La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/02/2008 | CEDH | N°9835/02

CEDH | AFFAIRE VIDU ET AUTRES c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE VIDU ET AUTRES c. ROUMANIE
(Requête no 9835/02)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 2008
DÉFINITIF
21/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Vidu et autres c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumy

an,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greff...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE VIDU ET AUTRES c. ROUMANIE
(Requête no 9835/02)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 2008
DÉFINITIF
21/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Vidu et autres c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Alvina Gyulumyan,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 janvier 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 9835/02) dirigée contre la Roumanie et dont trois ressortissantes de cet État, Mmes Hareta-Paraschiva Vidu, Matilda Zoescu et Adriana Popescu (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 14 janvier 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  A la suite du décès de la première requérante, le 30 août 2002, ses enfants, Mme Ruxandra Vidu et M. Cristian Dragoş Vidu, ainsi que son veuf M. Nicolae Vidu ont exprimé le 8 juillet 2003, le souhait de continuer l’instance.
3.  La deuxième requérante, Matilda Zoescu, est décédée en 2004, à une date non précisée. La troisième requérante, Adriana Popescu, est aussi décédée à une date non-précisée, tel que la Cour a été informée par le Gouvernement en date du 21 décembre 2005. Aucun successeur potentiel des deux requérantes n’a informé la Cour de son souhait de continuer la requête, pour autant qu’elle était introduite par Mmes Matilda Zoescu et Adriana Popescu.
4.  Pour des raisons d’ordre pratique, le présent arrêt continuera d’appeler Mmes Hareta-Paraschiva Vidu, Matilda Zoescu et Adriana Popescu les « requérantes » bien qu’il faille aujourd’hui attribuer cette qualité aux successeurs de la première requérante (cf. arrêt Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 1, CEDH 1999-VI).
5.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par M. Răzvan Horaţiu Radu, Agent du Gouvernement roumain auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme.
6.  Le 26 septembre 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7.  Les trois requérantes qui ont initialement saisi la Cour sont décédées respectivement en 2002, 2004 et 2005. Mme Ruxandra Vidu, M. Cristian Dragoş Vidu et M. Nicolae Vidu résident respectivement, les deux premiers, aux Etats-Unis et le dernier en Roumanie.
A.  La genèse de l’affaire
8.  A la fin des années 50 et au début des années 60, les terrains agricoles appartenant aux particuliers devinrent propriété de l’État ou des coopératives agricoles. M.P. fut également affectée par cette mesure. Elle dut céder son terrain en vertu du décret no 115/1959.
9.  En 1991 fut votée la loi no 18/1991, accordant aux personnes dont les terrains étaient devenus, sous le régime communiste, propriété de l’État ou des coopératives, le droit de se voir restituer ces terrains.
10.  A une date non précisée, les requérantes sollicitèrent auprès de la commission locale d’application de la loi no 18/1991 de Măneciu (« la commission ») le « rétablissement » (reconstituire) de leur droit de propriété sur plusieurs terrains qui avaient appartenu à M.P.
11.  Par une décision du 3 août 1991, la commission rejeta la demande, au motif que les terrains ne figuraient pas dans les registres de la mairie et que, de surcroît, les requérantes n’avaient pas déposé les actes nécessaires pour prouver leur qualité d’anciens propriétaires des terrains en cause.
B.  L’attribution en propriété de plusieurs terrains en application de la loi no 18/1991
12.  A une date non précisée, les trois requérantes et quatre autres successeurs de M.P. assignèrent en justice la commission, demandant l’annulation de la décision du 3 août 1991.
13.  Par un jugement du 22 mai 1992, le tribunal de première instance de Vălenii de Munte accueillit leur action. Le tribunal annula la décision de la commission, la jugeant abusive et accorda conjointement aux sept demandeurs, y compris les requérantes, en tant qu’héritiers de M.P., le droit de propriété sur sept terrains d’une surface totale de 100 600 m2, répartis dans plusieurs zones sur le territoire des communes de Măneciu (77 100 m²) et Izvoarele (23 500 m2).
14.  En l’absence de recours, le jugement du 22 mai 1992 devint définitif et fut revêtu de la formule exécutoire.
15.  Le 24 juin 1992, le maire de Măneciu fit savoir à Mme Hareta-Paraschiva Vidu que la commission allait procéder à l’attribution des terrains aux requérantes « en fonction du temps disponible ».
16.  Il ressort des éléments du dossier que la décision définitive du 22 mai 1992 demeure, à ce jour, inexécutée.
C.  L’action en partage successoral entre la première requérante et les autres héritiers de M.P.
17.  A une date non précisée, Mme Hareta-Paraschiva Vidu introduisit une action en partage successoral contre six autres héritiers de M.P., y compris la deuxième et la troisième requérante.
18.  Par un jugement du 26 janvier 1993, le tribunal de première instance de Vălenii de Munte statua sur l’action en partage. Les requérantes se virent attribuer chacune des lots comprenant une partie des terrains prévus dans le jugement du 22 mai 1992. Harieta-Paraschiva Vidu se vit attribuer cinq parcelles de terrain, dont quatre, d’une surface totale de 8 400 m², sises sur les emplacements Bărăţeşti, Peste Gârlă, Pe mal monument et Târtan, de la commune de Măneciu étaient les mêmes que celles identifiéés par la décision du 22 mai 1992. La deuxième requérante, Matilda Zoescu, accepta de céder son lot en faveur de la première requérante Hareta-Paraschiva Vidu en échange d’une soulte. Le lot cédé à la première requérante comprenait cinq parcelles de terrain, dont quatre, en surface totale de 13 031 m², étaient sises sur les emplacements Bărăţeşti, Peste Gârlă, Pe mal monument et Târtan de la commune de Măneciu.
19.  Suite au rejet de l’appel et du recours, le jugement du 26 janvier 1993 devint définitif et fut revêtu de la formule exécutoire.
20.  Le 9 octobre 1994, un huissier de justice près le tribunal de première instance de Vălenii de Munte dressa un procès-verbal d’attribution aux requérantes des terrains visés par le jugement du 26 janvier 1993.
21.  Le 12 avril 1995, le conseil local confirma à Mme Hareta-Paraschiva Vidu qu’elle figurait dans le registre agricole avec les terrains attribués par le jugement de partage successoral du 26 janvier 1993, et que les impôts afférents aux terrains en cause devraient être payés auprès de la commune de Măneciu.
D.  Action en vue de faire exécuter le jugement du 22 mai 1992
22.  Les requérantes alléguaient qu’elles avaient essayé plusieurs fois d’obtenir de la part de la mairie de Măneciu et du conseil local l’exécution du jugement du 22 mai 1992.
23.  Tel qu’il ressort de leur correspondance avec la mairie, plusieurs parcelles des terrains qui ont fait l’objet du jugement du 22 mai 1992 ont été attribuées à des tiers.
24.  Le 6 avril 1998, en réponse au mémoire déposé par Mme Adriana Popescu, le conseil local de Măneciu l’informa que des tiers avaient occupé dès 1962 une partie des terrains en cause en vertu de certains contrats d’échange. Il invita la requérante à former une action en justice contre ces tiers. Dans une autre lettre adressée à Mme Hareta-Paraschiva Vidu, le conseil local précisa qu’en vertu des dispositions de la loi no 18/1991, les contrats d’échange conclus avec des tiers pour le même emplacement pendant la période communiste restaient valables, les anciens propriétaires ayant un droit à se voir attribuer des terrains sur d’autres emplacements.
25.  Le 6 septembre 1999 les requérantes assignèrent la commission, le maire de Măneciu et la commission départementale d’application de la loi no 18/1991 devant le tribunal de première instance de Vălenii de Munte, afin de les contraindre à leur attribuer ces terrains et à leur délivrer les titres de propriété, comme prévu par le jugement du 22 mai 1992. Le représentant de la commission locale s’opposa à l’action, en faisant valoir que les requérantes avaient été mises en possession au moyen d’un procès-verbal dressé le 9 octobre 1994 par l’huissier de justice en exécution du jugement de partage successoral du 26 janvier 1993. En revanche, il releva que la commission locale avait déjà attribué à des tiers plusieurs lots des terrains en cause.
26.  Par un jugement du 19 avril 2000, le tribunal de première instance de Vălenii de Munte fit droit à l’action des requérantes, au motif que la commission avait méconnu le jugement du 22 mai 1992 et les dispositions de la loi no 18/1991. Il jugea que le procès-verbal dressé par un huissier de justice suite à la procédure en partage successoral n’avait aucune signification juridique par rapport à l’obligation de la commission de mettre les requérantes en possession des terrains prévus par le jugement du 22 mai 1992 et de leur délivrer le titre de propriété. Il condamna le maire de Măneciu à verser aux requérantes des astreintes d’un montant de 5 000 lei roumains par jour de retard dans l’exécution dudit jugement à partir de la date où le jugement du 19 avril 2000 deviendrait définitif et jusqu’à l’exécution définitive du jugement du 22 mai 1992.
La commission interjeta appel contre ce jugement.
27.  Par un arrêt du 1er septembre 2000, le tribunal départemental de Prahova fit droit à l’appel de la commission locale, au motif que la mise en possession des requérantes avait eu lieu en 1994 au moyen du procès-verbal dressé par l’huissier de justice en exécution du jugement rendu par le tribunal de première instance de Vălenii de Munte, le 26 janvier 1993, dans le cadre de l’action en partage successoral. En outre, il jugea que la commission locale n’était pas tenue de délivrer aux requérantes un titre de propriété sur les terrains en cause, compte tenu du fait que le jugement de partage successoral constituait un tel titre.
28.  Par un arrêt du 12 septembre 2001, la cour d’appel de Ploieşti rejeta le recours formé par les requérantes contre l’arrêt du 1er septembre 2000, en réitérant l’argumentation du tribunal départemental de Prahova.
E.  Les développements postérieurs à l’arrêt définitif du 12 septembre 2001
29.  Mme Hareta-Paraschiva Vidu lança la procédure pour faire enregistrer à son nom dans le registre foncier les terrains attribués par le jugement de partage successoral du 26 janvier 1993. D’après la requérante, le conseil local de Măneciu refusa d’accorder son visa pour les documents nécessaires à l’enregistrement dans le registre foncier, au motif que les terrains en cause « avaient été attribués à des tiers », sans fournir d’explications supplémentaires.
30.  Les requérantes assignèrent en justice le conseil local afin de le contraindre à viser les documents nécessaires à l’enregistrement dans le registre foncier. Le 14 janvier 2003, le tribunal départemental de Prahova rejeta l’action comme irrecevable, au motif que les requérantes n’avaient pas suivi la procédure de recours administratif prévue comme obligatoire par la loi no 29/1990 avant la saisie du tribunal. Les requérantes n’interjetèrent pas appel contre ce jugement qui devint définitif.
31.  En 1995, un tiers, P.E. engagea une action contre les requérantes demandant le partage de plusieurs terrains faisant l’objet du jugement du 22 mai 1992. Cette procédure est actuellement toujours pendante.
32.  Dans le cadre de celle-ci, le 17 juin 2004 le tribunal de première instance de Vălenii de Munte ordonna, à la demande de P.E., l’inscription dans le registre foncier d’une opposition à la vente concernant les terrains en cause jusqu’à la solution de l’action en partage.
EN DROIT
I.  QUESTIONS PRELIMINAIRES
33.  Le Gouvernement fait observer que seulement Mme Ruxandra Vidu et M. Cristian Dragoş Vidu ont la qualité d’héritiers, ayant accepté la succession de Hareta-Paraschiva Vidu. Le Gouvernement indique à ce titre que M. Nicolae Vidu a renoncé à l’héritage de sa défunte épouse. Dès lors, le Gouvernement considère que M. Nicolae Vidu ne peut pas se prétendre victime des violations alléguées.
34.  La Cour estime, eu égard à l’objet de la présente affaire et à l’ensemble des éléments qui sont en sa possession, notamment le certificat attestant la qualité d’héritiers, délivré le 1er octobre 2002, que seuls Mme Ruxandra Vidu et M. Cristian Dragoş Vidu en leur qualité d’héritiers de la requérante Hareta-Paraschiva Vidu peuvent prétendre avoir un intérêt suffisant pour justifier de la poursuite de l’examen de la requête et leur reconnaît dès lors la qualité pour se substituer à la première requérante en l’espèce (Hodos et autres c. Roumanie, no 29968/96, § 42, 21 mai 2002, et Vladuţ c. Roumanie, no 6350/02, § 25, 30 novembre 2006).
M. Nicolae Vidu ayant renoncé à la succession de la première requérante, tel qu’il ressort du certificat du 1er octobre 2002, ne justifie pas un intérêt suffisant à poursuivre la requête aux côtés des héritiers de Hareta-Paraschiva Vidu.
35.  La Cour relève également que les requérantes Matilda Zoescu et Adriana Popescu sont décédées et qu’elle n’a pas été informée de l’intention d’éventuels héritiers des deux requérantes défuntes de continuer leur requête.
Compte tenu de ce qui précède, et du fait qu’aucune circonstance relevant de l’article 37 § 1 in fine n’exige la poursuite de l’examen de cette partie de la requête, la Cour bornera son analyse aux seuls griefs soutenus par la première requérante (voir, Rotariu et autres c. Roumanie (déc.), no 23753/02, 20 septembre 2007).
Partant, il convient de rayer du rôle cette partie de la requête qui concerne les requérantes Matilda Zoescu et Adriana Popescu.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1
36.  Les requérantes alléguaient que l’inexécution de la décision définitive du 22 mai 1992 avaient enfreint leur droit d’accès à un tribunal, tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que leur droit au respect de leurs biens, tel qu’il est garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Les articles invoqués sont ainsi libellés :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A.  Sur la recevabilité
37.  Le Gouvernement considère que les requérantes ont perdu la qualité de victimes des violations alléguées. D’une part, les trois requérantes qui ont initialement saisi la Cour, à savoir Mmes Hareta-Paraschiva Vidu, Matilda Zoescu et Adriana Popescu, ont été mises en possession des terrains indiqués par la décision du 22 mai 1992, tel que consigné dans le procès-verbal dressé par l’huissier de justice le 9 octobre 1994. Par ailleurs, la requérante Matilda Zoescu avait auparavant accepté une soulte pour céder de son lot de terrain à la première requérante. Dès lors, elle ne pourrait plus prétendre à l’exécution de l’arrêt du 22 mai 1992.
38.  La Cour observe que d’une part, le procès-verbal d’exécution du 9 octobre 1994 concerne l’exécution de la décision du 26 janvier 1993, rendue dans le cadre d’une procédure de partage entre particuliers, à savoir les requérantes Mmes Hareta-Paraschiva Vidu, Matilda Zoescu et Adriana Popescu et d’autres cohéritiers. Ledit procès-verbal ne concerne pas l’exécution de la décision du 22 mai 1992, rendue dans une procédure contre l’administration et pour laquelle aucun document attestant l’exécution n’a été présenté à la Cour.
D’autre part, le Gouvernement affirme, dans ses observations, que la décision du 22 mai 1992 ne peut plus être exécutée dans sa forme initiale à cause du jugement du 26 janvier 1993 et de la vente à des tiers des terrains faisant objet de cette décision, donc admet que la décision du 22 mai 1992, dont l’exécution fait l’objet de la présente requête, n’a pas été exécutée.
Il convient, des lors, de rejeter l’exception de défaut de qualité de victime des requérantes.
39.  Par ailleurs, la Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B.  Sur le fond
40.  Le Gouvernement considère que la commission administrative ne pouvait plus procéder à la mise en possession et à la délivrance des titres de propriété des requérantes en conformité avec la décision du 22 mai 1992, en raison des évolutions postérieures à celle-ci, à savoir, le partage intervenu le 26 janvier 1993, la vente à des tiers des terrains faisant l’objet de ladite décision et le litige de partage entamé par P.E. contre les requérantes ayant débuté en 1995 et étant toujours pendant.
41.  Les successeurs de la première requérante s’opposent à cette thèse. Ils font valoir que la commission administrative n’a jamais obtempéré à la décision définitive du 22 mai 1992 et que ni les requérantes, ni leurs successeurs, n’ont jamais été mis en possession des terrains identifiés par cette décision. De surcroît, l’administration a vendu ces terrains. S’agissant du procès-verbal d’exécution dressé par l’huissier de justice le 9 octobre 1994, ils indiquent que ce procès-verbal concerne l’exécution d’une autre décision de justice, à savoir celle du 26 janvier 1993, dont l’objet était un partage entre cohéritiers. Dès lors, l’exécution de cette décision de partage avait seulement un effet déclaratoire indépendant du caractère effectif de la possession de ces terrains par les cohéritiers indivis. Les successeurs de la première requérante font valoir, en outre, que la décision définitive du 22 mai 1992 n’a jamais été annulée ou invalidée.
42.  La Cour rappelle que, dans la présente affaire, bien que les requérantes aient obtenu le 22 mai 1992 une décision interne définitive ordonnant à la commission administrative compétente pour l’application de la loi no 18/1991 de les mettre en possession de plusieurs terrains identifiés quant à leurs surfaces et emplacements, et qu’elles aient fait, par la suite, des démarches en vue de l’exécution, cette décision n’a été ni exécutée intégralement, ni annulée ou modifiée à la suite de l’exercice d’une voie de recours prévue par loi. De plus, les motifs que l’administration aurait pu invoquer afin de justifier une impossibilité objective d’exécution n’ont jamais été portés à la connaissance des requérantes par le biais d’une décision judiciaire ou administrative formelle (Sabin Popescu c. Roumanie, nº 48102/99, § 72, 2 mars 2004).
En outre, la lettre du 6 avril 1998, par laquelle le conseil local de Măneciu répondait au mémoire déposé par Mme Adriana Popescu, qui l’informait indirectement de la prétendue impossibilité d’exécution, ne peut constituer une « impossibilité objective » établie par décision formelle, de nature à l’exonérer de l’obligation prévue par ladite décision de justice définitive.
43.  La Cour note pour ce qui est de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Ploieşti le 12 septembre 2001, que cette dernière a considéré à tort que les requérantes avaient été mises en possession des parcelles de terrain qui devaient leurs être attribuées en vertu du jugement du 22 mai 1992. Force est de constater que le Gouvernement lui-même reconnaît que les requérantes n’ont pas été mises en possession des terrains sur les emplacements fixés par le tribunal, en raison de la vente de ces terrains à des tiers. La communication du conseil local du 6 avril 1998 qui considère que le jugement du 11 juin 1992 n’a pas été exécuté (voir le paragraphe § 24 ci-dessus) va dans le même sens (voir Sabin Popescu précité, § 53).
44.  La Cour note, en outre, que l’arrêt du 12 septembre 2001 n’a pas annulé le jugement du 11 juin 1992. Il n’a pas davantage modifié la modalité d’exécution de l’obligation découlant dudit jugement. Ce n’est que par une telle annulation ou par la substitution par le tribunal à l’obligation due en vertu du jugement en cause d’une autre obligation équivalente que la situation continue de non exécution pourrait cesser (voir Sabin Popescu précité, § 54).
45.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention (Dragne et autres c. Roumanie, no 78047/01, 7 avril 2005).
46.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce l’État, par le biais de ses organes spécialisés, n’a pas déployé tous les efforts nécessaires afin de faire exécuter les décisions judiciaires favorables aux requérantes. Dès lors, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
47.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
48.  Les successeurs de la première requérante réclament l’attribution en possession des parcelles de terrains comme ordonnée par la décision définitive du 22 mai 1992.
49.  La Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état de sorte qu’il convient de la réserver en tenant également compte de l’éventualité d’un accord entre l’État défendeur et les intéressés (article 75 §§ 1 et 4 du règlement de la Cour).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Décide de rayer du rôle la partie de la requête concernant les requérantes défuntes Matilda Zoescu et Adriana Popescu ;
2.  Déclare la requête recevable quant à Ruxandra Vidu et Cristian Dragoş Vidu et irrecevable pour le surplus ;
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
5.  Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;
en conséquence :
a)  la réserve en entier ;
b)  invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans un délai de six mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c)  réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 février 2008 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič    Greffier Président
ARRÊT VIDU ET AUTRES c. ROUMANIE
 ARRÊT VIDU ET AUTRES c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 9835/02
Date de la décision : 21/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable ; Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété

Analyses

(Art. 6) DROIT A UN PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : VIDU ET AUTRES
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-21;9835.02 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award