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14/02/2008 | CEDH | N°30142/03

CEDH | AFFAIRE FARA c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE FARA c. ROUMANIE
(Requête no 30142/03)
ARRÊT
STRASBOURG
14 février 2008
DÉFINITIF
14/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Fara c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   Egbert

Myjer,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE FARA c. ROUMANIE
(Requête no 30142/03)
ARRÊT
STRASBOURG
14 février 2008
DÉFINITIF
14/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Fara c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 janvier 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 30142/03) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Iris Melania Fara (« la requérante »), a saisi la Cour le 11 août 2003, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante est représentée par Me Bogdan Horaţiu Suciu, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Le 2 mars 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  La requérante est née en 1968 et réside à Bucarest.
5.  En 1950, en vertu du décret no 92/1950, l’immeuble sis au no 16, rue Cotroceni, à Bucarest composé d’une maison à plusieurs appartements et du terrain afférent, appartenant au grand-père de la requérante, fit l’objet d’une nationalisation.
6.  Le 29 octobre 1998, suite à une action en revendication immobilière, la requérante obtint une décision définitive constatant l’illégalité de la nationalisation de l’immeuble et ordonnant sa restitution à la requérante et à sa tante.
7.  Malgré la reconnaissance judiciaire définitive de son droit de propriété, la requérante se vit dans l’impossibilité de récupérer son bien en entier car, en vertu de la loi no 112/1995, l’État avait vendu en 1997 trois appartements à la locataire qui les occupaient.
8.  Le 27 octobre 1999, la requérante et sa tante demandèrent aux tribunaux de constater la nullité de la vente des appartements précités. Elles faisaient valoir que l’État s’était emparé de ces appartements de manière abusive et illégale, et qu’il ne pouvait pas être leur propriétaire légitime et, par conséquent, ne pouvait légalement les vendre.
9.  Pendant la procédure, par une transaction judiciaire du 16 janvier 2003, la requérante et sa tante partagèrent l’immeuble litigieux. Le lot attribué à la requérante contenait, entre autres, l’appartement no 2 de 54,92 m² et le terrain afférent.
10.  A l’issue de la procédure, par un arrêt du 18 février 2003, la Cour suprême de justice, tout en reconnaissant le droit de propriété de la requérante, rejeta son action pour ce qui était de l’appartement no 2 et du terrain afférent, au motif que la locataire était un acquéreur de bonne foi. La Cour suprême n’octroya aucune indemnisation à la requérante.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
11.  Les dispositions légales et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31-33), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, CEDH 2005-VII, §§ 19-26) et Păduraru c. Roumanie (no 63252/00, §§ 38-53, 1er décembre 2005).
12.  La loi no 10/2001 du 14 février 2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l’État entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989 a été modifiée par la loi no 247 publiée au Journal officiel du 22 juillet 2005. La nouvelle loi élargit les formes d’indemnisation en permettant aux bénéficiaires de choisir entre une compensation sous forme de biens et services et une compensation sous forme de dédommagement pécuniaire équivalant à la valeur marchande du bien qui ne peut pas être restitué en nature au moment de l’octroi de la somme.
13.  Les dispositions pertinentes de la loi no 10/2001 (republiée) telles que modifiées par la loi no 247/2005 se lisent ainsi :
Article 1
« 1.  Les immeubles que l’État (...) s’est abusivement appropriés entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, de même que ceux pris par l’État en vertu de la loi no 139/1940 sur les réquisitions, et non encore restitués, feront l’objet d’une restitution en nature.
2.  Si la restitution en nature n’est pas possible, il y a lieu d’adopter des mesures de réparation par équivalence. Il peut s’agir de la compensation par d’autres biens ou services (...), avec l’accord du demandeur, ou d’un dédommagement pécuniaire octroyé selon les dispositions spéciales concernant la détermination et le paiement de dédommagements pour les biens immeubles acquis abusivement.
Article 10
« 1)  Lorsque les bâtiments tombés dans le patrimoine de l’État d’une manière abusive ont été démolis totalement ou partiellement, la restitution en nature est ordonnée pour le terrain libre et pour les constructions qui n’ont pas été démolies, tandis que des mesures réparatrices par équivalence seront fixées pour les terrains occupés et pour les constructions démolies.
8)  La valeur des constructions que l’État s’est abusivement appropriées et qui ont été démolies est déterminée en fonction de leur valeur vénale au jour où l’administration statue sur la demande, établie selon les normes internationales d’évaluation à partir des informations à la disposition des évaluateurs.
9)  La valeur des constructions qui n’ont pas été démolies et des terrains y afférents que l’État s’est abusivement appropriés et qui ne peuvent pas être restitués en nature est déterminée en fonction de leur valeur vénale au jour où l’administration statue sur la demande, conformément aux normes internationales d’évaluation. »
Article 20
« 1)  Les personnes qui se sont vu octroyer des dédommagements en vertu de la loi no 112/1995 peuvent, sauf dans le cas où l’immeuble a été vendu [à des tiers] avant l’entrée en vigueur de la présente loi, en solliciter la restitution en nature, à charge pour elles de rembourser le montant reçu au titre des dédommagements, corrigé en fonction du taux de l’inflation.
2)  Dans le cas où l’immeuble a été vendu [à des tiers] dans les conditions prévues par la loi no 112/1995 (...), le demandeur a droit à des mesures de réparation par équivalence, à hauteur de la valeur vénale de l’immeuble, incluant le terrain et les constructions, déterminée conformément aux normes internationales d’évaluation. Lorsque le demandeur a reçu des dédommagements en vertu de la loi no 112/1995, il a droit à la différence entre la valeur vénale du bien et le montant reçu au titre desdits dédommagements, corrigé en fonction du taux d’inflation.
14.  Les articles 13 et 16 du titre VII de la loi no 247/2005, également pertinents dans la présente affaire, se lisent ainsi :
Article 13
« 1)  En vue d’arrêter le montant final des dédommagements à octroyer selon la présente loi, sera créée une Commission centrale des dédommagements, ci-après la Commission centrale, placée sous l’autorité du Premier ministre (...)
Article 16
« 1)  Les décisions délivrées par les autorités compétentes pour restituer le bien mentionnant des sommes à titre de dédommagement (...) seront envoyées au secrétariat de la Commission centrale au plus tard 60 jours après l’entrée en vigueur de la présente loi.
2)  Les demandes de restitution déposées en vertu de la loi no 10/2001 (...) qui n’ont pas reçu de réponse au moment de l’entrée en vigueur de la loi seront envoyées (...) au secrétariat de la Commission centrale (...) dans un délai de 10 jours à compter de la date de la délivrance des décisions des autorités compétentes pour restituer le bien.
5)  Le secrétariat de la Commission centrale dressera la liste des dossiers mentionnés aux alinéas 1 et 2 dans lesquels la demande de restitution en nature a été rejetée. Ces dossiers seront ensuite transmis à l’autorité chargée de l’évaluation, qui rédigera le rapport d’évaluation.
6)  (...) L’autorité chargée de l’évaluation rédigera le rapport d’évaluation selon la procédure prévue à cet effet et le transmettra à la Commission centrale. Le rapport contiendra le montant du dédommagement à octroyer.
7)  Sur la base du rapport d’évaluation, la Commission centrale prononcera la décision d’octroi de dédommagement ou renverra le dossier pour une nouvelle évaluation. »
15.  Le fonctionnement de la société par actions « Proprietatea » est décrit dans l’affaire Radu c. Roumanie (no 13309/03, §§ 18-20, 20 juillet 2006).
16.  La loi no 247/2005 a été modifiée en dernier lieu par l’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 81 du 28 juin 2007, publiée au Journal Officiel du 29 juin 2007 et portant sur l’accélération de la procédure d’indemnisation pour les immeubles pris abusivement par l’État.
Selon l’article 181 du titre I de l’ordonnance, lorsque la Commission centrale a décidé l’octroi des dédommagements dont le montant ne dépasse pas 500 000 nouveaux lei roumains (« RON »), les bénéficiaires peuvent opter entre des actions à « Proprietatea » et l’octroi des dédommagements pécuniaires. Pour les montants supérieurs à 500 000 RON, les intéressés peuvent réclamer des dédommagements pécuniaires à hauteur de 500 000 RON, et se verront octroyer des actions à « Proprietatea » pour la différence.
Selon l’article 7 du titre II de l’ordonnance, dans les six mois à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, le Gouvernement devra établir les règles de désignation de la société gérante de « Proprietatea ».
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
17.  Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, la requérante se plaint d’avoir subi une atteinte à son droit au respect de ses biens, en raison des décisions des tribunaux internes qui, tout en constatant l’illégalité de la nationalisation et l’absence de titre valable de l’État sur l’immeuble en question, ont validé la vente par l’État d’un appartement de cet immeuble. L’article 1 du Protocole no 1 dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A.  Sur la recevabilité
18.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle observe par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité et le déclare donc recevable.
B.  Sur le fond
19.  Le Gouvernement ne conteste pas l’existence d’une ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens.
20.  En deuxième lieu, le Gouvernement estime qu’il aurait été loisible à la requérante d’obtenir une indemnité en vertu de la loi no 10/2001 modifiée par la loi no 247/2005, ce qui répond aux exigences de l’article 1 du Protocole no 1. Il considère que dans des situations complexes telles qu’en l’espèce, où les dispositions législatives ont un impact économique sur l’ensemble du pays, les autorités nationales doivent bénéficier d’un pouvoir discrétionnaire non seulement pour choisir les mesures visant à garantir le respect des droits patrimoniaux mais également pour leur mise en œuvre. Il expose que la dernière réforme en la matière, à savoir la loi no 247/2005, pose le principe de l’octroi de dédommagements équitables et non plafonnés, fixés par une décision de la commission administrative centrale sur la base d’une expertise, et accélère la procédure de restitution ou d’indemnisation. Cette loi prévoit que, dans le cas où la restitution de l’immeuble n’est pas possible, l’indemnisation se fait par l’émission de titres de participation à un organisme collectif de valeurs mobilières (Proprietatea), à hauteur de la valeur du bien établie par expertise. Selon le Gouvernement, le nouveau mécanisme institué par la loi no 247/2005 assure une indemnisation effective, conforme aux exigences de la Convention.
21.  Le Gouvernement estime qu’en tout état de cause un éventuel retard dans l’octroi d’une indemnité, dans le contexte d’un dédommagement non plafonné, ne rompt pas le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété des individus et les exigences de l’intérêt général et n’oblige pas la requérante à supporter une charge excessive.
22.  La requérante fait valoir que les autorités ont vendu son bien dont l’État s’était abusivement emparé en dépit de ses démarches en vue de sa restitution. Elle considère en outre que la voie que le Gouvernement laisse entrevoir pour l’obtention d’une réparation, à savoir la loi no 10/2001, ne constitue pas un moyen efficace et renvoi à cette fin au constat de la Cour dans les affaires Jujescu c. Roumanie (arrêt du 29 juin 2006, no 12728/03, § 38), et Toganel et Gradinaru c. Roumanie (arrêt du 29 juin 2006, no 5691/03, § 31).
23.  La Cour observe que la requérante détient une décision définitive et irrévocable ordonnant aux autorités de lui restituer le bien litigieux. Comme la Cour l’a déjà constaté (voir affaire Străin précité § 38) l’existence de son droit de propriété en vertu de ladite décision définitive n’était pas conditionnée à d’autres formalités.
24.  La Cour rappelle avoir d’ores et déjà jugé que la vente par l’État d’un bien d’autrui à des tiers de bonne foi, même lorsqu’elle est antérieure à la confirmation en justice de façon définitive du droit de propriété d’autrui, s’analyse en une privation de propriété. Une telle privation, combinée avec l’absence totale d’indemnisation, est contraire à l’article 1 du Protocole no 1 (Străin et autres précité, §§ 39, 43 et 59).
25.  De surcroît, dans l’affaire Păduraru précitée, la Cour a constaté que l’État avait manqué à son obligation positive de réagir en temps utile et avec cohérence face à la question d’intérêt général que constitue la restitution ou la vente des immeubles entrés en sa possession en vertu des décrets de nationalisation. Elle a également considéré que l’incertitude générale ainsi créée s’était répercutée sur le requérant, qui s’était vu dans l’impossibilité de recouvrer l’ensemble de son bien alors qu’il disposait d’un arrêt définitif condamnant l’État à le lui restituer (Păduraru, précité, § 112).
26.  En l’espèce, la Cour n’aperçoit pas de motif de s’écarter des affaires précitées, la situation de fait étant sensiblement la même. Elle note que la vente par l’État de l’appartement no 2 de la requérante en vertu de la loi no 112/1995, laquelle ne permettait pas, pourtant, de vendre les biens nationalisés illégalement, empêche – aujourd’hui encore – l’intéressée de jouir de son droit de propriété reconnu par une décision définitive et irrévocable.
27.  En l’espèce, à supposer qu’une éventuelle demande de la requérante en vertu de la loi no 10/2001 soit recevable et puisse donner lieu à une indemnisation, la Cour observe que Proprietatea ne fonctionne actuellement pas d’une manière susceptible d’aboutir à l’octroi effectif d’une indemnité à la requérante (voir, parmi d’autres, les affaires Radu, précitée, Gabriel c. Roumanie, no 35951/02, § 31, 8 mars 2007 ; Săvulescu c. Roumanie, no 1696/03, § 30, 12 juillet 2007). De surcroît, ni la loi no 10/2001, ni la loi no 247/2005 la modifiant ne prennent en compte le préjudice subi du fait d’une absence prolongée d’indemnisation par les personnes qui, comme la requérante, se sont vu priver de leurs biens (Porteanu c. Roumanie, no 4596/03, § 34, 16 février 2006).
28.  Dès lors, la Cour considère que le fait que la requérante a été privée de son droit de propriété sur son bien, combiné avec l’absence totale d’indemnisation depuis environ neuf ans, lui a fait subir une charge disproportionnée et excessive, incompatible avec le droit au respect de ses biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1.
29.  Dès lors, il y a eu en l’espèce violation de cette disposition.
II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
30.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
31.  Dans le formulaire de requête, la requérante réclamait, au titre de dommage matériel, la restitution de l’appartement dont elle a été reconnue propriétaire par la décision du 29 octobre 1998 ou, à défaut, l’octroi de la somme de 35 000 euros (EUR), représentant la valeur actuelle du bien. Par une lettre du 22 mai 2006, la requérante a indiqué que, sur la base d’une expertise immobilière, la valeur vénale de l’appartement était de 85 500 euros (EUR). Par une lettre du 3 octobre 2007, la requérante a augmenté la valeur vénale de l’appartement à 130 000 euros (EUR), suivant des attestations des agences immobilières. La requérante demande également la valeur des loyers non perçus pendant les trois dernières années, qu’elle chiffre à 18 000 EUR.
32.  Enfin, elle réclame 10 000 EUR au titre de dommage moral pour les souffrances causées par la méconnaissance de son droit de propriété.
33. En ce qui concerne le préjudice matériel, le Gouvernement considère que la valeur marchande de l’immeuble en cause est de 52 910 EUR, et il soumet un rapport d’expertise (avis) en ce sens. Par ailleurs, s’agissant de la demande tirée du défaut de jouissance, il demande son rejet, renvoyant à la jurisprudence de la Cour sur ce point. S’agissant du dommage moral, le Gouvernement estime qu’il serait suffisamment compensé par un constat de violation. A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que les prétentions de la requérante sont excessives.
34.  La Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de la vente par l’État du bien de la requérante, combinée avec l’absence totale d’indemnisation.
35.  La Cour estime, dans les circonstances de l’espèce, que la restitution de l’appartement litigieux, telle qu’ordonnée par la décision définitive du 29 octobre 1998, placerait la requérante autant que possible dans une situation équivalant à celle où elle se trouverait si les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 n’avaient pas été méconnues.
36.  A défaut pour l’État défendeur de procéder à pareille restitution dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, la Cour décide qu’il devra verser à la requérante, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur actuelle de l’appartement.
37.  A cet égard, la Cour relève un écart important entre la valeur de l’immeuble telle qu’elle a été établie par les deux expertises produites par les parties, écart dû notamment aux méthodes techniques utilisées. Compte tenu des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier local et des éléments fournis par les parties, la Cour estime la valeur marchande actuelle du bien à 90 000 EUR.
38.  Concernant les sommes demandées au titre du défaut de jouissance du bien, calculées par rapport au prix de location de ce bien, la Cour ne saurait allouer de somme à ce titre, compte tenu, d’une part, du fait qu’elle a ordonné la restitution du bien comme réparation au titre de l’article 41 de la Convention et, d’autre part, de ce que l’octroi d’une somme à ce titre revêtirait en l’espèce un caractère spéculatif, la possibilité et le rendement d’une location étant fonction de plusieurs variables. Néanmoins, elle tiendra compte de la privation de propriété subie par la requérante depuis octobre 1998 à l’occasion de la réparation du préjudice moral (voir, mutatis mutandis, Androne c. Roumanie, no 54062/00, § 70, 22 décembre 2004).
39.  La Cour considère que les événements en cause ont pu provoquer à la requérante un état d’incertitude et des souffrances qui ne peuvent pas être compensés par le constat de violation. Elle estime que la somme de 2 000 EUR représente une réparation équitable du préjudice moral subi par la requérante.
B.  Frais et dépens
40. La requérante n’a formulé aucune demande à ce titre.
41.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où il l’a demandé. Dès lors, en l’espèce, la Cour n’octroie à la requérante aucune somme à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
42.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3.  Dit
a)  que l’État défendeur doit restituer à la requérante l’appartement no 2 de 54,92 m² et le terrain afférent, situés au 16, rue Cotroceni, à Bucarest, dans les trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention ;
b)  qu’à défaut d’une telle restitution, l’État défendeur doit verser à la requérante, dans le même délai de trois mois, 90 000 EUR (quatre-vingt-dix mille euros) pour dommage matériel ;
c)  qu’en tout état de cause, l’État défendeur doit verser à la requérante 2 000 EUR (deux mille euros) pour préjudice moral ;
d)  qu’il convient d’ajouter aux sommes susmentionnées tout montant pouvant être dû à titre d’impôt et que les sommes en question seront à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
e)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 février 2008 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič   Greffier Président
ARRÊT FARA c. ROUMANIE
ARRÊT FARA c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 30142/03
Date de la décision : 14/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable ; Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété

Analyses

(Art. 6) DROIT A UN PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : FARA
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-14;30142.03 ?

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