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07/02/2008 | CEDH | N°75849/01

CEDH | AFFAIRE TARIK c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE TARIK c. ROUMANIE
(Requête no 75849/01)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Tarik c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer, 

 David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en a...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE TARIK c. ROUMANIE
(Requête no 75849/01)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Tarik c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 janvier 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 75849/01) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante allemande, Mme Speranţa Tarik (« la requérante »), a saisi la Cour le 17 juillet 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante est représentée par Me V. Pascu, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R.H. Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  La requérante alléguait avoir subi une atteinte à son droit au respect de ses biens, en raison de l'impossibilité prolongée de disposer de l'appartement qui lui avait été rétrocédé et d'en percevoir les loyers. Elle se plaignait également de l'iniquité de la procédure devant la cour d'appel, relative à l'action en expulsion qu'elle avait engagée contre les occupants de son appartement.
4.  Le gouvernement allemand, auquel une copie de la requête a été communiquée par la Cour en vertu de l'article 44 § 1 a) du règlement, n'a pas souhaité présenter son point de vue sur l'affaire.
5.  Par une décision du 14 juin 2007, la Cour a déclaré la requête recevable.
6.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
7.  La requérante est née en 1944 et réside à Remscheid (Allemagne).
8.  Par une décision administrative du 13 janvier 1981, prise en vertu du décret no 223/1974 de nationalisation de certains biens, la mairie de Bucarest, considérant que le départ de la requérante en Allemagne, en 1979, avait été illégal, confisqua l'appartement dont l'intéressée était propriétaire.
A.  Action en revendication de l'appartement et démarches en vue de la conclusion d'un contrat de bail avec les anciens locataires de l'Etat
9.  Par un jugement du 3 mars 1994, le tribunal de première instance de Bucarest fit droit à l'action de la requérante en annulation de la décision administrative de confiscation de son appartement et en restitution de celui-ci. A la suite du rejet du recours formé par la mairie, le jugement devint définitif par un arrêt no 2950/1994 de la cour d'appel de Bucarest.
10.  Par un procès-verbal du 21 juin 1995, la mairie de Bucarest ordonna la mise en possession de la requérante de l'appartement en question. Le 22 juin 1995, la société d'Etat T. (« la société T. »), qui administrait l'appartement, délivra à la requérante un procès-verbal de mise en possession et l'informa qu'elle devait, en vertu la loi no 17/1994 sur la prorogation et le renouvellement des baux d'habitation (« la loi no 17/1994 »), régler la situation avec les locataires de l'appartement, la famille D., soit à l'amiable soit par l'intermédiaire d'une action en justice. A partir de cette date, la requérante paya les taxes et les impôts afférents à son appartement.
11.  Par une lettre du 28 juin 1995, la société T. informa la famille D. qu'eu égard au changement de propriétaire opéré à la suite du jugement du 3 mars 1994 leur contrat de bail avec la société était résilié.
12.  Les 28 mai et 3 juillet 1998, la requérante adressa, par l'intermédiaire d'un huissier de justice, une notification à la famille D., lui demandant de se présenter au bureau de l'huissier afin de régler la situation. Dans un procès-verbal du 10 septembre 1998, l'huissier de justice constata que la famille D. n'avait pas répondu à la notification de la requérante.
B.  Procédure d'expulsion de la famille D.
13.  Le 8 septembre 1998, la requérante saisit le tribunal de première instance de Bucarest d'une action en expulsion de la famille D., aux motifs que les intéressés avaient refusé de conclure un contrat de bail avec elle ou de quitter son appartement, et qu'ils ne lui payaient pas de loyer. Elle invoquait comme moyen de droit la loi no 114/1996 sur le logement (« la loi no 114/1996 »).
14.  Compte tenu de l'entrée en vigueur imminente de l'ordonnance d'urgence du gouvernement no 40/1999 sur la protection des locataires et la fixation du montant du loyer pour les locaux à usage d'habitation (« l'OUG no 40/1999 »), la requérante modifia le fondement juridique de son action en expulsion, invoquant également l'OUG no 40/1999 à l'appui de sa demande. Cette ordonnance entra en vigueur le 8 avril 1999, au cours de la procédure en premier ressort.
15.  Lors de l'audience du 31 mars 1999, la requérante avait renouvelé sa notification à la famille D. afin que celle-ci se présentât à la date et à l'adresse indiquées, en vue de conclure un contrat de bail en vertu des dispositions de l'OUG no 40/1999. La famille D. ne donna pas suite à cette nouvelle notification.
16.  A l'audience du 23 juin 1999, l'avocat de la famille D. demanda le renvoi de l'affaire pour lui permettre de donner suite à la procédure prévue par l'OUG nº 40/1999 et de répondre à la notification de la requérante visant à la conclusion d'un contrat de bail en vertu de cette ordonnance. Le tribunal de première instance de Bucarest accueillit la demande de l'avocat et reporta l'audience au 22 septembre 1999. Le 22 septembre 1999, le tribunal ordonna aux parties de se présenter le lendemain au centre local des impôts pour conclure un contrat de bail afin de respecter la procédure prévue par l'OUG no 40/1999. La famille D. ne se présenta pas.
17.  A la demande de la famille D., le tribunal de première instance renvoya l'examen de l'affaire à cinq reprises au total sans obtenir de réponse à la notification de la requérante.
18.  Par un jugement du 10 novembre 1999, le tribunal de première instance de Bucarest fit droit à l'action en expulsion engagée par la requérante contre la famille D. Il estima que les locataires n'avaient plus de contrat de bail valable, leur bail reconduit en vertu de la loi no 17/1994 ayant expiré le 18 avril 1999, et que, n'ayant pas répondu à la notification de la requérante, ils n'avaient pas respecté la procédure prévue par l'OUG no 40/1999 qui leur aurait permis de bénéficier d'une nouvelle reconduction de leur bail.
19.  Par un arrêt du 28 septembre 2000, le tribunal départemental de Bucarest rejeta pour les mêmes raisons l'appel interjeté par la famille D.
20.  La famille D. forma un recours contre cet arrêt devant la cour d'appel de Bucarest, invoquant les dispositions de la loi no 17/1994 et de l'OUG no 40/1999 relatives à la prorogation des baux d'habitation, et le fait qu'ils avaient payé leur loyer jusqu'en 1999 à la société T. La famille D. estimait en effet que l'action en expulsion était irrecevable en vertu de la loi no 17/1994, en vigueur à la date de l'introduction de l'action par la requérante, et que la loi no 114/1996 invoquée par l'intéressée ne pouvait passer outre les droits des locataires prévus par la loi no 17/1994 et par l'OUG no 40/1999.
21.  A l'audience du 22 février 2001, lors de la présentation des observations au fond, l'avocat de la requérante demanda le rejet du recours et l'accueil de l'action en expulsion, se fondant sur le fait que la famille D. avait refusé de conclure un contrat de bail avec la requérante en dépit de la notification faite en vertu de l'OUG no 40/1999, et qu'elle n'avait pas payé de loyer à l'intéressée.
22.  Par un arrêt définitif du 28 février 2001, la cour d'appel de Bucarest accueillit le recours de la famille D. et rejeta l'action en expulsion, au motif qu'au moment de l'introduction de cette action le contrat de bail de la famille D. était valable. Les passages pertinents de cet arrêt se lisent comme suit :
« Une situation juridique produit les effets qui sont prévus par la loi civile en vigueur lors de l'apparition de cette situation. La requérante a introduit l'action en expulsion le 8 septembre 1998 ; les dispositions de la loi no 17/1994 étaient donc applicables, celles-ci prévoyant la prorogation des contrats de bail pour une période de cinq ans.
Le fait que le procès civil s'est vu prolongé et que l'OUG no 40/1999 est entrée en vigueur n'a pas pour résultat l'application de cette ordonnance à la situation juridique née sous l'empire d'une autre loi.
Compte tenu des observations ci-dessus et du fait qu'à la date de l'introduction de l'action le contrat de bail des défendeurs était encore valable (...) l'action est rejetée comme étant mal fondée. »
23.  Par des lettres du 26 juillet 2004 et du 14 mars 2007, la requérante informa la Cour qu'aucun changement n'était intervenu pour ce qui était de son appartement, la famille D. continuant d'y habiter sans avoir conclu de contrat de bail avec elle et sans lui verser de loyer.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
24.  L'essentiel de la réglementation interne pertinente en la matière, à savoir des extraits des lois no 5/1973 sur la gestion des logements et les rapports entre propriétaires et locataires (« la loi no 5/1973 »), no 114 du 11 octobre 1996 sur le logement (« la loi no 114/1996 »), ainsi que l'OUG no 40 du 8 avril 1999 sur la protection des locataires et la fixation du montant du loyer pour les locaux à usage d'habitation (« l'OUG no 40/1999 ») et la loi no 241 du 16 mai 2001 qui a approuvé l'OUG no 40/1999 (« la loi no 241/2001 »), est décrit dans l'affaire Radovici et Stănescu c. Roumanie (requêtes nos 68479/01, 71351/01 et 71352/01 jointes, §§ 53 à 59, arrêt du 2 novembre 2006).
25.  Les dispositions légales et la jurisprudence interne citées ci-dessous sont également pertinentes en l'espèce.
A.  La loi no 17/1994 du 8 avril 1994 sur la prorogation et le renouvellement des baux d'habitation (« la loi no 17/1994 »)
26.  Les articles pertinents de cette loi se lisaient ainsi :
Article 1
« Quel que soit le propriétaire, tous les baux d'habitation concernant les logements dont la location est réglementée par la loi no 5/1973 (...) et qui sont en cours au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi sont prorogés de plein droit pour une période de cinq ans, dans les mêmes conditions [que celles fixées par la loi no 5/1973]. »
Article 2
« Les baux d'habitation concernant les logements mentionnés à l'article 1 de la présente loi, qui étaient en vigueur au 1er janvier 1988, ainsi que ceux conclus et expirés après le 1er janvier 1988 sont renouvelés dans les mêmes conditions, si le locataire occupe actuellement le logement ayant fait l'objet du bail. »
27.  Dans les arrêts nos 1556 du 21 novembre 1997 et 1567A du 22 juin 2000, la cour d'appel de Bucarest et le tribunal départemental de Brasov ont jugé que la prorogation de plein droit, découlant de la loi no 17/1994, des baux d'habitation dans les mêmes conditions contractuelles que celles fixées par la loi no 5/1973 signifiait que le montant du loyer mensuel dû par l'ancien locataire de l'Etat au nouveau propriétaire restait inchangé.
28.  L'arrêt 1567A du 22 juin 2000 précité précisait également qu'entre l'entrée en vigueur de la loi no 17/1994 et celle de l'OUG no 40/1999 il y avait un vide législatif dans la mesure où la première loi ne prévoyait pas la procédure en vertu de laquelle les anciens propriétaires qui s'étaient vu restituer les biens nationalisés pouvaient conclure de nouveaux baux d'habitation avec les anciens locataires de l'Etat.
B.  Dispositions légales relatives au calcul du loyer pour les logements faisant l'objet de baux d'habitation prorogés par la loi no 17/1994
29.  Au moment de l'entrée en vigueur de la loi no 17/1994, le système de calcul du loyer était régi par la loi no 5/1973 sur la gestion des logements et les rapports entre propriétaires et locataires. Les articles 27 et 28 de cette loi fixaient un tarif forfaitaire par mètre carré, qui variait en fonction du montant des revenus du locataire et des éléments de confort du logement, et qui pouvait être augmenté de 30 % lorsque le logement était pourvu de certaines commodités supplémentaires ou lorsqu'il dépassait la surface maximale prévue par la loi.
30.  Il apparaît que, lors de l'introduction de l'action en expulsion par la requérante, le tarif forfaitaire maximal susmentionné était fixé au même niveau qu'en 1973, les dispositions pertinentes de la loi no 5/1973 ayant été expressément maintenues en vigueur par l'article 73 de loi no 114/1996. Ce tarif forfaitaire était de 2,70 lei roumains anciens (« ROL ») (soit environ 0,000258 euro) par mètre carré habitable, un montant dû à la très forte inflation et à la dépréciation de la monnaie nationale intervenues dans les années 90.
31.  Ce système a été modifié par l'OUG no 40/1999 et par la loi no 241/2001. Celle-ci prévoyait que le loyer demandé ne pouvait dépasser 15 % du revenu net mensuel du foyer des locataires si le revenu net mensuel par membre de la famille n'excédait pas le salaire net mensuel moyen du pays, qui était d'environ 120 euros à l'époque.
C.  La loi no 114/1996 sur le logement (« la loi no 114/1996 »)
32.  L'article 25 de cette loi se lit comme suit :
« Il ne peut être procédé à l'expulsion du locataire qu'en vertu d'un jugement définitif. Le locataire est tenu au paiement du loyer prévu dans le contrat de bail jusqu'à la date de l'exécution du jugement ordonnant l'expulsion. »
D.  Jurisprudence interne concernant l'expulsion des locataires de l'Etat des immeubles restitués aux anciens propriétaires et application de l'OUG no 40/1999
33.  L'OUG no 40/1999, telle que modifiée par la loi no 241/2001, prévoyait la prorogation de droit de cinq ans des baux d'habitation portant sur des appartements restitués à leurs anciens propriétaires. Les tribunaux internes ont ainsi examiné des demandes d'expulsion des locataires introduites avant et après le 8 avril 2004, date qui marquait la fin du délai de cinq ans mentionné par l'OUG no 40/1999.
1.  Jurisprudence des tribunaux concernant les effets de l'OUG no 40/1999 avant le 8 avril 2004
34.  Par un arrêt no 4193/2000, la cour d'appel de Bucarest a rejeté l'action en expulsion introduite par un propriétaire contre le locataire de l'Etat qui occupait son appartement. Elle a jugé que le transfert de propriété de l'Etat à l'ancien propriétaire incluait également pour ce dernier l'obligation in rem, qui avait incombé aux autorités, d'assurer au locataire le droit d'usage de l'appartement selon les dispositions légales en vigueur. Or ce propriétaire n'avait pas respecté la procédure prévue par l'OUG no 40/1999, applicable en l'espèce, alors que le locataire avait, quant à lui, manifesté son souhait de conclure un nouveau contrat de bail. Dans une autre affaire, par un arrêt no 3113/2000, la cour d'appel de Bucarest, se fondant sur l'OUG no 40/1999, a accueilli la demande du propriétaire d'un appartement et a ordonné l'expulsion de son locataire qui avait toujours refusé, malgré la notification qui lui avait été adressée en vertu des dispositions légales susmentionnées, de conclure un bail avec le propriétaire.
35.  Par un arrêt no 3276/2000, la cour d'appel de Bucarest a débouté un propriétaire de l'action en expulsion intentée à son locataire au motif que le propriétaire avait négligé d'adresser une notification au locataire, comme l'exigeait l'OUG no 40/1999. Elle a précisé que le non-respect du délai de notification prescrit était sanctionné par l'article 11 de l'ordonnance, lequel prévoyait que l'ancien bail était prolongé de droit et que le propriétaire ne pouvait demander l'expulsion du locataire pour non-paiement de loyer avant la conclusion d'un nouveau bail.
2.  Jurisprudence des tribunaux concernant les effets de l'OUG no 40/1999 après le 8 avril 2004
36.  Par un arrêt du 10 novembre 2006, la cour d'appel de Bucarest a jugé que le locataire qui disposait d'un bail prolongé ope legis jusqu'au 8 avril 2004 en vertu du défaut d'une notification conforme à l'OUG no 40/1999 voyait, en l'absence renouvelée d'une telle notification, son bail prolongé une nouvelle fois pour une période de cinq ans en vertu de l'article 14 de l'ordonnance, sauf s'il renonçait au bénéfice octroyé par l'OUG no 40/1999 ou s'il aboutissait à un accord avec son propriétaire sur une autre durée du bail. Dans une autre affaire, par un arrêt du 18 avril 2006, la cour d'appel de Bucarest a jugé qu'à défaut de notification dans les conditions de fond et de forme de l'OUG no 40/1999 le bail en cause était prolongé une nouvelle fois pour une période de cinq ans.
E.  L'application dans le temps d'une loi nouvelle en matière de contrats à exécution successive
37.  Selon l'article 15 § 2 de la Constitution de 1991, la loi n'est pas rétroactive, sauf s'il s'agit d'une loi pénale plus favorable. L'article premier du code civil contient une disposition similaire excluant l'application rétroactive de la loi civile. La doctrine, la jurisprudence et, dans plusieurs cas, le législateur ont complété le principe susmentionné avec celui qui prévoit l'application immédiate de la loi civile nouvelle aux situations juridiques créées après son entrée en vigueur et, sauf exception, aux effets futurs des situations juridiques en cours.
38.  Dans sa décision no 210 du 4 mai 2004, la Cour constitutionnelle, répondant à un argument relatif à l'application de la loi no 241/2001 à des situations juridiques nées avant son entrée en vigueur, a précisé qu'une loi n'est pas rétroactive lorsqu'elle modifie pour l'avenir une situation juridique déjà née ou lorsqu'elle supprime les effets futurs d'une situation juridique née avant son entrée en vigueur (principe de l'application immédiate de la loi civile).
39.  En matière de contrats à exécution successive et notamment de contrats de bail, la jurisprudence interne n'est pas uniforme, tel qu'il ressort de la doctrine pertinente.
40.  D'une part, dans les arrêts définitifs nos 752R du 28 septembre 1999, 913 du 5 juin 2000 et 3811 du 16 novembre 2000, rendus dans des actions en expulsion de locataires, les cours d'appel de Târgu Mureş, de Constanţa et de Bucarest ont examiné la validité des baux d'habitation litigieux au regard à la fois de la loi no 17/1994 et de l'OUG no 40/1999, applicables successivement au cours des procédures en cause. Par ailleurs, l'approche de la cour d'appel de Bucarest dans l'arrêt du 28 février 2001, rendu dans la présente affaire, a fait l'objet d'un commentaire critique dans la doctrine, au motif qu'en vertu du principe prévoyant l'application immédiate de la loi civile les dispositions impératives de l'OUG no 40/1999 étaient également applicables au bail d'habitation litigieux, qui devait être examiné en tant que situation juridique évolutive (R. Dinca, M. Nicolae, Pandectele române, no 6/2002, pp. 123-136).
41.  D'autre part, dans un arrêt no 42R du 18 janvier 2001, la cour d'appel de Brasov a jugé la validité du contrat de bail uniquement par rapport à la loi no 17/1994, qui était en vigueur au moment de l'introduction de l'action et sur laquelle le demandeur avait fondé son action en expulsion du locataire.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
42.  Invoquant l'article 1 du Protocole no 1, la requérante se plaint d'une ingérence dans l'exercice de son droit de propriété, en raison de l'impossibilité prolongée d'utiliser un appartement qui lui a été rétrocédé ou de percevoir un loyer, impossibilité résultant selon elle de l'application des dispositions adoptées par les autorités en matière de baux d'habitation. L'article 1 du Protocole no 1 est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A.  Thèses des parties
43.  Le Gouvernement admet que le refus des juridictions nationales d'accueillir l'action en expulsion des locataires engagée par la requérante s'analyse en une ingérence dans le droit de celle-ci d'user de son appartement. Il estime que cette ingérence, comme dans l'affaire Robitu c. Roumanie (no 33352/96, décision de la Commission du 20 mai 1998, Décisions et rapports (DR) 49, p. 67), était prévue par la loi, à savoir l'article 2 de la loi no 17/1994, et visait un but légitime d'intérêt général, à savoir la protection des intérêts des locataires dans un contexte caractérisé par une pénurie de logements à loyer modéré.
44.  De plus, l'ingérence en question ne serait pas disproportionnée, la prorogation légale en cause ayant ménagé un juste équilibre entre l'intérêt général de la communauté et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Le Gouvernement ajoute que la jurisprudence développée par la Cour dans l'arrêt Immobiliare Saffi c. Italie ([GC], no 22774/93, CEDH 1999-V) ne trouve pas application en l'espèce. Il souligne également que la requérante n'a pas invoqué devant les juridictions internes d'autre raison pour obtenir l'expulsion des locataires que l'inexistence du titre locatif de la famille D. En particulier, elle ne se serait pas plainte du non-paiement des loyers comme l'y aurait autorisée l'article 24 de la loi no 114/1996.
45.  En outre, relevant que le bail d'habitation prorogé en vertu de l'OUG no 40/1999 a pris fin le 8 avril 2004, le Gouvernement allègue que la requérante n'a pas fait d'autres démarches, notamment après la date susmentionnée, en vue d'expulser les occupants de son appartement ou d'éclaircir leur situation.
46.  La requérante renvoie aux faits pertinents et estime qu'au vu des circonstances de l'espèce la limitation de ses prérogatives de propriétaire a constitué une mesure disproportionnée.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Principes généraux se dégageant de la jurisprudence de la Cour
47.  La Cour rappelle que l'article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu'une ingérence de l'autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. En particulier, le second alinéa de cet article, tout en reconnaissant aux Etats le droit de réglementer l'usage des biens, pose la condition que ce droit doit s'exercer par la mise en vigueur de « lois ». De plus, le principe de légalité présuppose l'existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 147, CEDH 2004-V, avec d'autres références, et Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, § 47, CEDH 2006-VIII). La Cour est en outre appelée à vérifier si la manière dont le droit interne est interprété et appliqué, même en cas de respect des exigences légales, produit des effets conformes aux principes de la Convention (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, §§ 108-110, CEDH 2000-I).
48.  Par ailleurs, l'ingérence dans le droit de propriété doit non seulement viser un « but légitime » conforme à « l'intérêt général », mais également garder un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure appliquée par l'Etat, y compris les mesures destinées à réglementer l'usage des biens d'un individu. C'est ce qu'exprime la notion de « juste équilibre » devant être ménagé entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. Dans des affaires concernant le fonctionnement d'une législation de grande ampleur sur le logement, cette appréciation peut porter non seulement sur l'étendue de l'ingérence de l'Etat dans la liberté contractuelle et les relations contractuelles sur le marché locatif, mais aussi sur l'existence de garanties procédurales et autres destinées à assurer que le fonctionnement du système et son impact sur les droits patrimoniaux du propriétaire ne soient ni arbitraires ni imprévisibles. L'incertitude – qu'elle soit législative, administrative ou qu'elle tienne aux pratiques suivies par les autorités – est un facteur qu'il faut prendre en compte pour apprécier la conduite de l'Etat. En effet, lorsqu'une question d'intérêt général est en jeu, les pouvoirs publics sont tenus de réagir en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande cohérence (voir, mutatis mutandis, Broniowski, précité, § 151, et Hutten-Czapska, précité, §§ 167-168).
2.  Application en l'espèce des principes susmentionnés
49.  La Cour relève d'abord qu'il n'est pas contesté en l'espèce que les dispositions légales internes prorogeant de droit les baux d'habitation, notamment la loi no 17/1994 dont l'application par la cour d'appel de Bucarest a entraîné le maintien de la famille D. dans l'appartement de la requérante, s'analysent en une réglementation de l'usage des biens et que le second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 entre dès lors en jeu (Hutten-Czapska, précité, §§ 160-161).
50.  La Cour note ensuite que l'ingérence litigieuse a été fondée en dernière instance sur la loi no 17/1994. Celle-ci prévoyait que, quel que soit le propriétaire, les baux d'habitation concernant les logements dont la location était réglementée par la loi no 5/1973 étaient prorogés de plein droit pour une période de cinq ans, sans modification des conditions contractuelles.
51.  Réitérant que le principe de légalité présuppose également l'existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application, la Cour observe qu'à certains égards la loi no 17/1994 manquait de précision. En particulier, cette loi ne prévoyait pas la procédure en vertu de laquelle les anciens propriétaires qui se sont vu restituer les biens nationalisés après l'entrée en vigueur de la loi pouvaient conclure des baux d'habitation avec les anciens locataires de l'Etat, pas plus qu'elle ne contenait de disposition de sanction en cas de refus de ces derniers de reconnaître les propriétaires comme tels et de conclure des baux (paragraphes 26 et 28 ci-dessus).
52.  La Cour estime que, nonobstant la jurisprudence interne divergente en matière d'application dans le temps d'une loi nouvelle (paragraphes 39 à 41 ci-dessus), il convient de conclure que l'ingérence litigieuse était compatible avec l'exigence de légalité. Elle note toutefois que l'élément d'imprécision relevé dans la loi no 17/1994 et le degré de prévisibilité de l'application de cette loi en l'espèce entrent en ligne de compte dans l'examen de la conformité de la mesure litigieuse aux exigences du juste équilibre entre les intérêts en présence (voir, mutatis mutandis, Beyeler, précité, §§ 108 et 110).
53.  Quant au but poursuivi par l'ingérence litigieuse, la Cour admet avec le Gouvernement que l'ingérence en cause poursuivait un but légitime conforme à l'intérêt général, à savoir la protection sociale des locataires dans un contexte caractérisé par une pénurie de logements à loyer modéré.
54.  S'agissant du respect du juste équilibre entre les intérêts en cause, la Cour rappelle que la mise en place par les autorités nationales d'un système de protection des locataires n'est pas critiquable en soi, vu notamment la grande marge d'appréciation autorisée par le second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1. Cependant, dès lors qu'un tel système comporte le risque d'imposer au bailleur une charge excessive quant à la possibilité de disposer de son bien, les autorités sont tenues d'instaurer des procédures ou des mécanismes législatifs prévisibles et cohérents, en prévoyant certaines garanties pour que leur mise en œuvre et leur incidence sur le droit de propriété du bailleur ne soient ni arbitraires ni imprévisibles (Radovici et Stănescu, précité, § 76).
55.  En l'espèce, la Cour observe d'abord que, les 21 et 28 juin 1995, les autorités ont informé la requérante et la famille D. que, compte tenu de la résiliation du bail de celle-ci avec la société T., elles devaient régler leurs relations contractuelles soit à l'amiable soit par une action en justice. Or il ressort du dossier que la famille D. a refusé, de manière réitérée, de conclure un bail avec la requérante ou de lui payer un loyer. Par ailleurs, la Cour relève que l'action en expulsion de la requérante, fondée sur la loi no 114/1996 et sur l'OUG no 40/1999, a été rejetée bien que l'intéressée eût motivé son action également par le non-paiement des loyers par les occupants de son appartement. Au demeurant, la Cour rappelle avoir déjà conclu dans sa décision sur la recevabilité de la présente requête que la procédure d'expulsion fondée sur l'article 24 de la loi no 114/1996 n'était pas efficace en l'espèce (Tarik c. Roumanie (déc.), no 75849/01, 14 juin 2007).
56.  La Cour rappelle ensuite avoir jugé dans d'autres affaires concernant la conciliation des intérêts antagonistes des propriétaires et des locataires que la charge sociale et financière que supposent la transformation et la réforme du logement dans un pays ne saurait reposer sur un groupe social particulier, quelle que soit l'importance que revêtent les intérêts de l'autre groupe ou de la collectivité dans son ensemble (voir, mutatis mutandis, Hutten-Czapska, précité, § 225, et Radovici et Stanescu, précité, § 88 in fine). Or elle observe en l'espèce que la loi no 17/1994, sur laquelle s'est fondée la cour d'appel de Bucarest, a non seulement prorogé de cinq ans les baux d'habitation des anciens locataires, mais a également maintenu pendant cette période les mêmes conditions contractuelles que celles fixées par la loi no 5/1973, y compris les critères chiffrés de calcul du loyer, sans prendre en compte la forte inflation que connaissait le pays à l'époque des faits (paragraphes 26 à 30 ci-dessus).
57.  Enfin, eu égard aux circonstances de l'espèce et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que l'entrée en vigueur de l'OUG no 40/1999 ne saurait être considérée comme ayant porté remède à la situation de la requérante. A ce titre, elle rappelle avoir déjà jugé que les dispositions défectueuses et les lacunes relevées dans l'OUG no 40/1999 dans le cas de propriétaires qui n'avaient pas adressé aux occupants de leur appartement la notification requise dans le délai prévu par l'ordonnance en raison de litiges pendants contre ces derniers ont eu pour effet de faire subir aux propriétaires en question une charge disproportionnée (Radovici et Stănescu, précité, § 88).
58.  A la lumière de ce qui précède, la Cour considère que les restrictions subies par la requérante pendant plusieurs années quant à l'usage de son appartement, et notamment l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de percevoir un loyer en raison des dispositions défectueuses et des lacunes relevées dans la loi no 17/1994 et dans l'OUG no 40/1999, n'ont pas ménagé un juste équilibre entre la protection du droit de l'individu au respect de ses biens et les exigences de l'intérêt général.
Partant, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
59.  La requérante se plaint de l'iniquité de la procédure devant la cour d'appel de Bucarest. Elle allègue à cet égard que la juridiction n'a pas examiné au fond tous les moyens de l'action en expulsion et qu'elle a écarté de manière arbitraire l'application en l'espèce de l'OUG nº 40/1999. Elle invoque en substance l'article 6 § 1 de la Convention, qui, dans sa partie pertinente en l'espèce, se lit comme :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
60.  Le Gouvernement considère que la requérante a eu l'opportunité de répondre aux moyens de recours formulés par la famille D. devant la cour d'appel de Bucarest et, notamment, à celui tiré de la méconnaissance des dispositions légales sur la protection des locataires par les juridictions de fond et d'appel. Il estime par ailleurs qu'à l'audience du 22 février 2001 les parties ont eu l'occasion de débattre en séance publique et de présenter leurs arguments à l'appui ou à l'encontre du recours de la famille D. La requérante y aurait ainsi réitéré ses arguments relatifs au refus des locataires de répondre à la notification faite en vertu de l'OUG no 40/1999 et au non-paiement par ceux-ci du loyer qu'elle alléguait être en droit de percevoir.
61.  S'agissant de la manière dont la cour d'appel de Bucarest a motivé son arrêt du 28 février 2001, le Gouvernement renvoie à la jurisprudence de la Cour (Ruiz Torija c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-A, p. 12, § 29, et Garcia Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 26, CEDH 1999-I) et estime que, dans la mesure où la cour d'appel a écarté l'application de l'OUG no 40/1999 en l'espèce, il n'y avait aucune raison pour qu'elle réponde aux autres arguments de la requérante, fondés sur cette même disposition légale.
62.  La requérante conteste les arguments du Gouvernement et estime que la manière dont la cour d'appel a rendu son arrêt du 28 février 2001 a méconnu son droit à un procès équitable.
63.  Eu égard à son appréciation de l'espèce et à ses conclusions (paragraphes 49-58 ci-dessus), la Cour considère qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le fond de ce grief (voir, mutatis mutandis, Popescu et Toader c. Roumanie, no 27086/02, 8 mars 2007).
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
64.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
65.  La requérante demande 43 500 euros (« EUR ») au titre du dommage matériel qu'elle estime avoir subi en raison du non-paiement des loyers de son appartement à partir de juin 1995 et qu'elle a évalué sur la base d'un loyer mensuel de 300 EUR. Elle sollicite en outre 30 000 EUR pour préjudice moral en réparation des désagréments et des souffrances résultant de l'impossibilité de jouir de son bien.
66.  Le Gouvernement estime que la prétention de la requérante au titre du dommage matériel est de nature spéculative et que, au demeurant, cette demande ne saurait concerner que la période postérieure au prononcé de l'arrêt du 28 février 2001 de la cour d'appel de Bucarest. Il ajoute que la requérante aurait pu obtenir en justice le paiement des loyers dus par la famille D. au moyen d'une action en expulsion fondée sur l'OUG no 40/1999 et engagée au terme de la prolongation du bail, et que, partant, le droit interne permettait d'effacer le préjudice matériel dû au comportement illégal du locataire. Cependant, concédant que le non-paiement des loyers par les occupants de son appartement a causé à l'intéressée un préjudice matériel, le Gouvernement considère qu'il convient de prendre en compte qu'à l'époque des faits la requérante ne pouvait obtenir en vertu des dispositions de l'OUG no 40/1999 qu'un loyer plafonné.
67.  Quant à la demande de la requérante pour préjudice moral, le Gouvernement estime que ce préjudice se trouve suffisamment compensé par le constat de violation de l'article 1 du Protocole no 1.
68.  S'agissant de la demande au titre du dommage matériel, la Cour a constaté en l'espèce une violation de l'article 1 du Protocole no 1 en raison des restrictions subies par la requérante pendant plusieurs années relativement à l'usage de son appartement. Elle a notamment reconnu l'impossibilité dans laquelle l'intéressée s'est trouvée, du fait des dispositions défectueuses et des lacunes relevées dans la loi no 17/1994 et dans l'OUG no 40/1999, de faire condamner les occupants des lieux à lui verser un loyer. L'octroi d'une somme pour privation de jouissance de son appartement est donc en liaison directe avec la violation constatée. De plus, la Cour note qu'en l'espèce, comme dans l'affaire Popescu et Toader précitée, la famille D. continue à occuper l'appartement de la requérante sans payer un quelconque loyer.
69.  Tout en admettant que la requérante a indéniablement subi un préjudice matériel du fait de la violation constatée, la Cour estime que les éléments du dossier ne permettent pas d'établir avec précision l'ampleur du préjudice effectivement supporté.
70.  S'agissant de la demande de l'intéressée au titre du dommage moral, la Cour considère que la frustration résultant des restrictions subies par la requérante pendant plusieurs années quant à l'usage de son appartement ne saurait être réparée par le simple constat de violation figurant dans le présent arrêt.
71.  Dans ces circonstances, eu égard à l'ensemble des éléments dont elle dispose et statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue à la requérante 8 000 EUR, toutes causes de préjudice confondues.
B.  Frais et dépens
72.  La requérante sollicite également l'octroi d'une somme, à fixer par la Cour, en remboursement des frais et dépens exposés devant les juridictions internes et des frais de secrétariat (traductions, correspondance, photocopies, téléphone, etc.), mais elle ne fournit aucun justificatif à l'appui de sa demande.
73.  Le Gouvernement ne s'oppose pas à l'octroi d'une somme au titre des frais et dépens pour autant qu'il s'agisse de dépenses réelles, nécessaires et raisonnables.
74.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'absence de tout justificatif, la Cour n'octroie à la requérante aucune somme à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
75.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
2.  Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner au fond le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros) pour dommages matériel et moral, ainsi que toute somme pouvant être due à titre d'impôt ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 février 2008, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič   Greffier Président
ARRÊT TARIK c. ROUMANIE
ARRÊT TARIK c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 75849/01
Date de la décision : 07/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété

Parties
Demandeurs : TARIK
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-07;75849.01 ?

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