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14/02/2008 | CEDH | N°40067/06

CEDH | AFFAIRE BUTAN ET DRAGOMIR c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BUTAN ET DRAGOMIR c. ROUMANIE
(Requête no 40067/06)
ARRÊT
STRASBOURG
14 février 2008
DÉFINITIF
14/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Butan et Dragomir c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyul

umyan,   Egbert Myjer,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greff...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BUTAN ET DRAGOMIR c. ROUMANIE
(Requête no 40067/06)
ARRÊT
STRASBOURG
14 février 2008
DÉFINITIF
14/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Butan et Dragomir c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 janvier 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 40067/06) dirigée contre la Roumanie et dont les ressortissants de cet Etat, M. Traian Nicolae Butan et Mme Constanţa Dragomir (« les requérants »), ont saisi la Cour le 15 mai 2006 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par M. Răzvan-Horaţiu Radu, Agent du Gouvernement roumain auprès de la Cour européenne des droits de l'homme.
3.  Le 2 mai 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire. En même temps, la Cour a décidé de traiter la requête en priorité, en vertu de l'article 41 de son Règlement.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A.  La genèse de l'affaire
4.  Les requérants sont nés respectivement en 1977 et 1946 et résident à Bucarest. Le requérant Traian Nicolae Butan est le fils de la requérante Constanţa Dragomir.
5.  La requérante est propriétaire de l'appartement no 4, qu'elle occupait avec son fils. L'appartement en question est sis au dernier étage d'un immeuble où se trouvent trois autres appartements. La fourniture d'eau potable, du réseau public de distribution, se fait sur la base d'un contrat unique conclu par l'association de propriétaires de l'immeuble avec l'entreprise concessionnaire du service public en question, à savoir Apanova S.A.
6.  L'accès des requérants à l'eau potable, fut interrompu à partir du 20 octobre 2001, les voisins habitant les étages inférieurs du même immeuble ayant coupé l'eau en fermant des tuyaux d'alimentation de l'appartement occupé par les requérants.
7.  Les disputes avec les voisins continuèrent de sorte que les requérants demandèrent à l'entreprise concessionnaire Apanova SA de conclure avec eux un contrat de fourniture d'eau.
8.  Le 11 avril 2002, les requérants saisirent la municipalité se plaignant des entraves subies dans l'alimentation d'eau. La municipalité envoya leur lettre à l'entreprise concessionnaire pour vérifications des faits signalés.
9.  L'entreprise concessionnaire refusa de conclure un contrat avec les requérants et, par une lettre du 21 août 2003, elle leur communiqua son refus d'autoriser l'exécution d'un branchement à usage exclusif, en plus de celui desservant l'immeuble, en entier.
10.  A la suite d'une action formée par les requérants, par un jugement du 11 septembre 2003 devenu définitif, le tribunal de première instance de Bucarest ordonna aux voisins des intéressés à rouvrir le robinet pour leur redonner l'accès à l'eau potable.
11.  D'après le procès-verbal du 9 juillet 2004, conclu par les propriétaires des autres appartements de l'immeuble habité par les requérants, les premiers décidèrent qu'à partir du 10 juillet 2004, à 10 heures, le robinet alimentant en eau la salle de bain et la cuisine de l'appartement no 4, appartenant à Constanţa Dragomir et à son fils, allait être rouvert.
12.  Pendant une période allant du 15 novembre 2003 au 15 novembre 2004, le requérant s'est dit obligé de louer un autre logement, à cause de l'absence de l'eau courante à sa résidence initiale. Sa mère continua à loger dans l'appartement en question.
B.  L'action contre l'entreprise concessionnaire du service public de distribution de l'eau potable
13.  Le 26 janvier 2003, les requérants saisirent le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest d'une action contre Apanova SA, tendant à l'obliger à conclure un contrat de fourniture d'eau potable.
14.  Le 16 mars 2004, le tribunal de première instance déclina sa compétence en faveur du tribunal départemental de Bucarest.
15.  Les requérants furent déboutés de leurs prétentions par un jugement du 26 octobre 2004 du tribunal départemental de Bucarest, au motif que l'entreprise concessionnaire assurait l'alimentation en eau potable de l'ensemble de l'immeuble habité par les requérants et qu'elle ne pouvait pas être tenu responsable du fait que leurs voisins avaient interrompu l'accès à l'eau. Le tribunal notait également que l'installation technique existante, à savoir le branchement reliant l'immeuble au réseau public de distribution, servait à l'ensemble de l'immeuble et qu'il fallait d'abord installer un nouveau branchement avant que l'entreprise ne puisse fournir de l'eau sur la base d'un contrat conclu avec les requérants seuls.
16.  Ce jugement fut maintenu par un arrêt de la cour d'appel de Bucarest rendu le 18 mai 2005. La cour d'appel jugea que le règlement du service de distribution d'eau potable adopté par le conseil local de Bucarest imposait à la charge du concessionnaire l'obligation d'assurer le branchement de chaque immeuble, mais non de chaque appartement. L'installation d'un branchement supplémentaire était soumise à certaines obligations à la charge du bénéficiaire, dont celle d'obtenir des avis et autorisations, y compris de la part de l'entreprise concessionnaire, le bénéficiaire étant responsable des frais. La cour d'appel conclut qu'en l'absence d'un nouveau branchement, l'entreprise concessionnaire ne pouvait pas être obligée de conclure un contrat de fourniture avec les requérants.
17.  Par un arrêt définitif du 22 novembre 2005, la Haute Cour de Cassation et de Justice accueillit le recours des deux requérants, fit droit à leur action et ordonna à l'entreprise concessionnaire de conclure un contrat de fourniture en eau potable avec la requérante Constanţa Dragomir, en tant que propriétaire de l'appartement. La Haute Cour considéra que la prestation du service public d'alimentation en eau se matérialisait, en premier lieu, par la conclusion d'un contrat de fourniture d'eau.
18.  A une date non précisée, l'arrêt fut revêtu de la formule exécutoire.
19.  Par une notification datant du 4 mai 2006, les requérants demandèrent à l'entreprise concessionnaire d'obtempérer à l'arrêt du 22 novembre 2005.
20.  Par lettre du 15 mai 2006, l'entreprise concessionnaire répondit aux requérants qu'elle envisageait d'obtempérer à l'arrêt de la Haut Cour, se disant disposée à conclure le contrat pour l'appartement no 4, mais seulement après l'installation d'un nouveau branchement, à la charge des requérants. Dès lors, elle refusa de conclure le contrat tout de suite.
21.  Par la suite, les requérants saisirent le tribunal départemental de Bucarest d'une demande fondée sur l'article 5803 du Code de procédure civile, tendant à appliquer une astreinte à l'entreprise concessionnaire débitrice pour son refus d'exécuter l'arrêt du 22 novembre 2005.
22.  Par décision définitive du 14 mai 2007, le tribunal départemental accueillit la demande des intéressés et imposa à l'entreprise concessionnaire de payer au profit de l'État une astreinte de 20 lei roumains (RON) par jour de retard jusqu'à l'exécution de l'arrêt du 22 novembre 2005.
23.  Il ressort des éléments du dossier que l'arrêt du 22 novembre 2005 demeure, à ce jour, inexécuté.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
Les requérants allèguent que l'inexécution de l'arrêt du 22 novembre 2005 a enfreint leur droit d'accès à un tribunal, tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A.  Sur la recevabilité
24.  Considérant que le grief n'est pas manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B.  Sur le fond
1.  Thèses des parties
25.  Le Gouvernement fait observer que le débiteur de l'obligation inexécutée est une entreprise privée, donc un tiers. De ce fait, il relève que l'État est uniquement tenu de se doter d'un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent en matière d'exécution de décisions de justice rendues en matière civile, entre particuliers. Il affirme, en outre, que l'État ne peut être tenu responsable d'exécuter chaque jugement de caractère civil quelques soient les circonstances. A ce titre, le Gouvernement fait observer que les divergences entre les requérants et leur débiteur concernant l'exécution de l'arrêt du 22 novembre 2005, ont été tranchées par la décision du 14 mai 2007, du tribunal départemental de Bucarest, qui a imposé une astreinte à la charge du débiteur. D'après le Gouvernement, il s'agit là d'un mécanisme juridique efficace offert aux requérants, dont ils ont d'ailleurs fait l'usage afin d'assurer l'exécution d'une obligation civile incombant à un particulier. Le Gouvernement estime, de ce fait, avoir respecté ses obligations positives sous l'angle de l'article 6 de la Convention.
26.  Enfin, compte tenu de la date récente de la décision du 14 mai 2007, le Gouvernement estime qu'il serait prématuré de considérer qu'il s'agit d'une non-exécution. Ainsi, le Gouvernement fait valoir que, même si la demande d'exécution des requérants datait du 4 mai 2006, leur recours tendant à l'exécution forcée de l'arrêt du 22 novembre 2005 a pris un certain temps.
27.  Les requérants s'opposent à cette thèse. Ils font valoir qu'ils ont fait usage de toutes les voies légales afin d'obtenir l'exécution forcée de l'arrêt définitif rendu en leur faveur, mais que celui-ci reste toujours inopérant à leur détriment, à cause du manquement des autorités étatiques d'honorer leur obligation d'assurer le respect des décisions de justice définitives et exécutoires.
28.  Ils font observer, en outre, que faute d'assistance de la part des autorités étatiques afin de faire cesser les entraves illicites des voisins à l'alimentation en eau de leur logement, ils se sont vus obliger de demander que leur approvisionnement en eau se fasse sur la base d'un contrat séparé de celui conclu par l'association de propriétaires de l'immeuble.
29.  Ils relèvent que l'arrêt du 22 novembre 2005 ne conditionne pas la conclusion du contrat d'approvisionnement en eau à l'installation préalable d'un branchement séparé. A cet égard, ils font valoir qu'en 2003, ils avaient sans succès sollicité l'autorisation du concessionnaire pour installer un branchement séparé.
30.  S'agissant de l'argument de gouvernement concernant le caractère prématuré de leur grief, ils font valoir que l'arrêt définitif dont ils demandent l'exécution date du 22 novembre 2005, soit de plus de deux ans, alors qu'ils sont privés d'approvisionnement en eau depuis 2001, souffrant de ce fait, de conditions de vie très rudes.
31.  Les requérants relèvent qu'il appartenait aux autorités fiscales d'assurer l'exécution de la décision du 14 mai 2007, en ce qui concernait l'application de l'astreinte à l'entreprise concessionnaire pour manquement à son obligation d'obtempérer à l'arrêt définitif du 22 novembre 2005. A cet égard, ils font valoir que le faible montant de l'astreinte ne s'est pas avéré efficace pour assurer l'exécution de l'arrêt.
32.  De même, les requérants relèvent qu'en vertu du règlement relatif au service public d'approvisionnement en eau potable adopté par décision du conseil général de Bucarest, no 157 du 14 juillet 2005, les agents publics sont chargés à sanctionner toute entrave illicite à l'accès à l'eau du réseau public d'alimentation. Or, les agents de l'État n'ont appliqué aucune sanction à l'encontre de l'entreprise concessionnaire débitrice.
2.  L'appréciation de la Cour
33.  La Cour note que, nonobstant l'arrêt définitif de la Haute Cour de Cassation et de Justice du 22 novembre 2005 ordonnant à l'entreprise concessionnaire du service public de distribution de l'eau de conclure un contrat d'approvisionnement avec les requérants et en dépit des démarches effectuées par la suite en vue de son exécution, cette décision de justice n'a pas été exécutée.
34.  La Cour observe qu'en l'espèce l'obligation a été imposée à un particulier, à savoir à une entreprise privée. Elle attache toutefois une importance particulière au fait que l'entreprise en question, en tant que concessionnaire du service public de distribution de l'eau, était liée à la municipalité par un contrat de droit administratif, dont l'exécution devait être contrôlée par les autorités publiques.
35.   Elle examinera, dès lors, si, en l'espèce, les mesures adoptées par les autorités roumaines ont été adéquates et suffisantes pour assurer l'exécution de l'arrêt définitif favorable aux requérants (Ruianu, précité, § 66).
36.  Elle constate que malgré tous les efforts déployés par les requérants, le débiteur s'est constamment opposé à l'exécution. Or, nonobstant le lien d'autorité existant entre le débiteur, en sa qualité de concessionnaire d'un service public, et l'État, le refus du premier d'obtempérer à un arrêt définitif n'a aucunement été sanctionné. En outre, le Gouvernement n'a pas démontré que la sanction de l'astreinte de 20 RON par jour de retard, imposée par l'arrêt du 14 mai 2007 du tribunal départemental de Bucarest, a été effectivement appliquée.
37.  Au demeurant, aucun argument de nature à justifier une impossibilité objective d'exécution n'a jamais été porté à la connaissance des requérants par le biais d'une décision judiciaire ou administrative formelle (Sabin Popescu c. Roumanie, nº 48102/99, § 72, 2 mars 2004).
38.  S'agissant de l'argument opposé par le débiteur relatif à la nécessité d'installer un nouveau branchement au réseau public de distribution d'eau, préalable à la conclusion d'un contrat, la Cour note premièrement qu'aucune condition préalable de ce type n'a été imposée par l'arrêt du 22 novembre 2005 et, deuxièmement, que l'entreprise concessionnaire avait déjà opposé aux requérants son refus d'autoriser pareille construction (voir paragraphe 9, ci-dessus).
39.  La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Elle a considéré que l'État, en sa qualité de dépositaire de la force publique, était appelé à avoir un comportement diligent et à assister les créanciers dans l'exécution de la décision de justice définitive qui leurs était favorable (voir, entre autres, Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 72, 17 juin 2003).
40.  A la lumière des éléments ci-dessus, la Cour considère qu'en l'espèce, les autorités nationales n'ont pas pris toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre d'elles afin de faire exécuter la décision définitive favorable aux requérants.
41.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que dans la présente affaire, par leur passivité, les autorités nationales ont privé les requérants d'un accès effectif à un tribunal.
42.  Par conséquent, il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
43.  Invoquant les articles 8, 3 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent de l'inaction des autorités pour faire cesser les atteintes au droit au respect de leur domicile et pour porter remède aux conditions inhumaines qu'ils ont dû supporter à cause du manque d'eau dans les installations sanitaires de leur logement.
44.  Invoquant l'article 1 du Protocole no 1, ils estiment que l'impossibilité d'obtenir l'exécution de l'arrêt du 22 novembre 2005 emporte violation de leur droit au respect de leurs biens. En outre, ils s'estiment discriminés par le défaut d'assistance des autorités et dénoncent une violation de l'article 14 de la Convention combiné avec les dispositions précitées.
45.  Dans la mesure où ces griefs visent en substance les mêmes aspects que ceux déjà examinés sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, eu égard à ses conclusions figurant au paragraphe 42 ci-dessus, la Cour conclut que cette partie de la requête doit être déclarée recevable, mais qu'il n'y a pas lieu à statuer sur son bien-fondé (voir, Ruianu précité § 75).
46.  Pour ce qui est du restant de la requête, compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.
47.  Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
48.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
49.  Les requérants allèguent un préjudice matériel et moral.
En ce qui concerne le préjudice matériel, qui consisterait en un défaut de jouissance de leur logement, ils réclament 32 800 euros (EUR) soit quatre-vingt deux fois le montant mensuel de 400 EUR d'un loyer pour un appartement de 60 m² sis dans le même quartier.
Quant au préjudice moral, les requérants réclament chacun 90 000 EUR. Ils indiquent avoir gravement souffert physiquement et psychologiquement à cause du manque d'eau à leur domicile, pendent plusieurs années, ce qui les a empêchés d'y loger normalement, nonobstant les décisions de justice définitives rendues en leur faveur.
50.  Le Gouvernement s'oppose à ces prétentions et considère que l'estimation du préjudice matériel par les requérants a un caractère spéculatif. En outre, le Gouvernement soutient que l'éventuel constat d'une violation de l'article 6 § 1 de la Convention fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante.
51.  La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Metaxas, précité, § 35 et Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
52.  La Cour estime, en outre, que les requérants ont subi un préjudice matériel du chef de la non-exécution des décisions de justice en cause et un préjudice moral consistant notamment en un profond sentiment d'injustice dû à l'impossibilité de voir exécuter l'arrêt rendu en leur faveur pour bénéficier d'une protection effective de leur droits. Elle estime que ce préjudice n'est pas suffisamment compensé par un constat de violation.
53.  Compte tenu de ces considérations, la Cour statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue conjointement aux requérants 10 000 EUR, tous chefs de préjudice confondus.
B.  Frais et dépens
54.  Les requérants ne réclament pas le remboursement des frais et dépens encourus devant les juridictions internes ou devant la Cour.
55.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où il l'a demandé. Dès lors, en l'espèce, la Cour n'octroie aux requérants aucune somme à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
56.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare recevables le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention et les griefs tirés des articles 3, 8, 13 et 14 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention, dans la mesure où ils s'analysent en une réitération du grief soulevé sous l'angle de l'article 6 § 1 et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit qu'il n'y a pas lieu à examiner les griefs tirés des articles 3, 8, 13 et 14 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention, dans la mesure où ils s'analysent en une réitération du grief soulevé sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention ;
4.  Dit :
a)  que l'Etat défendeur doit verser, conjointement, aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour préjudice matériel et moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
c)  que les montants en question seront à convertir dans la monnaie de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 février 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič   Greffier Président
ARRÊT BUTAN ET DRAGOMIR c. ROUMANIE
 ARRÊT BUTAN ET DRAGOMIR c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 40067/06
Date de la décision : 14/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF


Parties
Demandeurs : BUTAN ET DRAGOMIR
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-14;40067.06 ?

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