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07/02/2008 | CEDH | N°7976/02

CEDH | AFFAIRE VODA ET BOB c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE VODĂ ET BOB c. ROUMANIE
(Requête no 7976/02)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
En l'affaire Vodă et Bob c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan, 

 Egbert Myjer,   David Thór Björgvinsson,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,
et de Santiago Quesada, greffier...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE VODĂ ET BOB c. ROUMANIE
(Requête no 7976/02)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
En l'affaire Vodă et Bob c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   David Thór Björgvinsson,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 janvier 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 7976/02) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissantes de cet Etat, Mmes Ileana Vodă et Marta Ileana Bob (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 28 janvier 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par M. Răzvan Horaţiu Radu, Agent du Gouvernement roumain auprès de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
3.  Le 12 mai 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4.  Les requérantes sont nées respectivement en 1934 et 1924 et résident à Oradea et Bonn.
5.  En 1950, le bien immobilier situé à Arad et composé de trois appartements, leur appartenant en copropriété, fit l'objet d'une nationalisation.
6.  Le 16 août 2001, suite à une action en revendication immobilière, les requérantes obtinrent une décision définitive rendue par la cour d'appel de Timişoara, constatant l'illégalité de la nationalisation et ordonnant aux autorités de leur restituer l'appartement no 3 sis au rez-de-jardin de l'immeuble, les autres deux appartements ayant été vendus aux anciens locataires.
7.  Dans leur action définitivement tranchée par l'arrêt du 16 août 2001, les requérantes avaient également demandé aux tribunaux de constater la nullité de la vente des appartements nos 1 et 2. Elles faisaient valoir que la nationalisation était abusive et illégale, que l'État ne pouvait pas être le propriétaire légitime du bien et, par conséquent, ne pouvait légalement vendre celui-ci.
8.  Dans son arrêt du 16 août 2001, la cour d'appel de Timişoara, après avoir jugé comme illégale la nationalisation du bien, tout en reconnaissant le droit de propriété des requérantes, rejeta le grief relatif à l'annulation des contrats de vente au motif que les locataires étaient des acquéreurs de bonne foi. La cour d'appel n'octroya aucune indemnisation aux requérantes.
9.  Après l'adoption de la loi no 10/2001 du 14 février 2001 sur la restitution des biens nationalisés abusivement, les requérantes demandèrent à se voir indemniser pour la perte de leur bien résultant de la vente, à hauteur de la valeur vénale du bien, selon les prescriptions de ladite loi. A ce jour, elles n'ont pas été dédommagées.
10.  Par une décision no 321/2002 du conseil municipal de la ville d'Arad, inscrite au registre foncier (cartea funciară) le 27 mars 2003, la municipalité décida de partager en deux parties l'appartement no 3 comme suit : une première partie d'environ 60 m² fut rattachée, comme dépendance, à l'appartement no 2 ; la seconde partie en surface de 20 m² comprenant un WC et une chambre, resta en possession de la municipalité.
11.  Les requérantes n'ont jamais pris possession de l'appartement no 3, ni entièrement, ni en partie.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
12.  Les dispositions légales et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31-33), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, CEDH 2005-VII, §§ 19-26) et Păduraru c. Roumanie (no 63252/00, §§ 38-53, 1er décembre 2005).
13.  La loi no 10/2001 du 14 février 2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l'État entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989 a été modifiée par la loi no 247 publiée au Journal officiel du 22 juillet 2005. La nouvelle loi élargit les formes d'indemnisation en permettant aux bénéficiaires de choisir entre une compensation sous forme de biens et services et une compensation sous forme de dédommagement pécuniaire équivalant à la valeur marchande du bien qui ne peut pas être restitué en nature au moment de l'octroi de la somme.
14.  Les dispositions pertinentes de la loi no 10/2001 (republiée) telles que modifiées par la loi no 247/2005 se lisent ainsi :
Article 1
« 1.  Les immeubles que l'État (...) s'est approprié abusivement entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, de même que ceux pris par l'Etat en vertu de la loi no 139/1940 sur les réquisitions, et non encore restitués, feront l'objet d'une restitution en nature.
2.  Si la restitution en nature n'est pas possible, il y a lieu d'adopter des mesures de réparation par équivalence. Il peut s'agir de la compensation par d'autres biens ou services (...), avec l'accord du demandeur, ou d'un dédommagement pécuniaire octroyé selon les dispositions spéciales concernant la détermination et le paiement de dédommagements pour les biens immeubles acquis abusivement.
Article 10
« 1)  Lorsque les bâtiments tombés dans le patrimoine de l'État d'une manière abusive ont été démolis totalement ou partiellement, la restitution en nature est ordonnée pour le terrain libre et pour les constructions qui n'ont pas été démolies, tandis que des mesures réparatrices par équivalence seront fixées pour les terrains occupés et pour les constructions démolies.
8)  La valeur des constructions que l'Etat s'est abusivement appropriées et qui ont été démolies est déterminée en fonction de leur valeur vénale au jour où l'administration statue sur la demande, établie selon les normes internationales d'évaluation à partir des informations à la disposition des évaluateurs.
9)  La valeur des constructions qui n'ont pas été démolies et des terrains y afférents que l'Etat s'est abusivement appropriés et qui ne peuvent pas être restitués en nature est déterminée en fonction de leur valeur vénale au jour où l'administration statue sur la demande, conformément aux normes internationales d'évaluation. »
Article 20
« 1)  Les personnes qui se sont vu octroyer des dédommagements en vertu de la loi no 112/1995 peuvent, sauf dans le cas où l'immeuble a été vendu [à des tiers] avant l'entrée en vigueur de la présente loi, en solliciter la restitution en nature, à charge pour elles de rembourser le montant reçu au titre des dédommagements, corrigé en fonction du taux de l'inflation.
2)  Dans le cas où l'immeuble a été vendu [à des tiers] dans les conditions prévues par la loi no 112/1995 (...), le demandeur a droit à des mesures de réparation par équivalence, à hauteur de la valeur vénale de l'immeuble, incluant le terrain et les constructions, déterminée conformément aux normes internationales d'évaluation. Lorsque le demandeur a reçu des dédommagements en vertu de la loi no 112/1995, il a droit à la différence entre la valeur vénale du bien et le montant reçu au titre desdits dédommagements, corrigé en fonction du taux d'inflation.
15.  Les articles 13 et 16 du titre VII de la loi no 247/2005, également pertinents dans la présente affaire, se lisent ainsi :
Article 13
« 1)  En vue d'arrêter le montant final des dédommagements à octroyer selon la présente loi, sera créée une Commission centrale des dédommagements, ci-après la Commission centrale, placée sous l'autorité du Premier ministre (...)
Article 16
« 1)  Les décisions délivrées par les autorités compétentes pour restituer le bien mentionnant des sommes à titre de dédommagement (...) seront envoyées au secrétariat de la Commission centrale au plus tard 60 jours après l'entrée en vigueur de la présente loi.
2)  Les demandes de restitution déposées en vertu de la loi no 10/2001 (...) qui n'ont pas reçu de réponse au moment de l'entrée en vigueur de la loi seront envoyées (...) au secrétariat de la Commission centrale (...) dans un délai de 10 jours à compter de la date de la délivrance des décisions des autorités compétentes pour restituer le bien.
5)  Le secrétariat de la Commission centrale dressera la liste des dossiers mentionnés aux alinéas 1 et 2 dans lesquels la demande de restitution en nature a été rejetée. Ces dossiers seront ensuite transmis à l'autorité chargée de l'évaluation, qui rédigera le rapport d'évaluation.
6)  (...) L'autorité chargée de l'évaluation rédigera le rapport d'évaluation selon la procédure prévue à cet effet et le transmettra à la Commission centrale. Le rapport contiendra le montant du dédommagement à octroyer.
7)  Sur la base du rapport d'évaluation, la Commission centrale prononcera la décision d'octroi de dédommagement ou renverra le dossier pour une nouvelle évaluation. »
16.  Le fonctionnement de la société par actions « Proprietatea » est décrit dans l'affaire Radu c. Roumanie (no 13309/03, §§ 18-20, 20 juillet 2006).
17.  La loi no 247/2005 a été modifiée en dernier lieu par l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 81 du 28 juin 2007, publiée au Journal Officiel du 29 juin 2007 et portant sur l'accélération de la procédure d'indemnisation pour les immeubles pris abusivement par l'Etat.
Selon l'article 181 du titre I de l'ordonnance, lorsque la Commission centrale a décidé l'octroi des dédommagements dont le montant ne dépasse pas 500 000 nouveaux lei roumains (« RON »), les bénéficiaires peuvent opter entre des actions à « Proprietatea » et l'octroi des dédommagements pécuniaires. Pour les montants supérieurs à 500 000 RON, les intéressés peuvent réclamer des dédommagements pécuniaires à hauteur de 500 000 RON, et se verront octroyer des actions à « Proprietatea » pour la différence.
Selon l'article 7 du titre II de l'ordonnance, dans les six mois à compter de l'entrée en vigueur de l'ordonnance, le Gouvernement devrait établir les règles de désignation de la société gérante de « Proprietatea ».
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
18.  Les requérantes allèguent que la vente des appartements nos 1 et 2 aux locataires, validée par l'arrêt du 16 août 2001 de la cour d'appel de Timişoara, ainsi que le refus de la municipalité de les mettre en possession de l'appartement no 3, contrairement au même arrêt précité, ont méconnu l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A.  Sur la recevabilité
19.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle observe par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun motif d'irrecevabilité et le déclare donc recevable.
B.  Sur le fond
20.  Le Gouvernement ne conteste pas l'existence d'une ingérence dans le droit des requérantes au respect de leurs biens, mais invoque les circonstances de nature exceptionnelle et les impératifs de justice sociale qu'il devrait respecter en matière de restitution des propriétés nationalisées par l'ancien régime. Il fait valoir que les requérantes se sont adressées aux autorités compétentes pour demander une indemnité en vertu de la loi no 10/2001. Il estime que la dernière réforme en la matière, à savoir la loi no 247/2005, prévoit que, dans le cas où la restitution de l'immeuble n'est pas possible, l'indemnisation se fera par l'émission de titres de participation à un organisme collectif de valeurs mobilières (Proprietatea), à hauteur de la valeur du bien établie par expertise. Le Gouvernement conclut que l'indemnisation prévue par la législation roumaine répond aux exigences de l'article 1 du Protocole no 1 et que le retard enregistré dans l'indemnisation des intéressées ne rompt pas le juste équilibre à ménager entre les intérêts en présence.
21.  Les requérantes s'opposent à cette thèse. Elles indiquent que l'arrêt du 16 août 2001 de la cour d'appel de Timişoara constatant l'illégalité de la nationalisation est resté sans effets à leur détriment et que les mesures prévues par la loi no 247/2005 ne sauraient produire des effets rétroactifs par rapport à l'arrêt précité.
22.  La Cour a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 1er du Protocole no 1 à la Convention (voir, entre autres, Porteanu c. Roumanie, no 4596/03, §§ 32-35, 16 février 2006).
23.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. La Cour réaffirme notamment que, dans le contexte législatif roumain régissant les actions en revendication immobilières et la restitution des biens nationalisés par le régime communiste, la vente par l'État d'un bien d'autrui à des tiers de bonne foi, même lorsqu'elle est antérieure à la confirmation en justice d'une manière définitive du droit de propriété d'autrui, s'analyse en une privation de bien. Une telle privation, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, est contraire à l'article 1 du Protocole no 1 (Străin, précité, §§ 39, 43 et 59).
24.  Pour autant que le Gouvernement fait valoir qu'il leur est loisible d'obtenir des titres de participation à un organisme collectif de valeurs mobilières (Proprietatea) sur la base de la loi no 10/2001, à hauteur de la valeur du bien établie par expertise, la Cour réitère son constat antérieur selon lequel Proprietatea ne fonctionne actuellement pas d'une manière susceptible d'aboutir à l'octroi effectif d'une indemnité aux requérantes (voir, parmi d'autres, les affaires Radu précitée et Ruxanda Ionescu c. Roumanie, no 2608/02, 12 octobre 2006). De surcroît, ni la loi no 10/2001, ni la loi no 247/2005 la modifiant ne prennent en compte le préjudice subi du fait d'une absence prolongée d'indemnisation par les personnes qui, comme les requérantes, se sont vu dans l'impossibilité de jouir de leurs biens restitués en vertu d'un arrêt définitif (voir, mutatis mutandis, Porteanu précité, § 34).
25.  Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce, la mise en échec du droit de propriété des requérantes sur leur bien, combiné avec l'absence totale d'indemnisation depuis plus de six ans, leur a fait subir une charge disproportionnée et excessive, incompatible avec le droit au respect de leurs biens garanti par l'article 1 du Protocole no 1.
Partant, il y a eu en l'espèce violation de cette disposition.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
26.  Les requérantes se plaignent de ce que les autorités n'ont pas exécuté l'arrêt du 16 août 2001 constatant l'illégalité de la nationalisation et ordonnant d'inscrire leur droit de propriété sur l'appartement no 3 sur le registre foncier. Elles dénoncent également l'absence d'indépendance et d'impartialité des tribunaux ayant tranché le grief portant sur l'annulation des contrats de vente et la méconnaissance par ces mêmes tribunaux des exigences du procès équitable. Elles invoquent l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
1.  Sur le grief tiré de la non-exécution de l'arrêt du 16 août 2001
A.  Sur la recevabilité
27.  La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
28.  La Cour considère, compte tenu de ses conclusions figurant aux paragraphes 20-25 ci-dessus, qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le fond de ce grief (voir, entre autres, Enciu et Lega c. Roumanie, no 9292/05, § 36, 8 février 2007 et Barcanescu c. Roumanie, no 75261/01, §§ 36-37, 12 octobre 2006).
2.  Sur les autres violations alléguées de l'article 6 de la Convention
29.  Les requérantes se plaignent de l'absence d'indépendance et d'impartialité des tribunaux s'agissant de la manière dont ils ont tranché leur grief portant sur l'annulation des contrats de vente.
30.  Compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.
31.  Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
32.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
33.  Les requérantes réclament, au titre de dommage matériel, la restitution de l'immeuble composé de trois appartements dont elles ont été privées illégalement ou, à défaut, l'octroi de la somme de 208 000 euros (EUR), représentant la valeur actuelle du bien, telle qu'établie par une expertise technique immobilière.
34.  Les requérantes réclament 53 000 EUR au titre de dommage moral pour les souffrances causées par la méconnaissance par l'État de leur droit de propriété.
35.  En ce qui concerne le préjudice matériel, le Gouvernement considère que la valeur marchande de l'immeuble en cause est de 130 087 EUR, et il soumet un rapport d'expertise en ce sens. S'agissant du dommage moral, le Gouvernement estime qu'il serait suffisamment compensé par un constat de violation. A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que les prétentions des requérantes sont très élevées et renvoie aux affaires roumaines similaires dans lesquelles la Cour a ordonné le paiement des sommes variant entre 3 000 et 5 000 EUR.
36.  La Cour rappelle qu'elle a conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de l'impossibilité pour les requérantes de jouir de leurs biens restitués en vertu d'un arrêt définitif, combinée avec l'absence totale d'indemnisation.
37.  La Cour estime, dans les circonstances de l'espèce, que la restitution du bien litigieux composé par trois appartements, tel qu'identifié dans l'arrêt du 16 août 2001 de la cour d'appel de Timişoara, placerait les requérantes autant que possible dans une situation équivalant à celle où elles se trouveraient si les exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues.
38.  A défaut pour l'État défendeur de procéder à pareille restitution dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, la Cour décide qu'il devra verser aux requérantes, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur actuelle du bien.
39.  La Cour relève un écart important entre la valeur de l'immeuble telle qu'elle a été établie par les deux expertises produites par les parties, écart dû notamment aux méthodes techniques utilisées. Compte tenu des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier local et des éléments fournis par les parties, la Cour estime la valeur marchande actuelle du bien à 190 000 EUR.
40.  La Cour considère que les événements en cause ont pu provoquer aux requérantes un état d'incertitude et des souffrances qui ne peuvent pas être compensés par le constat de violation. Elle prend en compte également l'attitude obstructionniste de la municipalité (voir § 10, ci-dessus). La Cour estime que la somme de 5 000 EUR représente une réparation équitable du préjudice moral subi par les requérantes et l'accorde conjointement à ces dernières.
B.  Frais et dépens
41.  Les requérantes demandent également 1 686 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et pour ceux encourus devant la Cour, somme qu'elles décomposent comme suit :
a)  428  EUR pour les frais engagés pour l'expertise immobilière, en présentant la copie des justificatifs de payement ;
b)  258 EUR pour les frais qu'elles ont engagés lors de leurs déplacements d'Oradea aux tribunaux d'Arad et de Timişoara, sans présenter de justificatif de payement, mais renvoyant aux procès-verbaux d'audience qui indiquent leur présence devant les tribunaux ;
c)  1 000 EUR pour les honoraires avancés aux avocats, aux notaires et pour les frais de correspondance, sans présenter de justificatif de payement.
42.  Le Gouvernement ne s'oppose pas au remboursement des frais encourus, sous condition qu'ils soient prouvés, nécessaires et qu'ils aient un lien avec l'affaire.
43.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 700 EUR tous frais confondus et l'accorde aux requérantes.
C.  Intérêts moratoires
44.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 1 du Protocole no 1 et de l'article 6 de la Convention, pour ce qui est de l'inexécution de l'arrêt du 16 août 2001, et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3.  Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner au fond le grief tiré de l'article 6 de la Convention pour ce qui est de l'inexécution de l'arrêt du 16 août 2001 ;
4.  Dit
a)   que l'État défendeur doit restituer aux requérantes l'immeuble de trois appartements et le terrain afférent situé au no 25, rue Grănicerilor, à Arad, dans les trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention ;
b)  qu'à défaut d'une telle restitution, l'État défendeur doit verser, conjointement, aux requérantes, dans le même délai de trois mois, 190 000 EUR (cent quatre-vingt-dix mille euros) pour dommage matériel ;
c)  qu'en tout état de cause, l'État défendeur doit verser, conjointement, aux requérantes, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour préjudice moral ;
d)  qu'en tout état de cause, l'État défendeur doit verser, conjointement, aux requérantes, 700 EUR (sept cent euros) pour frais et dépens ;
e)  qu'il convient d'ajouter aux sommes susmentionnées tout montant pouvant être dû à titre d'impôt et que les sommes en question seront à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
f)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 février 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič   Greffier Président
ARRÊT VODĂ ET BOB c. ROUMANIE
ARRÊT VODĂ ET BOB c. ROUMANIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété

Parties
Demandeurs : VODA ET BOB
Défendeurs : ROUMANIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 07/02/2008
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 7976/02
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-07;7976.02 ?

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