La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/10/2007 | CEDH | N°1448/04

CEDH | AFFAIRE HASAN ET EYLEM ZENGIN c. TURQUIE


ANCIENNE DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE HASAN ET EYLEM ZENGİN c. TURQUIE
(Requête no 1448/04)
ARRÊT
STRASBOURG
9 octobre 2007
DÉFINITIF
09/01/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Hasan et Eylem Zengin c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (ancienne deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    I. Cabral Barreto,    R. T

ürmen,    M. Ugrekhelidze,   Mmes A. Mularoni,    E. Fura-Sandström, juges,  et de Mme F. Elens-Passos,...

ANCIENNE DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE HASAN ET EYLEM ZENGİN c. TURQUIE
(Requête no 1448/04)
ARRÊT
STRASBOURG
9 octobre 2007
DÉFINITIF
09/01/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Hasan et Eylem Zengin c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (ancienne deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    A.B. Baka,    I. Cabral Barreto,    R. Türmen,    M. Ugrekhelidze,   Mmes A. Mularoni,    E. Fura-Sandström, juges,  et de Mme F. Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 3 octobre 2006 et 18 septembre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 1448/04) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Hasan Zengin et Mlle Eylem Zengin (« les requérants »), ont saisi la Cour le 2 janvier 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants ont été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire.
3.  Les requérants alléguaient en particulier que la manière dont le cours obligatoire de culture religieuse et connaissance morale est dispensé porte atteinte aux droits que leur garantissent la seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1 et l'article 9 de la Convention.
4.  Par une décision du 6 juin 2006, la chambre a déclaré la requête recevable.
5.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 3 octobre 2006 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  MM. M. Özmen, co-agent,   H. Ünler,  Mmes Z.G. Acar,   E. Esin,   D. Kilislioğlu,  MM. İ. Aycan,   S. Duman, conseillers ;
–  pour les requérants  MM. K. Genç, conseil,   A.Ş. Yakişan,  Mme İ. Melikoff  MM. T. Öker, conseillers,  M. H. Zengin,  requérant.
La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Genç et Özmen.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6.  Hasan Zengin, né en 1960, et sa fille Eylem Zengin, née en 1988, résident à Istanbul.
Lorsque M. Zengin a introduit la requête en son nom et en celui de sa fille, celle-ci fréquentait la classe de 7e à l'école publique d'Avcılar, à Istanbul.
A.  Contexte de l'affaire
7.  Hasan Zengin affirme que sa famille adhère à la confession des alévis.
8.  La confession des alévis est née en Asie centrale mais s'est développée principalement en Turquie. Deux grands soufis ont eu un impact considérable dans l'émergence de ce courant religieux : Hoca Ahmet Yesevi (XIIe siècle) et Haci Bektaşi Veli (XIVe siècle). Cette confession, profondément enracinée dans la société et l'histoire turques, est généralement considérée comme l'une des branches de l'islam, influencée notamment par le soufisme, ainsi que par certaines croyances préislamiques. Sa pratique religieuse diffère de celle des écoles sunnites1 sur de nombreux points, tels que la prière, le jeûne ou le pélerinage.
9.  Selon le requérant, la confession des alévis est une croyance ou une philosophie influencée par d'autres cultures, religions et philosophies. Elle constitue l'une des confessions les plus répandues en Turquie après la branche hanéfite2 de l'islam. Elle prône une proximité avec la nature, la tolérance, la modestie et l'amour du prochain dans la confession islamique. Les alévis refusent la charia (code de lois de l'islam orthodoxe) et la sunna (formes de conduite et règles formelles de l'islam orthodoxe) et défendent la liberté de religion, les droits de l'homme, le respect de la femme, l'humanisme, la démocratie, le rationalisme, le modernisme, l'universalisme, la tolérance et la laïcité. Les alévis ne prient pas selon le rite sunnite (en particulier, ils n'observent pas les cinq prières quotidiennes obligatoires), mais expriment leur dévotion par des chants et danses religieux (semah) ; ils ne fréquentent pas les mosquées, mais se réunissent régulièrement dans des cemevi (lieux de réunion et de culte) pour des cérémonies rituelles. De même, les alévis ne considèrent pas le pèlerinage à la Mecque comme une obligation religieuse. En effet, ils pensent qu'Allah est présent dans chaque homme. Dans la confession des alévis, Allah a créé Adam à son image et toutes ses manifestations en ce monde se font sous la forme humaine. Allah ne se trouve ni au ciel ni au paradis, mais au centre du cœur humain.
B.  Demande de dispense présentée par les requérants et recours en annulation
10.  Le 23 février 2001, le requérant demanda à la direction départementale de l'Education nationale (« la direction ») près la préfecture d'Istanbul de dispenser sa fille du cours de culture religieuse et connaissance morale. Indiquant que sa famille adhérait à la confession des alévis, il souligna que, selon les traités internationaux, tels que par exemple la Déclaration universelle des droits de l'homme, les parents avaient le droit de choisir le type d'éducation à donner à leurs enfants. En outre, il soutint que le cours obligatoire de culture religieuse et connaissance morale n'était pas compatible avec le principe de laïcité.
11.  Le 2 avril 2001, la direction répondit qu'il était impossible de donner une suite favorable à la demande de dispense. Elle déclara notamment ce qui suit :
« (...) l'article 24 de la Constitution dispose que « (...) l'éducation et l'instruction religieuses et la connaissance morale se font sous la surveillance et le contrôle de l'Etat. L'enseignement de la culture religieuse et la connaissance morale figurent au nombre des matières obligatoires enseignées dans les établissements scolaires du primaire et du premier cycle du secondaire. A l'exception de ces cas, l'éducation et l'instruction religieuses relèvent de la demande de chacun et, pour les mineurs, de celle de leur représentant légal. »
L'article 12 de la loi fondamentale sur l'Éducation nationale no 1739 (...) dispose que « la laïcité est le fondement de l'Education nationale turque. La culture religieuse et l'enseignement moral font partie des matières obligatoires enseignées dans les écoles primaires et les lycées, ainsi que dans les écoles de même niveau. »
C'est pourquoi il ne peut être donné suite à votre requête. »
12.  A la suite du refus de la direction, le requérant introduisit un recours en annulation devant le tribunal administratif d'Istanbul. Il soutint que dans le cadre du cours obligatoire de culture religieuse et connaissance morale étaient principalement enseignées les règles fondamentales de l'islam hanéfite et qu'aucun enseignement n'était donné sur sa confession. Il contesta en particulier le caractère obligatoire de cette matière.
13.  Par une décision du 28 décembre 2001, le tribunal administratif débouta le requérant de sa demande, estimant notamment que :
« L'article 24 de la Constitution a établi que la culture religieuse et l'éducation morale font partie des matières obligatoires enseignées dans les écoles primaires et secondaires, et l'article 12 de la loi no 1739 [énonce] que la culture religieuse et l'éducation morale font partie des matières obligatoires enseignées dans les écoles primaires et les lycées et écoles de même niveau.
Dans ce contexte, le refus de la demande du plaignant n'est pas contraire à la loi (...) »
14.  Le requérant forma un pourvoi contre ce jugement en invoquant notamment la Convention.
15.  Par un arrêt du 14 avril 2003, signifié le 5 août 2003, le Conseil d'Etat rejeta ce pourvoi et confirma le jugement de première instance, considérant que celui-ci était conforme aux règles de procédure et aux lois.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Constitution
16.  L'article 24 de la Constitution, en ses passages pertinents, est ainsi libellé :
« Chacun a droit à la liberté de conscience, de croyance et de conviction religieuse.
Les prières, les rites et les cérémonies religieux sont libres sous réserve que les dispositions de l'article 14.
Nul ne peut être contraint de participer à des prières ou à des cérémonies et rites religieux ni de divulguer ses croyances et convictions religieuses ; nul ne peut être blâmé ni inculpé en raison de ses croyances ou convictions religieuses.
L'éducation et l'enseignement religieux et éthiques sont dispensés sous la surveillance et le contrôle de l'Etat. L'enseignement de la culture religieuse et de la morale figure parmi les cours obligatoires dispensés dans les établissements scolaires du primaire et du secondaire. En dehors de ces cas, l'éducation et l'enseignement religieux dépendent de la volonté propre de chacun et, en ce qui concerne les mineurs, de celle de leurs représentants légaux.
Nul ne peut, de quelque manière que ce soit, exploiter la religion, les sentiments religieux ou les choses considérées comme sacrées par la religion, ni en abuser dans le but de faire reposer, même partiellement, l'ordre social, économique, politique ou juridique de l'Etat sur des préceptes religieux ou de s'assurer un intérêt ou une influence sur le plan politique ou personnel. »
B.  Loi fondamentale no 1739 sur l'Education nationale
17.  L'article 12 de la loi fondamentale no 1739 sur l'Education nationale dispose :
« La laïcité est le fondement de l'Education nationale turque. La culture religieuse et l'éducation morale font partie des matières obligatoires enseignées dans les écoles primaires et les lycées et écoles de même niveau. »
C.  Décisions concernant l'exception et le programme
1.  La décision no 1 du 9 juillet 1990 concernant la dispense
18.  Le 9 juillet 1990, le Haut Conseil de l'éducation adopta une décision concernant le cours de culture religieuse et connaissance morale et les élèves exemptés de ce cours. Elle est libellée comme suit :
« A la suite de la proposition du ministère de l'Education, les élèves de nationalité turque et adhérant à la religion chrétienne ou juive, qui fréquentent les écoles primaires et secondaires, à l'exception des écoles affiliées aux minorités, ne sont pas obligés de suivre le cours de culture religieuse et connaissance morale à condition qu'ils attestent leur adhésion à ces religions. Cependant, si ces élèves veulent suivre ce cours, ils doivent présenter une demande écrite de la part de leur représentant légal. »
19.  A l'audience, le Gouvernement a expliqué que ce mécanisme de dispense pouvait s'étendre aux autres convictions religieuses ou philosophiques, telles que l'athéisme, sans toutefois produire d'exemple concret.
2. Le système éducatif turc et la décision no 373 du 19 septembre 2000 concernant les lignes directrices du cours de culture religieuse et connaissance morale
20.  Depuis 1997, l'instruction publique obligatoire est passée de 5 à 8 années pour les enfants âgés de 6 à 14 ans, les 5 premières années correspondant à l'école élémentaire (de la 1re à la 5e) et les 3 suivantes à l'école secondaire (de la 6e à la 8e).
21.  Par une décision no 373 du 19 septembre 2000, le ministère de l'Éducation nationale approuva les lignes directrices du cours de culture religieuse et connaissance morale (dispensé dans les classes de 4e, 5e, 6e, 7e et 8e).
Les principes adoptés à cet égard sont les suivants :
« (...) à notre [époque] où l'influence interculturelle s'intensifie, il est devenu nécessaire, pour développer une culture de paix et un contexte de tolérance, de posséder des connaissances sur les autres religions.
C'est pourquoi, dans les programmes, (...) ;
Il a été fait place à [l'idée que] le but de toutes les religions est d'éduquer des hommes bons.   [L'enseignement vise aussi à élever des hommes] ayant des connaissances sur le développement historique du judaïsme, du christianisme, de l'hindouisme et du bouddhisme, sur leurs spécificités principales et le contenu de leur doctrine, et pouvant apprécier selon des critères objectifs la place de l'islam face au judaïsme et au christianisme (...)
A.  Principes devant être respectés durant l'apprentissage et l'enseignement (...)
1.  Toujours garder à l'esprit le principe de laïcité. Il ne doit pas être porté atteinte à la liberté de religion, de conscience, de pensée et d'expression.
2.  Souligner que les différences de compréhension et de pratique religieuse sont des richesses.
3.  Tirer profit dans la mesure du possible des sentiments et comportements des élèves pour les socialiser et les éduquer comme de bons citoyens par [le biais] de la connaissance religieuse et morale.
4.  Veiller à ce que les élèves s'approprient les principes d'amour, de respect, de fraternité et d'amitié qui renforcent l'unité et l'union nationale, et les notions et valeurs nationales, telles que la patrie, la nation, le drapeau, le martyre (...)
5.  Souligner que la religion est l'un des principes importants de la culture nationale.
9.  Apprendre la notion de culte au sens large ; que le travail, la propreté et une bonne morale participent à [l'exercice] du culte (...)
10.  Sensibiliser les élèves [au fait que] les actes de culte, en plus d'être des manifestations d'amour, de respect et de gratitude à l'égard d'Allah, permettent aux individus du groupe de se lier avec amour et respect, de s'aider, d'être solidaires (...)
11.  Lors de l'étude de sujets concernant le prophète Mahomet, donner des exemples relatifs à sa moralité.
13.  Fonder les sujets sur les versets et sur les paroles et traditions [de Mahomet] pertinents (...), les passages de lecture seront illustrés par des histoires et des images.
14.  Distinguer avec soin, durant tout le processus d'enseignement, dans le traitement des sujets et le choix des exemples, ceux qui relèvent du Coran et ceux créés par la suite. Pour ce faire, compte tenu également des événements publics et sociaux, souligner ce qui a pour source le Coran et ce qui relève des mœurs, de la coutume, de la tradition, de la croyance, du mode de vie, de l'influence culturelle (...)
Expliquer que l'islam est une religion rationnelle et universelle, loin du mythe, par différents exemples.
Classe de 7e. (...) Unités : Unité 1 – Connaissance du Coran. Unité 2 – La religion est une bonne morale. Unité 3 – Pèlerinage et sacrifice. Unité 4 – Les anges et autres créatures invisibles. Unité 5 – Croyance en l'autre monde. Unité 6 – Notre famille. Unité 7 – Connaissance des religions (...) »
22.  Les requérants produisent cinq manuels de classes de 4e, 5e, 6e, 7e et 8e concernant la culture religieuse et la connaissance morale. Ceux-ci sont utilisés dans les écoles conformément à l'autorisation émanant du ministère de l'Education nationale.
Dans le manuel de 4e, l'instruction part de la notion de religion pour traiter ensuite de la relation entre la morale et la religion, le Créateur et la créature, la famille et la religion, ainsi que de la connaissance de la vie du prophète Mahomet.
Le manuel de 5e commence par expliquer la signification de l'expression « je crois en Dieu ». Il est en particulier consacré à l'apprentissage des notions fondamentales de l'islam : la profession de foi, la prière, la mosquée en tant que lieu de culte, les caractéristiques des prières faites durant le mois du ramadan, la vie familiale du prophète Mahomet. De même est dispensée une connaissance générale sur les prophètes dont les noms figurent dans le Coran.
Le manuel de 6e commence par traiter des différentes prières quotidiennes. Il est expliqué que tout musulman est tenu d'effectuer cinq prières quotidiennes obligatoires. Les rituels correspondants sont illustrés dans le livre. Puis sont abordés des sujets tels que l'aumône, l'amour envers la patrie et la nation, les comportements nocifs, l'amitié et la fraternité, les quatre livres saints, à savoir la Torah, le Zabur (psaumes), les Evangiles et le Coran.
Le manuel de 7e met l'accent sur la connaissance du Coran, le lien entre la religion et le fait d'avoir une bonne morale, le pèlerinage et le sacrifice, les anges et les créatures invisibles, la croyance en l'autre monde ainsi que la famille. En outre, quinze pages sont consacrées à la présentation des grandes religions, à savoir le judaïsme, le christianisme, l'islam, l'hindouisme et le bouddhisme.
Le manuel de 8e évoque la bonne moralité du prophète Mahomet, la culture et la religion, les notions de religion, raison et science, la croyance dans le destin, le lien entre la foi et les comportements. De même, des sujets tels que « les différences d'approche dans la religion », « les conseils des religions et de l'islam », « la laïcité » et « la liberté de religion et de conviction » sont abordés dans ce même ouvrage.
Il ressort de la lecture de ces manuels que les élèves doivent également apprendre par cœur plusieurs sourates du Coran.
23.  Le Gouvernement produit quant à lui le manuel de la classe de 9e (première année de lycée).
Ce manuel commence par traiter de la place de l'homme dans l'univers. Puis sont abordés des sujets tels que la nature humaine et la religion, le rôle de la religion dans la vie humaine, les différentes formes de croyance, à savoir le monothéisme, le polythéisme, le gnosticisme, l'agnosticisme et l'athéisme. Sont également expliquées certaines notions telles que la prière, et le lien entre la prière et la propreté ; dans ce chapitre sont illustrés les rituels des grandes et petites ablutions (gusul et abdest) dans l'islam. En outre, certaines éléments essentiels, tels que la vie de Mahomet, le Coran et les notions fondamentales (l'interprétation, les sourates, etc.), tendant à faire connaître l'islam, sont décrits. Le reste de l'ouvrage est consacré notamment aux notions de « valeurs et famille », « la patrie, le drapeau, la liberté, l'indépendance, les droits de l'homme, la laïcité, l'Etat laïc, Atatürk et la laïcité, etc. ». Finalement, il traite du sujet « les Turcs et l'islam » ; sous ce chapitre sont examinées, dans le cadre de l'histoire turque, les anciennes croyances des Turcs, telles que la conception de « Dieu-ciel », le manichéisme, le bouddhisme, la religion chrétienne et le judaïsme. Les personnages ayant marqué la conception de l'islam chez les Turcs sont aussi abordés, en particulier Ebu Hanifé (né en 699 et mort en 767, fondateur de l'école hanéfite) et Imam Safii (né en 767 et mort en 820, fondateur de l'école chafiite), ainsi que Hoca Ahmet Yesevi et Haci Bektas Veli (paragraphe 8 ci-dessus).
24.  Par ailleurs, le Gouvernement a expliqué que les élèves, à des fins d'évaluation, ne passent que des épreuves écrites.
III.  LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS
A.  Pacte international relatif aux droits civils et politiques
25.  Le passage pertinent de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est ainsi libellé :
« 4.  Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions. »
B.  Recommandations 1396 (1999) et 1720 (2005) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
26.  Dans la Recommandation 1396 (1999) sur la religion et la démocratie, adoptée le 27 janvier 1999, l'Assemblée a recommandé au Comité des Ministres d'inviter les gouvernements des Etats membres, notamment :
« 13.  (...) : ii.  à promouvoir l'éducation en matière religieuse, et notamment :
a)  renforcer l'apprentissage des religions en tant qu'ensembles de valeurs envers lesquelles les jeunes doivent développer un sens critique, dans le cadre de l'enseignement de l'éthique et de la citoyenneté démocratique ;
b)  promouvoir l'enseignement à l'école de l'histoire comparée des différentes religions, en insistant sur l'origine, sur la similitude de certaines de leurs valeurs et sur la diversité des coutumes, traditions, fêtes, etc. ; (...)
e)  éviter – dans le cas des enfants – tout conflit entre l'éducation sur les religions promue par l'Etat et la foi religieuse des familles, afin de respecter la libre décision des familles dans ce domaine très délicat (...) »
27.  Dans la Recommandation 1720 (2005), adoptée le 4 octobre 2005, l'Assemblée a recommandé au Comité des Ministres, entre autres, d'encourager les gouvernements des Etats membres à veiller à l'enseignement du fait religieux aux niveaux primaire et secondaire de l'éducation nationale, notamment sur la base des critères suivants :
« 14.1.  [L']objectif doit consister à faire découvrir aux élèves les religions qui se pratiquent dans leur pays et celles de leurs voisins, à leur faire voir que chacun a le même droit de croire que sa religion « est la vraie » et que le fait que d'autres ont une religion différente, ou n'ont pas de religion, ne les rend pas différents en tant qu'êtres humains ;
14.2.  il devrait inclure l'histoire des principales religions, ainsi que l'option de ne pas avoir de religion, en toute neutralité ;
14.3.  il devrait donner à la jeunesse des outils pédagogiques lui permettant d'aborder en toute sécurité les partisans d'une approche religieuse fanatique ;
14.4.  il ne doit pas franchir la limite entre le culturel et le cultuel, même pour un pays à religion d'Etat. Il ne s'agit pas de transmettre une foi, mais de faire comprendre aux jeunes pourquoi des millions de gens puisent à ces sources ;
14.5.  les enseignants des religions devront avoir une formation spécifique. Il devrait s'agir d'enseignants d'une discipline culturelle ou littéraire. Cependant les spécialistes d'une autre discipline pourraient être chargés de cet enseignement ;
14.6.  il appartient aux autorités publiques de veiller à la formation des enseignants et de définir les programmes, qui doivent être adaptés à la spécificité de chaque pays et à l'âge des élèves. Pour la mise au point de ces programmes, le Conseil de l'Europe consultera tous les partenaires concernés par cette démarche, y compris les représentants des confessions religieuses. »
C.  La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI)
28.  La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance s'est déjà exprimée sur l'enseignement du fait religieux dans le cadre scolaire dans sa Recommandation de politique générale no 5 sur « la lutte contre l'intolérance et les discriminations envers les musulmans » (CRI(2000) 21, 27 avril 2000). Après avoir rappelé le principe du respect de l'égalité et de la non-discrimination entre les religions et reconnu la grande diversité interne qui caractérise la pratique de l'islam, elle a recommandé aux gouvernements des Etats membres « de veiller à ce que l'enseignement des religions à l'école respecte le pluralisme culturel et d'assurer la formation des enseignants à cet effet ».
29.  Par ailleurs, l'ECRI a estimé, notamment, dans son troisième rapport sur la Turquie (CRI (2005) 5, 15 février 2005) que :
« (...) Le programme du cours porte sur toutes les religions et vise principalement à donner un aperçu de l'ensemble des religions existantes. Toutefois, plusieurs sources décrivent ces cours comme une instruction religieuse portant sur les principes de la foi musulmane et non comme un cours portant sur plusieurs cultures religieuses. L'ECRI note que seuls les élèves qui sont de religion musulmane sont tenus de suivre ces cours, les élèves appartenant à des groupes religieux minoritaires pouvant être exemptés. L'ECRI estime que la situation n'est pas claire : s'il s'agit bien d'un cours sur les différentes cultures religieuses, le fait de limiter le caractère obligatoire du cours aux enfants musulmans n'aurait pas lieu d'être. Par contre, si le cours vise essentiellement à enseigner la religion musulmane, en tant que cours sur une religion spécifique, il ne devrait pas avoir de caractère obligatoire pour préserver la liberté religieuse des enfants et de leurs parents. »
En conséquence, l'ECRI a recommandé :
« vivement aux autorités turques de reconsidérer leur approche en matière de cours de culture religieuse. Les autorités devraient prendre des mesures soit pour rendre ces cours facultatifs pour tous soit pour réadapter leur contenu afin de s'assurer qu'ils dépeignent véritablement l'ensemble des cultures religieuses et ne soient plus perçus comme des cours d'instruction de la religion musulmane. »
IV.  DROIT COMPARÉ
30.  En Europe, l'enseignement religieux est profondément lié à l'enseignement séculier. Parmi les 46 Etats membres du Conseil de l'Europe étudiés, 43 organisent des cours de religion dans les écoles publiques. Seules l'Albanie, la France (à l'exception de l'Alsace et de la Moselle) et l'ex-République yougoslave de Macédoine font exception à cette règle. En Slovénie, un enseignement non confessionnel est proposé dans les dernières années de l'enseignement public.
31.  Dans 25 des 46 Etats membres (y compris la Turquie), l'enseignement religieux figure parmi les matières obligatoires. La portée de cette obligation varie cependant selon les Etats. Dans cinq pays, à savoir la Finlande, la Grèce, la Norvège, la Suède et la Turquie, l'obligation de suivre un enseignement religieux est absolue. Tous les élèves qui adhèrent à la confession religieuse enseignée dans le cours sont obligés de suivre celui-ci intégralement ou partiellement. Cependant, dix Etats admettent des dispenses, sous certaines conditions. C'est le cas en Autriche, à Chypre, au Danemark, en Irlande, en Islande, au Liechtenstein, à Malte, à Monaco, à Saint-Marin et au Royaume-Uni. Dans la plupart de ces pays, l'enseignement religieux est confessionnel.
32.  Dix autres pays ouvrent aux élèves la possibilité de choisir un cours de substitution à l'enseignement religieux obligatoire. C'est le cas en Allemagne, en Belgique, en Bosnie-Herzégovine, en Lituanie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Serbie, en Slovaquie et en Suisse. Dans ces pays, un enseignement confessionnel figure dans le programme élaboré par les ministères compétents et les élèves sont obligés d'y assister à moins qu'ils choisissent le cours substitutif proposé.
33.  Par contre, 21 Etats membres n'obligent pas les élèves à suivre un enseignement religieux. Dans d'autres cas, plus fréquents, l'enseignement religieux est autorisé dans le système scolaire mais les élèves n'en bénéficient que s'ils le demandent. C'est le groupe qui réunit le plus grand nombre d'Etats : Andorre, Arménie, Azerbaïdjan, Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, Géorgie, Hongrie, Italie, Lettonie, Moldova, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Russie et Ukraine. Enfin, dans un troisième groupe, les élèves sont obligés de suivre soit un cours de religion soit un cours de substitution, mais ils gardent toujours la possibilité de suivre un cours laïc.
34.  Cet aperçu général de l'enseignement religieux en Europe permet de constater que, malgré la diversité des modalités d'enseignement, la quasi-totalité des Etats membres offrent au moins un moyen permettant aux élèves de ne pas suivre un enseignement religieux (en prévoyant un mécanisme d'exemption, en donnant la possibilité de suivre une matière de substitution, ou en laissant aux élèves la liberté de s'inscrire ou non à un cours de religion).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE LA SECONDE PHRASE DE L'ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 1
35.  Les requérants soutiennent que la manière dont le cours obligatoire de culture religieuse et connaissance morale est dispensé dans les écoles primaires et secondaires porte atteinte aux droits qu'ils tiennent de la seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1, ainsi libellée :
« L'Etat, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »
A.  Thèses des parties
1.  Les requérants
36.  Les requérants soutiennent que le cours de culture religieuse et morale n'est pas assuré de manière objective, critique ou pluraliste et ne satisfait donc pas aux critères dégagés par la Cour dans le cadre de l'interprétation qu'elle a donnée de l'article 2 du Protocole no 1. Ce programme d'enseignement, qui se situe totalement dans une optique religieuse et qui loue la foi et la tradition islamiques dans sa conception sunnite, joint à des manuels décrivant des rites traditionnels de l'islam sunnite, indiquerait clairement que cet enseignement est dénué d'objectivité. Le fait que quinze pages du manuel de la classe de 7e soient consacrées à la présentation de certaines religions, telles que le judaïsme, le christianisme, l'islam, l'hindouisme et le bouddhisme, n'est pas suffisant pour assurer le respect des principes énoncés ci-dessus. En fait, seuls les préceptes, les rites et les prières de la religion musulmane, toujours dans sa conception sunnite, sont enseignés et aucune information détaillée concernant les autres religions n'est dispensée. A titre d'exemple, les requérants indiquent que, dans dix-neuf pages du manuel de 6e, seules les différentes prières quotidiennes de la religion musulmane sont décrites.
37.  Par ailleurs, le contenu et le programme du cours de culture religieuse et morale sont aménagés de telle sorte que l'existence de la croyance des requérants est niée et que l'islam est enseigné exclusivement dans une optique sunnite. Le fait que certaines informations concernant les grands personnages de la confession alevie soient dispensées dans la classe de 9e n'est nullement susceptible de pallier cette carence, dans la mesure où les préceptes de l'islam sunnite, tels que « la peur de commettre le pêché », au sens religieux du terme, sont inculqués dès l'enfance.
38.  Les requérants contestent l'argument selon lequel la matière ne comporte aucun renseignement de caractère religieux sur la doctrine et les rituels d'une religion déterminée. En effet, le programme et les manuels utilisés dans les écoles ainsi que toutes les informations relatives à l'application du programme montrent que le principal objectif du cours est de renforcer la culture islamique des élèves, ce qui constitue également le fil conducteur de cet enseignement. Les requérants ne doutent pas que ce cours vise à donner un enseignement cultuel et à transmettre une croyance. Le fait que la morale est également enseignée ne constitue qu'un moyen tendant à dissimuler l'objectif caché de ce cours.
39.  Par ailleurs, selon les requérants, un Etat régi par le principe de laïcité ne saurait disposer d'une large marge d'appréciation en matière d'enseignement de la religion. L'Etat ne peut enseigner une religion aux enfants scolarisés dans les écoles publiques. Les requérants allèguent que le devoir de neutralité et d'impartialité de l'Etat est incompatible avec un quelconque pouvoir d'appréciation de la part de celui-ci quant à la légitimité des croyances religieuses ou de leurs modalités d'expression.
2.  Le Gouvernement
40.  Se fondant sur le pouvoir de réglementation que la Cour, dans sa jurisprudence, reconnaît à l'Etat, le Gouvernement soutient que l'éducation et l'instruction religieuses et morales se font sous la surveillance de l'Etat dans le but de prévenir les abus. En la matière, l'Etat dispose d'un pouvoir discrétionnaire. Il se réfère à cet égard aux principes énoncés dans la décision adoptée le 19 septembre 2000 (paragraphe 21 ci-dessus) et souligne que ce cours a été conçu pour promouvoir la compréhension, la tolérance et le respect parmi des élèves de milieux différents et pour développer le respect et la compréhension de l'identité de chacun, de l'histoire nationale et des valeurs de la Turquie ainsi que d'autres religions et philosophies de vie.
41.  Le Gouvernement souligne que le programme élaboré par le ministère de l'Education nationale – et non par les autorités religieuses –respecte le principe de laïcité, conformément à l'article 24 de la Constitution et à l'article 12 de la loi fondamentale no 1739 sur l'Education nationale, et qu'il ne s'agit nullement d'un enseignement confessionnel. Il conteste à ce sujet l'allégation des requérants selon laquelle l'enseignement du fait religieux est fondé sur la conception sunnite de l'islam. En effet, dans le cours de culture religieuse et connaissance morale, on ne dispense nullement un enseignement particulier sur la doctrine et les rituels d'une religion déterminée ; on donne des informations générales sur les différentes religions. Par ailleurs, le caractère obligatoire implique uniquement la présence des enfants lors de ces cours.
42.  Le Gouvernement soutient également que le seul fait d'apporter aux enfants un enseignement sur la religion islamique ne saurait en soi poser une question au regard de la Convention du moment que le cours est donné de manière objective, pluraliste et neutre. Il existe dans la société turque contemporaine des motifs légitimes de consacrer plus de temps à la connaissance de l'islam qu'à celle d'autres religions et philosophies de vie. Cela vaudrait d'autant plus que la Turquie est un Etat laïc et que l'école est ainsi l'institution la mieux placée pour transmettre de telles connaissances.
43.  Dans le programme de la matière intitulée « culture religieuse et connaissance morale », la vision des membres d'une branche [mezhep] de l'islam ou d'un ordre religieux [tarikat] représentés dans le pays n'est pas prise en considération et, par conséquent, ces sujets n'y figurent pas. Le Gouvernement soutient par ailleurs que la connaissance de la confession des alévis, qui relève plutôt du domaine de la philosophie, nécessite un enseignement plus approfondi. Ainsi, ces informations en la matière sont données en classe de 9e (1re année de lycée).
44.  Le Gouvernement souligne que le caractère obligatoire de ce cours résulte du fait qu'il convient de protéger les enfants des mythes et des informations erronées, lesquels nourrissent le fanatisme. A cet égard, il souligne que les élèves juifs ou chrétiens sont dispensés de ce cours en vertu du Traité de Lausanne et de la décision no 1 émanant du Haut Conseil de l'éducation (paragraphe 18 ci-dessus). Par ailleurs, lors de l'audience, il a indiqué que, si les personnes athées souhaitent bénéficier d'une dispense, leur demande est évaluée par les autorités.
45.  Le Gouvernement souligne par ailleurs que cet enseignement se fait sous le contrôle des tribunaux administratifs qui surveillent strictement le respect du principe de laïcité. En outre, les enseignants chargés des classes de primaire sont formés dans des universités et diplômés de la discipline de « connaissance de la culture religieuse et morale ». Quant à l'enseignement secondaire, ce sont les enseignants titulaires d'une maîtrise délivrée par une faculté de théologie qui sont chargés de cet enseignement.
46.  Enfin, selon le Gouvernement, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la préparation et le contenu des programmes des cours ressortissent au pouvoir discrétionnaire de l'Etat. Par conséquent, l'article 2 du Protocole no 1 ne permet pas aux parents de s'opposer à cette prérogative de l'Etat. Dans le cas contraire, il serait impossible d'élaborer un enseignement institutionnalisé.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
47.  En ce qui concerne l'interprétation générale de l'article 2 du Protocole no 1, la Cour a énoncé les grands principes ci-dessous dans sa jurisprudence (voir, en particulier, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 23, pp. 24-28, §§ 50-54 ; Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1982, série A no 48, pp. 16-18, §§ 36-37 ; Valsamis c. Grèce, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, pp. 2323-2324, §§ 25-28 ; et, en dernier lieu, Folgerø et autres c. Norvège [GC], no 15472/02, § 84, 29 juin 2007). Il faut lire les deux phrases de l'article 2 du Protocole no 1 à la lumière non seulement l'une de l'autre, mais aussi, notamment, des articles 8, 9 et 10 de la Convention (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, § 52).
48.  C'est sur le droit fondamental à l'instruction que se greffe le droit des parents au respect de leurs convictions religieuses et philosophiques, et la première phrase ne distingue pas plus que la seconde entre l'enseignement public et l'enseignement privé. La seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1 vise en somme à sauvegarder la possibilité d'un pluralisme éducatif, essentiel à la préservation de la « société démocratique » telle que la conçoit la Convention. En raison du poids de l'Etat moderne, c'est surtout par l'enseignement public que doit se réaliser ce dessein (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, § 50).
49.  L'article 2 du Protocole no 1 ne permet pas de distinguer entre l'instruction religieuse et les autres disciplines. C'est dans l'ensemble du programme de l'enseignement public qu'il prescrit à l'Etat de respecter les convictions, tant religieuses que philosophiques, des parents (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, § 51). Ce devoir est d'application large car il ne vaut pas seulement pour le contenu de l'instruction et la manière de la dispenser, mais aussi dans l'exercice de l'ensemble des « fonctions » assumées par l'Etat. Le verbe « respecter » signifie bien plus que « reconnaître » ou « prendre en compte ». En sus d'un engagement plutôt négatif, il implique à la charge de l'Etat une certaine obligation positive. Le mot « convictions », pris isolément, n'est pas synonyme des termes « opinions » et « idées ». Il s'applique à des vues atteignant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et d'importance (Valsamis, précité, §§ 25 et 27 ; Campbell et Cosans, précité, §§ 36-37).
50.  C'est en s'acquittant d'un devoir naturel envers leurs enfants, dont il leur incombe en priorité d'« assurer [l']éducation et [l'] enseignement », que les parents peuvent exiger de l'Etat le respect de leurs convictions religieuses et philosophiques. Leur droit correspond donc à une responsabilité étroitement liée à la jouissance et à l'exercice du droit à l'instruction (ibidem).
51.  Cependant, la définition et l'aménagement du programme des études relèvent en principe de la compétence des Etats contractants. Il s'agit, dans une large mesure, d'un problème d'opportunité sur lequel la Cour n'a pas à se prononcer et dont la solution peut légitimement varier selon les pays et les époques (Valsamis, précité, § 28). En particulier, la seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1 n'empêche pas les Etats de répandre par l'enseignement ou l'éducation des informations ou connaissances ayant, directement ou non, un caractère religieux ou philosophique. Elle n'autorise pas même les parents à s'opposer à l'intégration de pareil enseignement ou éducation dans le programme scolaire, sans quoi tout enseignement institutionnalisé courrait le risque de se révéler impraticable (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, § 53).
Il paraît en effet très difficile que nombre de disciplines enseignées à l'école n'aient pas, de près ou de loin, une coloration ou incidence de caractère philosophique. Il en va de même du caractère religieux si l'on tient compte de l'existence de religions formant un ensemble dogmatique et moral très vaste qui a ou peut avoir des réponses à toute question d'ordre philosophique, cosmologique ou éthique (ibidem, § 53).
52.  La seconde phrase de l'article 2 implique en revanche que l'Etat, en s'acquittant des fonctions assumées par lui en matière d'éducation et d'enseignement, veille à ce que les informations ou connaissances figurant au programme soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste, permettant aux élèves de développer un sens critique à l'égard du fait religieux (voir, en particulier, l'article 14 de la Recommandation 1720 (2005), paragraphe 27 ci-dessus) dans une atmosphère sereine, préservée de tout prosélytisme intempestif (Şefika Köse et 93 autres c. Turquie (déc.), no 26625/02, 24 janvier 2006). Elle lui interdit de poursuivre un but d'endoctrinement qui pourrait être considéré comme ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques des parents. Là se place la limite à ne pas dépasser (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, § 53).
53.  Pour examiner la législation litigieuse sous l'angle de l'article 2 du Protocole no 1, ainsi interprété, il faut, tout en évitant d'en apprécier l'opportunité, avoir égard à la situation concrète à laquelle elle a cherché et cherche encore à faire face. En effet, si, par le passé, les organes de la Convention n'ont pas jugé contraire à la Convention un enseignement dispensant des informations sur les religions, ils ont minutieusement vérifié si les élèves étaient obligés de participer à une forme de culte religieux ou s'ils étaient exposés à un quelconque endoctrinement religieux. Dans le même contexte, les modalités de dispense constituent également un élément à prendre en considération (Anna-Nina Angeleni c. Suède, no 10491/83, décision de la Commission du 3 décembre 1986, Décisions et rapports (DR) 51, p. 41 ; Zénon Bernard c. Luxembourg, no 17187/90, décision de la Commission du 8 septembre 1993, DR 75, p. 57 ; C.J., J.J. et E.J. c. Pologne, no 23380/94, décision de la Commission du 16 janvier 1996, DR 84, p. 46). Assurément, des abus peuvent se produire dans la manière dont telle école ou tel maître applique les textes en vigueur et il incombe aux autorités compétentes de veiller avec le plus grand soin à ce que les convictions religieuses et philosophiques des parents ne soient pas heurtées à ce niveau par imprudence, manque de discernement ou prosélytisme intempestif (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, § 54).
54.  La Cour rappelle avoir toujours souligné que, dans une société démocratique pluraliste, le devoir d'impartialité et de neutralité de l'Etat à l'égard des diverses religions, cultes et croyances est incompatible avec un quelconque pouvoir d'appréciation de la part de celui-ci quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d'expression de celles-ci (Manoussakis et autres c. Grèce, arrêt du 26 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1365, § 47 ; Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, § 78, CEDH 2000-XI). L'Etat n'a par ailleurs pas besoin de prendre des mesures pour garantir que les communautés religieuses demeurent ou soient placées sous une direction unique (Serif c. Grèce, no 38178/97, § 51, CEDH 1999-IX).
55.  Une telle interprétation de la seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1 se concilie à la fois avec la première phrase de la même disposition, avec les articles 8 à 10 de la Convention et avec l'esprit général de celle-ci, destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d'une société démocratique (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, § 53). Cela vaut d'autant plus que l'enseignement constitue l'un des procédés par lesquels l'école s'efforce d'atteindre le but pour lequel on l'a créée, y compris le développement et le façonnement du caractère et de l'esprit des élèves ainsi que de leur autonomie personnelle.
2.  Application de ces principes
56.  En vertu de la Constitution turque, Mlle Zengin, qui fréquentait une école publique, s'est trouvée obligée de suivre le cours de « culture religieuse et connaissance morale » à partir de sa quatrième année du cycle primaire.
57.  A la lumière des principes exposés ci-dessus, la Cour doit déterminer en première lieu si le contenu de cette matière est diffusé de manière objective, critique et pluraliste en vue de s'assurer qu'il est compatible avec les principes qui se dégagent de la jurisprudence concernant la deuxième phrase de l'article 2 du Protocole no 1. En deuxième lieu, elle examinera la question de savoir si des moyens appropriés sont instaurés dans le système éducatif turc aux fins d'assurer le respect des convictions des parents.
a)  Contenu du cours
58.  Selon le programme du cours de « culture religieuse et connaissance morale », l'enseignement en la matière est dispensé dans le respect du principe de laïcité et de la liberté de pensée, de religion et de conscience, et vise à « développer une culture de paix et un contexte de tolérance ». Il tend également à transmettre des connaissances concernant l'ensemble des grandes religions. L'un des buts suivis dans ce programme consiste à éduquer des hommes « ayant des connaissances sur le développement historique du judaïsme, du christianisme, de l'hindouisme et du bouddhisme, sur leurs spécificités principales et le contenu de leur doctrine, et pouvant apprécier selon des critères objectifs la place de l'islam face au judaïsme et au christianisme » (paragraphe 21 ci-dessus).
59.  Pour la Cour, les intentions décrites ci-dessus sont à l'évidence conformes aux principes de pluralisme et d'objectivité consacrés par l'article 2 du Protocole no 1. A cet égard, elle constate que le principe de laïcité, tel que garanti par la Constitution turque, interdit à l'Etat de témoigner une préférence pour une religion ou croyance précise, guidant ainsi l'Etat dans son rôle d'arbitre impartial, et implique nécessairement la liberté de religion et de conscience (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 113, CEDH 2005-...). Sur ce point, elle note avec intérêt les observations du Gouvernement selon lesquelles, d'une part, l'enseignement à l'école du fait religieux constitue un procédé approprié pour lutter contre le fanatisme et, d'autre part, les tribunaux administratifs sont chargés de surveiller le respect du principe de laïcité tant dans l'élaboration du programme que dans son application.
60.  La Cour observe toutefois que, si l'enseignement se fonde sur les principes évoqués ci-dessus, le programme d'enseignement vise également à sensibiliser les élèves « [au fait que] les actes de culte, outre des manifestations d'amour, de respect et de gratitude à l'égard d'Allah, permettent aux individus du groupe de se lier avec amour et respect, de s'aider, d'être solidaires » et à « expliquer que l'islam est une religion rationnelle et universelle, loin du mythe, par différents exemples ». L'enseignement comprend également l'étude des comportements du prophète Mahomet et du Coran. De même, dans le programme de la classe de 7e sont enseignés les aspects fondamentaux de la religion islamique, tels que « le pèlerinage et le sacrifice », « les anges et autres créatures invisibles » et la « croyance en l'autre monde ».
61.  Quant aux manuels utilisés dans le cadre de ce cours, leur examen montre qu'ils ne se contentent pas de transmettre des informations sur la connaissance des religions en général ; ils contiennent également des textes qui tendent à inculquer aux élèves les grands principes de la religion musulmane et donner un aperçu général de ses rites cultuels, tels que la profession de foi, les cinq prières quotidiennes, le ramadan, le pèlerinage, les notions d'anges et de créatures invisibles, la croyance en l'autre monde, etc. (paragraphe 21 ci-dessus).
62.  De même, les élèves doivent apprendre par cœur plusieurs sourates du Coran, étudier, illustrations à l'appui, les prières quotidiennes (paragraphe 22 ci-dessus) et passer des épreuves écrites à des fins d'évaluation (paragraphe 24 ci-dessus).
63.  Ainsi, le programme de l'enseignement primaire et du premier cycle de l'enseignement secondaire, et l'ensemble des manuels élaborés conformément à la décision no 373 du 19 septembre 2000 du ministère de l'Education nationale, accordent une plus large part à la connaissance de l'islam qu'à celle des autres religions et philosophies. Aux yeux de la Cour, cela ne saurait passer en soi pour un manquement aux principes de pluralisme et d'objectivité susceptibles de s'analyser en un endoctrinement (Folgerø et autres, précité, § 89), eu égard au fait que la religion musulmane est majoritairement pratiquée en Turquie, nonobstant le caractère laïc de cet Etat.
64.  Par ailleurs, se pose la question de savoir si l'on peut considérer que la primauté donnée à l'enseignement de l'islam est contenue dans les limites acceptables aux fins de l'article 2 du Protocole no 1. En effet, vu le programme et les manuels en cause, on peut raisonnablement penser que la participation à ces cours est de nature à influencer les esprits des jeunes enfants. Il convient donc de rechercher si les informations ou connaissances figurant au programme sont diffusées de manière objective, critique et pluraliste.
65.  A ce sujet, le requérant soutient qu'aucun enseignement sur la confession des alévis, sur ses rituels, n'est dispensé dans le cours obligatoire de « culture religieuse et connaissance morale », alors que ce courant religieux diffère sur de nombreux points de la conception de la religion abordée à l'école. Selon le Gouvernement, cela résulte du fait que, dans ce programme, la vision des membres d'une branche de l'islam ou d'un ordre religieux représentés dans le pays n'est pas prise en considération.
66.  Quant à la confession des alévis, il n'est pas contesté entre les parties que celle-ci constitue une conviction religieuse profondément enracinée dans la société et l'histoire turques, et qu'elle présente des particularités qui lui sont propres (paragraphes 8-9 ci-dessus). Elle se distingue ainsi de la conception sunnite de l'islam, enseignée à l'école. Il ne s'agit certainement ni d'une secte ni d'une « conviction » qui n'atteindrait pas un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et d'importance (Campbell et Cosans, précité, § 36). Par conséquent, l'expression « convictions religieuses », au sens de la seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1, s'applique sans conteste à cette confession.
67.  En outre, comme le reconnaît le Gouvernement, dans le cours de « culture religieuse et connaissance morale », la diversité religieuse qui prévaut dans la société turque n'est pas prise en considération. Notamment, les élèves ne reçoivent aucun enseignement sur les particularités confessionnelles ou rituelles des alévis, alors que la population adhérant à cette confession représente une partie très importante de la société turque. Quant à l'argument du Gouvernement selon lequel une certaine information sur les alévis est dispensée en classe de 9e la Cour considère, à l'instar des requérants (paragraphe 43 ci-dessus), qu'en l'absence même des bases élémentaires de cette confession dans le cursus primaire et secondaire, le fait que la vie et la philosophie de deux personnages ayant eu un impact considérable dans l'émergence de cette confession sont abordées dans la classe de 9e n'est pas de nature à pallier les carences de cet enseignement.
68.  Certes, les parents peuvent toujours éclairer et conseiller leurs enfants, exercer envers eux leurs fonctions naturelles d'éducateurs et les orienter dans une direction conforme à leurs propres convictions religieuses ou philosophiques (Valsamis, précité, § 31 in fine). Néanmoins, lorsque les Etats contractants intègrent l'enseignement du fait religieux dans les matières des programmes d'étude, indépendamment des modalités de dispense, les parents d'élèves peuvent légitimement s'attendre à ce que de telles matières soient enseignées de manière à répondre aux critères d'objectivité et de pluralisme, en respectant leurs convictions religieuses ou philosophiques.
69.  A cet égard, la Cour estime que, dans une société démocratique, seul un pluralisme éducatif peut permettre aux élèves de développer un sens critique à l'égard du fait religieux dans le cadre de la liberté de pensée, de conscience et de religion (voir l'article 13 ii) de la Recommandation no 1396 et l'article 14 de la Recommandation no 1720 de l'ECRI, paragraphes 26 et 27 ci-dessus). Il convient à cet égard de rappeler que, comme l'a dit la Cour à maintes reprises, cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents (Buscarini et autres c. Saint-Marin [GC], no 24645/94, § 34, CEDH 1999-I).
70.  A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l'enseignement dispensé dans la matière intitulée « culture religieuse et connaissance morale » ne peut être considéré comme répondant aux critères d'objectivité et de pluralisme et, plus particulièrement dans le cas concret des requérants, comme respectant les convictions religieuses et philosophiques du père de Mlle Zengin, qui adhère à la confession des alévis, au sujet de laquelle le contenu du cours demeure manifestement insuffisant.
b)  Existence ou non de moyens appropriés tendant à assurer le respect des convictions des parents
71.  La Cour rappelle l'obligation positive des Parties contractantes découlant de la seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1, qui donne aux parents le droit d'exiger de l'Etat le respect de leurs convictions religieuses et philosophiques dans l'enseignement du fait religieux (Campbell et Cosans, précité, § 37). Dès lors qu'un Etat contractant intègre l'enseignement du fait religieux dans les matières des programmes d'étude, il faut alors, autant que faire se peut, éviter que les élèves ne se retrouvent face à des conflits entre l'éducation religieuse donnée par l'école et les convictions religieuses ou philosophiques de leurs parents. A ce sujet, on constate qu'en ce qui concerne l'enseignement religieux en Europe, malgré la diversité des modalités d'enseignement, la quasi-totalité des Etats membres offrent au moins un moyen permettant aux élèves de ne pas suivre un enseignement religieux, en prévoyant un mécanisme d'exemption, en donnant la possibilité de suivre une matière de substitution, ou en laissant toute liberté de s'inscrire ou non à un cours de religion (paragraphe 34 ci-dessus).
72.  La Cour observe qu'en vertu de l'article 24 de la Constitution turque le cours de « culture religieuse et connaissance morale » figure parmi les matières obligatoires. Cependant, il s'avère qu'une possibilité de dispense a été instaurée par la décision du 9 juillet 1990 adoptée par le Haut Conseil de l'éducation (paragraphe 18 ci-dessus). Aux termes de cette décision, seuls les enfants « de nationalité turque et adhérant à la religion chrétienne ou juive » ont la possibilité de bénéficier de cette exemption et ce « à condition qu'ils attestent leur adhésion à ces religions ».
73.  La Cour considère d'emblée que, quelle que soit la catégorie d'élèves concernée, le fait que les parents doivent au préalable déclarer auprès des établissements scolaires qu'ils adhérent à la religion chrétienne ou juive pour que leurs enfants soient dispensés de ce cours peut aussi poser problème au regard de l'article 9 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Folgerø et autres, précité, § 97). A cet égard, elle note qu'aux termes de l'article 24 de la Constitution turque, « nul ne peut être contraint (...) de divulguer ses croyances et ses convictions religieuses (...) » (paragraphe 16 ci-dessus). Par ailleurs, elle rappelle avoir toujours souligné que les convictions religieuses relèvent avant tout du for intérieur de chacun (voir, entre autres, Sofianopoulos et autres c. Grèce (déc.), nos 1977/02, 1988/02 et 1997/02, CEDH 2002-X ; également, mutatis mutandis, Buscarini et autres, précité, § 39).
74.  De plus, la décision du Haut Conseil de l'éducation offre une possibilité de dispense uniquement à deux catégories d'élèves de nationalité turque, à savoir ceux ayant des parents adhérant à la religion chrétienne ou juive. Aux yeux de la Cour, cela donne nécessairement à penser que l'enseignement dispensé en la matière est susceptible d'amener ces catégories d'élèves à faire face à des conflits entre l'éducation religieuse dispensée par l'école et les convictions religieuses ou philosophiques de leurs parents. A l'instar de l'ECRI, la Cour estime que cette situation est critiquable, dans la mesure où « s'il s'agit bien d'un cours sur les différentes cultures religieuses, le fait de limiter le caractère obligatoire du cours aux enfants musulmans n'aurait pas lieu d'être. Par contre, si le cours vise essentiellement à enseigner la religion musulmane, en tant que cours sur une religion spécifique, il ne devrait pas avoir de caractère obligatoire pour préserver la liberté religieuse des enfants et de leurs parents » (paragraphe 29 ci-dessus).
75.  La Cour note que, selon le Gouvernement, cette possibilité d'exemption peut s'étendre aux autres convictions, si une telle demande est formulée (paragraphe 19 ci-dessus). Néanmoins, quelle que soit l'étendue de cette exemption, le fait que les parents se sentent obligés de dévoiler aux autorités scolaires leurs convictions religieuses ou philosophiques rend ce moyen inapproprié à assurer le respect de leur liberté de conviction. Par ailleurs, en l'absence de tout texte clair, les autorités des établissements ont toujours la possibilité de refuser de telles demandes, comme cela fut le cas pour Mlle Zengin (paragraphe 11 ci-dessus).
76.  Par conséquent, la Cour considère que le mécanisme de dispense ne constitue pas un moyen approprié et n'offre pas une protection suffisante aux parents d'élèves qui pourraient légitimement considérer que la matière dispensée est susceptible d'entraîner chez leurs enfants un conflit d'allégeance entre l'école et leurs propres valeurs. Cela est d'autant plus vrai qu'aucune possibilité de choix appropriée n'a été envisagée pour les enfants des parents ayant une conviction religieuse ou philosophique autre que l'islam sunnite, et que le mécanisme de dispense est susceptible de soumettre ceux-ci à une lourde charge et à la nécessité de dévoiler leur convictions religieuses ou philosophiques afin que leurs enfants soient dispensés de suivre les cours de religion.
c.  Conclusion
77.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que le droit des requérants garanti par la seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1 a été violé.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
78.  Les requérants allèguent également une violation de l'article 9 de la Convention, ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2.  La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
79.  Eu égard à son constat de violation de l'article 2 du Protocole no 1 (paragraphe 77 ci-dessus), la Cour considère qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 9.
III.  SUR L'APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION
80.  Les articles 41 et 46 de la Convention disposent comme suit :
Article 41
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
Article 46
« 1.  Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2.  L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution. »
A.  Dommage, frais et dépens
81.  Les requérants n'ont demandé aucune indemnité pour les dommages moral et matériel. En revanche, ils réclament conjointement la somme de 3 726,80 euros (EUR) pour couvrir leurs frais et dépens ainsi que pour les honoraires correspondant au travail effectué sur l'affaire. Ils soumettent une convention d'honoraires et des factures.
82.  Pour le Gouvernement la question de la satisfaction équitable ne se pose pas, dans la mesure où les griefs des intéressés sont manifestement dénués de fondement.
83.  Eu égard à la position des requérants, la Cour estime que le constat de violation relatif à l'article 2 du Protocole no 1 constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage qu'ils ont subi. En ce qui concerne les frais et dépens, elle considère que la prétention des intéressés à ce titre n'est pas excessive et leur alloue en entier le montant sollicité, moins la somme de 850 EUR octroyée pour la prise en charge de l'affaire dans le cadre de l'assistance judiciaire.
84.  La Cour observe par ailleurs qu'elle a, en l'espèce, constaté une violation de la Convention en raison du caractère insuffisant du système éducatif turc, lequel, en matière d'enseignement du fait religieux, ne répond pas aux critères d'objectivité et de pluralisme et n'offre aucun moyen approprié tendant à assurer le respect des convictions des parents. Ces conclusions impliquent en soi que la violation du droit des requérants, tel que garanti par la seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1, tire son origine d'un problème tenant à la mise en œuvre du programme de ce cours et de l'absence de moyens appropriés tentant à assurer le respect des convictions des parents. En conséquence, la Cour estime que la mise en conformité du système éducatif turc et du droit interne pertinent avec la disposition précitée de la Convention constituerait une forme appropriée de réparation qui permettrait de mettre un terme à la violation constatée.
B.  Intérêts moratoires
85.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 2 du Protocole no 1 ;
2.  Dit qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 9 de la Convention ;
3.  Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants ;
4.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 726,80 EUR (trois mille sept cent vingt-six euros et quatre-vingt centimes) pour frais et dépens, moins la somme de 850 EUR octroyée pour la prise en charge de l'affaire dans le cadre de l'assistance judiciaire, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 octobre 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
F. Elens-Passos J.-P. Costa Greffière adjointe Président
1.  La majorité de la population de Turquie adhère à l’interprétation modérée de l’islam par l’école de théologie hanéfite.
2.  Le hanéfisme est l’une des quatre écoles théologiques de l’islam sunnite.
ARRÊT HASAN ET EYLEM ZENGİN c. TURQUIE
ARRÊT HASAN ET EYLEM ZENGİN c. TURQUIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de P1-2 ; Aucune question distincte au regard de l'art. 9 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 46-1) SE CONFORMER A L'ARRET, (Art. 46-2) MESURES GENERALES, (Art. 9-1) ENSEIGNEMENT, (Art. 9-1) LIBERTE DE RELIGION


Parties
Demandeurs : HASAN ET EYLEM ZENGIN
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (deuxième section)
Date de la décision : 09/10/2007
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 1448/04
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-10-09;1448.04 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award