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05/02/2009 | CEDH | N°21272/03

CEDH | AFFAIRE SAKHNOVSKI c. RUSSIE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SAKHNOVSKI c. RUSSIE
(Requête no 21272/03)
ARRÊT
STRASBOURG
5 février 2009
RENVOI DEVANT LA GRANDE CHAMBRE
14/09/2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Sakhnovski c. Russie,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Christos Rozakis, président,   Anatoly Kovler,   Elisabeth Steiner,   Dean Spielmann, 

 Sverre Erik Jebens,   Giorgio Malinverni,   George Nicolaou, juges,  et de Søren Nielsen, greffier de...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SAKHNOVSKI c. RUSSIE
(Requête no 21272/03)
ARRÊT
STRASBOURG
5 février 2009
RENVOI DEVANT LA GRANDE CHAMBRE
14/09/2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Sakhnovski c. Russie,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Christos Rozakis, président,   Anatoly Kovler,   Elisabeth Steiner,   Dean Spielmann,   Sverre Erik Jebens,   Giorgio Malinverni,   George Nicolaou, juges,  et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 janvier 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 21272/03) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Sergueï Veniaminovitch Sakhnovski (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 avril 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.   Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par Mme V. Milinchuk, alors représentante de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme.
3.  Le requérant alléguait en particulier que, n'ayant pu bénéficier de l'assistance gratuite d'un défenseur en appel ni, de surcroît, assurer efficacement sa défense parce qu'il n'avait pu communiquer avec le juge d'appel que par vidéoconférence, la procédure pénale dirigée contre lui avait été conduite en violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.
4.  Par une décision du 26 mars 2007, le président de la première section a communiqué la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a été décidé en outre d'en examiner conjointement la recevabilité et le fond.
5.  Le Gouvernement s'est opposé à cet examen conjoint. Après analyse, la Cour a écarté l'objection ainsi soulevée.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6.  Le requérant est né en 1979 et résidait à Novossibirsk.
7.  Le 30 avril 2001, il fut arrêté pour le meurtre de son père et de son oncle. Il demanda par écrit qu'un avocat lui fût commis d'office. Ce même jour, ses empreintes digitales furent prélevées et comparées et une expertise médicolégale fut ordonnée. Le 3 mai 2001, l'intéressé fut placé en détention provisoire.
8.  Le 4 mai 2001, une avocate, Me P., fut désignée d'office pour représenter le requérant. Le 10 mai 2001, celui-ci fut inculpé de meurtre aggravé.
9.  De mai à septembre 2001, un certain nombre d'expertises furent effectuées. L'intéressé se vit ultérieurement signifier copie des décisions qui les avaient ordonnées. Il accusa réception de chacun de ces documents, les signa et indiqua qu'il n'avait aucune demande ou observation à faire.
10.  Le 30 septembre 2001, la détention provisoire du requérant fut commuée en une assignation à résidence.
11.  En octobre 2001, M. J., l'un des codétenus de l'intéressé en maison d'arrêt, témoigna que celui-ci lui avait détaillé comment il avait assassiné son père et un autre homme.
12.  A une date non précisée, M. R., un ami du requérant, témoigna que l'intéressé lui avait demandé de tuer le père de celui-ci et que, devant son refus, il avait semblé vouloir passer à l'acte lui-même.
13.  Le 5 novembre 2001, le requérant fut remis en détention provisoire.
14.  Le 20 décembre 2001, la cour régionale de Novossibirsk examina les charges retenues contre l'intéressé lequel plaida non coupable. Elle entendit dix-sept témoins, dont J. et R. Elle reconnut le requérant coupable de double meurtre et le condamna à dix-huit années de réclusion. Le verdict était fondé sur des dépositions de témoins, sur des expertises médico-légales et sur bon nombre de preuves matérielles.
15.  Le requérant et son avocat firent appel, alléguant que J. et R. avaient été contraints par la police à témoigner et que de nombreuses atteintes aux droits de la défense avaient entaché la conduite de l'enquête, et soutenant que les décisions ordonnant les expertises avaient été tardivement communiquées.
16.  Le 12 mai et le 29 juillet 2002, le requérant demanda qu'un autre avocat soit désigné pour le représenter en appel au motif que, ayant dû plaider une autre affaire à la même date que l'audience de première instance, Me P. n'avait pas pu se présenter à celle-ci.
17.  A une date non précisée, le requérant fut avisé que sa participation à l'audience d'appel serait assurée par vidéoconférence. Le 26 et le 30 juillet 2002, estimant que ce procédé ne lui offrirait pas une possibilité adéquate de prendre part à ladite audience, il demanda l'autorisation d'y comparaître personnellement.
18.  Le 16 octobre 2002, la Cour suprême de la Fédération de Russie (« la Cour suprême ») ordonna à la maison d'arrêt IZ-77/3 de Moscou de prendre les dispositions nécessaires pour que le requérant puisse participer, par vidéoconférence, à l'audience d'appel, prévue pour le 31 octobre 2002.
19.  Le 31 octobre 2002, la Cour suprême examina l'appel interjeté par l'intéressé. Celui-ci prit part aux débats par vidéoconférence et en l'absence de son avocate. La Cour suprême rejeta l'appel au motif que rien n'établissait que J. et R. eussent commis de faux témoignages. Elle jugea mal fondé le moyen tiré de la violation alléguée des droits de la défense.
20.  Le 4 juillet 2007, le présidium de la Cour suprême (« le présidium ») fit droit à une demande d'ouverture d'une procédure de révision formée par le procureur général adjoint et cassa l'arrêt d'appel rendu par la Cour suprême le 31 octobre 2002. Il conclut à la méconnaissance du droit du requérant à l'assistance d'un défenseur lors de l'audience d'appel et renvoya l'affaire devant la même instance d'appel pour qu'elle fût rejugée.
21.  Le requérant demanda à comparaître en personne à l'audience d'appel. Le 10 août 2007, siégeant en une formation de trois juges, la Cour suprême accéda à cette requête et ordonna le transfert provisoire de l'intéressé de sa prison de la région de Novossibirsk à une maison d'arrêt de la ville de Novossibirsk, apparemment pour qu'une liaison audiovisuelle puisse être utilisée dans son cas.
22.  Le 20 août 2007, le requérant produisit un nouveau mémoire en appel. Il pria la Cour suprême d'examiner son recours sur la seule base de cette écriture et de l'autoriser à prendre part à l'audience d'appel personnellement et non par vidéoconférence.
23.  Le 29 novembre 2007, la Cour suprême, siégeant à Moscou, réexamina l'affaire. Elle se pencha tout d'abord sur les demandes formulées par le requérant le 20 août 2007. Dans une décision distincte sur des points de procédure, elle jugea qu'il n'y avait pas lieu d'accepter le nouveau mémoire en appel de l'intéressé et qu'elle devait connaître du dossier sur la base du mémoire produit en 2002 par l'ancienne avocate du requérant, Me P. Elle rejeta en outre la demande tendant à ce que celui-ci comparaisse en personne, estimant que la vidéoconférence suffirait à lui permettre de suivre les débats et de formuler des objections ou d'autres observations, et que cette forme de participation ne serait pas moins effective qu'une comparution en personne. Elle présenta ensuite à l'intéressé Me A., sa nouvelle avocate commise d'office, qui se trouvait dans la salle d'audience, et leur accorda quinze minutes d'entretien confidentiel par vidéoconférence avant l'ouverture des débats. Toutes les personnes dans ladite salle et autour du requérant quittèrent les lieux.
24.  Estimant qu'il lui fallait s'entretenir en personne avec son défenseur, le requérant refusa d'être représenté par Me A. La Cour suprême constata que l'intéressé n'avait ni argué d'un désaccord avec son conseil quant à sa ligne de défense, ni demandé le remplacement de Me A. par un confrère commis d'office, ni accepté la proposition faite par elle de faire appel à un avocat de son choix. Compte tenu de ces éléments et de l'annulation du premier arrêt d'appel pour violation du droit à l'assistance d'un défenseur, elle rejeta l'objection ainsi formulée par le requérant, en conséquence de quoi Me A. le représenta à l'audience d'appel.
25.  Le même jour, la Cour suprême examina l'affaire au fond. Elle confirma l'arrêt rendu par la cour régionale de Novossibirsk le 20 décembre 2001, apportant une correction dans le texte et excluant un élément de preuve. Elle ne revint ni sur les conclusions au fond ni sur le verdict.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le code de procédure pénale
26.  L'article 51 du code de procédure pénale de la Fédération de Russie, entré en vigueur le 1er juillet 2002, rend obligatoire le ministère d'avocat pour toute personne accusée d'une infraction grave punissable d'une peine d'emprisonnement de plus de 15 ans, de la réclusion à perpétuité ou de la peine capitale. L'enquêteur, le procureur ou le juge sont chargés de désigner d'office un avocat à tout accusé qui n'aura pas fait appel au défenseur de son choix.
27.  En vertu de l'article 373 de ce même code, une instance saisie en appel d'un jugement en vérifie la légalité, la validité et l'équité. L'article 377 §§ 4 et 5 du code lui permet d'apprécier elle-même les moyens de preuve, y compris les éléments nouveaux présentés par les parties.
B. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie
28.  Dans sa décision no 497-O du 18 décembre 2003 statuant sur la constitutionnalité de l'article 51 du code de procédure pénale, la Cour constitutionnelle a dit ceci :
« L'article 51 § 1 du code de procédure pénale, qui énonce les cas dans lesquels le ministère d'avocat est obligatoire, ne prévoit nulle part l'inapplicabilité de ses dispositions en appel ni la possibilité de restreindre le droit du condamné à l'assistance d'un avocat dans une procédure de ce type ».
29.  Dans sept arrêts rendus par elle le 8 février 2007, la Cour constitutionnelle a confirmé et étoffé cette jurisprudence. Elle a jugé que l'assistance d'un défenseur aux fins d'une procédure d'appel doit être pourvue gratuitement dans les mêmes conditions qu'aux stades antérieurs de l'affaire et qu'elle est obligatoire dans les cas prévus par l'article 51. Elle a souligné par ailleurs l'obligation incombant au juge de s'assurer de la participation de l'avocat de la défense lors des instances d'appel.
C. La jurisprudence de la Cour suprême
30.  Dans un certain nombre d'affaires (décisions du 13 octobre 2004, du 26 janvier 2005, du 6 avril 2005, du 15 juin 2005 et du 21 décembre 2005), le présidium a cassé et renvoyé, aux fins d'un nouvel examen, des arrêts d'instances d'appel qui ne s'étaient pas assurées de la présence, à l'audience, de l'avocat de la défense, dont le ministère était pourtant obligatoire.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
31.  Le requérant estime que la procédure pénale dirigée contre lui a été inéquitable et, en particulier, qu'il n'a pas pu bénéficier de l'assistance adéquate d'un défenseur lors des débats d'appel ni participer effectivement à ceux-ci personnellement du fait qu'il n'a pu communiquer avec l'instance d'appel que par vidéoconférence. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 3c) de la Convention, ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement [et] publiquement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
(...) c)  se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (...) ».
A.  Sur la recevabilité
1. Quant à la qualité de victime du requérant
32.  Le Gouvernement souligne que c'est précisément au motif que le requérant avait été privé de l'assistance effective d'un défenseur que, le 4 juillet 2007, le présidium cassa l'arrêt du 31 octobre 2002 et ordonna le renvoi devant l'instance d'appel pour que l'affaire fût rejugée. Aussi estime-t-il que l'intéressé ne peut plus se prétendre victime d'une violation de la Convention. A l'appui de sa thèse, il invoque la jurisprudence de la Cour voulant que la forme la plus appropriée de redressement d'une violation de l'article 6 en matière pénale soit, en principe, un nouveau procès ou la réouverture de la procédure. A cet égard, la décision du présidium vaudrait reconnaissance d'une violation et aurait offert un redressement sous la forme d'une nouvelle instance d'appel.
33.  Le requérant s'en tient à ses griefs, estimant n'avoir pas été rétabli dans ses droits au cours de la nouvelle procédure consécutive à la cassation de l'arrêt d'appel. En particulier, il n'aurait pas comparu personnellement en salle d'audience malgré ses demandes ni eu la possibilité de communiquer effectivement avec son avocat commis d'office. Aussi prie-t-il la Cour de dire qu'il a bien qualité de victime et d'examiner sa requête au fond.
34.  Sur l'exception tirée par le Gouvernement de ce que le requérant ne pourrait se prétendre victime d'une violation de la Convention, la Cour rappelle que pareille qualité est perdue si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, ladite violation puis offert un redressement approprié et suffisant de celle-ci (voir, par exemple, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 178-193, CEDH 2006-V).
35.  Pour ce qui est de la première condition, c'est-à-dire la reconnaissance d'une violation de la Convention, la Cour considère que la cassation par le présidium de l'arrêt d'appel rendu le 31 octobre 2002 vaut bien admission d'une méconnaissance l'article 6 de la Convention.
36.  Quant à la seconde condition, c'est-à-dire l'existence d'un redressement approprié et suffisant, la Cour doit rechercher si, dans les circonstances particulières de l'espèce, les mesures prises par les autorités ont offert pareil redressement au requérant afin de pouvoir dire si celui-ci peut toujours se prétendre victime d'une violation de la Convention. L'exception soulevée par le Gouvernement se rattachant étroitement aux griefs de fond exposés par l'intéressé, la Cour décide de la joindre à eux.
2. Quant aux autres chefs d'irrecevabilité
37.  La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Aussi doit-il être déclaré recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
38.  Le requérant allègue que, lorsqu'il a été décidé du bien-fondé des accusations en matière pénale dirigées contre lui, son droit à l'assistance d'un défendeur a été enfreint. Pendant l'audience tenue devant la Cour suprême le 31 octobre 2002, aucun conseil ne se serait trouvé à ses côtés et, lorsqu'il fut jugé à nouveau devant la même instance après le renvoi, son avocate commise d'office lui aurait été présentée par vidéoconférence, ce qui l'aurait empêché de communiquer de manière effective et confidentielle avec elle. Il se plaint en outre d'avoir été privé de la possibilité de comparaître en personne en appel. En particulier, la communication avec la Cour suprême par liaison audiovisuelle aurait été mauvaise et ne lui aurait pas permis de suivre réellement les débats et de formuler ses objections.
39.  Dans sa première série d'observations, le Gouvernement soutenait que l'audience tenue devant la Cour suprême le 31 octobre 2002 avait offert au requérant les garanties suffisantes d'un procès équitable, notamment le droit d'être représenté par un défenseur, et que sa participation personnelle aux débats avait été effectivement assurée par la liaison audiovisuelle avec la Cour suprême. Il arguait que ce moyen de communication était compatible en lui-même avec l'article 6 de la Convention et justifié au vu des circonstances de l'espèce. Il a ultérieurement modifié ses observations, avisant la Cour que, le 4 juillet 2007, le présidium de la Cour suprême avait cassé l'arrêt du 31 octobre 2002 pour non-respect des droits de la défense et concluant que, à supposer même que la procédure pénale alors en cause fût entachée d'une violation de l'article 6, ladite cassation avait fait perdre à l'intéressé sa qualité de victime de cette violation. Il n'a rien dit au sujet de la procédure consécutive au recours en révision.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
40.  La Cour rappelle tout d'abord que les exigences de l'article 6 § 3 s'analysent en des éléments particuliers du droit à un procès équitable, garanti par le paragraphe 1 de ce même article, et que les griefs soulevés par le requérant sur le terrain des paragraphes 1 et 3 de cet article doivent donc être examinés conjointement (Vacher c. France (déc.), no 20368/92, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, § 22).
41.  En outre, s'il reconnaît à tout accusé le droit de « se défendre lui-même ou [d']avoir l'assistance d'un défenseur (...) », l'article 6 § 3 c) n'en précise pas les modalités d'exercice. Il laisse ainsi aux Etats contractants le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir ; la tâche de la Cour se limite alors à rechercher si la voie qu'ils ont empruntée cadre avec les exigences d'un procès équitable (Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, § 30, série A no 205). A cet égard, il ne faut pas oublier que la Convention a pour but de « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » et que la désignation d'un conseil n'assure pas à elle seule l'effectivité de l'assistance que celui-ci peut procurer à l'accusé (Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275, et Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37).
42.  Par ailleurs, en première instance, la notion de procès équitable suppose en principe la faculté pour l'accusé d'assister aux débats. Toutefois, la présence de celui-ci ne revêt pas nécessairement la même importance en appel. D'ailleurs, même dans l'hypothèse d'une cour d'appel ayant plénitude de juridiction, l'article 6 n'implique pas toujours le droit de comparaître en personne. En la matière, il faut prendre en compte, entre autres, les particularités de la procédure en cause et la manière dont les intérêts de la défense ont été exposés et protégés devant l'instance d'appel, eu égard notamment aux questions qu'elle avait à trancher et à leur importance pour l'appelant (Helmers c. Suède, 29 octobre 1991, §§ 31-32, série A no 212-A ; Belziuk c. Pologne, 25 mars 1998, § 37, Recueil 1998-II ; Pobornikoff c. Autriche, no 28501/95, § 24, 3 octobre 2000, et Kucera c. Autriche, no 40072/98, § 25, 3 octobre 2002).
43.  Quant au recours à la vidéoconférence, ce procédé n'est pas en   lui-même une forme de participation à la procédure incompatible avec la notion de procès équitable et public, mais il faut s'assurer que le justiciable est en mesure de suivre les débats et d'être entendu sans obstacles techniques et de communiquer de manière effective et confidentielle avec un avocat (Marcello Viola c. Italie, no 45106/04, CEDH 2006-XI (extraits)).
44.  Enfin, ni la lettre ni l'esprit de l'article 6 de la Convention n'empêchent une personne de renoncer de son plein gré, de manière expresse ou tacite, aux garanties d'un procès équitable (Talat Tunç c. Turquie, no 32432/96, § 59, 27 mars 2007). Pareille renonciation doit toutefois se trouver établie de manière non équivoque et ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 86, CEDH 2006-II).
b) Application au cas d'espèce des principes susmentionnés
45.  La Cour relève que, en Russie, les juridictions d'appel sont juges tant du fait que du droit. La Cour suprême pouvait donc réexaminer le dossier dans son intégralité et connaître de moyens nouveaux, non soulevés en première instance. Compte tenu de la gravité des charges qui pesaient sur le requérant et de la lourdeur de la peine dont il était passible, la Cour estime qu'il était essentiel pour lui d'être assisté à ce stade-là par un avocat commis d'office, lequel était véritablement à même d'appeler l'attention du juge d'appel sur tout argument important de nature à influencer celui-ci en faveur de son client.
46.  La Cour relève en outre que, en vertu des dispositions du code de procédure pénale russe, telle qu'interprétées par la Cour constitutionnelle russe, la commission d'office d'un avocat relève de l'autorité compétente à chaque stade de la procédure (paragraphes 28 et 29 ci-dessus). Il incombait dès lors aux instances judiciaires d'assigner un défenseur au requérant de manière à assurer à celui-ci la jouissance effective de ses droits.
47.  Le Gouvernement reconnaît certes que la première instance judiciaire, qui a pris fin le 31 octobre 2002, n'a pas respecté les garanties en matière d'assistance en justice, mais il soutient que, en cassant l'arrêt d'appel rendu en l'absence de l'avocate du requérant, la procédure en révision conduite en 2007 a remédié à ce vice de procédure.
48.  Pour déterminer si effectivement, comme le plaide le Gouvernement, le recours en révision a effacé les irrégularités constatées dans le cadre de celui-ci, la Cour doit vérifier si les garanties méconnues auparavant ont été accordées lors de la suite de l'instance. D'après la décision rendue par la Cour suprême le 29 novembre 2007 sur des questions préliminaires de procédure, le requérant fut représenté au cours de la nouvelle instance d'appel par Me A., une avocate commise d'office qui se trouvait dans la salle d'audience à Moscou. Or, alors qu'il suivait les débats par vidéoconférence depuis son établissement pénitentiaire de Novossibirsk, il s'opposa à ce que Me A. le défendît au motif qu'il ne s'était jamais entretenu avec elle, si ce n'était par ce même procédé juste avant le début de l'audience. Alors même que la confidentialité des communications avec Me A. lui avait été assurée au début de l'audience (par l'ordre donné à tous de quitter la salle d'audience à Moscou), il insista qu'il n'accepterait aucun conseil qu'il n'aurait pas rencontré en personne. En outre, il ne demanda pas le remplacement de son conseil ni l'autorisation de faire appel à celui de son choix. La Cour suprême en conclut que le refus opposé par l'intéressé était déraisonnable et confirma que celui-ci serait représenté par Me A.
49.  Il ressort de ces éléments que, préalablement à l'audience, jamais le requérant ne s'est entretenu ni n'a communiqué par d'autres moyens avec l'avocate de la défense choisie pour le représenter dans le cadre de la nouvelle instance. La seule possibilité offerte à elle de discuter du dossier avec son client s'est limitée à une brève conversation par liaison audiovisuelle qui eut lieu dans le cadre de la même vidéoconférence que pour l'audience d'appel elle-même. Pour la Cour, Me A. a été désignée si tardivement qu'il lui était difficile, sinon impossible, de se mettre d'accord avec son client sur la ligne de défense à suivre à l'audience.
50.  La Cour note par ailleurs que, par une décision distincte sur des questions préliminaires de procédure, la Cour suprême refusa un nouveau mémoire en appel que voulait produire le requérant et dit qu'elle se prononcerait sur la base des conclusions présentées par l'ancienne avocate de l'intéressé, Me P., avant la première audience d'appel tenue en 2002. Pour elle, l'absence de contact personnel à l'audience d'appel et de discussion préalablement à celle-ci entre le requérant et son avocate, s'ajoutant au fait que celle-ci a dû plaider sur la base de moyens d'appel soulevés cinq années auparavant par une consœur, a réduit la présence de ce conseil lors des débats à une simple formalité.
51.  La Cour ajoute que le requérant a fait part suffisamment clairement à la Cour suprême de son mécontentement quant à la manière dont sa représentation en justice était assurée. Contrairement aux conclusions de cette juridiction, elle estime légitimes et justifiés au vu des circonstances les motifs pour lesquels l'intéressé avait refusé d'être assisté par Me A. Aussi le comportement de celui-ci n'avait-il pas déchargé les autorités de l'obligation qui leur incombait de lui garantir une défense effective.
52.  Les éléments exposés ci-dessus suffisent à la Cour pour conclure que la Cour suprême n'a pas davantage assuré au requérant une représentation en justice effective pendant l'audience d'appel tenue le 29 novembre 2007 que lors de la première audience d'appel.
53.  En résumé, la Cour estime que les mesures prises par les autorités n'ont pas offert un redressement approprié au requérant, lequel peut donc toujours se prétendre victime d'une violation au sens de l'article 34 de la Convention. Aussi rejette-t-elle l'exception soulevée par le Gouvernement sous ce chef et conclut-elle à la violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.
54.  Pour ce qui est du grief tiré de la conduite des débats d'appel par vidéoconférence, la Cour rappelle que la question de l'exercice du droit à l'assistance d'un défenseur revêt une importance particulière dès lors que l'accusé communique avec le tribunal par ce moyen (voir la jurisprudence citée au paragraphe 43). Ces deux griefs se recoupant et la Cour ayant conclu ci-dessus à l'inadéquation de la représentation en justice assurée au requérant en appel, elle n'estime pas nécessaire d'examiner séparément la conformité à l'article 6, dans les circonstances de l'espèce, de la participation de l'intéressé auxdits débats par liaison audiovisuelle.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION
55.  Pour finir, le requérant plaide, sur le terrain de l'article 5, l'irrégularité de sa détention provisoire. En outre, sous l'angle de l'article 6, il estime que la désignation des experts lui a été signifiée tardivement, soutient que les éléments de preuve ont été mal appréciés et conteste le verdict. Enfin, invoquant l'article 2 du Protocole no 7 à la Convention, il allègue la violation de son droit de faire appel.
56.  Au vu de l'ensemble des éléments dont elle dispose, et pour autant que les griefs énumérés au paragraphe précédent relèvent de sa compétence, la Cour estime que ceux-ci ne font ressortir aucune apparence de violation d'un droit ou d'une liberté énoncés dans la Convention ou les Protocoles à celle-ci. Aussi cette partie de la requête doit-elle être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
57.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
58.  Le requérant prie la Cour de lui accorder, pour dommage moral, une somme dont il lui laisse le soin de déterminer le montant.
59.  Le Gouvernement estime que tout constat de violation par la Cour vaut satisfaction équitable suffisante en l'espèce.
60.  La Cour considère que le requérant a subi un dommage moral que ne peut suffisamment réparer le seul constat d'une violation. Statuant en équité, elle lui alloue 2 000 euros (EUR), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
B.  Frais et dépens
61.  Le requérant réclame en outre 300 EUR pour ses frais et dépens devant la Cour.
62.  Le Gouvernement conteste cette somme, faisant valoir que le total des montants indiqués sur les justificatifs produits par l'intéressé s'élève à seulement 4 189 roubles russes.
63.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant n'a droit au remboursement de ses frais et dépens qu'à condition que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des éléments dont elle dispose et des critères ci-dessus, la Cour estime raisonnable d'accorder à l'intéressé la somme de 120 EUR pour ses frais et dépens devant la Cour, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
C.  Intérêts moratoires
64.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A l'UNANIMITÉ,
1.  Joint au fond et rejette l'exception préliminaire du Gouvernement concernant la qualité de victime du requérant ;
2.  Déclare recevables les griefs tirés de ce que le requérant n'aurait pas reçu l'assistance adéquate d'un défenseur lors des débats devant l'instance d'appel et de la participation de l'intéressé à ceux-ci par vidéoconférence et irrecevables les griefs restants ;
3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention faute pour le requérant d'avoir reçu l'assistance effective d'un défenseur en appel ;
4.  Dit qu'il n'est pas nécessaire d'examiner séparément la conformité à l'article 6 de la participation du requérant aux débats d'appel par vidéoconférence ;
5.  Dit
a)  que, dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, l'Etat défendeur devra verser au requérant les sommes suivantes, à convertir en roubles russes au taux applicable à la date du règlement :
i.  2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral ;
ii.  120 EUR (cent vingt euros), pour frais et dépens ;
iii.  tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant sur lesdites sommes ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au règlement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 5 février 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Søren Nielsen Christos Rozakis    Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion concordante commune aux juges Rozakis, Spielmann et Malinverni.
C.L.R.  S.N.
OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES ROZAKIS, SPIELMANN ET MALINVERNI
1. Nous avons voté en faveur du constat d'une violation de l'article 6 §§ 1 3 c) de la Convention, faute pour le requérant d'avoir bénéficié de l'assistance effective d'un défenseur en appel.
2. Notre raisonnement diffère cependant de celui retenu par la majorité des juges.
3. Rappelons que, le 31 octobre 2002, la Cour suprême examina l'appel interjeté par le requérant. Celui-ci suivit les débats par vidéoconférence mais en l'absence de son avocate. L'appel fut rejeté.
4. Le 4 juillet 2007, le présidium de la Cour suprême fit droit à une demande d'ouverture d'une procédure de révision et cassa l'arrêt d'appel rendu par cette cour. Il conclut que le droit du requérant à l'assistance d'un défenseur avait été enfreint lors de l'audience d'appel et renvoya l'affaire devant l'instance d'appel pour qu'elle fût rejugée. A nos yeux, la décision ainsi rendue par lui vaut reconnaissance, au moins en substance, d'une violation et a offert un redressement sous la forme d'un nouveau procès devant ladite instance. Au paragraphe 35 de l'arrêt, la majorité souligne à juste titre que la cassation de l'arrêt d'appel constituait effectivement une admission d'une violation de l'article 6.
5. Nous ne pouvons toutefois suivre la majorité quand elle conclut que la violation commise « lors de la première audience d'appel » des droits que le requérant tient de l'article 6 n'a pas été suffisamment redressée (paragraphe 52). En effet, nous ne considérons pas le procès en cause comme un tout. Pour nous, les autorités ont correctement remédié aux irrégularités dont avait été entachée la procédure d'appel à l'origine de l'arrêt du 31 octobre 2002, mais elles ont de nouveau méconnu l'article 6 au cours de la procédure consécutive à la cassation de cet arrêt, dans les circonstances exposées aux paragraphes 21 à 25 de l'arrêt. C'est ainsi que la Cour a raisonné dans des affaires de ce type, par exemple Ponouchkov c. Russie (no 30209/04, 6 novembre 2008). Le caractère subsidiaire du système instauré par la Convention veut que les autorités nationales soient encouragées à remédier à l'échelon interne aux vices de procédure.
ARRÊT SAKHNOVSKI c. RUSSIE
ARRÊT SAKHNOVSKI c. RUSSIE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 21272/03
Date de la décision : 05/02/2009
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire jointe au fond et rejetée (victime) ; Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 6-1 et 6-3-c ; Préjudice moral - réparation

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : SAKHNOVSKI
Défendeurs : RUSSIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-02-05;21272.03 ?

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