l'Etat peut être engagée en raison du manquement du pouvoir législatif à organiser le système judiciaire de telle sorte que les juridictions puissent garantir le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable.
La Cour note que le recours en cause revêt un caractère purement indemnitaire et ne permet pas d'accélérer une procédure en cours. Elle rappelle à cet égard qu'elle a jugé que les recours dont un justiciable dispose sur le plan interne pour se plaindre de la durée d'une procédure sont « effectifs », au sens de l'article 13 de la Convention, lorsqu'ils permettent d'« empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée, ou [de] fournir à l'intéressé un redressement approprié pour toute violation s'étant déjà produite » (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 158, CEDH 2000-XI). Selon la Cour, vu les « étroites affinités » que présentent les articles 13 et 35 § 1 de la Convention (Kudła précité, § 152), il en va nécessairement de même pour la notion de recours « effectif » au sens de cette seconde disposition (Mifsud c. France, précitée). La Cour tient cependant à préciser que le recours indemnitaire n'est effectif au sens de l'article 13 et de l'article 35 § 1 de la Convention que s'il conduit à la réparation non seulement du dommage matériel mais également du dommage moral liés au dépassement du délai raisonnable (voir notamment Hartman c. République tchèque, no 53341/99, § 68, CEDH 2003-VIII, extraits). A ce sujet, la Cour a estimé en substance que si l'appréciation d'une durée de procédure et de ses répercussions, en particulier pour ce qui est du préjudice moral, ne se prête pas à une quantification exacte et qu'elle relève par nature d'une appréciation en équité, il convient toutefois qu'un rapport raisonnable soit appliqué entre les montants accordés et la somme que la Cour aurait accordée dans des affaires similaires (Scordino c. Italie (déc.), no 36813/97, CEDH 2003-IV ; voir également Riccardi Pizzati c. Italie [GC], no 62361/00, §§ 135 à 138, 29 mars 2006).
La Cour doit toutefois d'abord déterminer le moment à partir duquel le recours consacré par la Cour de cassation dans son arrêt du 28 septembre 2006 se trouve désormais établi « à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique » pour pouvoir et devoir, désormais, être utilisé aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention.
Comme la Cour l'a considéré dans plusieurs affaires (voir, Broca et Texier-Micault précitée, Di Sante c. Italie (déc.), no 56079/00, 24 juin 2004), il ne serait pas équitable d'opposer une voie de recours nouvellement intégrée dans le système juridique d'un Etat contractant aux individus qui se portent requérants devant la Cour, avant que les justiciables concernés en aient eu connaissance de manière effective. Dans les cas où, comme en la présente cause, le recours interne est le fruit d'une évolution jurisprudentielle, l'équité commande de prendre en compte un laps de temps raisonnable, nécessaire aux justiciables pour avoir effectivement connaissance de la décision interne qui la consacre. La durée de ce délai varie en fonction des circonstances, en particulier de la publicité dont ladite décision a fait l'objet.
S'agissant de l'arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2006 dont il est question en l'espèce, la Cour relève que conformément à la pratique, l'arrêt a pu être consulté sur le site internet du pouvoir judiciaire belge, géré par le Service Public Fédéral Justice (www.juridat.be), quinze jours après son prononcé et qu'il a été diffusé rapidement dans le milieu juridique et même dans le public. Dans ces conditions, selon la Cour, il peut être considéré qu'il avait acquis un degré de certitude suffisant au cours du premier trimestre de l'année 2007, soit six mois après son prononcé. La Cour juge donc raisonnable de retenir que l'arrêt de la Cour de cassation ne peut être ignoré du public à partir du 28 mars 2007. Elle en conclut que c'est à partir de cette date qu'il doit être exigé des requérants qu'ils usent de ce recours aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention. La Cour rappelle à toutes fins utiles qu'elle a suivi une démarche comparable s'agissant de l'évolution de la jurisprudence française consacrant la possibilité pour les justiciables d'obtenir une indemnisation à raison de la durée d'une procédure judiciaire (Van der Kar et Lissaur van West, précitée; Giummarra et autres c. France (déc.), no 61166/00, 12 juin 2001 ; Mifsud, précitée) et à raison de la durée d'une procédure administrative (Broca et Texier-Micault, précitée).
Enfin, la Cour doit s'interroger sur le point de savoir si, en l'espèce, le recours consacré par l'arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2006 devait être épuisé aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention. La Cour rappelle que l'épuisement des voies de recours internes s'apprécie en règle générale à la date d'introduction de la requête. Elle a constamment fait application de ce principe dans les affaires relatives à la durée de procédure devant les juridictions judiciaires belges qu'elle a examinées précédemment et qui mettaient en cause la responsabilité de l'Etat pour le dommage résultant du non respect du délai raisonnable (Panier, Lenardon et Vandaele et Van Acker c. Belgique, précitées). Dans ces affaires, elles a constaté que le recours fondé sur l'article 1382 du code civil n'avait pas encore acquis, au moment de l'introduction de ces requêtes, un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, parmi beaucoup d'autres, Debbasch c. France (déc.), no 49392/99, 18 septembre 2001 ; Dumas c. France (déc.), no 53425/99, 30 avril 2002, et Berlin c. Luxembourg (déc.), no 44978/98, 7 mai 2002).
En l'espèce, la Cour ayant été saisie de la présente affaire le 12 décembre 2003, soit bien avant le 28 mars 2007, et compte tenu de ce qu'elle a précédemment décidé dans les affaires Panier, Lenardon et Vandaele et Van Acker c. Belgique précitées, il ne saurait être reproché au requérant de ne pas avoir usé de ce recours. Il y a lieu en conséquence de rejeter d'exception soulevée par le Gouvernement.
2.  Sur la recevabilité et le bien-fondé du grief
Le requérant se plaint de la durée de la procédure.
La Cour estime que le grief soulève des questions de fait et de droit au regard de la Convention qui nécessitent un examen au fond. La Cour conclut par conséquent que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Constatant par ailleurs que le grief ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B.  Griefs dirigés contre la procédure en concordat judiciaire de la société E.
Le requérant se plaint de la partialité du tribunal de commerce de Huy ayant accordé le concordat judiciaire à la société E. au motif que son président, La., était substitut du procureur du Roi dans le cadre de l'enquête concernant la faillite de la société D., pour lesquels les faits ont été jugés prescrits. Il met aussi en cause l'impartialité de l'administrateur provisoire dans le cadre du concordat de la société E., arguant qu'il travaillait dans le même cabinet que le curateur nommé dans le cadre de la faillite de D. et soutient qu'il aurait donc dû se récuser.
La Cour constate que le requérant était étranger à la procédure de concordat de la société E.
Selon la Cour, il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et en outre manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3. Il doit par conséquent être rejeté en application de l'article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant tiré de la durée excessive des procédures engagées ;
Déclare le restant de la requête irrecevable.
S. Dollé  A. B. Baka   Greffière Président
DÉCISION DEPAUW c. BELGIQUE
DÉCISION DEPAUW c. BELGIQUE 


Type d'affaire : Décision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN


Parties
Demandeurs : DEPAUW
Défendeurs : BELGIQUE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 15/05/2007
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 2115/04
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-05-15;2115.04 ?
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