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26/07/2007 | CEDH | N°3688/04

CEDH | AFFAIRE WEBER c. SUISSE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE WEBER c. SUISSE
(Requête no 3688/04)
ARRÊT
STRASBOURG
26 juillet 2007
DÉFINITIF
26/10/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Weber c. Suisse,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Loucaides,   Mme N. Vajić,   M. A. Kovler,   Mme E. Steiner,   MM. S.E. Jebens

,    G. Malinverni, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du ...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE WEBER c. SUISSE
(Requête no 3688/04)
ARRÊT
STRASBOURG
26 juillet 2007
DÉFINITIF
26/10/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Weber c. Suisse,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Loucaides,   Mme N. Vajić,   M. A. Kovler,   Mme E. Steiner,   MM. S.E. Jebens,    G. Malinverni, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juillet 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 3688/04) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet Etat, M. Julien Weber (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 janvier 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me J. Lob, avocat à Lausanne. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. F. Schürmann, chef de la section des droits de l'homme et du Conseil de l'Europe à l'Office fédéral de la justice.
3.  Le requérant allègue que son placement en détention ne reposait pas sur une base légale au sens de l'article 5 § 1 de la Convention.
4.  Le 23 octobre 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5.  Le requérant est né en 1979. Il est actuellement détenu à la prison de La Tuilière, à Lonay, dans le canton de Vaud.
6.  Par un jugement du 26 juin 2002, le tribunal correctionnel de l'arrondissement de l'Est vaudois (le tribunal correctionnel) reconnut le requérant coupable de diverses infractions : lésions corporelles, menaces, brigandage, violences et menaces contre les autorités et des fonctionnaires. Le requérant fut condamné à deux ans d'emprisonnement, avec déduction de deux cent vingt-cinq jours de détention préventive. Cette peine complétait une condamnation prononcée le 4 septembre 2000 par le tribunal de Berne-Laupen. Le tribunal correctionnel révoqua, en outre, un sursis accordé au requérant le 17 mai 1999 par la chambre pénale de la cour de justice de Genève pour une condamnation à trente jours d'emprisonnement moins six jours de détention préventive.
7.  En application de l'article 43 § 2 alinéa 2 du code pénal suisse (paragraphe 17 ci-dessous), le tribunal correctionnel suspendit l'exécution des peines au profit d'un traitement médico-social ambulatoire.
8.  Etant donné que le requérant, en dépit de plusieurs avertissements, ne se soumettait pas au traitement et que sa santé mentale se dégradait, le service pénitentiaire du canton de Vaud (le service pénitentiaire) demanda, le 14 février 2003, au président du tribunal correctionnel de révoquer la suspension de l'exécution des peines et d'ordonner le remplacement du traitement ambulatoire par un placement en établissement spécialisé.
9.  Le magistrat saisi convoqua le requérant à l'audience du tribunal correctionnel du 11 septembre 2003. Selon le procès-verbal alors établi, le requérant tenait des propos incohérents et se trouvait « manifestement en décompensation ». Le président ordonna son arrestation immédiate et son placement en détention préventive en raison du risque de récidive. Le tribunal correctionnel le considéra comme hors d'état de comparaître et de se prononcer sur les mesures envisageables ; l'audience fut par conséquent reportée.
10.  Le 26 septembre 2003, le président du tribunal correctionnel rejeta une demande de mise en liberté du requérant.
11.  Cette décision fut confirmée en appel par le tribunal d'accusation du tribunal cantonal (le tribunal cantonal) le 9 octobre 2003. Le tribunal cantonal examina en premier lieu s'il avait compétence pour statuer sur la question de la mise en liberté provisoire du requérant. Il déclara :
« Attendu, liminairement, qu'aucune enquête pénale n'est actuellement en cours à l'encontre du recourant,
que l'affaire no PE00.011595-PVE a été close le 26 juin 2002 par jugement du tribunal correctionnel, devenu par la suite définitif et exécutoire,
que la compétence du Tribunal d'accusation prend fin en règle générale soit avec la clôture définitive de l'instruction, soit avec la saisie de l'autorité de jugement,
qu'elle s'étend toutefois au-delà de cette limite dans les cas prévus à l'article 295 lettres b à e CPP (...),
que la jurisprudence offre ainsi de nombreux exemples de recours examinés par le Tribunal d'accusation, notamment en matière de détention préventive (...),
qu'en l'espèce, après avoir procédé à un échange de vues avec la Cour de cassation pénale, le Tribunal d'accusation a considéré que la situation du recourant, détenu préventivement dans l'attente de la décision du tribunal d'arrondissement sur la révocation de la suspension de peine présentait en l'espèce un certain parallélisme avec celle de l'accusé détenu préventivement pendant la phase des débats,
que, s'agissant de détention préventive, domaine sur lequel le Tribunal d'accusation exerce sa haute surveillance (art. 61 CPP), le tribunal de céans a dès lors admis sa compétence pour statuer sur la question de la mise en liberté provisoire de Julien Weber (...) »
12.  Quant au fond, le tribunal cantonal conclut que le risque de récidive de la part du requérant était concret, et que son maintien en détention était proportionné et par conséquent justifié.
13.  A la suite du rejet de son appel, le requérant adressa personnellement au Tribunal fédéral un recours tendant à la levée de son incarcération. La motivation de ce recours révéla que son auteur n'était pas en mesure de prendre lui-même les dispositions nécessaires à la défense efficace de ses droits, de sorte que, par une décision du 18 novembre 2003, le Tribunal fédéral désigna Me J. Lob en qualité d'avocat du requérant.
14.  Ainsi conseillé, le requérant déposa un mémoire complétif. Il demanda au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du tribunal cantonal et d'ordonner sa mise en liberté immédiate. Il fit valoir qu'aucune enquête pénale n'était alors en cours contre lui et que la détention préventive était donc illégale, même s'il existait un risque de nouvelles infractions. Il soutint qu'une privation de liberté à des fins d'assistance, régie par le code civil, était seule envisageable, et que cette mesure ne relevait aucunement des organes de la justice pénale.
15.  Le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public par un arrêt du 22 décembre 2003. Il constata que la procédure ouverte par la demande du service pénitentiaire du 14 février 2003 était une procédure postérieure au jugement, prévue par l'article 43 § 3 du code pénal suisse, ainsi que, en droit cantonal, par les articles 482 et 483 du code vaudois de procédure pénale (CPP/VD) (paragraphes 17 et 18 ci-dessous). Il admit que ces deux dernières dispositions étaient très sommaires et ne comportaient aucune allusion à une éventuelle détention préventive. Il ajouta que la plus récente des poursuites pénales exercées contre le requérant avait en principe pris fin avec le jugement du 26 juin 2002, de sorte qu'on ne pouvait plus parler de « prévenu » ni de « présomption de culpabilité » selon les termes de l'article 59 CPP/VD. Néanmoins, il considéra que ces dispositions pouvaient servir de base légale à la détention litigieuse. Le Tribunal fédéral se référa à sa jurisprudence antérieure, selon laquelle il était raisonnable d'interpréter de telles dispositions comme permettant aussi une détention postérieure au jugement, parce qu'on ne pouvait attendre du législateur qu'il envisage précisément toutes les situations possibles et que, même à ce stade de la procédure, la détention préventive constituait le moyen adéquat de garantir l'exécution éventuelle d'un internement ou d'un traitement en établissement. De plus, le Tribunal fédéral releva que la procédure ouverte à la requête du service pénitentiaire pouvait aboutir à un nouveau jugement qui modifierait, le cas échéant, celui déjà intervenu sur l'action pénale relativement aux mesures de sûreté et à l'exécution des peines suspendues. Il considéra, dès lors, que le requérant se trouvait replacé dans la situation procédurale qui était la sienne entre son renvoi devant le tribunal correctionnel et le premier jugement, et qui comportait l'assujettissement aux règles sur la détention préventive. Vu la dégradation de la santé du requérant, le Tribunal fédéral ajouta qu'il était hautement vraisemblable que le tribunal correctionnel remplacerait le traitement ambulatoire par une mesure qui comporterait pour le requérant une privation de liberté. Quant à l'intérêt public poursuivi par la détention préventive, le Tribunal fédéral soutint que les infractions propres à justifier une atteinte à la liberté personnelle du requérant étaient établies par le jugement du 26 juin 2002. Se référant au risque que le requérant ne commette de nouvelles infractions, il estima enfin que la détention préventive était proportionnée.
16.  Par un jugement du 22 janvier 2004, le tribunal correctionnel révoqua la suspension de la peine qu'il avait lui-même prononcée à l'encontre du requérant le 26 juin 2002 et ordonna l'exécution de la peine de deux ans d'emprisonnement avec déduction des 360 jours de détention préventive, dont 226 jours purgés avant le jugement du 26 juin 2002 et 134 jours correspondant à la détention préventive litigieuse (du 11 septembre 2003 au 22 janvier 2004), et de 30 jours assimilables à une privation de liberté, dans le cadre du traitement ambulatoire. Le tribunal correctionnel révoqua également la suspension de la peine prononcée à l'encontre du requérant le 17 mai 1999 par la chambre pénale de la cour de justice de Genève et ordonna l'exécution de cette peine de trente jours d'emprisonnement avec déduction de six jours de détention préventive.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Le droit fédéral
17.  A l'époque des faits (des modifications de toute la partie générale du code pénal sont entrées en vigueur le 1er janvier 2007), l'article 43 du code pénal suisse du 21 décembre 1937, entré en vigueur le 1er janvier 1942 (RS 311.0), disposait :
« Chapitre premier : Les différentes peines et mesures
Article 43 – Mesures concernant les délinquants anormaux
1.  Lorsque l'état mental d'un délinquant ayant commis, en rapport avec cet état, un acte punissable de réclusion ou d'emprisonnement en vertu du présent code, exige un traitement médical ou des soins spéciaux et a l'effet d'éliminer ou d'atténuer le danger de voir le délinquant commettre d'autres actes punissables, le juge pourra ordonner le renvoi dans un hôpital ou un hospice. Il pourra ordonner un traitement ambulatoire si le délinquant n'est pas dangereux pour autrui.
Si, en raison de son état mental, le délinquant compromet gravement la sécurité publique et si cette mesure est nécessaire pour prévenir la mise en danger d'autrui, le juge ordonnera l'internement. Celui-ci sera exécuté dans un établissement approprié.
2.  En cas d'internement ou de placement dans un hôpital ou un hospice, le juge suspendra l'exécution d'une peine privative de liberté.
En cas de traitement ambulatoire, le juge pourra suspendre l'exécution de la peine si celle-ci n'est pas compatible avec le traitement. Dans ce cas, il pourra imposer au condamné des règles de conduite conformément à l'article 41, chiffre 2, et, au besoin, le soumettre au patronage.
3.  (...)
Lorsque le traitement ambulatoire paraît inefficace ou dangereux pour autrui et que l'état mental du délinquant nécessite néanmoins un traitement ou des soins spéciaux, le juge ordonnera le placement dans un hôpital ou un hospice. Lorsque le traitement dans un établissement est inutile, le juge décidera si et dans quelle mesure des peines suspendues seront exécutées.
Au lieu de l'exécution des peines, le juge pourra ordonner une autre mesure de sûreté, si les conditions en sont remplies. »
B.  Le droit cantonal
18.  Les articles 59, 482 et 483 du code vaudois de procédure pénale (CPP/VD) du 12 septembre 1967, entré en vigueur le 1er avril 1968 (RS VD 312.01), prévoient :
« Section III : Le prévenu
Sous-Section I : Arrestation et détention préventive
Article 59 – Détention préventive
a)  conditions
1  Le prévenu à l'égard duquel il existe des présomptions suffisantes de culpabilité peut être mis en détention préventive :
1.  s'il présente un danger pour la sécurité ou l'ordre publics ;
2.  si sa fuite est à craindre ;
3.  si sa liberté offre des inconvénients sérieux pour l'instruction.
2  Dès que les motifs justifiant la détention préventive n'existent plus, le juge ordonne la mise en liberté.
3  Le prévenu peut en tout temps demander sa mise en liberté. (...).
Article 61 c) – Contrôle
1 Afin de permettre au Tribunal d'accusation d'exercer sa haute surveillance sur les conditions de la détention préventive et de contrôler l'existence de raisons la justifiant, le juge lui adresse un rapport circonstancié, la première fois au plus tard quatorze jours après l'arrestation, puis de mois en mois.
Chapitre I : De l'exécution
Section II : Décisions postérieures au jugement
Article 482 – Compétence du président du tribunal
1  Sauf disposition contraire, le président du tribunal qui a statué prend les décisions qui doivent être rendues après le jugement et que la loi met dans la compétence du juge.
Article 483 – Prononcé
1  Le président statue à bref délai, après avoir cité l'intéressé à comparaître à son audience.
2  Il ordonne toutes les mesures d'instruction nécessaires.
C.  La jurisprudence du Tribunal fédéral
19.  Dans un arrêt du 25 juin 2002 (arrêt publié au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral (ATF 128 I 184)), le Tribunal fédéral a été amené à examiner une affaire zurichoise qui concernait également l'incarcération d'une personne postérieurement au jugement. Dans cette affaire, l'autorité administrative compétente avait requis la suspension du traitement ambulatoire et le placement de l'intéressé dans un établissement médical. En attendant le résultat de la procédure judiciaire consécutive à cette requête, l'intéressé, qui avait entretemps purgé sa peine, fut placé en détention préventive sur la base d'une disposition cantonale analogue à l'article 59 CPP/VD et destinée, elle aussi, selon ses termes, à régir la détention imposée au prévenu jusqu'au jugement sur l'action pénale et, en particulier, sur sa culpabilité.
Le Tribunal fédéral jugea raisonnable d'interpréter cette disposition comme permettant aussi une détention pendant la procédure de décision postérieure au jugement. Il argua que l'on ne pouvait pas attendre du législateur qu'il envisage précisément toutes les situations possibles et que, même à ce stade de la procédure, la détention préventive constituait le meilleur moyen de garantir l'exécution éventuelle d'un internement ou d'un traitement en établissement. Dans cette affaire, l'incarcération a donc été jugée légale, au regard de la disposition cantonale alors examinée, dans la mesure où la procédure en cours devait aboutir de façon suffisamment vraisemblable à une mesure de ce genre et qu'au moins un des motifs de détention explicitement prévus dans la loi était réalisé.
Cette jurisprudence fut confirmée par les arrêts 1P.359/2005 du 4 juillet 2005 concernant le canton de Berne et 1P.13/2006 du 24 janvier 2006 concernant le canton de Bâle-Ville.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
20.  Le requérant allègue que son placement en détention, ordonné le 11 septembre 2003 par le président du tribunal correctionnel, ne reposait pas sur une base légale suffisante au sens de l'article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a)  s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
b)  s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi ;
c)  s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;
d)  s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l'autorité compétente ;
e)  s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond ;
f)  s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours. »
A.  Sur la recevabilité
21.  La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B.  Sur le fond
1.  Arguments des parties
22.  Le requérant fait valoir que l'article 59 du CPP/VD ne permettait pas de fonder son placement en détention, ordonné le 11 septembre 2003 par le président du tribunal correctionnel. Il dénonce une violation de l'article 5 § 1 de la Convention à raison de l'absence d'une base légale pertinente.
23.  Le requérant relève que le tribunal cantonal ainsi que le Tribunal fédéral ont confirmé qu'aucune enquête pénale n'était en cours à son encontre à l'époque de son placement en détention préventive. Etant donné qu'on ne saurait dès lors parler de « prévenu » ou de « présomptions de culpabilité », le requérant considère comme inadmissible l'interprétation extensive qui a été donnée de l'article 59 CPP/VD. Il soutient que, pour qu'une atteinte aussi grave que la mise en détention préventive soit régulière, il convient que la disposition légale la justifiant ne soit pas sujette à interprétation et qu'elle soit suffisamment claire pour que le justiciable puisse se rendre compte sans aucun doute possible de la sanction qui le menace. Le requérant conclut donc que l'application de la disposition régissant la détention préventive à son égard était illégale, même s'il existait un risque de récidive. Il soutient qu'une privation de liberté à des fins d'assistance, régie par le code civil, était seule envisageable, et que cette mesure ne relevait aucunement des organes de la justice pénale.
24.  Le Gouvernement souligne que seule la légalité de la détention est litigieuse en l'espèce et que le requérant ne fait pas valoir que sa privation de liberté n'aurait pas été nécessaire ou qu'elle n'était pas justifiée par l'un des motifs indiqués à l'article 5 § 1 de la Convention.
25.  Le Gouvernement soutient que la détention litigieuse était conforme au droit interne. Il avance que l'article 59 CPP/VD, même s'il s'applique avant tout au « prévenu » à l'égard duquel il existe des « présomptions de culpabilité », constitue néanmoins une base légale suffisante au regard de l'article 5 § 1 de la Convention pour justifier la détention d'un accusé condamné à une peine privative de liberté suspendue au profit d'un traitement médico-social ambulatoire jusqu'à ce qu'une décision définitive soit prise quant au remplacement de cette mesure par un placement en établissement spécialisé.
26.  Eu égard au critère de prévisibilité, le Gouvernement constate que le Tribunal fédéral avait jugé, dans une affaire semblable concernant le canton de Zurich, que la disposition régissant la détention préventive pouvait raisonnablement être interprétée comme permettant aussi une détention pendant la procédure conduisant à une décision postérieure au jugement, puisqu'on ne pouvait pas attendre du législateur qu'il envisage précisément toutes les situations possibles et qu'au stade de cette procédure aussi, la détention préventive constituait le meilleur moyen de garantir l'exécution éventuelle d'un internement ou d'un traitement en établissement. Le Gouvernement relève que le Tribunal fédéral a confirmé sa jurisprudence par deux arrêts rendus en 2005 et 2006 et que tous ces arrêts étaient accessibles par Internet. Il est d'avis que la présente affaire se distingue en cela clairement de l'affaire Baranowski c. Pologne (no 28358/95, § 54, CEDH 2000-III), où le maintien en détention provisoire résultait uniquement d'une pratique ne reposant ni sur une disposition législative ni sur une jurisprudence particulière.
27.  Le Gouvernement observe que le Tribunal fédéral avait subordonné son approbation de la solution retenue à deux conditions, à savoir que la procédure conduisant à une décision postérieure au jugement aboutît de façon suffisamment vraisemblable à une mesure d'internement ou à un traitement en établissement, et qu'au moins un des motifs de détention explicitement prévus fût réalisé. Selon le Gouvernement, ces conditions étaient remplies en l'espèce, puisque la détention litigieuse était fondée sur les alinéas a), c) et e) de l'article 5 § 1 et que la procédure ouverte par la requête du service pénitentiaire a abouti à un nouveau jugement du tribunal correctionnel qui a révoqué, par décision du 22 janvier 2004, la suspension des peines prononcées à l'encontre du requérant. Ainsi, et même si la modification n'a porté que sur les mesures de sûreté à appliquer et sur l'exécution des peines suspendues, à l'exclusion du verdict de culpabilité et de l'appréciation de la peine correspondante, le requérant se serait retrouvé dans la même situation procédurale que celle qui était la sienne avant le premier jugement du tribunal correctionnel, ce qui justifiait d'appliquer les règles sur la détention préventive.
28.  De surcroît, le Gouvernement relève que, dans la terminologie des codes de procédure pénale de Suisse romande, il n'existe aucun terme spécifique pour désigner la détention ordonnée à la suite d'un jugement pénal sur le fond mais risquant d'être sujette à des modifications ultérieures. Selon le Gouvernement, ce type de « détention pour des motifs de sûreté » doit être soumis aux mêmes conditions que la détention préventive proprement dite.
29.  Le Gouvernement soutient que le requérant pouvait demander sa mise en liberté à tout moment auprès de l'autorité judiciaire. Il fait valoir que cela, ainsi que le fait qu'il existait une pratique jurisprudentielle, avait suffi à la Cour dans l'affaire Laumont c. France (no 43626/98, §§ 51-53, CEDH 2001-XI) pour conclure à l'absence de violation de l'article 5 § 1 de la Convention.
30.  Relevant, enfin, les points communs que cette requête présente avec l'affaire Eriksen c. Norvège (arrêt du 27 mai 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III), le Gouvernement conclut que la détention litigieuse se justifiait au regard de l'alinéa a) comme de l'alinéa c) et e) de l'article 5 § 1.
2.  Appréciation de la Cour
31.  La Cour note que le requérant conteste uniquement l'absence de base légale pour justifier sa détention. Il n'allègue pas que sa privation de liberté n'aurait pas été nécessaire ou qu'elle n'était pas justifiée par l'un des motifs indiqués à l'article 5 § 1 de la Convention. La question à trancher est donc uniquement celle de savoir si le requérant a été privé de sa liberté « selon les voies légales » au sens de l'article 5 § 1 de la Convention.
32.  La Cour rappelle que les termes « régulièrement » et « selon les voies légales » qui figurent à l'article 5 § 1 renvoient pour l'essentiel à la législation nationale et consacrent l'obligation d'en observer les normes de fond comme de procédure. Toutefois, la conformité de la détention au regard du droit interne n'est pas toujours l'élément décisif. La Cour doit, en outre, être convaincue que la détention pendant la période en jeu est conforme au but de l'article 5 § 1 de la Convention, à savoir protéger l'individu de toute privation de liberté arbitraire (voir, parmi beaucoup d'autres, Erkalo c. Pays-Bas, arrêt du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2477, § 52, Baranowski, précité, §§ 50 et 51, Ječius c. Lituanie, no 34578/97, § 56, CEDH 2000-IX, et Laumont, précité, § 43).
33.  La Cour observe que la procédure intentée par le service pénitentiaire était postérieure au jugement et relève donc de l'ancien article 43 § 3 du code pénal suisse ainsi que des articles 482 et 483 CPP/VD. Ces dispositions ne contiennent aucune allusion à une éventuelle mise en détention. Faute de disposition pertinente, les instances internes ont fondé la détention du requérant sur l'article 59 CPP/VD, qui régit la détention préventive. Il convient donc d'analyser si cette disposition, appliquée au cas d'espèce, remplit les exigences posées par l'article 5 § 1.
34.  Vu l'importance de la liberté de la personne, la Cour tient à souligner qu'il est essentiel que le droit national applicable remplisse le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que le droit écrit comme non écrit soit assez précis pour permettre au citoyen, en s'entourant au besoin de conseils éclairés, de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé (Steel et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, p. 2735, § 54, et Laumont, précité, § 45).
35.  A cet égard, la Cour rappelle que la pratique consistant à détenir une personne en absence d'une base légale spécifique, est incompatible avec les principes de sécurité juridique et de protection contre l'arbitraire, qui constituent des éléments fondamentaux à la fois de la Convention et de l'Etat de droit (Baranowski, précité, §§ 54-56, et Ječius, précité, § 62).
36.  Quant aux circonstances de la cause, la Cour relève que, selon son libellé, l'article 59 CPP/VD, sur lequel la détention litigieuse était fondée, renferme les conditions justifiant le placement en détention préventive d'un « prévenu à l'égard duquel il existe des présomptions suffisantes de culpabilité ».
37.  La Cour note que, dans un arrêt du 25 juin 2002, le Tribunal fédéral a confirmé pour le canton de Zurich que la disposition sur la détention préventive pouvait servir de base légale à une détention postérieure au jugement. Cet arrêt a été publié dans le Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral et était dès lors accessible au requérant et à son défenseur. Cette jurisprudence a été confirmée par deux arrêts rendus en 2005 et 2006.
38.  Selon le Gouvernement, le fait qu'il existait une jurisprudence du Tribunal fédéral confirmant la légalité de l'utilisation de la disposition sur la détention préventive à des cas où une détention postérieure au jugement est en jeu distingue la présente affaire de l'affaire Baranowski précitée, et devrait donc amener la Cour à conclure à l'absence de violation de l'article 5 § 1, comme dans l'arrêt Laumont, précité.
39.  Dans ce dernier arrêt, la Cour a conclu à la non-violation de l'article 5 § 1 en dépit de l'absence de base légale spécifique justifiant la détention de l'intéressé, parce que la détention était fondée sur une jurisprudence « ancienne et constante » de la Cour de cassation française.
40.  La Cour constate que, contrairement à l'affaire Laumont précitée, il n'existait en Suisse à l'époque des faits qu'un seul arrêt du Tribunal fédéral traitant du problème de la base légale de la détention dans une procédure postérieure au jugement, à savoir l'arrêt du Tribunal fédéral du 25 juin 2002 concernant le canton de Zurich.
41.  Au regard de la gravité de l'ingérence dans la liberté personnelle du requérant, la Cour considère que l'existence d'un seul précédent jurisprudentiel qui, de plus, ne concernait pas le même canton que celui du requérant, ne saurait constituer une base légale suffisamment précise et est donc incompatible avec les principes de sécurité juridique et de protection contre l'arbitraire. L'argument selon lequel il existait la possibilité qu'un nouveau jugement du tribunal correctionnel puisse apporter des modifications à l'exécution des peines et, par conséquent, confirmer l'incarcération de l'intéressé a posteriori n'a pas non plus apporté la sécurité juridique requise au moment même du placement en détention.
42.  Le Gouvernement soutient, à juste titre, que le Tribunal fédéral a ultérieurement confirmé sa jurisprudence par deux arrêts rendus en 2005 et 2006. Cependant, comme la détention litigieuse a eu lieu entre septembre 2003 et janvier 2004, le requérant ne pouvait pas avoir connaissance de ces arrêts et ils ne contribuaient donc pas, à l'époque, à rendre la situation juridique plus prévisible.
43.  Le Gouvernement ne saurait d'ailleurs tirer argument du fait que les codes de procédure pénale de Suisse romande ne contiennent pas de terme, ni, d'ailleurs, de dispositions prévoyant la possibilité d'ordonner la détention dans le cadre d'une procédure postérieure au jugement, puisque c'est justement cette absence de base légale qui est mise en cause en l'espèce.
44.  Pour autant que le Gouvernement invoque l'affaire Eriksen précitée, il y a lieu de préciser que ce ne sont pas les motifs de la détention qui sont contestés en l'espèce, mais uniquement la base légale, et que la mesure que le président du tribunal correctionnel a prise aurait pu, en principe, être conforme à l'article 5 § 1 si elle s'était fondée sur une base légale adéquate.
45.  Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1.
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
46.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
47.  Le requérant réclame 33 250 francs suisses (CHF – environ 20 163 euros (EUR)) au titre de la satisfaction équitable pour les 133 jours de détention illégale (du 11 septembre 2003 au 21 janvier 2004) qu'il a subis.
48.  Pour ce qui est du préjudice matériel, le Gouvernement fait valoir que le requérant ne précise pas la nature du dommage matériel auquel correspondrait l'indemnité sollicitée et que l'intéressé n'a pas justifié le montant réclamé. Le Gouvernement conteste d'ailleurs le lien de causalité entre le montant réclamé et la violation alléguée.
49.  En ce qui concerne le préjudice moral, le Gouvernement note que le requérant n'avance aucune prétention à ce titre. Il estime que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, un simple constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.
50.  La Cour constate que le requérant n'a pas expliqué en quoi consistait le dommage matériel. En conséquence, elle n'aperçoit aucune raison d'octroyer au requérant une somme de ce chef.
51.  En revanche, elle considère que le requérant a certainement subi un préjudice moral, qui ne serait pas suffisamment réparé par le constat de violation. Statuant en équité, elle alloue au requérant 3 500 EUR.
B.  Frais et dépens
52.  Le requérant sollicite également 10 000 CHF (environ 6 064 EUR) pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour.
53.  A titre principal, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la demande du requérant pour frais et dépens du fait que celui-ci n'a pas soumis ses prétentions de manière détaillée conformément à l'article 60 § 2 du Règlement de la Cour.
54.  A titre subsidiaire, le Gouvernement estime qu'une somme de 1 000 CHF (environ 605 EUR) couvrirait l'ensemble des dépens pour la procédure engagée sur le plan national et à Strasbourg, compte tenu du fait que la caisse du Tribunal fédéral a versé à l'avocat du requérant une indemnité de 1 000 CHF à titre d'honoraires, que le requérant a bénéficié de l'assistance judiciaire devant le Tribunal fédéral et devant la Cour et eu égard au nombre de pages (trois) que comporte le mémoire rédigé par le représentant du requérant. S'agissant des frais, le Gouvernement relève que le Tribunal fédéral, seule instance nationale devant laquelle le requérant a invoqué une violation de la Convention, n'a pas perçu d'émoluments judiciaires.
55.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime que la somme de 850 EUR perçue par le requérant au titre de l'assistance judiciaire couvre les frais et dépens encourus par lui. Elle rejette la demande pour le surplus.
C.  Intérêts moratoires
56.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare, la requête recevable ;
2.  Dit, qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention ;
3.  Dit,
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 500 euros pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir en francs suisses au taux applicable à la date du versement ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 juillet 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Christos Rozakis    Greffier Président
ARRÊT WEBER c. SUISSE
ARRÊT WEBER c. SUISSE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 5-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens

Parties
Demandeurs : WEBER
Défendeurs : SUISSE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (première section)
Date de la décision : 26/07/2007
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 3688/04
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-07-26;3688.04 ?
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