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04/12/2007 | CEDH | N°44362/04

CEDH | AFFAIRE DICKSON c. ROYAUME-UNI


GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE DICKSON c. ROYAUME-UNI
(Requête no 44362/04)
ARRÊT
STRASBOURG
4 décembre 2007
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Dickson c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Wildhaber,   Sir Nicolas Bratza,   MM. B.M. Zupančič,    P. Lorenzen,   Mme F. Tulkens,   MM. I. Cabral Barreto    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    J. Hedigan,    A.B.

Baka,   Mmes S. Botoucharova,    A. Mularoni,    A. Gyulumyan,   MM. K. Hajiyev,    E. Myjer,
Mme I. Berro-Le...

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE DICKSON c. ROYAUME-UNI
(Requête no 44362/04)
ARRÊT
STRASBOURG
4 décembre 2007
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Dickson c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    L. Wildhaber,   Sir Nicolas Bratza,   MM. B.M. Zupančič,    P. Lorenzen,   Mme F. Tulkens,   MM. I. Cabral Barreto    C. Bîrsan,    K. Jungwiert,    J. Hedigan,    A.B. Baka,   Mmes S. Botoucharova,    A. Mularoni,    A. Gyulumyan,   MM. K. Hajiyev,    E. Myjer,
Mme I. Berro-Lefèvre, juges,  et de M. V. Berger, jurisconsulte,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 10 janvier et 17 octobre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 44362/04) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont deux ressortissants de cet Etat, Kirk et Lorraine Dickson (« les requérants »), ont saisi la Cour le 23 novembre 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, sont représentés par M. E. Abrahamson, solicitor à Liverpool. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. J. Grainger, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.
3.  Les requérants se plaignaient de ce qu'on leur avait refusé la possibilité de bénéficier de l'insémination artificielle, ce qui, selon eux, avait porté atteinte à leurs droits au titre de l'article 8 et/ou de l'article 12 de la Convention.
4.  La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement. Le 8 mars 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement et (en application de l'article 29 § 3 de la Convention) d'examiner en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire. Le 18 avril 2006, une chambre de ladite section, composée de M. J. Casadevall, président, Sir Nicolas Bratza, M. G. Bonello, M. R. Maruste, M. S. Pavlovschi, M. L. Garlicki et M. J. Borrego Borrego, juges, à l'unanimité, a déclaré la requête recevable et, par quatre voix contre trois, a conclu à la non-violation des articles 8 et 12 de la Convention. Au texte de l'arrêt se trouvait annexé l'exposé de l'opinion concordante de M. Bonello, de l'opinion dissidente commune à MM. Casadevall et Garlicki et de l'opinion dissidente de M. Borrego Borrego.
5.  Le 13 septembre 2006, le collège de la Grande Chambre a accueilli la demande des requérants tendant au renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre en vertu de l'article 43 de la Convention.
6.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement de la Cour.
7.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire
8.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 10 janvier 2007 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  MM. J. Grainger, agent,   D. Perry, QC, conseil,   A. Dodsworth, conseiller ;
–  pour les requérants  M. E. Abrahamson, solicitor,  Mme F. Krause, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Perry et Mme Krause.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
9.  Les requérants sont nés respectivement en 1972 et 1958. Le premier requérant purge une peine d'emprisonnement et la seconde requérante réside à Hull.
10.  En 1994, le premier requérant fut condamné pour meurtre (il avait battu à mort un homme en état d'ivresse) à la réclusion à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté (tariff) fixée à quinze ans. Il peut espérer être libéré au plus tôt en 2009. Il n'a pas d'enfants.
11.  En 1999, il fit la connaissance de la seconde requérante, alors que celle-ci était également en prison, par l'intermédiaire d'un réseau de correspondance pour détenus. La seconde requérante a depuis lors été libérée. En 2001, les requérants se marièrent. La seconde requérante a déjà trois enfants issus d'autres relations.
12.  Le couple souhaitant avoir un enfant ensemble, le premier requérant sollicita en octobre 2001 la possibilité de recourir à l'insémination artificielle. En décembre 2002, la seconde requérante se joignit à cette demande. Ils invoquèrent l'ancienneté de leur relation et le fait que, eu égard à la première date de libération possible pour le premier requérant et à l'âge de la seconde requérante, il était improbable qu'ils puissent concevoir un enfant ensemble sans avoir recours à l'insémination artificielle.
13.  Dans une lettre datée du 28 mai 2003, le ministre refusa leur demande. Il commença par exposer sa politique générale (« la politique ») :
« Les demandes d'insémination artificielle présentées par des détenus sont soigneusement examinées au cas par cas et ne sont accueillies que dans des circonstances exceptionnelles. En vue de la prise de décision, une attention particulière est portée aux questions générales suivantes :
–  le recours à l'insémination artificielle est-il le seul moyen par lequel la conception a des chances de se produire ?
–  la date de libération prévue du détenu est-elle à la fois pas assez proche pour que l'attente ne soit pas excessive et pas assez éloignée pour que le détenu ne puisse pas assumer ses responsabilités parentales ?
–  les deux parties ont-elles la volonté de s'engager dans cette procédure et les autorités médicales internes et externes à la prison estiment-elles que le couple est médicalement apte à avoir recours à l'insémination artificielle ?
–  le couple avait-il avant l'emprisonnement une relation bien établie et stable, qui a des chances de perdurer après la libération du détenu ?
–  existe-t-il des éléments indiquant que la situation du couple et les dispositions mises en place pour le bien-être de l'enfant sont satisfaisantes, notamment quant à la durée pendant laquelle il faut s'attendre à voir l'enfant vivre sans père ou sans mère ?
–  eu égard au passé et aux antécédents du détenu et à d'autres facteurs pertinents, certains éléments portent-ils à croire qu'il ne serait pas dans l'intérêt public de permettre l'insémination artificielle dans une affaire donnée ? »
Le ministre donna alors les raisons de son refus en l'espèce :
« (...) le ministre de l'Intérieur a eu particulièrement égard à l'âge que devrait avoir votre épouse lorsque vous pourrez prétendre à être libéré. Votre épouse aura 51 ans à la première date de libération possible, de sorte que la probabilité qu'elle puisse concevoir un enfant naturellement est faible. Le ministre relève que Mme Dickson a trois enfants d'une précédente relation. Compte tenu de l'âge de votre épouse, le ministre a examiné très attentivement votre situation et la sienne (...).
Le ministre prend note du fait que votre épouse et vous-même êtes totalement en accord quant au souhait d'avoir recours à la procréation artificielle. Il reconnaît également l'attachement dont vous faites preuve l'un envers l'autre. Cependant, il relève que votre relation a débuté alors que vous étiez tous deux en prison et n'a donc pas encore été à l'épreuve de l'environnement normal de la vie quotidienne. Il est donc impossible d'évaluer rationnellement et objectivement si votre relation perdurera après votre libération.
En outre, le ministre est préoccupé par le fait que l'environnement dont bénéficierait tout enfant susceptible d'être conçu est insuffisant pour que ses besoins matériels puissent être satisfaits de manière indépendante. De plus, il semble qu'il n'y ait aucun réseau de soutien de proximité déjà établi pour la mère et tout enfant éventuel. Le fait que cet enfant se retrouverait sans père pendant une partie importante de ses années d'enfance est aussi un sujet de profonde préoccupation.
Tout en reconnaissant les progrès que vous avez réalisés en vue de corriger votre comportement délictueux, l'usage constructif que vous faites de votre période de détention en préparation de votre libération et votre bon comportement en prison, le ministre relève néanmoins la violence du crime qui vous a valu d'être condamné à la réclusion à la perpétuité. Il estime que le public pourrait se déclarer légitimement préoccupé à l'idée que les éléments de répression et de dissuasion de votre peine de prison soient annihilés si vous étiez autorisé à concevoir un enfant par insémination artificielle au cours de votre détention. »
14.  Les requérants sollicitèrent l'autorisation de demander un contrôle juridictionnel de la décision du ministre. Le 29 juillet 2003, la High Court leu opposa un refus dans le cadre d'une procédure écrite. Les requérants renouvelèrent leur demande et, le 5 septembre 2003, l'autorisation leur fut de nouveau refusée à l'issue d'une audience. Le 13 octobre 2003, les requérants saisirent la Cour d'une requête (no 34127/03), laquelle fut déclarée irrecevable le 15 décembre 2003 au motif qu'ils n'avaient pas épuisé les voies de recours internes. Les requérants sollicitèrent alors de la Cour d'appel (Court of Appeal) l'autorisation d'interjeter appel.
15.  Le 30 septembre 2004, la Cour d'appel rejeta leur demande à l'unanimité. Le Lord Justice Auld se fonda en principe sur l'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire R (Mellor) v. Secretary of State for the Home Department, Weekly Law Reports, 2001, vol. 3, p. 533). Il souligna les similarités entre les arguments avancés par les requérants en l'espèce et ceux présentés dans l'affaire Mellor. Renvoyant à la conclusion de Lord Phillips dans cette affaire (paragraphes 23–26 ci-dessous), il déclara ce qui suit :
« (...) Lord Phillips avait manifestement à l'esprit, et a explicitement évoqué dans son arrêt, les dispositions de l'article 8 § 2 de la Convention, qui exposent divers facteurs pouvant justifier une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale, y compris la protection de la santé et de la morale et la protection des droits et libertés d'autrui. Il me semble que la prise en compte du point de vue du public concernant l'exercice en prison par les détenus de certains droits qu'ils pourraient prendre pour acquis à l'extérieur, ainsi que le souci des droits de tout enfant putatif quant à l'éducation qu'il recevrait en fonction des circonstances et de la durée de l'emprisonnement dans un cas donné, sont des éléments extrêmement pertinents aux fins de l'article 8 § 2 (...)
En conséquence, à mon sens, [les requérants] n'ont pas la possibilité de demander le réexamen de la validité de la politique du ministre, que la présente cour, dans l'affaire Mellor, a jugée rationnelle et à tous autres égards licite. Ainsi que Lord Phillips l'a clairement dit dans son arrêt dans cette affaire, si le point de départ quant à l'application de la politique est le fait que l'impossibilité de recourir à l'insémination artificielle peut ôter toute chance de concevoir, le point d'arrivée consiste à déterminer s'il existe des circonstances exceptionnelles excluant son application (...) »
Le Lord Justice Auld constata ensuite qu'en certaines occasions le ministre avait « choisi de ne pas appliquer » la politique lorsque les circonstances le justifiaient : il évoqua une lettre du Treasury Solicitor aux requérants qui allait apparemment dans ce sens et souligna que le conseil du ministre avait informé la cour qu'il y avait eu d'autres exemples de la sorte.
16.  Puis le Lord Justice Auld fit application de la politique en l'espèce :
« Dans la mesure où [les requérants] allèguent que le ministre a fait une application irrationnelle de sa propre politique dans les circonstances de l'espèce, ou n'a pas agi d'une manière proportionnée en en faisant application, je rejette cette allégation. Rien ne permet d'affirmer que l'approche du ministre revient, comme [les requérants] le suggèrent, à éteindre un droit fondamental. Il s'agissait de mettre en balance le point de départ de la politique avec d'autres considérations envisagées par la politique elle-même, exercice de pouvoir discrétionnaire et de proportionnalité pour lequel, à mon avis, rien ne peut être reproché au ministre au vu des circonstances dont il a eu à connaître. »
17.  Les autres juges se fondèrent également sur la décision rendue dans l'affaire Mellor, le Lord Justice Mance formulant les considérations suivantes :
« L'affaire Mellor constitue également un précédent à l'occasion duquel il a été clairement affirmé que les considérations et les conséquences éventuelles d'intérêt public, au-delà d'une vision étroite tenant aux exigences de l'ordre et de la sécurité en prison, peuvent jouer un rôle quand il s'agit de décider s'il faut ou non autoriser le recours à l'insémination artificielle (...) Je relève que, outre les autorités européennes spécifiquement mentionnées au paragraphe 42 par Lord Phillips, la Commission, dans sa décision Draper c. Royaume-Uni (requête no 8186/78, §§ 61-62), a également admis la pertinence éventuelle de considérations plus générales d'intérêt public. »
18.  Le 19 décembre 2006, le premier requérant fut transféré dans un autre établissement pénitentiaire, dans la partie bénéficiant d'un régime ouvert, en tant que détenu de catégorie D. En principe il devait bénéficier de visites à domicile non surveillées après six mois s'il avait toujours ce statut de détenu de catégorie D (article 9 du règlement pénitentiaire de 1999, tel que mis en œuvre par le chapitre 4.3 – intitulé « Libération temporaire des détenus condamnés à vie » – de l'ordonnance no 6 300 de l'administration pénitentiaire – Prison Service Order 6300).
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A.  Les règlements pénitentiaires
19.  L'article 47 de loi de 1952 sur les prisons (Prison Act 1952) habilite le ministre de l'Intérieur à réglementer la gestion des prisons. En ses passages pertinents, cette disposition se lit ainsi :
« Le ministre de l'Intérieur est habilité à réglementer l'organisation et la gestion des prisons (...) ainsi que la classification, le traitement, l'emploi, la discipline et le contrôle des détenus (...) ».
20.  Le règlement pertinent en l'espèce est le règlement pénitentiaire de 1999 (SI 1999, no 728), lequel, en son article 4, dispose :
« Contacts extérieurs
1.  Il convient d'accorder une attention spéciale au maintien des relations entre les détenus et leurs familles dans la mesure où ces contacts sont souhaitables dans l'intérêt de tous les protagonistes.
2.  Un détenu sera encouragé et aidé à établir et maintenir les relations avec des personnes et des organismes extérieurs à la prison, dans la mesure où ces relations, de l'avis du directeur de la prison, favorisent les intérêts de sa famille et sa propre réinsertion dans la société. »
B.  R (Mellor) v. Secretary of State for the Home Department, Weekly Law Reports, 2001, vol. 3, p. 533
21.  La politique en matière d'insémination artificielle fut contestée par un certain M. Mellor, un détenu condamné à la réclusion à perpétuité pour meurtre. Il avait vingt-neuf ans à l'époque où son affaire fut portée devant la Cour d'appel, et devait purger au minimum encore trois ans de prison. Son épouse avait vingt-cinq ans. A la première date de libération possible pour son mari, elle allait donc avoir vingt-huit ans. Le couple se vit refuser la possibilité de pratiquer une insémination artificielle : il fut considéré que leur situation ne présentait rien d'exceptionnel.
22.  Les intéressés demandèrent l'autorisation de solliciter un contrôle juridictionnel de la politique elle-même plutôt que de son application à leur cas, alléguant une ingérence injustifiée dans les droits que leur garantissait l'article 8. Ils établissaient une distinction entre cette politique et la politique concernant les visites conjugales : celles-ci donnaient lieu à des préoccupations concrètes (de sécurité), ce qui n'était pas le cas des opérations d'insémination artificielle. Le gouvernement soutint que la politique était justifiée : a)  l'impossibilité pour les détenus de fonder une famille constituait une conséquence explicite de l'emprisonnement ; b)  le maintien de la possibilité pour les détenus de concevoir des enfants pendant la détention pourrait donner lieu à de graves et légitimes préoccupations du public ; et c)  il n'était pas souhaitable, de manière générale, que les enfants soient élevés au sein de familles monoparentales. La High Court refusa la demande d'autorisation des requérants, qui interjetèrent appel de cette décision.
23.   La Cour d'appel (dont l'arrêt principal fut prononcé par Lord Phillips) releva que la décision du ministre était antérieure à l'incorporation de la Convention dans le droit anglais, et poursuivit ainsi :
« Le ministre soutient cependant que le droit anglais s'est toujours trouvé en conformité avec la Convention. Par ailleurs, il ne conteste pas l'argument de l'appelant selon lequel les exigences posées par la Convention représentent les fondements de l'appréciation du caractère rationnel de sa décision et de la politique à la base de cette décision. C'est là une approche sensée : en effet, ce qui compte pour l'appelant, c'est la portée de ses droits aujourd'hui, et le principal souci du ministre est aussi de déterminer si la politique est conforme aux dispositions de la Convention, qui fait à présent partie intégrante de notre droit. A la lumière de cette approche, je propose d'examiner d'abord la jurisprudence des organes de Strasbourg, puis le droit anglais pertinent, avant de rechercher si la décision du ministre est en contradiction avec l'une ou l'autre. »
24.  Après examen de la jurisprudence pertinente de la Commission (no 6564/74, déc. 21.5.1975, Décisions et rapports (DR) 2, p. 105, no 8166/78, déc. 3.10.1978, DR 13, p. 241, Hamer c. Royaume-Uni, no 7114/75, rapport du 13 décembre 1979, DR 24, p. 5, Draper c. Royaume-Uni, no 8186/78, rapport du 10 juillet 1980, DR 24, p. 72, et E.L.H. et P.B.H c. Royaume-Uni, nos 32094/96 et 32568/96, déc. 22.10.1997, DR 91-A, p. 61), Lord Phillips résuma les cinq principes posés par la Convention qu'il estimait établis dans cette jurisprudence :
« i.  les restrictions au droit au respect de la vie familiale énoncées à l'article 8 § 2 s'appliquent également aux droits au titre de l'article 12 ;
ii.  l'emprisonnement est incompatible avec l'exercice des droits conjugaux et implique en conséquence une atteinte au droit au respect de la vie familiale garanti par l'article 8 et au droit de fonder une famille consacré par l'article 12 ;
iii.  cette restriction est normalement justifiée au regard des dispositions de l'article 8 § 2 ;
iv.  dans des circonstances exceptionnelles, il peut se révéler nécessaire d'assouplir les modalités de la détention en vue d'éviter une ingérence disproportionnée dans l'exercice d'un droit fondamental ;
v.  rien dans la jurisprudence ne tend à indiquer qu'un détenu peut se prévaloir du droit de fonder une famille par prélèvement de sperme aux fins d'une insémination artificielle sur son épouse. »
25.  Lord Phillips approuva ensuite les motifs avancés pour justifier le fait de limiter à des cas exceptionnels la possibilité de recourir à l'insémination artificielle.
Quant à la première justification, il convint que la privation du droit de concevoir faisait partie intégrante de la détention et que, du reste, cette affirmation reformulait la politique en d'autres termes, sans plus, en ce qu'elle indiquait qu'« une volonté politique délibérée présid[ait] à l'idée que la détention doit normalement priver le détenu de la possibilité d'avoir des enfants. »
Quant à la deuxième justification, il estima que le maintien de la possibilité pour les détenus de concevoir des enfants pendant la détention pourrait donner lieu à de graves et légitimes préoccupations du public. Il admit que la perception du public constituait un élément légitime de la politique en matière pénale :
« Les sanctions pénales sont imposées, en partie, pour réprimer justement les délits. En l'absence de système de sanctions pénales, les membres du public pourraient décider de faire eux-mêmes la loi. A mon avis, il est légitime de tenir compte de la perception du public lorsqu'on examine les caractéristiques d'un système pénal. (...). Une politique qui autoriserait de manière générale les détenus à concevoir des enfants par insémination artificielle soulèverait, à mon sens, de délicates questions éthiques et donnerait lieu à de légitimes préoccupations du public. (...) S'agissant d'examiner la question de savoir si, dans des circonstances ordinaires, il conviendrait d'autoriser les détenus à concevoir des enfants pendant leur détention, j'estime légitime d'avoir égard à toutes les conséquences que pourrait avoir ce choix politique particulier. »
Quant à la troisième justification, concernant l'inconvénient allégué que représentait une famille monoparentale, il fit les observations suivantes :
« Je juge légitime, et même souhaitable, que l'Etat examine les implications du fait que des enfants soient élevés dans de telles conditions lorsqu'il est amené à décider s'il faut ou non opter pour une politique générale facilitant l'insémination artificielle des épouses de détenus ou d'épouses qui sont elles-mêmes détenues. »
26.  Lord Phillips conclut ensuite :
« Pour ces raisons, [les Mellors n'ont pas] réussi à démontrer que la politique (...) est irrationnelle. [Les Mellors] admettent que cette affaire n'impliquait aucune circonstance exceptionnelle, ce en quoi [ils ont] raison. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de soulever la question de savoir s'il est rationnel d'avoir égard à chacune des six considérations générales exposées dans la lettre [du ministre] lorsqu'il s'agit de rechercher des circonstances exceptionnelles. Je me contenterai d'observer qu'il me paraît rationnel que le point de départ normal soit la nécessité de démontrer que, si la possibilité d'insémination artificielle n'était pas offerte, la conception serait non seulement retardée mais totalement empêchée.
Pour ces motifs (...) le refus de fournir à l'appelant les conditions nécessaires au recueil de son sperme en vue de pratiquer une insémination artificielle sur son épouse n'est ni contraire à la Convention ni illicite ou irrationnel. En conséquence, je rejette l'appel. »
C.  Procédure d'insémination artificielle dans les prisons
27.  La responsabilité d'organiser l'accès à l'insémination artificielle incombe au service de soins de la prison en question, en collaboration avec les services de soins locaux. Etant donné que l'offre de soins varie d'un établissement pénitentiaire à l'autre, le point de savoir si le recueil du sperme est supervisé par le personnel pénitentiaire ou si la présence d'un professionnel de l'extérieur est nécessaire à cette fin fait l'objet d'une décision prise au niveau de chaque établissement pénitentiaire. Le détenu est censé régler tous les frais exposés.
D.  Les objectifs d'une peine d'emprisonnement
28.  Les criminologues se réfèrent aux différentes fonctions qui sont traditionnellement assignées à la peine et qui incluent, notamment, la rétribution, la dissuasion, la protection du public et la réinsertion. Cependant, on observe ces dernières années une tendance à accorder une importance croissante à l'objectif de réinsertion, comme le démontrent notamment les instruments juridiques élaborés sous l'égide du Conseil de l'Europe. Reconnue autrefois comme un moyen de prévenir la récidive, la réinsertion, selon une conception plus récente et plus positive, implique plutôt l'idée d'un reclassement social par la promotion de la responsabilité personnelle. Cet objectif est renforcé par le développement du « principe de progression » : à mesure qu'il purge sa peine, un détenu devrait progresser à travers le système pénitentiaire, passant de la période initiale de détention, où l'accent peut être mis sur la rétribution et la répression, aux stades ultérieurs de la peine d'emprisonnement, où il faudrait privilégier la préparation à la libération.
1.  Instruments internationaux pertinents en matière de droits de l'homme
29.  L'article 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« PIDCP ») dispose que « le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social ». L'Observation générale du Comité des droits de l'homme sur l'article 10 énonce en outre qu'« aucun système pénitentiaire ne saurait être uniquement rétributif ; il devrait essentiellement viser le redressement et la réadaptation sociale du prisonnier ».
30.  L'ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (1957) contient des dispositions spécifiques concernant les détenus condamnés, dont les principes directeurs suivants :
« 57.  L'emprisonnement et les autres mesures qui ont pour effet de retrancher un délinquant du monde extérieur sont afflictives par le fait même qu'elles dépouillent l'individu du droit de disposer de sa personne en le privant de sa liberté. Sous réserve des mesures de ségrégation justifiées ou du maintien de la discipline, le système pénitentiaire ne doit donc pas aggraver les souffrances inhérentes à une telle situation.
58.  Le but et la justification des peines et mesures privatives de liberté sont en définitive de protéger la société contre le crime. Un tel but ne sera atteint que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure du possible, que le délinquant, une fois libéré, soit non seulement désireux, mais aussi capable de vivre en respectant la loi et de subvenir à ses besoins.
59.  A cette fin, le régime pénitentiaire doit faire appel à tous les moyens curatifs, éducatifs, moraux et spirituels et autres et à toutes les formes d'assistance dont il peut disposer, en cherchant à les appliquer conformément aux besoins du traitement individuel des délinquants. »
2.  Les règles pénitentiaires européennes de 1987 et 2006
31.  Les règles pénitentiaires européennes exposent des recommandations du Comité des Ministres aux Etats membres du Conseil de l'Europe quant aux normes minimales à appliquer dans les prisons. Les Etats sont invités à s'inspirer de ces règles pour établir leurs législations et leurs politiques, et à assurer une large diffusion des règles auprès de leurs autorités judiciaires ainsi qu'auprès du personnel pénitentiaire et aux détenus.
La version de 1987 des règles pénitentiaires européennes (« les règles de 1987 ») énonce, dans son troisième principe de base, que :
« Les buts du traitement des détenus doivent être de préserver leur santé et de sauvegarder leur dignité et, dans la mesure où la durée de la peine le permet, de développer leur sens des responsabilités et de les doter de compétences qui les aideront à se réintégrer dans la société, à vivre dans la légalité et à subvenir à leurs propres besoins après leur sortie de prison. »
Dans la dernière version de ces règles, adoptée en 2006 (« les règles de 2006 »), le principe susmentionné a été remplacé par trois autres :
« Règle 2 : Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par la décision les condamnant à une peine d'emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire.
Règle 5 : La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l'extérieur de la prison.
Règle 6 : Chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté. »
Selon le commentaire sur les règles de 2006 (élaboré par le Comité européen pour les problèmes criminels – le « CDPC »), la règle 2 souligne que la perte du droit à la liberté ne doit pas être comprise comme impliquant la perte automatique par les détenus de tous leurs autres droits politiques, civils, sociaux, économiques et culturels, de sorte que les restrictions doivent être aussi peu nombreuses que possible. Le commentaire énonce également que la Règle 5 souligne les aspects positifs de la normalisation. Tout en admettant que la vie en prison ne peut jamais être identique à la vie dans une société libre, cette règle précise qu'il faut intervenir activement pour rapprocher le plus possible les conditions de vie en prison de la vie normale. En outre, aux termes du commentaire, « la Règle 6 reconnaît que les détenus, condamnés ou non, retourneront éventuellement vivre dans la société libre et que la vie en prison doit être organisée de façon à tenir compte de ce fait. »
32.  Le premier chapitre de la Partie VII des règles de 2006, intitulé « Objectif du régime des détenus condamnés », contient notamment les dispositions suivantes :
« 102.1  Au-delà des règles applicables à l'ensemble des détenus, le régime des détenus condamnés doit être conçu pour leur permettre de mener une vie responsable et exempte de crime.
102.2  La privation de liberté constituant une punition en soi, le régime des détenus condamnés ne doit pas aggraver les souffrances inhérentes à l'emprisonnement. »
Sur ces points, le CDPC explique dans son commentaire que la règle 102 :
« (...) énonce les objectifs du régime applicable aux détenus en termes positifs et simples. Elle met l'accent sur l'élaboration de mesures et de programmes pour les détenus condamnés basés sur le développement du sens des responsabilités plutôt que sur la stricte prévention de la récidive. (...)
Cette nouvelle règle est conforme aux exigences des instruments internationaux tels que l'article 10 (3) du [PIDCP], (...). Cependant, contrairement au PIDCP, la formulation utilisée par la règle 102 évite de propos délibéré l'emploi du terme « amendement », pouvant prêter au traitement un caractère moralisateur. Elle met au contraire l'accent sur l'importance de donner aux détenus condamnés, souvent issus de milieux défavorisés, le goût et les moyens de mener une vie responsable et exempte de crime. A cet égard la règle 102 offre la même approche que la règle 58 des Règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus. »
33.  La Règle 105.1 des règles de 2006 dispose qu'un programme systématique de travail doit contribuer à atteindre les objectifs poursuivis par le régime des détenus condamnés. Aux termes de la règle 106.1, un programme éducatif systématique, visant à améliorer le niveau global d'instruction des détenus, ainsi que leurs capacités à mener ensuite une vie responsable et exempte de crime doit constituer une partie essentielle du régime des détenus condamnés. Enfin, la règle 107.1 précise que la libération des détenus condamnés doit s'accompagner de programmes spécialement conçus pour permettre à ceux-ci de faire la transition entre la vie carcérale et une vie respectueuse du droit interne au sein de la collectivité.
34.  La raison ayant conduit à l'évolution consacrée par les règles de 2006 peut se comprendre à la lecture de deux recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, qui traitent toutes deux de l'aspect de réinsertion des peines d'emprisonnement.
35.  Le Préambule de la Recommandation 2003(23) du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée énonce que :
« (...) l'exécution des peines privatives de liberté suppose la recherche d'un équilibre entre, d'une part, le maintien de la sécurité et le respect de l'ordre et de la discipline dans les établissements pénitentiaires, et, d'autre part, la nécessité d'offrir aux détenus des conditions de vie décentes, des régimes actifs et une préparation constructive de leur libération ; »
Aux termes du paragraphe 2 de la recommandation, la gestion des détenus de longue durée vise notamment à :
« (...) –  veiller à ce que les prisons soient des endroits sûrs et sécurisés pour les détenus (...) ;
–  atténuer les effets négatifs que peut engendrer la détention de longue durée et à perpétuité ;
–  accroître et améliorer la possibilité pour ces détenus de se réinsérer avec succès dans la société et de mener à leur libération une vie respectueuse des lois. »
La recommandation expose également cinq principes (paragraphes 3 à 8) concernant cette question de la gestion des détenus de longue durée, selon lesquels il faudrait :
–  prendre en considération la diversité des caractéristiques individuelles des détenus (principe d'individualisation) ;
–  aménager la vie en prison de manière à ce qu'elle soit aussi proche que possible des réalités de la vie en société (principe de normalisation) ;
–  donner aux détenus l'occasion d'exercer des responsabilités personnelles dans la vie quotidienne en prison (principe de responsabilisation) ;
–  établir une distinction claire entre les risques que les condamnés à perpétuité et les autres détenus de longue durée présentent pour la société, pour eux-mêmes, pour les autres détenus et pour les personnes qui travaillent dans la prison ou qui la visitent (principe de sécurité et de sûreté) ;
–  éviter de mettre à part des détenus selon le seul critère de leur peine (principe de non-séparation) ; et
–  organiser la planification individuelle de la gestion de la peine de longue durée d'un détenu de manière à ce qu'elle assure une évolution progressive de l'intéressé à travers le système pénitentiaire (principe de progression).
La recommandation évoque également dans son paragraphe 10) le recours au principe de progression en vue de l'évolution progressive du détenu à travers le système pénitentiaire, « dans des conditions progressivement moins restrictives jusqu'à une étape finale, qui, idéalement se passerait en milieu ouvert, de préférence au sein de la société ». Tout détenu devrait aussi participer à des activités en prison permettant de « promouvoir les opportunités d'une bonne réinsertion après la libération » et devrait avoir accès à des conditions et des mesures de prises en charge « favorisant un mode de vie respectueux des lois, et l'adaptation à la communauté après une libération conditionnelle ».
36.  La seconde recommandation pertinente du Comité des Ministres est la Recommandation 2003(22) concernant la libération conditionnelle. Le cinquième paragraphe du Préambule énonce que « les études montrent que la détention a souvent des conséquences néfastes et n'assure pas la réinsertion des détenus ». La recommandation expose dans son paragraphe 8 les mesures suivantes, devant réduire le risque de récidive des détenus par la mise en place de conditions individualisées telles que :
« –  la réparation du tort causé aux victimes, ou le versement d'un dédommagement ;
–  l'engagement de se soumettre à une thérapie, en cas de toxicomanie ou d'alcoolisme, ou dans le cas de toute autre affection se prêtant à un traitement et manifestement liée à la perpétration du crime ;
–  l'engagement de travailler ou de se livrer à une autre occupation agréée, par exemple suivre des cours ou une formation professionnelle ;
–  la participation à des programmes d'évolution personnelle ;
–  l'interdiction de résider ou de se rendre dans certains lieux. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8 ET 12 DE LA CONVENTION
37.  Les requérants se plaignent du refus opposé à leur demande d'insémination artificielle, dans lequel ils voient une atteinte au droit au respect de leur vie privée et familiale que leur garantit l'article 8. Cette disposition, en ses passages pertinents, est ainsi libellée :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
38.  Les requérants allèguent également que ce refus méconnaît leur droit de fonder une famille au sens de l'article 12 de la Convention, qui se lit ainsi :
« A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit. »
A.  L'arrêt de la chambre
39.  Si elle a réaffirmé que les personnes continuaient de jouir après leur condamnation de tous les droits garantis par la Convention, à l'exception du droit à la liberté, la chambre a également observé que toute peine de prison avait un impact sur les circonstances ordinaires de la vie en liberté et entraînait inévitablement des limitations et des freins à l'exercice des droits consacrés par la Convention. Le fait même d'un tel contrôle n'était pas, en soi, incompatible avec la Convention mais il s'agissait principalement de déterminer si la nature et la portée de ce contrôle étaient conformes à la Convention.
40.  Quant à savoir si la restriction litigieuse s'analysait en une ingérence dans le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale (donc relevait des obligations négatives de l'Etat) ou en un manquement de l'Etat à s'acquitter d'une obligation positive à cet égard, la chambre a estimé que la restriction litigieuse tenait au refus de l'Etat de prendre des mesures pour autoriser quelque chose qui n'était pas déjà un droit général existant. Dès lors, selon la chambre, l'affaire portait sur l'inobservation par l'Etat de son obligation positive de garantir les droits des requérants.
41.  La chambre a rappelé que les exigences tenant à la notion de « respect » de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 manquaient de netteté, surtout en ce qui concernait les obligations positives inhérentes à cette notion, et variaient considérablement d'un cas à l'autre, eu égard notamment à la diversité des situations observées dans les Etats contractants et les choix opérés par eux en fonction de leurs priorités et ressources. Ces considérations étaient particulièrement pertinentes en l'espèce, et les questions soulevées touchaient à un domaine pour lequel il n'existait guère de communauté de vues parmi les Etats membres du Conseil de l'Europe. En conséquence, les Etats contractants bénéficiaient d'une ample marge d'appréciation en la matière.
42.  Quant au juste équilibre à ménager entre les intérêts de la société et ceux de l'individu lorsqu'il s'agit de déterminer l'existence et la portée d'une obligation positive éventuelle, la chambre a commencé par examiner la politique en général. Elle a jugé légitimes ses deux objectifs principaux, à savoir le maintien de la confiance du public dans le système de justice pénale et le bien-être de tout enfant qui pourrait être conçu, donc l'intérêt général de la société dans son ensemble. La chambre a attaché une importance particulière au fait que cette politique n'entraînait pas une interdiction globale mais permettait l'examen des circonstances de chaque demande d'insémination artificielle en fonction des critères fixés par le droit interne, lesquels, selon la chambre, n'étaient ni arbitraires ni déraisonnables et présentaient un rapport avec les buts légitimes sous-tendant la politique. La chambre a rejeté l'idée que l'examen des juridictions internes était purement théorique ou illusoire puisque des éléments non contestés démontraient que le recours à l'insémination artificielle avait été autorisé dans certains cas par le passé.
43.  Enfin, quant à l'application de la politique dans le cas des requérants, la chambre a pris en compte les difficultés que rencontraient ceux-ci. Elle a toutefois relevé que le ministre avait minutieusement examiné leur situation, que la décision avait ensuite été examinée en détail par la High Court et la Cour d'appel et que ces juridictions avaient estimé que non seulement la politique était rationnelle et licite mais que son application dans les circonstances de l'espèce n'était ni déraisonnable ni disproportionnée.
44.  Eu égard à l'ample marge d'appréciation accordée aux autorités nationales, la chambre a ensuite jugé non établi que la décision de refuser aux requérants la possibilité d'avoir recours à l'insémination artificielle fût arbitraire ou déraisonnable, ou que cette décision eût failli à ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu, de sorte qu'il n'y avait aucune apparence d'atteinte au droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale ; en conséquence, elle a conclu qu'il n'y avait pas violation de l'article 8 de la Convention.
45.  Pour les mêmes raisons, la chambre a estimé qu'il n'y avait pas non plus violation de l'article 12 de la Convention.
B.  Arguments des requérants
1.  Article 8 de la Convention
46.  Les requérants contestent le raisonnement et les conclusions de la chambre, préférant renvoyer aux opinions dissidentes des juges Casadevall, Garlicki et Borrego Borrego. La jurisprudence citée par le Gouvernement émane principalement de l'ancienne Commission, et ne correspond pas aux tendances actuelles ni ne porte directement sur le sujet. Cette question n'ayant pas été précédemment traitée, la Grande Chambre a donc toute latitude pour juger.
47.  Les requérants relèvent que le Gouvernement a soutenu devant la chambre et au début de la procédure devant la Grande Chambre que la restriction avait un but de rétribution. Si tel est le cas, admettre une quelconque exception à la politique n'a pas de sens : logiquement, celle-ci ne devrait jamais trouver application, par exemple, s'agissant de détenus ayant purgé leur période de sûreté (tariff) et maintenus en détention sur le fondement d'un risque futur ; or elle a été appliquée à de tels cas. La politique opère donc une discrimination entre un détenu condamné à la réclusion à perpétuité bénéficiant d'un régime ouvert et ceux qui ne bénéficient pas de telles conditions ; et il n'y a pas de lien entre l'infraction et la sanction – si le refus de l'insémination artificielle aux personnes condamnées pour des infractions dirigées contre des enfants peut présenter une certaine logique, le refus en bloc, sauf cas exceptionnels, est arbitraire.
48.  Quoi qu'il en soit, devant la Grande Chambre, le Gouvernement souligne à titre principal que la politique est une conséquence nécessaire de l'emprisonnement : en plus d'être extrêmement subjectif, le refus de l'insémination artificielle n'a aucun effet sur la détention puisque la mesure n'implique absolument aucun problème de sécurité ni d'aucun autre obstacle d'ordre matériel ou financier. Le fait que la chambre n'ait pas répondu à ces deux questions décrédibilise son arrêt.
49.  L'objectif de rétribution, qui implique l'idée que les droits fondamentaux des détenus constituent l'exception plutôt que la norme, n'est pas compatible avec la Convention. Seul le droit à la liberté est automatiquement supprimé par la peine d'emprisonnement. Un Etat doit justifier toute restriction à un autre droit. Le point de départ de la politique est donc inapproprié et doit être renversé : la politique devrait avoir pour prémisse que les détenus ont le droit de procréer sauf si des motifs impérieux s'y opposent. Partir de l'idée inverse, comme à l'heure actuelle, empêche toute véritable appréciation dans une affaire donnée puisqu'il faut démontrer que sans insémination artificielle la conception sera impossible, puis prouver l'existence de circonstances exceptionnelles. Les chances d'obtenir l'autorisation de bénéficier d'une insémination artificielle sont donc tellement minces qu'il n'y a pas de véritable appréciation des circonstances de chaque affaire et que les jeux sont faits d'avance, de sorte que la politique équivaut à une interdiction globale.
50.  Les requérants soutiennent que la charge que ferait supporter à l'Etat la mesure demandée est tellement minime (il s'agirait d'autoriser quelque chose demandant un minimum de règles) que la distinction entre les obligations positives et les obligations négatives ne s'applique pas utilement. A choisir, ils allèguent que le refus de l'insémination artificielle constitue une ingérence dans l'exercice du droit de concevoir un enfant (obligation négative). L'idée que ce refus devrait s'analyser dans le contexte des obligations positives présuppose que l'emprisonnement et la politique ont un but rétributif, de sorte que, comme il est dit ci-dessus, la perte par les détenus de leurs droits fondamentaux (y compris celui de concevoir des enfants) fait partie intégrante de la sanction. Dès lors que l'on admet qu'un détenu conserve les droits qu'il tire de la Convention pendant sa détention et qu'il demande simplement une procédure lui permettant d'exercer plus facilement l'un de ces droits, cette demande doit être examinée dans le contexte des obligations négatives. Même si une lourde charge imposée à l'Etat peut s'analyser au regard des obligations positives, il n'existait en l'espèce évidemment aucune obligation de ce genre et le Gouvernement n'a pas soutenu qu'il y en avait une : les requérants auraient assumé tous les frais et il n'y avait aucune charge liée à la sécurité ou à l'aspect matériel, hormis celle d'assurer l'accès d'un visiteur agréé à la prison afin qu'il emporte le prélèvement.
51.  Quant à la marge d'appréciation à appliquer et à l'évolution en faveur des visites conjugales, les requérants soulignent que ce qu'ils demandent est moins lourd à aménager et que l'absence de consensus sur la question de l'accès à l'insémination artificielle s'explique par le fait qu'une telle possibilité n'est pas nécessaire dans les pays où les visites conjugales sont autorisées. La Cour ne peut se retrancher derrière la marge d'appréciation qu'elle juge devoir être accordée en l'espèce. Le refus se fonde au contraire sur une politique qui n'a jamais été soumise à l'examen des parlementaires et qui ne permet aucun véritable examen de la proportionnalité au niveau interne : la marge d'appréciation n'a aucun rôle à jouer en pareilles circonstances. La Cour doit plutôt se mettre à la place des autorités internes et procéder à sa propre appréciation de la question de savoir où se situe le point d'équilibre entre les intérêts en jeu.
52.  Quant à l'importante justification nécessaire pour refuser l'insémination artificielle, les requérants soutiennent que ni la politique ni son application à leur cas n'étaient satisfaisantes.
53.  Pour les motifs exposés ci-dessus, le but de rétribution n'est ni cohérent ni logique. Quant à l'argument selon lequel l'incapacité de concevoir des enfants est une conséquence directe de l'emprisonnement, les requérants ont affirmé ci-dessus que la charge pour l'Etat serait minime.
54.  Les facteurs sociaux (intérêts de l'enfant putatif et de la société) qui sont censés sous-tendre la politique ne sont pas prévus par le second paragraphe de l'article 8. La notion d'intérêt général, plus large, est vague et mal définie et, quoi qu'il en soit, aucun élément ne démontre que le fait d'autoriser le recours à l'insémination artificielle porterait atteinte à la confiance du public dans le système de justice pénale. La suggestion selon laquelle il faut considérer l'intérêt supérieur de l'enfant pour décider d'accéder ou non à la demande est offensante, inopportune, paternaliste et peu convaincante : on est au bord de juger qui doit devenir parent et qui a le droit de naître (Codd, « Regulating Reproduction : Prisoners' Families, Artificial Insemination and Human Rights » [2006] European Human Rights Law Reports, volume 1) ; c'est incompatible avec le principe de réinsertion ; il est peu convaincant et insultant de présumer qu'être élevé par un parent isolé est nécessairement contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant ; et l'intérêt de l'enfant ne saurait avoir valeur de justification puisque la seule façon de protéger cet intérêt serait alors de garantir que l'enfant ne vienne jamais au monde. Ces arguments sont également insultants pour les parents isolés et vont par ailleurs à l'encontre des évolutions qui s'opèrent dans l'ordre juridique interne, puisqu'ils sont de moins en moins invoqués dans la jurisprudence relative à d'autres affaires d'insémination artificielle concernant des personnes en liberté (voir R v. Blood [1997], Weekly Law Reports, vol. 2, p. 806, et la loi de 2003 sur la fécondation et l'embryologie humaines (pères décédés) (Human Fertilisation and Embryology (Deceased Fathers) Act 2003). En réalité, on impose au parent la charge de prouver qu'il ou elle peut être un bon parent (y compris financièrement). Quoi qu'il en soit, l'organe interne compétent pour prendre les décisions concernant la fécondation humaine est l'Autorité en matière de fécondation et embryologie humaines (Human Fertilisation and Embryology Authority), qui aurait dû être appelée à déterminer si les requérants étaient de bons candidats pour une insémination artificielle.
55.  Quant à l'application de la politique à leur cas, les requérants soulignent que le refus de l'insémination artificielle éteindrait leur droit de fonder une famille (compte tenu de la peine infligée au premier requérant et de l'âge de la seconde requérante). Ils contestent la conclusion du ministre selon laquelle leurs ressources sont insuffisantes pour l'entretien d'un enfant qu'ils viendraient à concevoir : la seconde requérante n'est pas dépendante des prestations de l'Etat (elle possède un bien d'une valeur de 200 000 livres sterling, elle suit une formation de consultante et, une fois diplômée, elle sera en mesure de demander un taux horaire de 30 livres sterling). Il est injuste de déclarer que la relation des requérants n'a pas été mise à l'épreuve : la solidité de toute relation (qu'il s'agisse ou non de détenus) est incertaine, il n'y a pas de lien entre l'emprisonnement et la fin d'une liaison et, en réalité, la détention du premier requérant n'a pas affaibli la relation des intéressés. Quoi qu'il en soit, ce dernier argument est spécieux puisqu'il pourrait automatiquement être opposé à toute demande d'insémination artificielle émanant de détenus condamnés à de longues peines. Le fait d'arguer de l'absence du premier requérant au début de la vie de l'enfant procède aussi d'un raisonnement injuste et circulaire : c'est précisément une longue absence qui rend la demande nécessaire (l'insémination artificielle étant alors le seul moyen de conception) mais en même temps cela signifierait que cette demande ne peut pas être accueillie (étant donné la séparation ultérieure entre le parent détenu et tout enfant éventuellement conçu). Cela n'a aucun sens que le mariage des requérants soit reconnu comme étant un élément de réinsertion et soit soutenu par le système mais que le droit de procréer ne le soit pas.
56.  Enfin, même si la politique pouvait s'appliquer à la situation du premier requérant – en l'occurrence sans que cela se justifie – elle ne vaudrait pas pour la seconde requérante qui, elle, n'est pas emprisonnée, point que la Cour d'appel, le Gouvernement et la chambre n'ont pas pris en compte. La seconde requérante a d'abord plaidé que, puisqu'elle n'était pas détenue, la politique ne pouvait pas lui être appliquée de sorte qu'il n'y avait pas de droits concurrents pouvant primer sur les siens. Toutefois, devant la Grande Chambre, elle admet que sa situation ne peut pas être considérée de manière totalement indépendante de celle du premier requérant et que ses droits à elle ne peuvent l'emporter sur tous les autres. Cela dit, elle soutient qu'elle devrait avoir le droit de concevoir un enfant avec son mari, sauf si des raisons exceptionnelles s'y opposaient (par exemple, si le père avait été condamné pour le meurtre d'un enfant). Or cela lui est interdit par une politique globale et peu convaincante, dont la pertinence à l'égard d'une personne en liberté comme elle est encore moindre. L'extinction des droits de l'intéressée au titre de l'article 8 exige une justification particulièrement solide.
2.  Article 12 de la Convention
57.  Si les requérants ont admis devant la chambre qu'un constat de non-violation de l'article 8 entraînerait la même conclusion sous l'angle de l'article 12 de la Convention, ils allèguent devant la Grande Chambre que les griefs tirés des articles 8 et 12 sont distincts et doivent donner lieu à un examen séparé.
C.  Arguments du Gouvernement
1.  Article 8 de la Convention
58.  Le Gouvernement s'appuie sur l'arrêt de la chambre et soutient que, pour les motifs exposés dans cet arrêt et par la Cour d'appel, il n'y a pas violation de l'article 8 de la Convention.
Si la chambre a reconnu le principe « bien établi » qu'à part la liberté les détenus continuent de jouir de tous les droits garantis par la Convention, y compris le droit au respect de la vie privée et familiale (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, CEDH 2005-...), elle a également admis que l'emprisonnement implique inévitablement et nécessairement certaines restrictions aux droits d'un individu. La chambre a également admis que l'affaire porte sur l'observation d'une obligation positive, ce qui implique l'existence d'une ample marge d'appréciation, et que, dans la mise en balance globale des intérêts individuels et des intérêts publics, les buts légitimes sont, d'une part, le maintien de la confiance du public dans le système de justice pénale et, d'autre part, l'intérêt de tout enfant qui serait conçu et donc de la société dans son ensemble. La politique en soi et son application au cas des requérants ne sont pas disproportionnées à ces buts.
59.  L'arrêt de la chambre s'inscrit de manière cohérente dans la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18, § 45) et de la Commission (citée par la Cour d'appel dans l'affaire Mellor susmentionnée (paragraphe 24 ci-dessus). L'arrêt de la chambre et celui de la Cour d'appel dans l'affaire Mellor précitée vont eux aussi dans le même sens. Enfin, la justification donnée par la Cour d'appel à la politique et à son application en l'espèce se retrouve dans l'arrêt de la chambre.
60.  Le Gouvernement soutient en outre que la politique cadre avec la Convention.
Il ne s'agit pas d'une politique globale mais d'une politique qui permet d'examiner au fond chaque affaire suivant les principes de la Convention. Les statistiques démontrent qu'une appréciation est réellement conduite dans chaque cas : vingt-huit demandes d'insémination artificielle ont été présentées depuis 1996, douze n'ont pas été maintenues, une a été retirée parce que les intéressés avaient rompu, un demandeur a bénéficié d'une libération conditionnelle et deux demandes sont pendantes. Sur les douze demandes restantes, trois ont été accordées et neuf refusées.
La politique se justifie par trois principes : la perte de la possibilité de concevoir des enfants fait partie intégrante de la privation de liberté et constitue une conséquence ordinaire de la détention ; la confiance du public dans le système pénitentiaire serait compromise si les éléments rétributifs et dissuasifs d'une peine étaient réduits à néant par le fait d'autoriser les détenus à concevoir des enfants (à ce dernier égard, la nature et la gravité du crime commis sont des éléments à prendre en compte) ; et l'absence inévitable d'un des parents et de son soutien, financier ou autre, pendant une longue période, entraîne des conséquences négatives pour l'enfant et pour la société dans son ensemble. Ce dernier point constitue en réalité une question complexe et controversée, ce qui met en exergue les raisons pour lesquelles les autorités de l'Etat sont les mieux placées pour procéder à cette appréciation. Il est légitime que l'Etat considère les implications pour tout enfant qui serait conçu, de sorte qu'un des buts de la politique consiste à limiter l'autorisation de recourir à l'insémination artificielle à ceux dont on peut estimer qu'ils ont une chance raisonnable de se retrouver à leur libération dans un cadre familial stable et de pouvoir jouer un rôle parental. En fait, l'Etat a l'obligation de garantir la protection effective et le bien-être moral et matériel des enfants.
61.  En conséquence, le point de départ est celui-ci : le recours à l'insémination artificielle est octroyé dans des circonstances exceptionnelles, c'est-à-dire lorsqu'un refus interdirait totalement aux intéressés de fonder une famille ; par la suite, les autorités prennent en compte d'autres facteurs qui déterminent le caractère exceptionnel d'une situation donnée. De l'avis du Gouvernement, le point de départ est raisonnable. Souvent, le refus de l'insémination artificielle n'affectera pas les droits garantis par l'article 8 : par exemple, s'il s'agit de la conception d'un enfant dans la vie duquel le père, en raison de sa peine d'emprisonnement, ne pourrait pas véritablement s'impliquer, le simple droit de procréer n'étant pas un droit protégé par la Convention. C'est seulement dans des circonstances inhabituelles que, en l'absence d'insémination artificielle, la durée de la détention empêchera en soi un détenu d'avoir des enfants après sa libération. Si le Gouvernement reconnaît que la réinsertion est un aspect fondamental et important de la détention, il affirme que la politique prend en compte tous les éléments pertinents.
62.  En outre, la politique a été correctement appliquée en l'espèce, les autorités ayant indiqué les éléments pertinents et ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu. L'impossibilité pour les requérants de concevoir un enfant sans le recours à l'insémination artificielle cède devant les raisons invoquées par le ministre : le défaut de relations établies ; l'absence du premier requérant pendant une longue période de la vie d'un enfant éventuel ; des ressources matérielles insuffisantes pour l'enfant et un réseau de soutien médiocre pour la seconde requérante ; et le souci légitime du public que les aspects rétributifs et dissuasifs de la peine soient réduits à néant si le premier requérant (condamné pour un crime violent) était autorisé à concevoir un enfant. Les éléments pris en compte englobent les intérêts de la seconde requérante, dont le souhait d'avoir un enfant de son mari. Toutefois, il demeure que sa situation est liée à celle du premier requérant et, si ses intérêts devaient constituer un facteur déterminant, l'Etat n'aurait plus aucune latitude.
63.  Enfin le Gouvernement soutient qu'il doit bénéficier d'une ample marge d'appréciation, étant donné que l'affaire implique que l'Etat prenne des mesures positives pour pallier les conséquences par ailleurs inévitables de la détention afin d'aider les parties à concevoir un enfant, et ce dans un domaine de politique sociale où des choix difficiles doivent être opérés entre les droits d'un individu et les besoins de la société. Comme le Gouvernement l'a expliqué ci-dessus, il ne s'agit pas d'une politique globale et il ne se dégage au niveau européen aucun consensus en faveur de l'octroi aux détenus de l'accès à l'insémination artificielle.
2.  Article 12 de la Convention
64.  Le Gouvernement s'appuie sur l'arrêt de la chambre et soutient qu'il n'y a pas violation de l'article 8, de sorte qu'il ne peut davantage y avoir violation de l'article 12 de la Convention.
D.  Appréciation par la Cour du grief tiré de l'article 8
1.  Applicabilité de l'article 8
65.  La restriction en cause en l'espèce provient du refus d'autoriser les requérants à avoir recours à l'insémination artificielle. Les parties ne contestent pas l'applicabilité de l'article 8 même si, devant la Grande Chambre, le Gouvernement semble suggérer que l'article 8 pourrait ne pas s'appliquer dans certaines circonstances – par exemple, lorsque la peine d'un détenu est tellement longue qu'on ne peut s'attendre à ce qu'il « participe » jamais à la vie de l'enfant qui serait conçu, l'article 8 ne garantissant pas un droit à la procréation.
66.  La Cour estime que l'article 8 est applicable aux griefs des requérants en ce que le refus de l'insémination artificielle concerne leur vie privée et familiale, ces notions incluant le droit au respect de leur décision de devenir parents génétiques (E.L.H. et P.B.H. c. Royaume-Uni, précité, Kalachnikov c. Russie (déc.), no 47095/99, CEDH 2001-XI, Aliev c. Ukraine, no 41220/98, §§ 187-189, 29 avril 2003, et Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, §§ 71-72, 10 avril 2007).
2.  Principes généraux pertinents
67.  La Cour rappelle l'arrêt Hirst précité, qui portait sur une restriction prévue par la loi au droit de vote des détenus :
« 69. En ce qui concerne la présente cause, la Cour souligne tout d'abord que les détenus en général continuent de jouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, à l'exception du droit à la liberté lorsqu'une détention régulière entre expressément dans le champ d'application de l'article 5 de la Convention. Par exemple, les détenus ne peuvent être soumis à des mauvais traitements ou à des peines ou conditions inhumaines ou dégradantes, interdits par l'article 3 de la Convention (voir, entre autres, Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, CEDH 2002-VI, Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, CEDH 2003-II) ; ils continuent de jouir du droit au respect de la vie familiale (Płoski c. Pologne, no 26761/95, 12 novembre 2002, X c. Royaume-Uni, no 9054/80, décision de la Commission du 8 octobre 1982, DR 30, p. 113), du droit à la liberté d'expression (Yankov c. Bulgarie, no 39084/97, §§ 126-145, CEDH 2003-XII, T. c. Royaume-Uni, no 8231/78, rapport de la Commission du 12 octobre 1983, DR 49, p. 5, §§ 44-84), du droit de pratiquer leur religion (Poltoratski c. Ukraine, no 38812/97, §§ 167-171, CEDH 2003-V), du droit d'avoir un accès effectif à un avocat ou à un tribunal aux fins de l'article 6 (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, arrêt du 28 juin 1984, série A no 80, Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18), du droit au respect de la correspondance (Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A no 61) et du droit de se marier (Hamer c. Royaume-Uni, no 7114/75, rapport de la Commission du 13 décembre 1979, DR 24, p. 5, Draper c. Royaume-Uni, no 8186/78, rapport de la Commission du 10 juillet 1980, DR 24, p. 72). Toute restriction à ces autres droits doit être justifiée, même si pareille justification peut tout à fait reposer sur les considérations de sécurité, notamment la prévention du crime et la défense de l'ordre, qui découlent inévitablement des circonstances de l'emprisonnement (voir, par exemple, l'affaire Silver et autres précitée, pp. 38-41, §§ 99-105, où des restrictions générales au droit des détenus de correspondre ont été jugées contraires à l'article 8 mais où l'interception de certaines lettres contenant des menaces ou d'autres références contestables a été considérée comme justifiée aux fins de la prévention des infractions pénales et de la défense de l'ordre).
70.  Il n'est donc nullement question qu'un détenu soit déchu de ses droits garantis par la Convention du simple fait qu'il se trouve incarcéré à la suite d'une condamnation. Il n'y a pas non plus place dans le système de la Convention, qui reconnaît la tolérance et l'ouverture d'esprit comme les caractéristiques d'une société démocratique, pour une privation automatique du droit de vote se fondant uniquement sur ce qui pourrait heurter l'opinion publique.
71.  Cette norme de tolérance n'empêche pas une société démocratique de prendre des mesures pour se protéger contre des activités visant à détruire les droits et libertés énoncés dans la Convention. L'article 3 du Protocole no 1, qui consacre la capacité de l'individu à influer sur la composition du corps législatif, n'exclut donc pas que des restrictions aux droits électoraux soient infligées à un individu qui, par exemple, a commis de graves abus dans l'exercice de fonctions publiques ou dont le comportement a menacé de saper l'état de droit ou les fondements de la démocratie (voir, par exemple, X c. Pays-Bas, décision précitée, et, mutatis mutandis, Glimmerveen et Hagenbeek c. Pays-Bas, nos 8348/78 et 8406/78, décision de la Commission du 11 octobre 1979, DR 18, p. 198, où la Commission a déclaré irrecevables deux requêtes concernant le refus d'autoriser les requérants, chefs d'une organisation interdite professant le racisme et la xénophobie, à se présenter à des élections). Il ne faut toutefois pas recourir à la légère à la mesure rigoureuse que constitue la privation du droit de vote ; par ailleurs, le principe de proportionnalité exige l'existence d'un lien discernable et suffisant entre la sanction et le comportement ainsi que la situation de la personne touchée (...) »
68.  En conséquence, les personnes en détention conservent leurs droits garantis par la Convention, de sorte que toute restriction à ces droits doit être justifiée dans une affaire donnée. Cette justification peut tenir notamment aux conséquences nécessaires et inévitables de la détention (paragraphe 27 de l'arrêt de la chambre) ou (comme les requérants l'admettent devant la Grande Chambre) à un lien suffisant entre la restriction et la situation du détenu en question. Elle ne saurait toutefois se fonder uniquement sur des arguments tenant à ce qui pourrait heurter l'opinion publique.
3.  Obligations négatives ou positives
69.  Les parties sont en désaccord sur le point de savoir si le refus de la mesure demandée porte atteinte au droit existant des requérants à concevoir un enfant (à analyser dans le contexte des obligations négatives de l'Etat) ou constitue un manquement par l'Etat à accorder un droit qui n'existait pas auparavant (ce qui impliquerait une obligation positive). La chambre a estimé que les griefs des requérants devaient s'analyser comme portant sur une obligation positive.
70.  La Cour rappelle que, si l'article 8 tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l'Etat de s'abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée et familiale. Elles peuvent impliquer l'adoption de mesures visant au respect de la vie privée et familiale, jusque dans les relations des individus entre eux. La frontière entre les obligations positives et négatives de l'Etat au titre de l'article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents (Odièvre c. France [GC] no 42326/98, § 40, CEDH 2003-III, et Evans, précité, § 75).
71.  La Cour estime qu'il n'y a pas lieu de décider si l'affaire ressortit au contexte des obligations positives ou à celui des obligations négatives puisqu'elle est d'avis que la question cruciale en l'espèce (paragraphes 77-85 ci-dessous) est précisément celle de savoir si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts publics et les intérêts privés qui sont en concurrence dans la présente affaire.
4.  Les intérêts individuels et publics concurrents
72.  Quant aux intérêts des requérants, les juridictions internes ont admis que l'insémination artificielle demeurait le seul espoir réaliste des intéressés, en couple depuis 1999 et mariés depuis 2001, d'avoir un enfant ensemble, eu égard à l'âge de la seconde requérante et à la première date possible de libération du premier requérant. La Cour juge évident que la question revêt une importance vitale pour les requérants.
73.  Le Gouvernement avance trois justifications à la politique.
74.  Premièrement, devant la Grande Chambre, il se fonde essentiellement sur l'idée que la perte de la possibilité de concevoir des enfants découle inévitablement et nécessairement de la détention.
Si l'incapacité de concevoir des enfants peut être une conséquence de la détention, elle n'est pas inévitable puisque nul ne prétend que le fait d'accueillir la demande d'insémination artificielle impliquerait une charge importante en matière de sécurité ou sur les plans administratif ou financier pour l'Etat.
75.  Deuxièmement, devant la Grande Chambre, le Gouvernement paraît avancer – sans insister cependant – une autre justification de la politique, à savoir le fait que la confiance du public dans le système pénitentiaire serait compromise si les éléments rétributifs et dissuasifs d'une peine pouvaient être annihilés par le fait d'autoriser des détenus coupables de certaines infractions graves à concevoir des enfants.
La Grande Chambre, à l'instar de la chambre, rappelle qu'il n'y a pas place dans le système de la Convention, qui reconnaît la tolérance et l'ouverture d'esprit comme les caractéristiques d'une société démocratique, pour une privation automatique des droits des détenus se fondant uniquement sur ce qui pourrait heurter l'opinion publique (Hirst, précité, § 70). Toutefois, la Grande Chambre, comme la chambre, peut admettre que le maintien de la confiance du public dans le système de justice pénale a un rôle à jouer dans l'élaboration de la politique pénale. Le Gouvernement semble également soutenir que la restriction, en soi, contribue à l'objectif rétributif global de la détention. Cependant, tout en admettant que la punition reste un des buts de la détention, la Cour souligne aussi que les politiques pénales en Europe évoluent et accordent une importance croissante à l'objectif de réinsertion de la détention, en particulier vers la fin d'une longue peine d'emprisonnement (paragraphes 28-36 ci-dessus).
76.  Troisièmement, le Gouvernement fait valoir que l'absence d'un parent pendant une longue période aurait un impact négatif sur tout enfant susceptible d'être conçu et, en conséquence, sur la société dans son ensemble.
La Cour est disposée à juger légitime, au sens du paragraphe 2 de l'article 8, que les autorités se préoccupent, sur le plan des principes, du bien-être de tout enfant éventuel lorsqu'elles élaborent et appliquent la politique : la conception d'un enfant constitue l'objet même de cet exercice. Par ailleurs, l'Etat a l'obligation positive de garantir la protection effective des enfants (L.C.B. c. Royaume-Uni, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, § 36, Osman c. Royaume-Uni, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, §§ 115-116, et Z et autres c. Royaume-Uni [GC] no 29392/95, § 73, CEDH 2001-V).Toutefois, cela ne peut aller jusqu'à empêcher les parents qui le désirent de concevoir un enfant dans des circonstances telles que celles de l'espèce, d'autant que la seconde requérante était en liberté et pouvait, jusqu'à la libération de son mari, prendre soin de l'enfant éventuellement conçu.
5.  Mise en balance des intérêts concurrents en présence et marge d'appréciation
77.  Il appartient aux autorités nationales de dire les premières où se situe le juste équilibre à ménager dans un cas donné avant que la Cour ne procède à une évaluation en dernier ressort, et une certaine marge d'appréciation est donc laissée en principe aux Etats dans ce cadre. L'ampleur de cette marge varie et dépend d'un certain nombre d'éléments, notamment de la nature des activités en jeu et des buts des restrictions (Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, § 88, CEDH 1999-VI).
78.  Dès lors, lorsqu'un aspect particulièrement important de l'existence ou de l'identité d'un individu se trouve en jeu (tel que le choix de devenir un parent génétique), la marge d'appréciation laissée à l'Etat est en général restreinte.
En revanche, lorsqu'il n'y a pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe, que ce soit sur l'importance relative de l'intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l'affaire soulève des questions ou implique des choix complexes de stratégie sociale, la marge d'appréciation est plus large. Grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est d'utilité publique. En pareil cas, la Cour respecte généralement le choix politique du législateur, à moins qu'il ait un « fondement manifestement déraisonnable » La marge d'appréciation est de façon générale également ample lorsque l'Etat doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou différents droits protégés par la Convention (Evans, précité, § 77).
79.  Il est important de noter que dans son arrêt en l'affaire Hirst, la Cour a observé que, lorsqu'il n'y a pas de consensus au niveau européen sur la question en jeu et que la marge d'appréciation laissée à l'Etat est donc large, celle-ci n'est cependant pas illimitée. Elle a estimé que ni le pouvoir législatif ni le pouvoir judiciaire n'avaient cherché à peser les divers intérêts en présence ou à apprécier la proportionnalité de la limitation imposée dans cette affaire aux détenus. Elle a jugé que l'interdiction en cause constituait un « instrument sans nuance » qui dépouillait de manière indifférenciée un grand nombre de détenus de leurs droits garantis par la Convention, et infligeait une restriction globale et automatique à tous les détenus condamnés, quelle que fût la durée de leur peine et indépendamment de la nature ou de la gravité de l'infraction qu'ils avaient commise ou de leur situation personnelle. La Cour a poursuivi ainsi (Hirst, § 82) :
« Force est de considérer que pareille restriction générale, automatique et indifférenciée à un droit consacré par la Convention et revêtant une importance cruciale outrepasse une marge d'appréciation acceptable, aussi large soit-elle, et est incompatible avec l'article 3 du Protocole no 1.
80.  En l'espèce, les parties sont en désaccord sur l'ampleur de la marge d'appréciation à accorder aux autorités. Les requérants allèguent que la marge d'appréciation n'a aucun rôle à jouer puisque la politique n'a jamais été soumise à l'examen des parlementaires et ne permet pas d'examiner réellement la proportionnalité. Le Gouvernement soutient qu'une ample marge d'appréciation s'applique puisque l'on se trouve dans le contexte des obligations positives, que la politique n'est pas une politique globale et qu'il n'existe pas de consensus européen sur le sujet.
81.  Quant à l'existence ou non d'un consensus au niveau européen, la Cour relève que la chambre a établi que plus de la moitié des Etats contractants autorisent les visites conjugales pour les détenus (sous réserve de diverses limitations), ce qui pourrait être considéré comme un moyen épargnant aux autorités la nécessité de prévoir la possibilité d'un recours à l'insémination artificielle. Toutefois, si la Cour a exprimé son approbation devant l'évolution observée dans plusieurs pays d'Europe, qui tendent à introduire des visites conjugales, elle n'est pas encore allée jusqu'à interpréter la Convention comme exigeant des Etats contractants qu'ils ménagent de telles visites (Aliev, précité, § 188). En conséquence, il s'agit là d'un domaine dans lequel les Etats contractants peuvent jouir d'une ample marge d'appréciation lorsqu'ils ont à déterminer les dispositions à prendre afin d'assurer le respect de la Convention, compte dûment tenu des besoins et ressources de la société et des personnes.
82.  Cela dit, et à supposer même que l'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire Mellor équivaille à un examen judiciaire de la politique sous l'angle de l'article 8 (bien que cet arrêt ait été rendu avant l'incorporation de la Convention dans le droit anglais et dans un contexte de contrôle juridictionnel, paragraphes 23-26 ci-dessus), la Cour estime que la politique, telle qu'elle est structurée, exclut concrètement toute mise en balance réelle des intérêts publics et des intérêts privés en présence et qu'elle empêche l'appréciation requise par la Convention de la proportionnalité d'une restriction dans une affaire donnée.
En particulier, et eu égard à l'arrêt prononcé par Lord Philips dans l'affaire Mellor et par le Lord Justice Auld en l'espèce, la politique a fait peser sur les requérants une charge exorbitante quant à la preuve du « caractère exceptionnel » de leur cas lorsqu'ils ont présenté leur demande d'insémination artificielle (paragraphes 13, 15-17 et 23-26 ci-dessus). En premier lieu, les intéressés ont dû démontrer, à titre de condition préalable à l'application de la politique, que la privation de l'insémination artificielle pouvait empêcher totalement toute conception (le « point de départ »). En deuxième lieu, ce qui était plus important encore, ils devaient prouver que dans leur cas les circonstances étaient « exceptionnelles » selon les autres critères de la politique (« le point d'arrivée »). La Cour estime que, même si le grief que les requérants tirent de l'article 8 a été soumis au ministre et à la Cour d'appel en l'espèce, la politique a placé d'emblée la barre tellement haut qu'elle a exclu toute mise en balance des intérêts privés et publics en présence et tout examen, par le ministre ou par les tribunaux internes, de la proportionnalité tel que requis par la Convention (voir, mutatis mutandis, Smith et Grady, précité, § 138).
83.  En outre, rien ne montre que, en définissant la politique, le ministre ait cherché à peser les divers intérêts publics et privés en présence ou à apprécier la proportionnalité de la restriction. En outre, étant donné que la politique n'a pas été transcrite dans une loi, le Parlement n'a jamais mis en balance les intérêts en jeu ni débattu des questions de proportionnalité qui se posent à cet égard (arrêts précités Hirst, § 79, et Evans, §§ 86-89). En effet, comme le relève la Cour d'appel dans son arrêt Mellor (paragraphe 23 ci-dessus), la politique a été adoptée avant l'incorporation de la Convention dans le droit britannique.
84.  On ne peut probablement pas qualifier la politique d'interdiction globale, à l'instar de la restriction en cause dans l'affaire Hirst, puisqu'en principe tout détenu peut présenter une demande et, comme le démontrent les statistiques produites par le Gouvernement, trois couples ont vu leur demande aboutir. Quelle que soit la raison précise de la rareté des demandes en la matière et le refus opposé à la majorité des quelques demandes qui ont été maintenues, la Cour estime que les statistiques fournies par le Gouvernement ne viennent pas contredire la conclusion ci-dessus selon laquelle la politique n'autorise pas l'examen requis de la proportionnalité dans une affaire donnée. De même, elle juge peu convaincant l'argument du Gouvernement selon lequel le point de départ tenant à la preuve du caractère exceptionnel est raisonnable puisque seules quelques personnes pourraient rapporter celle-ci : admettre cet argument impliquerait la possibilité de justifier la restriction imposée aux droits que la Convention garantit aux requérants par le nombre minime de personnes affectées.
85.  Dès lors, pour la Cour, il y a lieu de considérer que l'absence d'une telle évaluation concernant une question qui revêt une grande importance pour les requérants (paragraphe 72 ci-dessus) outrepasse toute marge d'appréciation acceptable, de sorte qu'un juste équilibre n'a pas été ménagé entre les intérêts publics et privés en présence. Partant, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.
E.  Appréciation par la Cour du grief tiré de l'article 12
86.  A l'instar de la chambre, la Grande Chambre estime qu'aucune question distincte ne se pose au regard de l'article 12 de la Convention et qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner également le grief des requérants sous l'angle de cette disposition (E.L.H. et P.B.H. c. Royaume-Uni, précité, et Boso c. Italie (déc.), no 50490/99, CEDH 2002-VII).
II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
87.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
88.  Les requérants invitent la Cour à déclarer que la politique concernant la possibilité pour les détenus de recourir à l'insémination artificielle est contraire à la Convention et, de plus, à enjoindre ou à suggérer à l'Etat défendeur de réexaminer d'urgence une nouvelle demande d'insémination artificielle qu'ils présenteraient.
89.  La Cour a en principe pour fonction de statuer sur la compatibilité avec la Convention de mesures existantes et, en l'espèce, elle n'estime pas devoir émettre l'injonction sollicitée (Hirst, précité, § 83).
A.  Dommage moral
90.  Les requérants demandent réparation pour le sentiment de détresse éprouvé par eux en raison du temps écoulé depuis la demande initiale qu'ils ont présentée aux autorités internes et des chances réduites de la seconde requérante de concevoir un enfant. Ils ne précisent aucun montant particulier. A titre subsidiaire, ils suggèrent d'ajourner la question de la réparation en attendant de voir si la seconde requérante peut tomber enceinte et/ou obtenir une expertise relativement à l'effet des retards sur les chances de conception.
Le Gouvernement soutient qu'il n'y a aucune preuve particulière de l'existence d'un sentiment de détresse allant au-delà de la préoccupation normale de toute partie à un litige judiciaire ; il considère en outre que l'argument sur les chances réduites de conception de la seconde requérante est spéculatif. De l'avis du Gouvernement, un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.
91.  La Cour juge inutile d'ajourner son examen de cet aspect des demandes des requérants au titre de l'article 41 de la Convention. En outre, elle est d'avis qu'il n'existe pas de lien de causalité entre la violation établie (refus de la demande d'insémination artificielle en l'absence de toute appréciation conforme à l'article 8) et le dommage allégué (impossibilité pour les requérants de concevoir un enfant), eu égard notamment à la nature de la conception et à l'âge qu'avait déjà la seconde requérante lorsqu'elle a initialement demandé l'accès à l'insémination artificielle en décembre 2002.
92.  Toutefois, la Cour a estimé qu'en appliquant la politique, les autorités internes n'avaient pas dûment pris en compte les intérêts des requérants quant à une question revêtant pour eux une importance vitale (paragraphe 72 ci-dessus). Dès lors, il lui paraît évident que ce manquement a été et continue d'être frustrant et démoralisant pour les requérants. Statuant en équité, elle leur accorde donc 5 000 EUR au total en réparation du dommage moral subi, somme à convertir en livres sterling au taux applicable à la date du règlement.
B.  Frais et dépens
93.  Les requérants réclament le remboursement de leurs frais et dépens correspondant au travail de leur solicitor et de leur conseil, à un taux horaire de 250 livres sterling. En ce qui concerne leur solicitor, ils revendiquent une compensation pour près de 21 heures de travail (dont 13 pour la Grande Chambre) et pour sa comparution (deux jours) à l'audience devant la Grande Chambre. Ils réclament également le remboursement de frais afférents à 110 lettres et appels téléphoniques, à raison de 25 livres sterling par lettre/appel. Ils font également valoir 31 heures de travail par leur conseil (dont 22 pour la Grande Chambre) ainsi que la présence de celui-ci à l'audience (également deux jours). Assortie d'une taxe sur la valeur ajoutée à 17,5 %, la demande globale concernant les frais et dépens s'élève à 24 733,75 livres sterling.
Le Gouvernement soutient que le taux horaire de 250 livres sterling (pour l'avocat et pour le solicitor) est excessif, d'autant que ni l'un ni l'autre n'exercent à Londres. Le barème agréé au niveau national n'est pas pertinent à cet égard, et la Cour ne devrait pas aller au-delà d'un taux horaire équivalent à la moitié de ce montant. Selon le Gouvernement, le nombre d'heures de travail revendiqué est lui aussi excessif, eu égard notamment au fait que le solicitor semble avoir à certains égards reproduit le travail déjà effectué par le conseil. Le Gouvernement conclut donc que le montant alloué par la Cour pour frais et dépens ne devrait pas dépasser 8 000 livres sterling.
94.   La Cour rappelle qu'au titre de l'article 41 de la Convention, elle rembourse les frais dont il est établi qu'ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d'un montant raisonnable (Smith et Grady c. Royaume-Uni (satisfaction équitable), nos 33985/96 et 33986/96, § 28, CEDH 2000-IX).
95.  Pour la Cour, les prétentions des requérants peuvent être jugées quelque peu élevées, compte tenu en particulier de la demande de frais professionnels pour deux jours de présence d'un solicitor et d'un avocat à l'audience devant la Grande Chambre, alors que celle-ci n'a duré qu'une matinée, et du fait que la note d'honoraires de l'avocat ne fait pas mention de 22 heures de travail concernant la Grande Chambre, qui apparaissent pourtant dans la note de frais globale dont les requérants demandent le remboursement. Si la préparation et l'assistance à l'audience devant la Grande Chambre impliquent nécessairement un travail important, la Cour considère que les montants réclamés pour la période ultérieure à l'arrêt de la chambre sont excessifs. Elle estime également que le taux horaire demandé est élevé. Elle note au crédit des requérants que la préoccupation essentielle de ceux-ci et la plupart de leurs arguments ont trait à leur grief concernant la non-conformité de la politique à l'article 8 de la Convention, pour lequel ils obtiennent gain de cause.
96.  Eu égard aux circonstances de l'affaire, la Cour octroie au titre des frais et dépens un montant de 21 000 EUR, taxe sur la valeur ajoutée comprise, moins les 2 148,09 EUR versés par le Conseil de l'Europe dans le cadre de l'assistance judiciaire, à convertir en livres sterling à la date du règlement.
C.  Intérêts moratoires
97.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, par douze voix contre cinq, qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;
2.  Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 12 de la Convention ;
3.  Dit, par douze voix contre cinq,
a)  que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral et 21 000 EUR (vingt et un mille euros) pour frais et dépens, moins les 2 148,09 EUR (deux mille cent quarante-huit euros et neuf centimes) versés par le Conseil de l'Europe dans le cadre de l'assistance judiciaire, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, ces sommes devant être converties en livres sterling au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 4 décembre 2007.
Vincent berger Christos rozakis  Jurisconsulte Président 
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions suivantes :
–  opinion concordante de Sir Nicolas Bratza ;
–  opinion dissidente commune à M. Wildhaber, M. Zupančič, M. Jungwiert, Mme Gyulumyan et M. Myjer.
C.R.  V.B.
OPINION CONCORDANTE DE Sir Nicolas BRATZA, JUGE
(Traduction)
Le Protocole no 11 à la Convention, qui a instauré la Cour permanente de Strasbourg, contient une disposition bien peu satisfaisante : il prévoit qu'un juge national qui a déjà été partie à un arrêt de chambre dans une affaire dirigée contre son Etat est non seulement autorisé mais, en pratique, invité à siéger et à voter de nouveau si l'affaire est déférée à la Grande Chambre. Dans son opinion partiellement dissidente en l'affaire Kyprianou c. Chypre ([GC], no 73797/01, CEDH 2005-XIII), M. Costa a qualifié la situation des juges nationaux en pareilles circonstances de « déconcertante », ces juges devant décider s'ils doivent s'en tenir à leur opinion initiale sur l'affaire ou s'ils doivent « infléchir, voire renverser [cette] opinion, la réflexion aidant ».
Lorsque l'affaire a déjà fait l'objet d'un débat approfondi devant la chambre et que ni information ni moyen nouveaux n'ont été présentés à la Grande Chambre, le juge national, très logiquement, en reste d'ordinaire à son opinion première, quoique sans nécessairement reprendre le raisonnement particulier qui l'y avait conduit au sein de la chambre.
En l'espèce, les pièces et arguments examinés par la Grande Chambre ne différaient sur aucun point substantiel de ceux qui avaient été produits devant la chambre. Après réflexion, je suis cependant parvenu à la conclusion que ma position initiale sur la question principale n'était pas la bonne et j'ai voté avec la majorité en faveur d'un constat de violation des droits des requérants au regard de l'article 8.
Contrairement à la chambre, la Grande Chambre n'a pas jugé nécessaire de déterminer s'il était plus approprié d'analyser l'affaire du point de vue des obligations positives ou des obligations négatives de l'Etat au titre de cet article. Toutefois, nul ne conteste que, quelle que soit la nature de l'obligation, il s'agit essentiellement de déterminer si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts publics et les intérêts privés en présence.
La majorité de la chambre, dont je faisais partie, avait estimé que la politique du ministre, telle qu'exposée dans la lettre du 28 mai 2003, ainsi que l'application qui en avait été faite en l'espèce et qui avait abouti au refus d'octroyer le recours à l'insémination artificielle, non seulement poursuivait un but légitime mais permettait également de ménager un juste équilibre entre les intérêts antagonistes en jeu. La Grande Chambre s'est surtout focalisée sur la compatibilité avec l'article 8 de la politique elle-même. La conclusion de la chambre selon laquelle la politique était conforme à la Convention se fondait principalement sur le fait que cette politique n'interdisait pas de manière globale l'octroi de l'insémination artificielle mais permettait l'examen des circonstances de chaque demande pour une telle mesure selon des critères qui n'ont été jugés ni arbitraires ni
déraisonnables. A cet égard, l'espèce différait de l'affaire Hirst (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, CEDH 2005-IX), qui portait sur la perte générale du droit de vote pour les détenus condamnés. Pour la chambre, l'octroi en pratique, dans certaines affaires, de l'accès à l'insémination artificielle confirmait que cette appréciation au cas par cas n'était pas purement théorique ou illusoire.
Après une nouvelle délibération sur cette affaire, je suis convaincu, pour les raisons exposées plus complètement dans l'avis de la majorité de la Grande Chambre, que cette politique ne permet pas de ménager un juste équilibre.
Comme l'a relevé la Cour d'appel dans l'affaire (R) Mellor v. Secretary of State for the Home Department (Weekly Law Reports, 2001, vol. 3, p. 533), il ressort de la déclaration de principe qu'« une volonté politique délibérée a présidé à l'idée que la détention doit normalement priver le détenu de la possibilité d'avoir des enfants ». S'il est vrai que la politique n'interdit pas totalement aux détenus, même ceux condamnés à la réclusion à perpétuité, la possibilité d'avoir accès à l'insémination artificielle, j'estime qu'elle est indûment exigeante pour tout détenu qui demande à bénéficier de cette possibilité, puisqu'elle fait peser sur lui la charge de prouver non seulement que, sans cette mesure, la conception ne pourrait aucunement avoir lieu, mais également qu'il existe dans son cas des « circonstances exceptionnelles » justifiant de s'écarter de la règle générale mettant obstacle à l'octroi d'une telle mesure.
Même si la philosophie sous-jacente à la politique peut être considérée comme compatible avec le principe bien établi selon lequel, hormis la liberté, les détenus continuent de jouir de l'ensemble des droits garantis par la Convention, y compris le droit au respect de la vie privée et familiale, j'estime, avec la majorité de la Cour, que, en imposant une telle charge à un détenu, la politique ne permet pas de ménager un juste équilibre entre les intérêts publics et les intérêts privés en jeu.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES  WILDHABER, ZUPANČIČ, JUNGWIERT, GYULUMYAN  ET MYJER
(Traduction)
En l'espèce, le premier requérant (Kirk Dickson), né en 1972, purge une peine de réclusion à perpétuité pour meurtre. Il sera libéré au plus tôt en 2009. Alors qu'ils se trouvaient tous deux en prison, il rencontra (en 1999) et épousa (en 2001) la seconde requérante (Lorraine Dickson), née en 1958 et mère de trois enfants issus de différentes relations. Un refus définitif fut opposé à leur demande d'insémination artificielle en 2004. Si la chambre a conclu à la non-violation des articles 8 et 12, la majorité de la Grande Chambre constate à présent une violation de l'article 8. A notre grand regret, nous ne pouvons qu'exprimer notre dissentiment.
La majorité de la Grande Chambre estime que l'article 8 trouve à s'appliquer. Elle n'aborde qu'indirectement la question du caractère suffisant de la base légale de la restriction, mais puisque l'arrêt porte essentiellement sur la proportionnalité des restrictions dans une société démocratique, il faut présumer que la base légale a été jugée suffisante. Nous en convenons, tout en estimant que l'obiter dictum du paragraphe 83 de l'arrêt, lequel suggère que la politique aurait dû être « transcrite dans une loi », n'est d'aucune utilité. Nous ne pensons pas que le problème de l'accès des détenus à l'insémination artificielle soit un sujet tellement évident ou brûlant qu'il appelle une action directe du Parlement.
Nous admettons que l'emprisonnement est une privation de liberté relevant de l'article 5, de sorte que les détenus continuent de jouir de leurs droits fondamentaux, exception faite des restrictions qui sont inhérentes ou nécessairement concomitantes à la privation de liberté en soi (paragraphes 31 et 65). C'est là le nœud même de cette affaire.
Il est relevé à juste titre (au paragraphe 28) que les buts de la détention « incluent la rétribution, la dissuasion, la protection du public et la réinsertion ».
Comme le souligne l'arrêt, un nombre grandissant de Parties contractantes autorisent les visites conjugales dans les prisons, sous réserve de diverses restrictions (paragraphe 81). Cependant, la Cour, dans sa jurisprudence, n'interprète pas les articles 8 et 12 comme exigeant des Etats contractants qu'ils ménagent de telles visites. Nous ne voyons pas comment on peut dire que les détenus n'ont pas droit à des visites conjugales mais que par contre ils peuvent revendiquer la possibilité d'avoir recours à l'insémination artificielle (cette interprétation ressort implicitement des paragraphes 67-68, 74, 81 et 91). Il y a là non seulement une contradiction, mais en outre une restriction apportée à l'ample marge d'appréciation dont les Etats bénéficient (et doivent bénéficier) en la matière.
La marge d'appréciation des Etats membres est plus large lorsqu'il n'existe pas de consensus parmi eux et que les restrictions ne touchent aucune des garanties essentielles offertes par la Convention. Les Etats ont une connaissance directe de leur société et de ses besoins, que n'a pas la Cour. Lorsque l'ordre juridique interne offre une base légale suffisante, que les restrictions juridiques poursuivent un but légitime et qu'il y a place pour une mise en balance des divers intérêts en jeu, il faut reconnaître une marge d'appréciation aux Etats.
Tel est le cas en l'espèce. La politique du gouvernement autorise la mise en balance des intérêts et ne revêt pas un caractère global. Les tribunaux britanniques ont pris en compte les divers intérêts en jeu. Nous ne voyons pas comment la majorité de la Grande Chambre peut prétendre que l'on n'a pas cherché à peser les différents « intérêts publics et privés en présence » (paragraphe 83).
Au contraire, à notre sens, la majorité n'a pas tenu compte de certains intérêts qui auraient mérité considération. Ainsi, la Cour aurait pu souhaiter débattre des chances très minces de réussite des opérations de fécondation in vitro pour les femmes de quarante-cinq ans (voir Bradley J. Van Voorhis, « In Vitro Fertilization », New England Journal of Medicine 2007, 356: 4, pp. 379-386). La Cour ne s'est pas davantage penchée sur la question de savoir si toutes les combinaisons de couples imaginables (par exemple, un homme en prison et une femme en liberté, une femme en prison et un homme en liberté, un couple homosexuel avec l'un des partenaires en prison et l'autre en liberté) pouvaient présenter une demande d'insémination artificielle pour détenus. Nous sommes d'avis qu'à cet égard également les Etats doivent bénéficier d'une ample marge d'appréciation.
En somme, eu égard aux circonstances spécifiques de l'espèce (les requérants ont entamé une relation par correspondance alors que tous deux purgeaient des peines d'emprisonnement ; ils n'ont jamais vécu ensemble ; il y a une différence d'âge de quatorze ans entre eux ; l'homme a un passé violent ; la femme a atteint un âge auquel la procréation naturelle ou artificielle n'est plus guère possible et, en tout cas, est risquée ; et tout enfant qui viendrait à être conçu devrait vivre sans la présence du père pendant une partie importante de son enfance), on ne saurait dire que les autorités britanniques ont agi de manière arbitraire ou ont négligé le bien-être de l'enfant éventuel.
ARRÊT DICKSON c. ROYAUME-UNI
ARRÊT DICKSON c. ROYAUME-UNI 
ARRÊT DICKSON c. ROYAUME-UNI – OPINION CONCORDANTE   DE Sir Nicolas BRATZA, JUGE
ARRÊT DICKSON c. ROYAUME-UNI  - OPINION CONCORDANTE    DE Sir Nicolas BRATZA, JUGE  
 ARRÊT DICKSON c. ROYAUME-UNI – OPINION DISSIDENTE COMMUNE   AUX JUGES  WILDHABER, ZUPANČIČ, JUNGWIERT, GYULUMYAN ET MYJER
ARRÊT DICKSON c. ROYAUME-UNI  


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 8 ; Non-lieu à examiner l'art. 12 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens

Analyses

(Art. 12) FONDER UNE FAMILLE, (Art. 41) JURIDICTION POUR DONNER DES ORDRES OU PRONONCER DES INJONCTIONS, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, MARGE D'APPRECIATION, OBLIGATIONS POSITIVES


Parties
Demandeurs : DICKSON
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Formation : Cour (grande chambre)
Date de la décision : 04/12/2007
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 44362/04
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-12-04;44362.04 ?
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