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21/02/2008 | CEDH | N°29419/02

CEDH | AFFAIRE SC MAROLUX SRL ET JACOBS c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE SC MAROLUX SRL ET JACOBS c. ROUMANIE
(Requête no 29419/02)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 2008
DÉFINITIF
01/12/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire SC Marolux SRL et Jacobs c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,
Corneliu Bîrsan,
Elisabet Fura-Sandstr

m,
Alvina Gyulumyan,
David Thór Björgvinsson,
Ineta Ziemele,
Isabelle Berro-Lefèvre, juges,
Santiago Que...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE SC MAROLUX SRL ET JACOBS c. ROUMANIE
(Requête no 29419/02)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 2008
DÉFINITIF
01/12/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire SC Marolux SRL et Jacobs c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,
Corneliu Bîrsan,
Elisabet Fura-Sandström,
Alvina Gyulumyan,
David Thór Björgvinsson,
Ineta Ziemele,
Isabelle Berro-Lefèvre, juges,
Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 janvier 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 29419/02) dirigée contre la Roumanie et dont une société de droit roumain SC Marolux SRL et un ressortissant belge, M. R. Jacobs (« les requérants »), ont saisi la Cour le 24 juillet 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés par Me M. Grama, avocate à Târgu-Mureş. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté, par ses agents successifs, Mmes B. Ramaşcanu, R. Paşoi et   M. R.-H. Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Le Gouvernement belge, auquel l’affaire a été communiquée en vertu des articles 36 § 1 de la Convention et 44 du règlement de la Cour, en raison de la nationalité du second requérant, n’a pas souhaité intervenir dans la procédure.
4.  Les requérants alléguaient en particulier le défaut d’accès à un tribunal et une atteinte à leur droit de propriété découlant de l’annulation par les juridictions internes de leur action en dédommagement en raison du   non-paiement du droit de timbre.
5.  Le 25 octobre 2006, la Cour a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 6 § 1 et 1 du Protocole no 1 à la Convention au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6.  La requérante, SC Marolux SRL, est une société commerciale de droit roumain qui a son siège à Târgu-Mureş et dont l’unique associé est le requérant qui est né en 1943 et réside à Maastricht, Pays-Bas.
7.  Le 30 octobre 1993, de la marchandise importée par la société requérante pour être utilisée dans l’industrie pharmaceutique arriva dans le port de Constanţa. Sous contrôle douanier, elle fut placée dans un entrepôt appartenant à la société « C. ». Puis, le 5 novembre 1993, elle fut chargée dans un camion appartenant à la société « P. » pour être transportée en Belgique.
8.  La marchandise n’est toutefois pas arrivée à destination, et la société requérante ignore depuis où elle se trouve.
9.  Le 19 août 1994, estimant que le but dans lequel la marchandise avait été importée avait été modifié, la direction des douanes (« la direction ») émit un ordre de paiement des frais douaniers au nom de la société requérante et ordonna à la Banque commerciale roumaine, agence de Mureş (« la banque »), de bloquer le compte de la société requérante.
10.  Cette dernière contesta cette mesure devant le tribunal de   première instance de Târgu-Mureş qui, par un jugement du   19 décembre 1994, fit droit à l’action et annula la décision de la direction. Ce jugement fut confirmé, le 8 septembre 1995, par le tribunal départemental de Mureş et enfin, le 14 mars 1996, par un arrêt définitif de la cour d’appel de Târgu-Mureş, sur appel et recours de la direction.
11.  Nonobstant ces décisions judiciaires, le compte de la société requérante reste à ce jour bloqué. En outre, il ressort du dossier que le compte personnel du requérant fut aussi bloqué par la banque.
12.  Parallèlement, le 19 octobre 1994, la société requérante introduisit, devant le tribunal départemental de Mureş, une action en vue de faire condamner la société C. à lui rembourser la valeur de la marchandise, estimée à 144 000 dollars américains (USD), de constater que cette société avait vendu cette marchandise et, par conséquent, de la condamner à payer les frais douaniers afférents. Elle demanda aussi que la société P. soit condamnée à lui verser 2 800 USD de frais de transport qui lui avaient été avancés par la société requérante. L’action visait aussi à condamner la direction à révoquer l’ordre de paiement du 19 août 1994 ainsi que d’ordonner à la banque de débloquer le compte de la requérante.
13.  Le 17 octobre 1994, la société requérante paya le droit de timbre d’une valeur de 5 810 anciens lei roumains (ROL), conformément à la   loi no 76/1992 portant notamment sur les modalités de paiement par les sociétés commerciales et sur la prévention des impayés.
14.  Le 27 janvier 1995, le tribunal départemental de Mureş renvoya l’affaire devant le tribunal départemental de Neamţ, qu’il estima compétent pour connaître de l’affaire. Cette décision fut confirmée, sur appel de la requérante, par un arrêt du 15 février 1996 de la cour d’appel de   Târgu-Mureş. Cependant, sur recours de la requérante, la Cour suprême de justice, par un arrêt définitif du 14 janvier 1997, renvoya à nouveau l’affaire devant le tribunal départemental de Mureş, comme étant la juridiction compétente.
15.  Le 16 juin 1997, la société requérante compléta l’action en réactualisant les sommes demandées aux deux sociétés, qu’elle estima à un montant final de 996 800 USD.
16.  Le 19 octobre 1997, l’action fut réenregistrée au rôle du tribunal départemental de Mureş qui demanda à la requérante de payer le droit de timbre d’une valeur de 803 711 570 ROL, selon les dispositions de la loi no 146/1997 sur le droit de timbre.
17.  Faute de paiement dudit montant, l’action fut annulée par un jugement du 20 mars 1998. Le 8 juillet 1998, sur appel de la requérante, la cour d’appel de Târgu-Mureş renvoya l’affaire devant le même tribunal, au motif que ce dernier n’avait pas correctement fixé le montant du droit de timbre dû, lequel aurait dû être calculé séparément pour chaque volet de l’action introductive. Le recours introduit par la société P. et par la banque contre l’arrêt du 8 juillet 1998 fut annulé, par un arrêt définitif de la Cour suprême de justice du 20 avril 1999, pour non-paiement du droit de timbre afférent.
18.  Le 18 février 2000, le requérant intervint dans la procédure, en demandant que son compte personnel soit aussi débloqué par la banque. Le tribunal départemental demanda à la société requérante de payer 198 265 000 ROL et au requérant de payer 673 000 ROL au titre du droit de timbre. Faute de paiement et malgré la contestation de ces montants par les requérants, l’action fut annulée, par un jugement du 25 février 2000, décision confirmée sur appel et recours des requérants, respectivement par les arrêts du 21 septembre 2000 de la cour d’appel de Târgu-Mureş et du 22 février 2002 de la Cour suprême de justice.
19.  Entre-temps, le 13 mars 2000, les requérants avaient demandé aux ministères des Finances et de la Justice de bénéficier de l’exonération du droit de timbre. Toutefois, le 4 mai 2000, le ministère des Finances les informa que le traitement de toute demande à cette fin avait été suspendu jusqu’à nouvel ordre.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
20.  Les articles pertinents des lois nos 146 du 24 juillet 1997 et 154/2004 sur les droits de timbre, de l’ordre no 2214/1997 sur l’application de la   loi no 146/1997 et de la loi no 105/1997 sur les modalités de résolution des objections, contestations et plaintes faites contre les sommes fixées et appliquées par les organes du ministère des Finances figurent aux paragraphes nos 22-25 de l’arrêt Iorga c. Roumanie, no 4227/02,   25 janvier 2007.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
21.  Les requérants allèguent que leur droit d’accès à un tribunal tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention a été méconnu en raison du montant élevé du droit de timbre qui leur a été demandé pour voir juger au fond leur action par les juridictions internes. Ils se plaignent également de la durée de la procédure dans la mesure où un délai de plus de huit ans s’est écoulé entre la date à laquelle ils ont saisi les juridictions et celle de l’arrêt définitif en l’espèce.
L’article 6 § 1 est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
22.  La Cour constate que ce grief comporte deux branches : la première concerne le défaut d’accès à un tribunal et la seconde vise la durée de la procédure. Elle examinera séparément ces deux parties.
A.  Sur le droit d’accès à un tribunal
1.  Sur la recevabilité
23.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes dans la mesure où les requérants n’ont pas contesté en bonne forme le montant du droit de timbre ni demandé auprès du ministère des Finances une exonération du paiement, tel que prévu par l’article 21 de la loi no 146/1997.
24.  Les requérants estiment, quant à eux, avoir épuisé les voies de recours internes étant donné la réponse reçue de la part du ministère des Finances à leur demande d’exonération du 13 mars 2000.
25.  La Cour estime que l’exception soulevée est étroitement liée à la substance du grief et doit être jointe à l’examen du fond. Par ailleurs, elle constate que cette partie du grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
2.  Sur le fond
a)  Position des parties
26.  S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour (Tolstoy-Miloslavsky c. Royaume-Uni, arrêt du 13 juillet 1995, série A no 316-B, pp. 80-81, §§ 61-67, et Kreuz c. Pologne, no 28249/95, CEDH 2001-VI) et de la Commission (Philis c. Grèce (déc.), no 18989/91, 12 octobre 1994) ainsi que sur la pratique des autres Etats Parties à la Convention, le Gouvernement fait valoir que des frais de procédure proportionnels aux sommes réclamées dans le cadre des actions civiles ne constituent pas une entrave au droit d’accès à un tribunal, dans la mesure où les limitations qu’ils impliquent n’ont pas porté atteinte à la substance même de ce droit.
Il estime aussi qu’à la différence de l’affaire Weissman et autres c. Roumanie (no 63945/00, § 40, CEDH 2006-VII (extraits)), en l’espèce le montant du droit de timbre ne saurait passer pour excessif, étant donné que la requérante est une société commerciale, qui a d’autres moyens financiers qu’une personne physique.
27.  Les requérants contestent la légalité du droit de timbre calculé sur le fondement d’une nouvelle loi adoptée après l’introduction de leur action, alors qu’ils avaient déjà payé le droit de timbre afférent avant l’entrée en vigueur de cette loi. Ils font valoir que le montant du droit de timbre fixé par les tribunaux était excessif et qu’il correspondait à l’époque au prix d’une maison en Roumanie.
b)  Appréciation de la Cour
28.  La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte un « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect.
29.  Toutefois le « droit à un tribunal » n’est pas absolu. Il se prête à des limitations, car il commande de par sa nature même une réglementation de l’Etat qui a le choix des moyens à employer à cette fin. A cet égard, la Cour rappelle qu’elle n’a jamais exclu que les intérêts d’une bonne administration de la justice puissent justifier d’imposer une restriction financière à l’accès d’une personne à un tribunal (Lungoci c. Roumanie, no 62710/00, § 36,   26 janvier 2006, Tolstoy-Miloslavsky, pp. 80-81, §§ 61 et suiv., Weissman, § 35, et Iorga, § 35, arrêts précités).
30.  Nonobstant la marge d’appréciation dont dispose l’Etat en la matière, la Cour souligne qu’une limitation de l’accès à un tribunal ne se concilie avec l’article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Weissman, § 36, et Iorga, § 36, arrêts précités).
En particulier s’agissant de l’exigence de payer aux juridictions civiles une taxe judiciaire relative aux demandes dont elles ont à connaître, elle ne saurait passer pour une restriction au droit d’accès à un tribunal qui serait, en soi, incompatible avec l’article 6 § 1 de la Convention.
31.  Toutefois, la Cour réitère que le montant des frais, apprécié à la lumière des circonstances d’une affaire donnée, y compris la solvabilité du requérant et la phase de la procédure à laquelle la restriction en question est imposée, sont des facteurs à prendre en compte pour déterminer si l’intéressé a bénéficié de son droit d’accès au tribunal, ou si l’accès à un tribunal a été restreint à un point tel que le droit s’en est trouvé atteint dans sa substance même (Weissman et autres, précité, § 37).
32.  La Cour rappelle en outre que, lorsqu’il s’agit d’apprécier le respect des critères susmentionnés, il ne lui appartient pas de se substituer aux autorités internes compétentes pour déterminer quels sont les meilleurs moyens de réglementer l’accès à la justice, ni pour évaluer les faits qui ont conduit ces autorités à adopter telle décision plutôt que telle autre. Son rôle est de contrôler, au regard de la Convention, les décisions prises par ces autorités dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation et de vérifier la conformité à la Convention des conséquences qui en découlent (Kreuz, § 56, et Iorga, § 40, arrêts précités).
33.  Dans les affaires Weissman et autres, et Iorga, précitées, la Cour a déjà eu l’occasion de juger le système roumain contraire à l’article 6 § 1 dans la mesure où le montant du droit de timbre est déterminé sous la forme d’un pourcentage de la valeur en litige, sans tenir compte de la situation particulière de l’intéressé ou de ses revenus et où la procédure prévue pour la contestation du montant et pour la demande d’exonération du paiement ne présente pas les garanties requises par l’article 6 de la Convention (Weissman et autres c. Roumanie (déc.), no 63945/00, 28 septembre 2004 et Iorga, précité, § 47).
34.  Après avoir examiné les circonstances de la présente affaire, la Cour n’aperçoit aucun motif de s’écarter de la conclusion à laquelle elle est parvenue dans les affaires précitées. Par ailleurs, le fait que la requérante soit une société commerciale ne saurait changer cette conclusion, les mêmes lois et la même procédure lui étant applicables.
La Cour estime dès lors qu’en l’espèce, l’Etat n’a pas satisfait à ses obligations de réglementer le droit d’accès à un tribunal d’une manière conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention, et qu’il a ainsi outrepassé la marge d’appréciation dont il dispose en la matière.
35.  Partant, il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement et de constater qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne l’accès à un tribunal.
B.  Sur la durée de la procédure
36.  La Cour constate que la partie du grief portant sur la durée de la procédure n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
37.  La Cour note que la société requérante a introduit l’action devant le tribunal départemental de Mureş le 19 octobre 1994 et que le requérant est intervenu dans la procédure le 18 février 2000. L’arrêt définitif a été rendu en l’espèce le 22 février 2002, par la Cour suprême de justice.
Elle a durée donc huit ans pour la société requérante et deux ans pour le second requérant.
38.  Cependant, eu égard au constat relatif au droit des requérants d’accès à un tribunal (paragraphe 35 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition (voir, mutatis mutandis, Mihaescu c. Roumanie, no 5060/02, § 45,   2 novembre 2006, Orha c. Roumanie, no 1486/02, § 28, 12 octobre 2006).
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
39.  Les requérants estiment que l’impossibilité de voir juger leur action en dédommagement par les juridictions internes a rendu impossible la récupération de la valeur de leur marchandise, en violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
40.  Le Gouvernement estime que la créance des requérants n’est pas suffisamment établie pour constituer « un bien » au sens de la jurisprudence de la Cour en la matière. A supposer même que les requérants puissent prétendre avoir « un bien », et que l’annulation de l’action représente une ingérence dans leur droit de propriété, cette ingérence est prévue par loi, poursuit un but légitime et y est proportionnée. En tout état de cause, le Gouvernement estime que le requérant ne peut se prétendre victime d’une violation de son droit de propriété dans la mesure où l’action devant les tribunaux internes ne concerne pas son patrimoine mais celui de la société requérante.
41.  La Cour note de premier abord que le requérant est l’unique associé de la société requérante. Il s’ensuit qu’il n’y a pas de risque d’intérêts concurrents ou de divergence d’opinion entre lui et la société requérante. En outre, les actes dommageables à l’égard de la société touchent directement l’intérêt du requérant. La Cour a déjà conclu, dans des situations similaires, à la possibilité pour le requérant, actionnaire unique, de se prétendre victime des actes dommageables à sa société (Ankarcona c. Suède (déc.), no 35178/97, CEDH 2000-IV, mutatis mutandis, Mimkos c. Grèce (déc.), no 27629/02, 18 septembre 2003, et, a contrario, F. Santos Lda. et Maria José Fachadas c. Portugal ((déc.), no 49020/99, CEDH 2000-X.
42.  La Cour constate ensuite que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
43.  Cependant, eu égard au constat relatif à l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit des requérants d’accès à un tribunal, (paragraphe 34 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition (voir, entre autres, Iorga, précité, § 60, Glod c. Roumanie, no 41134/98, § 46,   16 septembre 2003, Albina c. Roumanie, no 57808/00, § 42, 28 avril 2005 et Lungoci, précité, § 48).
III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
44.  Les requérants se plaignent enfin que l’annulation de leur action a également entraîné une discrimination fondée sur la fortune, contraire à l’article 14 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi qu’une violation des articles 17 et 18 de la Convention. La Cour relève que rien dans le dossier ne fait ressortir un indice de violation de ces articles.
45.  Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
46.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
47.  Les requérants réclament 221 355,67 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, représentant la valeur de la marchandise, des frais de transport et du dépôt, et des coûts découlant des tentatives de localiser et de récupérer cette marchandise. Ils réclament également 50 000 EUR au titre du dommage moral subi par la société requérante et 20 000 EUR au titre du dommage moral subi par le second requérant.
48.  Le Gouvernement estime que la somme demandée au titre du préjudice matériel est spéculative est considère qu’un constat de violation pourrait constituer par lui-même une réparation suffisante du préjudice moral prétendument subi.
49.  Sur la base des éléments dont elle dispose, la Cour conclut que les requérants n’ont pas démontré que le dommage matériel allégué soit effectivement le résultat du rejet de leur action pour non-paiement du droit de timbre. En tout état de cause, la Cour ne saurait spéculer sur l’issue de la procédure interne. En conséquence, rien ne justifie qu’elle leur accorde une indemnité de ce chef (Iorga, précité, § 64).
50.  Quant au préjudice moral, la Cour estime que les requérants ont vraisemblablement subi une frustration en raison du rejet de leur action. Statuant en équité, la Cour leur octroie 5 000 EUR à chacun pour préjudice moral.
51.  La Cour rappelle également sa jurisprudence bien établie selon laquelle en cas de violation de l’article 6 de la Convention il faut placer les requérants, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle ils se trouveraient s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de cette disposition (Piersack c. Belgique (article 50), arrêt du 26 octobre 1984, série A no 85, p. 16, § 12). Un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique,   non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer dans la mesure du possible les conséquences, de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 487, CEDH 2004-VII).
52.  L’article 322 § 9 du code roumain de procédure civile permet la révision d’un procès sur le plan interne si la Cour a constaté la violation des droits d’un requérant. En plus, la Cour estime que lorsqu’elle conclut qu’un requérant n’a pas eu accès à un tribunal établi par la loi, le redressement le plus approprié serait, en principe, de rejuger ou de rouvrir la procédure en temps utile et dans le respect des exigences de l’article 6 de la Convention (voir Lungoci, précité, § 56 ; Yanakiev c. Bulgarie, no 40476/98, § 90,   10 août 2006).
B.  Frais et dépens
53.  Les requérants demandent également 1 915,14 EUR au titre de frais et dépens, dont 40,50 EUR pour ceux encourus devant les juridictions internes et 1 874,64 EUR pour ceux encourus devant la Cour, notamment le coût des lettres envoyées à la Cour et l’honoraire des avocats. Ils soumettent les quittances attestant du paiement de ces sommes.
54.  Le Gouvernement estime qu’en absence de tout contrat d’assistance judiciaire il est impossible d’établir avec clarté si les sommes payées à l’avocat ont un lien de causalité avec le présent dossier.
55.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme réclamée par les requérants au titre des frais et dépens et l’accorde en totalité, soit 1 915,14 EUR.
C.  Intérêts moratoires
56.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1 et 1 du Protocole no 1 à la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne l’accès à un tribunal ;
3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs tirés des articles 6 § 1 de la Convention (durée de la procédure) et 1 du Protocole no 1 ;
4.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral et, conjointement, 1 915,14 EUR (mille neuf cent quinze euros et quatorze cents) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 février 2008 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič   Greffier Président
ARRÊT SC MAROLUX SRL ET JACOBS c. ROUMANIE
ARRÊT SC MAROLUX SRL ET JACOBS c. ROUMANIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable

Parties
Demandeurs : SC MAROLUX SRL ET JACOBS
Défendeurs : ROUMANIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 21/02/2008
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 29419/02
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-21;29419.02 ?

Source

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