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28/06/2007 | CEDH | N°76240/01

CEDH | AFFAIRE WAGNER ET J.M.W.L. c. LUXEMBOURG


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE WAGNER ET J.M.W.L. c. LUXEMBOURG
(Requête no 76240/01)
ARRÊT
STRASBOURG
28 juin 2007
DÉFINITIF
28/09/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Loucaides,   Mme F. Tulkens,   MM. A. Kovler,    K. H

ajiyev,    D. Spielmann,    S.E. Jebens, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avo...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE WAGNER ET J.M.W.L. c. LUXEMBOURG
(Requête no 76240/01)
ARRÊT
STRASBOURG
28 juin 2007
DÉFINITIF
28/09/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Loucaides,   Mme F. Tulkens,   MM. A. Kovler,    K. Hajiyev,    D. Spielmann,    S.E. Jebens, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 18 janvier et 7 juin 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 76240/01) dirigée contre le Grand-Duché de Luxembourg et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Jeanne Wagner, et son enfant, J.M.W.L., de nationalité péruvienne, (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 15 novembre 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérantes se plaignaient, au titre des articles 8 et 14 de la Convention, d'une atteinte à leur droit au respect de leur vie familiale et d'un traitement discriminatoire, en raison de la non-reconnaissance au Luxembourg de la décision péruvienne prononçant l'adoption plénière de la deuxième requérante au profit de la première requérante. Elles alléguaient en outre être privées du droit à un procès équitable, au titre de l'article 6 de la Convention.
3.  Par une décision du 5 octobre 2006, la chambre a déclaré la requête recevable.
4.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 18 janvier 2007 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  Me L. Schaack, avocat,  Me F. Moyse, avocat,  conseils ;
–  pour les requérantes  Me J.-P. Noesen, avocat, conseil.
La Cour les a entendus en leurs déclarations ainsi qu'en leurs réponses aux questions de certains juges.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5.  Les requérantes sont nées respectivement en 1967 et 1993 et résident à Luxembourg.
6.  Le 6 novembre 1996, le tribunal de la famille de la province de Huamanga (Pérou) prononça l'adoption de la deuxième requérante, âgée alors de trois ans et antérieurement déclarée abandonnée, au profit de la première requérante. Le juge énuméra les différentes étapes de la procédure d'adoption qui avaient été réalisées dans le respect des conditions légales. En vertu du jugement, l'enfant acquit la qualité de fille de la première requérante, cessa d'appartenir à sa famille consanguine et porta dorénavant les prénoms et noms de J.M.W.L. Conformément aux dispositions légales et à la convention établie entre le secrétariat technique des adoptions du Pérou et l'association Luxembourg-Pérou, celle-ci fut déclarée responsable de la surveillance de l'état de l'enfant et, le cas échéant, de la légalisation de l'adoption au Luxembourg.
7.  Le jugement du tribunal de la famille de la province de Huamanga fut déclaré exécutoire – selon l'attestation dudit tribunal en date du 14 décembre 1996 – et transcrit au registre de l'état civil d'Ayacucho-Huamanga.
8.  En mai 1997, la première requérante, qui vivait seule au Luxembourg avec l'enfant adoptée, donna naissance à une fille. Le 13 novembre 2006, l'avocat de l'intéressée indiqua qu'elle était désormais mère de quatre enfants scolarisés et habitait toujours au Luxembourg.
A.  Procédure déclenchée devant les juridictions civiles aux fins de voir déclarer exécutoire au Luxembourg le jugement péruvien prononçant l'adoption plénière
9.  Le 10 avril 1997, les requérantes assignèrent le ministère public devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg. Elles demandèrent que la décision péruvienne soit déclarée exécutoire au Grand-Duché comme s'il s'agissait d'un jugement d'adoption plénière rendu par la juridiction luxembourgeoise compétente ; elles précisèrent que le but de la demande d'exequatur était que l'enfant puisse être inscrite sur les registres de l'état civil au Grand-Duché, qu'elle puisse acquérir la nationalité de sa mère adoptive et bénéficier d'une autorisation de séjour définitive au Luxembourg.
1.  Jugement du tribunal d'arrondissement du 11 février 1998
10.  Le 11 février 1998, le tribunal d'arrondissement déclara la demande en exequatur recevable pour avoir été régulièrement introduite par assignation. A cet égard, il précisa notamment ce qui suit :
« La demande en exequatur d'un jugement étranger constitue une demande principale en justice qui est de nature différente de la demande ayant conduit au jugement étranger. Le juge saisi de la demande en exequatur n'apprécie pas le fond de la demande qui était soumise au juge étranger, mais se limite à vérifier les conditions de la régularité internationale de la décision. La demande en exequatur d'un jugement d'adoption, de nature différente de la demande en adoption, n'est pas soumise à la procédure d'exception de l'article [pertinent] du code de procédure civile, qui permet d'introduire les demandes d'adoption par voie de requête (...) »
11.  Les juges décidèrent que le tribunal saisi d'une demande en exequatur d'un jugement d'adoption prononcé par un tribunal étranger devait tout d'abord vérifier si ce dernier était compétent au regard de ses règles de compétences. A ce sujet, ils conclurent que l'adoption avait été prononcée par la juridiction compétente suivant l'article 370 du code civil luxembourgeois.
12.  Quant à la loi applicable au fond, les juges rappelèrent d'abord les positions adoptées par les parties au litige.
Ainsi, le ministère public soutenait que le tribunal devait vérifier si le juge étranger avait appliqué la loi désignée par le système luxembourgeois de droit international privé. L'adoptante étant de nationalité luxembourgeoise, les conditions pour adopter seraient régies par la loi luxembourgeoise ; or l'article 367 du code civil luxembourgeois ne permettrait pas l'adoption plénière par une personne célibataire. Le parquet en conclut que le juge péruvien, en prononçant une adoption plénière au profit de la première requérante en tant que célibataire, avait méconnu la loi luxembourgeoise.
Les requérantes étaient d'avis que le tribunal devait se limiter à examiner si l'adoption prononcée au Pérou avait été rendue selon les formes prescrites par les lois du Pérou. Elles arguaient notamment que le dernier alinéa de l'article 370 du code civil luxembourgeois était à interpréter en ce sens que « la règle de conflit internationale luxembourgeoise reconnaît ... expressément comme valable une adoption conclue à l'étranger par une autorité compétente en vertu de la législation de ce pays, ..., pourvu que la procédure locale et les dispositions locales aient été respectées ».
Le tribunal décida que le dernier alinéa de l'article 370 du code civil introduisait une règle de compétence juridictionnelle et maintenait par ailleurs ses règles de conflits de lois. Il ajouta qu'aux termes de l'article 370 du code civil l'adoption par la première requérante, de nationalité luxembourgeoise, était régie par la loi luxembourgeoise en ce qui concerne les conditions requises pour adopter. Il conclut que le tribunal saisi de la demande en exequatur de la décision devait vérifier si l'adoption avait été prononcée en conformité avec la loi luxembourgeoise en ce qui concerne lesdites conditions.
13.  Les juges rappelèrent ensuite qu'ils avaient prononcé la rupture du délibéré, le 11 novembre 1997, pour permettre aux parties de présenter leurs observations sur les questions préjudicielles suivantes, qu'ils entendaient soumettre à la Cour constitutionnelle :
« 1.  La législation relative à l'adoption, plus particulièrement l'article 367 du Code civil permet à un couple marié d'adopter plénièrement un enfant et interdit l'adoption plénière par une personne célibataire. Cette loi est-elle conforme à l'article 11 (3) de la Constitution qui dispose que « l'Etat garantit les droits naturels de la personne humaine et de la famille » et à l'article 11 (2) de la Constitution qui prescrit que « les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ?
2.  Le droit de fonder une famille constitue-t-il un droit naturel de la personne humaine et de la famille ?
3.  Le droit de fonder une famille adoptive constitue-t-il un droit naturel de la personne humaine et de la famille ?
4.  Le droit de fonder une famille comporte-t-il le droit de fonder une famille monoparentale ?
5.  Le droit de fonder une famille constitue-t-il seulement un droit de la personne humaine mariée ?
6.  Le principe d'égalité devant la loi permet-il d'autoriser l'adoption plénière à des mariés à l'exclusion d'une personne célibataire ?
7.  Les articles 11(2) et (3) de la Constitution consacrent-ils des droits d'une personne célibataire à une adoption plénière aux mêmes conditions auxquelles sont soumis des époux ? »
14.  Ils confirmèrent qu'ils devaient examiner l'application correcte de l'article 367 du code civil et sa conformité à la Constitution avant de statuer sur la demande en exequatur. Pour ce faire, ils demandèrent aux requérantes de clarifier leur situation familiale effective, aux motifs suivants :
« Par conclusions du 15 décembre 1997, le mandataire de Mme Jeanne Wagner soutient que la famille Wagner existe en fait et en droit et qu'il ne s'agit pas d'une famille monoparentale. Il estime également que de nos jours, « l'acceptation plus générale du concubinage par la société entraîne une augmentation du nombre des enfants vivant dans un foyer uni avec un père et une mère, qui ne sont cependant pas mariés. Il est donc de moins en moins sûr que le mariage de ses parents soit effectivement une nécessité ou une garantie pour l'enfant de grandir dans un foyer avec un père et une mère ».
Si ces développements ont un sens, Mme Jeanne Wagner vit en couple sans être mariée.
(...) L'affirmation de l'existence d'une famille qui ne serait pas monoparentale est nouvelle et n'est documentée par aucune pièce.
Le rapport d'enquête sociale du 6 août 1997, soumis au tribunal le 28 octobre 1997, fait état de ce que Mme Jeanne Wagner a accouché d'une petite fille en mai 1997. Ce rapport sur l'adaptation de l'enfant adoptée dans sa nouvelle famille au Luxembourg n'examine que les rapports entre la mère et l'enfant. Ce rapport ne fait pas mention de l'existence d'un homme dans le foyer de Mme Wagner ou de rapports de l'enfant adoptée avec le partenaire de celle-ci.
Le rapport dressé en vue de l'adoption le 30 avril 1996, également par l'assistante sociale [B.], indique comme raison générale d'adopter la conviction que « les enfants sont le but de la vie ». Allant vers la trentaine, Mme Wagner a décidé de « ne pas attendre de rencontrer l'homme idéal pour avoir des enfants, mais d'adopter un enfant à elle toute seule tout en sachant que sa famille l'aide (...) »
Comme motif d'adopter un enfant péruvien, l'assistante relève qu'au Luxembourg, Mme Wagner se heurtait à beaucoup d'obstacles, principalement à celui qu'elle n'était pas mariée. « Le seul pays qui a une convention avec le Luxembourg et qui accepte l'adoption par une femme célibataire est le Pérou et ainsi Mme Wagner a pris contact avec l'association Luxembourg-Pérou et a préparé le dossier à travers cette association ». L'assistante avise favorablement l'adoption, l'enfant trouvant « au sein de cette famille « monoparentale » un foyer accueillant ».
Les rapports versés par la demanderesse ne font donc état que d'une famille comprenant la mère et deux enfants.
Il importe de soumettre à la Cour constitutionnelle des questions adaptées à la situation familiale effective de l'adoptante. L'adoption par une famille composée d'un couple non marié peut connaître une réponse différente de celle donnée à l'adoption par une mère célibataire vivant hors couple. Il appartient dès lors à l'adoptante d'établir sa situation familiale effective et d'établir que sa famille n'est pas une famille monoparentale. »
15.  L'affaire fut remise pour continuation des débats au 10 mars 1998.
2.  Jugement du tribunal d'arrondissement du 1er avril 1998
16.  Dans son jugement du 1er avril 1998, le tribunal rapporta tout d'abord la position adoptée par les requérantes en relation avec les questions préjudicielles envisagées. Ainsi, les intéressées soulignèrent, d'une part, que le tribunal était saisi d'une demande d'exequatur et non d'une demande d'adoption et reprochèrent, d'autre part, auxdites questions de mettre l'accent sur les droits de la mère, alors qu'étaient en jeu les droits de l'enfant adoptée suivant le jugement péruvien. Rappelant également que la première requérante avait accouché d'une enfant en mai 1997, les intéressées proposèrent les questions préjudicielles suivantes :
« 1.  Le droit de faire reconnaître par la Justice luxembourgeoise un lien de filiation valablement conclu à l'étranger aux fins de voir reconnaître à l'enfant adoptif les mêmes droits politiques et civils qu'un enfant biologique de la mère adoptive est-il un droit naturel de la personne humaine, et plus particulièrement d'un enfant adoptif ?
2.  Dans la mesure où l'article 367 du code civil luxembourgeois serait effectivement à considérer en dépit de la teneur de l'article 370 alinéa dernier comme un obstacle à la reconnaissance d'une adoption plénière faite régulièrement à l'étranger par une mère célibataire de nationalité luxembourgeoise, et le demeurerait en dépit de la teneur des articles 7 et 21 de la convention relative au droit de l'enfant adopté par l'assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989, telle qu'approuvée par la loi du 20 décembre 1993, le principe d'égalité devant la loi inscrit à l'article 11(3) de la Constitution n'impose-t-il pas pourtant la reconnaissance de cette adoption plénière dans la mesure où cette reconnaissance est nécessaire pour que l'enfant adoptif puisse jouir de tous ses droits politiques et civils dans la même mesure que ses collatéraux biologiques ?
Le principe d'égalité devant la loi permet-il de créer une différence de traitement par la loi, et notamment en ce qui concerne la transcription de l'adoption sur les registres de l'Etat Civil, la délivrance du certificat de nationalité et la situation successorale en toute sécurité juridique entre un enfant naturel, et un enfant adoptif d'une même mère ? »
17.  Le tribunal se prononça ensuite dans les termes suivants :
« Le tribunal doit vérifier si les conditions remplies par la loi luxembourgeoise pour adopter étaient données au moment du prononcé de l'adoption par le juge péruvien. Or, Mme Wagner est une femme célibataire qui ne peut pas adopter plénièrement aux termes de l'article 367 du code civil. La question qui se pose est dès lors celle de la compatibilité de l'interdiction d'adopter plénièrement faite à une personne célibataire avec les droits constitutionnels de l'article 11(3) et (2), c'est-à-dire les droits éventuels de la mère, et non de l'enfant.
En vérifiant la régularité internationale de la décision à exéquaturer, le tribunal doit examiner si le tribunal étranger a pu prononcer l'adoption au regard des conditions à adopter prévues par la loi luxembourgeoise applicable.
La consécration d'un droit constitutionnel à l'adoption sans discrimination entre personnes mariées et personnes célibataires n'est pas exclusive de l'appréciation concrète de la situation matérielle et morale des personnes désireuses d'adopter, et de leur capacité à assumer l'éducation et à contribuer au développement d'un enfant. Le droit à la vie familiale peut ne pas être reconnu au cas où l'intérêt supérieur de l'enfant serait en danger. L'existence d'un droit est distincte de son exercice concret.
Mme Wagner étant une femme célibataire qui ne vit pas en couple, les questions qui correspondent à sa situation familiale sont relatives à une famille monoparentale.
Les questions envisagées par le tribunal le 11 novembre 1997 sont dès lors utiles à la solution du litige.
L'examen de l'existence « d'un droit de faire reconnaître » au Luxembourg « un lien de filiation valablement conclu à l'étranger » suppose que la création valable d'une filiation adoptive au sens du droit luxembourgeois soit établie. La première question préjudicielle proposée par Mme Wagner est sans pertinence, la régularité de l'adoption péruvienne n'étant pas établie.
L'examen de la deuxième question proposée est à réserver. Au stade actuel, il y a lieu de poser les questions envisagées par le tribunal le 11 novembre 1997. »
3.  Arrêt du 13 novembre 1998 de la Cour constitutionnelle
18.  Le 13 novembre 1998, la Cour constitutionnelle déclara irrecevables les questions posées sous les numéros 2 à 7 (paragraphe 13 ci-dessus). Quant à la première question, elle décida que l'article 367 du code civil n'était pas contraire à la Constitution, aux motifs suivants :
« Quant à l'article 11 (3) de la Constitution :
Considérant que l'article 11 (3) de la Constitution énonce que l'Etat garantit les droits naturels de la personne humaine et de la famille ;
Considérant que le droit naturel est celui découlant de la nature humaine et existe, même sans texte de loi ; qu'appliqué à la famille il comporte le droit à la procréation et à la communauté de vie ;
Considérant que parallèlement le législateur a par l'adoption établi une filiation de substitution qui, si elle exige de justes motifs dans le chef des adoptants, doit avant tout présenter des avantages pour l'adopté ;
Considérant que cette institution prend son fondement dans le droit positif et non dans le droit naturel ; qu'il appartient donc au pouvoir législatif d'y apporter toutes les conditions et limites nécessaires au bon fonctionnement et répondant à l'intérêt de la société et de la famille adoptive ;
Quant à l'article 11 (2) de la Constitution :
Considérant que l'article 11 (2) de la Constitution dispose que « tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ;
Considérant que ce principe constitutionnel, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité sont concernés, ne s'entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon ;
Considérant que la spécificité se justifie si la différence de condition est effective et objective, si elle poursuit un intérêt public et si elle revêt une ampleur raisonnable ;
Considérant qu'elle est légitime en l'espèce comme s'appuyant sur une distinction réelle découlant de l'état civil des personnes, sur une garantie accrue au profit de l'adopté par la pluralité des détenteurs de l'autorité parentale dans le chef des gens mariés et sur une proportionnalité raisonnable du fait que l'adoption simple reste ouverte au célibataire dans le respect des exigences de forme et de fond prévues par la loi ; »
4.  Jugement du tribunal d'arrondissement du 2 juin 1999
19.  Le 2 juin 1999, le tribunal d'arrondissement rejeta la demande d'exequatur, au motif que le jugement d'adoption péruvien avait été rendu en contradiction avec la loi luxembourgeoise applicable suivant la règle de conflits de lois énoncée à l'article 370 du code civil.
20.  Les juges accueillirent en effet l'argument du ministère public, selon lequel le juge péruvien n'avait pas appliqué la loi luxembourgeoise en prononçant l'adoption plénière par une femme célibataire luxembourgeoise.
21.  Ils en déduisirent qu'il était superflu d'examiner si la décision péruvienne n'était pas contraire à l'ordre public. A cet égard, ils firent cependant remarquer ce qui suit :
« (...) suivant le rapport d'enquête sociale du 30 avril 1996 dressé en vue de l'adoption, Mme Wagner a choisi de procéder à une adoption au Pérou, par l'intermédiaire de l'association Luxembourg-Pérou, étant donné que le Pérou permet l'adoption par une femme célibataire, tandis qu'elle se heurtait à différents obstacles pour adopter au Luxembourg principalement du fait qu'elle n'était pas mariée.
Mme Wagner a donc décidé d'obtenir indirectement par l'exequatur de l'adoption au Pérou ce qu'elle ne pouvait pas obtenir directement par une demande d'adoption au Luxembourg. Or, un jugement obtenu en fraude à la loi ne peut pas être exéquaturé. »
22.  Le tribunal se prononça ensuite sur la deuxième question préjudicielle qui avait été proposée par les requérantes dans les débats antérieurs :
« Le jugement du premier avril 1998 a réservé la question préjudicielle subsidiaire proposée par Mme Wagner. Au cas où l'article 367 du code civil devait s'opposer à l'adoption plénière, Mme Wagner propose de faire examiner par la Cour constitutionnelle si le principe d'égalité permet de créer une différence de traitement par la loi notamment en ce qui concerne la transcription de l'adoption sur les registres de l'état civil, la délivrance du certificat de nationalité et la situation successorale entre l'enfant naturel et l'enfant adoptif de la même mère. Dans ses conclusions postérieures à la décision de la Cour constitutionnelle Mme Wagner maintient cette proposition de question préjudicielle.
Aux termes de l'article [pertinent] de la loi (...) portant organisation de la Cour constitutionnelle, une juridiction saisie par une partie d'une question relative à la constitutionnalité d'une loi est dispensée de saisir la Cour si la question est dénuée de tout fondement ou si la Cour a déjà statué sur une question ayant le même objet.
(...) La Cour [constitutionnelle] ayant décidé [dans son arrêt du 13 novembre 1998] que l'adoption n'était pas un droit constitutionnel et relevait de la loi et en admettant que la loi peut introduire une distinction entre des personnes à l'état civil différent, la question préjudicielle proposée par Mme Wagner est dénuée de tout fondement.
En effet, la question tend également à faire vérifier la conformité de la loi sur l'adoption qui interdit l'adoption plénière par une personne célibataire avec le principe d'égalité et le droit à la vie familiale. La Cour a retenu que la filiation naturelle et la filiation adoptive sont d'une nature différente, l'une relevant du droit naturel protégé par la Constitution et l'autre du droit créé par le législateur. Elle a également décidé que le principe d'égalité s'applique à ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit.
L'enfant adoptif étant dans une situation de fait et de droit distincte de celle de l'enfant naturel et le principe d'égalité supposant l'identité de la situation des personnes, la question proposée est dénuée de fondement.
Il n'y a donc pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle. »
23.  Les juges rejetèrent finalement un argument des requérantes tiré de la Convention relative aux droits de l'enfant, aux motifs suivants :
« Mme Wagner soutient que l'ordre public et la Convention des droits de l'enfant imposeraient d'accorder l'exequatur de la décision d'adoption. En effet, l'intérêt supérieur de l'enfant étant à prendre en considération d'une manière primordiale, par application de l'article 3 de la Convention, l'enfant adoptée devrait avoir les mêmes droits que sa sœur « biologique », enfant naturelle de sa mère.
L'intérêt de l'enfant peut être apprécié par le législateur. La loi luxembourgeoise admet qu'il est de l'intérêt des enfants d'être adoptés plénièrement par des époux et non par une personne célibataire. Il appartient dès lors à la juridiction d'appliquer cette disposition légale. »
5.  Arrêt de la Cour d'appel du 6 juillet 2000
24.  Le 7 juillet 1999, les requérantes interjetèrent appel des jugements des 11 février 1998, 1er avril 1998 et 2 juin 1999.
25.  Elles demandèrent aux juges d'appel de déclarer exécutoire au Luxembourg le jugement du tribunal de la famille de Huamango du 6 novembre 1996 et d'ordonner la transcription de l'arrêt à intervenir sur les registres de l'état civil.
26.  A l'appui de leur recours, les requérantes soutinrent tout d'abord que l'article 367 du code civil – règle d'application strictement territoriale fixant les conditions de demande d'une adoption plénière relevant de la compétence des tribunaux luxembourgeois – n'était pas un motif de débouté d'une demande d'exequatur d'une décision étrangère, dès lors que le juge de l'exequatur n'avait pas de pouvoir de révision et qu'il ne lui appartenait pas de modifier les effets de l'adoption prononcée par le juge péruvien. Elles soutinrent ensuite que l'article 370, dernier alinéa, du code civil permettait de rendre exécutoire sur le territoire luxembourgeois une décision d'adoption étrangère du moment qu'elle avait été prononcée par un juge compétent selon les règles de conflits de lois et les formes du pays d'origine. Ainsi, le dernier alinéa de l'article 370 serait non pas une simple règle de compétence, mais une règle de conflits de lois.
27.  Les requérantes maintinrent également leur demande de voir poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle qu'elles avaient libellée devant les premiers juges.
28.  Dans une partie intitulée « Quant à l'incidence de l'ordre public », elles soutinrent que la démarche visant à faire reconnaître les effets d'une adoption plénière prononcée à l'étranger différait de celle visant à faire prononcer une adoption au Luxembourg, de sorte que l'incidence des questions d'ordre public se posait dans d'autres termes et avec un autre poids. Se fondant ensuite sur la Convention relative aux droits de l'enfant, elles arguèrent que l'intérêt supérieur de l'enfant consistait à bénéficier des effets d'une adoption plénière, notamment du droit à l'acquisition de la nationalité luxembourgeoise et à la participation à la succession de sa famille adoptive au même titre qu'un enfant légitime ou naturel. Si elles admirent qu'une nouvelle adoption simple serait possible au Luxembourg, elles soulignèrent qu'elle accorderait cependant des droits moins importants à l'enfant, notamment au niveau de l'héritage et de l'acquisition de la nationalité luxembourgeoise. Selon les requérantes, c'était précisément l'ordre public qui commandait l'exequatur, afin que l'enfant adoptive se voie accorder les mêmes droits que sa sœur biologique et que règne, dans les familles, la paix juridique plutôt que l'incertitude. Elles citèrent une jurisprudence du tribunal d'arrondissement qui, dans un contexte différent, avait jugé qu'une ingérence dans le droit pour les père et mère d'entretenir des relations avec leurs enfants n'était pas justifiée par un des objectifs énoncé à l'article 8 § 2 de la Convention. Elles estimèrent qu'en l'espèce le jugement de première instance - qui faisait primer la loi luxembourgeoise sur une convention internationale pour refuser l'exequatur - sanctionnait la mineure et était incompatible avec l'article 8 de la Convention.
29.  Par un arrêt du 6 juillet 2000, l'appel des requérantes fut déclaré non fondé. La Cour d'appel retint en premier lieu ce qui suit :
« A titre liminaire, il convient de relever que si les décisions étrangères juridictionnelles relatives à l'état des personnes jouissent au Grand–Duché de Luxembourg, sous la seule réserve de leur régularité internationale, d'une efficacité substantielle immédiate, leur exequatur est toutefois possible et même nécessaire pour les rendre incontestables, leur donner force exécutoire et permettre les actes d'exécution.
En l'espèce, la reconnaissance de la décision d'adoption péruvienne est sollicitée, non seulement pour assurer à l'adoptée les mêmes droits de succession que ceux reconnus par la législation luxembourgeoise à l'enfant légitime ou naturel, mais encore pour éviter à l'avenir les problèmes résultant du fait que l'enfant n'a pas perdu par l'effet de son adoption dans son pays d'origine la nationalité péruvienne, et n'obtient pas, en l'absence d'une décision de reconnaissance du jugement étranger, la nationalité luxembourgeoise, du moins dans l'immédiat, et ne peut pas bénéficier dans ces circonstances des avantages accordés aux ressortissants des pays de l'Union Européenne. »
30.  La cour analysa ensuite la portée et la signification du dernier alinéa de l'article 370 du code civil, pour conclure ce qui suit :
« C'est (...) à juste titre que le tribunal a considéré que la juridiction luxembourgeoise saisie de la demande d'exequatur de la décision péruvienne doit vérifier si l'adoption a été rendue en conformité des règles luxembourgeoises de conflits de loi, telles que prévues à l'article 370 du code civil, et qu'elle a rejeté la demande au motif que le jugement péruvien qui a prononcé une adoption plénière au profit d'un ressortissant luxembourgeois célibataire est en contradiction flagrante avec la loi luxembourgeoise de conflits de loi, qui prévoit que les conditions pour adopter sont régies par la loi nationale de l'adoptant.
Il devient dès lors superflu d'examiner encore les autres conditions de l'exequatur, à savoir la conformité à l'ordre public international et la fraude à la loi. »
31.  Les juges d'appel conclurent également que les requérantes s'emparaient à tort de la Convention relative aux droits de l'enfant, aux motifs suivants :
« L'article 7 de ladite Convention approuvée par la loi du 20 décembre 1993 dispose dans son alinéa premier que l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.
L'article 21 prévoit que les Etats parties qui admettent et/ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale en la matière et spécifie les obligations incombant à ce titre aux Etats contractants (points a et b de cet article).
La Cour rejoint le raisonnement du Ministère Public, qui soutient (...) que les articles 7 et 21 ne sauraient être appliqués d'une manière directe afin de reconnaître une décision d'adoption plénière étrangère prononcée en méconnaissance de notre législation nationale.
C'est à tort que les [requérantes] s'emparent des articles précités de la Convention pour obtenir la reconnaissance d'une adoption étrangère prise dans le respect de ses règles de droit, qui, faut-il le souligner, sont très strictes, mais au mépris de la loi luxembourgeoise, qui à tort ou à raison maintient le principe de l'interdiction d'une adoption plénière à une personne célibataire, dès lors que l'article 21 n'oblige pas les Etats parties de changer leur législation nationale en ce sens, d'autant plus qu'il n'est pas établi qu'un tel changement de législation soit dans l'intérêt primordial de l'enfant, abstraction faite de toutes considérations politiques et morales qui motivent les choix législatifs selon les constellations du moment.
L'article 7 invoqué ne concerne tout au plus que les effets de l'adoption, mais est étranger à la question de la régularité internationale d'une décision d'adoption. (...) »
32.  Enfin, ils estimèrent que c'était à bon droit que les juges de première instance n'avaient pas jugé opportun de saisir la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle libellée par les requérantes.
6.  Arrêt de la Cour de cassation du 14 juin 2001
33.  Le 8 décembre 2000, les requérantes se pourvurent en cassation.
34.  Le 14 juin 2001, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, aux motifs suivants :
« Sur le premier moyen de cassation,
tiré « de la violation, sinon de la fausse application de la loi, en l'espèce, de l'article 370, alinéa final du Code civil, qui dispose qu'en cas de conflit entre les règles de compétence respectivement édictées par la loi nationale de l'adoptant et par celle de l'adopté, l'adoption est valablement conclue suivant les formes prescrites par la loi du pays où l'adoption est intervenue et devant les autorités compétentes d'après cette même loi, en ce que l'arrêt a estimé que le mot de « forme » n'auraient que la signification de « règle de forme », et n'engloberaient pas les conditions de fond, alors que, première branche, le texte de l'article 370 du Code civil parle en des termes non équivoques de « formes », et non pas de manière restrictive, de « règles de forme », de sorte qu'il ne convient pas de restreindre la portée du texte de loi en ajoutant implicitement à ce texte des mots qu'il ne contient pas, en l'espèce les mots de « règle de » ; deuxième branche, le terme de « forme » employé par le législateur dans le contexte spécifique de l'alinéa final de l'article 370 ne se limite pas aux règles de forme au sens strict, mais tant à celles-ci qu'aux règles de fond, donc aux « formes » juridiques au sens vaste, souple et général, le législateur ayant clairement affiché la volonté de justement englober dans le terme « forme » tant les conditions de fond que les conditions de formes proprement dites » ;
Mais attendu qu'en retenant avec les juges du premier degré que la décision péruvienne d'adoption plénière a été rendue en contradiction avec la loi luxembourgeoise de conflit de lois qui prévoit à l'alinéa 2 de l'article 370 du Code civil que les conditions requises pour adopter sont régies par la loi nationale de l'adoptant, la Cour d'appel a fait l'exacte application de la loi sans violer le texte de loi visé aux deux branches du moyen ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation,
tiré « de la fausse application, sinon de la violation de l'article 8 de la [Convention], qui dispose qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et de la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui, et de l'article 89 de la Constitution qui dispose que tout jugement est motivé, en ce que l'arrêt n'a même pas examiné le moyen des parties appelantes de l'article 8, alinéa 2 de la [Convention], alors que l'intérêt supérieur de l'enfant aurait dû amener la décision a quo, à supposer que l'article 370, alinéa dernier du Code civil ne soit pas à interpréter dans le sens qu'une adoption régulièrement conclue à l'étranger ne puisse être répudiée à refuser d'appliquer la norme interne luxembourgeoise qui empêche une femme célibataire de nationalité luxembourgeoise d'adopter plénièrement un enfant mineur, de sorte à lui conférer la loi luxembourgeoise, et que la volonté du législateur luxembourgeois d'imposer à une femme célibataire de se marier si elle veut adopter plénièrement un enfant, de sorte à lui assurer tous les privilèges attachés à la nationalité luxembourgeoise, et communautaire, constitue une ingérence dans la vie familiale qui n'est pas nécessaire (...) »
Mais attendu d'une part que la Cour d'appel n'avait plus à répondre au moyen invoqué dans l'acte d'appel sous l'intitulé « Quant à l'incidence de l'ordre public », cette question étant devenue sans objet par l'effet même de leur décision de ne pas appliquer la loi étrangère ;
que d'autre part, les développements relatifs à l'article 8 alinéa 2 de la Convention des droits de l'homme contenus dans l'acte d'appel, de par leur caractère dubitatif, vague et imprécis, ne constituaient pas un moyen exigeant réponse ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli. »
B.  Procédure déclenchée devant les juridictions administratives en vertu de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale
35.  Le 5 août 2003, les requérantes demandèrent à la ministre de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse de prendre les mesures nécessaires afin que l'adoption prononcée par le jugement péruvien du 6 novembre 1996 soit transcrite en tant qu'adoption plénière reconnue par les autorités luxembourgeoises sur le registre de l'état civil territorialement compétent en application de la Convention de La Haye du 29 mai 1993.
36.  Le 12 août 2003, la ministre déclara les dispositions de la Convention de La Haye inapplicables à la demande des requérantes.
37.  Le 13 septembre 2003, les requérantes introduisirent un recours en annulation à l'encontre de cette décision.
38.  Par un jugement du 19 janvier 2004, le Tribunal administratif annula la décision ministérielle, aux motifs suivants :
« Considérant que la [Convention de La Haye du 29 mai 1993] a été adoptée par la loi luxembourgeoise du 14 avril 2002 pour entrer en vigueur le 1er novembre 2002 au Grand-Duché de Luxembourg, date pour laquelle il est constant qu'elle s'est trouvée d'ores et déjà en vigueur à l'encontre du Pérou ;
Qu'à partir du 1er novembre 2002 ladite Convention de La Haye se trouve dès lors en vigueur entre les deux pays concernés par le cas d'espèce : le Pérou, Etat d'origine, et le Grand-Duché de Luxembourg, Etat d'accueil, telles que ces désignations découlent de l'article 2 de la Convention ;
Considérant que la Convention énonce en son article 41 qu'elle « s'applique chaque fois qu'une demande visée à l'article 14 a été reçue après l'entrée en vigueur de la Convention dans l'Etat d'accueil et l'Etat d'origine » ;
Que l'article 14 de la Convention porte que « les personnes résidant habituellement dans un Etat contractant, qui désirent adopter un enfant dont la résidence habituelle est située dans un autre Etat contractant, doivent s'adresser à l'autorité centrale de l'Etat de leur résidence habituelle » ;
Considérant qu'il résulte du rapport explicatif de Monsieur G. Parra-Aranguren, représentant du Vénézuela aux travaux de la 17e conférence de La Haye ayant abouti à la Convention du 29 mai 1993 et plus particulièrement de ses points 584 et 585 (doc. Parl. 4820, page 95) qu'un second alinéa avait effectivement été prévu à un certain moment de la procédure d'élaboration concernant l'article devenu le numéro 41, mais que cet alinéa a été abandonné pour les raisons plus amplement explicitées audit rapport comme suit : « 584.  Dans le Document de travail no 100, soumis par le Bureau Permanent, il était suggéré de compléter l'article par un deuxième paragraphe ainsi conçu : « Un Etat contractant pourra à tout moment, par déclaration, étendre l'application du chapitre V (Reconnaissance) à d'autres adoptions certifiées conformes à la Convention par l'autorité de l'Etat contractant où l'adoption a eu lieu. » Il s'agissait de prévoir une règle pour résoudre la question de la validité des adoptions déjà réalisées dans les Etats contractants lorsqu'un Etat devient partie à la Convention.
585.  Certains participants ont considéré cette proposition comme ambiguë et ont suggéré de la supprimer ou au moins de la préciser, mais d'autres l'ont appuyée. L'Observateur de la Commission internationale de l'état civil a fait valoir qu'elle était superflue et dangereuse, vu que sa formulation pourrait autoriser une conclusion perverse, si on l'interprétait a contrario, étant donné que la conséquence naturelle du fait de devenir partie à la Convention est de reconnaître les adoptions déjà faites dans les Etats contractants. La « déclaration » prévue par le deuxième paragraphe pouvait donc être interprétée comme autorisant la non-reconnaissance de ces adoptions ; c'est pourquoi la proposition a été rejetée » ; (...)
Considérant qu'au titre de l'application dans le temps il convient de distinguer la situation d'application proprement dite de la Convention aux termes de son article 41 concernant des procédures d'adoption à entamer et celle relative à des adoptions antérieurement opérées, ne devant par définition plus parcourir la procédure prévue à l'article 14 de la Convention, et soulevant plus particulièrement des aspects de reconnaissance et de retranscription sur les registres d'état civil compétents ;
Considérant que si le texte de l'article 41 ne fait aucun doute concernant l'applicabilité de la Convention dans tous les cas où une demande visée à l'article 14, acte de départ de la procédure y visée, a été reçue après l'entrée en vigueur de la Convention dans l'Etat d'accueil et dans l'Etat d'origine, l'invocation de ladite Convention pour des aspects autres tenant plus particulièrement à la reconnaissance et à la transcription d'adoptions antérieurement opérées dans l'Etat d'origine ne tombe pas directement sous le libellé de son article 41 ;
Considérant que le fait que deux Etats, par hypothèse l'Etat d'origine et l'Etat d'accueil, sont devenus parties à la Convention et l'ont adoptée de sorte à ce qu'elle soit entrée en vigueur dans leurs chefs respectifs emporte que ces deux Etats ont par là même adopté les dispositions de la Convention comme étant dorénavant appelées à être le droit commun, d'essence supérieure, devant régir les relations respectives concernant les ressortissants de ces deux Etats en la matière ;
Considérant que l'adoption de pareil droit commun d'essence supérieure en la matière comporte de par l'agencement même de la Convention, au vu des objectifs par elle poursuivis une favor adoptioni à laquelle ces deux Etats ont de la sorte souscrit dans l'intérêt supérieur des enfants adoptifs concernés ;
Qu'il s'ensuit qu'une demande de reconnaissance et de transcription aux registres d'état civil compétents d'une adoption opérée antérieurement à l'entrée en vigueur de la Convention dans l'Etat d'origine est régie par les dispositions de la Convention contenues plus particulièrement en son chapitre V, intitulé « Reconnaissance et effets de l'adoption », du moment que la demande afférente, posée non pas en vue de l'adoption, mais en vue de la reconnaissance et de la transcription d'un jugement d'adoption intervenu, a été présentée postérieurement à l'entrée en vigueur de la Convention dans l'Etat d'accueil et l'Etat d'origine ;
Que la demanderesse verse encore au dossier un certificat émanant de l'autorité compétente de l'Etat contractant où l'adoption a eu lieu, susceptible d'être lu en ce sens que celle-ci est conforme à la Convention ;
Considérant qu'il découle de l'ensemble des développements qui précèdent que c'est à tort que l'acte ministériel déféré (...) a refusé de statuer plus en avant sur la demande précitée du 5 août 2003 en écartant l'application des dispositions de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 entrée en vigueur entre le Pérou et le Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er novembre 2002 ;
Que la décision ministérielle déférée encourt dès lors l'annulation pour violation de la loi ;
Considérant que la faveur devant être laissée à toute solution trouvée à un niveau non contentieux et la ministre ne s'étant pas donné la possibilité de statuer plus en avant concernant le bien-fondé de la demande dont il s'agit, il convient de renvoyer le dossier devant elle en prosécution de cause (...) ; »
39.  Sur appel du ministère de la Famille, de la Solidarité sociale et de la jeunesse, la Cour administrative réforma, le 1er juillet 2004, le jugement du Tribunal administratif et déclara le recours en annulation non fondé, aux motifs suivants :
« A la lecture de la Convention de La Haye, il échet de constater qu'il n'existe aucune clause quant à une application possible des dispositions de celle-ci pour les cas où, au moment des faits, c'est-à-dire au cours de la mise en œuvre de la procédure d'adoption, elle n'a été ratifiée que par l'un des deux Etats concernés par une adoption internationale et n'est entrée en vigueur que dans cet Etat. Au contraire, l'article 41 de la Convention de La Haye stipule expressément que « la Convention s'applique chaque fois qu'une demande visée à l'article 14 [de la Convention] a été reçue après l'entrée en vigueur de la Convention dans l'Etat d'accueil et l'Etat d'origine ». Par ailleurs, il échet de relever que l'article 14 de la Convention oblige les personnes souhaitant procéder à une adoption d'un enfant situé dans un autre Etat à s'adresser d'abord à l'autorité centrale de leur Etat de résidence habituelle, afin de prendre ainsi l'initiative d'une procédure d'adoption internationale.
Au vu de ces dispositions claires et précises, il est impossible de faire droit à la demande telle que soumise au ministre de la Famille par les actuels intimés et tendant à faire application de la Convention de La Haye à une procédure d'adoption internationale qui s'est déroulée à une période pendant laquelle la Convention de La Haye était en vigueur à l'égard du seul Etat d'origine de l'enfant à adopter, à savoir le Pérou, à l'exclusion de l'Etat d'accueil dudit enfant, à savoir l'Etat dans lequel résidait la mère adoptive, à savoir le Luxembourg.
Cette constatation est confortée par le fait que le mécanisme, tel que mis en place par la Convention de La Haye notamment afin de garantir la reconnaissance dans l'Etat d'accueil d'une adoption qui a été réalisée dans l'Etat d'origine, se base sur une collaboration étroite entre les autorités compétentes des deux Etats ainsi concernés (...).
Le fait que le certificat de conformité émis par l'autorité centrale péruvienne au sujet de la décision d'adoption précitée soit semblable à celui exigé par (...) la Convention de La Haye, afin d'assurer la reconnaissance de l'adoption effectuée dans l'un des Etats contractants de la Convention de La Haye dans les autres Etats contractants, ne suffit pas à lui seul afin de rendre applicable les dispositions de la Convention et d'assurer au Luxembourg la reconnaissance de l'adoption effectuée au Pérou, étant donné que par définition ledit certificat n'a pas pu attester le respect de toutes les formalités prévues par la Convention de La Haye, puisque la procédure y réglementée comme étant obligatoire n'a pas pu être respectée faute par le Luxembourg d'avoir été partie à la Convention au moment où s'est déroulée la procédure d'adoption au Pérou. »
C.  Procédure d'adoption simple
40.  Dans leurs observations parvenues à la Cour le 18 février 2005, les requérantes indiquèrent qu'elles allaient « déposer dans les prochains jours une requête en adoption simple selon le droit luxembourgeois à titre conservatoire ». Lors de l'audience devant la Cour, elles déclarèrent que cette demande avait entre-temps abouti à un jugement d'adoption simple (rendu à une date non précisée) qui ne tenait pas compte de l'adoption plénière prononcée au Pérou.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A.  Droit et pratique relatifs à l'adoption
1.  Textes internationaux
a)  Convention relative aux droits de l'enfant, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 44/25 du 20 novembre 1989
41.  Cette convention, qui est entrée en vigueur au Luxembourg et au Pérou dès avant les faits, dispose, dans ses articles pertinents, ce qui suit.
Article 3
« 1.  Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
2.  Les Etats parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
3.  Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l'existence d'un contrôle approprié. »
Article 21
« Les Etats parties qui admettent et/ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale en la matière, et :
a)  Veillent à ce que l'adoption d'un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l'adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l'enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l'adoption en connaissance de cause, après s'être entourées des avis nécessaires ;
b)  Reconnaissent que l'adoption à l'étranger peut être envisagée comme un autre moyen d'assurer les soins nécessaires à l'enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé ;
c)  Veillent, en cas d'adoption à l'étranger, à ce que l'enfant ait le bénéfice de garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d'adoption nationale ;
d)  Prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d'adoption à l'étranger, le placement de l'enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables ;
e)  Poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s'efforcent dans ce cadre de veiller à ce que les placements d'enfants à l'étranger soient effectués par des autorités ou des organes compétents. »
b)  Recommandation 1443 (2000) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
42.  Les extraits pertinents de la Recommandation 1443 (2000), intitulée « Pour un respect des droits de l'enfant dans l'adoption internationale », se lisent ainsi qu'il suit :
« (...) l'Assemblée s'insurge (...) contre la transformation actuelle de l'adoption internationale en un véritable marché régi par les lois capitalistes de l'offre et de la demande, et caractérisé par le flux à sens unique des enfants qui viennent des pays pauvres ou en transition vers les pays développés. Elle condamne fermement tous les actes criminels commis aux fins de l'adoption ainsi que les dérives et pratiques mercantiles telles que les pressions psychologiques ou d'ordre économique sur des familles vulnérables, l'adoption directe auprès des familles, la conception d'enfants aux fins d'adoption, les fausses déclarations de paternité, ainsi que l'adoption d'enfants via l'Internet.
(...) Elle souhaite que les opinions publiques européennes prennent conscience que l'adoption internationale peut malheureusement donner lieu au non-respect des droits de l'enfant et qu'elle ne correspond pas forcément à l'intérêt supérieur de l'enfant. Les pays d'accueil véhiculent une vision souvent déformée de la situation des enfants dans les pays d'origine et des préjugés tenaces sur les bienfaits pour un enfant étranger d'être adopté et de vivre dans un pays riche. Les dérives actuelles de l'adoption internationale vont à l'encontre de la Convention de l'ONU sur les droits de l'enfant, qui préconise, en cas de privation du milieu familial de l'enfant, des solutions de remplacement qui doivent dûment tenir compte de la nécessaire continuité dans son éducation, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique. (...) »
2.  Législation et jurisprudence nationales
a)  L'adoption plénière
43.  Les principes et effets de l'adoption plénière peuvent être résumés comme suit (voir G. Ravarani, « La filiation », Feuille de liaison de la conférence Saint-Yves no 75, mars 1990).
i.  Conditions dans le chef des adoptants
44.  En principe, l'adoption se fait par deux époux. Ainsi, l'article 367 du code civil prévoit ce qui suit :
« L'adoption peut être demandée par deux époux non séparés de corps, dont l'un est âgé de vingt-cinq ans, l'autre de vingt et un ans au moins, à condition que les adoptants aient quinze ans de plus que l'enfant qu'ils se proposent d'adopter et que l'enfant à adopter soit âgé de moins de seize ans. »
45.  L'adoption plénière par une seule personne est une situation exceptionnelle. La loi ne prévoit qu'une seule hypothèse : celle de l'adoption plénière demandée par un époux au profit de l'enfant de son conjoint.
ii.  Effets de l'adoption plénière
46.  L'article 368 du code civil dispose ce qui suit :
« L'adoption confère à l'adopté et à ses descendants les mêmes droits et obligations que s'il était né du mariage des adoptants. Cette filiation se substitue à sa filiation d'origine, et l'adopté cesse d'appartenir à sa famille par le sang (...) »
47.  Les adoptants sont seuls investis, à l'égard de l'adopté, de tous les droits d'autorité parentale.
48.  Avant la loi du 23 décembre 2005, l'adoption conférait à l'enfant le nom patronymique du mari. Depuis cette loi, il résulte d'une combinaison des articles 57 et 368-1 du code civil que le couple d'adoptants choisit le nom qui est dévolu à l'enfant adopté ; ce dernier peut acquérir soit le nom de son père, soit le nom de sa mère, soit leurs deux noms accolés dans l'ordre choisi par les parents adoptifs dans la limite d'un nom pour chacun d'eux.
49.  L'enfant a les mêmes droits dans la succession de ses parents adoptifs que les enfants légitimes. D'un point de vue fiscal, il n'a pas à payer de droits de succession lorsqu'il succède en ligne directe.
50.  En vertu de l'article 2,1o de la loi du 22 février 1968 sur la nationalité, telle que modifiée, l'enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière par un Luxembourgeois obtient la nationalité luxembourgeoise. Un projet de loi no 5620 sur la nationalité luxembourgeoise, actuellement en discussion, confirme les termes de cette disposition.
51.  Il se crée entre les adoptants et l'adopté des obligations alimentaires réciproques identiques à celles qui existent entre parents par le sang.
52.  La transcription du jugement d'adoption tient lieu d'acte de naissance à l'adopté. Elle ne contient aucune indication relative à la filiation réelle de l'enfant. L'acte de naissance d'origine est revêtu de la mention « adoption ».
b)  L'adoption simple
53.  Les principes et effets de l'adoption simple peuvent être résumés comme suit (G. Ravarani, op. cit.).
54.  Bien qu'elle constitue le droit commun de l'adoption, l'adoption simple est beaucoup plus rare que l'adoption plénière. On n'y a normalement recours que lorsqu'une adoption plénière est impossible, par exemple, lorsque la personne à adopter a plus de 16 ans, ou lorsque c'est une personne seule qui veut procéder à une adoption.
i.  Conditions dans le chef des adoptants
55.  Les conditions sont les mêmes qu'en matière d'adoption plénière, sauf que l'adoption simple par une personne est possible. Plusieurs personnes ne peuvent pas adopter un même enfant, sauf deux époux. L'article 344 du code civil luxembourgeois dispose ce qui suit :
« L'adoption peut être demandée par toute personne âgée de plus de vingt-cinq ans. »
ii.  Effets de l'adoption simple
56.  Si l'adoption simple ressemble, quant à ses effets, à bien des égards à l'adoption plénière – elle confère, en effet, une nouvelle famille à l'adopté –, elle en diffère sur un point essentiel : l'adopté ne perd pas sa famille d'origine. L'article 358 du code civil dispose ce qui suit :
« L'adopté reste dans sa famille d'origine et y conserve tous ses droits et obligations, notamment ses droits héréditaires. »
57.  A l'instar de l'adoption plénière, l'adoption simple a pour effet d'intégrer l'adopté dans sa nouvelle famille. Cependant l'assimilation à un descendant biologique n'est pas totale, même si un lien de parenté se crée entre l'adoptant et l'adopté. La loi précise encore que ce lien s'étend aux descendants de l'adopté (article 361 du code civil). Mais à défaut de spécification par la loi, il faut admettre que l'adoption ne crée pas de lien de parenté entre l'adopté et les ascendants de l'adoptant, d'une part, et ses collatéraux, d'autre part.
58.  Pour ce qui est de l'autorité parentale, l'article 360 du code civil prévoit les dispositions suivantes :
« L'adoptant est seul investi, à l'égard de l'adopté, de tous les droits d'autorité parentale, inclus celui d'administrer les biens et de consentir au mariage de l'adopté.
Lorsque l'adoption a été faite par deux époux ou que l'adoptant est le conjoint du père ou de la mère de l'adopté, les droits visés à l'alinéa qui précède sont exercés conformément aux règles applicables aux père et mère légitimes.
Lorsqu'il n'y a qu'un adoptant ou que l'un des deux adoptants décède, il y a lieu à administration légale sous contrôle judiciaire.
Lorsque l'adoptant ou le survivant des adoptants décède, est déclaré absent ou perd l'exercice de l'autorité parentale, il y a lieu à ouverture d'une tutelle. »
59.  L'article 359 du code civil prévoit que l'adoption simple confère à l'adopté le nom de l'adoptant. En cas d'adoption par deux époux, les mêmes règles qu'en matière d'adoption plénière s'appliquent.
60.  L'article 363 du code civil prévoit le principe selon lequel l'adopté et ses descendants ont dans la famille de l'adoptant les mêmes droits successoraux qu'un enfant légitime. En revanche, les exceptions suivantes existent.
–  Selon l'article 363, l'adopté et ses descendants n'acquièrent pas la qualité d'héritier réservataire à l'égard des ascendants de l'adoptant.
–  Si l'adopté meurt sans descendants ni conjoint survivant, les biens donnés par l'adoptant ou recueillis dans sa succession retournent à l'adoptant ou à ses descendants, à condition que ces biens existent encore en nature lors du décès de l'adopté. Si l'adoptant est décédé et ne laisse pas de descendants, ces biens appartiennent aux parents de l'adopté (c'est-à-dire ses descendants ou les membres de sa famille d'origine), à l'exclusion des autres héritiers de l'adoptant (article 364). Les autres biens délaissés par l'adopté tombent dans sa famille et non dans celle de l'adoptant (article 364). L'article 364, alinéa 2, dispose que « si, du vivant de l'adoptant et après le décès de l'adopté, les enfants ou descendants laissés par l'adopté meurent sans laisser de postérité, l'adoptant [peut reprendre les biens dont il avait fait une donation à l'adopté] ; mais ce droit est inhérent à la personne de l'adoptant et non transmissible à ses héritiers, même en ligne descendante. »
–  Quant au régime fiscal de la succession, alors que les enfants qui ont fait l'objet d'une adoption plénière sont assimilés aux descendants légitimes, l'article III de la loi du 13 juillet 1959 modifiant le régime de l'adoption, non abrogée quant à ses dispositions fiscales, opère une distinction entre différentes catégories de personnes ayant fait l'objet d'une adoption simple : ceux faisant partie de la première catégorie énumérée (à savoir 1o  les adoptés issus d'un premier mariage du conjoint de l'adoptant et leurs descendants ainsi que les enfants naturels adoptés par leur auteur et leurs descendants, 2o  les adoptés pupilles de la nation ou orphelins de guerre et leurs descendants, 3o  les adoptés qui dans leur minorité et pendant six années ou moins auront reçu de l'adoptant des secours et des soins non interrompus et leurs descendants, 4o  les adoptés dont l'adoption aura été demandée avant qu'ils n'aient atteint l'âge de seize ans et leurs descendants) sont assimilés aux descendants légitimes. Ceux qui font partie de la deuxième catégorie (à savoir tous ceux non énumérés spécialement par la loi) ne bénéficient pas des mêmes avantages fiscaux ; la loi les assimile aux neveux et nièces, ce qui rend applicable à leur cas un taux de 9 %.
61.  En vertu de l'article 2, 2o, de la loi du 22 février 1968 sur la nationalité luxembourgeoise, telle que modifiée, l'enfant de moins de dix-huit ans ayant fait l'objet d'une adoption simple par un Luxembourgeois obtient la nationalité luxembourgeoise lorsqu'il est apatride ou lorsque, à la suite de l'adoption, il perd sa nationalité d'origine par l'effet de la loi étrangère.
Selon les articles 19 et 20 de ladite loi, l'enfant ayant fait l'objet d'une adoption simple par un Luxembourgeois et n'ayant pas à ce moment perdu sa nationalité d'origine peut acquérir la qualité de Luxembourgeois par option, à condition qu'il ait eu sa résidence habituelle dans le Grand-Duché pendant l'année qui a précédé la déclaration d'option et y ait résidé habituellement pendant au moins cinq années consécutives.
Un projet de loi no 5620 sur la nationalité luxembourgeoise, actuellement en discussion, prévoit, dans son article 2, ce qui suit :
« Obtient la nationalité luxembourgeoise (...) l'enfant de moins de dix-huit ans révolus ayant fait l'objet d'une adoption simple par un Luxembourgeois ; (...) »
62.  L'adopté et ses descendants doivent des aliments à l'adoptant s'il est dans le besoin, et celui-ci en doit à l'adopté et à ses descendants. Si l'adopté meurt sans laisser de descendants, sa succession est tenue envers l'adoptant qui, lors du décès, se trouve dans le besoin, d'une obligation alimentaire (article 362 du code civil).
63.  Contrairement à ce qui est prévu en matière d'adoption plénière, il n'y a pas lieu à confection d'un nouvel acte qui ne renseigne pas la filiation réelle de l'adopté. L'adopté garde son acte de naissance d'origine, mais celui-ci – ainsi que, le cas échéant, son acte de mariage et les actes concernant l'état civil de ses descendants légitimes nés avant l'adoption – sera revêtu d'une mention en marge renseignant l'adoption.
c)  Conflits de lois
64.  L'article 370 du code civil luxembourgeois dispose ce qui suit :
« L'adoption est ouverte aux Luxembourgeois et aux étrangers.
Les conditions requises pour adopter sont régies par la loi nationale du ou des adoptants.
En cas d'adoption par deux époux de nationalité différente ou apatrides, la loi applicable est celle de la résidence habituelle commune au moment de la demande. Cette même loi est applicable au cas où l'un des époux est apatride.
Les conditions requises pour être adopté sont régies par la loi nationale de l'adopté, sauf si l'adoption fait acquérir à l'adopté la nationalité de l'adoptant, auquel cas elles sont régies par la loi nationale de l'adoptant.
Les effets de l'adoption sont régis par la loi nationale du ou des adoptants. Lorsque l'adoption est faite par deux époux de nationalité différente ou apatrides, ou que l'un des époux est apatride, la loi applicable est celle de leur résidence habituelle commune au moment où l'adoption a pris effet.
En cas de conflit entre les règles de compétence respectivement édictées par la loi nationale de l'adoptant et par celle de l'adopté, l'adoption est valablement conclue suivant les formes prescrites par la loi du pays où l'adoption est intervenue et devant les autorités compétentes d'après cette même loi. »
d)  Jurisprudence relative à la reconnaissance d'une adoption prononcée à l'étranger
65.  Dans une affaire récente, des époux avaient obtenu de la part du ministère public un certificat attestant qu'ils remplissaient toutes les conditions légales pour procéder à une adoption plénière au Pérou. Le mari étant décédé au cours de la procédure, la veuve obtint de la part du procureur d'Etat un certificat d'aptitude à adopter à son seul nom, de sorte que les autorités péruviennes furent enclines à lui confier l'enfant. Le tribunal d'arrondissement de Luxembourg déclara irrecevable la requête en adoption présentée par la veuve, au motif notamment que le document attestant la qualification et l'aptitude à adopter n'avait pas été établi par l'autorité compétente de l'Etat d'accueil. Dans un arrêt du 28 juin 2006, la première chambre de la Cour d'appel, siégeant en matière civile, décida cependant ce qui suit :
« (...) l'appelante a produit les documents relatifs à l'adoption prononcée au Pérou (...), à savoir la décision d'adoption (...) ainsi que le certificat de conformité de l'adoption à la Convention de La Haye visé à l'article 23 alinéa 1er de la [Convention de La Haye].
Il ressort de ce certificat de conformité délivré le 15 février 2005, que les autorités péruviennes se sont méprises sur l'identité de l'autorité compétente de l'Etat d'accueil (...) qui est le tribunal d'arrondissement du lieu de résidence du ou des futur(s) parent(s) et non le Ministère Public auprès de ce tribunal, (...) et sur la nature du document émis le 4 janvier 2005 par le Procureur d'Etat qui devait être compris comme un certificat d'aptitude à adopter (...) et non comme document exprimant l'acceptation de l'autorité centrale de l'Etat d'accueil pour que la procédure d'adoption se poursuive (...).
Or, d'après la [Convention de La Haye] le certificat visé par l'article 23 assure l'efficacité internationale de l'adoption. Il est la preuve irréfragable de la régularité de la décision d'adoption dont la reconnaissance dans les Etats contractants ne peut être refusée que si l'adoption est manifestement contraire à son ordre compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant (...). Contrairement au droit commun qui soumet les décisions étrangères relatives à l'état et à la capacité des personnes, qui échappent à la nécessité de l'exequatur, à un contrôle a posteriori en vérifiant la compétence de l'autorité étrangère et la régularité de la procédure suivie ainsi que la compétence de la loi appliquée au fond conformément aux règles de conflit du pays d'accueil et enfin l'ordre public, le système conventionnel de la reconnaissance de plein droit vérifie exclusivement la conformité de la décision d'adoption à l'ordre public au sens du droit international privé de l'Etat d'accueil (...).
Pour qu'une adoption soit manifestement contraire à l'ordre public au sens du droit international privé de l'Etat requis, il faut qu'elle viole de façon flagrante les valeurs et principes fondamentaux de cet Etat. En outre, cette violation, même si elle devait être constatée, devrait encore être tempérée par la prise en considération de l'intérêt supérieur de l'enfant. La reconnaissance ne peut être refusée au motif que le certificat établi par les autorités du pays d'origine ignore une violation, même très grave des dispositions de la Convention (...).
Les méprises commises par les autorités péruviennes quant aux autorités luxembourgeoises (...) et quant à la portée du certificat d'aptitude à adopter émis (...) par le procureur d'Etat constituent une violation grave des dispositions conventionnelles, mais sont étrangères aux principes fondamentaux qui régissent l'adoption en droit luxembourgeois. La circonstance que la décision péruvienne produit les effets d'une adoption plénière luxembourgeoise notamment par la rupture du lien de filiation préexistant de l'enfant et par son caractère irrévocable ne porte pas atteinte à l'ordre public international luxembourgeois.
Aux termes de l'article 370, alinéa 5 du code civil, les effets de l'adoption sont régis par la loi nationale du ou des adoptants. L'article 26 de la [Convention de La Haye] y apporte un correctif en disposant que la reconnaissance de l'adoption comporte non seulement celle du lien de filiation entre l'enfant et ses parents adoptifs et la responsabilité parentale à l'égard de l'enfant, mais encore de la rupture du lien préexistant de filiation entre l'enfant et sa mère et son père, si l'adoption, comme c'est le cas en l'espèce, produit cet effet dans l'Etat où elle a eu lieu. Cet effet particulier de l'adoption ne peut être remis en cause dans l'Etat requis. En outre, l'article 26,2 prescrit à tout Etat dans lequel une adoption plénière est amenée à déployer ses effets, d'accorder à l'enfant des droits équivalents à ceux qui découlent des dispositions de sa propre loi relative à l'adoption plénière et ce, quelle que soit par ailleurs la loi applicable dans cet Etat aux effets de l'adoption (...). Cela peut avoir pour effet d'imposer à l'Etat d'accueil de reconnaître la rupture des liens entre l'enfant et sa famille d'origine, même si un tel effet ne se serait pas produit si l'adoption avait eu lieu dans cet Etat. Le but a été de donner à l'enfant le statut le plus favorable (...).
Devant être reconnue de plein droit, la décision d'adoption péruvienne produit les effets liés à l'autorité de la chose jugée. (...) »
3.  Eléments de droit comparé
a)  Quant à la capacité des célibataires de réaliser une adoption dans le droit des Etats membres
66.  Parmi les quarante-six Etats membres du Conseil de l'Europe, aucun n'interdit de manière absolue l'adoption par les célibataires.
67.  L'Irlande et l'Italie acceptent l'adoption par les célibataires dans des situations très exceptionnelles. L'Islande et la Lituanie autorisent les célibataires à adopter un enfant dans des « circonstances exceptionnelles ».
68.  Un deuxième groupe de pays admet l'adoption par des célibataires, mais seulement si certaines conditions sont remplies. Ainsi, en Arménie, seules les femmes célibataires peuvent adopter ; à Malte, un célibataire ne peut pas adopter un enfant de sexe féminin.
69.  Dans un troisième groupe de pays, comprenant le Luxembourg, l'adoption par les célibataires est admise de façon générale, mais leur capacité d'adopter est limitée à une adoption sans rupture des liens familiaux avec la famille d'origine. Ainsi, en Géorgie, en Lituanie et en Russie, l'adoption par un célibataire ne rompt pas les liens de filiation avec l'auteur d'origine de sexe opposé à celui de l'adoptant.
70.  Dans les autres pays européens, l'adoption par les célibataires est permise sans aucune limitation.
b)  Quant aux effets de la reconnaissance d'un jugement d'adoption rendu à l'étranger dans le droit des Etats membres
71.  Les Etats membres n'accordent pas les mêmes effets à un jugement d'adoption rendu à l'étranger. Si certains Etats acceptent que le jugement rendu à l'étranger produise dans l'ordre juridique interne les mêmes effets qu'il produirait dans l'Etat où il a été rendu, d'autres Etats vont autoriser les parties à demander l'« adaptation » des effets au droit interne et, enfin, un troisième groupe d'Etats n'accepteront la production des effets que selon leur propre droit interne.
72.  Le panorama du droit comparé permet de regrouper les Etats membres dans deux catégories distinctes :
i.  Les Etats qui refuseraient la reconnaissance même du jugement étranger dans des circonstances telles qu'elles se présentent en l'espèce
73.  D'une part, en Irlande et en Italie, le refus serait fondé sur l'interdiction de l'adoption plénière au profit des célibataires.
74.  D'autre part, dans des pays nordiques, le refus serait fondé sur une interdiction de principe d'une adoption conduite selon la démarche suivie en l'espèce par la première requérante. En effet, lorsqu'un citoyen danois, finlandais, islandais ou suédois souhaite adopter un enfant à l'étranger, il doit d'abord demander une autorisation aux autorités nationales de son propre pays pour ensuite pouvoir prendre contact avec les autorités de l'Etat duquel il souhaite adopter un enfant. Lorsque cette autorisation préalable fait défaut, le droit interne des pays nordiques prévoit d'une façon uniforme que le jugement rendu à l'étranger ne sera pas reconnu.
ii.  Les Etats qui accepteraient la reconnaissance du jugement étranger dans des circonstances telles qu'elles se présentent en l'espèce
75.  Dans certains Etats, le jugement étranger produirait les effets déterminés par le droit interne de l'Etat où il a été rendu (c'est le cas de la Suisse et de l'Estonie).
76.  Ensuite, dans d'autres Etats, les effets du jugement étranger pourraient être adaptés au droit national (c'est le cas des Pays-Bas).
77.  Enfin, dans la plupart des Etats, le jugement étranger ne produirait que les effets déterminés par le droit national du pays où il serait exécuté. Ainsi, indépendamment des effets qu'un jugement peut produire dans le pays où il a été rendu, il ne produira en droit interne des Etats membres que les effets autorisés par le droit national. Le juge national devra alors adapter l'adoption étrangère à l'un des modes d'adoption reconnu par le droit interne. L'adoption étrangère produira donc les mêmes effets qu'une adoption de droit interne. Il en est ainsi notamment en Allemagne, en Belgique, en Bulgarie, en Croatie, en Espagne, en France, à Malte, au Portugal et en Roumanie.
B.  Eléments relatifs aux procédures se déroulant devant les juges luxembourgeois
1.  Principes directeurs du procès devant les juges du fond
78.  Parmi les principes directeurs du procès, l'article 62 du nouveau code de procédure civile, entré en vigueur le 16 septembre 1998, prévoit ce qui suit :
« Le juge peut inviter les parties à fournir les explications de droit qu'il estime nécessaires à la solution du litige. »
2.  Applicabilité directe de la Convention en droit interne
79.  Les droits garantis par la Convention et ses Protocoles peuvent être invoqués directement devant les juridictions luxembourgeoises. Ainsi, la Cour de cassation s'est prononcée dans les termes suivants (Cass. 17.1.1985, no 2/85) :
« Attendu que les normes inscrites aux articles 8 et 14 combinés de la Convention ne créent pas seulement des obligations à charge des Etats contractants mais déploient en outre des effets directs dans l'ordre juridique interne pour les particuliers et engendrent au profit des justiciables des droits individuels que les juridictions nationales doivent sauvegarder. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
80.  Les requérantes se plaignent qu'elles n'ont pas bénéficié d'un procès équitable, dans la mesure où les juges nationaux ont omis de répondre à leur moyen relatif à l'article 8 de la Convention. Elles invoquent à cet égard l'article 6 de la Convention, qui dispose :
«  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A.  Thèses des parties
1.  Les requérantes
81.  Les requérantes reprochent aux juges d'avoir essayé de passer sous silence leur argument tiré de l'article 8 de la Convention, en omettant d'y répondre.
82.  Elles déclarent n'avoir cessé de prétendre devant les juges nationaux que la subordination de l'exequatur du jugement péruvien à la condition que la mère se marie constituait une ingérence dans la vie privée incompatible avec l'article 8 § 2 de la Convention.
83.  Considérant qu'aucune réglementation en droit positif luxembourgeois ne définit les critères selon lesquels un moyen doit être présenté, elles soutiennent que, si les juges du fond avaient estimé que leur moyen manquait de clarté, ils auraient dû leur demander de fournir des précisions, selon l'article 62 du nouveau code de procédure civile.
84.  Enfin, elles exposent que la jurisprudence luxembourgeoise admet, depuis un siècle, la prééminence du droit international découlant d'un traité signé et ratifié, telle la Convention européenne des Droits de l'Homme, sur les règles du droit national ; or, en l'espèce, la Cour de cassation aurait estimé que les juges du fond étaient dispensés d'examiner la compatibilité de leur solution avec l'article 8 § 2 de la Convention. Ainsi, se fondant notamment sur l'affaire Dulaurans c. France (no 34553/97, §§ 33 et 34, 21 mars 2000), les requérantes reprochent aux juges du fond d'avoir omis de procéder à un examen effectif de leur moyen, d'une part, et à la Cour de cassation d'avoir – par un raisonnement qui contiendrait une contradiction manifeste – entériné cette solution, d'autre part.
85.  Elles en concluent que la procédure litigieuse ne remplissait pas les standards de qualité exigés par l'article 6 de la Convention.
2.  Le Gouvernement
86.  Le Gouvernement est d'avis que le moyen litigieux présenté par les requérantes devant les juges du fond n'était ni clair ni précis.
87.  Il estime ensuite qu'il n'appartenait pas à la Cour de cassation de faire un travail d'investigation pour préciser ledit moyen et suppléer ainsi aux carences des requérantes.
88.  Enfin, le Gouvernement soulève que les requérantes avaient, dans le cadre de leur argumentation, fait valoir des arguments tirés de l'ordre public international ; or, selon lui, à partir du moment où les juges du fond eurent décidé que la loi luxembourgeoise n'avait pas été respectée par le juge péruvien dans le cadre des règles luxembourgeoises de conflits de lois, toute l'argumentation tournant autour de l'ordre public international devenait sans objet. Rappelant que, « si l'article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, cette obligation ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument » (Fourchon c. France, no 60145/00, § 22, 28 juin 2005), le Gouvernement estime qu'en l'espèce il n'y avait pas lieu de motiver spécifiquement la décision sur cette argumentation. A cette conclusion de pure logique, selon lui, s'ajouterait le fait que la Cour n'est pas appelée à connaître des erreurs de fait ou de droit du juge interne.
B.  Appréciation de la Cour
89.  La Cour rappelle que le droit à un procès équitable, tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, comprend notamment le droit des parties au procès à présenter les observations qu'elles estiment pertinentes pour leur affaire. La Convention ne visant pas à garantir des droits théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs (Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p. 16, § 33), ce droit ne peut passer pour effectif que si ces observations sont vraiment « entendues », c'est-à-dire dûment examinées par le tribunal saisi. Autrement dit, l'article 6 implique notamment, à la charge du « tribunal », l'obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence (Perez c. France [GC], no 47287/99, § 80, CEDH 2004-I, et Albina c. Roumanie, no 57808/00, § 30, 28 avril 2005).
90.  La Cour réaffirme par ailleurs que si l'article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, il ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument des parties. L'étendue de ce devoir de motivation peut varier selon la nature de la décision. Il faut en outre tenir compte, notamment, de la diversité de moyens qu'un plaideur peut soulever en justice et des différences dans les Etats contractants en matière de dispositions légales, coutumes, conceptions doctrinales et présentation et rédaction des jugements et arrêts. C'est pourquoi la question de savoir si un tribunal a manqué à son obligation de motiver découlant de l'article 6 de la Convention ne peut s'analyser qu'à la lumière des circonstances de l'espèce (Ruiz Torija c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-A, § 29 ; Helle c. Finlande, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, § 55).
91.  En l'espèce, les requérantes soulevèrent devant la Cour d'appel, dans une partie intitulée « Quant à l'incidence de l'ordre public », un moyen contestant la compatibilité du jugement de première instance avec l'article 8 de la Convention. Elles reprochèrent aux premiers juges d'avoir fait primer la loi luxembourgeoise sur les conventions internationales pour refuser l'exequatur de la décision d'adoption péruvienne. Dans leur arrêt du 6 juillet 2000, les juges d'appel omirent de répondre, même en substance, à ce moyen.
92.  Pour autant que le Gouvernement expose que l'argumentation des requérantes manquait de clarté et de précision, la Cour se doit d'emblée de noter que les juges d'appel omirent de faire usage de la possibilité − qui leur était donnée par l'article 62 du nouveau code de procédure civile − d'inviter les requérantes à préciser leur moyen. Au demeurant, la Cour estime que ledit moyen, articulé par écrit dans l'acte d'appel, avait une formulation suffisamment claire et précise. En effet, les requérantes, invoquant l'article 8 de la Convention, avaient exposé qu'à leurs yeux le jugement de première instance sanctionnait la mineure et que l'ordre public commandait précisément d'accorder l'exequatur à la décision d'adoption péruvienne. Elles avaient également cité une jurisprudence qui, dans un contexte certes différent, avait jugé qu'une ingérence dans le droit pour les père et mère d'entretenir des relations avec leurs enfants n'était pas justifiée par un des objectifs énoncés à l'article 8 § 2 de la Convention.
93.  Dans son arrêt du 14 juin 2001, la Cour de cassation entérina la solution des juges du fond. Elle décida, d'une part, que la Cour d'appel n'avait plus à répondre au moyen invoqué par les requérantes dans l'acte d'appel sous l'intitulé « Quant à l'incidence de l'ordre public », cette question étant devenue sans objet par l'effet même de leur décision de ne pas appliquer la loi étrangère, et, d'autre part, que les développements relatifs à l'article 8 de la Convention contenus dans l'acte d'appel « de par leur caractère dubitatif, vague et imprécis, ne constituaient pas un moyen exigeant réponse ».
94.  La Cour est amenée à rechercher si, en l'occurrence, la solution adoptée par les autorités nationales pouvait raisonnablement se justifier au regard de l'article 6 de la Convention.
95.  La Cour d'appel avait décidé que les juges de première instance avaient rejeté à juste titre la demande d'exequatur du jugement étranger qui avait prononcé une adoption plénière au profit d'un ressortissant luxembourgeois célibataire, au motif que la décision péruvienne était en contradiction avec la loi luxembourgeoise de conflits de lois, qui prévoit que les conditions pour adopter sont régies par la loi nationale de l'adoptant. La Cour d'appel en avait conclu qu'il était superflu d'examiner les autres conditions de l'exequatur, dont celle de la conformité à l'ordre public international.
96.  La Cour se doit de rappeler que, même si les tribunaux ne sauraient être tenus d'exposer les motifs de rejet de chaque argument d'une partie (Ruiz Torija, précité, § 29), ils ne sont pour autant pas dispensés d'examiner dûment et de répondre aux principaux moyens que soulève celle-ci (mutatis mutandis, Donadzé c. Géorgie, no 74644/01, § 35, 7 mars 2006). Si, de surcroît, ces moyens ont trait aux « droits et libertés » garantis par la Convention ou ses Protocoles, les juridictions nationales sont astreintes à les examiner avec une rigueur et un soin particuliers.
97.  En l'espèce, la Cour est d'avis que la question de l'incompatibilité de la décision de première instance au regard de l'article 8 de la Convention – en particulier sous l'angle de sa conformité à l'ordre public international – figurait parmi les moyens principaux soulevés par les requérantes, de sorte qu'elle exigeait une réponse spécifique et explicite. Or la Cour d'appel a omis de donner une réponse au moyen selon lequel l'ordre public commandait précisément d'accorder, au titre de l'article 8 de la Convention, l'exequatur à la décision d'adoption péruvienne. La Cour de cassation a, de surcroît, entériné cette solution des juges du fond, et ce en dépit de sa jurisprudence selon laquelle la Convention déploie ses effets directs dans l'ordre juridique luxembourgeois (paragraphe 79 ci-dessus).
98.  Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime que les requérantes ne furent pas effectivement entendues par les juridictions internes qui ne leur ont pas assuré leur droit à un procès équitable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION, PRIS ISOLÉMENT
99.  Les requérantes allèguent que le refus par les autorités luxembourgeoises d'accorder l'exequatur au jugement du tribunal péruvien prononçant l'adoption plénière de l'enfant porte atteinte à leur droit à une vie familiale. Elles invoquent l'article 8 de la Convention, qui dispose ce qui suit :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
A.  Thèses des parties
1.  Les requérantes
100.  Les requérantes reprochent aux autorités luxembourgeoises de ne pas reconnaître le lien familial qu'elles ont valablement créé par le jugement d'adoption plénière prononcé au Pérou.
101.  Elles estiment, avant toute chose, qu'il est indispensable de faire remarquer les différents éléments suivants.
102.  Avant la première requérante, un certain nombre de femmes célibataires avaient pu adopter sans difficulté des enfants au Pérou. En effet, pendant les années 1970 et jusqu'au début des années 1990, il était possible de se rendre avec une traduction du jugement péruvien d'adoption plénière auprès de l'officier de l'état civil et de faire transcrire le jugement sans en demander l'exequatur. Les décisions qui avaient clôturé une adoption plénière au Pérou faisaient donc l'objet d'une reconnaissance de plein droit par les officiers de l'état civil luxembourgeois. C'est dans ce contexte que la première requérante avait entrepris, de bonne foi, ses démarches en vue d'une adoption au Pérou.
103.  La deuxième requérante, dont la mère biologique était décédée, avait été placée dans un orphelinat en raison de maltraitances qu'elle avait subies dans sa famille d'origine.
104.  La première requérante − munie d'un certificat, émanant du parquet de Luxembourg, qui attestait son aptitude à adopter − assure avoir accompli rigoureusement toutes les démarches de la procédure prévue par la législation péruvienne pour adopter l'enfant âgée de trois ans à l'époque. Ainsi, notamment, un séjour de plusieurs semaines s'était déroulé dans la localité du tribunal compétent pour prononcer l'adoption. Le juge péruvien avait prononcé l'adoption plénière, après avoir constaté que toutes les conditions légales étaient remplies.
105.  Le but de la première requérante n'avait donc pas été de commettre une fraude à la loi ni de déclencher une croisade pour l'adoption des célibataires.
106.  En 1994, la pratique de la transcription des jugements péruviens d'adoptions plénières sur les registres de l'état civil luxembourgeois avait été subitement abrogée. Les requérantes n'avaient ainsi, hélas, plus été en mesure de bénéficier de ladite pratique ; leur dossier avait été le premier à être soumis au contrôle des autorités judiciaires luxembourgeoises.
107.  Les requérantes tiennent à faire remarquer que la Cour d'appel, dans une chambre composée différemment de celle qui avait siégé dans leur affaire, a suivi récemment une approche différente au sujet de la reconnaissance d'une adoption plénière prononcée à l'étranger. Dans cette autre affaire, des époux avaient obtenu un certificat attestant qu'ils remplissaient toutes les conditions légales pour procéder à une adoption plénière au Pérou. Le mari étant décédé au cours de la procédure, les autorités péruviennes acceptèrent de confier l'enfant à l'épouse seule. Si le tribunal d'arrondissement de Luxembourg déclara irrecevable la requête en adoption présentée par la veuve, les juges d'appel décidèrent que le jugement d'adoption péruvien, devant être reconnu de plein droit, produirait les effets liés à l'autorité de la chose jugée (paragraphe 65 ci-dessus).
108.  Quant au fond, les requérantes estiment que le refus d'exequatur du jugement péruvien prononçant l'adoption plénière constitue une « ingérence » dans leur droit au respect de leur vie familiale. Si, en raison de l'adoption plénière intervenue valablement au Pérou, les liens entre l'enfant et sa famille d'origine sont rompus de sorte qu'elle n'a plus de famille biologique, en revanche le lien résultant pour les deux requérantes de cette adoption étrangère est nié par l'ordre juridique luxembourgeois. A défaut d'exequatur de la décision péruvienne l'enfant continue, pour les autorités luxembourgeoises, à porter son nom péruvien et est considérée comme étant à la charge, d'un point de vue fiscal, de la première requérante sans être pleinement reconnue comme sa fille. Une autorisation de séjour doit ainsi être demandée à intervalles réguliers auprès du ministère de la Justice, autorisation qui est susceptible d'être refusée un jour. S'il est exact qu'entre-temps un jugement d'adoption simple a été rendu en faveur des requérantes, ces problèmes ne sont pas réglés pour autant.
109.  Les requérantes admettent que l'ingérence peut être considérée comme étant « prévue par la loi », au vu de l'interprétation de la loi interne telle que présentée par les juges nationaux.
110.  En revanche, elles contestent la « nécessité » de l'ingérence.
Contrairement à ce qu'allègue le Gouvernement, l'ingérence n'aurait pas été nécessaire pour permettre de vérifier si une adoption plénière, faite en contrariété avec la loi luxembourgeoise, par une personne célibataire, n'était pas interdite ; selon les requérantes, l'ingérence critiquable dans la vie familiale consiste justement dans la négation d'un lien familial légitimement acquis à l'étranger. Le refus de reconnaissance de l'adoption plénière ferait de l'enfant une victime alors que l'enfant ne saurait être sanctionnée pour les démarches accomplies par sa mère adoptive. A titre d'exemple, les requérantes rappellent que la mineure doit se voir délivrer régulièrement des autorisations de séjour et ne peut être inscrite sur le passeport de sa mère. De plus, si, lorsqu'elle aura atteint l'âge de seize ans, la mineure désire poursuivre un apprentissage professionnel, elle ne bénéficierait pas de la préférence communautaire et n'obtiendrait ainsi aucune autorisation de travail tant qu'il n'aurait pas été prouvé qu'un candidat équivalent n'a pu être trouvé sur le marché du travail de l'Union européenne. Les requérantes concluent que l'enfant se retrouve dans une situation de vide juridique, dans la mesure où elle n'a plus de liens avec sa famille d'origine et où le refus d'exequatur de l'adoption plénière empêche la création d'un lien familial de substitution avec sa mère adoptive. Elles insistent sur le fait que ce problème n'a pas été résolu par l'adoption simple récemment accordée. En effet, celle-ci n'a pour vocation que la création d'un lien familial supplétif qui ne comporte pas une intégration véritable et sans restriction de l'adopté dans la famille adoptive. Si ces conséquences ne sont pas nocives pour un enfant dont les liens avec la famille d'origine subsistent, les effets seraient en revanche néfastes dans la présente affaire où l'enfant a perdu le lien avec sa famille d'origine mais où un nouveau lien avec sa mère adoptive n'a pu le remplacer.
111.  Les requérantes concluent que le fait pour les autorités luxembourgeoises de refuser de reconnaître une adoption légitimement conclue dans un autre Etat partie à une convention internationale sans pouvoir invoquer un véritable intérêt supérieur de l'enfant constitue une ingérence dans leur vie familiale qui n'est justifiée par aucune des causes énumérées à l'article 8 § 2.
112.  Les requérantes estiment que le Grand-Duché de Luxembourg a une « obligation positive » de reconnaître l'existence d'un lien familial adoptif qui résulte d'un jugement judiciaire passé en force de chose jugée et qui a été rendu dans un pays partageant le système de valeurs de la majorité des Etats membres du Conseil de l'Europe, dans des circonstances normales et légitimes et en conformité avec le droit de ce pays. Ainsi, une situation d'état civil créée légitimement dans un autre Etat devrait être reconnue de plein droit. Les requérantes, confortées en cela par le Tribunal administratif (paragraphe 38 ci-dessus) et par une chambre de la Cour d'appel (paragraphe 107 ci-dessus), sont d'avis que la ratification par le Luxembourg de la Convention de La Haye a créé dans le chef du Luxembourg l'obligation de reconnaître l'adoption prononcée au Pérou. La seule restriction admissible à cette obligation positive de reconnaître l'obligation valablement conclue à l'étranger serait celle du droit de l'enfant.
2.  Le Gouvernement
113.  Le Gouvernement ne conteste pas que la vie de famille soit en cause en l'espèce, même s'il s'agit d'une famille restreinte, composée d'une mère célibataire et d'une enfant adoptée. En effet, dans la mesure où la question de la reconnaissance de l'adoption péruvienne par les juridictions luxembourgeoises est intervenue alors même que les requérantes vivaient déjà ensemble, le Gouvernement considère que la notion de « famille » est constituée.
114.  Le Gouvernement nie en revanche qu'il y ait eu « ingérence » des pouvoirs publics dans l'exercice effectif du droit des requérantes à une vie familiale. En effet, les autorités luxembourgeoises n'auraient nullement essayé d'empêcher ou d'interdire aux intéressées de vivre ensemble. A cet égard, le Gouvernement expose que les requérantes font état non pas d'une atteinte directe à l'exercice même de leur vie de famille, mais de tracasseries administratives que subirait l'enfant dont l'adoption plénière n'a pas été reconnue ; il souligne par ailleurs que le projet de loi visant à réformer la loi sur la nationalité prévoit une égalité absolue entre les enfants, qu'ils soient adoptés ou non, en matière d'accès à la nationalité. Selon le Gouvernement, l'ingérence du législateur consisterait en l'espèce dans le fait de requérir qu'un jugement étranger portant adoption soit reconnu selon les formes du droit international privé luxembourgeois. Or le fait d'imposer l'exequatur à un jugement serait reconnu dans tous les Etats comme une prérogative évidente et nécessaire, afin de vérifier la compatibilité dudit jugement avec les règles fondamentales qui régissent l'organisation de la société et de l'Etat.
115.  A supposer qu'il y ait eu une « ingérence », le Gouvernement estime que celle-ci est « nécessaire » pour protéger l'ordre public international luxembourgeois, en ce qu'elle permet de vérifier qu'une règle de droit luxembourgeois – celle de l'interdiction d'une adoption plénière, faite en contrariété avec la loi luxembourgeoise, à l'étranger, par une personne célibataire – est ou non respectée. A cet égard, le Gouvernement insiste sur la marge d'appréciation laissée aux Etats pour définir quel type de famille – la famille monoparentale ou celle composée de deux parents – est le plus apte à protéger l'enfant. Ainsi, en l'espèce, l'ingérence serait proportionnée au but recherché, celui de la protection de l'enfant adoptée. En effet, le législateur aurait érigé des limites à l'adoption plénière, afin que celle-ci, emportant une césure définitive avec la famille d'origine de l'adopté et une entrée pleine et entière dans la nouvelle famille, ne porte pas préjudice à l'enfant adopté, ni d'ailleurs aux enfants (éventuels) de la famille adoptante. Le Gouvernement conclut qu'une ingérence, si elle doit être qualifiée comme telle, par le législateur luxembourgeois dans la vie familiale des requérantes, est légitime dans une société démocratique, pour éviter qu'une adoption faite dans n'importe quelle condition et éventuellement en fraude à la loi luxembourgeoise ne puisse avoir des conséquences néfastes pour l'enfant et le parent. A cet égard, il souligne que l'essence même d'une procédure de reconnaissance d'une adoption étrangère par les juridictions luxembourgeoises serait de vérifier que les liens de l'enfant avec sa famille d'origine ont été coupés sans qu'il en subisse des conséquences irrémédiablement préjudiciables aux niveaux affectif et patrimonial.
116.  Quant à la question de l'existence ou non d'une « obligation positive » à charge de l'Etat, le Gouvernement soutient que, dans la mesure où aucune vie de famille ne préexistait à la demande en adoption de l'enfant, faite en contrariété avec l'ordre public luxembourgeois, il ne pesait sur l'Etat aucune obligation positive de protéger la création d'un lien de famille avant même que celui-ci n'ait pu être reconnu. Selon le Gouvernement, l'article 8 ne saurait ouvrir la possibilité de frauder la législation d'un pays en imposant de facto la protection d'une vie familiale avant que l'Etat en question n'ait pu se prononcer de jure sur la reconnaissance d'un lien de famille en conformité avec sa législation nationale. Dans ses observations du 29 décembre 2004, le Gouvernement expose par ailleurs que la question est celle de savoir si un « respect » effectif de la vie familiale des requérantes obligerait le Luxembourg à améliorer le statut de l'adoptant et de l'adoptée. Rappelant que la Cour n'a cessé de soutenir que l'article 8 implique le droit d'un parent à des mesures propres à le réunir avec son enfant, il affirme qu'en l'espèce aucun problème de réunification ne se pose dans la mesure où les liens affectifs nés de la vie commune entre les requérantes n'ont pas été remis en cause. Il ajoute que l'on ne saurait reprocher au législateur luxembourgeois d'avoir rendu la situation de l'adoptée inconfortable, la procédure de reconnaissance d'un jugement étranger étant destinée à permettre à l'Etat de vérifier le respect de l'ordre public international luxembourgeois. Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle la Convention ne garantit pas en tant que tel un droit d'adopter, d'une part, et énumère les obligations positives définies par la Cour dans ses arrêts Marckx c. Belgique (arrêt du 13 juin 1979, série A no 31), Johnston et autres c. Irlande (arrêt du 18 décembre 1986, série A no 112) et Eriksson c. Suède (arrêt du 22 juin 1989, série A no 156), d'autre part. Il estime qu'il ne saurait en être déduit une quelconque obligation pour le Luxembourg, en matière d'adoption, de modifier sa législation afin de permettre la reconnaissance d'un jugement étranger ayant admis une adoption plénière d'un enfant par une mère célibataire, alors que le Luxembourg ne prévoit pour une personne célibataire qu'une possibilité d'adoption simple.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Applicabilité de l'article 8 de la Convention
117.  La Cour rappelle qu'« en garantissant le droit au respect de la vie familiale, l'article 8 présuppose l'existence d'une famille » (Marckx, précité, § 31, et Johnson c. Royaume-Uni, arrêt du 24 octobre 1997, Recueil 1997-VII, § 62). En l'espèce, la requérante se comporte à tous égards comme la mère de la mineure depuis 1996, de sorte que des « liens familiaux » existent « de facto » entre elles (voir, mutatis mutandis, X, Y et Z c. Royaume-Uni, arrêt du 22 avril 1997, Recueil 1997-II, fasc. 35, § 37). La Cour observe par ailleurs que le Gouvernement ne conteste pas qu'un lien familial soit établi entre les deux requérantes. Il s'ensuit que l'article 8 trouve à s'appliquer.
2.  Observation de l'article 8 de la Convention
118.  La Cour rappelle que l'article 8 de la Convention tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics ; il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Dans un cas comme dans l'autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l'Etat jouit d'une certaine marge d'appréciation (Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 149, CEDH 2004-V (extraits)).
119.  D'après les principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour, là où l'existence d'un lien familial avec un enfant se trouve établie, l'Etat doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer et accorder une protection juridique rendant possible l'intégration de l'enfant dans sa famille (voir, mutatis mutandis, Kroon et autres c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1994, série A no 297-C, § 32).
120.  En ce qui concerne plus précisément les obligations positives que l'article 8 fait peser sur les Etats contractants en la matière, celles-ci doivent s'interpréter à la lumière de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 (voir, mutatis mutandis, Maire c. Portugal, no 48206/99, § 72, CEDH 2003-VII).
121.  La Cour rappelle par ailleurs que, bien que « le droit d'adopter ne figure pas en tant que tel au nombre des droits garantis par la Convention » (Fretté c. France, no 36515/97, § 29, CEDH 2002-I), « les relations entre un adoptant et un adopté sont en principe de même nature que les relations familiales protégées par l'article 8 de la Convention » (Pini et autres, précité, § 140 ; X. c. France, no 9993/82, décision de la Commission du 5 octobre 1982, Décisions et rapports (DR) 31, p. 241).
122.  La Cour tient d'emblée à faire remarquer que la présente cause doit être distinguée de l'affaire Fretté. En l'espèce, en effet, la première requérante ne fut pas déboutée d'une demande d'agrément présentée en vue d'une adoption, mais se vit refuser l'exequatur d'un jugement péruvien qui avait prononcé, à l'issue d'une procédure rigoureuse, une adoption plénière et qui avait, de surcroît, été déclaré exécutoire au Pérou.
123.  Que l'on aborde la question sous l'angle d'une obligation positive de l'Etat – adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l'individu en vertu du paragraphe 1 de l'article 8 – ou sous celui d'une obligation négative – une « ingérence d'une autorité publique », à justifier selon le paragraphe 2 – , les principes applicables sont assez voisins. Bien que le refus par les tribunaux luxembourgeois d'accorder l'exequatur du jugement péruvien résulte de l'absence dans la législation luxembourgeoise de dispositions permettant à une personne non mariée d'obtenir l'adoption plénière d'un enfant, la Cour estime que ce refus a représenté en l'espèce une « ingérence  » dans le droit au respect de la vie familiale des requérantes (voir, mutatis mutandis, Hussin c. Belgique, no 70807/01, 6 mai 2004).
124.  Pareille ingérence méconnaît l'article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre. La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché.
125.  En l'espèce, la Cour constate que l'ingérence était incontestablement fondée sur les articles 367 et 370 du code civil luxembourgeois, et donc « prévue par la loi ».
126.  Aux yeux de la Cour, il n'y a pas lieu de douter que le refus d'exequatur du jugement d'adoption péruvien tendait à protéger « la santé et la morale » et les « droits et libertés » de l'enfant. En effet, il n'apparaît pas déraisonnable que les autorités luxembourgeoises fassent preuve de prudence lorsqu'elles vérifient si l'adoption a été rendue en conformité avec les règles luxembourgeoises de conflits de lois. A ce sujet, la Cour rappelle les termes de la Recommandation 1443 (2000) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, intitulée « Pour un respect des droits de l'enfant dans l'adoption internationale » (paragraphe 42 ci-dessus).
127.  Pour apprécier la « nécessité » des mesures litigieuses « dans une société démocratique », la Cour examinera, à la lumière de l'ensemble de l'affaire, si les motifs invoqués pour les justifier sont pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l'article 8 (voir, parmi d'autres, Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 65, CEDH 2002-I).
128.  La Cour rappelle d'emblée que dans le domaine en litige les Etats contractants jouissent d'une large marge d'appréciation (voir, mutatis mutandis, Stjerna c. Finlande, arrêt du 25 novembre 1994, série A no 299-B, § 39). En outre, la Cour n'a point pour tâche de se substituer aux autorités luxembourgeoises compétentes pour définir la politique la plus opportune en matière de réglementation d'adoption d'enfants, mais d'apprécier sous l'angle de la Convention les décisions qu'elles ont rendues dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation (voir, entre autres, Hokkanen c. Finlande, arrêt du 23 septembre 1994, série A no 299-A, § 55, et Stjerna, précité, § 39). L'étendue de la marge d'appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte; la présence ou absence d'un dénominateur commun aux systèmes juridiques des Etats contractants peut constituer un facteur pertinent à cet égard (voir, mutatis mutandis, Rasmussen c. Danemark, arrêt du 28 novembre 1984, série A no 87, § 40).
129.  La Cour observe qu'en la matière la situation se trouve à un stade avancé d'harmonisation en Europe. En effet, une étude de la législation des Etats membres révèle que l'adoption par les célibataires est permise sans limitation dans la majorité des quarante-six pays (paragraphe 70 ci-dessus).
130.  En l'espèce, une pratique existait avant les faits litigieux, selon laquelle les jugements péruviens ayant prononcé une adoption plénière étaient reconnus de plein droit au Luxembourg. Ainsi – et le Gouvernement ne le conteste pas -, plusieurs femmes célibataires avaient pu transcrire un tel jugement sur les registres de l'état civil luxembourgeois sans en demander l'exequatur. La première requérante entreprit dès lors ses démarches de bonne foi en vue d'une adoption au Pérou. L'intéressée ayant suivi toutes les règles imposées par la procédure péruvienne, le juge prononça l'adoption plénière de la deuxième requérante. Une fois au Luxembourg, les requérantes pouvaient légitimement s'attendre à ce que l'officier de l'état civil procédât à la transcription du jugement péruvien. Toutefois, la pratique de la transcription des jugements avait subitement été abrogée et leur dossier fut soumis à l'examen des autorités judiciaires luxembourgeoises.
131.  Celles-ci rejetèrent la demande d'exequatur présentée par les requérantes en se fondant sur une application des règles luxembourgeoises de conflits de lois qui prévoient que les conditions pour adopter sont régies par la loi nationale de l'adoptant, en l'occurrence l'article 367 du code civil qui dispose que l'adoption plénière peut être demandée seulement par deux époux. Les juges en conclurent qu'il était superflu d'examiner les autres conditions de l'exequatur, parmi lesquelles figure la conformité à l'ordre public international.
132.  La Cour estime que la décision de refus d'exequatur omet de tenir compte de la réalité sociale de la situation. Aussi, dès lors que les juridictions luxembourgeoises n'ont pas admis officiellement l'existence juridique des liens familiaux créés par l'adoption plénière péruvienne, ceux-ci ne déploient pas pleinement leurs effets au Luxembourg. Les requérantes en subissent des inconvénients dans leur vie quotidienne et l'enfant ne se voit pas accorder une protection juridique rendant possible son intégration complète dans la famille adoptive.
133.  Rappelant que c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit primer dans ce genre d'affaires (voir, mutatis mutandis, Maire, précité, § 77), la Cour estime que les juges luxembourgeois ne pouvaient raisonnablement passer outre au statut juridique créé valablement à l'étranger et correspondant à une vie familiale au sens de l'article 8 de la Convention. Cependant, les autorités nationales ont refusé une reconnaissance de cette situation en faisant prévaloir les règles de conflit luxembourgeoises sur la réalité sociale et sur la situation des personnes concernées, pour appliquer les limites que la loi luxembourgeoise pose à l'adoption plénière.
134.  Le Gouvernement expose que le législateur a érigé des limites à l'adoption plénière, afin que celle-ci – emportant une césure définitive avec la famille d'origine de l'adopté et une rentrée pleine et entière dans la nouvelle famille – ne porte pas préjudice à l'enfant adopté. Dans les circonstances de l'espèce, cet argument ne saurait convaincre la Cour. En effet, la deuxième requérante ayant été déclarée abandonnée et placée dans un orphelinat au Pérou, c'est justement l'intérêt de l'enfant qui s'opposait au refus de reconnaissance du jugement d'adoption péruvien.
A ce sujet, la Cour note d'ailleurs qu'une chambre de la Cour d'appel a récemment pris en considération l'intérêt supérieur de l'enfant et a décidé, dans un contexte juridique et factuel légèrement différent, qu'un jugement d'adoption péruvien prononcé au bénéfice d'une femme luxembourgeoise devait être reconnu de plein droit. Dans l'arrêt en question, les magistrats ont insisté, entre autres, sur la nécessité de donner à l'enfant le statut le plus favorable. Ils ont précisé par ailleurs que la circonstance que la décision péruvienne produisait les effets d'une adoption plénière luxembourgeoise, notamment par la rupture du lien de filiation préexistant de l'enfant et par son caractère irrévocable, ne portait pas atteinte à l'ordre public international luxembourgeois (paragraphe 65 ci-dessus).
135.  La Cour arrive à la conclusion qu'en l'espèce les juges luxembourgeois ne pouvaient raisonnablement refuser la reconnaissance des liens familiaux qui préexistaient de facto entre les requérantes et se dispenser ainsi d'un examen concret de la situation. Rappelant par ailleurs que la Convention est « un instrument vivant, à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles » (voir, parmi d'autres, Johnston et autres, précité, § 53), elle estime que les motifs invoqués par les autorités nationales – à savoir l'application stricte, conformément aux règles luxembourgeoises de conflits de lois, de l'article 367 du code civil qui réserve l'adoption plénière aux époux – ne sont pas « suffisants » aux fins du paragraphe 2 de l'article 8.
136.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 8
137.  Les requérantes allèguent que le refus d'exequatur du jugement d'adoption péruvien constitue une violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8, ces derniers se lisant ainsi qu'il suit :
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Article 8
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). »
A.  Thèses des parties
1.  Les requérantes
138.  Les requérantes soutiennent en premier lieu que l'enfant, qui n'a pas choisi sa situation, fait l'objet d'une discrimination injustifiée. Bien qu'une mère d'adoption lui ait été désignée en âme et conscience et selon un processus bien organisé par les autorités de son pays d'origine, le lien adoptif est nié par les tribunaux luxembourgeois. La mineure subirait ainsi une discrimination par rapport à un autre enfant péruvien qui aurait été adopté par des époux luxembourgeois et qui se serait vu reconnaître le lien de filiation au Luxembourg, même si, par la suite, le couple s'était séparé ou si un des parents était décédé.
139.  Le refus d'exequatur exposerait la deuxième requérante à des ennuis au quotidien. Par exemple, n'ayant pas la nationalité luxembourgeoise, elle est obligée de se munir d'un visa pour se rendre en Suisse, alors que les ressortissants communautaires n'en ont pas besoin. Les problèmes quotidiens ne seraient par ailleurs pas résolus par le fait qu'elle a bénéficié entre-temps d'une adoption simple, dans la mesure où le traitement juridique qui s'ensuit continuerait à jouer en sa défaveur.
140.  Quant à la première requérante, elle affirme subir au quotidien, par ricochet, les ennuis de son enfant. Ainsi, elle doit notamment accomplir toutes les démarches administratives causées par la non-obtention de la nationalité luxembourgeoise de l'enfant.
141.  Ensuite, elle estime subir, en tant que célibataire, une discrimination par rapport à une personne mariée qui formerait un projet d'adoption. En effet, selon elle, pour une simple question d'état civil, une personne non mariée qui a des capacités éducatives comparables à une personne mariée voit restreindre son accès à la possibilité d'adopter. Or le fait d'être marié ne donnerait pas de meilleures garanties à l'enfant adopté. Aussi, la première requérante soutient que la distinction qui repose sur une question d'état civil n'est pas fondée sur un critère pertinent. Selon elle, le seul critère vraiment pertinent en la matière devrait être celui des capacités éducatives de l'adoptant.
142.  Enfin, la première requérante ne voit pas de justification à l'interdiction faite aux célibataires de procéder à une adoption plénière, puisqu'une adoption simple est, par ailleurs, ouverte à ces mêmes célibataires. Elle se demande pourquoi les conséquences d'une adoption plénière par une personne célibataire, jugées néfastes pour l'enfant par les autorités nationales, disparaîtraient lorsqu'on se contente d'une adoption simple.
2.  Le Gouvernement
143.  Le Gouvernement - rappelant que l'article 14 de la Convention n'a pas d'existence indépendante - conclut à l'absence de violation de cette disposition, dans la mesure où l'article 8 de la Convention n'a, à son avis, pas été violé.
144.  A titre subsidiaire, le Gouvernement estime que la deuxième requérante ne saurait faire valoir une discrimination dans son chef, sa situation étant identique à celle d'autres enfants luxembourgeois et étrangers.
145.  Quant à la première requérante, elle ne peut pas non plus, selon le Gouvernement, prétendre être victime d'une violation de l'article 14. Il y a bien une différence de régime entre l'adoption simple et l'adoption plénière, mais cette différence ne serait pas discriminatoire dès lors qu'elle est la conséquence du statut des parents, mariés ou célibataires, au regard de la législation nationale.
146.  Selon le Gouvernement, le refus de reconnaître le jugement étranger portant adoption plénière d'un enfant par une personne célibataire poursuit comme but légitime celui de la protection de l'enfant. Il s'agirait en effet de lui donner toutes les chances de grandir dans sa nouvelle famille en présence de deux parents pouvant l'aider à s'épanouir pleinement.
147.  Le refus serait également proportionné au but visé, puisqu'il ne constituerait pas pour l'adoptante et l'adoptée un obstacle à une adoption simple. La justification de la différence entre les deux régimes d'adoption serait objective et raisonnable, en ce qu'elle se fonde sur l'idée que deux parents seraient mieux à même d'entourer un enfant – souvent étranger et donc déraciné – fraîchement entré, par une adoption plénière, dans sa nouvelle famille. A cet égard, le Gouvernement souligne que « l'Etat doit veiller à ce que les personnes choisies comme adoptantes soient celles qui puissent lui offrir, sur tous les plans, les conditions d'accueil les plus favorables » (Fretté, précité, § 42) et que la Cour n'a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer la prise en charge d'enfants et les droits des parents de ces enfants, mais d'apprécier sous l'angle de la Convention les décisions qu'elles ont rendues dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation (Hokkanen, précité, § 55).
B.  Appréciation de la Cour
1.  Applicabilité de l'article 14 de la Convention
148.  D'après la jurisprudence constante de la Cour, l'article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante, puisqu'il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu'elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins desdites clauses (voir, parmi beaucoup d'autres, Mizzi c. Malte, no 26111/02, § 126, CEDH 2006-... (extraits) ; Van Raalte c. Pays-Bas, arrêt du 21 février 1997, Recueil 1997-I, § 33).
149.  En l'espèce, la Cour a déclaré l'article 8 de la Convention applicable (paragraphe 117 ci-dessus) et a même conclu à une violation de ladite disposition (paragraphe 136 ci-dessus). Dès lors, les faits relèvent de l'article 8 de la Convention et l'article 14 de la Convention peut s'appliquer en combinaison avec lui (voir, mutatis mutandis, Mizzi, précité, §§ 127 et 128).
2.  Observation de l'article 14 de la Convention
150.  La Cour rappelle que, dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l'article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (Mazurek c. France, no 34406/97, § 46, CEDH 2000-II).
151.  En l'espèce, la deuxième requérante est dans une situation analogue à celle de n'importe quel enfant qui a bénéficié au Pérou d'un jugement d'adoption plénière entraînant la rupture des liens avec sa famille d'origine et dont l'adoptant a demandé l'exequatur sous l'angle du droit luxembourgeois. Quant à la première requérante, elle est dans une situation comparable à celle de toute autre personne sollicitant la reconnaissance au Luxembourg d'un jugement d'adoption plénière rendu en sa faveur au Pérou.
152.  Au regard de l'article 14 de la Convention, une distinction est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s'il n'y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (voir, notamment, Karlheinz Schmidt c. Allemagne, arrêt du 18 juillet 1994, série A no 291-B, § 24 ; Mazurek, précité, § 48).
153.  La Cour estime, pour les raisons exposées plus haut (paragraphe 126 ci-dessus), qu'il ne peut être exclu que le but invoqué par le Gouvernement puisse être considéré comme légitime.
154.  Reste la question de savoir, pour ce qui est des moyens employés, si l'instauration d'une différence de traitement entre les enfants, selon qu'ils se voient reconnaître ou non au Luxembourg le jugement étranger d'adoption plénière, apparaît proportionnée et adéquate au but poursuivi.
155.  Malgré le fait que la première requérante ait suivi de bonne foi toutes les démarches prévues par la procédure péruvienne et que, par ailleurs, l'assistante sociale ait émis un avis favorable quant à l'adoption au Luxembourg (paragraphe 14 ci-dessus), le jugement d'adoption plénière rendu au Pérou n'a pas été reconnu par les autorités luxembourgeoises. Ce refus d'exequatur a pour conséquence que la deuxième requérante subit au quotidien une différence de traitement par rapport à un enfant dont l'adoption plénière étrangère est reconnue au Luxembourg. Force est en effet de constater en l'espèce que, d'une part, les liens de l'enfant sont rompus avec sa famille d'origine, mais que, d'autre part, aucun lien de substitution plein et entier n'existe avec sa mère adoptive. L'intéressée se retrouve dès lors dans un vide juridique, qui n'a d'ailleurs pas été comblé par le fait qu'une adoption simple a été accordée entre-temps (paragraphe 40 ci-dessus).
156.  Il s'ensuit notamment que, faute d'avoir acquis la nationalité luxembourgeoise, la deuxième requérante ne bénéficie pas, par exemple, de la préférence communautaire ; si elle souhaitait faire un apprentissage professionnel, elle n'obtiendrait aucune autorisation de travail tant qu'il n'aurait pas été prouvé qu'un candidat équivalent n'a pu être trouvé sur le marché du travail de l'Union européenne. Ensuite et surtout, depuis plus de dix ans, la mineure doit se voir délivrer régulièrement des autorisations de séjour au Luxembourg et se procurer un visa pour se rendre dans certains pays, en particulier en Suisse. Quant à la première requérante, elle subit au quotidien, par ricochet, les inconvénients causés à son enfant, dans la mesure où elle doit notamment accomplir toutes les démarches administratives engendrées par la non-obtention de la nationalité luxembourgeoise de la mineure.
157.  La Cour ne trouve, en l'espèce, aucun motif de nature à justifier pareille discrimination. Cette conclusion s'impose d'autant plus qu'avant les faits litigieux d'autres enfants péruviens adoptés par des mères célibataires ont obtenu un jugement d'adoption plénière de plein droit au Luxembourg. Par ailleurs, la Cour se doit de rappeler qu'une chambre de la Cour d'appel a récemment décidé, dans un contexte juridique et factuel légèrement différent, qu'une décision d'adoption péruvienne prononcée au bénéfice d'une femme luxembourgeoise devait être reconnue de plein droit (paragraphe 65 ci-dessus).
158.  En tout état de cause, la Cour estime que la deuxième requérante ne saurait se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables (voir, mutatis mutandis, Mazurek, précité, § 54) : or il faut constater que l'intéressée – de par son statut d'enfant adoptée par une mère célibataire luxembourgeoise qui ne se voit pas reconnaître au Luxembourg les liens familiaux créés par le jugement étranger – se trouve pénalisée dans sa vie quotidienne (paragraphe 156 ci-dessus).
159.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu'il n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
160.  Partant, il y a eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8.
IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
161.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
162.  La première requérante demande un dédommagement pour les démarches administratives qu'elle a effectuées afin d'obtenir « les renouvellements des autorisations de séjour, les visas et papiers divers en faveur de son enfant adoptée ». Elle produit à cet égard différentes lettres échangées avec le ministère de la Justice luxembourgeois. Elle demande à la Cour d'« évaluer ce poste ex aequo et bono ».
163.  Le Gouvernement conteste que ce chef de la demande corresponde à un dommage matériel. A supposer qu'il s'agisse d'une demande en réparation d'un dommage moral, le Gouvernement estime qu'il n'y a aucun lien de causalité entre le préjudice allégué et une violation de la Convention.
164.  La Cour estime qu'il ne saurait raisonnablement être contesté qu'à défaut de reconnaissance du jugement péruvien la première requérante a dû effectuer de multiples démarches administratives au Luxembourg en vue de l'obtention d'autorisations de séjour et de visas pour son enfant adoptive, sans nécessairement avoir l'espoir qu'elles aboutissent. Partant, la Cour est d'avis que la première requérante a subi un préjudice moral auquel les constats de violation de la Convention figurant dans le présent arrêt ne suffisent pas à remédier (voir, mutatis mutandis, Cianetti c. Italie, no 55634/00, § 53, 22 avril 2004). Eu égard aux circonstances de la cause et statuant sur une base équitable comme le veut l'article 41 de la Convention, elle décide d'octroyer à la première requérante la somme de 2 500 euros (EUR), plus tout autre montant pouvant être dû à titre d'impôt.
165.  Ensuite, la première requérante réclame, en la qualifiant de « frais d'huissier et frais de justice », la somme de 1 061,98 EUR pour la traduction du jugement péruvien, d'une part, et les frais de signification des actes de procédure internes, d'autre part. Selon la Cour, pareils frais relèvent, à les supposer justifiés, du dommage matériel (voir, mutatis mutandis, Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, § 70, CEDH 2001-III).
166.  Le Gouvernement conteste cette demande, arguant qu'elle n'est pas justifiée par des pièces.
167.  La Cour rappelle que, d'après sa jurisprudence, une somme versée à titre de réparation d'un dommage n'est recouvrable que si un lien de causalité est établi entre la violation de la Convention et le dommage subi (voir, par exemple, Colombani et autres c. France, no 51279/99, § 74, CEDH 2002-V).
En l'espèce, la Cour note qu'une « traduction du jugement péruvien » aurait, dans tous les cas, dû être effectuée en vue de la transcription du jugement étranger sur les registres de l'état civil (voir, à ce sujet, la pratique décrite par les requérantes, non contestée par le Gouvernement, au paragraphe 102 ci-dessus). Ainsi, ce poste, d'un montant de 347,05 EUR, ne saurait être pris en compte au titre de la réparation du dommage matériel.
En revanche, force est constater que les autres chefs de la demande énumérés sous la rubrique « frais d'huissier et frais de justice » – à savoir les frais de signification des actes de procédure interne – n'auraient pas incombé à la première requérante si elle avait pu faire transcrire directement le jugement péruvien sur le registre de l'état civil. La Cour note que les frais de signification des actes de procédure sont obligatoires en droit luxembourgeois pour la recevabilité des procédures en cause. Par ailleurs, elle observe que ces chefs de la demande sont étayés par les documents soumis à la Cour lors de l'introduction de la requête. Dans ces circonstances, la somme à accorder à la première requérante au titre du préjudice matériel est de 715 EUR, plus tout autre montant pouvant être dû à titre d'impôt.
B.  Frais et dépens
168.  La Cour rappelle que les frais de signification des actes de procédure interne doivent être considérés comme un dommage matériel et ont été examinés sous cette rubrique (paragraphes 165 à 167 ci-dessus).
169.  Au titre des frais et dépens afférents à sa représentation en justice devant les juridictions internes et devant la Cour, la première requérante réclame une somme de 46 460,08 EUR, tout en précisant que seule une provision de 8 149,29 EUR a été payée à l'heure actuelle. Elle sollicite également le remboursement des frais de secrétariat, qui s'élèvent à 5 610,10 EUR.
170.   Le Gouvernement conteste cette demande. Il estime en premier lieu que seules les sommes réellement payées peuvent être remboursées au titre des honoraires d'avocat. Ensuite, pour ce qui est des frais de secrétariat, il expose principalement qu'ils sont inclus dans les honoraires et, subsidiairement, qu'ils sont excessifs.
171.  La Cour rappelle qu'un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V). En l'espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d'accorder à la première requérante les sommes de 8 150 EUR au titre des honoraires et 5 610 EUR au titre des frais de secrétariat, soit un total de 13 760 EUR, plus tout autre montant pouvant être dû à titre d'impôt.
C.  Intérêts moratoires
172.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 de la Convention ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;
3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8 ;
4.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser à la première requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i.  715 EUR (sept cent quinze euros) pour dommage matériel,
ii.  2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) pour dommage moral,
iii.  13 760 EUR (treize mille sept cent soixante euros) pour frais et dépens,
iv.  tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 juin 2007, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Christos Rozakis   Greffier Président
ARRÊT WAGNER ET J.M.W.L. c. LUXEMBOURG
ARRÊT WAGNER ET J.M.W.L. c. LUXEMBOURG 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 76240/01
Date de la décision : 28/06/2007
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6 ; Violation de l'art. 8 ; Violation de l'art. 14+8 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédures nationale et de la Convention

Analyses

(Art. 14) AUTRE SITUATION, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) JUSTIFICATION OBJECTIVE ET RAISONNABLE, (Art. 14) SITUATION COMPARABLE, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE, (Art. 8-2) INGERENCE, (Art. 8-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 8-2) PROTECTION DE LA MORALE, (Art. 8-2) PROTECTION DE LA SANTE


Parties
Demandeurs : WAGNER ET J.M.W.L.
Défendeurs : LUXEMBOURG

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-06-28;76240.01 ?
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