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21/02/2008 | CEDH | N°29556/02

CEDH | AFFAIRE DRIHA c. ROUMANIE


TROISIEME SECTION
AFFAIRE DRIHA c. ROUMANIE
(Requête no 29556/02)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 2008
DÉFINITIF
21/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Driha c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myje

r,   David Thór Björgvinsson,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
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TROISIEME SECTION
AFFAIRE DRIHA c. ROUMANIE
(Requête no 29556/02)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 2008
DÉFINITIF
21/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Driha c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   David Thór Björgvinsson,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 janvier 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 29556/02) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Constantin Driha (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 juillet 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Le 5 juillet 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  Le requérant est né en 1957 et réside à Oradea.
5.  Jusqu’en février 2000, le requérant était pompier. Il avait le statut de militaire et dépendait du ministère de l’Intérieur. Par un ordre du ministre de l’Intérieur du 29 février 2000, le requérant fut affecté à la réserve.
6.  Lors de son affectation à la réserve, en application de l’article 31 de la loi no 138 du 20 juillet 1999 sur les salaires et les autres droits des militaires, le requérant se vit accorder une allocation correspondant à trente-quatre soldes brutes, soit l’équivalant de 15 001 euros (EUR). De cette allocation, le ministre de l’Intérieur retint un montant de 107 554 193 lei anciens (ROL), soit 5 843 EUR, au titre de l’impôt sur le revenu. Le requérant ne toucha donc que 168 593 455 ROL (9 158 EUR). Il toucha cette dernière somme en quatre mensualités.
7.  Le 27 juin 2001, jugeant cette imposition illégale, d’autant plus que d’autres militaires affectés à la réserve, comme lui, n’avaient pas fait l’objet d’une telle imposition, le requérant demanda en justice la restitution de l’impôt perçu sur cette allocation, ainsi que l’ajustement de la somme en tenant compte de l’inflation.
8.  Dans une décision du 10 janvier 2002, le tribunal départemental de Bihor jugea qu’en vertu des articles 31 de la loi no 138/1999 et 5 a) de l’ordonnance du gouvernement no 73 du 27 août 1999, l’allocation octroyée au requérant était exemptée d’impôt. Le tribunal rejeta les arguments des ministères de l’Intérieur et des Finances visant à faire constater la nature salariale de cette allocation, et donc imposable, jugeant que l’allocation ponctuelle reçue à l’occasion de l’affectation à la réserve n’était pas assimilable aux revenus de nature salariale au sens de la législation pertinente. Le tribunal condamna solidairement les ministères de l’Intérieur et des Finances à payer au requérant le trop-perçu avec un taux d’intérêt de 35%, ce dernier incluant le taux de l’inflation.
9.  Le 1er avril 2002, la cour d’appel d’Oradea accueillit le recours introduit par les ministères de l’Intérieur et des Finances, cassa la décision du tribunal départemental de Bihor et rejeta l’action du requérant. Selon la cour, tant l’article 6 f) de l’ordonnance du gouvernement no 73/1999 que le principe général d’imposition des revenus exprimaient l’intention du législateur d’imposer ladite allocation. De surcroît, l’intention du législateur
« résult[ait] également de l’adoption ultérieure de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 136 [du 14 septembre] 2000, qui modifiait [...] l’article 31 de la loi no 138/1999, stipulant que les compensations accordés aux militaires seraient calculées en fonction de la solde mensuelle nette. »
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Les dispositions légales
1.  La loi no 138/1999 du 20 juillet 1999 relative aux salaires et aux autres droits des militaires
10.  L’article 31 § 1 de la loi dispose :
« Lors de leur affectation à la réserve ou leur retraite, avec droit de pension, (...) les cadres militaires bénéficient d’une allocation non imposable calculée en fonction de la solde mensuelle brute du mois correspondant au changement d’activité (...) »
2.  L’ordonnance du gouvernement no 73/1999 du 27 août 1999 relative à l’impôt sur le revenu
11.  Les dispositions pertinentes de l’ordonnance sont ainsi rédigées :
Chapitre I : Dispositions générales
Section 3 : Champ d’application
Article 5
« Ne constituent pas des revenus imposables et ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu :
a)  les allocations, les indemnités et les autres formes de soutien à destination spéciale, octroyées du budget de l’État, du budget des assurances sociales de l’État, des budgets spécialisés, des budgets publics ou d’autres fonds publics, ainsi que les paiements de même nature reçues d’un tiers, à l’exception des indemnisations pour incapacité temporaire de travail, de maternité ou pour le congé payé pour prendre soin d’un enfant âgé de moins de 2 ans, qui représentent des revenus de nature salariale (...) »
Article 6
« Sont exemptées d’impôt sur le revenu :
f)  les sommes représentant des paiements compensatoires, calculés sur la base des soldes mensuelles nettes accordées aux cadres militaires affectés à la réserve suite (...) à la réduction et à la restructuration [des postes], ainsi que les allocations établies par rapport à la solde mensuelle nette octroyées lors de leur affectation à la réserve ou [au départ] à la retraite (...) »
L’ordonnance no 73/1999 indiqua expressément dans son article 86 les dispositions légales qu’elle abrogeait, à savoir une trentaine d’articles contenus dans différentes lois et ordonnances du Gouvernement. La loi no 138/1999 n’y figurait pas.
3.  La décision du gouvernement no 1066/1999 du 29 décembre 1999 adoptant les normes méthodologiques d’application de l’ordonnance no 73/1999
12.  Cette décision se lit ainsi :
« Relèvent de la catégorie des revenus non imposables des revenus tels que  : (...) les allocations de soutien pour les épouses des appelés, les allocations sociales, l’aide d’urgence octroyée par le gouvernement ou les maires en cas de nécessité, les allocations de chômage, les allocations pour la réinsertion professionnelle, les allocations pour obsèques, les aides à caractère humanitaire, médical ou social (...), les allocations sociales accordées en vertu de la législation concernant la retraite. »
4.  L’ordonnance d’urgence du gouvernement no 136/2000 du 14 septembre 2000 relative à la fixation des paiements compensatoires et des allocations octroyées aux militaires
13.  L’article 1 de l’ordonnance dispose :
« Les paiements compensatoires prévus aux articles 7, 8 et 11 de l’ordonnance du gouvernement no 7/1998, aux articles 6 et 7 de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 100/1999, ainsi que les allocations prévues aux articles 31 et [...] de la loi no 138/1999 sont fixés en fonction de la solde mensuelle nette. »
B.  La jurisprudence
14.  Certains militaires affectés à la réserve ayant vu, comme le requérant, leur allocation diminuée de l’impôt sur le revenu, s’adressèrent aux tribunaux. Ces derniers confirmèrent d’une manière constante tout au long des années 2000, 2001 et 2002 le caractère non-imposable des allocations octroyées en vertu de la loi no 138/1999 et ordonnèrent au ministère de la Défense de rembourser l’impôt illégalement prélevé à la source, augmenté du taux d’intérêt y afférent, en conformité avec l’article 1088 du code civil.
15.  Toutefois, le 30 janvier 2002, la Cour suprême de Justice jugea que l’allocation était assujettie à l’impôt, en dépit du texte de l’article 31 de la loi no 138/1999 stipulant le contraire. Elle fonda son arrêt sur l’interprétation combinée dudit article 31, de l’article 5 de l’ordonnance du gouvernement no 73/1999 et de la décision du gouvernement no 1066 du 29 décembre 1999, dont elle tirait la conclusion que le législateur avait eu l’intention d’assujettir à l’impôt cette allocation, puisqu’elle était calculée en fonction de la solde brute.
16.  Le 12 novembre 2002, revenant à sa jurisprudence constante, la Cour suprême de Justice jugea que l’allocation en question était non-imposable. Elle ordonna dans ces termes la restitution de l’impôt retenu à la source sur cette allocation :
« (...) en ce qui concerne l’impôt retenu par les défendeurs pour l’allocation accordée, la demande du requérant de restitution de l’impôt est justifiée.
Le droit du demandeur de percevoir ces sommes est né [...] en vertu de l’article 31 de la loi no 138/1999, entrée en vigueur le 1er août 1999, texte qui n’a pas été abrogé par l’ordonnance no 73/1999 du 27 août 1999.
A la date de l’affectation du requérant à la réserve, le 31 décembre 1999, l’article 31 de la loi no 138/1999 était en vigueur, et prévoyait que l’allocation n’était pas imposable et que son montant était calculé en fonction de la [dernière] solde mensuelle brute. L’article 5 de l’ordonnance no 73/1999 dispose que ces allocations sont exemptées d’impôt et qu’elles elles ne peuvent pas être assimilées aux paiements compensatoires indiqués à l’article 6 de l’ordonnance no 73/1999.
Les dispositions de l’article 31 de la loi no 138/1999 n’ont été modifiées que [le 14 septembre 2000] par l’ordonnance no 136/2000, laquelle ne saurait s’appliquer rétroactivement. Par conséquent, la demande du requérant de restitution de l’impôt trop perçu pour l’allocation accordée en vertu de l’article 31 de la loi no 138/1999 est justifiée. »
17.  Le 4 novembre 2003, la Haute Cour de Cassation et de Justice, anciennement Cour suprême de Justice, accueillit un recours en annulation introduit par le procureur général et annula un arrêt définitif qu’elle avait rendu auparavant et par lequel elle avait ordonné la restitution du trop perçu du fait de l’imposition de l’allocation concernant le demandeur C.M., militaire affecté à la réserve. Elle jugea qu’en dépit des termes explicites de l’article 31 de la loi no 138/1999 et de la décision du gouvernement no 1066/99, qui définissaient cette allocation comme non-imposable, l’allocation en question était imposable en raison de sa nature salariale.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
18.  Le requérant allègue que l’allocation reçue à son départ à la retraite a été illégalement soumise à l’impôt, en méconnaissance de l’article 1 du Protocole no 1 qui se lit ainsi :
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A.  Sur la recevabilité
19.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
20.  Le Gouvernement estime que le requérant ne dispose pas d’un bien actuel, d’une créance ou d’une espérance légitime, au sens de la Convention. Invoquant notamment la jurisprudence Kopecký c. Slovaquie ([GC], no 44912/98, CEDH 2004-IX), puisque le requérant ne disposait pas d’une décision définitive en sa faveur, et que la jurisprudence des tribunaux en la matière n’était pas une jurisprudence établie. Il estime en tout état de cause que l’ingérence dans le droit du requérant était prévue par l’ordonnance du gouvernement no 73/1999, qu’elle poursuivait le but légitime d’assurer le paiement des impôts et qu’elle était proportionnelle au but légitime poursuivi.
21.  Le requérant allègue que l’article 31 de la loi no 138/1999 lui donnait droit d’une manière explicite à une allocation non imposable pour son affectation à la réserve, qu’une telle allocation d’un montant équivalant à trente-six soldes brutes lui a été d’ailleurs octroyée, mais qu’il n’a pas pu la toucher dans son intégralité, car le ministère de l’Intérieur en a indûment retenu une partie à titre d’impôt. Il estime que la somme retenue à titre d’impôt n’avait aucune base légale, puisque l’ordonnance no 73/1999 invoquée par ce ministère pour justifier l’imposition de l’allocation n’était pas applicable en l’espèce. Tout au plus, cette ordonnance confirmait la teneur des prescriptions contenues dans l’article 31 de la loi no 138/1999, la seule base légale pour l’octroi de cette allocation.
22.  La Cour note que les parties divergent sur la question de savoir si le requérant était ou non titulaire d’un bien susceptible d’être protégé par l’article 1 du Protocole no 1. En conséquence, elle est appelée à déterminer si la situation juridique dans laquelle s’est trouvé l’intéressé du fait de l’imposition de l’allocation qui lui a été octroyée est de nature à relever du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1.
23.  La Cour rappelle la jurisprudence constante des organes de la Convention selon laquelle des « biens » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 peuvent être soit des « biens existants » (voir Van der Mussele c. Belgique, arrêt du 23 novembre 1983, série A no 70, p. 23, § 48, et Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII), soit des valeurs patrimoniales, y compris des créances, pour lesquelles un requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » de les voir concrétiser (voir, par exemple, Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série A no 332, p. 21 § 31, et Ouzounis et autres c. Grèce, no 49144/99, 18 avril 2002, § 24).
24.  En l’espèce, la Cour relève que le requérant a été affecté à la réserve le 29 février 2000 et qu’à cette occasion, conformément à l’article 31 de la loi no 138 du 20 juillet 1999, il s’est vu octroyer une aide ponctuelle, sous la forme d’une allocation, dont le montant fut fixé à 273 147 648 ROL, soit 15 001 EUR.
Elle constate aussi que le montant de l’allocation, tel que fixé, ne prête pas à controverse.
25.  Par conséquent, la Cour estime que le requérant bénéficiait le 29 février 2000 d’un intérêt patrimonial, à savoir une créance d’un montant de 15 001 EUR à l’égard du ministère de l’Intérieur. Cette créance avait de toute évidence le caractère d’un « bien » au sens de la première phrase de l’article 1 du Protocole no 1 (Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, arrêt du 29 novembre 1991, série A no 222, p. 23, § 51 ; Dangeville c. France, arrêt du 16 avril 2002, Recueil des arrêts et décisions 2002-III, § 48). L’article 1 du Protocole no 1 est donc applicable au cas d’espèce.
26.  Or, le requérant n’a touché que la somme de 168 593 455 ROL, soit 9 158 EUR, puisque le ministère de l’Intérieur y a retenu à titre d’impôt l’équivalant de 5 843 EUR. Bien que le tribunal de première instance de Bihor jugeât que cet impôt avait été perçu en violation de l’article 31 de la loi no 138/1999 du 20 juillet 1999 et de l’article 5 a) de l’ordonnance du gouvernement no 73 du 27 août 1999, la cour d’appel d’Oradea jugea en denier ressort, le 1er avril 2002, que la décision du ministère de l’Intérieur d’imposer ladite allocation était légale. Pour ce faire, elle se fonda sur l’intention du législateur d’imposer les revenus de nature salariale, et se référa en particulier l’ordonnance du gouvernement no 73 du 27 août 1999.
27.  Par conséquent, la Cour doit rechercher si l’ingérence dans le droit de propriété du requérant que représente l’imposition effectuée à la source par le ministère de l’Intérieur et confirmée par la cour d’appel d’Oradea, a respecté les exigences de l’article 1 du Protocole no 1.
28.  L’article 1 du Protocole no 1 impose, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit légale (Iatridis, précité § 58).
29.  La Cour constate que l’article 31 de la loi no 138 tel que rédigé au moment où le requérant a été affecté à la réserve, stipulait que ladite allocation, calculée à partir des salaires brutes, était non imposable. Ce point ne prête d’ailleurs pas à controverse entre les parties.
30.  Aux yeux de la Cour, le texte de l’article 31 de la loi no 138 prescrit d’une manière suffisamment claire le caractère non-imposable de cette allocation. L’article 31 de la loi no 138/1999 ne fut pas abrogé par l’article 86 de l’ordonnance no 73/1999, mais subit une modification plus tard, le 14 septembre 2000, lorsque l’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 136 fut adoptée. Cette dernière opéra une modification dans le mode de calcul de l’allocation en question, fixant comme base la solde mensuelle nette. Elle ne porta pas atteinte non plus au caractère non imposable de l’allocation ainsi calculée.
La Cour constate que d’autres textes normatifs confirment le caractère non-imposable des allocations d’aide ou sociale, en particulier l’article 5 de l’ordonnance no 73/1999.
Enfin, la jurisprudence constante des tribunaux internes jusqu’en 2002 renforce la clarté et la prévisibilité de l’article 31 de la loi no 138/1999.
31.  Néanmoins, dans son arrêt du 1er avril 2002, la cour d’appel d’Oradea jugea que ladite allocation était imposable.
Si la Cour jouit d’une compétence limitée pour vérifier le respect du droit interne (Håkansson et Sturesson c. Suède, arrêt du 21 février 1990, série A no 171-A, p. 16, § 47), elle peut en revanche vérifier si la base légale invoquée par le Gouvernement satisfait les exigences de la Convention quant à la qualité de la loi (Dominici c. Italie, no 64111/00, § 79, 15 novembre 2005). En effet, le principe de légalité signifie l’existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles (Hentrich c. France, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 296-A, pp. 19-20, § 42, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 102, p. 47, § 110).
Il s’agit en l’espèce de vérifier si en l’occurrence, l’interprétation donnée par la cour d’appel satisfait aux exigences de la Convention.
Or, force est de constater que rien ne permettait en l’espèce à la cour d’appel de conclure à l’imposition de ladite allocation en présence d’une norme de droit suffisamment claire stipulant le contraire.
32.  La Cour estime également que le fait que la Cour de Cassation ait jugé dans deux arrêts que l’allocation en question était imposable, ne saurait avoir d’incidence sur la clarté de la loi interne et sa prévisibilité, puisque cette jurisprudence, manifestement contraire aux stipulations explicites de la loi interne, était aussi contraire tant à la propre jurisprudence de la Cour de Cassation qu’à celle, constante, des autres tribunaux internes.
33.  Partant, la Cour estime que l’ingérence dénoncée est manifestement illégale sur le plan du droit interne et, par conséquent, incompatible avec le droit au respect des biens du requérant. Une telle conclusion la dispense de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels.
Dès lors, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
34.  Le requérant se plaint de surcroit de ce que, compte tenu du fait que d’autres militaires se trouvant dans sa situation, ont bénéficié d’une allocation non imposée, il a subi une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention. Il invoque l’article 14 de la Convention qui prévoit :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
35.  Le Gouvernement conteste cette thèse en faisant valoir que le requérant n’indique pas quel serait le fondement de la discrimination alléguée et que de toute manière l’autonomie dont jouissent les tribunaux internes dans l’interprétation de la loi interne ne saurait être qualifiée de discrimination.
36.  La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.
37.  Au regard de l’article 14 de la Convention, une discrimination consiste à traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (Willis c. Royaume-Uni, no 36042/97, § 48, CEDH 2002-IV). En outre, la liste que renferme l’article 14 revêt un caractère indicatif et non limitatif (voir Engel et autres c. Pays-Bas, arrêt du 8 juin 1976, série A no 22, p. 30, § 72 et Rasmussen c. Danemark, arrêt du 28 novembre 1984, série A no 87, p. 13, § 34).
38.  La Cour note que, contrairement au requérant, d’autres militaires affectés à la réserve ont bénéficié de cette allocation sans qu’elle fût grevée d’impôt. Or, la Cour ne trouve, en l’espèce, aucun motif de nature à justifier pareille discrimination.
39.  Partant, il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
40.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
41.  Le requérant réclame 9 735 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subis.
42.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.
43.  Compte tenu des violations constatées de l’article 1 du Protocole no 1 pris isolément et combiné avec l’article 14, la Cour estime, statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, qu’il y a lieu d’allouer au requérant 8 000 euros (EUR) tous dommages confondus.
B.  Frais et dépens
44.  Le requérant ne demande pas de remboursement de frais et dépens.
C.  Intérêts moratoires
45.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
4.  Dit
a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros), tous dommages confondus, à convertir en monnaie nationale de l’État défendeur, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 février 2008 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič Greffier Président
ARRÊT DRIHA c. ROUMANIE
ARRÊT DRIHA c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 29556/02
Date de la décision : 21/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de P1-1 ; Violation de l'art. 14+P1-1 ; Dommage matériel et préjudice moral - réparation (globale)

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION, (P1-1-1) BIENS, (P1-1-1) INGERENCE, (P1-1-1) PREVISIBILITE, (P1-1-1) PREVUE PAR LA LOI, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS


Parties
Demandeurs : DRIHA
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-21;29556.02 ?

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