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14/02/2008 | CEDH | N°12338/02

CEDH | AFFAIRE HUSSAIN c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE HUSSAIN c. ROUMANIE
(Requête no 12338/02)
ARRÊT
STRASBOURG
14 février 2008
DÉFINITIF
14/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
En l'affaire Hussain c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,
Corneliu Bîrsan,
Elisabet Fura-Sandström,
Alvina Gyulumyan,
Egbe

rt Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Ineta Ziemele, juges,
Santiago Quesada, greffier de section,
Après en a...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE HUSSAIN c. ROUMANIE
(Requête no 12338/02)
ARRÊT
STRASBOURG
14 février 2008
DÉFINITIF
14/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
En l'affaire Hussain c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,
Corneliu Bîrsan,
Elisabet Fura-Sandström,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Ineta Ziemele, juges,
Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 janvier 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 12338/02) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant irakien, M. Emad Abdul Amir Hussain, a saisi la Cour le 22 janvier 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par son agent, Mme Beatrice Ramaşcanu, par son co-agent, Mme Ruxandra Paşoi, et par son nouvel agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Le requérant se plaint notamment de l'absence d'une enquête effective concernant ses allégations de mauvais traitements infligés par des particuliers et de sa détention au centre de transit de l'aéroport d'Otopeni du 1er au 17 août 2001 (articles 3 et 5 § 1 f) de la Convention).
4.  Le 5 janvier 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
5.  Elle a également décidé d'indiquer au Gouvernement, en application de l'article 39 du règlement, qu'il était souhaitable, dans l'intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure, de ne pas éloigner le requérant du territoire jusqu'à nouvel ordre.
6.  En vertu de l'article 41 du règlement, elle a décidé en outre de traiter l'affaire en priorité.
7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8.  Le requérant est un ressortissant irakien né en 1956 et résidant à Bucarest.
9.  Il entra en Roumanie en 1977, en possession d'un visa qui lui fut régulièrement renouvelé jusqu'au 26 octobre 1999, date à laquelle ses documents lui auraient été volés. Il resta depuis lors sur le territoire roumain sans titre de séjour valable. Il est le père de deux enfants qui sont nés respectivement en 1987 et 1989 de sa relation de concubinage avec une ressortissante roumaine. Il allègue être seul pour s'occuper des enfants puisqu'il se serait séparé de leur mère en 1999 et que celle-ci résiderait depuis 2000 à l'étranger.
A.  Les plaintes pénales contre des tiers
10.  Selon le requérant, à partir de 1999, il a été poursuivi dans la rue, menacé et agressé à maintes reprises par sa compagne et par des tiers à l'instigation de celle-ci.
1.  La plainte pénale contre l'ancienne compagne du requérant
11.  Le 22 juillet 1999, le requérant porta plainte au commissariat de police contre son ancienne compagne pour menaces et actes de violence à son encontre en juillet 1999.
12.  Les 26 octobre et 8 décembre 2000, à la suite d'une demande du requérant, le parquet près le tribunal de première instance de Bucarest informa l'intéressé que l'examen de sa plainte se prolongeait et qu'un complément d'enquête avait été ordonné aux policiers.
2.  La plainte pénale contre l'ancienne compagne du requérant et un tiers
13.  Le 19 novembre 1999, le requérant déposa au commissariat de police une plainte pénale contre son ancienne compagne et un tiers, qu'il estimait avoir été incité par la première à le menacer et à frapper sa fille mineure, ce qui se serait passé le même jour.
14.  Le 14 décembre 1999, les agents de police entendirent le requérant au commissariat. Le requérant dit avoir décidé à cette occasion de ne plus se présenter au commissariat au motif qu'il n'y aurait pas été correctement traité.
15.  Le Gouvernement a relaté la suite de l'enquête sans fournir de documents à l'appui. D'après lui, le 11 février 2000, l'ancienne compagne du requérant fut interrogée. Les 17 avril et 11 décembre 2000, le commissariat convoqua celui-ci afin de lui demander des renseignements supplémentaires sur l'incident du 19 novembre 1999. Le requérant aurait refusé de se présenter.
16.  Selon le Gouvernement, le 1er août 2001 le requérant fut à nouveau interrogé.
17.  A une date non précisée, l'affaire fut renvoyée devant le tribunal de première instance de Bucarest.
18.  Le requérant et sa fille mineure furent cités à comparaître devant le tribunal de première instance le 26 novembre 2002.
19.  Par une lettre du 16 novembre 2002, adressée au greffe de la Cour, le requérant précisa que sa fille et lui n'avaient pas l'intention de se rendre au tribunal, les juridictions roumaines ne leur inspirant pas confiance.
20.  Par une lettre du 20 janvier 2003, il informa le greffe que lui et sa fille avaient été à nouveau cités à comparaître devant le tribunal le 17 décembre 2002, mais qu'ils ne s'y étaient pas rendus, pour les mêmes raisons.
21.  Par un jugement du 17 décembre 2002, dont une copie a été versée au dossier, le tribunal de première instance de Bucarest, se fondant sur l'absence injustifiée des victimes à deux audiences successives, mit fin au procès pénal en vertu des articles 10 h), 11 § 2 b) et 2841 du code de procédure pénale.
22.  Il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant aurait introduit un recours contre ce jugement.
3.  La plainte pénale contre d'autres tiers
23.  Le 18 avril 2000, le requérant aurait été attaqué dans la rue par deux personnes inconnues qui, sortant d'une automobile, l'auraient frappé au visage et aux pieds. Le même jour, il se présenta au service des urgences de l'hôpital où on lui sutura la lèvre supérieure.
24.  A la suite d'un examen médical pratiqué le 12 octobre 2000, un médecin du service de neurochirurgie de l'hôpital d'urgence délivra au requérant un certificat médical où il établit le diagnostic suivant :
« état post-traumatique récent (18 avril 2000) au niveau cranio-facial, assorti d'une plaie contuse longue à la lèvre supérieure, suturée et guérie »
25.  Le 18 octobre 2000, un médecin du service d'orthopédie de l'hôpital d'urgence délivra au requérant un certificat médical faisant état du diagnostic suivant :
« contusion au mollet droit assortie d'une déchirure musculaire partielle (...) ; le patient ne marche pas »
et prescrivant le traitement ci-après :
« plâtre pour cinq jours au niveau du fémur et de la jambe, en position proclive ; (...) ; marche à l'aide de cannes (...) »
26.  Le même certificat précisait ceci :
« Le malade s'est présenté à l'hôpital le 18 octobre 2000 à 16h00 et y est retourné à 22h45 ; il a déclaré avoir été agressé. »
27.  Le 9 novembre 2000, le requérant saisit le parquet près le tribunal de première instance de Bucarest d'une plainte pénale pour les agressions dont il avait été victime.
28.  Le 18 décembre 2000, l'affaire fut renvoyée au commissariat de police.
29.  Le 18 juillet 2001, à la suite d'une demande du requérant, le parquet près le tribunal de première instance de Bucarest informa l'intéressé qu'un complément d'enquête avait été ordonné aux policiers.
B.  Les événements du 1er août 2001
30.  Par une lettre du 30 juillet 2001, versée au dossier, le commissariat de police invita le requérant à se présenter dans ses locaux le 1er août 2001 au sujet d'une plainte pénale qu'il avait introduite. Il ne ressort pas clairement des pièces du dossier à quelle plainte pénale cette lettre se référait.
31.  Selon le requérant, il s'agissait de sa plainte du 9 novembre 2000, renvoyée au commissariat de police le 18 décembre 2000 (paragraphes 27 et 28 ci-dessus).
32.  Selon le Gouvernement, la convocation portait sur la plainte du 19 novembre 1999 (paragraphe 13 ci-dessus).
33.  Les événements qui suivirent font l'objet d'une controverse entre les parties.
1.  La version du requérant
34.  Le requérant affirme s'être présenté au siège du commissariat le 1er août 2001. Alors qu'il rédigeait la déclaration qui avait été sollicitée par les policiers, deux employés de la direction générale des passeports entrèrent dans les locaux, lui demandèrent s'il disposait d'un passeport, lui mirent des menottes et le conduisirent de force au centre de transit de l'aéroport d'Otopeni. Le requérant estime avoir été convoqué au commissariat de police afin d'être piégé et éloigné du territoire.
2.  La version du Gouvernement
35.  Selon le Gouvernement, le requérant fut invité au commissariat de police afin de fournir aux autorités chargées de l'enquête des renseignements supplémentaires sur les événements du 19 novembre 1999. A cette occasion, il fut interrogé. Pendant les auditions, les policiers constatèrent que le requérant ne disposait pas d'un permis de séjour valable et prirent contact avec la direction pour les étrangers afin de régler sa situation. Ne disposant pas d'un document de voyage, il fut logé au centre de transit de l'aéroport d'Otopeni. Le même jour, les autorités demandèrent également l'assistance de l'ambassade d'Irak à Bucarest pour obtenir la délivrance d'un document de voyage et des précisions sur les possibilités de rapatriement.
C.  La détention du requérant au centre de transit de l'aéroport
36.  Le 1er août 2001, le requérant fut conduit au centre de transit de l'aéroport international de Bucarest-Otopeni en vue de son éloignement du territoire.
37.  S'agissant de la situation du requérant, le Gouvernement a fourni une copie d'un document du 1er août 2001 par lequel la direction de l'enregistrement informatique des personnes informait la direction pour les étrangers que, à la suite d'un contrôle dans le cadre de la prévention des séjours illégaux des ressortissants étrangers, le requérant avait été identifié et accompagné au siège de la direction pour clarifier sa situation. Dans le même document, elle proposait d'accompagner le requérant et de le loger au centre d'Otopeni jusqu'à l'identification des possibilités de rapatriement, de demander l'assistance de l'ambassade d'Irak à Bucarest en vue de la délivrance d'un document de voyage et, après la sortie du requérant du pays, de prendre une décision d'interdiction d'entrer sur le territoire pour une durée de deux ans et six mois.
38.  Le requérant ne reçut notification d'aucune décision concernant son placement au centre. Selon lui, il y aurait été amené menotté et serait resté sans nouvelles de ses enfants pendant quelques heures.
39.  Le 17 août 2001, il quitta le centre, en raison de sa demande du statut de réfugié (voir le point D ci-après).
D.  La demande du statut de réfugié
40.  Le 9 août 2001, le requérant sollicita auprès de l'office national pour les réfugiés (« l'office ») le statut de réfugié, en faisant valoir son intention de rester en Roumanie avec ses enfants. Il alléguait craindre d'avoir des problèmes avec les autorités irakiennes en cas d'expulsion. A la demande du représentant de l'office, le requérant précisa qu'il n'avait jamais été poursuivi ni mis en détention en Irak et qu'il n'était membre d'aucun parti politique.
41.  Par une décision du 15 août 2001, l'office rejeta la demande, en retenant que le requérant n'avait pas prouvé faire l'objet de persécutions et que son récit était confus et, dès lors, dépourvu de crédibilité.
42.  Le 16 août 2001, le requérant forma opposition devant le tribunal de première instance de Bucarest contre la décision de rejet.
43.  Une audience eut lieu le 30 août 2001. Le requérant, bien que régulièrement cité à comparaître devant le tribunal, ne s'y présenta pas. Par un jugement rendu le même jour, portant la mention « définitif », le tribunal rejeta l'opposition, estimant que le requérant n'avait pas prouvé qu'il s'exposerait à un risque réel de persécutions ou de mauvais traitements s'il retournait dans son pays d'origine. Le tribunal observa aussi que le requérant résidait illégalement en Roumanie depuis 1999, mais que ce n'était qu'après son arrestation et son placement dans le centre de transit qu'il avait formé une demande de statut de réfugié.
E.  Procédure portant sur un litige locatif
44.  Le 9 septembre 1999, le requérant, en qualité de représentant d'une société commerciale, saisit le tribunal départemental de Bucarest d'une action en référé contre son ancienne compagne, afin de se voir réintégrer dans un appartement que cette dernière lui avait loué.
45.  Par un jugement du 18 novembre 1999, le tribunal départemental rejeta l'action, constatant que la société représentée par le requérant n'avait pas payé le loyer.
46.  Le requérant allègue avoir interjeté appel de ce jugement, mais avoir renoncé par la suite à ce recours en raison de son manque de confiance dans les juridictions.
F.  La situation actuelle du requérant
47.  Par une lettre du 13 décembre 2005, l'autorité pour les étrangers informa le Gouvernement de la situation du requérant :
« Concernant sa situation actuelle, nous vous informons que le ressortissant irakien habite illégalement en Roumanie. Néanmoins, il a la possibilité de demander le statut de toléré sur le territoire de notre pays, l'autorité pour les étrangers donnant suite à la recommandation du HCR de 2003 de ne pas renvoyer en Irak ou dans les pays voisins de cet Etat les ressortissants irakiens dont le séjour en Roumanie est illégal. »
48.  Dans ses observations du 19 février 2007, le Gouvernement a précisé ce qui suit :
« Concernant sa situation actuelle, le ressortissant irakien habite illégalement en Roumanie, bien qu'il puisse demander le bénéfice de la tolérance de séjour sur le territoire. L'autorité pour les étrangers prend en compte la recommandation du HCR de ne pas renvoyer en Irak ou dans les pays voisins de cet Etat les ressortissants irakiens dont le séjour est illégal. »
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
49.  Les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale se lisent comme suit :
Article 10
« L'action pénale ne peut être ouverte ou, si elle l'a été, ne peut pas continuer si :
h)  la plainte préalable de la personne lésée a été retirée ou il y a eu conciliation entre les parties, dans le cas des infractions pour lesquelles le retrait de la plainte ou la conciliation des parties exclut la responsabilité pénale. »
Article 11 § 2
« Lorsqu'il constate, pendant le phase de jugement de l'affaire, se trouver dans l'un des cas prévus à l'article 10, le tribunal ordonne :
b)  la clôture du procès pénal dans le cas prévu à l'article (...) 10 h). »
Article 279 § 2
« Le déclenchement de l'action pénale n'a lieu que sur plainte préalable de la personne lésée pour les infractions pour lesquelles la nécessité d'une telle plainte est prévue par la loi. La plainte préalable doit être adressée :
a)  au tribunal, s'agissant d'infractions prohibées par les articles 180 (coups et autres violences) et 193 (menace) (...) du code pénal, si leur auteur est connu. S'il est inconnu, la partie lésée peut s'adresser à l'autorité chargée de l'enquête pénale en vue de son identification (...) ;
b)  à l'autorité chargée de l'enquête pénale ou au procureur, dans les cas d'infractions autres que celles prévues à l'alinéa a). »
Article 2841
« Dans le cas des infractions prévues à l'article 279 § 2 a), l'absence injustifiée de la personne lésée à deux audiences successives devant la juridiction de première instance vaut retrait de la plainte préalable. »
Article 285
Plainte préalable irrégulièrement déposée
« La plainte préalable irrégulièrement déposée devant l'autorité chargée de l'enquête pénale ou devant le tribunal est envoyée à l'autorité compétente. Dans ce cas, la plainte est valable si elle a été déposée dans le délai légal auprès de l'autorité incompétente. »
50.  Par ailleurs, l'article 5 de la loi no 29 du 7 novembre 1990 sur le contentieux administratif, abrogée par la loi no 554/2004,  prévoyait, pour la personne qui conteste un acte d'une autorité administrative, l'obligation de suivre la procédure préalable avant de saisir le tribunal.
51.  L'ordonnance no 102 du 31 août 2000 portant sur le régime des réfugiés en Roumanie, telle que rédigée à l'époque des faits (abrogée par la loi no 122 du 18 mai 2006 sur l'asile en Roumanie) disposait notamment ce qui suit :
Chapitre I : Dispositions générales
Article 2 § 1
« Le statut de réfugié peut être accordé sur demande de l'étranger qui apporte la preuve qu'il a quitté son pays parce qu'il craint, pour des raisons bien fondées, des persécutions en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social et qu'il ne peut pas ou qu'il ne veut pas recevoir la protection de son pays en raison de cette crainte. »
Article 13 § 1
« En attendant une décision définitive et exécutoire sur sa demande, l'étranger qui sollicite le statut de réfugié a les droits et les obligations suivants :
a)  le droit de séjour en Roumanie, jusqu'à l'échéance d'un délai de quinze jours à partir du moment où une décision de rejet de sa demande est devenue exécutoire.
52.  Les dispositions pertinentes de la loi no 123 du 2 avril 2001 sur le statut des étrangers en Roumanie, publiée au Bulletin officiel du 3 avril 2001 et abrogée par l'ordonnance du gouvernement no 194 du 12 décembre 2002 se lisaient ainsi :
Chapitre II : L'entrée, le séjour et la sortie des étrangers
Seconde section : le séjour des étrangers
Article 17
« Les étrangers venus temporairement en Roumanie sont tenus de quitter le territoire de l'Etat roumain au terme du délai de validité de leur visa (...) »
Article 21
« 1.  L'étranger qui ne se conforme pas aux dispositions de l'article 17 (...) peut être éloigné du territoire vers son pays d'origine (...)
2.  La mesure d'éloignement est prise par le ministère de l'Intérieur. Ses organes territoriaux apposent le visa de sortie sur le document de voyage.
3.  Jusqu'à la mise à exécution de la mesure prévue au deuxième paragraphe, l'étranger qui ne dispose pas d'un document de voyage valable ni de moyens financiers est hébergé dans des centres spécialement aménagés à cette fin par le ministère de l'Intérieur. »
53.  La décision du gouvernement no 476 du 17 mai 2001 sur les modalités d'application de la loi no 123 du 2 avril 2001, publiée au Bulletin officiel du 29 mai 2001 et abrogée par l'ordonnance du gouvernement   no 194 du 12 décembre 2002 prévoyait entre autres :
Chapitre IV : La création, l'organisation et le fonctionnement des centres d'hébergement pour étrangers
Article 77
« 1.  Les étrangers dont il est constaté qu'ils séjournent illégalement sur le territoire de la Roumanie peuvent être hébergés temporairement dans des centres spécialement aménagés (...)
2.  L'hébergement est décidé par la direction générale de l'enregistrement informatique des personnes. »
Article 78
« 1.  Les centres sont créés, organisés, autorisés sur le plan sanitaire par les directions de la santé publique, aménagés et équipés de façon à offrir des conditions appropriées de logement, nourriture, assistance médicale et hygiène personnelle, pour les catégories suivantes d'étrangers :
a)  les personnes séjournant illégalement en Roumanie ;
d)  les personnes sans papiers, jusqu'à l'établissement de leur identité et la clarification de leur situation du point de vue de la légalité de leur séjour. »
Article 79
« 1.  La durée de l'hébergement temporaire fixée par une décision de la direction générale de l'enregistrement informatique des personnes ne peut en principe dépasser trois mois.
2.  La prolongation de la durée de l'hébergement temporaire passé ce délai ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une décision motivée de la direction. »
Article 80
« 3.  Le motif de l'hébergement ainsi que les droits et obligations des étrangers concernés par cette mesure leur sont communiqués par écrit. »
54.  Les dispositions pertinentes de l'ordonnance d'urgence no 194 du 12 décembre 2002 sur le statut des étrangers en Roumanie, publiée au Bulletin officiel du 27 décembre 2002 et modifiée par la loi no 482 du 10 novembre 2004 étaient ainsi libellées :
Chapitre V : Le régime de l'éloignement des étrangers du territoire de la Roumanie
Première section : Les conditions générales régissant l'éloignement des étrangers du territoire de la Roumanie
Article 79 : L'éloignement des étrangers du territoire de la Roumanie
« A l'égard des étrangers dont le séjour en Roumanie est devenu illégal (...), l'autorité pour les étrangers peut décider l'éloignement du territoire (...) »
Article 80 : L'ordre de quitter le territoire de la Roumanie
« 1.  L'ordre de quitter le territoire est constitué par la décision de l'autorité pour les étrangers (...) qui fait obligation à un étranger de quitter le territoire de la Roumanie dans les délais suivants :
a)  pour l'étranger (...) dont le séjour est devenu illégal, dans un délai de dix jours au maximum.
2.  Les délais prévus au paragraphe 1 sont calculés à partir de la date à laquelle l'ordre de quitter le territoire a été communiqué à la personne concernée, dans les conditions prévues par la présente ordonnance d'urgence. »
Article 81 : La communication de l'ordre de quitter le territoire
« 1.  La communication de l'ordre de quitter le territoire est faite par l'autorité pour les étrangers (...).
2.  L'ordre de quitter le territoire est rédigé en deux exemplaires, en roumain et dans une langue internationale.
3.  Si l'étranger est présent, un exemplaire de l'ordre lui est remis contre signature (...)
4.  S'il n'est pas présent, la communication de l'ordre se fait comme suit :
a)  par voie postale, avec accusé de réception, à l'adresse où il a déclaré sa résidence ;
b)  par affichage au siège de l'autorité pour les étrangers (...), dans les cas où l'étranger :
i.  refuse de signer l'ordre de quitter le territoire ;
ii.  n'habite plus à l'adresse qu'il avait déclarée ;
iii.  n'a pas communiqué son adresse aux autorités. »
Article 82 : La contestation contre l'ordre de quitter le territoire
« 1.  L'ordre de quitter le pays peut être contesté dans un délai de dix jours ouvrables à partir de la date de sa communication, devant la cour d'appel (...) L'arrêt de la cour d'appel est définitif.
2.  L'exercice de la voie de recours prévue au paragraphe 1 suspend l'exécution de l'ordre de quitter le territoire. »
55.  La section 5 de ce chapitre prévoit, en ses articles 93 à 97, la procédure concernant le placement des étrangers dans un centre spécial (« luarea în custodie publică a străinilor »), la durée d'une telle mesure, la possibilité pour les intéressés de la contester devant la cour d'appel de Bucarest, ainsi que leur droit d'être informés par écrit des motifs de la mesure en question.
III.  LES DÉCISIONS INTERNES PERTINENTES
56.  Le Gouvernement a soumis à la Cour qu'au cours de l'année 2002, un certain Y.W. avait saisi le tribunal de première instance de Bucarest d'une action contre la direction de l'enregistrement informatique des personnes, en vue de l'annulation d'une décision par laquelle il avait été retenu le 3 janvier 2002 et placé au centre de transit d'Otopeni.
57.  Par un jugement du 9 mai 2002, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l'action, au motif que la procédure préalable prévue par l'article 5 de la loi no 29/1990 sur le contentieux administratif n'avait pas été observée en l'espèce.
58. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce jugement soit devenu définitif.
IV.  ÉLÉMENTS DE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS
59.  Dans un rapport de septembre 2005, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) a renouvelé ses recommandations adressées aux Etats les invitant à reporter l'introduction de mesures qui pourraient les amener à renvoyer des personnes originaires d'Irak. Selon ce rapport, pour les demandeurs d'asile qui n'ont pas été reconnus comme réfugiés, doivent être proposées certaines formes de protection en accord avec les principes internationaux des droits de l'homme. Le HCR a souligné n'avoir jamais encouragé les retours dans quelque région d'Irak que ce soit, compte tenu des problèmes de sécurité.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
60.  Le requérant allègue que le parquet n'a pas examiné les plaintes déposées par lui contre des tiers qu'il accusait de l'avoir agressé. Il invoque en substance l'article 3 de la Convention sous son volet procédural. Cette disposition est ainsi libellée :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A.  Sur la recevabilité
1.  Sur la plainte pénale concernant les événements du 19 novembre 1999 (paragraphes 13-22 ci-dessus)
61.  La Cour observe que par un jugement du 17 décembre 2002, le tribunal de première instance de Bucarest a mis fin au procès pénal en raison de l'absence injustifiée du requérant et de sa fille à deux audiences successives.
62.  Qui plus est, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant ait formé un recours contre ce jugement.
63.  Il s'ensuit que le grief relatif à cette plainte pénale doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour non-épuisement des voies de recours internes.
2.  Sur les autres plaintes pénales
64.  La Cour constate que le grief portant sur les plaintes pénales concernant les incidents de juillet 1999 et des 18 avril et 18 octobre 2000 n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
1.  Thèses des parties
i.  Le Gouvernement
65.  Le Gouvernement relève qu'à la suite de la plainte déposée par le requérant le 19 novembre 1999 auprès du commissariat de police, une enquête a été menée et les griefs soumis ont été examinés de façon sérieuse par les autorités.
66.  Selon le Gouvernement, la plupart de ces démarches n'ont pas abouti en raison de l'attitude du requérant, qui a refusé de se présenter au commissariat de police et qui n'a pas fourni de renseignements.
67.  Le Gouvernement ajoute que, dans la mesure où certaines affirmations du requérant apparaissaient étayées et où les infractions alléguées entraient dans la compétence du tribunal de première instance, l'affaire a été inscrite au rôle de celui-ci. Toutefois, vu l'absence manifeste d'intérêt du requérant et compte tenu des dispositions légales sur ces infractions, qui accordent une importance particulière à la volonté de la partie lésée de poursuivre la procédure pénale, le tribunal a mis fin au procès.
68.  L'enquête aurait été effective, dans la mesure où les démarches des autorités auraient visé à vérifier la véracité des affirmations du requérant. Elle aurait également été efficace, se serait déroulée dans un délai raisonnable et aurait abouti à des résultats tangibles. Compte tenu de l'attitude du requérant, le fait que le résultat de l'enquête n'a pas établi la culpabilité des personnes visées ne saurait priver l'enquête d'effectivité.
ii.  Le requérant
69.  Le requérant conteste les arguments du Gouvernement. Il note que l'enquête n'a porté que sur l'incident du 19 novembre 1999, en ignorant les autres faits dont il se plaignait, comme ceux qui ont eu lieu en juillet 1999, ainsi que les agressions dont il a été victime les 18 avril et 18 octobre 2000.
2.  Appréciation de la Cour
70.  La Cour rappelle que l'interdiction absolue inscrite à l'article 3 de la Convention implique pour les autorités nationales le devoir de mener une enquête officielle effective lorsqu'une personne allègue, de manière « défendable », avoir été victime d'actes contraires à l'article 3 et commis dans des circonstances suspectes, une telle obligation ne pouvant pas en principe être limitée aux seuls cas de mauvais traitements infligés par des agents de l'Etat (M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, §§ 151 et 153, CEDH 2003-XII). Cette enquête doit parvenir à élucider les faits et à identifier les responsables (Filip c. Roumanie, no 41124/02, § 47, 14 décembre 2006).
71.  Ainsi, les autorités ont l'obligation d'agir dès qu'une plainte officielle est déposée. Une réponse rapide de leur part, lorsqu'il s'agit d'enquêter sur des allégations de mauvais traitement, peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le principe de la légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux. Or, la tolérance des autorités envers de tels actes ne peut que miner la confiance du public dans le principe de la légalité et son adhésion à l'Etat de droit (voir, notamment, 97 membres de la Congrégation des témoins de Jéhovah de Gldani et 4 autres c. Géorgie, no 71156/01, § 97, CEDH 2007-...).
72.  En l'espèce, la Cour observe que le requérant allègue avoir été agressé en juillet 1999 (paragraphe 11 ci-dessus) et ensuite les 18 avril (paragraphe 23 ci-dessus) et 18 octobre 2000 (paragraphes 25 et 26 ci-dessus) et qu'il a saisi le commissariat de police ou le parquet à propos de chaque incident. Elle relève également, concernant les incidents des 18 avril et 18 octobre 2000, que le caractère défendable des allégations de l'intéressé découlait de deux certificats médicaux des 12 et 18 octobre 2000.
73.  Toutefois, le Gouvernement n'a présenté des informations que sur le grief tiré du déroulement de l'enquête consacrée à l'incident du 19 novembre 1999, que la Cour vient de rejeter comme irrecevable (paragraphes 61-63 ci-dessus). Par contre, il n'a fait aucune référence aux autres incidents.
74.  La Cour relève à cet égard que, bien que le requérant eût informé les autorités compétentes des violations alléguées à travers ses plaintes, elles se sont contentées de lui faire savoir, en réponse à ses demandes, qu'instruction avait été donnée aux policiers de procéder à un complément d'enquête (paragraphes 12 et 29 ci-dessus). De plus, le Gouvernement n'a pas fourni des informations ou documents démontrant que des enquêtes aient été menées avec diligence et que les autorités judiciaires se soient prononcées à leur sujet (Filip c. Roumanie, précité, § 50).
75.  La Cour conclut dès lors que l'Etat a manqué à son obligation tirée de l'article 3 de la Convention de mener une enquête approfondie et effective en ce qui concerne les allégations formulées par le requérant quant à de mauvais traitements infligés par des particuliers en juillet 1999 et les 18 avril et 18 octobre 2000.
76.  Partant, il y a eu violation de l'article 3 de la Convention sous son volet procédural.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
77.  Le requérant se plaint d'avoir été menotté et conduit de force, en vue de son éloignement du territoire, au centre de transit de l'aéroport, où il aurait été privé irrégulièrement de sa liberté du 1er au 17 août 2001. Il invoque en substance l'article 5 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
f)  s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne (...) contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours. »
A.  Sur la recevabilité
78.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
1.  Thèses des parties
i.  Le Gouvernement
79.  Le Gouvernement souligne que le requérant a été hébergé au centre de transit de l'aéroport en vertu de l'article 21 § 3 de la loi no 123/2001. Il précise que, même si la loi en cause ne prévoyait pas la possibilité de contester cette mesure, le requérant aurait pu le faire en vertu de la loi no 29/1990 sur le contentieux administratif.
80.  Le Gouvernement estime en outre que le placement du requérant dans le centre de transit a représenté une privation de liberté conforme à l'article 5 § 1 f) de la Convention. Il relève que l'intéressé y a été placé dans l'attente de son expulsion et rappelle que, selon le droit national, les étrangers qui ne disposent pas d'un permis de séjour valable doivent quitter le territoire roumain. S'ils ne le font pas de leur propre gré, ils sont éloignés du territoire. L'éloignement est décidé par le ministère de l'Intérieur. Les étrangers ne pouvant pas voyager parce qu'ils ne disposent pas de documents de voyage sont placés dans un centre spécialement aménagé à cette fin.
81.  Le Gouvernement relève que, le 1er août 2001, les policiers ont constaté que le requérant ne disposait pas d'un visa valable. Après avoir entendu l'intéressé, les autorités ont décidé, du fait qu'il n'avait pas de passeport, de le conduire au centre de transit.
82.  Le Gouvernement souligne qu'au moment du placement du requérant au centre, une procédure d'expulsion était en cours. Il ajoute que la détention était régulière au regard du droit interne (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 54, CEDH 2001-II), à savoir l'article 21 de la loi no 123/2001 selon lequel, si l'expulsion n'est pas possible en raison de l'absence de documents de voyage, l'intéressé est placé dans un centre de transit. La loi en cause étant publiée au Bulletin officiel, le Gouvernement estime qu'elle était accessible au requérant. Il considère en outre qu'elle était prévisible, puisqu'elle précisait l'autorité compétente pour prendre la mesure en question, la durée de celle-ci, ainsi que la possibilité de contester devant les juridictions la mesure ainsi prise. A cet égard, le Gouvernement fournit en copie un exemple de décision judiciaire (paragraphes 56-58 ci-dessus). Selon lui, les dispositions du droit interne permettaient dès lors au requérant de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de l'espèce, les conséquences qui découlent d'un acte déterminé.
83.  Pour le Gouvernement, la situation dans la présente affaire est différente de celle de l'affaire Shamsa c. Pologne (nos 45355/99 et 45357/99, § 58, 27 novembre 2003), où la Cour a conclu que le fait de détenir un individu dans une telle zone durant une période indéterminée et imprévisible sans que cette détention se fonde sur une disposition légale concrète ou sur une décision judiciaire valable, est en soi contraire au principe de la sécurité juridique, qui est implicite dans la Convention et qui constitue l'un des éléments fondamentaux de l'Etat de droit.
84.  Citant l'affaire Kaya c. Roumanie (no 33970/05, § 21, 12 octobre 2006), le Gouvernement fait observer que la durée de la mesure en cause, qui n'a pas dépassé dix-huit jours, est raisonnable. Il estime que la présente affaire se différencie en cela d'autres affaires où la privation de liberté dans l'attente de l'expulsion a duré deux ans et demi (Singh c. République tchèque, no 60538/00, § 62, 25 janvier 2005) ou un mois et demi (Shamsa, précité, § 46).
ii.  Le requérant
85.  Le requérant conteste les arguments du Gouvernement. Il allègue n'avoir reçu aucun renseignement sur les motifs de son placement au centre de transit. Il estime en outre avoir été piégé par les autorités, qui ont tenté de l'éloigner du pays.
2.  Appréciation de la Cour
86.  La Cour rappelle que l'article 5 § 1 dresse la liste exhaustive des circonstances dans lesquelles les individus peuvent être légalement privés de leur liberté, étant bien entendu que ces circonstances appellent une interprétation étroite, puisqu'il s'agit d'exceptions à une garantie fondamentale de la liberté individuelle (Quinn c. France, arrêt du 22 mars 1995, série A no 311, p. 17, § 42).
87.  En l'occurrence, nul ne conteste que pendant la période incriminée, le requérant était détenu dans l'attente d'une expulsion, au sens de l'article 5 § 1 f) de la Convention. Cette disposition exige seulement qu' « une procédure d'expulsion [soit] en cours » ; il n'y a donc pas lieu de rechercher si la décision d'expulsion initiale se justifie ou non au regard de la législation interne ou de la Convention. A cet égard, l'article 5 § 1 f) ne prévoit pas la même protection que l'article 5 § 1 c) (Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, pp. 1862-1863, § 112 ; Mohd c. Grèce, no 11919/03, § 19, 27 avril 2006 ; Kaya, précité, § 17).
88.  La Cour rappelle que les termes « régulièrement » et « selon les voies légales » qui figurent dans l'article 5 § 1 renvoient pour l'essentiel à la législation nationale et consacrent l'obligation d'en observer les normes de fond comme de procédure. La Convention exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l'article 5 : protéger l'individu contre l'arbitraire (voir, parmi beaucoup d'autres, Dougoz, précité, § 54 ; Mohd, précité, § 20).
89.  A ce propos, la Cour rappelle qu'en exigeant que toute privation de liberté soit effectuée « selon les voies légales », l'article 5 § 1 impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne. Toutefois, ces termes ne se bornent pas à renvoyer au droit interne ; ils concernent aussi la qualité de la loi ; ils la veulent compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l'ensemble des articles de la Convention. Pareille qualité implique qu'une loi nationale autorisant une privation de liberté soit suffisamment accessible et précise afin d'éviter tout danger d'arbitraire (Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 850, § 50).
90.  Si la « régularité » de la détention au regard du droit interne est un élément essentiel (Shamsa, précité, § 48), la Cour observe en l'espèce que l'article 21 § 3 de la loi no 123/2001 disposait, à l'époque des faits, que jusqu'à la mise à exécution de la mesure d'éloignement, les étrangers qui ne disposaient pas d'un document de voyage ni de moyens financiers étaient hébergés dans des centres spécialement aménagés. De plus, selon l'article 80 § 3 de la décision du gouvernement no 476 du 17 mai 2001 sur l'application de la loi susmentionnée, le motif de la rétention ainsi que les droits et obligations des étrangers hébergés dans les centres sont communiqués à ceux-ci par écrit.
91.  Or, en l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle communication écrite ait eu lieu, bien qu'elle fût prévue par le droit interne.
92.  Par ailleurs, le document par lequel la direction de l'enregistrement informatique des personnes a transmis à la direction pour les étrangers des propositions sur les mesures à prendre dans le cas du requérant (paragraphe 37 ci-dessus), ne représente qu'une démarche interne des deux directions et aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que ce document ait été communiqué à l'intéressé.
93.  La Cour en conclut qu'aucune décision précisant le motif du placement du requérant au centre de transit et définissant la durée de ce placement ainsi que les droits et obligations de l'intéressé n'a été communiquée à celui-ci à l'époque des faits. Par conséquent, le requérant ne s'étant vu communiquer aucune décision, la Cour ne peut souscrire à l'argument du Gouvernement selon lequel il avait eu la possibilité de contester la mesure litigieuse (paragraphe 79 ci-dessus). En tout état de cause, elle observe que la décision produite par le Gouvernement à l'appui de sa thèse (paragraphes 56-58 ci-dessus) a été rendue dans une affaire engagée postérieurement à la détention du requérant au centre de transit. De plus, le Gouvernement n'a fourni aucun élément de nature à prouver que la décision dénoncée, rendue en première instance, est devenue définitive. La Cour estime d'ailleurs qu'une seule décision n'est pas de nature à confirmer l'existence d'une jurisprudence bien établie.
94.  Quoi qu'il en soit, en l'absence de la communication prévue par la disposition légale susmentionnée, la Cour considère que la détention du requérant n'était pas conforme aux exigences du droit interne. En conséquence, il n'y a pas lieu d'examiner si les dispositions légales autorisant la détention en cause étaient suffisamment accessibles et prévisibles.
95.  La Cour relève en outre que la détention du requérant a duré dix-sept jours. Or, dans l'affaire Kaya, invoquée par le Gouvernement, la détention en vue de l'expulsion de l'intéressé n'avait duré qu'un seul jour, laps de temps que la Cour n'a pas jugé déraisonnable (Kaya, précité, § 21). De plus, dans cette dernière affaire, le requérant avait la possibilité de contester son placement dans le centre spécial (Kaya, précité, § 21), ce qui n'était pas le cas dans la présente affaire.
96.  Dès lors, la Cour conclut qu'il y a eu en l'espèce violation de l'article 5 § 1 f) de la Convention.
III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
97.  Sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant allègue l'iniquité de la procédure portant sur l'octroi du statut de réfugié (paragraphes 40-43 ci-dessus). Il se plaint également du rejet de sa contestation par un jugement définitif du 30 août 2001 du tribunal de première instance de Bucarest, sans qu'il ait été cité à comparaître devant cette juridiction.
98.  La Cour relève que la procédure portait sur la reconnaissance du statut de réfugié. Or, les décisions relatives à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers n'emportent pas contestation sur des droits ou obligations de caractère civil de l'intéressé, ni n'ont trait au bien-fondé d'une accusation en matière pénale dirigée contre lui (Maaouia c. France [GC], no 39652/98, § 40, CEDH 2000-X, et Samir Saïd al Khadumi c. Roumanie (déc.), no 35380/03, 18 octobre 2005).
99.  Il s'ensuit que l'article 6 § 1 de la Convention ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce. Partant, ce grief doit être rejeté comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
100.  Sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint également de l'issue de la procédure consacrée au litige locatif (paragraphes 44-46 ci-dessus).
101.  A cet égard, la Cour observe que le requérant dit avoir interjeté appel contre le jugement du 18 novembre 1999 du tribunal départemental, mais avoir renoncé par la suite à cette action.
102.  Dès lors, ce grief doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour non-épuisement des voies de recours internes.
103.  Le requérant invoque en substance l'article 8 de la Convention, en alléguant que, s'il était éloigné du territoire, ses enfants risqueraient de ne plus avoir d'attache familiale, dans la mesure où il est seul à s'occuper d'eux.
104.  Sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 7, il se plaint de ce que les autorités roumaines aient tenté de le tromper afin de l'expulser, en le convoquant au commissariat de police et en le plaçant par la suite au centre de transit de l'aéroport.
105.  La Cour rappelle que par « victime », l'article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l'acte ou l'omission litigieuse et qu'on ne saurait donc se prétendre « victime » d'un acte dépourvu, temporairement ou définitivement, de tout effet juridique (Benamar c. France (déc.), no 42216/98, 14 novembre 2000, et Sisojeva et autres c. Lettonie [GC], no 60654/00, § 92, CEDH 2007-...). Or, elle observe que le requérant n'a pas été éloigné du territoire à ce jour. Dès lors, il ne saurait se prétendre victime d'une mesure d'éloignement aussi longtemps qu'une telle mesure est dépourvue de caractère exécutoire (Vijayanathan et Pusparajah c. France, arrêt du 27 août 1992, série A no 241-B, p. 87, § 46, et Yildiz c. Allemagne (déc.), no 40932/02, 13 octobre 2005). De plus, si les autorités roumaines décident d'éloigner l'intéressé du territoire, elles seront alors tenues, en vertu de l'article 81 de l'ordonnance d'urgence no 194/2002, publiée au Bulletin officiel du 27 décembre 2002 et modifiée par la loi no 482 du 10 novembre 2004, de lui communiquer un ordre de quitter le territoire, qu'il pourra contester, en vertu de l'article 82 de la même ordonnance d'urgence, devant la cour d'appel de Bucarest. La Cour observe en outre qu'une telle contestation suspend l'exécution de l'ordre susmentionné.
106.  Elle estime dès lors que le requérant ne saurait à ce jour se prétendre victime d'une violation des articles 8 de la Convention et 1 du Protocole no 7.
107.  Il s'ensuit que ces griefs doivent être rejetés comme manifestement mal fondés, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention.
108.  Le requérant invoque également l'article 3 du Protocole no 7, sans toutefois étayer ce grief. Invoquant l'article 14 de la Convention, il allègue que les autorités roumaines l'ont traité d'une manière discriminatoire par rapport à son ancienne compagne et aux tiers qui l'auraient agressé, en raison de sa nationalité.
109.  La Cour estime que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu'ils doivent dès lors être rejetés en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
110.  Par des lettres des 27 et 30 avril et du 7 mai 2007 contenant ses observations en réponse à celles du Gouvernement, le requérant allègue, sans invoquer aucune disposition de la Convention ou de ses Protocoles, que le centre de transit ressemblait à une prison. Il fait en outre la description suivante concernant l'immeuble en question : « L'étage où j'ai été détenu avec quarante-cinq autres personnes a une surface d'environ 200 m2. Les fenêtres étaient cassées, il y avait des mouches et des moustiques partout. La misère était inimaginable. Dans la salle de bain, il y avait trois, quatre lavabos avec des robinets qui ne fonctionnaient pas et trois, quatre douches dont une seulement était en état. Les toilettes étaient sales et le plancher était couvert d'urine. »
111.  Dans la mesure où le requérant entend se plaindre des conditions de détention au centre de transit de l'aéroport d'Otopeni, la Cour relève que le placement au centre a pris fin le 17 août 2001, alors que le grief dont il s'agit a été soulevé pour la première fois, en substance, par les lettres susmentionnées.
112.  Dès lors, la Cour estime que le grief doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour non-respect du délai de six mois.
IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
113.  La Cour observe qu'il ressort de la lettre du 13 décembre 2005 de l'autorité pour les étrangers ainsi que des observations du Gouvernement (paragraphes 47 et 48 ci-dessus) que l'autorité pour les étrangers tient compte des recommandations du HCR selon lesquelles il ne faut pas renvoyer des ressortissants irakiens vers l'Irak ou les pays voisins.
114.  N'ayant aucun motif de douter que le gouvernement défendeur se conformera à cet engagement, la Cour décide de mettre fin à l'application de l'article 39 du règlement.
V.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
115.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
116.  Le requérant demande 500 000 euros (EUR) pour dommage matériel en raison de l'interruption de l'activité de deux sociétés commerciales dont il était associé.
117.  Il réclame en outre 15 000 000 EUR pour dommage moral du fait des humiliations, menaces et agressions qu'il aurait eu à subir à compter de 1999. Il allègue également que ses deux enfants mineurs ont été profondément touchés par son placement dans le centre de transit. Il ajoute qu'il lui a été impossible de revoir ses parents avant leur décès.
118.  Le Gouvernement estime que les prétentions pécuniaires du requérant n'ont pas de lien avec ses allégations tirées des articles 3 et 5 § 1 f) de la Convention (Shamsa, précité, § 64, et Singh, précité, § 81). De plus, l'existence du prétendu dommage matériel n'aurait pas été suffisamment prouvée, dans la mesure où le requérant n'aurait fourni aucun document justificatif à cet égard.
119.  Concernant le dommage moral, le Gouvernement relève que la somme demandée par le requérant à ce titre est excessive au regard de la jurisprudence de la Cour. Il renvoie à ce propos aux affaires Melinte c. Roumanie, no 43247/02, § 43, 9 novembre 2006, Shamsa, précitée, § 65, Singh, précitée, § 81, et Kaya, précitée, § 65. Il considère en outre qu'aucun lien de causalité entre les violations alléguées et le dommage moral prétendument subi n'a été établi.
120.  La Cour constate qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les violations établies et le dommage matériel allégué. En conséquence, elle n'aperçoit aucun motif d'octroyer au requérant une indemnité de ce chef.
121.  En revanche, elle estime que l'absence d'enquête effective sur les violences subies et son placement dans le centre de transit d'Otopeni ont causé au requérant un tort moral certain qui n'est pas suffisamment réparé par les constats de violation.
122.  Eu égard aux circonstances de l'affaire en cause et statuant en équité comme le veut l'article 41, elle décide d'octroyer à l'intéressé 2 000 EUR à ce titre.
B.  Frais et dépens
123.  Le requérant n'a pas demandé le remboursement de ses frais et dépens.
124.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où il l'a demandé. Dès lors, en l'espèce, la Cour n'octroie au requérant aucune somme à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
125.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare recevable le grief tiré de l'article 3 de la Convention sous son volet procédural en ce qui concerne les incidents de juillet 1999 et des 18 avril et 18 octobre 2000 ;
2.  Déclare recevable le grief tiré de l'article 5 § 1 f) de la Convention ;
3.  Déclare la requête irrecevable pour le surplus ;
4.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention ;
5.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 f) de la Convention ;
6.  Décide de mettre fin à l'application de l'article 39 du règlement ;
7.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral ;
b)  que la somme en question sera à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement et qu'il convient de lui ajouter tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
c)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
8.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 février 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič   Greffier Président
ARRÊT HUSSAIN c. ROUMANIE
ARRÊT HUSSAIN c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 12338/02
Date de la décision : 14/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 3 ; Violation de l'art. 5-1-f ; Partiellement irrecevable ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation

Analyses

(Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-1) PRIVATION DE LIBERTE, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 5-1-f) EXPULSION


Parties
Demandeurs : HUSSAIN
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-14;12338.02 ?

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