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07/02/2008 | CEDH | N°4113/03

CEDH | AFFAIRE BEIAN c. ROUMANIE (N° 2)


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BEIAN c. ROUMANIE (no 2)
(Requête no 4113/03)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Beian c. Roumanie (no 2),
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   

Egbert Myjer,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de secti...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BEIAN c. ROUMANIE (no 2)
(Requête no 4113/03)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Beian c. Roumanie (no 2),
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 janvier 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 4113/03) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Aurel Beian et Mme Elena Beian (« les requérants »), ont saisi la Cour le 23 décembre 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Les requérants se plaignent en particulier d'une atteinte à leur droit d'accès à un tribunal, en raison de l'annulation de leur action par les juridictions nationales pour non-paiement du droit de timbre.
4.  Le 27 novembre 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5.  Les requérants, mari et femme, sont nés respectivement en 1932 et 1942 et résident à Sâncraiu de Mureş.
6.  Les 13 décembre 1999 et 28 avril 2000, les requérants achetèrent des bons de participation dans un fonds national d'investissement privé (« FNI »). Le 6 décembre 1999, un contrat de fidéjussion fut conclu entre le FNI et la caisse d'épargne. Le 12 mai 2000, les requérants demandèrent au FNI de racheter la totalité de leurs participations qu'ils évaluèrent à 97 646 000 anciens lei roumains anciens (ROL). Le FNI ne donna pas suite à leur demande.
7.  Le 25 avril 2001, les requérants saisirent le tribunal départemental de Mureş d'une action contre la caisse d'épargne en restitution de la somme de 123 177 691 ROL représentant la valeur réactualisée des bons de participation au fonds.
8.  Lors de l'audience du 23 mai 2001, les requérants furent invités à payer le droit de timbre de 8 032 056 ROL et le timbre judiciaire de 50 000 ROL. Le montant du droit de timbre avait été fixé en prenant en compte la valeur du préjudice allégué par les requérants.
9.  Les requérants déposèrent auprès de l'administration financière de Târgu Mureş (« l'administration ») une demande d'exonération du paiement de droit de timbre, en faisant valoir leurs modestes revenus. A cette époque, les requérants percevaient des pensions de retraite d'un montant mensuel respectif de 2 202 057 ROL et 1 984 860 ROL.
10.  Le 5 novembre 2001, l'administration informa les requérants que leur demande d'exonération était rejetée.
11.  Le 19 décembre 2001, le tribunal enjoignit à nouveau aux requérants de payer le droit de timbre, faute de quoi leur action serait annulée pour non-respect des exigences procédurales. Les requérants ne payèrent pas le droit de timbre.
12.  Par un jugement du 23 janvier 2002, le tribunal départemental annula leur action civile pour non-paiement du droit de timbre, en faisant application de l'article 20 § 3 de la loi no 146/1997 sur le droit de timbre (« la loi no 146/1997 ») au terme duquel le non-paiement du droit de timbre dans le délai légal était sanctionné par l'annulation de l'action.
13.  Les requérants formèrent un recours en faisant valoir qu'en raison de leurs faibles revenus, il leur était impossible de payer un droit de timbre aussi élevé.
14.  Par un arrêt définitif du 12 septembre 2002, la cour d'appel de Târgu Mureş rejeta leur recours, au motif que le tribunal départemental avait fait une application correcte des dispositions de la loi no 146/1997. Elle retint également qu'elle n'était pas compétente pour statuer sur l'exonération du paiement de droit de timbre et que seule l'administration était compétente à cet effet.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
15.  Les dispositions légales pertinentes sont décrites dans les arrêts Weissman et autres c. Roumanie (no 63945/00, §§ 20-21, CEDH 2006-... (extraits)), et Iorga c. Roumanie (no 4227/02, § 22-25, 25 janvier 2007).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
16.  Les requérants se plaignent d'avoir été privés du droit d'accès à un tribunal, en raison du rejet de leur action pour non-paiement du droit de timbre, dont le montant était excessif et injustifié. Ils invoquent l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal (...) qui décidera, (...) des contestations sur ses droits et obligations à caractère civil »
A.  Sur la recevabilité
17.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
1. Arguments des parties
18.  Le Gouvernement rappelle que le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu, mais se prête à des limitations, car il commande, de par sa nature même, une réglementation de l'Etat. Il observe que, selon la jurisprudence de la Cour, une telle limitation peut être financière, à condition qu'elle poursuive un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Kreuz c. Pologne, no 28249/95, §§ 52-55, CEDH 2001-VI et Weissman et autres c. Roumanie, no 63945/00, §§ 34-36, CEDH 2006-... (extraits)).
19.  Le Gouvernement souligne également que la Roumanie n'est pas le seul Etat membre du Conseil de l'Europe qui demande aux requérants de payer des droits de timbre dans les affaires civiles et commerciales. Il note qu'en Roumanie, à l'instar de la Norvège, la Belgique, la Pologne, l'Italie, la Lituanie, le Danemark ou l'Autriche, les droits de timbre sont payés par anticipation.
20.  Le Gouvernement estime que cette pratique est conforme à l'article 6 § 1 de la Convention, compte tenu de ce que, selon la jurisprudence de la Cour, l'exigence de payer aux juridictions civiles des frais afférents aux demandes dont elles ont à connaître ne saurait passer pour une restriction au droit d'accès à un tribunal incompatible en soi avec l'article 6 § 1 de la Convention (Kreuz précité, §§ 59 et 60). Les frais de procédure poursuivent un but légitime, dans la mesure où ils étaient imposés dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice (Tolstoy-Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, série A no 316-B, pp. 80-81, § 61).
21.  Le Gouvernement considère en outre que l'obligation même de verser des droits de timbre prorata n'est pas contraire à la Convention. Il cite l'affaire Philis c. Grèce (no 18989/91, décision du 12 octobre 1994), où la Commission a jugé que les droits de timbre étaient proportionnels aux montants demandés par le requérant et que, dès lors, l'accès au tribunal ne lui avait pas été arbitrairement refusé.
22.  Se référant à l'affaire V.M. c. Bulgarie (no 45723/99, arrêt du 8 juin 2006), où la Cour a conclu à l'absence de violation du droit d'accès au tribunal, le Gouvernement note qu'en l'espèce, les requérants ont soumis leur demande d'exemption du droit de timbre au tribunal qui, compte tenu de la réglementation en vigueur à l'époque des faits, l'a transmise à la direction générale des Finances publiques.
23.  Le Gouvernement estime en outre que la présente affaire est différente de l'affaire Weissman et autres c. Roumanie, compte tenu de ce qu'en l'espèce le ministère des Finances n'était pas partie à la procédure comme il l'a été dans l'affaire précitée.
24.  Les requérants contestent cette thèse. Ils estiment que le montant du droit de timbre était excessif et déterminé illégalement. En outre, ils estiment qu'ils étaient dans une situation d'infériorité dans la procédure par rapport à la partie défenderesse qui, faisant partie de l'administration de l'Etat, était exemptée du paiement du droit de timbre.
2. Appréciation de la Cour
25.  La Cour rappelle que l'article 6 § 1 de la Convention garantit à chacun le droit à ce qu'un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte un « droit à un tribunal », dont le droit d'accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu'un aspect.
26.  Toutefois, avec le Gouvernement, la Cour admet que, selon sa jurisprudence constante, le « droit à un tribunal » n'est pas absolu. Il se prête à des limitations, car il commande de par sa nature même une réglementation de l'Etat qui a le choix des moyens à employer à cette fin. A cet égard, la Cour rappelle qu'elle n'a jamais exclu que les intérêts d'une bonne administration de la justice puissent justifier d'imposer une restriction financière à l'accès d'une personne à un tribunal (Tolstoy-Miloslavsky précité, pp. 80-81, §§ 61 et suiv., et Kreuz précité, § 59).
27.  Nonobstant la marge d'appréciation dont dispose l'Etat en la matière, la Cour souligne qu'une limitation de l'accès à un tribunal ne se concilie avec l'article 6 § 1 précité que si elle tend à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Kreuz précité, § 55).
28.  S'agissant en particulier de l'exigence de payer aux juridictions civiles une taxe judiciaire relative aux demandes dont elles ont à connaître, elle ne saurait passer pour une restriction au droit d'accès à un tribunal qui serait, en soi, incompatible avec l'article 6 § 1 de la Convention.
29.  Toutefois, la Cour réitère que le montant des frais, apprécié à la lumière des circonstances d'une affaire donnée, y compris la solvabilité du requérant et la phase de la procédure à laquelle la restriction en question est imposée, sont des facteurs à prendre en compte pour déterminer si l'intéressé a bénéficié de son droit d'accès au tribunal, ou si, en raison du montant des frais, l'accès à un tribunal a été restreint à un point tel que le droit s'en est trouvé atteint dans sa substance même (Tolstoy-Miloslavsky précité, pp. 80-81, §§ 63 et suiv., et Kreuz précité, § 60).
30.  En l'espèce, l'action des requérants en restitution d'une somme d'argent a été annulée pour non-paiement du droit de timbre. La Cour note qu'en droit roumain, le montant du droit de timbre est calculé sous la forme d'un pourcentage de la valeur en litige. Il est donc proportionnel à la somme réclamée par le demandeur. Concernant le but légitime poursuivi, la Cour admet qu'un tel système vise à limiter les demandes en justice abusives et à récolter des fonds pour le budget de la justice. Il convient par conséquent d'examiner le caractère proportionné de la limitation au droit d'accès à un tribunal dans la présente affaire, du fait du montant de la taxe demandée (voir, Iorga c. Roumanie, no 4227/02, § 41, 25 janvier 2007).
31.  A cet égard, la Cour note qu'en l'espèce, la taxe due s'élevait à environ 330 euros (EUR). Ce montant était manifestement très élevé par rapport à la situation concrète des requérants puisqu'il représentait plus du double de l'intégralité des revenus mensuels de leur famille (voir le paragraphe 9 ci-dessus). En outre, il convient de prendre en compte que les revenus des requérants retraités étaient inférieurs au salaire moyen net en Roumanie à l'époque des faits, à savoir 119 EUR. Dès lors, la Cour estime que le montant de la taxe représentait une charge excessive pour les requérants et qu'il est difficile d'imaginer comment ils auraient pu se procurer par leurs propres moyens la somme imposée.
32.  De plus, la Cour doit examiner si les modalités procédurales prévues en droit interne relativement à l'imposition et à l'exonération de taxes judiciaires peuvent passer pour suffisamment prévisibles aux yeux d'un justiciable (Levages Prestations Services c. France, arrêt du 23 octobre 1996, Recueil 1996-V, p. 1543, § 42, et V.M. précité, § 48).
33.  S'il est vrai que le système national prévoyait pour les personnes ne disposant pas de ressources suffisantes la possibilité d'obtenir une exonération du droit de timbre, il n'en reste pas moins que la Cour l'a déjà jugé insatisfaisant au regard des exigences de l'article 6 § 1 de la Convention (Weissman et autres c. Roumanie (déc.), no 63945/00, 28 septembre 2004 et Iorga précité, §§ 47-49). La Cour a constaté qu'à l'époque des faits, il appartenait au ministère des Finances d'accorder une telle exemption (voir, mutatis mutandis, Iorga précité, § 47), les tribunaux n'ayant aucune compétence en la matière.
34.  La Cour ne conteste pas que dans la présente affaire, à la différence des affaires Weissman et autres et Iorga précitées, le ministère des Finances n'était pas partie à la procédure et que les requérants, comme dans l'affaire Iorga, précitée, ont fait usage de la possibilité de demander au ministère l'exonération des droits de timbre. Toutefois, la Cour observe que le ministère a rejeté leur demande et que les juridictions nationales, en annulant leur action pour défaut de paiement des droits de timbre, n'ont pas examiné la décision de refus, en se limitant à affirmer leur incompétence en la matière.
35.  Dès lors, la Cour ne saurait adhérer à l'argument du Gouvernement selon lequel la présente affaire est similaire à l'affaire V.M. précitée. En effet, dans l'affaire V.M., les demandes d'exonération des taxes judiciaires ont été introduites auprès des tribunaux, qui les ont examinées, en tenant compte de la situation personnelle du requérant, ce dernier ayant également la possibilité d'un recours devant la juridiction supérieure (voir V.M. précité, §§ 49, 54 et 56). De plus, dans cette affaire, pour les raisons susmentionnées, la Cour a reconnu que les autorités nationales étaient en principe mieux placées que le juge international pour apprécier les éléments de preuve présentés devant elles et, en l'occurrence, pour évaluer les capacités du requérant à s'acquitter de la taxe judiciaire due (voir V.M. précité, § 55). Or, un tel examen n'a pas eu lieu dans la présente affaire.
36.  La Cour constate qu'en droit roumain, la loi no 146/1997 a été modifiée par la loi no 195 du 25 mai 2004 qui prévoit que l'octroi des exemptions, des réductions ou des rééchelonnements pour le paiement du droit de timbre relève désormais de la compétence des tribunaux. Toutefois, cette possibilité n'existait pas à l'époque des faits.
37.  La Cour note enfin que l'argument du requérant sur l'exonération de la partie défenderesse des droits de timbre concerne l'équité de la procédure et plus particulièrement le principe de l'égalité des armes. Dès lors, dans la mesure où les tribunaux n'ont pas statué sur le fond de l'action, mais l'ont simplement annulée, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner cet argument du requérant (voir, mutatis mutandis, Weissman et autres précité, § 32)
38.  Au vu de ces éléments et après s'être livrée à une appréciation globale des faits, la Cour estime qu'en l'espèce, l'Etat n'a pas satisfait à son obligation de réglementer le droit d'accès à un tribunal d'une manière conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention.
Dès lors, il y a eu violation de cette disposition.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
39.  Les requérants allèguent également une violation de l'article 1 du Protocole nº 1 à la Convention, en faisant valoir qu'il leur a été impossible d'obtenir la restitution des sommes investies dans le FNI, en raison de l'annulation de leur action pour non-paiement du droit de timbre. L'article 1 du Protocole no 1 se lit ainsi :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
40.  Le Gouvernement fait valoir que les requérants n'étaient pas titulaires d'un « bien actuel » ni d'une « espérance légitime », au sens de la jurisprudence constante des organes de la Convention. Il note qu'aucune juridiction n'a établi leur droit aux dédommagements ni leur montant. Dans ces conditions, leur créance n'était ni certaine ni liquide.
41.  Le Gouvernement estime que la présente affaire se différencie de l'affaire Weissman et autres précitée dans laquelle la créance des requérants résultait de manière certaine des dispositions du code civil. Or, en l'espèce, la créance des requérants était dès le départ une créance conditionnelle et la question du respect des exigences légales devait être tranchée dans la procédure judiciaire.
42.  Enfin, le Gouvernement rappelle que dans d'autres affaires dans lesquelles la Cour a été confrontée au problème d'accès à un tribunal, elle a estimé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur l'existence d'un bien.
43.  Sur le fond, le Gouvernement estime que l'ingérence dans le droit de propriété des requérants qui résultait de l'annulation de leur action pour non-paiement du droit de timbre était prévue par la loi, poursuivait un but légitime et ménageait un juste équilibre entre l'intérêt de percevoir des frais de procédure et l'intérêt des requérants à faire valoir leurs prétentions devant les tribunaux.
44.  Les requérants estiment pour leur part qu'ils ont été placés dans l'impossibilité d'obtenir la restitution des sommes investies dans un fonds national cautionné par la caisse d'épargne, en raison de l'annulation de leur action pour non-paiement du droit de timbre.
45.  La Cour relève que ce grief est directement lié au grief examiné sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention. Elle le déclare recevable. Toutefois, eu égard à ses conclusions sur le terrain de ce dernier article, la Cour ne saurait spéculer sur ce qu'aurait été l'issue de l'action en restitution si les exigences du droit d'accès à un tribunal avaient été respectées devant les juridictions internes.
46.  Dès lors, elle estime qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le bien-fondé du grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, Iorga, précité, § 60 et Vlasia Grigore Vasilescu c. Roumanie, no 60868/00, §§ 50 et 51, 8 juin 2006).
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
47.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
48.  Les requérants réclament 911 392 525 anciens lei roumains (ROL) qu'ils convertissent en 27 363 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, représentant la valeur réactualisée de leur investissement dans le FNI. Ils réclament également 20 000 EUR au titre du préjudice moral qu'ils auraient subi.
49.  Le Gouvernement estime que la somme demandée au titre du préjudice matériel est purement spéculative et qu'en tout état de cause, les requérants ne peuvent demander que le remboursement de la somme qui a fait l'objet de la procédure en droit interne dont le montant réactualisé est d'environ 5 700 EUR. Quant au préjudice moral, le Gouvernement estime la somme demandée excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière et estime qu'un éventuel arrêt de condamnation pourrait constituer, par lui-même, une réparation satisfaisante du préjudice moral prétendument subi.
50.  La Cour note qu'en l'espèce, la seule base à retenir pour l'octroi d'une satisfaction équitable réside dans le fait que les requérants n'ont pas bénéficié d'un droit d'accès à un tribunal pour demander la restitution d'une somme en violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
51.  Sur la base des éléments dont elle dispose, elle considère que les requérants n'ont pas démontré que le dommage matériel allégué est effectivement le résultat de l'annulation des actions pour non-paiement du droit de timbre (voir, mutatis mutandis, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 164, ECHR 2000-XI, Dactylidi c. Grèce, no 52903/99, § 57, 27 mars 2003 et Iorga, précité, § 64). En tout état de cause, la Cour ne saurait spéculer sur l'issue des procédures internes si la violation du droit d'accès au tribunal n'avait pas eu lieu. En conséquence, rien ne justifie qu'elle accorde aux requérants une indemnité de ce chef.
52.  Quant au préjudice moral, la Cour admet que les requérants ont pu subir une frustration en raison de l'annulation de leur action. Statuant en équité, elle leur octroie conjointement 5 000 EUR pour préjudice moral.
B.  Frais et dépens
53.  Les requérants n'ont soumis aucune demande pour les frais et dépens exposés devant les juridictions internes et devant la Cour.
54.  Dans ces conditions, la Cour ne leur octroie aucune somme à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
55.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le bien-fondé du grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
4.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser, conjointement, aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral ;
b)  que la somme en question sera à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement et qu'il convient d'ajouter à celle-ci tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
c)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 février 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič Greffier Président
ARRÊT BEIAN c. ROUMANIE (n° 2)
ARRÊT BEIAN c. ROUMANIE (n° 2) 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 4113/03
Date de la décision : 07/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE


Parties
Demandeurs : BEIAN
Défendeurs : ROUMANIE (N° 2)

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-07;4113.03 ?

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