La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/10/2007 | CEDH | N°40552/02

CEDH | VOKURKA c. REPUBLIQUE TCHEQUE


CINQUIÈME SECTION
DÉCISION FINALE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 40552/02  présentée par Frantisek VOKURKA  contre la République tchèque
La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 16 octobre 2007 en une chambre composée de :
M. P. Lorenzen, président,   Mme S. Botoucharova,   MM. K. Jungwiert,    R. Maruste,    J. Borrego Borrego,   Mme R. Jaeger,   M. M. Villiger, juges,  et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 8 novemb

re 2002,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner ...

CINQUIÈME SECTION
DÉCISION FINALE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 40552/02  présentée par Frantisek VOKURKA  contre la République tchèque
La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 16 octobre 2007 en une chambre composée de :
M. P. Lorenzen, président,   Mme S. Botoucharova,   MM. K. Jungwiert,    R. Maruste,    J. Borrego Borrego,   Mme R. Jaeger,   M. M. Villiger, juges,  et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 8 novembre 2002,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,
Vu la décision partielle du 22 mars 2005,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1.  Le requérant, M. František Vokurka, est un ressortissant tchèque, né en 1942 et résidant à Prague. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, V.A. Schorm, du ministère de la Justice.
A.  Les circonstances de l’espèce
2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
3.  Le requérant est copropriétaire de plusieurs terrains sis à Prague, qui étaient d’abord exploités par une entreprise d’Etat et puis par la compagnie de transport public de Prague.
4.  Le 15 février 1993, le requérant (avec B.H., l’autre copropriétaire des terrains à l’époque) saisit le tribunal d’arrondissement de Prague 2 (obvodní soud) d’une action en paiement d’une compensation, alléguant que dans la mesure où le droit d’usage avait été annulé par la loi no 229/1991 sur la propriété foncière et où la compagnie défenderesse avait refusé de conclure avec lui un droit de bail, il n’y avait plus de titre pour que celle-ci exploite ses terrains à titre gratuit. Le 12 octobre 1993, le tribunal rendit un jugement en faveur de la partie demanderesse.
5.  Le 28 avril 1994, le tribunal municipal de Prague (městský soud) annula une partie du jugement et renvoya l’affaire au tribunal d’arrondissement.
6.  Entre 15 juillet 1994 et 23 avril 1998, un nombre d’actes de procédure fut effectué par les tribunaux et les parties à la procédure.
7.  Par un jugement du 2 juin 1998, le tribunal accueillit en partie la demande du requérant, ordonnant au défendeur de lui payer au titre d’un enrichissement sans cause la somme de 160 000 CZK (5 794 EUR1) (mais non le reste de 149 150 CZK (5 401 EUR), et prononça l’extinction de l’instance portant sur cinq demandes complémentaires formées par l’intéressé entre février 1997 et mai 1998.
8.   Par un arrêt du 7 octobre 1999, le tribunal municipal annula la partie du jugement concernant la somme de 149 150 CZK et renvoya l’affaire en première instance qui, le 29 décembre 2000, rendit un nouveau jugement accordant au requérant la somme restante de 149 150 CZK ; cependant, il n’admit pas les modifications de son action proposées en 1998 et 2000.
9.  Le 30 août 2001, le tribunal municipal rejeta l’appel du requérant.
10.  Le 28 mars 2002, la Cour suprême (Nejvyšší soud) déclara le pourvoi en cassation (dovolání) du requérant non admissible. Le 3 octobre 2002, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) rejeta le recours constitutionnel (ústavní stížnost) du requérant.
B.  Le droit interne pertinent
Charte des droits et libertés fondamentaux (loi constitutionnelle no 2/1993)
11.  Aux termes de l’article 38-2, chacun a droit, entre autres, à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable.
Loi no 82/1998 sur la responsabilité de l’Etat pour le préjudice causé dans l’exercice de la puissance publique par une irrégularité dans la décision ou dans la conduite de la procédure (dans sa rédaction issue de la loi no 160/2006, entrée en vigueur le 27 avril 2006)
Article 1
« 1. L’État est responsable, dans les conditions prévues par la présente loi, du dommage causé dans l’exercice de la puissance publique. (...)
3. L’État et les collectivités territoriales exerçant une compétence autonome réparent également, dans les conditions prévues par la présente loi, le préjudice moral subi.
Article 6
1. Dans les affaires de réparation du dommage causé par une décision ou une conduite irrégulière et d’indemnisation dans le cadre d’une action récursoire, l’État est représenté par les ministères et les autres administrations centrales (ci-après « les administrations »).
2. Les administrations au sens du paragraphe 1 sont : a) le ministère de la Justice, si le dommage s’est produit dans le cadre d’une procédure civile ou d’une procédure pénale, ainsi que dans les cas où un tribunal a rendu dans le cadre de la justice administrative une décision illégale par laquelle il a statué sur une action contre la décision d’une collectivité territoriale exerçant une compétence autonome, et dans les cas où le dommage a été causé par un notaire ou par un huissier de justice, (...).
Article 13
1. L’État est responsable du dommage causé par une conduite irrégulière (nesprávný služební postup). Constitue notamment une conduite irrégulière la violation de l’obligation de prendre une décision dans le délai fixé par la loi. Si la loi ne fixe aucun délai pour accomplir un acte ou rendre une décision, est également considérée comme une conduite irrégulière la violation de l’obligation de réaliser un acte ou de rendre une décision dans un délai raisonnable2.
2. Quiconque a subi un dommage à cause d’une conduite irrégulière a droit à réparation.
Article 14
1. Le droit à la réparation du dommage doit être exercé auprès de l’administration indiquée à l’article 6.
2. Si le droit a été exercé auprès d’une administration incompétente, cette administration transmet la demande à l’administration compétente. Dans ce cas, les effets attachés à la demande initiale persistent.
3. L’exercice du droit à la réparation du dommage selon la présente loi est la condition préalable de toute saisine d’un tribunal aux mêmes fins.
Article 15
1. Si l’administration compétente accepte de réparer le dommage, l’indemnisation doit avoir lieu dans un délai de six mois à compter de l’exercice du droit.
2. La personne lésée ne peut demander la réparation du dommage devant un tribunal que si son droit à réparation n’a pas été pleinement satisfait dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle elle l’a fait valoir.
Article 22
1. Les collectivités territoriales exerçant une compétence autonome sont responsables du dommage causé par une conduite irrégulière. Constitue aussi une conduite irrégulière la violation de l’obligation d’accomplir un acte ou de rendre une décision dans le délai fixé par la loi. Si la loi ne fixe aucun délai pour poser un acte ou rendre une décision, est également considérée comme une conduite irrégulière la violation de l’obligation d’accomplir un acte ou de rendre une décision dans un délai raisonnable.
2. Quiconque a subi un dommage à cause d’une conduite irrégulière a droit à réparation.
Article 31a
1. Que le dommage ait été causé par une décision illégale ou par une conduite irrégulière, il est également accordé, selon la présente loi, une satisfaction raisonnable pour le préjudice moral subi.
2. La satisfaction est accordée sous forme pécuniaire si le préjudice moral ne peut être réparé autrement et si le simple constat de violation du droit apparaît insuffisant. Lors de la détermination du montant de la satisfaction raisonnable, il est tenu compte de la gravité du préjudice subi et des circonstances ayant entouré l’apparition du préjudice moral.
3. Dans les cas où le préjudice moral a été causé par une conduite irrégulière au sens des deuxième et troisième phrases de l’article 13 § 1 ou des deuxième et troisième phrases de l’article 22 § 1, il est également tenu compte, lors de la détermination du montant de la satisfaction raisonnable, des circonstances concrètes de l’espèce, notamment a) de la durée totale de la procédure ; b) de la complexité de la procédure ; c) de la contribution éventuelle du comportement de la personne lésée elle-même aux retards dans la procédure, ainsi que du point de savoir si elle a ou non fait usage des moyens disponibles aptes à y remédier; d) de la façon dont les autorités détentrices de la puissance publique ont procédé ; et e) de l’enjeu de la procédure pour la personne lésée.
Article 32
3. Le droit à la réparation du préjudice moral selon la présente loi est prescrit à l’écoulement de 6 mois à compter du jour où la personne lésée a pris connaissance du préjudice moral causé, et au plus tard à l’expiration d’un délai de dix ans à compter du jour où est survenu le fait générateur du préjudice moral. Si le préjudice moral a été causé par une conduite irrégulière au sens des deuxième et troisième phrases de l’article 13 § 1 ou des deuxième et troisième phrases de l’article 22 § 1, le délai de prescription ne prend pas fin avant l’écoulement de 6 mois à compter de la clôture de la procédure dans laquelle est survenue cette irrégularité.
Article 35
Sans que l’interruption puisse excéder six mois, le délai de prescription ne court pas entre le jour où est exercé le droit à la réparation du dommage auprès de l’administration et la fin de l’examen préalable de la demande.
Article II de la loi no 160/2006 (Disposition transitoire)
La responsabilité selon la présente loi pour le préjudice moral causé par une conduite irrégulière au sens des deuxième et troisième phrases de l’article 13 § 1 et des deuxième et troisième phrases de l’article 22 § 1 de la loi no 82/1998, dans sa version en vigueur à compter de l’entrée en vigueur de [la loi no 160/2006], s’applique également au préjudice moral apparu avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi si le droit à la réparation de ce préjudice n’est pas prescrit ; dans le cas où avant l’entrée en vigueur de la présente loi la personne lésée a introduit en temps voulu devant la Cour européenne des Droits de l’Homme une requête à ce titre sur laquelle la Cour n’a pas encore définitivement statué, le droit à la réparation du préjudice moral est prescrit un an après l’entrée en vigueur de [la loi no 160/2006]. »
Loi no 6/2002 sur les tribunaux et les juges (telle que modifiée par la loi no 192/2003, dont la partie pertinente est entrée en vigueur le 1er juillet 2004)
12.  Selon l’article 5-2, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue et tranchée par un tribunal sans retards inutiles.
13.  L’article 164-1 dispose, entre autres, que les plaintes que les personnes physiques et morales peuvent adresser aux autorités de l’administration judiciaire d’Etat (orgány státní správy soudů) ont un objet limité aux retards dans la procédure (stížnosti na průtahy v řízení).
14.  En vertu de l’article 172, l’autorité de l’administration judiciaire d’Etat compétente est tenue d’examiner les circonstances mentionnées dans la plainte. Si elle l’estime nécessaire, elle interroge le requérant, les personnes contres lesquelles la plainte est dirigée, ou d’autres personnes pouvant apporter des éclaircissements.
15.  Selon l’article 173, une décision doit être prise sur la plainte pour retards dans la procédure dans le délai d’un mois à compter de sa réception par l’autorité de l’administration judiciaire d’Etat compétente. Le requérant doit être informé dans le même délai des suites données à sa plainte. Ce délai ne peut être dépassé que lorsqu’il est impossible de rassembler toutes les données pour traiter la plainte. Le requérant doit alors en être informé. Si la plainte a été jugée justifiée ou partiellement justifiée, le requérant doit obtenir des informations sur les mesures adoptées pour remédier aux manquements constatés.
Article 174a
« 1. Si un participant ou une partie au procès estime que la plainte pour retards dans la procédure adressée par lui à l’autorité compétente de l’administration judiciaire n’a pas reçu les suites voulues, il peut saisir le tribunal d’une demande de fixation d’un délai (návrh na určení lhůty) pour l’accomplissement de l’acte procédural qu’il estime ne pas avoir été accompli en temps utile (ci-après « la demande de fixation de délai »).
2. La demande de fixation de délai est à soumettre au tribunal auquel des atermoiements sont reprochés. Elle doit faire apparaître qui en est l’auteur (ci-après « le demandeur »), de quelle affaire et de quel acte procédural il s’agit, en quoi le demandeur voit des atermoiements dans la procédure et ce qu’il réclame ; en outre, la demande doit contenir le nom du tribunal visé par elle, être datée et signée.
3. Dans les 5 jours ouvrables au plus tard à compter de sa réception, le tribunal auquel des retards sont reprochés transmet la demande de fixation de délai accompagnée de ses observations à la juridiction compétente pour en connaître; il en informe le demandeur. La juridiction compétente pour statuer sur la demande (ci-après dénommée « la juridiction compétente ») est au civil et au pénal le tribunal de degré immédiatement supérieur si la demande vise un tribunal de district, un tribunal régional ou une cour supérieure, et la Cour suprême administrative si la demande vise un tribunal régional dans une affaire relevant de la justice administrative ; si la demande vise la Cour suprême ou la Cour administrative suprême, elle est attribuée, au sein de la même cour, à une autre chambre que celle à qui des retards sont reprochés.
4. Le demandeur est le seul participant à la procédure. Si la présente loi n’en dispose pas autrement, les dispositions des première et troisième parties du code de procédure civile s’appliquent de façon adéquate à la procédure relative à la demande de fixation de délai.
5. La juridiction compétente statue sur la demande de fixation de délai par ordonnance (usnesení). Elle déclare la demande irrecevable si le demandeur n’a pas formé au préalable une plainte pour retards dans la procédure, ou si la demande a été soumise par une personne non autorisée, ou si le demandeur n’a pas dûment rectifié ou complété la demande dans le délai imparti ; sinon, elle statue sans audience dans les 20 jours ouvrables à compter de la transmission de la demande ou à compter de la date à laquelle la demande a été dûment rectifiée ou complétée.
6. Si le tribunal visé par la demande de fixation de délai a déjà pris l’acte procédural envisagé dans la demande, la juridiction compétente rejette la demande ; elle procède de la même manière si elle conclut à l’absence de retards dans la procédure.
7. Si la juridiction compétente conclut que la demande de fixation de délai est fondée, en considérant qu’eu égard à la complexité de l’affaire, à l’enjeu de la procédure pour le demandeur, au comportement des participants ou des parties à la procédure et à la conduite du tribunal, la procédure accuse effectivement des retards, elle fixe un délai, de caractère impératif, pour l’adoption de l’acte procédural visé dans la demande. Lorsque la demande est jugée fondée, les frais de procédure afférents à la demande sont payés par l’État.
8. L’ordonnance par laquelle la juridiction compétente a statué sur la demande de fixation de délai est notifiée au demandeur et au tribunal visé par la demande. La décision judiciaire sur la demande de fixation de délai n’est susceptible d’aucun recours. »
C. La jurisprudence des tribunaux tchèques concernant l’application de l’article 174a de la loi no 6/2002 amendée
16.  Dans son arrêt no I. ÚS 319/04 du 7 mars 2005, la Cour constitutionnelle a relevé que, par analogie avec la position de la Cour européenne des Droits de l’Homme (Hartman c. République tchèque), elle n’avait jusque-là pas exigé l’exercice d’un recours hiérarchique, à savoir une plainte pour retards dans la procédure adressée au président du tribunal concerné, avant l’introduction d’un recours constitutionnel. La plainte pour retards dans la procédure, au sens de la loi no 6/2002 sur les tribunaux et les juges dans sa rédaction en vigueur avant le 1er juillet 2004, n’était donc pas considérée par elle comme une voie de recours à exercer avant sa saisine.
17.  Dans ledit arrêt du 7 mars 2005, la Cour constitutionnelle a toutefois noté qu’entre les décisions antérieures susvisées et l’affaire no I ÚS 319/04, la loi no 193/2003 portant modification de la loi no 6/2002 sur les tribunaux et les juges avait introduit dans cette dernière, avec effet au 1er juillet 2004, un article 174a qui instituait une procédure permettant de demander la fixation d’un délai et pouvait être considéré comme un instrument plus efficace pour remédier aux retards dans les procédures judiciaires.
18.  Toutefois, la Cour constitutionnelle s’est bornée sur ce point à observer que le recours constitutionnel dont elle était saisie en l’espèce avait été introduit avant l’entrée en vigueur de ces dispositions et que, par conséquent, la nouvelle voie de recours ne constituait pas un instrument procédural que le requérant aurait pu utiliser.
19.  Dans son arrêt no Pl. ÚS 60/04 du 28 avril 2005, publié dans le recueil officiel sous le no 264/2005, la Cour constitutionnelle a examiné la conformité de l’article 174a à l’ordre constitutionnel. Dans les motifs de son arrêt, elle s’est notamment exprimée comme suit :
« Dans notre ordre juridique, les dispositions de l’article 174a de la loi sur les tribunaux et les juges constituent une première tentative de mise en place d’un système permettant de remédier aux atermoiements retardant l’adoption de décisions judiciaires. La législation actuelle a été adoptée avant tout en raison des nombreux reproches de la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui jugeait insuffisantes les possibilités offertes antérieurement pour protéger les justiciables contre les atermoiements dans les procédures. La Cour constitutionnelle a d’ailleurs constaté dans de très nombreux arrêts des violations du droit à un procès équitable en raison d’atermoiements dans les procédures, et elle a averti l’État qu’il lui fallait prendre des mesures structurelles visant à empêcher de tels atermoiements. Les possibilités de la Cour constitutionnelle étaient et restent cependant limitées. De surcroît, l’instance ouverte par le recours constitutionnel impliquait une nouvelle prolongation de la durée de la procédure. La nouvelle législation, avec ses délais relativement stricts, représente une solution qui devrait satisfaire à l’exigence de protection adéquate des parties contre des atermoiements dans les procédures. Cette législation retient comme principe l’attribution au tribunal supérieur de la compétence pour apprécier la réalité des atermoiements allégués. Il n’y a donc pas immixtion d’un autre pouvoir dans l’exercice des compétences judiciaires. Pour qu’une telle intervention du tribunal supérieur, s’il s’y résout, ait un sens, il faut lui reconnaître un caractère obligatoire. L’objection consistant à dire qu’il s’agit de l’exercice d’une influence indue sur la conduite de la procédure par le tribunal concerné, à un stade où l’instance n’est pas encore close, est indéfendable. La législation vise les cas où un tribunal est inactif et non la manière de conduire une procédure. Le législateur est en effet en droit de supposer que le tribunal supérieur sera en mesure de distinguer s’il s’agit d’inactivité à proprement parler ou seulement d’une façon tactique de conduire la procédure, d’autant qu’il aura la faculté de demander au juge visé de s’expliquer sur les motifs pour lesquels il n’a pas encore accompli, voire décidé d’accomplir, tel ou tel acte. Le mécanisme procédural établi par la loi exclut donc l’arbitraire du juge. L’assurance que des décisions correctes seront rendues découle également de ce que si la question est, certes, tranchée par un juge supérieur, celui-ci est tout aussi indépendant lorsqu’il statue. De plus, le tribunal supérieur se borne à déterminer si les actes procéduraux concernant lesquels des atermoiements sont allégués doivent ou non être accomplis et, le cas échéant, dans quel délai. L’appréciation de ces actes est ensuite entièrement conforme au principe de la libre appréciation par le tribunal des moyens de preuve en l’affaire. Par ailleurs, notre législation traitant de la problématique des atermoiements n’est pas un cas isolé. Une conception similaire peut être trouvée par exemple en Autriche. Les dispositions de l’article 91 de la loi autrichienne sur l’organisation judiciaire (Gerichtsorganisationsgesetz, RGBl. Nr. 217/1896, telle que modifiée, BGBl. Nr. 343/1989), permettent à une partie au procès de saisir le tribunal supérieur d’une demande tendant à ce que soit imparti un délai raisonnable pour l’accomplissement d’un acte procédural (die Vornahme der Verfahrenshandlung) si le tribunal statuant sur le fond de l’affaire tarde à accomplir un tel acte. Il peut par exemple s’agir de fixer une audience, de se procurer une expertise ou de rédiger une décision. Le tribunal auquel il est reproché d’atermoyer a l’obligation de soumettre immédiatement cette demande au tribunal supérieur, avec ses observations, sauf à accomplir de lui-même dans les quatre semaines tous les actes requis et en informant le demandeur. Si le demandeur ne déclare pas maintenir sa demande dans les 14 jours suivant la notification des actes accomplis, il est réputé s’en être désisté. La demande fait l’objet d’une décision, non susceptible d’appel, d’un collège de trois membres agissant avec la plus grande célérité. »
20.  Dans son arrêt no II. ÚS 1/05 du 26 mai 2005, la Cour constitutionnelle a jugé que le fait que le tribunal eût effectué l’acte voulu par la partie à la procédure – en l’occurrence une sommation aux parties de présenter leurs observations – ne signifiait pas à lui seul que la procédure se poursuivrait sans retards.
21.  Dans son arrêt no IV. ÚS 392/05 du 30 novembre 2005, la Cour constitutionnelle a précisé qu’elle avait modifié son approche après l’entrée en vigueur de l’article 174a de la loi no 6/2002. Depuis le 1er juillet 2004, elle considère en effet l’exercice de cette voie de recours comme une condition pour qu’un recours constitutionnel dénonçant des retards dans la procédure et l’inactivité des tribunaux puisse être admis.
22.  Toutefois, examinant l’affaire qui lui était soumise en l’espèce, la haute juridiction a considéré qu’il serait disproportionné d’insister sur l’obligation d’exercer ce recours. La possibilité de demander la fixation d’un délai ayant été instituée par l’article 174a avec effet au 1er juillet 2004, les intéressées auraient certes pu faire usage de ce recours à partir de cette date. Toutefois, la procédure judiciaire se trouvait alors à un stade où l’utilisation de ce recours n’aurait guère apporté à leur droit à un procès dans un délai raisonnable la protection voulue. Sans mettre en doute le sens et l’effectivité de ce recours en général, la Cour constitutionnelle a ainsi conclu que, dans les circonstances de l’espèce, son non-exercice n’emportait pas irrecevabilité du recours constitutionnel.
23.  Dans son arrêt no I. ÚS 533/05 du 13 juin 2006, la Cour constitutionnelle est parvenue à une conclusion similaire.
24.  Dans sa décision no SJS 439/2005, la Cour administrative suprême a jugé que si une partie à une procédure judiciaire n’avait jamais élevé aucune plainte pour retards dans cette procédure, sa demande de fixation d’un délai introduite au titre de l’article 174a de la loi no 6/2002 devait être rejetée.
D.  Les informations sur le fonctionnement du nouveau recours indemnitaire fournies par le Gouvernement en date du 28 février 2007 (sommaire)
25.  Entre le 27 avril 2006 et le 31 janvier 2007, le ministère de la Justice a examiné 226 demandes précontentieuses d’indemnisation d’un préjudice moral causé par la longueur d’une procédure. 167 de ces demandes ont fait l’objet d’un examen au fond. L’existence d’une conduite irrégulière prenant la forme d’une durée excessive a été constatée dans 64 cas, le ministère ayant accueilli entièrement ou en partie les demandes de satisfaction pécuniaire dans 51 cas. Pour les autres, il a relevé, en se référant à l’article 31a § 2 de la loi no 82/1998 amendée, que la constatation de la violation du droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable constituait une satisfaction suffisante pour le préjudice moral causé.
26.  Au 31 janvier 2007, le ministère recensait 761 demandes d’indemnisation dont l’examen précontentieux n’était pas encore terminé. 125 de ces demandes étaient enregistrées depuis plus de six mois.
27.  Les demandeurs se sont vu accorder des sommes allant de 12 000 à 255 000 CZK (soit environ 425 à 9 034 EUR). Un montant total de 4 765 250 CZK (168,813 EUR) a été accordé pour l’ensemble des 51 cas ci-dessus, soit en moyenne 93 436 CZK (environ 3 310 EUR) par demande. En fixant le montant de la satisfaction, le ministère s’efforce de satisfaire les demandes au moins dans une mesure telle que les requêtes qui seraient éventuellement introduites ensuite devant la Cour soient déclarées irrecevables au motif que les requérants auraient déjà obtenu au niveau national une réparation suffisante pour la violation de leurs droits.
28.  Quant à la célérité avec laquelle le ministère statue habituellement, le Gouvernement note que la loi ne fixe aucun délai explicite pour l’examen précontentieux. Il ressort toutefois implicitement de l’article 15-2 de la loi no 82/1998 amendée que ce délai ne devrait pas excéder six mois, car si le grief du demandeur n’est pas entièrement satisfait dans les six mois après avoir été soulevé, le demandeur peut réclamer une indemnisation devant le tribunal. Ainsi donc, si le non-règlement d’une affaire par le ministère à l’écoulement de six mois ne saurait être considéré en soi comme une conduite irrégulière au sens de l’article 13-1 de la loi no 82/1998, il est néanmoins clair qu’il convient de faire en sorte que les demandeurs ne saisissent pas les tribunaux pour la seule raison que leur grief n’a pas été examiné par le ministère dans le délai susvisé. Le Gouvernement admet que, durant la période considérée, le ministère n’a pas toujours su respecter ce délai, près de 20 % des demandes ayant été traitées en plus de six mois, mais il précise que des mesures ont été prises afin de stabiliser la situation.
29.  Le ministère procède rapidement au versement des sommes accordées. Dans les 51 affaires susvisées, les demandeurs ont été payés dans un délai de 30 jours suivant le moment où ils ont communiqué au ministère les renseignements nécessaires à la réalisation du paiement. En règle générale, le ministère motive de façon exhaustive ses réponses aux demandes d’indemnisation, afin d’accélérer au maximum d’éventuelles procédures judiciaires ultérieures.
30.  Les calculs effectués l’an dernier par le Gouvernement montrent que les sommes accordées par la Cour dans les affaires tchèques au titre de la satisfaction équitable après constat d’une violation du droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, se situent en moyenne aux alentours de 5 000 EUR. Le montant moyen des sommes accordées par le ministère pendant la période considérée s’élève, après conversion, à 3 337 EUR, soit à 66,7 % de la somme moyenne allouée par la Cour. Le Gouvernement en déduit que le niveau instauré par le ministère est suffisant et les sommes accordées en vertu de la loi no 82/1998 sont en rapport raisonnable avec les sommes accordées par la Cour, compte tenu également des avantages que présente la possibilité d’obtenir une réparation au niveau interne au lieu d’être obligé de passer par une procédure devant la Cour (voir, par exemple, l’arrêt Apicella c. Italie du 10 novembre 2004, § 26). Il fait aussi remarquer qu’il ressort de l’analyse des arrêts rendus par la Cour le 29 mars 2006 dans les affaires Scordino et autres, Apicella, Cocchiarella et d’autres contre l’Italie que, en principe, notamment lorsque la condition de la rapidité est respectée, la Cour est prête à accepter des sommes équivalant à 45 % de celles qu’elle aurait elle-même allouées dans des affaires similaires en vertu de l’article 41 de la Convention (voir aussi le paragraphe 3 de l’opinion dissidente du juge Bonello concernant l’arrêt Zarb c. Malte du 4 juillet 2006, qui mentionne explicitement le seuil de 45 %). La moyenne des sommes accordées par le ministère est ainsi nettement supérieure à ce seuil minimal.
31.  De surcroît, rien n’empêche le tribunal saisi en vertu de l’article 15-2 de la loi no 82/1998 par un intéressé insatisfait du montant de l’indemnisation allouée d’accorder à celui-ci une satisfaction complémentaire lorsqu’il le juge équitable. L’intéressé peut engager une telle procédure judiciaire s’il estime que son droit à une indemnisation n’a pas été pleinement satisfait à la suite de l’examen précontentieux. Le tribunal ne peut statuer sur sa demande que dans la mesure où le ministère l’a débouté. Par contre, il n’a aucun moyen de retirer au demandeur l’indemnité accordée.
32.  Le Gouvernement souligne que l’examen préalable par le ministère et l’action judiciaire ne peuvent pas être perçus comme deux voies de recours distinctes. L’obligation de faire valoir son droit devant le ministère poursuit essentiellement comme but d’empêcher autant que possible l’accumulation des dossiers devant les tribunaux et une surcharge encore plus importante du système judiciaire.
33.  Selon les informations recueillies auprès du tribunal d’arrondissement de Prague 2, qui en tant que tribunal territorialement compétent examine la quasi-totalité des actions introduites contre la République tchèque lorsque celle-ci est représentée par le ministère de la Justice, 113 actions en indemnisation motivées par une durée excessive de procédure ont été introduites entre le 27 avril 2006, date de l’entrée en vigueur de la loi no 160/2006, et le 31 janvier 2007. Il n’a pas pu être statué au fond sur la plupart d’entre elles pour le moment. En effet, compte tenu de la date d’entrée en vigueur de la loi et du délai de six mois imparti pour l’examen préalable des demandes par l’administration, aucune action de ce type ne pouvait, en pratique, être portée devant le tribunal avant le 27 octobre 2006. La seule exception est celle des actions rejetées pour défaut manifeste de fondement ou au motif que le demandeur n’a pas préalablement soumis sa demande au ministère.
GRIEF
34.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant dénonce la durée de la procédure.
EN DROIT
35.  Le requérant se plaint de la durée de la procédure, invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
1. Arguments des parties
(a) Le Gouvernement
36.  Selon le Gouvernement, l’objectif de la révision de la loi no 82/1998 était de répondre à l’appel adressé par la Cour aux Parties contractantes dans son arrêt Kudła c. Pologne ([GC], no 30210/96, §§ 148 et 155). Constatant que la seule critique que la Cour eût formulée à l’adresse de la loi no 82/1998 dans l’affaire Hartman c. République tchèque (no 53341/99, CEDH 2003-VIII (extraits)) était l’impossibilité de demander la réparation du préjudice moral étant résulté de la durée excessive de la procédure, il indique que les articles 1-3 et 31a de la loi no 82/1998 modifiée prévoient l’octroi d’une satisfaction raisonnable au titre du préjudice moral causé par une décision illégale ou par une conduite irrégulière.
37.  Rappelant que l’article 13 de la Convention n’oblige pas les Etats à avoir un système de recours qui remplirait simultanément une fonction préventive et réparatrice, le Gouvernement souligne que la République tchèque a institué, au travers de l’article 174a de la loi no 6/2002 et avec effet au 1er juillet 2004, une procédure permettant de demander la fixation d’un délai pour l’accomplissement d’un acte procédural. Il précise qu’appelée à examiner la conformité de cette disposition à l’ordre constitutionnel, et notamment au principe de l’indépendance judiciaire, la Cour constitutionnelle n’a relevé, dans son arrêt du 28 avril 2005 (no Pl. ÚS 60/04, publié sous no 264/2005), aucune inconstitutionnalité.
38.  Le Gouvernement estime que le nouveau recours indemnitaire prévu par la loi no 82/1998 dans sa rédaction actuelle est effectif du point de vue des articles 13 et 35 § 1 de la Convention.
39.  En pratique, le droit à la réparation du dommage, qu’il soit de caractère matériel ou moral, s’exerce auprès du ministère de la Justice, qui procède, dans un délai de six mois, à une enquête. Si le demandeur n’est pas pleinement d’accord avec le résultat de cet examen préalable, il peut intenter contre l’Etat une procédure judiciaire.
40.  Le Gouvernement précise que l’appréciation de la satisfaction à accorder au titre du préjudice moral subi, et de son montant lorsqu’elle prend la forme d’une indemnité, est régie par le nouvel article 31a. Il ressort de la jurisprudence de la Cour quelle était la marge d’appréciation des Etats pour déterminer le montant d’une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention. Par ailleurs, il existe des cas où elle a considéré que le grief lié à la durée de la procédure se trouvait suffisamment réparé par le seul constat de la violation de la Convention (Berlin c. Luxembourg, no 44978/98, § 72).
41.  Quant au délai de prescription, le Gouvernement indique le nouvel article 32-3 prévoit un délai de prescription subjectif de six mois à compter du jour où l’intéressé a eu connaissance du préjudice moral subi. L’article 35 amendé prévoit que, dans une limite de six mois, le délai de prescription ne court pas entre le jour où l’intéressé fait valoir son droit à la réparation du dommage auprès de l’autorité administrative (le ministère de la Justice) et la fin de l’examen préalable de la demande par l’administration. Dans les cas de durée excessive de procédures, l’article 32-3, deuxième phrase, prévoit cependant que le délai de prescription ne peut expirer avant l’écoulement de six mois à compter de la clôture de la procédure concernée.
42.  Le Gouvernement ajoute que l’article II de la loi no 160/2006 établit un délai de prescription spécial d’un an au profit des personnes qui ont en instance devant la Cour une requête dénonçant la durée excessive d’une procédure déposée avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi .
(b) Le requérant
43.  Par lettre du 17 août 2007, le requérant a informé la Cour qu’il ne souhaitait pas faire usage de la possibilité de s’adresser au ministère de la Justice en vertu de la loi no 82/1998 amendée.
44.  En réponse aux informations fournies par le Gouvernement à propos du fonctionnement du nouveau recours indemnitaire, l’intéressé considère que la position du Gouvernement est attrayante. Toutefois, il s’agit selon lui d’une nouvelle fiction de droits des justiciables.
2. Appréciation de la Cour
(a) Principes généraux contenus dans la jurisprudence
45.  La finalité de l’article 35 § 1 de la Convention, qui énonce la règle de l’épuisement des voies de recours internes, est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie (Kudła c. Pologne, [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-IX). La règle de l’article 35 § 1 se fonde sur l’hypothèse, incorporée dans l’article 13 de la Convention (avec lequel elle présente d’étroites affinités), que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (ibidem).
46.  Les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent cependant l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, ECHR 2002-VIII, Slaviček c. Croatie (déc.), no 20862/02, CEDH 2002-VIII, et Andrášik et autres c. Slovaquie (déc.), nos 57984/00 et al., CEDH 2002-IX). De même, ces dispositions doivent s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Selon les « principes de droit international généralement reconnus », certaines circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de l’obligation d’épuiser les recours internes s’offrant à lui. Par ailleurs, la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des requérants (Scordino c. Italie (déc.), no 36813/97, CEDH 2003-IV).
47.  Par ailleurs, lorsque le droit à un procès dans un délai raisonnable est en cause, un recours est « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Sürmeli c. Allemagne, [GC] no 75529/01, § 99, CEDH 2006-).
48.  Dans la mesure où l’ordre juridique interne prévoit la possibilité d’engager une action contre l’Etat, pareille action doit demeurer un recours efficace, adéquat et accessible pour sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire. Le caractère adéquat du recours peut ainsi être affecté par une lenteur excessive et dépendre également du niveau de l’indemnisation (Paulino Tomás c. Portugal (déc.), no 58698/00, CEDH 2003-VII ; Doran c. Irlande, no 50389/99, § 57, CEDH 2003-X (extraits)).
49.  C’est en principe à la date d’introduction de la requête que s’apprécie l’effectivité d’un recours donné. Toutefois, la Cour a approuvé un certain nombre d’exceptions à cette règle, justifiées par les circonstances particulières des affaires concernées, en l’occurrence l’adoption d’une nouvelle législation pour remédier au problème systémique de la longueur des procédures judiciaires (Brusco c. Italie, (dec.) no 69789/01, CEDH 2001-IX, Nogolica c. Croatie (déc.), no 77784/01, CEDH 2002-VIII, et Marien c. Belgique (déc.), no 46046/99, 24 juin 2004).
(b) Compatibilité avec les principes généraux du système de recours proposé par le Gouvernement
i. Le recours constitutionnel
50.  La Cour rappelle que la possibilité d’introduire un recours constitutionnel pour se plaindre de retards dans une procédure n’offre pas l’effectivité requise (Hartman c. République tchèque, no 53341/99, § 83, CEDH 2003-VIII (extraits) ; Koudelka c. République tchèque, no 1633/05, § 47, 20 juillet 2006).
ii. Le recours préventif
51.  Le Gouvernement affirme que la loi no 6/2002 amendée a mis en place un recours effectif pour les cas de retards dans une procédure judiciaire. Il fait valoir qu’en vertu de l’article 174a de cette loi un justiciable peut demander la fixation d’un délai pour l’accomplissement d’un acte procédural.
52.  Rappelant sa prémisse selon laquelle, en cette matière comme en beaucoup d’autres, le meilleur remède dans l’absolu est la prévention (Sürmeli c. Allemagne précité § 100), la Cour estime que lorsque le système judiciaire se montre défaillant au regard de l’exigence du délai raisonnable de l’article 6 § 1 de la Convention un recours permettant de faire accélérer la procédure constitue la solution la plus efficace (Cocchiarella c. Italie, [GC], no 64886/01, § 74, CEDH 2006-).
53.  La Cour a de nombreuses fois reconnu à des recours de ce type un caractère « effectif » dans la mesure où ils permettent de hâter la décision de la juridiction concernée (Kunz c. Suisse (déc.), no 623/02, 21 juin 2005 ; Holzinger (no 1) c. Autriche, no 23459/94, § 22, CEDH 2001-I, Gonzalez Marin c. Espagne (déc.), no 39521/98, CEDH 1999-VII, Tomé Mota c. Portugal précité, Grzinčič c. Slovénie, no 26867/02, § 95, 3 mai 2007).
54.  La Cour admet que la possibilité, inscrite à l’article 174a de la loi no 6/2002 amendée, d’introduire une demande de fixation d’un délai pour l’accomplissement d’un acte procédural a été instituée dans le système juridique tchèque avec l’intention de garantir au plan national le droit à un procès dans un délai raisonnable. Néanmoins, il ressort du texte même de cette norme, en vigueur depuis le 1er juillet 2004, qu’une telle demande ne peut être introduite que si l’intéressé a au préalable saisi en vain l’autorité compétente de l’administration judiciaire d’une plainte pour retards dans la procédure. La Cour souligne que cette procédure diffère en cela de celle de l’article 91 de la loi autrichienne sur l’organisation judiciaire, qui permet l’introduction directe d’une telle demande (Holzinger (no 1) c. Autriche précité, § 16).
55.  La Cour a jugé que le recours hiérarchique permettant de dénoncer la durée excessive d’une procédure judiciaire que prévoyait la loi no 6/2002 dans sa version en vigueur avant le 30 juin 2004 ne constituait pas un recours effectif pour remédier à une violation du droit à voir sa cause entendue dans un « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Škodáková c. République tchèque, no 71551/01, § 34, 21 décembre 2004; Bečvář et Bečvářová c. République tchèque, no 58358/00, § 40, 14 décembre 2004 ; Vitásek c. République tchèque, no 77762/01, § 24, 2 novembre 2004 ; Pištorová c. République tchèque, no 73578/01, § 22, 26 octobre 2004).
56.  Certes, dans son arrêt Grzinčič c. Slovénie précité, la Cour a considéré comme efficace le système similaire instauré dans le droit slovène le 1er janvier 2007. Elle observe toutefois que, comparées à celles de leurs homologues tchèques, les compétences des autorités slovènes apparaissent davantage élaborées et tangibles, et, par conséquent, plus efficaces et rassurantes pour les parties à une procédure judiciaire. D’autre part, contrairement au droit tchèque, le droit slovène ne permet l’introduction d’une demande d’indemnisation que si le justiciable a d’abord utilisé l’un des deux recours disponibles, à savoir le recours en supervision (nadzorstvena pritožba) ou la demande de fixation d’un délai (rokovni predlog) ; c’est la raison pour laquelle la Cour avait été amenée, dans cet arrêt, à examiner de façon globale l’efficacité du système interactif formé par ces deux types de recours.
57.  A la lumière de ce qui précède et ayant à l’esprit que les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention doivent s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, la Cour estime que la possibilité de former une demande de fixation d’un délai pour l’accomplissement d’un acte procédural introduite dans le droit tchèque avec effet au 1er juillet 2004 par le nouvel article 174a de la loi no 6/2002, qui ne constitue en réalité que le prolongement du recours hiérarchique, ne peut pas être considéré comme un recours devant être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention.
iii. Le recours indemnitaire
58.  La Cour observe que les articles 1-3 et 31a de la loi no 82/1998 modifiée prévoient l’octroi d’une satisfaction raisonnable au titre du préjudice moral – et non plus du seul préjudice matériel – causé par une conduite irrégulière, telle la méconnaissance de l’obligation d’accomplir un acte ou de rendre une décision dans un délai raisonnable. La notion de délai raisonnable est évoquée par un renvoi aux articles 5 et 6 de la Convention.
59.  La personne qui a subi un préjudice du fait d’un manquement de ce type a droit à une réparation. Celle-ci doit, tout d’abord, être demandée auprès des autorités de l’Etat, le ministère de la Justice dans la majorité des cas. Selon l’article 31a, une satisfaction raisonnable est accordée sous forme pécuniaire si le préjudice moral ne peut pas être réparé autrement et si le simple constat de violation du droit paraît insuffisant.
60.  La Cour observe que ce procédé se distingue de ceux mis en oeuvre par d’autres Etats parties, par exemple la Pologne, la Slovaquie ou l’Italie (Michalak c. Pologne, (déc.), no 24549/03, 1 mars 2005 ; Chazyński c. Pologne, (déc.), no 15212/03, CEDH 2005-V; Andrášik et autres c. Slovaquie précité ; Scordino c. Italie (no. 1), [GC], no 36813/97, CEDH 2006-) où c’est un tribunal, et non une autorité exécutive centrale de l’Etat, qui est directement saisi d’un recours dirigé contre les retards dans une procédure judiciaire. Force est, néanmoins, de constater que dans l’hypothèse où le justiciable n’est pas satisfait de la conclusion du ministère de la Justice tchèque, il peut introduire une action devant un tribunal, dont la décision est alors en principe susceptible d’appel, de pourvoi en cassation et de recours constitutionnel.
61.  Tout en reconnaissant que ce système a ses avantages, dans la mesure où, comme le fait valoir le Gouvernement, l’examen préalable des demandes d’indemnisation par le ministère de la Justice est effectivement de nature à réduire le nombre d’actions introduites devant les tribunaux de première instance, la Cour ne peut s’empêcher d’émettre des craintes quant au risque d’une prolongation excessive de la durée de la procédure. Elle relève en effet que le justiciable qui a vu sa demande rejetée par le tribunal de première instance peut ensuite saisir successivement plusieurs instances, jusqu’à la Cour constitutionnelle, pour faire réformer la décision. Néanmoins, ayant à l’esprit le but de la nouvelle loi, qui est de permettre aux organes de l’Etat tchèque de redresser les manquements à l’exigence du « délai raisonnable », la Cour estime prématuré de se prononcer sur cette question qui n’est, pour le moment, que théorique. Au demeurant, rien ne l’empêchera de revenir ultérieurement sur sa position, la preuve de l’effectivité du recours en pratique restant à la charge du gouvernement tchèque (Grzinčič c. Slovénie précité, § 108).
62. La Cour attache une importance particulière à la disposition transitoire contenue dans l’article II de la loi no 160/2006, selon laquelle la responsabilité de l’Etat s’applique également au préjudice apparu avant la date d’entrée en vigueur de la loi, pourvu que le droit à la réparation de ce préjudice ne soit pas encore prescrit. Elle relève que la disposition en cause précise que dans les cas où le justiciable concerné a en instance devant la Cour une requête dénonçant la durée excessive d’une procédure déposée avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le droit à la réparation du préjudice moral n’est prescrit qu’après l’écoulement d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la loi no 160/2006. Cette disposition transitoire offre donc aux justiciables tchèques concernés une réelle possibilité d’obtenir un redressement de leur grief au niveau interne, possibilité dont il leur appartient, en principe, de faire usage.
63.  La Cour observe également qu’il ressort de l’article 31a-3 de la loi no 82/1998 amendée que les critères fonctionnels appliqués en pratique par les autorités tchèques lors de leur examen des demandes d’indemnisation sont analogues à ceux de la Cour, ce que confirment les informations soumises par le Gouvernement le 28 février 2007 (paragraphes 31 et 34 ci-dessus).
64.  Tout en soulignant derechef qu’en matière de délai raisonnable la solution idéale est la prévention et qu’il est préférable d’avoir la possibilité de faire accélérer la procédure avant que les retards n’atteignent une ampleur excessive, la Cour note que la circonstance que le recours en cause – qui peut être utilisé aussi bien au cours d’une procédure pendante qu’après sa clôture – soit purement indemnitaire n’est pas déterminante pour l’appréciation de son effectivité (Mifsud c. France précité, § 17AC). Son existence est d’autant plus importante lorsque - comme en l’espèce - le recours de caractère préventif n’était pas disponible dès le début de la procédure judiciaire concernée, ou, a fortiori, si la procédure se trouvait déjà à un stade avancé lorsqu’il est entré en application (Holzinger c. Autriche (no 2), no 28898/95, § 28).
65.  La Cour en conclut que le remède introduit dans le système juridique tchèque par la loi no 82/1998 amendée peut être considéré comme un recours effectif et accessible pour dénoncer un dépassement du « délai raisonnable » dans toute procédure judiciaire tombant dans le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention.
(c) Appréciation du cas du requérant
66.  Dans le cas d’espèce, la procédure judiciaire a été engagée le 15 février 1993 et s’est terminée le 3 octobre 2002.
67.  La Cour note qu’informé par le greffe de la possibilité d’introduire un recours en vertu de la loi no 82/1998 amendée, le requérant a décidé de ne pas utiliser cette voie de recours. Par ailleurs, aucune circonstance exceptionnelle de nature à le dispenser de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes n’a été décelée.
68.  Dès lors, la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
69.  En conséquence, il convient de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare le restant de la requête irrecevable.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen   Greffière Président
1 1 euro = 27,67 CZK
2 Par exemple articles 5 et 6 de la Convention
DÉCISION VOKURKA c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
DÉCISION VOKURKA c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 


Type d'affaire : Décision (Finale)
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 2-1) VIE, (Art. 2-2) ABSOLUMENT NECESSAIRE, (Art. 2-2) DEFENSE CONTRE LA VIOLENCE ILLEGALE, (Art. 2-2) EFFECTUER UNE ARRESTATION REGULIERE, (Art. 2-2) RECOURS A LA FORCE, (Art. 3) TRAITEMENT DEGRADANT, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 35-1) DELAI DE SIX MOIS, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 6) PROCEDURE CIVILE, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : VOKURKA
Défendeurs : REPUBLIQUE TCHEQUE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 16/10/2007
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 40552/02
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-10-16;40552.02 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award