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07/02/2008 | CEDH | N°6206/03

CEDH | AFFAIRE BRATULESCU c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BRĂTULESCU c. ROUMANIE
(Requête no 6206/03)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Brătulescu c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   

Egbert Myjer,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BRĂTULESCU c. ROUMANIE
(Requête no 6206/03)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Brătulescu c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 janvier 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 6206/03) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat,   M. Nicolae Pretor Brătulescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 janvier 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Le requérant se plaint, sous l'angle des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1, de la non-exécution par l'administration d'un jugement définitif ordonnant l'attribution des actions d'une société agricole d'Etat, représentant l'équivalent d'un terrain agricole.
4.  Le 9 novembre 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5.  Le requérant est né en 1948 et réside à Ploieşti.
6.  En 1991, en vertu de la loi no 18/1991 relative au domaine foncier, le requérant et sa mère sollicitèrent auprès de la commission d'application de cette loi dans la commune de Starchiojd (« la commission locale »), la restitution de plusieurs terrains agricoles, dont une parcelle de deux hectares, qui avait appartenu aux parents du requérant et qui avait été transférée, après la deuxième guerre mondiale, à une coopérative agricole locale.
7.  Le 2 septembre 1991, la commission locale délivra au requérant et à sa mère un certificat attestant que, le 11 juillet 1991, la commission départementale pour l'application de la loi no 18/1991   (« la commission départementale ») avait décidé de leur attribuer des actions d'une société agricole d'Etat, représentant l'équivalent de la parcelle de deux hectares susmentionnée.
8.  Par une décision du 13 juillet 1999, la commission départementale leur attribua des actions pour un hectare de terrain.
9.  Après le décès de sa mère, le requérant, en son propre nom et en sa qualité d'unique héritier, demanda au tribunal de première instance de Ploieşti l'annulation de la décision susmentionnée et l'attribution des actions équivalant à deux hectares de terrain.
10.  Par un jugement du 3 avril 2000, devenu définitif en l'absence d'appel, le tribunal accueillit l'action. Il condamna la commission départementale et la commission locale à rendre une nouvelle décision lui attribuant, en équivalence de deux hectares, des actions de la société agricole d'Etat, Prodpom S.A.
11.  Le 13 juin 2000, la commission locale informa le requérant qu'elle n'était pas compétente pour rendre une nouvelle décision et l'invita à se renseigner auprès de la commission départementale.
12.  Le 6 février 2001, l'office départemental du cadastre fit connaître au requérant qu'il devait s'adresser d'abord à la commission locale.
13.  Le 4 octobre 2001, Prodpom S.A. informa le requérant que, par un protocole du 16 mai 2000, elle avait restitué à la mairie de Poseşti, un terrain de 400 hectares et que, par conséquent, elle n'avait plus d'obligations envers ses actionnaires.
14.  Au cours de l'année 2001, la préfecture de Prahova enjoignit à la commission locale d'exécuter ses obligations légales en vue de la délivrance d'une décision conforme au jugement du 3 avril 2000.
15.  Le 1er juillet 2002, la mairie de Poseşti indiqua au requérant que l'obligation d'exécuter le jugement du 3 avril 2000 incombait à la commission locale de Starchiojd.
16.  Par lettres des 8 octobre 2001, 8 janvier et 21 mars 2003, le parquet près le tribunal départemental de Prahova informa le requérant que ses plaintes concernant la non-exécution du jugement du 3 avril 2000, introduites contre les maires des communes de Starchiojd et de Poseşti et contre divers autres fonctionnaires de ces mairies avaient été rejetées.
17.  Par une action introduite en 2004 devant le tribunal de première instance de Vălenii de Munte, le requérant demanda la mise en possession d'un terrain de deux hectares et le versement de dommages et intérêts. Par un jugement du 2 décembre 2004, le tribunal rejeta son action. Le recours formé par le requérant fut annulé par un arrêt du 9 mai 2006 de la cour d'appel de Ploieşti pour défaut de motivation.
18.  Par un procès-verbal du 5 octobre 2004, signé par l'épouse du requérant en vertu d'un pouvoir que ce dernier lui avait donné le 14 mars 1996, la commission locale mit le requérant en possession d'un terrain de deux hectares situé à Starchiojd. Le 6 janvier 2006, la commission départementale délivra au requérant un titre de propriété sur ce terrain.
19.  Le requérant forma une nouvelle plainte pénale contre le maire de Starchiojd et un autre membre de la commission locale, alléguant que la mise en possession était erronée et que le terrain inscrit sur le titre de propriété n'existait pas en réalité.
20.  Le 17 novembre 2006, le parquet près le tribunal de première instance de Vălenii de Munte rejeta la plainte estimant que la mise en possession était légale et que l'épouse du requérant, mandatée par celui-ci à le représenter, avait signé le procès-verbal.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
21.  Les dispositions pertinentes de la loi relative au domaine foncier no 18/1991, publiées au Journal officiel du 20 février 1991, disposent ainsi :
Article 8
« L'établissement du droit de propriété privée sur les terrains se trouvant dans le patrimoine des coopératives agricoles de production se fait dans les conditions de la présente loi, par la reconstitution ou la constitution du droit de propriété.
Bénéficient des dispositions de la présente loi les membres des coopératives qui ont eu des apports en terrains lors de leur entrée dans la coopérative, ou qui se sont vu confisquer des terrains par cette dernière, ainsi que leurs héritiers (...). »
Article 11
« (1)  Dans chaque commune, une commission dirigée par le maire (...) sera compétente pour la reconstitution du droit de propriété, la mise en possession et la délivrance des titres de propriété aux ayants droit.
(2)  Les commissions locales déploient leur activité sous la direction d'une commission départementale, nommée par ordre du préfet et dirigée par celui-ci. »
L'article 36
« Les personnes dont les terrains agricoles sont devenus propriété d'Etat à la suite des lois spéciales, autres que celles d'expropriation, et qui se trouvent dans l'administration des unités agricoles d'Etat, peuvent devenir, sur demande, des actionnaires des sociétés commerciales créées en vertu de la loi no 15/1990 à la suite de la réorganisation des unités agricoles d'Etat (...)
Le nombre d'actions sera proportionnel à la surface de terrain entré au patrimoine de l'Etat. »
22.  La loi no 18/1991 a été republiée au Moniteur Officiel du 5 janvier 1998, afin de tenir compte des modifications apportées par la loi no 169/1997, dont les dispositions pertinentes prévoient ce qui suit :
Article 443 § 2
« L'intéressé peut porter plainte auprès du tribunal contre la décision de la commission départementale (...) dans un délai de 30 jours à compter de la date à laquelle il a pris connaissance de la décision de ladite commission. »
Article 446
« La plainte (...) peut concerner les mesures de mise en application des dispositions de l'article 36 de la loi, relatives à l'institution du droit de recevoir des actions des sociétés commerciales créées en vertu de la loi no 15/1990 à la suite de la réorganisation des unités agricoles d'Etat. »
23.  Les dispositions pertinentes de la loi no 1 du 11 janvier 2000, sur la reconstitution du droit de propriété sur les terrains agricoles et forestiers sollicités par les intéressés sur le fondement de la loi no 18/1991, telle que modifiée par la loi no 169/1997, se lisent ainsi :
Article 2
« La reconstitution du droit de propriété se fait sur les anciens emplacements, si ceux-ci sont libres (...) »
Article 8
« Il est loisible aux personnes qui se sont vu reconnaître la qualité d'actionnaire dans des sociétés commerciales (...) en vertu de l'article 36 de la loi no 18/1991 de se voir restituer en nature des terrains de la même qualité (...) »
EN DROIT
24.  Le requérant se plaint de la non-exécution du jugement définitif du 3 avril 2000. Il invoque les articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellés dans leurs parties pertinentes :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal indépendant et impartial (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
I.  SUR L'EXCEPTION PRéLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
25.  Le Gouvernement excipe de l'irrecevabilité de la requête en raison du défaut de la qualité de victime du requérant, au sens de l'article 34 de la Convention, compte tenu des changements dans la situation de fait de l'affaire postérieurs au 5 octobre 2004. Il souligne qu'à cette dernière date, le requérant s'est vu mettre en possession du terrain de deux hectares et, le 6 janvier 2006, attribuer un titre de propriété sur ce terrain.
26.  Le requérant allègue que le titre de propriété qui lui a été délivré est faux car le terrain qui y est inscrit n'existe pas en réalité.
27.  La Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, une décision ou une mesure favorable aux requérants ne suffit en principe à leur retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, entre autres, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI et Acatrinei c. Roumanie, no 7114/02, § 29, 26 octobre 2006).
28.  En l'espèce, la Cour note que les parties ont des positions divergentes quant à la réalité de la mise en possession du terrain inscrit sur le titre de propriété.
29.  Cependant, la Cour n'estime pas nécessaire de trancher à ce stade cette controverse. En effet, il lui suffit de constater que la mise en possession et l'octroi du titre de propriété ont eu lieu respectivement les 5 octobre 2004 et 6 janvier 2006, soit plus de quatre ans après que le tribunal de première instance de Ploieşti ait ordonné aux autorités locales de reconstituer, par équivalent, le droit de propriété du requérant sur deux hectares de terrain.
30.  Or, malgré le retard dans l'exécution du jugement du 3 avril 2000, les autorités internes n'ont, à aucun moment, reconnu une éventuelle violation ni réparé le préjudice allégué par le requérant du fait de la durée de l'exécution.
31.  Dès lors, la Cour estime que les conditions requises par la jurisprudence afin de perdre la qualité de « victime » ne sont pas réunies en l'espèce et que le requérant peut se prétendre victime d'une violation de ses droits protégés par la Convention (voir, mutatis mutandis, Glod c. Roumanie, no 41134/98, §§ 27, 28, 16 septembre 2003 et Acatrinei, précité, § 30).
32.  Il y a donc lieu de rejeter l'exception.
33.  La Cour constate en outre que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
34.  Le Gouvernement admet que le jugement du 3 avril 2000 a été exécuté avec un retard de plus de quatre années. Cependant, il justifie ce retard par la complexité des procédures de mise en possession, découlant de l'identification du terrain et de la rédaction de plusieurs documents administratifs nécessaires à l'octroi du titre de propriété.
35.  Le requérant combat la thèse du Gouvernement. Il conteste l'exactitude du titre de propriété qui lui a été délivré et soutient que le terrain attribué n'existait pas.
36.  La Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, l'exécution d'un jugement ou d'un arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l'article 6 de la Convention. Le droit à un tribunal serait illusoire si l'ordre juridique interne d'un Etat contractant permettait qu'une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d'une partie (Immobiliare Saffi c.  Italie [GC], no 22774/93, § 63, CEDH 1999-V).
37.  En l'espèce, la Cour note que le 5 octobre 2004, la commission locale a mis le requérant en possession d'un terrain agricole de deux hectares dont l'existence est contestée par le requérant.
38.  Cependant, la Cour observe, d'une part, que le procès-verbal a été signé par l'épouse du requérant agissant en sa qualité de mandataire de ce dernier. D'autre part, elle note que le requérant n'a ni introduit une action civile pour demander l'annulation du procès-verbal et du titre de propriété prétendument faux ni contesté le non-lieu rendu par le parquet à la suite de la plainte pénale portée contre certains fonctionnaires locaux. Dès lors, la Cour ne saurait accueillir l'argument du requérant.
39.  Au regard de ces éléments et compte tenu du fait que le requérant n'a pas contesté le choix des autorités locales de lui attribuer un terrain à la place des actions auxquelles il avait droit, la Cour considère qu'en octroyant au requérant un titre de propriété, le 6 janvier 2006, les autorités administratives locales se sont conformées à l'obligation qui leur a été imposée par le jugement du 3 avril 2000.
40.  Néanmoins, la Cour rappelle qu'elle a déjà jugé que l'omission des autorités d'exécuter dans un délai raisonnable une décision définitive peut entraîner une violation de l'article 6 § 1 de la Convention,   surtout quand l'obligation de faire exécuter la décision en cause   appartient à une autorité administrative (voir, Acatrinei, précité, § 40 et Dorneanu c. Roumanie, no 1818/02, § 41, 26 juillet 2007).
41.  En l'espèce, la Cour constate que le titre de propriété n'a été délivré que plus de cinq ans après le jugement définitif du tribunal de première instance de Ploieşti du 3 avril 2000.
42.  Dans ces conditions, la Cour est d'avis que la commission locale aurait pu prendre plus tôt l'initiative pour exécuter le jugement en cause, comme elle l'a fait à partir de 2004 (voir paragraphe 18 ci-dessus). Cela d'autant plus que ce jugement ne déterminait pas l'emplacement du terrain à octroyer au requérant et qu'elle était la seule autorité compétente pour identifier les terrains libres et pour formuler des offres concrètes (voir, mutatis mutandis, Acatrinei, précité, § 41).
43.  Dès lors, la Cour estime que ce délai particulièrement long est imputable aux autorités internes et qu'il démontre une certaine faiblesse du système mis en place pour la reconstitution du droit de propriété (voir, mutatis mutandis, Dorneanu, précité, § 44).
44.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l'Etat n'a pas déployé tous les efforts nécessaires afin de faire exécuter avec célérité la décision judiciaire favorable au requérant.
45.  Par conséquent, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
46.  Le Gouvernement soutient que, malgré le retard dans l'exécution du jugement du 3 avril 2000, le requérant ne peut plus invoquer une atteinte à son droit au respect des biens compte tenu du fait qu'il a reçu un titre de propriété pour un terrain de deux hectares.
47.  Le requérant conteste la position du Gouvernement et allègue que l'attribution d'un titre de propriété sur un terrain inexistant n'a pas réparé la violation de son droit au respect des biens.
48.  La Cour note d'emblée que le jugement du 3 avril 2000 a créé au bénéfice du requérant « l'espérance légitime » de se voir effectivement attribuer des actions de la société agricole d'Etat, Prodpom S.A., par équivalence pour un terrain de deux hectares (voir, mutatis mutandis, Abăluţă, précité, § 55 et Tacea c. Roumanie, no 746/02, § 37, 29 septembre 2005). Dans ces conditions, sa créance était suffisamment établie pour constituer une « valeur patrimoniale » entraînant l'application des garanties de l'article 1 du Protocole no 1.
49.  La Cour rappelle que le jugement condamnant les autorités locales compétentes à délivrer au requérant des actions n'a pas été exécuté dans des délais raisonnables, ce qui est imputable à l'administration locale.
50.  S'il est vrai qu'actuellement le requérant s'est vu attribuer un terrain de deux hectares, la Cour considère qu'en raison du retard dans l'exécution, il a subi un préjudice découlant du fait que pendant plus de cinq ans, il n'a pas pu jouir ni des actions auxquelles il avait droit ni d'un terrain équivalent.
51.  Il y a donc eu ingérence dans son droit au respect des biens, qui relève de la première phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Sabin Popescu précité, §§ 80-81 ; Acatrinei, précité, § 51 et Dorneanu, précité, § 52).
52.  La Cour réitère également son constat fait lors de l'examen du grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention, à savoir que le Gouvernement n'a pas offert de justification valable pour ce retard ; il était donc arbitraire et emportait violation du principe de légalité. Une telle conclusion dispense la Cour de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels du requérant (voir, mutatis mutandis, Dragne et autres c. Roumanie, no 78047/01, § 41, 7 avril 2005 ; Tacea, précité, § 39 ; Georgi c. Roumanie, no 58318/00, § 71, 24 mai 2006 ; Acatrinei, précité, § 53 et Dorneanu, précité, § 53).
53.  Dès lors, la Cour estime qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
54.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
55.  Au titre du préjudice matériel, le requérant sollicite le versement de 480 000 euros (EUR) pour le défaut de jouissance du terrain depuis 1991. Il fournit la copie d'un rapport d'expertise effectuée dans le cadre d'un litige interne qui conclut que le montant du préjudice découlant du défaut de jouissance de 2001 à 2003 s'élevait à 23 516 800 anciens lei roumains (ROL).
56.  Le requérant demande également 550 000 EUR au titre du dommage moral causé par le refus des autorités d'exécuter le jugement du 3 avril 2000, ce qui lui a causé des souffrances psychiques et a affecté son état de santé. Il ne sollicite pas de frais et dépens.
57.  Le Gouvernement considère que les montants demandés sont excessifs, plus particulièrement, en tenant compte de ce que le jugement définitif susmentionné a été exécuté par les autorités compétentes. Il conclut qu'un constat de violation des droits invoqués par le requérant pourrait constituer en soi une réparation satisfaisante du préjudice subi.
58.  La Cour relève que la seule base à retenir pour l'octroi d'une satisfaction équitable réside en l'espèce dans l'exécution tardive du jugement du 3 avril 2000.
59.  S'agissant du dommage matériel, la Cour ne saurait certes spéculer sur ce qu'eût été le rendement financier des actions de la société Prodpom S.A. si le requérant avait pu en jouir dès 2000, mais n'estime pas déraisonnable de penser que l'intéressé a subi une perte réelle en raison du refus des autorités de se conformer promptement au jugement susmentionné.
60.  En outre, la Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral, du fait notamment de la frustration provoquée par le retard dans l'exécution du jugement rendu en sa faveur et que ce préjudice n'est pas suffisamment compensé par un constat de violation.
61.  Par conséquent, statuant en équité, comme le veut l'article 41, la Cour alloue au requérant 5 000 EUR tous préjudices confondus.
B.  Intérêts moratoires
62.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
4.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) tous préjudices confondus ;
b)  que la somme en question sera à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement et qu'il convient d'ajouter à celle-ci tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
c)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 février 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič   Greffier Président
ARRÊT BRĂTULESCU c. ROUMANIE
ARRÊT BRĂTULESCU c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 6206/03
Date de la décision : 07/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de P1-1

Analyses

(Art. 6) DROIT A UN PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : BRATULESCU
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-07;6206.03 ?

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