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07/02/2008 | CEDH | N°77210/01

CEDH | AFFAIRE ARSENOVICI c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE ARSENOVICI c. ROUMANIE
(Requête no 77210/01)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Arsenovici c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   Dav

id Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE ARSENOVICI c. ROUMANIE
(Requête no 77210/01)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Arsenovici c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 janvier 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 77210/01) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Zoe Delia Arsenovici (« la requérante »), a saisi la Cour le 28 février 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante est représentée par Me I.-G. Bârsan, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. H. Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Le 13 octobre 2004, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4.  La requérante est née en 1918 et réside à Bucarest.
5.  Par un jugement du 21 avril 1997, le tribunal de première instance de Bucarest accueillit l'action de la requérante en revendication d'un immeuble nationalisé sans titre par l'Etat en 1950. En l'absence de recours, le jugement devint définitif.
6.  Le 22 décembre 1997, le maire de Bucarest ordonna à la direction de la mairie chargée de l'administration du fond immobilier de la ville la restitution de l'immeuble à la requérante et la radiation du titre de propriété de l'Etat du registre de publicité immobilière.
7.  Le 20 janvier 1998, la société commerciale à capital d'Etat S.C. Herastrau Nord S.A. (« la société H. »), chargée de l'administration du fond locatif de la mairie, conclut un contrat de bail avec la famille C., qui habitait un appartement de 80 m2 de l'immeuble en question en tant que locataires de l'Etat en vertu d'un contrat de 1983. Le nouveau contrat, conclu pour la période du 18 avril 1994 au 18 avril 1999, était signé par la société H. en tant que « propriétaire », cette dernière fixant le loyer mensuel à 326 lei roumains (« ROL »), conformément aux critères chiffrés établis par la loi nº 5/1973. Le contrat, qui ne fut pas communiqué à la requérante, ne faisait aucune mention du fait que l'appartement en cause n'était plus dans le patrimoine de l'Etat.
8.  Par un procès-verbal du 10 mars 1998, la mairie mis un mandataire de la requérante en possession de l'appartement et l'informa des droits des locataires de l'immeuble, conformément à la loi nº 17/1994 sur la prorogation ou le renouvellement des baux d'habitation (« la loi no 17/1994 »), de bénéficier d'une prolongation de leurs baux de cinq ans. Selon le Gouvernement, à partir de cette date, la société H. a cessé de percevoir de loyers pour l'appartement habité par la famille C.
9.  Le 2 avril 1998, la requérante, en tant que propriétaire de l'immeuble, informa, par huissier de justice, les locataires de sa proposition de conclure des contrats de bail avec elle, l'Etat n'étant plus leur bailleur. Tous les locataires de l'immeuble y consentirent, à l'exception de la famille C., qui ne donna aucune suite à la notification de la requérante et qui refusa tout contact avec elle, ne lui payant aucun loyer.
10.  Le 26 mai 1998, la requérante saisit le tribunal de première instance de Bucarest d'une action en expulsion de la famille C. de son appartement, faisant valoir que cette dernière ne saurait bénéficier des dispositions légales en matière de protection des locataires compte tenu de l'absence de bail et de son refus de prendre contact avec elle. A la demande de la requérante, le tribunal adressa un questionnaire aux époux C., mais ils refusèrent d'y répondre.
11.  Par un jugement du 14 octobre 1998, le tribunal de première instance rejeta l'action en expulsion, en vertu de la loi nº 17/1994. Il constata que la famille C. disposait d'un contrat de bail du 8 décembre 1983 conclu avec l'Etat et jugea que la loi nº 17/1994 prévoyait l'obligation du propriétaire de maintenir les locataires dans leurs droits pour une période de cinq ans.
12.  Par un arrêt du 3 novembre 1999, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l'appel de la requérante. Il constata que la famille C. bénéficiait d'un contrat de bail valable daté du 20 janvier 1998 et qu'elle n'avait pas été partie à la procédure en revendication de l'immeuble introduite par la requérante.
13.  La requérante forma un recours contre l'arrêt du 3 novembre 1999 devant la cour d'appel de Bucarest. Elle souligna que la famille C. avait refusé tout contact avec elle depuis presque trois ans, que le bail conclu en janvier 1998 avec la société H. était nul et que les tribunaux chargés de l'affaire n'avaient pas tiré les conséquences légales du refus de la famille C. de répondre à l'interrogatoire, conformément à l'article 225 du code de procédure civile. La famille C. mentionna qu'elle était d'accord de conclure un bail avec la requérante, à condition que le loyer tienne compte de ses revenus. Elle soutint avoir envoyé à la requérante le loyer pour cinq mois, y compris pour mai 1998, mais ne déposa aucun document de preuve, ni ne précisa le mode de calcul ou la date d'envoi du loyer.
14.  Par un arrêt du 4 septembre 2000, la cour d'appel de Bucarest rejeta le recours de la requérante comme mal fondé. Il constata que la famille C. bénéficiait d'un contrat de bail valable, conclu avec l'Etat le 8 décembre 1983, et que ce contrat avait été prorogé successivement en vertu de la loi, la dernière fois conformément à la loi no 17/1994, applicable en l'espèce par rapport à la date d'introduction de l'action. La cour d'appel releva également l'intention de la famille C. de conclure un contrat de bail avec la requérante, à condition de payer un loyer adapté à ses revenus.
15.  Par des lettres des 1er septembre 2004 et 29 août 2007, la requérante indiqua au greffe de la Cour que la famille C. habitait toujours l'appartement en question sans avoir conclu de bail avec elle. D'après la requérante, la famille C. n'aurait pas payé de montant au titre de loyers jusqu'en mars 2004, fixant ensuite de manière unilatérale la somme qu'elle lui versait à 4,88 EUR et, en 2007, à environ 6 EUR, ces montants étant manifestement dérisoires au vu des loyers pratiqués pour un appartement de 80 m2 sis dans un quartier résidentiel de Bucarest.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
16.  L'essentiel de la réglementation interne pertinente en la matière, à savoir des extraits des lois no 5/1973 sur la gestion des logements et les rapports entre propriétaires et locataires (« la loi no 5/1973 »), no 114 du 11 octobre 1996 sur le logement (« la loi no 114/1996 »), ainsi que l'OUG no 40 du 8 avril 1999 sur la protection des locataires et la fixation du montant du loyer pour les locaux à usage d'habitation (« l'OUG no 40/1999 ») et la loi no 241 du 16 mai 2001 qui a approuvé l'OUG no 40/1999 (« la loi no 241/2001 »), est décrit dans l'affaire Radovici et Stănescu c. Roumanie (requêtes nos 68479/01, 71351/01 et 71352/01 jointes, §§ 53 à 59, arrêt du 2 novembre 2006).
17.  Les dispositions légales et la jurisprudence interne citées ci-dessous sont également pertinentes en l'espèce.
A.  La loi no 17/1994 du 8 avril 1994 sur la prorogation et le renouvellement des baux d'habitation (« la loi no 17/1994 »)
18.  Les articles pertinents de cette loi se lisaient comme suit :
Article 1
« Quel que soit le propriétaire, tous les baux d'habitation concernant les logements dont la location est réglementée par la loi no 5/1973 (...) et qui sont en cours au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi sont prorogés de plein droit pour une période de cinq ans, dans les mêmes conditions [que celles fixées par la loi no 5/1973]. »
Article 2
« Les baux d'habitation concernant les logements mentionnés à l'article 1 de la présente loi, qui étaient en vigueur au 1er janvier 1988, ainsi que ceux conclus et expirés après le 1er janvier 1988 sont renouvelés dans les mêmes conditions, si le locataire occupe actuellement le logement ayant fait l'objet du bail. »
19.  Dans les arrêts nos 1556 du 21 novembre 1997 et 1567A du 22 juin 2000, la cour d'appel de Bucarest et le tribunal départemental de Brasov ont jugé que la prorogation de plein droit, découlant de la loi no 17/1994, des baux d'habitation dans les mêmes conditions contractuelles que celles fixées par la loi no 5/1973 signifiait que le montant du loyer mensuel dû par l'ancien locataire de l'Etat au nouveau propriétaire restait inchangé.
20.  L'arrêt 1567A du 22 juin 2000 précité précisait également qu'entre l'entrée en vigueur de la loi no 17/1994 et celle de l'OUG no 40/1999 il y avait un vide législatif dans la mesure où la première loi ne prévoyait pas la procédure en vertu de laquelle les anciens propriétaires qui s'étaient vu restituer les biens nationalisés pouvaient conclure de nouveaux baux d'habitation avec les anciens locataires de l'Etat.
B.  La loi no 114/1996 sur le logement (« la loi no 114/1996 »)
21.  L'article 24 de cette loi se lit comme suit :
« Le locataire perd le droit d'occuper le logement objet du bail et est expulsé dans les cas suivants :
d)  Si, de mauvaise foi, il omet pendant trois mois consécutifs de s'acquitter du loyer ou des charges.
L'expulsion du locataire dans les cas prévus par le présent article est ordonnée par décision de justice. »
C.  Jurisprudence interne concernant l'expulsion des locataires de l'Etat des immeubles restitués aux anciens propriétaires et l'application de l'OUG no 40/1999
22.  L'OUG no 40/1999, telle que modifiée par la loi no 241/2001, prévoyait la prorogation de droit de cinq ans des baux d'habitation portant sur des appartements restitués à leurs anciens propriétaires. Les tribunaux internes ont ainsi examiné des demandes d'expulsion des locataires introduites avant et après le 8 avril 2004, date qui marquait la fin du délai de cinq ans mentionné par l'OUG no 40/1999.
1.  Jurisprudence des tribunaux concernant les effets de l'OUG no 40/1999 avant le 8 avril 2004
23.  Par un arrêt no 4193/2000, la cour d'appel de Bucarest a rejeté l'action en expulsion introduite par un propriétaire contre le locataire de l'Etat qui occupait son appartement. Elle a jugé que le transfert de propriété de l'Etat à l'ancien propriétaire incluait également pour ce dernier l'obligation in rem, qui avait incombé aux autorités, d'assurer au locataire le droit d'usage de l'appartement selon les dispositions légales en vigueur. Or ce propriétaire n'avait pas respecté la procédure prévue par l'OUG no 40/1999, applicable en l'espèce, alors que le locataire avait, quant à lui, manifesté son souhait de conclure un nouveau contrat de bail. Dans une autre affaire, par un arrêt no 3113/2000, la cour d'appel de Bucarest, se fondant sur l'OUG no 40/1999, a accueilli la demande du propriétaire d'un appartement et a ordonné l'expulsion de son locataire qui avait toujours refusé, malgré la notification qui lui avait été adressée en vertu des dispositions légales susmentionnées, de conclure un bail avec le propriétaire.
24.  Par un arrêt no 3276/2000, la cour d'appel de Bucarest a débouté un propriétaire de l'action en expulsion intentée à son locataire au motif que le propriétaire avait négligé d'adresser une notification au locataire, comme l'exigeait l'OUG no 40/1999. Elle a précisé que le non-respect du délai de notification prescrit était sanctionné par l'article 11 de l'ordonnance, lequel prévoyait que l'ancien bail était prolongé de droit et que le propriétaire ne pouvait demander l'expulsion du locataire pour non-paiement de loyer avant la conclusion d'un nouveau bail.
2.  Jurisprudence des tribunaux concernant les effets de l'OUG no 40/1999 après le 8 avril 2004
25.  Par un arrêt du 10 novembre 2006, la cour d'appel de Bucarest a jugé que le locataire qui disposait d'un bail prolongé ope legis jusqu'au 8 avril 2004 en vertu du défaut d'une notification conforme à l'OUG no 40/1999 voyait, en l'absence renouvelée d'une telle notification, son bail prolongé une nouvelle fois pour une période de cinq ans en vertu de l'article 14 de l'ordonnance, sauf s'il renonçait au bénéfice octroyé par l'OUG no 40/1999 ou s'il aboutissait à un accord avec son propriétaire sur une autre durée du bail. Dans une autre affaire, par un arrêt du 18 avril 2006, la cour d'appel de Bucarest a jugé qu'à défaut de notification dans les conditions de fond et de forme de l'OUG no 40/1999 le bail en cause était prolongé une nouvelle fois pour une période de cinq ans.
D.  Le code de procédure civile
26.  L'article 225 du code de procédure civile est libellé ainsi :
« Si une partie (au procès) refuse, sans motifs sérieux, de répondre au questionnaire (interogatoriu) ou ne s'y présente pas, le tribunal peut considérer cette attitude comme un aveu entier ou seulement comme un commencement de preuve en faveur de la partie adverse. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DE LA CONVENTION
27.  La requérante allègue une atteinte à son droit de propriété contraire à l'article 1 du Protocole no 1, en raison de l'impossibilité prolongée dans laquelle elle se trouve d'utiliser un appartement qui lui avait été rétrocédé ou de percevoir un loyer, impossibilité résultant de l'application des dispositions adoptées par les autorités en matière de baux d'habitation. L'article 1 du Protocole no 1 est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A.  Sur la recevabilité
28.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Selon lui, la requérante aurait dû engager contre les locataires, en vertu de l'article 24 de la loi no 114/1996, une procédure de résiliation du bail et d'expulsion fondée sur le non-paiement des loyers pendant plus de trois mois consécutifs. De même, elle aurait pu contacter les locataires, selon les conditions de forme prévues par l'OUG no 40/1999 et dans les trente jours suivant l'entrée en vigueur de cette ordonnance, afin de conclure un nouveau bail ou, en cas de refus des locataires, demander leur expulsion en référé, conformément aux articles 10 et 11 de cette ordonnance. Le Gouvernement renvoie à un arrêt définitif rendu par les tribunaux internes qui ont accueilli l'action en expulsion d'un locataire notifié conformément à l'OUG no 40/1999 (voir le paragraphe 23 in fine ci-dessus).
29.  La requérante estime que la voie invoquée par le Gouvernement en vertu de l'OUG no 40/1999 n'était pas applicable en l'espèce, puisque la procédure en expulsion qu'elle avait engagée contre les locataires était pendante devant les tribunaux lors de l'entrée en vigueur de cette ordonnance, qui ne saurait avoir d'effet rétroactif.
30.  La Cour rappelle que, dans une affaire similaire, elle a déjà jugé que la procédure d'expulsion fondée sur l'article 24 de la loi no 114/1996, invoquée par le Gouvernement n'était pas efficace (Radovici et Stănescu c. Roumanie, nos 68479/01, 71351/01 et 71352/01, §§ 62-66, 2 novembre 2006).
31.  Quant à la procédure prévue aux articles 10 et 11 de l'OUG no 40/1999 susceptible d'aboutir à la conclusion d'un nouveau bail ou, à défaut de réponse, à l'expulsion des locataires occupant l'appartement en vertu d'un bail conclu avec l'Etat, la Cour observe que cette procédure reposait sur la notification par la requérante aux locataires, par un huissier de justice et dans un délai de trente jours à partir de l'entrée en vigueur de l'ordonnance, de sa proposition de conclure un nouveau bail. Or, la Cour note qu'à cette époque, la procédure en expulsion engagée par la requérante à la suite d'une première notification aux locataires demeurée sans réponse était encore pendante. A cet égard, elle rappelle avoir déjà jugé que le Gouvernement n'a pas fourni d'éléments prouvant l'efficacité de la voie dont disposerait le propriétaire ayant omis, par méconnaissance ou négligence, de respecter les conditions de forme imposées par l'article 10 § 1 de l'OUG no 40/1999 pour conclure un nouveau bail avec les occupants de son immeuble avant le terme de la prolongation légale des contrats (Radovici et Stanescu, précité, § 80). Rien ne permet à la Cour de s'écarter de cette conclusion, le Gouvernement n'ayant pas fourni des exemples de jurisprudence permettant de conclure en l'espèce que, nonobstant les dispositions légales en cause, il y avait une jurisprudence établie faisant droit aux actions en expulsion engagées contre les locataires lorsque le délai de notification prévu par l'OUG no 40/1999 n'avait pas été respecté par les propriétaires.
32.  Dans ces circonstances, la Cour considère que le Gouvernement n'a pas démontré avec un degré suffisant de certitude l'existence d'une voie de recours permettant à la requérante d'obtenir l'expulsion des locataires (voir, mutatis mutandis, Radovici et Stanescu, précité, §§ 62-66). Partant, l'exception du Gouvernement ne saurait être retenue.
33.  Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
1.  Thèses des parties
34.  Le Gouvernement admet que le refus des juridictions nationales d'accueillir l'action en expulsion de la famille C. s'analyse en une ingérence dans le droit de la requérante d'user de leur appartement, justifiée sous l'angle du second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 au titre de la réglementation de l'usage des biens. Selon le Gouvernement, cette ingérence était prévue par la loi, à savoir l'article 2 de la loi no 17/1994, visait un but légitime d'intérêt général, soit la protection des intérêts des locataires dans le contexte de la pénurie de logements bon marchés, et n'était pas disproportionnée à celui-ci.
35.  Au regard de la proportionnalité de l'ingérence, le Gouvernement se réfère à l'affaire Robitu c. Roumanie (no 33352/96, décision de la Commission du 20 mai 1998, Décisions et rapports (DR) 49, p. 67), et estime que la requérante aurait pu obtenir l'expulsion de la famille C. pour non paiement des loyers, même en l'absence d'un contrat de bail écrit. Par ailleurs, le Gouvernement soutient que la loi no 17/1994 a représenté une solution temporaire en matière de logement et met en avant l'adoption par les autorités de l'OUG no 40/1999 qui permet aux propriétaires de renégocier les clauses du bail, d'imposer aux locataires, sous certaines conditions, un échange obligatoire de logement ou de faire ordonner leur expulsion par les tribunaux internes lorsqu'ils refusaient de conclure un bail.
36.  La requérante conteste les arguments du Gouvernement. S'appuyant sur des dispositions du code civil concernant la vente de la chose louée, elle soutient que le bail conclu par les autorités avec la famille C. ne lui était pas opposable puisqu'il n'avait pas été dûment enregistré, n'ayant pas de « date certaine ». Quant à l'OUG no 40/1999, elle considère que ses dispositions ne sont pas applicables en l'espèce, car la procédure en expulsion était pendante devant les tribunaux au moment de l'entrée en vigueur de celle-ci.
2.  Appréciation de la Cour
37.  La Cour rappelle que l'article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu'une ingérence de l'autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. En particulier, le deuxième alinéa de cet article, tout en reconnaissant aux Etats le droit de réglementer l'usage des biens, pose la condition que ce droit s'exerce par la mise en vigueur de « lois », le principe de légalité présupposant l'existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 147, CEDH 2004-V, avec d'autres références). La Cour est en outre appelée à vérifier si la manière dont le droit interne est interprété et appliqué, même en cas de respect des exigences légales, produit des effets conformes aux principes de la Convention (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, §§ 108-110, CEDH 2000-I).
38.  Par ailleurs, l'ingérence dans le droit de propriété doit non seulement viser un « but légitime » conforme à « l'intérêt général », mais également garder un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure appliquée par l'Etat, y compris les mesures destinées à réglementer l'usage des biens d'un individu. C'est ce qu'exprime la notion du « juste équilibre » qui doit être ménagé entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. Dans des affaires concernant le fonctionnement d'une législation de grande ampleur sur le logement, cette appréciation peut porter non seulement sur l'étendue de l'ingérence de l'Etat dans la liberté contractuelle et les relations contractuelles sur le marché locatif mais aussi sur l'existence de garanties procédurales et autres destinées à assurer que le fonctionnement du système et son impact sur les droits patrimoniaux du propriétaire ne soient ni arbitraires ni imprévisibles. L'incertitude – qu'elle soit législative, administrative, ou qu'elle tienne aux pratiques suivies par les autorités – est un facteur qu'il faut prendre en compte pour apprécier la conduite de l'Etat. En effet, lorsqu'une question d'intérêt général est en jeu, les pouvoirs publics sont tenus de réagir en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande cohérence (voir, mutatis mutandis, Broniowski, précité, § 151, et Hutten-Czapska, [GC], no 35014/97, §§ 167-168, CEDH 2006-...).
39.  En l'espèce, la Cour relève qu'il n'est pas contesté que les dispositions légales internes prorogeant de droit les baux d'habitation, et notamment la loi no 17/1994 dont l'application par la cour d'appel de Bucarest a entraîné le maintien de la famille C. dans l'appartement de la requérante, s'analysent en une réglementation de l'usage des biens et que le second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 entre dès lors en jeu (Hutten-Czapska, précité, §§ 160-161).
40.  La Cour observe cependant que la loi no 17/1994 prévoyait que, quel que soit le propriétaire, les baux d'habitation concernant les logements dont la location était réglementée par la loi n° 5/1973 étaient prorogés de plein droit pour une période de cinq ans, sans modification des conditions contractuelles. Réitérant que le principe de légalité signifie également l'existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application, elle observe qu'à certains égards la loi no 17/1994 manquait de précision. Notamment, cette loi ne prévoyait pas de procédure en vertu de laquelle les anciens propriétaires qui se sont vu restituer les biens nationalisés après l'entrée en vigueur de la loi pouvaient conclure de baux d'habitation avec les anciens locataires de l'Etat, pas plus qu'elle ne contenait de sanction en cas de refus de ces derniers de les reconnaître en tant que propriétaires et de conclure des baux (voir les paragraphes 18 et 20 ci-dessus).
41.  La Cour estime que, à supposer même que l'ingérence litigieuse fût compatible avec la condition de légalité, l'élément d'imprécision relevé dans la loi no 17/1994 et ses effets entrent en ligne de compte dans l'examen de la conformité de la mesure litigieuse aux exigences du juste équilibre entre les intérêts en présence (voir, mutatis mutandis, Beyeler, précité, §§ 108 et 110).
42.  Quant au but poursuivi par l'ingérence litigieuse, avec le Gouvernement, la Cour admet que l'ingérence en cause poursuivait un but légitime conforme à l'intérêt général, à savoir la protection sociale des locataires dans une situation qui se caractérisait par la pénurie de logements bon marché.
43.  S'agissant du respect du juste équilibre entre les intérêts en cause, la Cour rappelle que la mise en place par les autorités nationales d'un système de protection des locataires n'est pas critiquable en soi, vu notamment la grande marge d'appréciation autorisée par le second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1. Cependant, dès lors qu'il comportait le risque d'imposer au bailleur une charge excessive quant à la possibilité de disposer de son bien, les autorités étaient tenues d'instaurer des procédures ou des mécanismes législatifs prévisibles et cohérents, en prévoyant certaines garanties pour que leur mise en œuvre et leur incidence sur le droit de propriété du bailleur ne soient ni arbitraires ni imprévisibles (Radovici et Stanescu, précité, § 76).
44.  La Cour ne saurait partager la thèse du Gouvernement quant à la proportionnalité de l'ingérence en l'espèce. Elle note d'emblée que la requérante n'a jamais conclu de bail avec les occupants de son appartement, qui y logeaient en vertu d'un bail d'habitation conclu avec l'Etat en 1983 et prolongé successivement par l'effet des dispositions légales en matière de protection des locataires (voir Radovici et Stanescu, précité, § 78 ; a contrario, Hutten-Czapska précité, § 224).  S'agissant de la possibilité pour la requérante d'obtenir l'expulsion de la famille C. même en l'absence d'un contrat de bail écrit, la Cour rappelle avoir conclu à l'absence d'éléments permettant de confirmer l'efficacité des voies de recours invoquées par le Gouvernement (voir les paragraphes 30-32 ci-dessus).
45.  Quant à l'argument du Gouvernement tiré du caractère temporaire des dispositions de la loi no 17/1994, la Cour rappelle avoir jugé dans d'autres affaires concernant la conciliation des intérêts antagonistes des propriétaires et des locataires, que la charge sociale et financière que supposent la transformation et la réforme du logement dans un pays ne saurait reposer sur un groupe social particulier, quelle que soit l'importance que revêtent les intérêts de l'autre groupe ou de la collectivité dans son ensemble (voir, mutatis mutandis, Hutten-Czapska précité, § 225, et Radovici et Stanescu, précité, § 88 in fine). Or, elle observe en l'espèce que la loi no 17/1994, sur laquelle se sont fondées les juridictions internes, a non seulement prolongé de cinq ans les baux d'habitation des anciens locataires, mais – tel qu'il ressort du droit interne pertinent – a également maintenu pendant cette période les mêmes conditions contractuelles fixées par la loi no 5/1973, y compris les critères chiffrés de calcul du loyer, sans avoir égard à la forte inflation que connaissait le pays à l'époque des faits (voir les paragraphes 18 et 19 ci-dessus).
46.  La Cour estime enfin qu'au regard des circonstances de l'espèce et de sa jurisprudence en la matière, l'entrée en vigueur de l'OUG no 40/1999 ne saurait être considérée comme ayant porté remède à la situation de la requérante. A ce titre, elle rappelle avoir déjà jugé que les lacunes et les dispositions défectueuses de l'OUG no 40/1999 dans le cas des propriétaires qui n'ont pas adressé des notifications aux occupants de leurs appartements dans le délai prévu par l'OUG no 40/1999 en raison des litiges pendantes contre ces derniers, ont eu pour effet de faire subir aux intéressés une charge disproportionnée (Radovici et Stanescu, précité, § 88).
47.  A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les restrictions subies par la requérante pendant plusieurs années quant à l'usage de son appartement, et notamment l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée d'obliger les occupants de celui-ci à lui verser un loyer en raison des dispositions défectueuses et des lacunes relevées dans la loi no 17/1994 et dans l'OUG no 40/1999, n'ont pas ménagé un juste équilibre entre la protection du droit de l'individu au respect de ses biens et les exigences de l'intérêt général.
Partant, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
48.  La requérante se plaint de l'interprétation erronée des dispositions légales applicables par les tribunaux internes, qui l'aurait désavantagé par rapport à l'autre partie à la procédure interne, de la motivation insuffisante des décisions rendues et du refus de prendre en compte l'absence de réponse de la famille C. à l'interrogatoire. Elle invoque son droit à un procès équitable protégé par l'article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
49.  La Cour rappelle qu'il appartient au premier chef aux juridictions internes d'interpréter le droit interne et d'apprécier les preuves administrées ; en outre, si l'article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, cette obligation ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (voir García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, §§ 26 et 28, CEDH 1999-I).
50.  En l'espèce, la Cour relève que les juridictions internes ont dûment fondé leurs décisions sur des motifs qui n'apparaissent pas comme étant arbitraires. S'agissant du refus de la famille C. de répondre aux questions posées par le tribunal de première instance de Bucarest, elle observe que l'article 225 du code de procédure civile invoqué par la requérante n'impose pas aux juridictions saisies d'une affaire de tirer une conclusion du refus d'une partie de répondre à un questionnaire (interogatoriu), mais seulement leur donne cette possibilité. La Cour observe enfin qu'il n'est pas contesté que la requérante a bénéficié d'une procédure contradictoire et a pu présenter ses arguments pour la défense de sa cause.
51.  Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
52.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
53.  La requérante n'a présenté aucune demande de satisfaction équitable dans le délai imparti par la Cour après la communication de la requête.
54.  La Cour rappelle qu'elle n'octroie aucune somme à titre de satisfaction équitable dès lors que les prétentions chiffrées et les justificatifs nécessaires n'ont pas été soumis dans le délai imparti à cet effet par l'article 60 § 1 du règlement, même dans le cas où la partie requérante aurait indiqué ses prétentions à un stade antérieur de la procédure (Gourguenidze c. Georgie, no 71678/01, § 81, 17 octobre 2006).
55.  En l'espèce, la Cour note que, après avoir été informé préalablement du déroulement de la procédure après la communication de la requête par une lettre du 14 octobre 2004, la requérante a été invitée par une lettre du greffier du 7 février 2005, qui lui a été renvoyée en copie le 24 mai 2005, a soumettre ses éventuelles demandes au titre de l'article 41 précité. Malgré les renseignements contenus dans ces lettres, la requérante n'a présenté aucune demande au titre de l'article 41 précité ni même renvoyé à une demande soumise à un stade antérieur de la procédure (voir, a contrario, Gourguenidze, précité, § 82).
Il convient donc de ne lui allouer aucune somme au titre de l'article 41 susmentionné.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 février 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič   Greffier Président
ARRÊT ARSENOVICI c. ROUMANIE
ARRÊT ARSENOVICI c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 77210/01
Date de la décision : 07/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable ; Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété

Analyses

(Art. 6) DROIT A UN PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : ARSENOVICI
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-07;77210.01 ?

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