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26/07/2007 | CEDH | N°55523/00

CEDH | AFFAIRE ANGUELOVA ET ILIEV c. BULGARIE


CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE ANGUELOVA ET ILIEV c. BULGARIE
(Requête no 55523/00)
ARRÊT
STRASBOURG
26 juillet 2007
DEFINITIF
26/10/2007
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Anguelova et Iliev c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,   Snejana Botoucharova,   Karel Jungwiert,   Rait Maruste,   Javier Borrego Borrego,   Renate Jaeger,   Mark Villiger, juges,  et de Claudi

a Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juillet 2007,...

CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE ANGUELOVA ET ILIEV c. BULGARIE
(Requête no 55523/00)
ARRÊT
STRASBOURG
26 juillet 2007
DEFINITIF
26/10/2007
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Anguelova et Iliev c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,   Snejana Botoucharova,   Karel Jungwiert,   Rait Maruste,   Javier Borrego Borrego,   Renate Jaeger,   Mark Villiger, juges,  et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juillet 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 55523/00) dirigée contre la République de Bulgarie et dont deux ressortissants de cet Etat, Mme Guinka Dimitrova Anguelova (« la première requérante ») et M. Mitko Dimitrov Iliev (« le second requérant »), nés en 1933 et 1962 respectivement et résidant dans le village d'Ivanski, ont saisi la Cour le 7 février 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention » ).
2.  Les requérants ont été représentés par Me Y. Grozev, avocat à Sofia.
3.  Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. Karadjova, du ministère de la Justice.
4.  Les requérants alléguaient dans leur requête que les autorités n'avaient pas mené une enquête rapide, effective et impartiale propre à conduire au jugement et à la condamnation des individus responsables des mauvais traitements infligés à leur proche et de la mort de celui-ci, qui était d'origine rom. Ils dénonçaient aussi le fait que le droit pénal interne ne renfermait ni disposition réprimant spécifiquement en tant qu'infractions distinctes le meurtre et les lésions corporelles graves, et d'ailleurs tout autre délit, lorsqu'ils étaient motivés par le racisme, ni disposition prévoyant expressément des peines plus lourdes en cas d'infractions ayant pareille motivation. Ils soutenaient en outre que les autorités avaient manqué à leur obligation d'instruire et de poursuivre une infraction à caractère violent inspirée par le racisme. Enfin, ils alléguaient que la durée de la procédure pénale dirigée contre les agresseurs les avait empêchés d'avoir accès à un tribunal pour réclamer réparation.
5.  Le 25 novembre 2004, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre résolu que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6.  La première requérante est la mère et le second requérant le frère d'Anguel Dimitrov Iliev (« la victime »), qui était d'origine rom et âgé de vingt-huit ans au moment de son décès.
A.  Le décès de M. Iliev
7.  Le jeune homme fut agressé par sept adolescents (« les agresseurs ») dans la soirée du 18 avril 1996, à Shumen (Bulgarie). Il fut roué de coups et l'un des agresseurs le poignarda à plusieurs reprises.
8.  Il fut conduit à l'hôpital après l'agression, mais décéda le lendemain matin, le 19 avril 1996.
9.  Comme le déclarèrent plus tard les agresseurs, l'attaque fut motivée par l'origine ethnique rom de la victime (paragraphes 12-13 et 18-21 ci-après).
B.  La procédure pénale concernant le décès de M. Iliev
10.  Les agresseurs furent tous arrêtés et interrogés par la police le jour des faits, le 18 avril 1996. Tous, sauf un, étaient adolescents.
11.  Ils furent tous libérés après avoir été entendus, à l'exception de G.M.G. (« le premier agresseur »), qui avait dix-sept ans à l'époque. Un couteau avait été trouvé sur lui et deux des autres agresseurs, N.R. et S.H., l'avaient accusé d'avoir utilisé l'arme. Soupçonné de meurtre, le premier agresseur fut placé en détention provisoire.
12.  Le 19 avril 1996, les agresseurs furent de nouveau interrogés par la police. N.R. et S.H. confirmèrent leur déposition selon laquelle c'était le premier agresseur qui avait poignardé la victime. Une enquête préliminaire fut alors ouverte contre le premier agresseur, qui fut inculpé de meurtre résultant d'un acte de hooliganisme (paragraphe 56 ci-après). Il fut ensuite interrogé, mais se borna à confirmer que le couteau trouvé sur lui lui appartenait.
13.  D.K., âgé de quinze ans à l'époque, fit le 19 avril 1996 une déposition, ainsi libellée en ses passages pertinents en l'espèce :
« [On se rencontre] régulièrement avec les garçons depuis quelques mois. On décide à l'avance où et quand on se verra la fois d'après, car on ne va pas à la même école (...) On déteste les junkies et on [ne] prend [pas] de drogue (...) On ne boit [pas non plus] d'alcool quand on est ensemble ou seul (...) On parle de films, de musique et on a [dit] à plusieurs reprises qu'on détestait les Tsiganes – on les traite de « faces de charbon » (en bulgare « suie » – сажди) et de « sales Tsiganes » (« Mangals » –мангали) (...). Je hais les Noirs, les Tsiganes, les Turcs, tous les étrangers. En ce qui concerne les Turcs et les Tsiganes [,] on sait qu'un pourcentage élevé d'infractions sont [commises] par eux. C'est ce que j'ai entendu mon père dire à la maison (...).
On s'est rencontré (...) hier soir (...) comme convenu. [C'était une] simple rencontre, on n'avait pas de but ni d'idée de ce qu'on allait faire (...) On s'est promené dans [le parc de] la ville (...) On s'est dirigé vers la gare (...) [puis] vers la route (...) On est passé près du pont (...) et on a marché [près] de la voie ferrée. On ne faisait que passer et je [ne sais pas] qui a vu le Tsigane d'abord (...) [Il] se trouvait à une dizaine de mètres, on était d'un côté de la route et lui de l'autre. On a commencé à le suivre (...) C'est [le premier agresseur] qui l'a rattrapé le premier et le Tsigane lui a demandé s'il avait [l'heure]. Je ne pense pas que l'un de nous connaissait le Tsigane. [Le premier agresseur] lui a dit : « je l'ai, je l'ai » et lui a tapé la tête contre le mur. [Il] a agrippé le Tsigane par le dos de la veste [si] bien que lorsqu'il l'a cogné pour la première fois il ne s'est pas [effondré] car [le premier agresseur] le tenait [debout]. [Le premier agresseur] l'a immédiatement retourné et l'a cogné [une fois] de plus [contre] le mur. Je crois qu'il lui a de nouveau cogné la tête contre le mur. [S.H.] s'est approché (...) et a donné un coup de pied au Tsigane. Je n'ai pas vu où il l'avait touché. Moi-même et [un des autres], on s'est également rapproché et [on a tous] plaqué le Tsigane au sol. [Il] a été incapable de résister car tout est allé très vite. Il criait parce qu'il était blessé. Je ne pensais pas à ce que disait le Tsigane et je m'en moquais. Personnellement, je voulais le tabasser, rien de plus. Je pense que les autres aussi voulaient juste le passer à tabac (...) les autres (...) frappaient [également] le Tsigane. Je les ai vus le rouer de coups. Le Tsigane gisait à terre, incapable de résister. Je faisais comme les autres, sans faire attention à ce qu'ils faisaient (...) A un moment, j'ai vu que le Tsigane saignait à la tête. Il avait du sang sur le visage. Il bougeait [encore] (...) Ce soir-là, j'ai vu que [le premier agresseur] avait un couteau (...) Le couteau m'appartient, [mais] je l'avais donné au [premier agresseur] (...) longtemps avant ce [soir-là] (...) Je ne savais pas que [ce] soir [-là] [le premier agresseur] avait le couteau [sur lui] (...)
(...) Pendant qu'on suivait le Tsigane et avant qu'on le rattrape[,] j'ai entendu [N.B.] (...) dire au [premier agresseur] : « donne-moi le couteau » et je l'ai vu le sortir de son pantalon et le lui remettre. Je n'ai pas vu où [N.B.] l'a mis et s'il l'a gardé dans la main. [Mais] pendant qu'on frappait le Tsigane lorsque celui-ci était par terre, j'ai vu comment [N.B.] l'a poignardé dans la région [des fesses] (...) J'ai vu que [N.B.] a poignardé le Tsigane plusieurs fois [,] toujours dans la même partie du corps. Le Tsigane hurlait. [N.B.] n'a rien dit, il ne jurait pas. [Il] a porté trois ou quatre coups de couteau (...) [Le] Tsigane bougeait encore. Du sang a commencé à couler à l'endroit où [N.B.] l'avait [poignardé] (...) Les autres, on a continué à frapper (...) le Tsigane pendant que [N.B.] le poignardait (...) [Le] Tsigane ne nous avait absolument pas provoqués [,] ni en paroles ni en actes (...) On l'a tabassé parce que c'était un Tsigane (...) On lui avait donné assez de coups. J'ai vu qu'il ne saignait pas beaucoup (...) On ne voulait pas le tuer, mais juste le passer à tabac (...) Je ne suis pas certain que seul [N.B.] ait utilisé le couteau, mais je ne peux pas dire que quelqu'un d'autre s'en soit servi. Je n'ai vu personne d'autre l'utiliser. (...)
Je ne sais toujours pas ce qui est arrivé à cette personne, si elle est [toujours en vie] (...) On a tabassé des Tsiganes [auparavant] et on apprend [toujours] ce qui leur arrive (...) ».
14.  Une autopsie de la victime fut pratiquée le 20 avril 1996. Elle permit d'établir que le jeune homme avait été poignardé trois fois dans la cuisse externe gauche et deux fois dans l'abdomen, ce qui avait provoqué une rupture du nerf sciatique, de l'artère fémorale profonde (artère de la cuisse), du gros intestin et de l'urètre. La victime présentait également des hématomes et des contusions au visage et à la tête. Le rapport d'autopsie concluait que le décès était dû à une hémorragie interne massive provoquée par la rupture de l'artère fémorale profonde.
15.  Le même jour, le 20 avril 1996, le magistrat instructeur demanda une expertise médicale en vue de faire établir quelles blessures la victime avait subies, si certaines se situaient dans la région de l'estomac, comment elles avaient été infligées, quelle force avait été utilisée et si le décès était inévitable ou aurait pu être évité grâce à une assistance médicale spécialisée fournie à temps. Les conclusions de l'expert médical ne sont pas claires.
16.  Les 15 et 16 mai 1996, quatre des agresseurs – D.K., S.H., N.R. et N.B – furent inculpés d'actes de hooliganisme s'accompagnant d'un cynisme et d'une impudence exceptionnels (paragraphe 58 ci-après). Ils furent interrogés en présence de leur avocat puis remis à la garde de leurs parents.
17.  D.K. confirma sa déclaration antérieure mais nia savoir quoi que ce fût au sujet des coups de couteau portés à la victime. Il fut incapable de déterminer s'il était coupable ou non.
18.  S.H., âgé de seize ans à l'époque, plaida coupable de l'infraction dont il était inculpé. Il exprima sa haine envers les Tsiganes et indiqua que le groupe avait délibérément cherché une personne de ce groupe minoritaire pour l'agresser. Il revint sur sa déclaration antérieure du 19 avril 1996 concernant la personne qui avait poignardé la victime (paragraphe 11 ci-dessus) et accusa N.B. Quant aux raisons pour lesquelles il avait modifié son témoignage, il affirma que les membres du groupe s'étaient entendus pour toujours mettre en cause le premier agresseur si jamais ils se faisaient prendre, ce que celui-ci avait apparemment proposé et accepté.
19.  N.R., âgé de dix-sept ans à l'époque, plaida également coupable de l'infraction dont il était inculpé. Il confirma lui aussi qu'ils avaient délibérément cherché un Tsigane pour l'agresser, revint sur sa déclaration du 19 avril 1996 (paragraphe 11 ci-dessus) et désigna N.B. comme étant celui qui avait poignardé la victime.
20.  N.B. (« le deuxième agresseur »), âgé de quinze ans à l'époque, plaida coupable de l'infraction dont il était inculpé mais nia avoir connaissance des coups de couteau et les avoir portés.
21.  Le 22 mai 1996, G.R.G., âgé de dix-huit ans à l'époque, fut inculpé d'actes de hooliganisme perpétrés avec un cynisme et une impudence exceptionnels (paragraphe 58 ci-dessous) et interrogé en présence de son avocat. Il fut ensuite libéré, avec la restriction toutefois de ne pas quitter son domicile sans l'autorisation du parquet. Il plaida coupable de l'infraction dont il était inculpé et confirma que l'agression était motivée par l'origine ethnique rom de la victime, mais fut incapable d'indiquer qui avait poignardé le jeune homme.
22.  Le septième membre du groupe, S.K., ne fut jamais inculpé, n'ayant pas participé à l'agression de la victime.
23.  Le 22 mai 1996, deux témoins furent également interrogés. L'un, I.D., un membre du groupe qui n'était pas présent lors de l'agression du 18 avril 1996, déclara qu'il avait rencontré le premier agresseur plus tard le même soir et que celui-ci lui avait alors confié que le deuxième agresseur avait poignardé un Tsigane qu'ils avaient attaqué mais qu'il lui avait pris le couteau après l'agression. Il indiqua en outre que, dans une conversation qu'il avait eue ultérieurement avec le deuxième agresseur le 6 mai 1996, celui-ci avait demandé quelle peine il encourait s'il passait aux aveux mais qu'il avait peur de le faire, craignant d'être envoyé dans un établissement pénitentiaire pour jeunes délinquants. L'autre témoin, N.D., confirma la conversation susmentionnée.
24.  Le 23 mai 1996, le premier agresseur fut interrogé une nouvelle fois. Il certifia que dans la soirée du 18 avril 1996 le groupe avait délibérément cherché un Tsigane pour l'agresser. Il indiqua également qu'il avait donné son couteau à N.B. avant l'agression et que celui-ci avait poignardé la victime ; toutefois il n'y avait eu ni avertissement ni entente préalables. Enfin, il attesta qu'il avait repris le couteau à N.B. après l'agression et que les membres du groupe s'étaient mis d'accord de manière générale pour que ce soit lui qui endosse la responsabilité si jamais ils se faisaient prendre ; toutefois, il n'y avait eu aucune entente concernant cette fois-là.
25.  Le 14 juin 1996, le parquet du district de Shumen conclut à l'absence de preuves que le premier agresseur eût poignardé la victime, écarta les chefs d'inculpation et remit l'intéressé en liberté.
26.  Le 17 juin 1996, les chefs d'inculpation portés contre le premier agresseur furent modifiés et, comme les autres membres du groupe, il fut inculpé de hooliganisme s'accompagnant d'un cynisme et d'une impudence exceptionnels (paragraphe 58 ci-après). Il fit l'objet d'une mesure restrictive consistant en un placement sous la surveillance d'un inspecteur de l'unité de la délinquance juvénile (инспектор към Детска педагогическа стая). En outre, interrogé en présence de son avocat, il plaida non coupable et réitéra sa déclaration du 23 mai 1996.
27.  Le 21 juin 1996, N.R. et S.H. furent inculpés de fausses déclarations aux autorités d'enquête le 19 avril 1999 en ce qu'ils avaient accusé le premier agresseur de meurtre, ce qui avait abouti à l'inculpation de celui-ci (paragraphes 11 et 13 ci-dessus et 59 ci-après). Ils furent interrogés puis remis à la garde de leurs parents.
28.  Le 26 juin 1996, le deuxième agresseur fut inculpé de coups et blessures de moyenne gravité ayant entraîné la mort sans intention de la donner (paragraphe 57 ci-après). Il plaida non coupable et soutint qu'il n'avait pas poignardé la victime.
29.  Compte tenu des témoignages contradictoires donnés par le deuxième agresseur, par N.R. et par S.H., une confrontation fut organisée le 3 juillet 1996 entre eux. Ils confirmèrent tous leurs déclarations antérieures.
30.  Le 15 avril 1997, les résultats de l'enquête préliminaire furent présentés aux premier et deuxième agresseurs.
31.  Le 18 avril 1997, le magistrat instructeur compétent conclut dans un rapport (обвинително заключение) qu'il existait des preuves à charge suffisantes pour obtenir la condamnation des agresseurs et que l'affaire devait être renvoyée en jugement. Il n'apparait pas clairement si et, le cas échéant, à quel moment le dossier fut transmis au parquet compétent.
32.  Un peu plus d'un an après, le 26 juin 1998, une confrontation eut lieu entre le second agresseur et I.D., au cours de laquelle ceux-ci confirmèrent les déclarations qu'ils avaient faites antérieurement au cours de l'enquête.
33.  A plusieurs occasions durant l'enquête préliminaire, les requérants sollicitèrent du magistrat instructeur compétent des informations sur l'avancement de la procédure. Soit ils n'obtinrent aucun renseignement soit on leur donna très peu de détails. Au printemps 1999, l'avocat des requérants eut accès au dossier.
34.  Le 30 mars 1999, une confrontation fut organisée entre le deuxième agresseur et N.D., au cours de laquelle ceux-ci confirmèrent les déclarations qu'ils avaient faites antérieurement au cours de l'enquête.
35.  Le 6 avril 1999, le deuxième agresseur demanda au magistrat instructeur l'établissement d'un rapport médical le concernant, car il prétendait souffrir d'une maladie grave incurable. Ce rapport fut sollicité le 6 octobre 1999 et rendu le 21 octobre 1999. Il concluait que l'intéressé souffrait d'une pyélonéphrite chronique et de douleurs au dos, maux courants chez les adolescents, qui disparaitraient naturellement avec l'âge.
36.  Le 18 octobre 1999, les requérants demandèrent à se porter partie civile à la procédure pénale.
37.  Le 3 novembre 1999, le magistrat instructeur demanda une expertise psychiatrique du deuxième agresseur. Le rapport établi à une date non précisée concluait que l'intéressé ne souffrait d'aucun trouble psychiatrique grave et que le jour de l'agression ses maladies n'avaient nullement altéré sa capacité à comprendre la nature et les conséquences de ses actes ni sa capacité à les maîtriser.
38.  Le 18 décembre 1999, les requérants se plaignirent au parquet régional de Shumen de la durée de l'enquête. Il semble qu'aucune mesure n'ait été prise pour répondre à leur grief.
39.  Le 12 janvier 2000, une confrontation eut lieu entre le deuxième agresseur et N.R., au cours de laquelle ceux-ci firent des déclarations contradictoires relativement à la conversation qu'ils avaient eue peu après l'attaque sur le point de savoir s'ils allaient accuser le premier agresseur d'avoir poignardé la victime.
40.  Le 17 avril 2000, le magistrat instructeur reconnut à la première requérante la qualité de partie civile dans la procédure pénale.
41.  Entre le 17 avril et le 1er juin 2000, les résultats de l'instruction préliminaire furent présentés au deuxième agresseur, aux cinq coaccusés et à la première requérante.
42.  Le 2 juin 2000, le magistrat instructeur chargé de l'affaire conclut dans un nouveau rapport qu'il y avait lieu de renvoyer l'affaire en jugement, mais proposa d'écarter les chefs d'accusations mensongères qui pesaient sur le premier agresseur. Le dossier fut transmis au parquet régional de Shumen à une date non précisée.
43.  Le 3 juillet 2000, le parquet régional de Shumen renvoya l'affaire. Il ordonna notamment que l'on interrogeât S.K. sur les raisons pour lesquelles le groupe avait initialement accusé le premier agresseur d'avoir poignardé la victime, que l'on procédât à une expertise psychiatrique des accusés pour déterminer si le jour de l'agression ils avaient compris ou non la nature et les conséquences de leurs actes et avaient été en mesure de les maîtriser, et que l'on modifiât les accusations portées contre le deuxième agresseur.
44.  Le 11 octobre 2000, une confrontation fut organisée entre les premier et deuxième agresseurs. Ceux-ci firent alors des déclarations contradictoires sur le point de savoir qui avait le couteau au moment de l'agression.
45.  Le 12 octobre 2000, lors de son interrogatoire, S.K. déclara que le groupe ne s'était pas entendu au préalable pour toujours mettre le premier agresseur en cause, mais que les membres du groupe s'étaient rencontrés après l'agression et que le premier agresseur leur avait dit qu'il assumerait la responsabilité de ce qui s'était passé.
46.  Le 23 mars 2001, D.K. fut interrogé mais refusa de répondre aux questions.
47.  Le 30 mars 2001, le premier agresseur fut interrogé. Il confirma l'état physique du deuxième agresseur au moment de l'attaque et leurs rapports passés, et déclara qu'il n'avait pas connaissance d'une quelconque collusion entre les autres membres du groupe qui, pour l'aider, auraient modifié leurs témoignages respectifs.
48.  Le 2 avril 2001, les accusations portées contre le deuxième agresseur furent modifiées. Il fit l'objet d'une interdiction de quitter son lieu de résidence sans l'autorisation du parquet. Interrogé, il réitéra ses déclarations antérieures, c'est-à-dire qu'il n'était pas en possession du couteau au moment de l'agression et qu'il n'avait pas poignardé la victime. Les résultats de l'instruction préliminaire furent également présentés au deuxième agresseur le même jour.
49.  Entre le 3 avril et le 4 juin 2001, les résultats de l'instruction préliminaire furent portés à la connaissance des cinq autres inculpés et de la requérante.
50.  Le 12 juin 2001, le magistrat instructeur chargé du dossier conclut dans un nouveau rapport que l'affaire devait être renvoyée en jugement. Le dossier fut transmis au parquet régional de Shumen à une date non précisée.
51.  La procédure pénale resta au point mort pendant quatre ans.
52.  Le 18 mars 2005, le parquet régional de Shumen écarta les chefs de hooliganisme accompagné d'un cynisme et d'une impudence exceptionnels et d'accusations mensongères qui pesaient sur les agresseurs mineurs à l'époque des faits – à savoir les premier et deuxième agresseurs, N.R., S.H. et D.K. – parce que le délai pour introduire une action contre eux avait expiré. S'appuyant sur les éléments de preuve réunis et sur les tests effectués au cours de l'instruction préliminaire, le parquet régional de Shumen soutint que le premier agresseur avait poignardé la victime, puisque c'était lui qui était en possession du couteau et que du sang de la victime avait été relevé sur ses vêtements. Il repoussa donc les chefs d'inculpation de coups et blessures de moyenne gravité ayant entraîné la mort sans intention de la donner dont le deuxième agresseur faisait l'objet et renvoya l'affaire pour un complément d'instruction, en donnant pour indication que le premier agresseur devait être de nouveau inculpé de meurtre résultant d'un acte de hooliganisme (paragraphes 12 ci-dessus et 56 ci-après). Le seul accusé restant était G.R.G., qui était âgé de dix-huit ans à l'époque de l'agression et demeurait accusé d'actes de hooliganisme s'accompagnant d'un cynisme et d'une impudence exceptionnels, le délai pour introduire une action contre lui n'ayant pas expiré (paragraphes 21 ci-dessus et 58 ci-après).
53.  Le 22 avril 2005, les requérants et les trois sœurs de la victime demandèrent à se porter partie civile dans la procédure pénale et réclamèrent une réparation d'un montant de 75 000 levs (environ 38 461 euros).
54.  Le 16 mai 2005, un procureur du parquet régional de Shumen informa l'avocat des requérants au cours d'une rencontre que le ministère de la Justice avait réclamé le dossier et le détenait.
55.  Aucun fait nouveau dans la procédure pénale n'a été porté à la connaissance de la Cour.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Le code pénal
1.  Les infractions dont les agresseurs furent inculpés
56.  Le code pénal, tel qu'en vigueur en 1996, punissait l'infraction de meurtre résultant d'un acte de hooliganisme d'une peine de quinze à vingt ans d'emprisonnement, de la réclusion à perpétuité ou de la peine de mort (article 116 § 10). En 1998, la peine de mort fut remplacée par « la réclusion à perpétuité sans possibilité de substitution ». Pour les mineurs âgés de seize à dix-huit ans, la peine encourue était de cinq à douze ans d'emprisonnement (article 63 § 2 (1)) et pour ceux âgés de quatorze à seize ans elle pouvait aller jusqu'à dix ans d'emprisonnement (article 63 § 1 (1) et (2)). Le délai de prescription était de vingt-deux ans et demi pour les mineurs âgés de seize à dix-huit ans (article 80 § 1 (2) combiné avec l'article 80 § 2 et l'article 81 § 3) et de quinze ans pour les mineurs âgés de quatorze à seize ans (article 80 § 1 (3) combiné avec l'article 80 § 2 et l'article 81 § 3).
57.  Les coups et blessures de moyenne gravité entraînant la mort sans intention de la donner emportaient une peine de deux à six ans d'emprisonnement (article 124 § 1 du code pénal) ; pour les mineurs âgés de quatorze à seize ans, la peine pouvait aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement (article 63 § 1 (3) et (4)). Le délai de prescription pour ces mineurs était de sept ans et demi (article 80 § 1 (4) combiné avec l'article 80 § 2 et l'article 81 § 3).
58.  Pour les actes de hooliganisme commis avec un cynisme et une impudence exceptionnels, le code pénal prévoyait une peine d'emprisonnement de cinq ans au plus (article 325 § 2 (2)) ; pour les mineurs âgés de quatorze à seize ans, la peine maximale était de deux ans d'emprisonnement (article 63 § 1 (4)). Le délai de prescription applicable à ces mineurs était de sept ans et demi (article 80 § 1 (4) combiné avec l'article 80 § 2 et l'article 81 § 3).
59.  Dans les cas où une personne faisait aux autorités une fausse déclaration dans laquelle elle en accusait une autre d'avoir commis une infraction et que la personne ainsi mise en cause était poursuivie, le code pénal prévoyait une peine d'un à dix ans d'emprisonnement (article 286 § 3) ; les mineurs âgés de quatorze à seize ans encouraient une peine d'emprisonnement de trois ans au plus (article 63 § 1 (3) et (4)). Le délai de prescription applicable à ces mineurs était de sept ans et demi (article 80 § 1 (4) combiné avec l'article 80 § 2 et l'article 81 § 3).
2.  Infractions à motivation raciste
60.  L'article 162 du code pénal réprime l'incitation à l'hostilité, à la haine et à la violence fondées, entre autres, sur la race, ainsi que la propagation de celles-ci. Le passage pertinent de cette disposition se lit ainsi :
« 1.  [Quiconque] incite à l'hostilité ou à la haine (...) raciale ou à la discrimination raciale, ou propage celles-ci est passible d'une peine d'emprisonnement de trois ans au plus et d'un blâme public.
2.  [Quiconque] [a recours] à la violence contre autrui ou endommage [les] biens [d'autrui] en raison de [sa] (...) race (...) est passible d'une peine de trois ans d'emprisonnement au plus et d'un blâme public.
3.  [Quiconque] constitue ou dirige une organisation ou un groupe, qui s'est fixé pour but de commettre une infraction prévue aux paragraphes précédents est passible d'une peine d'emprisonnement d'un à six ans et d'un blâme public.
4.  Tout membre d'une telle organisation ou d'un tel groupe est passible d'une peine de trois ans d'emprisonnement au plus et d'un blâme public. »
61.  L'article 163 du code pénal punit notamment les actes collectifs de violence motivés par le racisme. Le passage pertinent de cette disposition énonce :
« 1.  Les personnes qui participent à des actes collectifs de violence visant des groupes de [personnes], des individus ou les biens de ceux-ci en raison de leur (...) origine raciale sont passibles des peines [suivantes] :
1.  les instigateurs et les meneurs – cinq ans d'emprisonnement au plus ;
2.  les autres personnes – un an d'emprisonnement au plus ou une peine assortie de sursis ;
2.  Si la foule ou certains de ses membres sont armés, les peines encourues sont les suivantes :
1.  les instigateurs et les meneurs – un à six ans d'emprisonnement ;
2.  les autres personnes – trois ans d'emprisonnement au plus.
3.  En cas d'agression provoquant des lésions corporelles graves ou la mort, les instigateurs et les meneurs sont passibles d'une peine de trois à quinze ans d'emprisonnement, alors que les autres personnes sont passibles d'une peine d'emprisonnement de cinq ans au plus, à moins qu'elles n'encourent par ailleurs des peines plus lourdes. »
62.  Les articles 416 à 418 du code pénal répriment le génocide et l'apartheid motivés par le racisme.
63.  L'article 54 § 1 énonce qu'en fixant la peine les juridictions internes doivent tenir compte notamment du mobile de l'auteur d'un acte.
B.  Le code de procédure pénale (1974)
64.  D'après l'article 192, tel qu'en vigueur à l'époque des faits, l'action publique ne pouvait être déclenchée que par un procureur ou un magistrat instructeur, agissant à la suite d'une plainte ou de leur propre initiative. Les infractions dont les agresseurs étaient inculpés en l'espèce étaient passibles de poursuites à la diligence du procureur.
65.  Selon l'article 237 § 6, tel que libellé avant le 1er janvier 2000, la victime pouvait interjeter appel d'une décision de classement sans suite devant un procureur de rang supérieur. A compter du 30 avril 2001, la victime pouvait faire appel d'une telle décision d'un procureur devant les tribunaux. Les victimes ne disposaient d'aucun autre moyen de contester un refus d'engager des poursuites.
66.  Les victimes d'une infraction, ou leurs héritiers, pouvaient se constituer partie civile et, en cette qualité, réclamer des dommages-intérêts, examiner le dossier et faire des copies des documents pertinents, apporter des éléments de preuve, soulever des exceptions et présenter des demandes (articles 60 § 1 et 63). Elles pouvaient interjeter appel des décisions judiciaires portant atteinte à leurs droits et intérêts, possibilité qui leur était également ouverte relativement aux autorités d'instruction et de poursuite avant le 2 mai 2003 (article 63 § 1).
C.  Le code de procédure pénale (2006)
67.  Le nouveau code de procédure pénale a introduit des droits distincts dans le cadre de la procédure pénale pour les victimes ou leurs héritiers, tels que le droit de participer à la procédure, d'être informé de son avancement et d'interjeter appel contre les décisions de clôture ou de suspension (articles 74 et 75).
68.  Les victimes d'une infraction ou leurs héritiers peuvent se constituer partie civile et, en cette qualité, réclamer des dommages-intérêts, examiner le dossier et faire des copies des documents pertinents, apporter des éléments de preuve, soulever des exceptions et présenter des demandes (articles 84 § 1 et 87). Elles peuvent également interjeter appel des décisions judiciaires portant atteinte à leur droits et intérêts (article 87 § 1).
D.  La loi sur la protection contre la discrimination (2004)
69.  La loi sur la protection contre la discrimination, adoptée en septembre 2003, est entrée en vigueur le 1er janvier 2004. Il s'agit d'une législation exhaustive qui vise à instaurer un mécanisme offrant une protection effective contre la discrimination. Elle s'applique principalement dans les domaines des relations de travail, de l'administration publique et des prestations de service. La loi prévoit la création d'une commission pour la protection contre la discrimination, qui est notamment compétente pour examiner les plaintes présentées par les particuliers (articles 40 et 50).
70.  L'article 9 de la loi prévoit un renversement de la charge de la preuve dans les affaires de discrimination. D'après cette disposition, lorsque le demandeur prouve des faits permettant de conclure à l'existence d'un traitement discriminatoire, il incombe au défendeur d'établir qu'il n'y a pas eu violation du droit à l'égalité de traitement.
71.  S'il obtient gain de cause devant la commission, le demandeur peut engager une action civile en réparation devant les juridictions internes (article 74 § 1). Lorsque des dommages sont causés à un particulier en raison d'un acte illégal, de l'action ou l'inaction d'organes d'Etat ou de fonctionnaires, l'action en réparations doit être engagée en vertu de la loi sur la responsabilité de l'Etat à raison de dommages (article 74 § 2). Les parties n'ont présenté ni identifié aucune jurisprudence pertinente indiquant si et à quelle fréquence la disposition susmentionnée a été invoquée en vue de la réparation d'actes de discrimination commis par des organes d'Etat ou des fonctionnaires.
E.  La loi sur la responsabilité de l'Etat et des communes à raison de dommages (1988)
72.  La loi de 1988 sur la responsabilité de l'Etat et des communes à raison de dommages (« la loi sur la responsabilité ») énonce que a) l'Etat et les communes sont réputés responsables des dommages causés aux particuliers et personnes morales par les décisions, actions ou omissions illégales des organes et fonctionnaires de l'Etat agissant dans le cadre de leurs fonctions administratives ou en liaison avec celles-ci  ; et b) dans certains cas, l'Etat est réputé responsable des dommages causés aux particuliers par les services d'instruction et de poursuite et par les tribunaux (articles 1-2).
73.  Le droit et la pratique internes pertinents concernant l'article 1 de la loi sur la responsabilité sont résumés dans l'affaire Iovchev c. Bulgarie (no 41211/98, §§ 76-80, 2 février 2006).
74.  L'article 2 de cette loi énonce en son passage pertinent en l'espèce :
« L'Etat est réputé responsable des dommages causés aux [particuliers] par les services (...) d'instruction et de poursuite et par les tribunaux en cas d'illégalité :
1.  d'une détention (...) si [l'ordonnance y relative] a été annulée pour absence de motifs légaux ;
2.  d'une accusation, si [l'accusé] a été acquitté ou si la procédure pénale a été clôturée au motif que les actes n'ont pas été commis par [l'accusé] ou n'était pas constitutifs d'une infraction, ou si la procédure pénale a été ouverte après la prescription de l'action publique ou l'amnistie des actes en question ;
3.  d'une condamnation pour une infraction (...), si l'intéressé a été relaxé par la suite (...) ;
4.  d'un traitement médical obligatoire imposé par un tribunal, si [la décision] a été annulée pour absence de motifs légaux ;
5.  d'une mesure administrative imposée par décision d'un tribunal (...), si [la décision y relative] a été annulée pour illégalité ;
6.  de l'exécution d'une peine dépassant le quantum ou la somme prévus. »
75.  Les personnes cherchant à faire redresser un préjudice découlant de décisions des autorités ayant procédé à l'instruction et aux poursuites ou de décisions des tribunaux dans des circonstances tombant dans le champ d'application de la loi sur la responsabilité ne sont pas habilitées à intenter une action en vertu du droit général de la responsabilité civile car cette loi constitue une lex specialis et exclut l'application du régime général (article 8 § 1 de la loi ; решение № 1370 от 16.XII.1992 г. по гр.д. № 1181/92 г., IV г.о. and Тълкувателно решение № 3 от 22.04.2005 г. по т. гр. д. № 3/2004 г., ОСГК на ВКС).
III.  INSTRUMENTS INTERNATIONAUX ET ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ SUR LA VIOLENCE RACISTE
76.  Les instruments internationaux et les éléments de droit comparé pertinents sur la violence raciste sont résumés aux paragraphes 76 à 82 de l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Natchova et autre c. Bulgarie [GC] (no 43577/98 et 43579/98, 6 juillet 2005).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2, 3 ET 13 DE LA CONVENTION
77.  Invoquant les articles 2, 3 et 13 de la Convention, les requérants allèguent que les autorités n'ont pas mené une enquête rapide, effective et impartiale propre à conduire au jugement et à la condamnation des individus responsables des mauvais traitements et de la mort de leur proche. Ils dénoncent aussi le fait que le droit pénal interne ne renferme ni disposition réprimant spécifiquement en tant qu'infractions distinctes le meurtre et les lésions corporelles graves, et d'ailleurs tout autre délit, lorsqu'ils sont motivés par le racisme, ni disposition prévoyant expressément des peines plus lourdes en cas d'infractions ayant pareille motivation. Enfin, ils soutiennent que les autorités n'ont pas appliqué les dispositions existantes, mais insuffisantes, du code pénal concernant les infractions à motivation raciste.
Les articles 2, 3 et 13 de la Convention sont ainsi libellés :
Article 2
« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2.  La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ;
c)  pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
A.  Observations des parties
1.  Le Gouvernement
78.  Le Gouvernement conteste les allégations des requérants et soutient qu'il a lieu de déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. En particulier, la requête serait prématurée, les requérants n'ayant pas attendu la fin de la procédure pénale dirigée contre les agresseurs, qui permettrait d'aborder et de résoudre certains des griefs soulevés devant la Cour.
79.  Par ailleurs, les autorités auraient conduit l'enquête sur le décès de la victime avec la diligence requise. Les investigations auraient été extrêmement délicates et complexes, la plupart des agresseurs ayant été mineurs à l'époque des faits et n'ayant cessé de modifier leurs déclarations. En conséquence, les autorités auraient dû interroger les mêmes témoins plusieurs fois, organiser des confrontations entre eux, et faire réaliser des tests et des analyses médicales et autres. Malgré les efforts déployés, les témoignages des agresseurs seraient demeurés contradictoires, d'où le renvoi du dossier à trois reprises. Finalement, l'un des agresseurs aurait été inculpé de meurtre, ce qui indiquerait que l'enquête était totalement impartiale et exempte de toute discrimination.
80.  Enfin, le Gouvernement note que la première requérante s'est vue reconnaître la qualité de partie civile à la procédure pénale et a eu accès au dossier de l'instruction. Ses intérêts légitimes auraient donc été suffisamment garantis et protégés.
81.  Eu égard à ce qui précède, le Gouvernement estime qu'il n'y a pas eu violation des articles 2, 3 et 13 de la Convention, l'instruction ayant été conduite avec diligence, malgré les obstacles objectifs et subjectifs auxquels elle s'est heurtée.
2.  Les requérants
82.  Les requérants combattent la thèse du Gouvernement selon laquelle ils n'ont pas épuisé les voies de recours internes en ce qu'ils n'ont pas attendu la fin de la procédure pénale. Pour la plupart des agresseurs, la procédure pénale se serait terminée le 18 mars 2005, date d'expiration du délai pour les poursuivre. Ces personnes ne seraient plus l'objet de la procédure pénale et ne pourraient plus être inculpées d'aucune infraction découlant de leur participation à l'agression contre leur proche. Dès lors, les requérants estiment que leurs griefs relativement à ces personnes ne sauraient passer pour prématurés. Concernant l'accusation de meurtre, seul le premier agresseur serait visé par la procédure pénale pendante. Toutefois, il n'y aurait eu aucun fait nouveau dans cette procédure depuis la décision du 18 mars 2005 et les accusations portées contre le premier agresseur n'auraient pas été modifiées. Quoi qu'il en soit, l'obligation positive de l'Etat d'enquêter et de poursuivre les auteurs d'infractions inclurait un facteur temps. Renvoyant à l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Selmouni c. France ([GC], no 25803/94, CEDH 1999-V), les requérants soutiennent que lorsqu'une telle enquête est indûment prolongée, la durée excessive à elle seule suffit à la rendre ineffective. Enfin, la question du caractère effectif de l'enquête relèverait du fond et exigerait de rejeter l'exception du Gouvernement.
83.  Par ailleurs, les requérants réitèrent leurs griefs et allèguent que l'Etat défendeur a manqué aux obligations positives qui lui incombent en vertu des articles 2 et 3 de la Convention de mener une enquête effective propre à aboutir à la punition des individus responsables des mauvais traitements et du décès de leur proche.
84.  Invoquant la jurisprudence de la Cour, les intéressés soutiennent que l'enquête conduite en l'espèce était clairement ineffective, en ce que, pendant un laps de temps considérable, elle n'a pas permis de poursuivre et de punir les agresseurs.
85.  Enfin, d'après les requérants, la décision du 18 mars 2005 du parquet régional de Shumen rendait encore plus improbable la punition de l'un des agresseurs pour le décès de leur parent, car les éléments à charge pesant sur le premier agresseur n'étaient pas suffisamment concluants pour aboutir à sa condamnation. Selon les intéressés, les déclarations et preuves indiquant que le deuxième agresseur avait poignardé la victime étaient bien plus abondantes et crédibles mais, en raison de l'expiration du délai de poursuite, elles ont toutes perdu de leur pertinence. L'enquête ayant duré tellement longtemps et ayant été conduite de manière ineffective, il aurait été impossible de voir les poursuites contre l'un des agresseurs aboutir à une condamnation.
86.  Les requérants formulent des arguments analogues concernant l'enquête sur les mauvais traitements infligés par les agresseurs à leur proche, enquête qu'ils considèrent également comme excessivement longue et ineffective. Aucun des agresseurs n'aurait été inculpé de coups et blessures ; ils auraient seulement été inculpés « d'actes de hooliganisme », infraction qui aurait emporté une peine moins lourde. Toutefois, même ces accusations auraient été écartées le 18 mars 2005, pour l'ensemble des agresseurs, à l'exception d'un, parce que le délai pour introduire une procédure contre eux ayant expiré.
B.  Sur la recevabilité
87.  La Cour note que le Gouvernement plaide que les requérants sont restés en défaut d'épuiser les voies de recours internes en ce qu'ils n'ont pas attendu la fin de la procédure pénale dirigée contre les agresseurs. Les requérants soutiennent quant à eux que la question de l'épuisement des voies de recours internes est inextricablement liée au fond de leur grief et, de surcroît, que la procédure pénale conduite contre une partie des agresseurs s'était quoi qu'il en soit terminée le 18 mars 2005.
88.  La Cour observe que la procédure pénale, qui fut ouverte contre les agresseurs le 19 avril 1996, était encore pendante au stade de l'enquête lorsque les requérants l'ont saisie le 7 février 2000, alléguant notamment que ladite procédure était excessivement longue et, donc, ineffective. Par la suite, le 18 mars 2005, la procédure pénale contre tous les agresseurs, sauf deux, fut clôturée. Toutefois, elle est probablement encore cours contre les deux individus en question.
89.  La Cour estime que la question de l'épuisement des voies de recours internes et la durée de la procédure pénale dirigée contre les agresseurs sont assurément liées au fond du grief des requérants selon lequel la durée de l'enquête rend en soi celle-ci ineffective. Par conséquent, pour éviter de préjuger cette dernière question, il y a lieu d'examiner les deux conjointement. Partant, la Cour dit que la question de l'épuisement des voies de recours interne doit être jointe au fond.
90.  En conclusion, la Cour estime que les griefs formulés par les requérants sur le terrain des articles 2, 3 et 13 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l'article 35 § 3 de la Convention ou irrecevables pour un autre motif. Ils doivent donc être déclarés recevables.
C.  Sur le fond
1.  Principes généraux
91.  L'article 2, qui garantit le droit à la vie, se place parmi les articles primordiaux de la Convention et consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe. La Cour doit examiner de façon extrêmement attentive les allégations de violation de cette disposition (Natchova et autres, précité, § 93).
92.  La Cour observe d'emblée que les requérants n'imputent pas aux autorités de l'Etat défendeur la responsabilité du décès de leur proche ; ils ne laissent pas non plus entendre que lesdites autorités savaient, ou auraient dû savoir, que leur proche risquait de subir des actes de violence aux mains de tiers et qu'elles sont restées en défaut de prendre des mesures adéquates pour le protéger contre un tel risque. La présente espèce doit donc être distinguée des affaires dénonçant un recours à la force meurtrière par des agents de l'Etat ou par des particuliers avec la complicité d'agents de l'Etat (McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 Septembre 1995, série A no 324, Shanaghan c. Royaume-Uni, no 37715/97, § 90, 4 mai 2001, Anguelova c. Bulgarie, no 38361/97, CEDH 2002-IV, Natchova et autres précité, et Ognyanova et Choban c. Bulgarie, no 46317/99, 23 février 2006), de celles dans lesquelles les circonstances de fait imposaient aux autorités de protéger la vie d'un individu, au motif par exemple lorsqu'elles étaient responsables de son bien-être (Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, no 46477/99, CEDH 2002-II) et de celles, enfin, dans lesquelles les autorités savaient – ou auraient du savoir – que la vie de la personne était en jeu (Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII).
93.  Toutefois, l'absence d'une responsabilité directe de l'Etat dans la mort du proche des requérants n'exclut pas l'application de l'article 2 de la Convention. La Cour rappelle qu'en astreignant l'Etat à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 Juin 1998, § 36, Recueil 1998-III), l'article 2 § 1 impose à celui-ci le devoir d'assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s'appuyant sur un mécanisme d'application conçu pour prévenir, réprimer et sanctionner les violations (Osman précité, § 115).
94.  Dans les circonstances de l'espèce, cette obligation requiert que soit menée une forme d'enquête officielle effective lorsqu'il y a des raisons de croire qu'un individu a subi des blessures potentiellement mortelles dans des circonstances suspectes. L'enquête doit permettre d'établir la cause des lésions et d'identifier et sanctionner les responsables. Elle revêt d'autant plus d'importance lorsqu'il y a, comme en l'espèce, décès de la victime, car le but essentiel qu'elle poursuit est d'assurer l'application effective des lois internes qui protègent le droit à la vie (Anguelova précité, § 137, Natchova et autres précité, § 110, et Ognyanova et Choban précité, § 103).
95.  La Cour rappelle que, dans ses arrêts concernant les affaires où il était allégué que des agents de l'Etat étaient responsables du décès d'une personne, elle a précisé que l'obligation susmentionnée est une obligation de moyens et non de résultat. Ainsi, les autorités doivent avoir pris les mesures raisonnables dont elles disposaient pour assurer l'obtention des preuves relatives aux faits en question, y compris, entre autres, les dépositions des témoins oculaires, des expertises et, le cas échéant, une autopsie propre à fournir un compte rendu complet et précis des blessures et une analyse objective des constatations cliniques, notamment de la cause du décès. Toute déficience de l'enquête affaiblissant sa capacité à établir la cause du décès ou les responsabilités risque de faire conclure qu'elle ne répond pas à cette norme (Anguelova précité, § 139, Natchova et autres précité, § 113, et Ognyanova et Choban précité, § 105).
96.  Quant au type d'enquête devant permettre d'atteindre ces objectifs, il peut varier selon les circonstances. Toutefois, quelles que soient les modalités choisies, les autorités doivent agir d'office, dès que l'affaire est portée à leur attention. Elles ne sauraient laisser aux proches du défunt l'initiative de déposer une plainte formelle ou une demande tendant à l'exploitation de certaines pistes d'enquête ou procédures d'investigation (İlhan c. Turquie [GC], no  22277/93, § 63, CEDH 2000-VII, et Natchova et autres précité, § 111).
97.  Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte. Force est d'admettre qu'il peut y avoir des obstacles ou des difficultés empêchant l'enquête de progresser dans une situation particulière. Toutefois, une réponse rapide des autorités lorsqu'il s'agit d'enquêter sur le recours à la force meurtrière peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux (McKerr c. Royaume-Uni, no 28883/95, § 114, CEDH 2001-III, et Ognyanova et Choban précité, § 106).
98.  Bien que l'Etat ne soit pour rien dans le décès du proche des requérants, la Cour estime que les exigences procédurales élémentaires susmentionnées s'appliquent avec autant de force à une enquête portant sur une agression potentiellement mortelle, que la victime soit décédée ou non (voir, mutatis mutandis, M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, § 151, CEDH 2003-XII). Elle ajoute que lorsque ce sont des motifs raciaux qui sont à l'origine de l'agression, il importe particulièrement que l'enquête soit menée avec diligence et impartialité, eu égard à la nécessité de réaffirmer en permanence la condamnation du racisme par la société et de préserver la confiance des minorités dans la capacité des autorités à les protéger de la menace des violences racistes (Menson et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 47916/99, CEDH 2003-V).
2.  Application de ces principes au cas d'espèce
99.  La Cour observe que l'enquête préliminaire sur le décès du parent des requérants a été ouverte presque immédiatement après l'agression du 18 avril 1996 (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). Il a fallu moins d'un jour aux enquêteurs pour identifier les auteurs de l'attaque, pour les appréhender ou les interroger tous et pour inculper le premier d'entre eux de meurtre résultant d'un acte de hooliganisme (paragraphe 12 ci-dessus). A la même époque, l'un des agresseurs, D.K., informa le magistrat instructeur que l'agression avait une motivation raciste parce que la victime était d'origine rom (paragraphe 13 ci-dessus). Le mois suivant, des rapports médicaux et autres furent requis et les cinq autres agresseurs furent inculpés de hooliganisme s'accompagnant d'un cynisme et d'une impudence exceptionnels (paragraphes 14-22 ci-dessus).
100.  La Cour note en outre qu'au début les autorités ont réagi promptement, lorsque les agresseurs qui avaient d'abord accusé le premier d'entre eux d'avoir poignardé la victime varièrent dans leurs dépositions. En effet, les accusations portées contre le premier agresseur furent modifiées en acte de hooliganisme commis avec un cynisme et une impudence exceptionnels (paragraphe 26 ci-dessus), N.R. et S.H. furent inculpés de fausses déclarations aux autorités d'instruction, en ce qu'ils avaient incriminé le premier agresseur (paragraphe 27 ci-dessus), et le deuxième agresseur fut inculpé de coups et blessures de moyenne gravité ayant entraîné la mort sans intention de la donner (paragraphe 28 ci-dessus).
101.  Pendant les trois années qui suivirent, l'enquête préliminaire a toutefois traîné en longueur pour des raisons qui n'ont pas été révélées, des actes d'instruction ayant été accomplis environ une fois par an (paragraphes 30-34 ci-dessus). De 1999 à 2001, les autorités se sont montrées plus actives, mais malgré les nombreuses confrontations entre les témoins, les expertises et examens médicaux et autres effectués et les propositions du magistrat instructeur de traduire les agresseurs en justice, rien de concret n'en est ressorti (paragraphes 34-50 ci-dessus). Puis, pendant quatre ans, de 2001 à 2005, il n'y a eu absolument aucun progrès et la procédure pénale est demeurée au stade de l'instruction jusqu'à ce que la Cour communique la présente affaire au gouvernement défendeur (paragraphes 5 et 50-52 ci-dessus). Les retards s'étant accumulés, le délai pour poursuivre la majorité des agresseurs expira et les autorités clôturèrent la procédure pénale dirigée contre eux le 18 mars 2005. Dès lors, bien que les autorités eussent identifié les agresseurs presque tout de suite après l'agression et eussent déterminé avec une assez grande certitude l'identité de l'individu qui avait poignardé la victime, pendant plus de onze ans personne n'a été traduit en justice pour l'agression du proche des requérants.
102.  La Cour observe à cet égard que le Gouvernement n'a fourni aucune explication convaincante quant aux lenteurs de la procédure pénale. Elle estime que les arguments avancés ne justifient pas le manquement des autorités, des années durant, à conclure la procédure pénale et à traduire les agresseurs en justice.
103.  La Cour reconnaît que l'instruction préliminaire est toujours en cours contre deux des agresseurs mais, compte tenu de la durée de la procédure jusqu'ici, il y a lieu de se demander s'ils seront jamais l'un ou l'autre traduit en jugement ou condamné. Quoi qu'il en soit, elle estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner ce point dans le contexte de la présente requête, eu égard au retard accumulé dans la procédure jusqu'ici et au fait qu'elle est terminée pour la majorité des agresseurs, le délai pour les poursuivre ayant expiré en raison de l'inactivité des autorités. A cet égard, elle ne considère pas non plus que les requérants auraient dû attendre l'issue de la procédure pour la saisir, puisque la clôture de cette procédure n'aurait aucunement remédié à sa durée globale.
104.  Quant au point de savoir si l'ordre juridique bulgare offre une protection adéquate contre les infractions à motivation raciste, la Cour observe que le droit pénal interne ne renferme ni disposition réprimant spécifiquement en tant qu'infractions distinctes le meurtre ou les lésions corporelles graves à motivation raciste (articles 115-135 du code pénal), ni disposition prévoyant expressément des peines plus lourdes en cas d'infractions ayant pareille motivation (articles 116 et 131 du code pénal). La Cour estime toutefois que l'on peut aussi recourir à d'autres moyens pour atteindre le résultat voulu consistant à punir les auteurs d'infractions ayant des mobiles racistes. La législation interne offre la possibilité de prononcer une peine plus sévère en fonction, entre autres, de la motivation de l'auteur de l'infraction (paragraphe 63 ci-dessus). D'ailleurs, les autorités ont inculpé les agresseurs d'infractions qualifiées qui, même si elles ne faisaient pas directement référence au mobile raciste des auteurs de l'agression, emportaient des peines plus lourdes que celles prévues par le droit interne pour les infractions liées à la haine raciale (paragraphes 56-61 ci-dessus). Partant, de l'avis de la Cour, ni la législation interne ni l'absence de disposition spécifique punissant plus lourdement le meurtre ou les lésions corporelles graves lorsqu'ils sont motivés par le racisme n'ont entravé ou freiné les autorités dans la conduite d'une enquête effective sur le décès du parent des requérants et dans l'application effective de la législation interne existante.
105.  En conclusion, la Cour estime que dans les circonstances particulières de l'espèce les autorités ont manqué à leur obligation, au titre de l'article 2, d'instruire de façon effective le décès du proche des requérants avec diligence et célérité et avec l'énergie voulue, compte tenu des mobiles racistes de l'agression et de la nécessité de préserver la confiance des minorités dans la capacité des autorités à les mettre à l'abri des menaces de violence raciste.
Il y a donc eu violation de l'article 2 § 1 de la Convention. Il s'ensuit que l'exception préliminaire du Gouvernement (paragraphes 89 et 103 ci-dessus) doit être rejetée.
106.  Eu égard à cette conclusion, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de formuler en l'espèce une conclusion distincte sur le terrain des articles 3 et 13 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Anguelova précité, § 150, Ognyanova et Choban précité, § 124, et Natchova et autres précité, § 123).
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 COMBINÉ AVEC LES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION
107.  Les requérants allèguent la violation de l'article 14 combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention en ce que les autorités ont manqué à leur obligation d'instruire et de poursuivre une infraction à caractère violent inspirée par le racisme. Ils invoquent notamment leur origine rom, les préjugés prétendument très répandus contre leur groupe ethnique et le manquement systématique des autorités à traiter la violence et la discrimination généralisées dont fait l'objet leur communauté.
L'article 14 de la Convention est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
A.  Observations
1.  Le Gouvernement
108.  Le Gouvernement conteste l'allégation des requérants et soutient qu'il y a lieu de déclarer ce grief irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Selon lui, s'ils estimaient que la durée excessive de l'enquête ou toute autre inactivité alléguée de la part des autorités tenait à des motifs discriminatoires, les requérants auraient pu engager contre les autorités une action en vertu de la loi sur la protection contre la discrimination, en vigueur depuis le 1er janvier 2004.
109.  Quoi qu'il en soit, il n'y aurait eu rien de discriminatoire dans la façon dont les autorités ont conduit l'enquête, ce que démontrerait la diligence dont elles ont fait preuve et la précision et la sévérité des accusations finalement portées contre le premier agresseur.
2.  Les requérants
110.  Les requérants combattent l'argument du Gouvernement selon lequel ce grief doit être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. L'action prévue par la loi sur la protection contre la discrimination n'aurait pas été un recours qu'ils auraient été tenus d'exercer puisqu'il n'aurait été ni effectif ni disponible. Les intéressés observent que, d'après la jurisprudence constante de la Cour, les recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs ne doivent pas être exercés (voir, mutatis mutandis, Sakık et autres c. Turquie, 26 novembre 1997, § 53, Recueil 1997-VII, p. 2625) et un individu doit jouir d'une possibilité claire, concrète et effective de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits (De Geouffre de la Pradelle c. France, 16 décembre 1992, § 34, série A no 253-B, et Bellet c. France, 4 décembre 1995, § 36, série A no 333-B). Quant au recours dont le Gouvernement dit qu'il était disponible, les requérants relèvent que la loi sur la protection contre la discrimination est entrée en vigueur près de quatre ans après qu'ils eurent saisi la Cour. Pour ce qui est du caractère effectif du recours, une action en dommages-intérêts, qu'elle soit fondée sur la législation contre la discrimination ou sur le droit commun de la responsabilité, ne saurait remédier à la substance du grief qu'ils formulent devant la Cour, c'est-à-dire que les autorités sont restées en défaut de conduire une enquête effective sur le décès de leur proche et de poursuivre les coupables. En outre, une action au titre de ladite loi serait dirigée contre les autorités d'instruction et les requérants devraient prouver qu'elles ont opéré une discrimination fondée sur la race, ce dont il n'y aurait aucune preuve directe. Par conséquent, il n'y aurait aucun lien direct entre les griefs qu'ils soulèvent devant la Cour et le recours invoqué par le Gouvernement.
111.  En ce qui concerne le fond de leur grief, les requérants renvoient à l'arrêt rendu par la Cour le 26 février 2004 dans l'affaire Natchova et autres (précitée) et note que les Etats parties à la Convention ont l'obligation positive d'enquêter sur d'éventuels motifs discriminatoires lorsqu'il existe des preuves qu'un acte de violence était motivé par le racisme. Invoquant l'arrêt rendu par la Cour dans cette affaire, les requérants soutiennent que l'article 14 de la Convention, combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention, renferme une obligation procédurale distincte de mener une telle enquête. Pareille obligation serait pleinement conforme à la jurisprudence de la Cour sous l'angle des articles 2 et 3 de la Convention (Menson et autres précitée) et aux normes en vigueur du droit international (voir la jurisprudence du Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale – communication 4/91, L.K. c. Pays-Bas, opinion du 16 mars 1993, paragraphe 6.6.). Partant, les requérants allèguent la violation de l'article 14, combiné avec l'aspect procédural des articles 2 et 3 de la Convention – obligation d'enquêter lorsqu'il existe des preuves permettant raisonnablement de soupçonner que des actes de violence et un meurtre motivés par le racisme ont été commis.
112.  Les requérants soutiennent que l'enquête a permis de recueillir des témoignages et des preuves médicolégales qui indiquaient clairement que la victime avait été agressée, sérieusement battue et tuée en raison de sa race. En particulier, les agresseurs ont déclaré que la victime avait été choisie, frappée et tuée en raison de son origine rom, et uniquement pour cette raison. Des éléments de preuve suffisants montreraient en outre qu'il ne s'agissait en aucun cas d'un évènement isolé pour les agresseurs et que ceux-ci se livraient périodiquement à des actes de violence raciste de même nature. Ainsi, malgré les nombreuses preuves de l'attaque et des coups portés à la victime et ayant causé son décès, les agresseurs et la personne qui avaient poignardé la victime n'auraient jamais été poursuivis. D'après les requérants, ce manquement des autorités bulgares s'analyse en une violation manifeste de l'article 14 combiné avec l'aspect procédural des articles 2 et 3 de la Convention.
113.  Renvoyant à la situation générale des Roms en Bulgarie, aux nombreuses agressions racistes et au taux élevé de violence dirigée contre cette communauté, ainsi qu'aux faits de la présente affaire, les requérants soutiennent en outre que les autorités bulgares auraient dû enquêter sur la discrimination raciale ayant inspiré l'attaque, engager des poursuites à cet égard et porter des accusations tenant compte de la gravité particulière de la violence raciste. Les autorités seraient restées totalement en défaut à cet égard et l'enquête n'aurait absolument pas abordé le mobile raciste des actes de violence subis par leur proche. Les requérants soutiennent que la conduite des autorités de poursuite a donc contrarié le cours de la justice et les a privés d'un recours effectif qui leur eût permis de dénoncer la discrimination dont leur proche fut la victime.
B.  Sur la recevabilité
114.  La Cour note que ce grief est lié à ceux qu'elle a examinés ci-dessus (paragraphes 77-106 ci-dessus) et qu'il y a donc également lieu de le déclarer recevable. Elle estime que le Gouvernement n'a pas suffisamment étayé l'argument selon lequel les requérants auraient dû exercer l'action prévue par la loi sur la protection contre la discrimination, puisqu'elle considère qu'il n'a pas été prouvé que cette action, disponible huit ans après l'agression et quatre ans après la saisine de la Cour, eût constitué un recours effectif quant au grief fondé sur l'article 14 de la Convention et selon lequel les autorités ont manqué leur obligation d'instruire et de poursuivre une infraction à caractère violent motivée par le racisme.
C.  Sur le fond
115.  La Cour rappelle que les Etats ont une obligation générale, en vertu de l'article 2 de la Convention, de conduire une enquête effective en cas d'homicide. Cette obligation doit être acquittée sans discrimination, comme l'exige l'article 14 de la Convention. En outre, lorsqu'elles enquêtent sur des incidents violents, les autorités de l'Etat ont de surcroît l'obligation de prendre toutes les mesures raisonnables pour découvrir s'il existait une motivation raciste et pour établir si des sentiments de haine ou des préjugés fondés sur l'origine ethnique ont joué un rôle dans les évènements. A défaut et si la violence et les brutalités à motivation raciste étaient traitées sur un pied d'égalité avec les affaires sans connotation raciste, cela équivaudrait à fermer les yeux sur la nature spécifique d'actes particulièrement destructeurs des droits fondamentaux. L'absence de distinction dans la façon dont des situations qui sont essentiellement différentes sont gérées peut constituer un traitement injustifié inconciliable avec l'article 14 de la Convention. Certes, il est souvent extrêmement difficile dans la pratique de prouver une motivation raciste. L'obligation de l'Etat défendeur d'enquêter sur d'éventuelles connotations racistes dans un acte de violence est une obligation de moyens et non de résultat absolu. Les autorités doivent prendre les mesures raisonnables, vu les circonstances (Natchova et autres précité, § 160).
116.  En l'espèce, les autorités ont su à un stade très précoce de l'enquête que les auteurs de l'agression contre le proche des requérants étaient inspirés par des motifs racistes, D.K. ayant fait une déposition en ce sens le 19 avril 1996 (paragraphe 13 ci-dessus). La Cour juge totalement inacceptable que, tout en sachant que l'agression était motivée par la haine raciale, les autorités n'aient pas mené à bien avec célérité l'instruction préliminaire contre les agresseurs et ne les aient pas traduits en jugement. Au contraire, elles ont laissé la procédure pénale se prolonger et demeurer au stade de l'instruction pendant plus de onze ans. Par conséquent, le délai pour poursuivre la plupart des agresseurs avait expiré. En outre, la Cour observe que les autorités n'ont pas inculpé les agresseurs d'infractions à motivation raciste. Elle note à cet égard que les préjugés et les actes de violence contre les Roms étaient répandus à l'époque considérée et qu'il y a lieu de réaffirmer continuellement la condamnation du racisme par la société et de préserver la confiance des minorités dans la capacité des autorités à les protéger de la menace des violences racistes (Menson et autres précitée).
117.  La Cour estime donc que les autorités n'ont pas établi en l'espèce la distinction voulue avec d'autres infractions n'ayant pas de motivation raciste, ce qui constitue un traitement injustifié, qui ne saurait se concilier avec l'article 14 de la Convention.
Partant, elle conclut à la violation de l'article 14 combiné avec l'aspect procédural de l'article 2 de la Convention.
118.  Eu égard à cette conclusion, la Cour juge qu'il n'y a pas lieu en l'espèce de formuler une conclusion distincte sous l'angle de l'article 14 combiné avec l'aspect procédural de l'article 3 de la Convention (paragraphe 106 ci-dessus).
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
119.  Invoquant l'article 6 de la Convention, les requérants dénoncent la durée de la procédure pénale dirigée contre les agresseurs. Ils allèguent qu'elle les a privés d'un accès à un tribunal pour réclamer des dommages-intérêts aux agresseurs, car une action civile en réparation dépendait de l'issue et des constats de la procédure pénale.
Le passage pertinent en l'espèce de l'article 6 de la Convention est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».
120.  La Cour note que des griefs similaires ont été rejetés dans les affaires Assenov et autres c. Bulgarie (28 octobre 1998, §§ 110-113, Recueil 1998-VIII, et Toteva c. Bulgarie (déc. no 42027/98, 3 avril 2003). La présente affaire ne révèle aucune différence significative. En particulier, si les requérants avaient engagé une action civile contre les agresseurs, la juridiction civile compétente l'aurait retenue pour examen. Certes, cette juridiction aurait, en toute probabilité, suspendu la procédure si elle avait estimé que les faits en cause étaient constitutifs d'actes criminels. Toutefois, les juridictions civiles ne sont pas liées par un refus des autorités de poursuite d'instruire une affaire, ou par le retard apporté par elles à le faire. Dans les cas où – comme en l'espèce – les requérants n'ont pas engagé d'action civile, ce serait pure spéculation que de considérer que pareille procédure civile serait restée en suspens pendant un laps de temps si long qu'il en serait résulté un déni de justice de facto comme l'allèguent les requérants.
121.  Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté conformément à l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
122.  Aux termes de l'article 41 :
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
123.  Les requérants réclament 40 000 euros (EUR) pour la victime, pour eux-mêmes et pour les trois filles de la première requérante, sœurs de la victime. Cette somme est sollicitée au titre de la violation des droits de la victime et de la douleur et de la souffrance occasionnées à l'ensemble de ses parents proches – mère, sœurs et frère – par l'ineffectivité, la durée excessive et finalement l'interruption de l'enquête et des poursuites contre les responsables des coups et du décès, de la perte du soutien moral et financier que le parent des requérants aurait fourni à sa famille et de l'impossibilité pour les proches de soumettre une demande en dommages-intérêts en vertu du droit interne pendant plus de neuf ans.
Les requérants soutiennent qu'il y a lieu, au titre de l'article 41 de la Convention, de réparer pleinement le préjudice moral subi par les personnes victimes d'une violation des droits consacrés par la Convention et que les indemnités les plus élevées allouées par la Cour concernent des violations du droit à la vie. Ils notent en outre que la Cour, dans sa jurisprudence, indique un certain nombre de circonstances à prendre en compte en pareils cas, telles que le point de savoir si la conduite des autorités était particulièrement condamnable ou si l'enquête qui s'en est suivie était particulièrement viciée, l'âge de la victime (Anguelova précité, § 173) et le point de savoir s'il a été démontré que l'Etat défendeur a toléré une large pratique de violation des droits, protégés par la Convention (Natchova et autres précité, §§ 171-172).
Les requérants soutiennent qu'en l'espèce plusieurs circonstances appellent l'octroi d'une indemnité plus élevée : leur proche a été victime d'une agression, de coups et d'un meurtre racistes ; il s'agissait d'une victime innocente, choisie au hasard en raison de sa couleur de peau ; malgré les preuves abondantes concernant l'infraction et les auteurs de celle-ci, les autorités ont choisi de ne pas instruire et poursuivre un crime manifestement raciste ; une telle approbation tacite du racisme par les autorités est particulièrement condamnable et les circonstances particulières du décès de la victime et la conduite des autorités d'enquête et de poursuite ne doivent en aucun cas être tolérées.
Enfin, les requérants allèguent qu'il leur est pratiquement impossible d'être indemnisés par les agresseurs au niveau national, eu égard aux derniers faits intervenus dans la procédure pénale, à l'expiration du délai pour poursuivre la plupart des coupables et aux difficultés d'administration de la preuve pour engager une action civile en dommages-intérêts après tant d'années.
124.  Le Gouvernement soutient que les demandes des requérants sont excessives et non fondées et qu'elles ne correspondent pas aux indemnités octroyées par la Cour dans des affaires antérieures analogues. Il renvoie à l'arrêt rendu dans l'affaire Natchova et autres (précitée) dans laquelle la Cour a alloué aux proches de la première victime 25 000 EUR pour préjudice matériel et moral et aux parents de la seconde victime conjointement 22 000 EUR pour préjudice matériel et moral. Il invoque également l'affaire Anguelova (précitée) dans laquelle la Cour a octroyé au requérant 19 050 EUR pour préjudice moral. Il fait observer en outre que toute indemnité pour préjudice doit être équitable et estime que le montant demandé par les requérants a été calculé arbitrairement.
Le Gouvernement conteste la possibilité pour les requérants de réclamer une indemnité au nom des sœurs de la victime, celles-ci n'ayant pas été parties à la procédure devant la Cour, et considère qu'elles ne doivent pas percevoir d'indemnité. Les sœurs de la victime avaient la faculté de participer à la procédure et, le cas échéant, elles auraient pu demander une indemnité, comme l'ont fait les proches des victimes dans les affaires susmentionnées.
Le Gouvernement repousse l'argument des requérants selon lequel ils n'ont pas eu la possibilité de réclamer des dommages-intérêts aux agresseurs au niveau national et renvoie à l'action civile introduite par les intéressés et les sœurs de la victime en avril 2005 dans le cadre de la procédure pénale pendante.
125.  Pour ce qui est de la demande pour dommage matériel, la Cour rappelle qu'il doit y avoir un lien de causalité entre le dommage allégué par le requérant et la violation de la Convention et que cela peut, le cas échéant, inclure une indemnité au titre de la perte de revenu (voir, parmi d'autres, Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne (article 50), 13 juin 1994, §§ 16-20, série A no 285-C, et Çakıcı c. Turquie [GC], no 23657/94, § 127, CEDH 1999-IV). La Cour note qu'en l'espèce les responsables des mauvais traitements et du décès de la victime sont des particuliers. Dès lors, bien qu'il existe un lien direct entre le décès et la perte alléguée du soutien financier, le Gouvernement n'est pas responsable des actes des agresseurs et ne saurait donc être tenu d'indemniser les requérants pour le dommage matériel subi en conséquence. Partant, la Cour rejette la demande des intéressés pour préjudice matériel.
126.  En ce qui concerne le calcul de l'indemnité sollicitée pour préjudice moral, la Cour note que, s'agissant des demandes de satisfaction équitable, l'article 60 de son règlement exige que la partie concernée soit requérante et ait déposé une demande à cet effet. L'article 60 énonce :
« 1.  Tout requérant qui souhaite que la Cour lui accorde une satisfaction équitable au titre de l'article 41 de la Convention (...) doit formuler une demande spécifique à cet effet.
2.  Le requérant doit soumettre ses prétentions, chiffrées et ventilées par rubrique (...)
3.  Si le requérant ne respecte pas les exigences décrites dans les paragraphes qui précèdent, la chambre peut rejeter tout ou partie de ses prétentions. »
127.  Ainsi, des indemnités ne peuvent en principe être allouées qu'à des requérants dans la procédure devant la Cour.
128.  La Cour note toutefois que des sommes ont précédemment été octroyées à des conjoints survivants et des orphelins et, le cas échéant, à des requérants qui avaient survécu à leurs parents ou frère et sœur. Elle a également déjà alloué des sommes en ce qui concerne le défunt, après avoir constaté qu'il y avait eu une détention arbitraire ou des actes de torture avant la disparition ou le décès, sommes qui devaient être détenues pour le compte des héritiers du défunt (voir, parmi d'autres, Çakıcı [GC], précité, § 130, et Akdeniz et autres c. Turquie, no 23954/94, § 133, 31 mai 2001). La Cour reconnaît que dans ces affaires une partie des indemnités représentait une réparation pour la douleur et les souffrances subies par la victime elle-même aux mains de la police ou des forces de l'ordre du fait des violations matérielles des articles 2 et/ou 3 de la Convention. La présente affaire concerne les mauvais traitements et le décès du proche des requérants résultant d'actes de particuliers. Par conséquent, seules la douleur et les souffrances occasionnées aux requérants par des événements consécutifs au décès de leur proche – pour lesquels l'Etat défendeur est responsable – sont à prendre en compte pour la fixation de l'indemnité à allouer.
129.  Par ailleurs, la Cour note que les héritiers de la victime ont été identifiés peu après le décès en 1996 ; il s'agit de la mère, du frère et des trois sœurs du défunt. La procédure devant la Cour a été engagée et poursuivie par la mère et le frère de la victime, mais cela ne constitue pas une entrave ou un obstacle empêchant les trois sœurs de se joindre à la procédure et de se prétendre elles-mêmes victimes des violations alléguées. Les trois sœurs n'ayant pas exercé leur droit de participer à la procédure, la Cour estime qu'elles ne satisfont pas aux exigences des articles 41 de la Convention et 60 du règlement de la Cour, c'est-à-dire avoir la qualité de requérants qui prétendent être une partie lésée et qui ont déposé une demande valable au titre du préjudice subi.
130.  Partant, statuant en équité et tenant compte des indemnités allouées dans des affaires analogues (Anguelova précité, § 173, et Natchova et autres précité, §§ 171-172), la Cour juge approprié dans les circonstances de l'espèce d'octroyer 15 000 EUR conjointement aux deux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre de taxe.
B.  Frais et dépens
131.  Les requérants sollicitent 6 000 EUR pour les 65 heures de travail juridique fourni sur des questions concernant l'affaire par leur avocat devant la Cour, au taux de 80 EUR l'heure, et pour les 23 heures de déplacements, au taux de 40 EUR l'une. Ils ont présenté une convention d'honoraires et un relevé d'heures de travail. Ils demandent que les frais et dépens engagés soient directement remboursés à leur avocat, Me Y. Grozev.
132.  Le Gouvernement conteste le relevé d'heures présenté par les requérants et le nombre d'heures que leur avocat aurait consacrées à la procédure devant la Cour, le jugeant excessif pour le travail accompli. En ce qui concerne les frais de voyage, il soutient que rien ne prouve que ces voyages ont bien eu lieu, aucun billet ou reçu n'ayant été soumis à la Cour. Quoi qu'il en soit, il juge excessif le taux de 40 EUR l'heure pour le voyage de l'avocat.
133.  La Cour rappelle que, d'après sa jurisprudence, le remboursement des frais et dépens présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. Eu égard à la complexité de l'affaire, aux observations de l'avocat des requérants et à d'autres facteurs pertinents, la Cour juge raisonnable d'octroyer la somme de 3 500 EUR pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre de taxe.
C.  Intérêts moratoires
134.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Décide de joindre au fond la question de l'épuisement des voies de recours internes relativement à l'article 2 de la Convention ;
2.  Déclare recevables les griefs concernant a) le manquement des autorités à mener une enquête rapide, effective et impartiale propre à conduire au jugement et à la condamnation des responsables des mauvais traitements et du décès du proche des requérants, et b) le manquement des autorités à leur obligation d'instruire et de poursuivre une infraction à caractère violent motivée par le racisme ;
3.  Déclare la requête irrecevable pour le surplus ;
4.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 2 de la Convention et, par conséquent, rejette l'exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ;
5.  Dit qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle des articles 3 et 13 de la Convention ;
6.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 14 combiné avec l'article 2 de la Convention ;
7.  Dit qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 14 combiné avec l'article 3 de la Convention ;
8.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter de la date à laquelle l'arrêt sera devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du versement :
i.  15 000 EUR (quinze mille euros) pour préjudice moral, aux requérants conjointement ;
ii.  3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) pour frais et dépens, à verser sur le compte en banque de l'avocat des requérants ;
iii.  tout montant pouvant être dû à titre de taxe sur les sommes ci-dessus ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
9.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 26 juillet 2007, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen   Greffière Président
ARRÊT ANGUELOVA ET ILIEV c. BULGARIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire jointe au fond et rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de l'art. 2 ; Aucune question distincte au regard de l'art. 3 ; Aucune question distincte au regard de l'art. 13 ; Violation de l'art. 14+2 ; Aucune question distincte au regard de l'art. 14+3 ; Partiellement irrecevable ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 14) AUTRE SITUATION, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 2-1) VIE, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE


Parties
Demandeurs : ANGUELOVA ET ILIEV
Défendeurs : BULGARIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (cinquième section)
Date de la décision : 26/07/2007
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 55523/00
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-07-26;55523.00 ?
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