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26/02/2009 | CEDH | N°28336/02

CEDH | AFFAIRE GRIFHORST c. FRANCE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE GRIFHORST c. FRANCE
(Requête no 28336/02)
ARRÊT
STRASBOURG
26 février 2009
DÉFINITIF
26/05/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Grifhorst c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Christos Rozakis, président,   Nina Vajić,   Jean-Paul Costa,   Anatoly Kovler,   Elisabeth Steiner,   Dean Spielmann,   Sverre Erik Jebens, juges,  et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 février 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE GRIFHORST c. FRANCE
(Requête no 28336/02)
ARRÊT
STRASBOURG
26 février 2009
DÉFINITIF
26/05/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Grifhorst c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Christos Rozakis, président,   Nina Vajić,   Jean-Paul Costa,   Anatoly Kovler,   Elisabeth Steiner,   Dean Spielmann,   Sverre Erik Jebens, juges,  et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 février 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28336/02) dirigée contre la République française et dont un ressortissant néerlandais, M. Robert Grifhorst (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 juillet 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me B.J. Tieman, avocat à Amsterdam. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3.  Le requérant alléguait en particulier la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, au motif que la sanction dont il avait fait l’objet pour non-déclaration d’une somme au passage de la douane, à savoir la confiscation de la totalité de la somme non déclarée et l’amende correspondant à la moitié de la somme non déclarée, était disproportionnées par rapport à la nature du fait reproché.
4. Par lettre du 30 mai 2005, le gouvernement néerlandais a fait savoir qu’il n’entendait pas exercer son droit d’intervenir dans la procédure.  Par une décision du 7 septembre 2006, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6.  Le requérant est né en 1949 et réside à Erts la Massana (Andorre).
7.  Le 29 janvier 1996, alors qu’il entrait en France en provenance d’Andorre, le requérant fit l’objet d’un contrôle par la douane française à la frontière franco-andorrane.
8.  Les douaniers lui ayant demandé en anglais et en espagnol s’il avait des sommes à déclarer, le requérant répondit par la négative.
9.  Les agents des douanes fouillèrent la sacoche du requérant et trouvèrent des documents bancaires à son nom et au nom d’une société. Ils réitérèrent leur question, en anglais et en espagnol, quant à la déclaration de sommes ou de valeurs, à laquelle le requérant maintint sa réponse négative.
10.  Le véhicule, ainsi que le requérant, furent fouillés et les douaniers découvrirent 500 000 florins dans ses poches, soit 233 056 euros (EUR).
11.  Le requérant fut interrogé et déclara être résident à Andorre et avoir retiré la somme du Crédit d’Andorre afin d’acheter un immeuble à Amsterdam.
12.  Les agents procédèrent à la saisie de l’intégralité de la somme, soit 500 000 florins (233 056 EUR).
13.  Par télécopie du 29 janvier 1996, l’attaché douanier auprès de l’ambassade des Pays-Bas informa le directeur de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) que le requérant était connu des services de police néerlandais, notamment pour des faits (survenus en 1983) de chantage et extorsion de fonds, enlèvement d’une personne et détention d’une arme à feu.
14.  Par une autre télécopie du 23 avril 1997, l’attaché douanier indiqua que, selon la police néerlandaise, la seule activité connue du requérant était en relation avec l’immobilier, qu’une enquête internationale menée par les Pays-Bas, la France et l’Espagne sur ses activités n’avait pas progressé, que les services néerlandais envisageaient de solliciter du parquet d’Amsterdam des moyens plus importants tels que sa mise sur écoute téléphonique, qu’il était soupçonné de blanchir des capitaux pour le compte d’autres personnes mais qu’aucun élément concret supplémentaire ne pouvait être apporté.
15.  Le requérant fut cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Perpignan qui, par jugement du 8 octobre 1998, le déclara coupable du délit de non-respect de l’obligation déclarative des sommes, titres ou valeurs prévue par l’article 464 du code des douanes et le condamna à la confiscation de la totalité de la somme et au paiement d’une amende égale à la moitié de la somme non déclarée ( 225 000 florins, soit 116 828 EUR), sur le fondement de l’article 465 du code des douanes, assortie de la contrainte par corps avec exécution provisoire.
16.  Par un arrêt rendu par défaut le 4 novembre 1999, la cour d’appel de Montpellier confirma le jugement.
17.  Le 11 octobre 2000, le requérant forma opposition à l’arrêt. Il invoquait l’erreur de droit, au motif que la directive européenne 88/361/CEE supprime toute restriction aux mouvements de circulation des capitaux entre les personnes résidant dans les Etats membres. Il invoquait également sa bonne foi et son absence d’intention frauduleuse et sollicitait sa relaxe et la restitution des sommes saisies et demandait subsidiairement à la cour d’appel de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après la CJCE), portant sur la conformité des dispositions du code des douanes avec la libre circulation des capitaux.
18.  Par arrêt du 20 mars 2001, la cour d’appel déclara son opposition recevable et statua en ces termes :
« Attendu que (le requérant) qui prétend ignorer la loi française en sa qualité de ressortissant néerlandais, ne peut invoquer avec succès l’article 122-3 du Code pénal dès lors que les douaniers lui ont posé la question de la déclaration de sommes d’argent qu’il transportait, à deux reprises et que (le requérant) a répondu négativement par deux fois, manifestant ainsi son intention délictuelle de cacher le transfert des capitaux aux douanes françaises ; qu’il ne s’agit aucunement d’une erreur de droit puisque l’obligation déclarative lui a été rappelée par les douaniers et que (le requérant), ne peut se prévaloir de son ignorance de la loi française.
Attendu que les dispositions des articles 464 et 465 du Code des douanes, dont il n’appartient pas à la cour d’appel d’apprécier la constitutionnalité, entrent dans les prévisions de l’article 58, paragraphe 1, b) du Traité CE et sont conformes à l’article 4 de la directive 88/361/CEE du 24 juin 1988, texte reconnaissant aux États membres le droit de prendre les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements ;
Attendu que l’obligation de déclaration qui n’empêche aucunement la libre circulation des capitaux, s’impose à toute personne physique, résident ou non-résident français ;
Attendu enfin que les obligations et pénalités prévues par l’article 465 du Code des douanes ne sont pas contraires au principe communautaire de proportionnalité dès lors qu’elles ont été instituées en vue de la lutte contre le blanchiment des capitaux, laquelle figure parmi les objectifs de la Communauté européenne ;
 Attendu que c’est à juste titre et par des motifs pertinents, exacts et suffisants, que les premiers juges, tirant des circonstances de la cause les conséquences juridiques qui s’imposaient, en caractérisant en tous ses éléments tant matériels qu’intentionnels le délit reproché, ont retenu la culpabilité du prévenu et l’ont condamné aux peines sus indiquées, qui apparaissent bien proportionnées à la gravité des faits et bien adaptées à la personnalité de l’intéressé, l’amende douanière ayant été fixée à la moitié de la somme sur laquelle a porté l’infraction (article 465 du Code des douanes). »
La cour dit en outre n’y avoir lieu à saisine de la CJCE.
19.  Le requérant se pourvut en cassation. Il alléguait notamment la violation de l’article 7 § 1 de la Convention en ce que le tribunal correctionnel l’avait déclaré coupable du délit de non-respect de l’obligation déclarative alors que, selon la jurisprudence en vigueur à l’époque (et en particulier selon un arrêt de la Cour de cassation du 25 juin 1998), cette obligation n’était applicable qu’aux seuls résidents français. Il invoquait également l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention car, selon lui, le principe de proportionnalité n’avait pas été respecté en raison de la lourdeur des sanctions qui lui avaient été infligées pour ce qu’il considérait comme un simple manquement à une obligation administrative.
20.  Par un arrêt du 30 janvier 2002, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, dans les termes suivants :
« (...) en l’absence de modification de la loi pénale, et dès alors que le principe de non rétroactivité ne s’applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle, le moyen est inopérant (...)
Dès lors que les sanctions prévues à l’article 465 du code des douanes, qui ont été instituées notamment en vue de la lutte contre le blanchiment de capitaux, laquelle figure parmi les objectifs de la Communauté européenne, sont conformes au principe communautaire de proportionnalité et non contraires aux dispositions conventionnelles invoquées, la juridiction du second degré a justifié sa décision. »
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
  A. Le droit interne
1. Dispositions du code des douanes en vigueur à la date des faits
21.  Les dispositions pertinentes du code des douanes, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, se lisent ainsi
Article 323
«  1. Les infractions aux lois et règlements douaniers peuvent être constatées par un agent des douanes ou de toute autre administration.
2. Ceux qui constatent une infraction douanière ont le droit de saisir tous objets passibles de confiscation, de retenir les expéditions et tous autres documents relatifs aux objets saisis et de procéder à la retenue préventive des objets affectés à la sûreté des pénalités (...) »
Article 464
« Sans préjudice des dispositions de la loi no 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l’étranger, les personnes physiques qui transfèrent vers l’étranger des sommes, titres ou valeurs, sans l’intermédiaire d’un organisme soumis à la loi no 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, ou d’un organisme cité à l’article 8 de ladite loi, doivent en faire la déclaration dans les conditions fixées par décret.
Une déclaration est établie pour chaque transfert à l’exclusion des transferts dont le montant est inférieur à 50 000 FRF. »
Article 465
(issu de l’article 23 de la loi 90-614 du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment de capitaux provenant du trafic des stupéfiants)
« II. La méconnaissance des obligations énoncées au I. de l’article 98 de la loi de finances pour 1990 (no 89-935 du 29 décembre 1989), sera punie de la confiscation du corps du délit ou, lorsque la saisie n’aura pu être faite, d’une somme en tenant lieu et d’une amende égale, au minimum, au quart et, au maximum, au montant de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction (...) »
2. Dispositions du code des douanes dans leur rédaction de 2004
22.  A la suite de l’avis motivé de la Commission européenne (paragraphe 29 ci-dessous), les autorités françaises ont modifié le code des douanes pour en tirer les conséquences. Ces modifications (introduites par la loi 2004-204 du 9 mars 2004 et le décret 2004-759 du 27 juillet 2004) sont entrées en vigueur le 1er octobre 2004.
23.  Ces modifications ont eu pour effet de supprimer la peine de confiscation automatique et de réduire l’amende au quart de la somme sur laquelle a porté l’infraction. Les dispositions modifiées se lisent ainsi :
Article 464
« Les personnes physiques qui transfèrent vers l’étranger ou en provenance de l’étranger des sommes, titres ou valeurs, sans l’intermédiaire d’un organisme soumis à la loi nº 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, ou d’un organisme cité à l’article 8 de ladite loi, doivent en faire la déclaration dans des conditions fixées par décret. Une déclaration est établie pour chaque transfert à l’exclusion des transferts dont le montant est inférieur à 7 600 euros. »
Article 465
«  I. - La méconnaissance des obligations déclaratives énoncées à l’article 464 est punie d’une amende égale au quart de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction.
II. - En cas de constatation de l’infraction mentionnée au I par les agents des douanes, ceux-ci consignent la totalité de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction, pendant une durée de trois mois, renouvelable sur autorisation du procureur de la République du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure, dans la limite de six mois au total.
La somme consignée est saisie et sa confiscation peut être prononcée par la juridiction compétente si, pendant la durée de la consignation, il est établi que l’auteur de l’infraction mentionnée au I est ou a été en possession d’objets laissant présumer qu’il est ou a été l’auteur d’une ou plusieurs infractions prévues et réprimées par le présent code ou qu’il participe ou a participé à la commission de telles infractions ou s’il y a des raisons plausibles de penser que l’auteur de l’infraction visée au I a commis une infraction ou plusieurs infractions prévues et réprimées par le code des douanes ou qu’il a participé à la commission de telles infractions.
La décision de non-lieu ou de relaxe emporte de plein droit, aux frais du Trésor, mainlevée des mesures de consignation et saisie ordonnées. Il en est de même en cas d’extinction de l’action pour l’application des sanctions fiscales (...) »
3. Dispositions du code des douanes dans leur rédaction actuelle
24.  A la suite de l’entrée en vigueur, le 15 juin 2007, du règlement no 1889/2005 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté (paragraphe 35 ci-dessous), les articles 464 et 465 du code des douanes ont été modifiés par le décret du 28 mars 2007 et se lisent désormais comme suit :
Article 464
« Les personnes physiques qui transfèrent vers un État membre de l’Union européenne ou en provenance d’un État membre de l’Union européenne des sommes, titres ou valeurs, sans l’intermédiaire d’un établissement de crédit, ou d’un organisme ou service mentionné à l’article L. 518-1 du code monétaire et financier doivent en faire la déclaration dans des conditions fixées par décret.
Une déclaration est établie pour chaque transfert à l’exclusion des transferts dont le montant est inférieur à 10 000 euros. »
Article 465
« I. - La méconnaissance des obligations déclaratives énoncées à l’article 464 et dans le règlement (CE) no 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté est punie d’une amende égale au quart de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction.
II. - En cas de constatation de l’infraction mentionnée au I par les agents des douanes, ceux-ci consignent la totalité de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction, pendant une durée de trois mois, renouvelable sur autorisation du procureur de la République du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure, dans la limite de six mois au total.
La somme consignée est saisie et sa confiscation peut être prononcée par la juridiction compétente si, pendant la durée de la consignation, il est établi que l’auteur de l’infraction mentionnée au I est ou a été en possession d’objets laissant présumer qu’il est ou a été l’auteur d’une ou plusieurs infractions prévues et réprimées par le présent code ou qu’il participe ou a participé à la commission de telles infractions ou s’il y a des raisons plausibles de penser que l’auteur de l’infraction visée au I a commis une infraction ou plusieurs infractions prévues et réprimées par le code des douanes ou qu’il a participé à la commission de telles infractions.
La décision de non-lieu ou de relaxe emporte de plein droit, aux frais du Trésor, mainlevée des mesures de consignation et saisie ordonnées. Il en est de même en cas d’extinction de l’action pour l’application des sanctions fiscales.
III. - La recherche, la constatation et la poursuite des infractions mentionnées au I sont effectuées dans les conditions fixées par le présent code.
Dans le cas où l’amende prévue au I est infligée, la majoration de 40 % mentionnée au premier alinéa de l’article 1759 du code général des impôts n’est pas appliquée. »
4. Jurisprudence de la Cour de cassation citée par les parties
25.  Les deux arrêts ci-après ont été rendus dans le cadre d’une même affaire. Par un premier arrêt du 25 juin 1998, auquel l’administration des douanes n’était pas partie, la Cour de cassation a retenu que l’obligation de déclaration ne s’imposait qu’aux résidents français :
« Attendu qu’en se prononçant ainsi, alors que, faute d’être résident français, l’auteur supposé des faits ne pouvait se voir reprocher un défaut de déclaration de transfert de capitaux qui constituait une obligation à laquelle il n’était pas soumis, et qu’en l’absence de fait principal punissable, D. M. ne peut être retenu comme complice dudit manquement, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »
26.  L’administration des douanes ayant formé opposition à cet arrêt, la Cour de cassation a, par un nouvel arrêt du 29 mars 2000, dit l’opposition recevable, mettant ainsi à néant son précédent arrêt, et a notamment considéré :
« (...) l’obligation de déclarer le transfert vers l’étranger ou en provenance de l’étranger de sommes, titres ou valeurs, à l’exclusion des transferts dont le montant est inférieur à 50.000 FRF, prévue par les articles 98-I de la loi de finances du 29 décembre 1989 et 23-I de la loi du 12 juillet 1990, devenus les articles 464 et 465 du Code des douanes, s’impose à toute personne physique, résident ou non-résident français ; (...) les dispositions de ces textes sont compatibles avec les exigences de la directive du Conseil du 24 juin 1988, sur la libre circulation des capitaux, dont l’article 4 autorise les États membres à prendre les mesures indispensables pour faire échec à leurs lois et règlements (...) »
B. Le droit communautaire
1. La libre circulation des capitaux
a)  Traité de Rome
27.  L’article 58 (ancien article 73D du traité) est ainsi rédigé :
 « 1. L’article 56 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres : (...)
b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d’information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique (...)
3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56. »
b)   Directive du Conseil du 24 juin 1988 pour la mise en œuvre de l’article 67 du Traité CEE (88/361/CEE)
28.  Les articles pertinents de la directive se lisent ainsi :
Article 4
 « Les dispositions de la présente directive ne préjugent pas le droit des États membres de prendre les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou de surveillance prudentielle des établissements financiers, et de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d’information administrative ou statistique.
L’application de ces mesures et procédures ne peut avoir pour effet d’empêcher les mouvements de capitaux effectués en conformité avec les dispositions du droit communautaire. »
Article 7
 « 1. Les États membres s’efforcent d’atteindre, dans le régime qu’ils appliquent aux transferts afférents aux mouvements de capitaux avec les pays tiers, le même degré la libération que celui des opérations intervenant avec les résidents des autres États membres, sous réserve des autres dispositions de la présente directive.
Les dispositions du premier alinéa ne préjugent pas de l’application, vis-à-vis des pays tiers, des règles nationales ou du droit communautaire, et notamment des conditions éventuelles de réciprocité, concernant les opérations d’établissement, de prestation de services financiers et d’admission de titres sur les marchés des capitaux.
2. Au cas où des mouvements de capitaux à court terme de grande ampleur en provenance ou à destination des pays tiers perturbent gravement la situation monétaire ou financière interne ou externe des États membres ou de plusieurs d’entre eux, ou entraînent des tensions graves dans les relations de change à l’intérieur de la Communauté ou entre la Communauté et les pays tiers, les États membres se consultent sur toute mesure susceptible d’être prise pour remédier aux difficultés rencontrées. Cette consultation a lieu au sein du comité des gouverneurs des banques centrales et du comité monétaire à l’initiative de la Commission ou de tout État membre. »
2. Avis motivé rendu par la Commission européenne
29.  La Commission européenne a rendu en juillet 2001 l’avis motivé suivant :
 «  L’article 58 du traité CE stipule que l’article 56, qui instaure la libre circulation des capitaux, ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d’information administrative ou statistique ou de prendre des mesures liées à l’ordre public ou à la sécurité publique. Néanmoins, le même article 58 du traité CE précise que ces procédures de déclaration ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56.
C’est ainsi que la Commission considère que les effets d’une telle obligation administrative, en l’occurrence les sanctions douanières, doivent s’apprécier en appliquant le critère de proportionnalité. En effet, selon la jurisprudence de la Cour (arrêts du 16.12.1992 "Commission contre République hellénique", C-210/91, et du 26.10.1995 "Siesse", C-36/94), les mesures administratives ou répressives ne doivent pas dépasser le cadre de ce qui est strictement nécessaire aux objectifs poursuivis et il ne faut pas rattacher aux modalités de contrôle une sanction si disproportionnée à la gravité de l’infraction qu’elle deviendrait une entrave aux libertés consacrées par le traité.
Or, la Commission a constaté que, dans le cas d’espèce, la sanction normalement prévue et appliquée, à savoir la confiscation des fonds, conduit à la négation même de la liberté fondamentale du mouvement des capitaux, de sorte qu’il s’agisse d’une mesure manifestement disproportionnée.
Les autorités françaises défendent le caractère dissuasif que devraient revêtir ces sanctions au vu de l’importance des objectifs visés selon elles par l’introduction de ces obligations déclaratives, à savoir la lutte contre le blanchiment d’argent et la lutte contre la fraude fiscale. De son côté, la Commission considère que la sanction devrait correspondre à la gravité du manquement constaté, à savoir du manquement à l’obligation de déclaration et non pas à la gravité du manquement éventuel non constaté, à ce stade, d’un délit tel que le blanchiment d’argent ou la fraude fiscale. »
3. La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes
30.  Les deux arrêts cités ci-dessous concernent respectivement l’exportation de sommes entre Etats membres (affaire Bordessa) et entre Etats membres et Etats tiers (affaire Sanz de Leray).
a) Arrêt Bordessa e.a. du 23 février 1995 (affaires jointes C-358/93 et C-416/93, Rec. 1995 p. I-361)
«  La directive 88/361 pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité, et plus particulièrement ses articles 1er, obligeant les États membres à supprimer les restrictions aux mouvements de capitaux, et 4, les autorisant à prendre les mesures indispensables pour faire échec aux infractions aux lois et règlements nationaux, s’opposent à ce que l’exportation de pièces, de billets de banque ou de chèques au porteur soit subordonnée à une autorisation préalable, mais, en revanche, ne s’opposent pas à ce qu’une telle opération soit subordonnée à une déclaration préalable.
En effet, si ledit article 4 s’applique non seulement aux mesures visant à faire échec aux infractions en matière fiscale ou de surveillance prudentielle des établissements financiers, mais également à celles visant à empêcher des activités illicites d’une gravité comparable, tels le blanchiment d’argent, le trafic des stupéfiants et le terrorisme, l’exigence d’une autorisation ne peut être considérée comme une mesure indispensable au sens de cette disposition, car elle reviendrait à soumettre l’exercice de la libre circulation des capitaux à la discrétion de l’administration et serait susceptible, de ce fait, de rendre cette liberté illusoire. En revanche, une déclaration préalable peut constituer une telle mesure indispensable puisque, contrairement à l’autorisation préalable, elle ne suspend pas l’opération en cause, tout en permettant néanmoins aux autorités nationales d’effectuer un contrôle effectif pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements.  »
b) Arrêt Sanz de Lera e.a. du 14 décembre 1995 (affaires jointes C-163/94, C-165/94 et C-250/94, Rec. 1995 p. I-4821)
« Les articles 73 B, paragraphe 1, et 73 D, paragraphe 1, sous b) du traité s’opposent à une réglementation nationale qui subordonne, d’une manière générale, l’exportation de pièces, de billets de banque, ou de chèques au porteur à une autorisation préalable, mais, en revanche, ne s’opposent pas à ce qu’une telle opération soit subordonnée à une déclaration préalable. »
c) Sanctions et respect du principe de proportionnalité
31.  En ce qui concerne les infractions douanières, la CJCE considère de façon constante qu’en l’absence d’harmonisation de la législation communautaire dans ce domaine, les Etats membres sont compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées. Ils sont toutefois tenus d’exercer cette compétence dans le respect du droit communautaire et de ses principes généraux et, par conséquent, dans le respect du principe de proportionnalité (cf. arrêts du 16 décembre 1992, Commission/Grèce, C-210/91, Rec p. I-6735, point 19, du 26 octobre 1995, Siesse, C-36/94, Rec. p. I-3573, point 21, et du 7 décembre 2000, De Andrade, C-213/99, Rec. p. I-11083, point 20).
32.  La CJCE précise que les mesures administratives ou répressives ne doivent pas dépasser le cadre de ce qui est nécessaire aux objectifs poursuivis et qu’une sanction ne doit pas être si disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction qu’elle devienne une entrave à l’une des libertés consacrées par le traité (voir notamment arrêt Commission c. Grèce précité, point 20 et la jurisprudence citée et arrêt du 12 juillet 2001, Louloudakis, C-262/99, Rec. p. I-5547 ; voir également l’arrêt rendu par la CJCE dans l’affaire Bosphorus Airways précitée, cité au paragraphe 52 de l’arrêt).
4. La lutte contre le blanchiment de capitaux
33. L’Union européenne a adopté plusieurs instruments pour lutter contre le blanchiment de capitaux, en partant du principe que l’introduction, dans le système financier, du produit d’activités illicites était de nature à nuire à un développement économique sain et durable.
34.  Une première étape a consisté en l’adoption de la directive 91/308/CEE du Conseil du 10 juin 1991, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment. Cette directive a instauré un mécanisme communautaire de contrôle des transactions effectuées par le biais des établissements de crédits, des institutions financières et de certaines professions, afin de prévenir le blanchiment d’argent.
35.  Dans la mesure où, par sa mise en œuvre, ce mécanisme était susceptible d’entraîner un accroissement des mouvements d’argent liquide à des fins illicites, il a été complété par le règlement no 1889/2005 du 26 octobre 2005 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de l’Union européenne. Ce règlement est entré en vigueur le 15 juin 2007. Il ne concerne pas les mouvements d’argent entre Etats de l’Union européenne.
S’appuyant notamment sur les recommandations du Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI, paragraphes 39-44 ci-dessous) et tirant les conséquences des disparités entre Etats membres, dont tous ne connaissaient pas de procédures de contrôle, ce règlement vise à mettre en place, à l’échelle de l’Union, des mesures de contrôle des mouvements de capitaux aux frontières extérieures de l’Union, à l’entrée comme à la sortie.
Il est fondé sur le principe de la déclaration obligatoire, pour toute personne entrant dans l’Union ou en sortant, de l’argent liquide transporté (qu’elle en soit ou non propriétaire), à partir d’un seuil de 10 000 EUR, permettant ainsi aux autorités douanières de collecter des informations, mais également de les transmettre aux autorités des autres Etats lorsqu’il y a des indices que les sommes en question sont liées à une activité illégale.
36.  L’article 9 du règlement prévoit que chaque Etat membre doit introduire des sanctions applicables en cas de non exécution de l’obligation de déclaration. Selon cet article, ces sanctions doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives ». Les Etats membres sont tenus de les notifier à la Commission européenne au plus tard le 15 juin 2007.
C. Les Conventions des Nations Unies
37. L’article 18 § 2 b) de la Convention des Nations Unies pour la répression du financement du terrorisme, ratifiée par la France le 7 janvier 2002 et entrée en vigueur le 10 avril 2002, dispose :
« Les États parties coopèrent également à la prévention des infractions visées à l’article 2 en envisageant : (...)
b) Des mesures réalistes qui permettent de détecter ou de surveiller le transport physique transfrontière d’espèces et d’effets au porteur négociables, sous réserve qu’elles soient assujetties à des garanties strictes visant à assurer que l’information est utilisée à bon escient et qu’elles n’entravent en aucune façon la libre circulation des capitaux. »
38.  La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, ratifiée par la France le 29 octobre 2002 et entrée en vigueur le 29 septembre 2003, dispose dans son article 7 § 2 (mesures de lutte contre le blanchiment d’argent) :
« Les États parties envisagent de mettre en œuvre des mesures réalisables de détection et de surveillance du mouvement transfrontière d’espèces (...), sous réserve de garanties permettant d’assurer une utilisation correcte des informations et sans entraver d’aucune façon la circulation des capitaux licites. Il peut être notamment fait obligation aux particuliers et aux entreprises de signaler les transferts transfrontières de quantités importantes d’espèces (...) »
Aux termes de l’article 12 § 7 de la convention :
« Les États parties peuvent envisager d’exiger que l’auteur d’une infraction établisse l’origine licite du produit présumé du crime ou d’autres biens pouvant faire l’objet d’une confiscation, dans la mesure où cette exigence est conforme aux principes de leur droit interne et à la nature de la procédure judiciaire et des autres procédures. »
D. Les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI)
39.  Le Groupe d’action financière (GAFI), créé en juillet 1989 par le sommet du Groupe des Sept (G7) à Paris, est un organisme intergouvernemental (actuellement composé de trente et un pays et deux organisations régionales), qui vise à développer et promouvoir des politiques nationales et internationales afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
40.  Le GAFI a adopté en 1990 quarante recommandations (révisées en 1996 et 2003) qui énoncent les mesures que les gouvernements nationaux doivent prendre pour appliquer des plans efficaces de lutte contre le blanchiment de capitaux.
En octobre 2001, le GAFI a étendu son mandat à la question du financement du terrorisme et a adopté huit recommandations spéciales sur le financement du terrorisme, auxquelles une neuvième a été ajoutée en 2004. Ces recommandations contiennent une série de mesures visant à combattre le financement des actes et des organisations terroristes et complètent les quarante recommandations
41.  La recommandation 3 prévoit que les pays doivent adopter des mesures, y compris législatives, leur permettant de confisquer les biens blanchis ou produits issus du blanchiment, ainsi que de prendre des mesures provisoires (gel, saisie). Aux termes de la recommandation 17 « Les pays devraient s’assurer qu’ils disposent de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives, qu’elles soient pénales, civiles ou administratives, applicables aux personnes physiques ou morales visées par ces Recommandations qui ne se conforment pas aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. »
42.  La recommandation spéciale III prévoit des dispositions similaires (gel, saisie et confiscation) pour les biens des terroristes. La recommandation spéciale IX se lit ainsi :
« Les pays devraient avoir en place des mesures destinées à détecter les transports physiques transfrontaliers d’espèces et instruments au porteur, y compris un système de déclaration ou toute autre obligation de communication.
Les pays devraient s’assurer que leurs autorités compétentes sont dotées du pouvoir de bloquer ou retenir les espèces ou instruments au porteur soupçonnés d’être liés au financement du terrorisme ou au blanchiment de capitaux, ou faisant l’objet de fausses déclarations ou communications.
Les pays devraient s’assurer que des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives peuvent s’appliquer aux personnes qui ont procédé à des fausses déclarations ou communications. Lorsque des espèces ou instruments au porteur sont liés au financement du terrorisme ou au blanchiment de capitaux, les pays devraient aussi adopter des mesures, y compris de nature législative, conformes à la Recommandation 3 et le Recommandation spéciale III, qui autorisent la confiscation de telles espèces ou de tels instruments. »
43.  La note interprétative à cette recommandation spéciale indique (au point 9) que les Etats peuvent s’acquitter des obligations prévues dans la recommandation en adoptant l’un des deux systèmes suivants : de déclaration ou de communication. S’ils choisissent le premier, toutes les personnes qui procèdent au transport physique transfrontière d’espèces dont la valeur dépasse un montant déterminé au préalable, qui ne peut être supérieur à 15 000 dollars américains/euros, doivent remettre une déclaration authentique aux autorités compétentes. Les Etats devront s’assurer que le plafond a été fixé à un niveau suffisamment bas pour répondre aux objectifs de la recommandation.
44.  Le document relatif aux meilleures pratiques internationales du 12 février 2005 précise, dans son point 15 intitulé « Blocage/Confiscation des espèces » :
« En cas de fausse déclaration (...) ou lorsqu’il y a des motifs raisonnables de soupçonner des actes de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, les pays sont encouragés à imposer un renversement de la charge de la preuve sur la personne portant les espèces (...) lors du franchissement d’une frontière quant à la légitimité de ces espèces (...) En conséquence, si, dans de telles circonstances, une personne est dans l’incapacité de démontrer l’origine et la destination légitime des fonds ( .. .), ces fonds (...) peuvent être bloqués ou retenus. Les pays sont invités à envisager la confiscation des espèces (...) même en l’absence de condamnation conformément à la recommandation 3 du GAFI. »
E. Les travaux du Conseil de l’Europe
1. La Convention du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime
45.  Cette convention, entrée en vigueur le 1er septembre 1993 et ratifiée par la France le 1er février 1997, vise à faciliter la coopération et l’entraide internationales en matière d’enquêtes sur les délits, ainsi que de dépistage, de saisie et de confiscation des produits de ces délits. La convention a pour objet d’aider les Etats à atteindre un degré d’efficacité comparable, même en l’absence d’harmonisation complète des lois.
46.  Cette convention est un traité de référence en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. Quarante-huit Etats sont parties à la convention, à savoir les quarante-sept Etats membres du Conseil de l’Europe et un Etat non membre (l’Australie).
2. La Convention du 16 novembre 2005 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme
47.  Cette convention est issue des travaux menés depuis 2003 pour actualiser et d’élargir la Convention de 1990, afin de prendre en compte le fait que les activités liées au terrorisme pourraient être financées non seulement par le blanchiment de capitaux issus d’activités criminelles, mais aussi par des activités licites. Elle se réfère notamment aux recommandations du GAFI (paragraphes 39-44 ci-dessus). La convention, entrée en vigueur le 1er mai 2008, a été signée par vingt-neuf Etats (dont la France ne fait pas partie) et ratifiée par onze d’entre eux.
L’article 13 § 1 de la convention prévoit notamment que chaque partie adopte les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour mettre en place un régime interne complet de réglementation et de suivi ou de contrôle pour prévenir le blanchiment. Ainsi, les parties à la convention peuvent adopter les mesures législatives ou autres qui se révèlent nécessaires pour détecter les transports transfrontaliers significatifs d’espèces et d’instruments au porteur appropriés (article 13 § 3 de la Convention précitée).
F. Le droit comparé
1. Au moment des faits
48. Parmi les législations des Etats membres du Conseil de l’Europe, un certain nombre avaient institué une obligation de déclaration des moyens de paiement, titres ou valeurs à leurs frontières. Cette déclaration, selon les pays, devait être faite spontanément1 ou à la demande d’un agent des douanes2. Un certain nombre de pays3 ne prévoyaient pas d’obligation de déclaration.
49.  Le montant minimum des sommes soumises à cette déclaration variait de 2 700 EUR en Ukraine ou 4 000 EUR en Bulgarie, à 15 000 EUR au Danemark ou en Allemagne. L’objectif de cette réglementation, ainsi que sa sanction en cas de non-respect, était également variable d’un Etat à l’autre. Ainsi, la lutte contre le blanchiment de capitaux, la lutte anti-terroriste ou la surveillance des importations et exportations de métaux précieux ou de bijoux étaient les principaux buts poursuivis par les Etats réglementant les flux transfrontaliers de capitaux.
50.   En règle générale, l’amende était la sanction la plus souvent rencontrée en cas de non-respect de l’obligation déclarative. Selon les Etats, le montant de l’amende était très différent et pouvait varier d’un minimum de 27 EUR en Ukraine à un maximum de 75 000 EUR en Slovaquie. Elle était en général modulée selon la gravité de l’infraction et son caractère intentionnel ou non. Elle pouvait être cumulée avec une peine de confiscation judiciaire. Toutefois, cette peine semblait peu fréquente dans les systèmes juridiques des Etats membres, et lorsqu’elle était prévue, elle ne concernait en général que le reliquat de la somme excédant le montant à déclarer. A part la France, un seul Etat (Bulgarie) prévoyait le cumul d’une amende pouvant aller jusqu’au double de la somme non déclarée avec la confiscation de la totalité de ladite somme.
2. Évolution ultérieure
51.  Pour ceux des Etats membres qui sont également ou sont devenus entre-temps membres de l’Union européenne, le régime de la déclaration obligatoire institué par le règlement no 1889/2005 pour toute somme en liquide au-delà de 10 000 EUR entrant ou sortant de l’Union est entré en vigueur le 15 juin 2007 (paragraphes 35-36 ci-dessus).
52.  S’agissant des sanctions en cas de non-déclaration, le règlement prévoyant seulement, dans son article 9, qu’elles doivent « effectives, proportionnées et dissuasives », elles relèvent de la responsabilité des Etats, ceux-ci étant uniquement tenus de les notifier à la Commission européenne.
53 Ceux des Etats de l’Union dont le système ne prévoyait pas de déclaration obligatoire ont modifié leur législation en conséquence. Certains Etats n’appartenant par à l’UE ont également modifié le montant minimum sujet à déclaration pour le rapprocher de celui de 10 000 EUR prévu par le règlement no 1889/2005 (c’est le cas notamment de la Serbie, de la Moldova et de l’Ukraine, la Russie pour sa part ayant opté pour un seuil de 10 000 USD). Le seuil de déclaration le plus bas se rencontre au Monténégro (2 000 EUR).
54.  Dans la plupart des Etats, le défaut de déclaration constitue une infraction de nature administrative, punie généralement d’une amende qui, soit est fixée en valeur absolue variant considérablement d’un Etat à l’autre, soit est calculée selon un pourcentage de la somme non déclarée, soit encore est modulée selon la gravité de l’infraction et son caractère intentionnel ou non.
55.  Dans quelques rares pays comme les Pays-Bas ou la Lituanie, la non-déclaration est considérée en soi comme une infraction pénale, punissable d’une amende ou d’une peine de prison (pouvant aller, en Lituanie, jusqu’à huit ans). Dans un certain nombre d’autres pays4, si le défaut de déclaration est lié à d’autres infractions pénales (contrebande, blanchiment d’argent) ou concerne des sommes particulièrement importantes, il peut être puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller, selon les pays, jusqu’à six ans.
56.  Plusieurs législations prévoient également des mesures de confiscation (parfois à titre provisoire), notamment si les sommes non déclarées proviennent d’une activité criminelle ou y sont destinées, ou si leur origine légale ne peut pas être prouvée5. Le montant confisqué est en général celui qui dépasse le seuil fixé pour la déclaration6. Toutefois, les législations de certains Etats7 disposent qu’en cas de poursuites pénales (pouvant donner lieu à des peines d’emprisonnement) la totalité de la somme est confisquée. La Bulgarie semble être le seul pays qui combine une amende de nature administrative ou pénale pouvant aller jusqu’au double de la somme non déclarée avec la confiscation automatique de l’intégralité de la somme.
EN DROIT
I.  SUR LA QUALITÉ DE VICTIME DU REQUÉRANT CONCERNANT L’AMENDE
57.  Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement a indiqué que, s’agissant de l’amende infligée au requérant, une décision de non-recouvrement avait été prise le 4 août 2005, dont il a transmis copie, dans le cadre d’une action d’apurement comptable. Ce document, intitulé « admission en non-valeur d’une créance irrécouvrable », contient un rappel des faits et de la procédure, la proposition du comptable compétent d’admettre en non-valeur l’amende infligée au requérant au motif qu’il s’agit d’un débiteur étranger, et la décision du directeur régional des douanes de Perpignan, en date du 10 août 2005, d’autoriser l’admission en non-valeur de l’amende.
Cette décision confirme, selon le Gouvernement, que l’amende ne sera plus recouvrée par l’administration des douanes. Il en conclut que le requérant a perdu à cet égard la qualité de victime, au sens de l’article 34 de la Convention.
58.  Le requérant souligne, pour sa part, qu’il n’a eu aucune confirmation formelle de ce que les autorités françaises ne procèderaient en aucune circonstance au recouvrement de l’amende. Il dit ne pas exclure la possibilité que, malgré les affirmations du Gouvernement, les autorités françaises - douanières ou autres - ne lui fassent subir les conséquences de l’imposition de cette amende. Il affirme vouloir éviter de se trouver dans la situation où la Cour tiendrait compte des affirmations du Gouvernement devant elle, mais où les autres autorités françaises - notamment douanières - ne s’estimeraient pas liés par ces affirmations. Selon lui, la Cour doit le considérer victime tant qu’il n’y a pas de certitude absolue que le Gouvernement a renoncé à toute action ou mesure future découlant de l’amende. Il s’étonne enfin de ce que, dans la procédure interne, les autorités n’aient pas fait état de la décision de non-recouvrement, et se demande si le comportement récent du Gouvernement n’est pas destiné à influencer favorablement la Cour quant à la confiscation intervenue en 1996.
59.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit à retirer à celui-ci la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation alléguée de la Convention (cf. Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, série A no 51, pp. 30-31, § 66 ; voir également Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 846, § 36 ; Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI ; Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 142, CEDH 2000-IV, et Senator Lines GmbH c. l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, l’Espagne, la Suède et le Royaume-Uni (déc.), no 56672/00, CEDH 2004-IV).
60.  Dans l’affaire Senator Lines précitée, qui portait sur une amende infligée par la Commission européenne à la requérante, la Cour a considéré que cette dernière ne pouvait pas se prétendre victime, au sens de l’article 34, dans la mesure où elle n’avait pas acquitté l’amende et où non seulement le recours formé par elle contre la décision de la commission avait été examiné, mais il avait donné lieu à l’annulation définitive de l’amende.
61.  La Cour observe que tel n’est pas le cas dans la présente affaire, où l’amende demandée par les douanes et infligée par le tribunal correctionnel a été confirmée par la cour d’appel et la Cour de cassation. S’il semble résulter de la décision produite par le Gouvernement que l’amende ne sera pas recouvrée, il s’agit en l’espèce d’une décision purement comptable, qui ne saurait valoir reconnaissance ni a fortiori réparation de la violation alléguée.
62.  Dès lors, la Cour considère que le requérant peut toujours se prétendre victime, au sens de l’article 34 précité. Il y a donc lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
63.  Le requérant se plaint du caractère disproportionné de la confiscation et de l’amende dont il a fait l’objet par rapport au manquement reproché. Il allègue la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A.  Arguments des parties
1.  Le requérant
64.  Le requérant considère que l’argument du Gouvernement tiré de ce que l’obligation légale de déclaration à la douane française des sommes transportées d’un montant supérieur ou égal à 50 000 francs français (FRF), soit 7 600 euros (EUR), viserait à lutter contre les infractions de blanchiment de capitaux constitue un argument de circonstance afin de donner rétroactivement une apparence de légitimité au comportement de l’administration des douanes. Il estime que l’article 465 du code des douanes ne sanctionne qu’un manquement administratif.
65.  Il estime que la réglementation en l’espèce était équivoque et trop restrictive. Il fait valoir que l’article 465 précité ne sanctionne que la dissimulation, et qu’un tel manquement administratif est distinct du délit de fraude ou de blanchiment d’argent.
66.  Le requérant indique qu’en 1996, il ignorait la réglementation applicable, et que, s’il était censé s’en informer, cette démarche était d’autant moins évidente que cette réglementation était, selon lui, dérogatoire par rapport aux réglementations d’usage dans les autres pays de l’Union européenne. Il soutient qu’il appartenait à la France de spécifier clairement et de manière adéquate la législation applicable en la matière.
67.  En outre, le requérant précise que si les arrêts contradictoires rendus successivement en 1998 et en 2000 par la Cour de cassation étaient postérieurs aux faits, survenus en 1996, il n’en demeure pas moins qu’ils traduisent une période au cours de laquelle des opinions divergentes se sont exprimées sur le champ d’application des articles 464 et 465 du code des douanes. Il fait valoir que si le juge suprême français lui-même donne des interprétations différentes à la question de savoir si les textes susmentionnés s’appliquent aux seuls résidents français ou bien à toute personne physique, quelle que soit sa nationalité, cela montre bien que la législation applicable pouvait ne pas être, à son égard, claire et accessible en 1996.
68.  Le requérant souligne que les articles précités du code des douanes ne sanctionnent pas in abstracto le blanchiment des capitaux. Il s’agirait d’un argument de circonstance visant à donner rétroactivement une apparence de légitimité au comportement de l’administration des douanes. De plus, le requérant estime qu’une présomption de blanchiment de capitaux ou de fraude fiscale ne peut pas être fondée sur le seul fait qu’il n’aurait pas respecté l’obligation déclarative.
69.  Le requérant conçoit qu’un Etat puisse contrôler la circulation des devises, en particulier lorsqu’il s’agit de liquidités. Toutefois, il estime disproportionné d’avoir non seulement été privé de son argent par le jeu de la confiscation, alors que la légalité de son origine était selon lui, prouvée, mais en outre, de s’être vu infliger une amende correspondant à la moitié de la somme saisie alors qu’aucun indice n’étayait l’existence de pratiques de sa part, liées au blanchiment de capitaux.
70.  Le requérant conteste les informations qui auraient été fournies par les autorités néerlandaises et auxquelles le Gouvernement se réfère. Il fait valoir qu’il s’agit de calomnies et que, dans la mesure où il n’a jamais fait l’objet d’aucune condamnation en matière de blanchiment d’argent, le Gouvernement ne saurait se fonder sur des informations qui ne seraient pas étayées.
71.  D’après lui, la réglementation française est dérogatoire par rapport à celles couramment rencontrées dans les autres pays de l’Union européenne. D’ailleurs, selon lui, le seul fait que le code des douanes a été modifié en 2004 démontre que la loi applicable à l’époque des faits n’était pas compatible avec le principe de liberté de circulation des capitaux, et qu’il n’y avait donc pas de juste équilibre ménagé entre l’intérêt général et le droit du requérant au respect de ses biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
2.  Le Gouvernement
72.  Le Gouvernement convient que la confiscation de la somme transportée par le requérant constitue une ingérence dans le droit au respect de ses biens, au sens de l’article 1 précité. Il estime que la condamnation au paiement d’une amende relève du second alinéa de l’article 1 précité.
73.  Le Gouvernement indique que la réglementation douanière mise en cause en l’espèce a été élaborée dans le but de lutter contre le blanchiment des capitaux, et sert à ce titre, un but d’intérêt général. Il rappelle que cet objectif est poursuivi par l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne et justifie certains aménagements au principe de libre circulation des capitaux institué par l’article 56 du Traité des Communautés européennes. A cet égard, le Gouvernement rappelle que l’article 58 du traité dispose que l’article 56, consacrant la liberté de circulation des capitaux, ne porte pas atteinte au droit des Etats membres de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique.
74.  Le Gouvernement considère que le principe de légalité a bien été respecté en l’espèce. L’obligation déclarative et les sanctions qui découlent du non-respect de cette obligation sont prévues aux articles 464 et 465 du code des douanes. Le Gouvernement souligne à ce propos que l’obligation déclarative a été rappelée à deux reprises au requérant par les agents des douanes, en espagnol et en anglais, langues comprises par lui, et qu’il ne pouvait donc prétendre ignorer la loi. Il précise que les peines applicables à l’époque des faits étaient la confiscation des sommes en jeu et une pénalité comprise entre le quart et la totalité de la somme sur laquelle a porté l’infraction.
75.  De plus, le Gouvernement considère que le requérant ne saurait se prévaloir de l’insécurité juridique créée par une jurisprudence contradictoire, dans la mesure où les deux arrêts de la Cour de cassation visés par le requérant sont intervenus en 1998 et 2000, soit postérieurement à la date de l’infraction, laquelle a été notifiée au requérant le 29 janvier 1996. En tout état de cause, le Gouvernement fait valoir à cet égard que les deux arrêts successifs de la Cour de cassation n’ont pas, en l’espèce, altéré la lisibilité de la loi. En effet, l’arrêt de la Cour de cassation de 1998 était un arrêt isolé qui avait restreint l’application des articles 464 et 465 du code des douanes aux seuls résidents français de manière totalement contraire à la lettre et à l’esprit de l’article 464, qui ne mentionne aucune précision quant au lieu de résidence des personnes physiques visées dans la disposition précitée. Le Gouvernement estime que cette interprétation jurisprudentielle était peu cohérente avec l’objectif de la loi, qui était de lutter contre le blanchiment des capitaux. Dès lors, il conclut que le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation en 2000 était «raisonnablement prévisible », et que l’ingérence dans le droit au respect des biens du requérant était bien prévue par la loi au sens de la jurisprudence de la Cour.
76.  En ce qui concerne la proportionnalité de l’ingérence, le Gouvernement se réfère à la jurisprudence de la Cour et cite en particulier l’arrêt Raimondo c. Italie (22 février 1994, série A no 281-A), dans lequel la Cour a reconnu que la confiscation était proportionnée à l’objectif recherché de lutte contre la mafia. Il estime que la lutte contre le blanchiment des capitaux justifie également des aménagements au principe de libre circulation des capitaux, tels que la confiscation. De plus, il se fonde sur la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) qui, dans son arrêt Bordessa, a admis que les Etats membres mettent en place des procédures de déclaration obligatoire préalablement aux exportations de moyens de paiement. Il indique également que le 28 avril 1997, le groupe multidisciplinaire chargé de mettre en œuvre la politique commune en matière de lutte contre la criminalité a adopté un programme d’action qui souligne l’importance pour chaque Etat de disposer d’une législation élaborée et étendue en matière de confiscation des produits du crime et du blanchiment de ces produits. L’article 465 du code des douanes s’inscrit dans ces orientations politiques.
77.  Selon le Gouvernement, le dispositif applicable permet de trouver un juste équilibre entre l’intérêt général qui s’attache à la lutte contre le blanchiment des capitaux et les droits du requérant. Il indique que l’objectif de lutte contre le blanchiment implique que l’administration puisse prendre des mesures immédiates et préventives, telles que la confiscation du corps du délit. Dans le même temps, le Gouvernement fait valoir que les droits du requérant sont protégés par la marge d’appréciation laissée aux autorités douanières quant au montant de l’amende, et par le contrôle exercé par le juge sur les décisions des autorités douanières, notamment en tenant compte, le cas échéant, de circonstances atténuantes pour prononcer la sanction (article 369 du code des douanes).
78.  En l’espèce, le Gouvernement souligne que les autorités administratives et judiciaires se sont prononcées au regard du comportement du requérant qui, alors qu’il détenait sur lui des sommes très importantes en espèces, a tenté d’en dissimuler l’existence aux agents des douanes en répondant par la négative à deux reprises aux questions d’usage posées par les douaniers. Selon le Gouvernement, les informations transmises le jour du contrôle par les autorités néerlandaises sur les activités délictueuses du requérant justifiaient la confiscation des sommes ainsi que l’amende qui lui a été infligée. Ces sanctions ont d’ailleurs ensuite été confirmées par les autorités judiciaires. Le Gouvernement conclut que les sanctions prononcées à l’encontre du requérant étaient, compte tenu du droit applicable en l’espèce, de son comportement et des informations fournies par les autorités néerlandaises, proportionnées à l’objectif poursuivi, à savoir la lutte contre le blanchiment des capitaux.
79.  Enfin, il précise subsidiairement qu’à la suite de l’avis motivé de la Commission européenne du 27 juillet 2001, par lequel elle a demandé à la France de revoir le dispositif de sanctions pour non-respect de l’obligation déclarative, les autorités internes ont modifié ce dispositif. Ainsi, la loi du 9 mars 2004 qui a modifié l’article 465 du code des douanes a supprimé la peine de confiscation et réduit l’amende au quart de la somme sur laquelle a porté l’infraction. Toutefois, le Gouvernement ajoute que cette modification est sans rapport avec la présente requête, et qu’il s’agissait de se conformer à la liberté de circulation des capitaux prévue à l’article 56 du Traité et non à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui n’implique pas la liberté de circulation des capitaux. D’ailleurs, le Gouvernement précise que la confiscation dont le requérant a fait l’objet entrait dans le champ des exceptions à la liberté de capitaux prévues à l’article 58 du Traité.
80.  Enfin, le Gouvernement rappelle que dans le cadre d’une action d’apurement comptable intervenue au début de l’année 2005, l’administration des douanes a renoncé au recouvrement de l’amende infligée au requérant, laquelle aurait nécessité une procédure de recouvrement forcé, impossible à mettre en œuvre pour un ressortissant néerlandais résidant en Andorre.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Rappel des principes
81.  L’article 1 du Protocole no 1, qui garantit le droit au respect des biens, contient trois normes distinctes. La première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété. La deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. Il ne s’agit pas pour autant de règles dépourvues de rapports entre elles : la deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteinte au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe général consacré par la première (voir, entre autres, James et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A no 98, pp. 29-30, § 37, et les récents arrêts Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 62, CEDH 2007-..., et J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c. Royaume-Uni [GC], no 44302/02, § 52, CEDH 2007-....).
82.  Pour se concilier avec la règle générale énoncée à la première phrase du premier alinéa de l’article 1, une atteinte au droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la collectivité et celles de la protection des droits fondamentaux de l’individu (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I, et Air Canada c. Royaume-Uni, arrêt du 5 mai 1995, série A no 316-A, p. 16, § 36).
83.  Pour ce qui est des ingérences relevant du second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1, lequel prévoit spécialement le « droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général (...) », il doit exister de surcroît un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. A cet égard, les Etats disposent d’une ample marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (AGOSI c. Royaume-Uni, arrêt du 24 octobre 1986, série A no 108, § 52).
2.  Application au cas d’espèce
a) Sur la norme applicable
84.  La Cour considère que l’amende infligée au requérant s’inscrit dans le deuxième alinéa de l’article 1 (cf. Phillips c. Royaume-Uni, no 41087/98, § 51, CEDH 2001-VII, et, mutatis mutandis, Valico S.r.l. c. Italie (déc.), no 70074/01, CEDH 2006-...).
85.  S’agissant de la confiscation de la somme transportée par le requérant, la Cour rappelle avoir affirmé dans plusieurs affaires que, même si une telle mesure entraînait une privation de propriété, elle relevait néanmoins d’une réglementation de l’usage des biens (voir AGOSI précité, p. 17, § 51, Raimondo c. Italie, arrêt du 22 février 1994, série A no 281-A, p. 16 , § 29, Butler c. Royaume-Uni (déc.), no 41661/98, CEDH 2002-VI, Arcuri c. Italie (déc.), no 52024/99, CEDH 2001-VII, et Riela et autres c. Italie (déc.), no 52439/99, 4 septembre 2001, C.M. c. France (déc.), no 28078/95, CEDH 2001-VII ). Il s’agissait entre autres dans ces affaires de législations s’inscrivant dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants ou contre les organisations de type mafieux (voir aussi, en matière de non-respect de sanctions internationales Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi (Bosphorus Airways) c. Irlande [GC], no 45036/98, § 142, CEDH 2005-...).
86.  La Cour est d’avis que cette approche doit être appliquée à la présente affaire, puisque la confiscation de la somme non déclarée a été prononcée en l’espèce en vertu d’un texte introduit dans le code des douanes (l’article 465) par la loi du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants.
b) Sur le respect des exigences de l’article 1 du Protocole no 1
87.  La Cour relève que l’obligation de déclaration est prescrite par le droit interne, à savoir l’article 464 du code des douanes et que l’article 465 du même code prévoit les sanctions en cas de non-respect, à savoir la confiscation et l’amende.
88.  Le requérant soutient pour sa part que la condition de légalité de l’ingérence n’est pas remplie, aux motifs que la rédaction de l’article 464 au moment des faits ne permettait pas de savoir clairement s’il s’appliquait à lui en tant qu’étranger et par ailleurs la Cour de cassation a rendu elle-même deux arrêts contradictoires sur ce point en 1998 et 2000.
89.  La Cour n’est pas convaincue par ces arguments. En premier lieu, dans sa rédaction applicable au moment des faits, l’article 464 précité visait « les personnes physiques » effectuant des transferts, formulation large paraissant devoir s’appliquer à tous, résidents comme non résidents. En second lieu, les arrêts mentionnés par le requérant ont été rendus par la Cour de cassation postérieurement aux faits de la présente requête. En tout état de cause, la Cour observe qu’il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence, dans la mesure où ces arrêts ont été rendus dans le cadre d’une même affaire, le second arrêt ayant été rendu par la Cour de cassation sur opposition de l’administration des douanes et ayant mis à néant le premier (voir paragraphes 25-26 ci-dessus).
90.  La Cour estime devoir également tenir compte de ce que la Cour de justice des Communautés européennes a retenu dans plusieurs arrêts (paragraphes 28-30 ci-dessus) que, contrairement à un système d’autorisation préalable, un système de déclaration préalable tel qu’en l’espèce était compatible avec le droit communautaire et avec la libre circulation des capitaux.
91.  Dès lors, la Cour conclut que la loi était suffisamment claire, accessible et prévisible (voir a contrario Frizen c. Russie, no 58254/00, § 36, 24 mars 2005 et, Baklanov c. Russie, no 68443/01, § 46, 9 juin 2005) et que l’ingérence en cause était prévue par la loi, au sens de sa jurisprudence.
92.  S’agissant du but visé, la Cour relève que l’article 465 précité a été introduit dans le code des douanes par la loi du 12 juillet 1990 dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux provenant du trafic des stupéfiants.  Il ne fait pas de doute pour la Cour qu’il s’agit là d’un but d’intérêt général (cf. notamment Air Canada précité, § 42, Phillips précité, § 52, et décision Butler précitée).
93.   La Cour est consciente à cet égard de l’importance que revêt pour les Etats membres la lutte contre le blanchiment de capitaux issus d’activités illicites et pouvant servir à financer des activités criminelles (notamment en matière de trafic de stupéfiants ou de terrorisme international). Elle observe que, depuis quelques années, un nombre croissant d’instruments internationaux (conventions des Nations Unies et du Conseil de l’Europe, recommandations du GAFI) et de normes communautaires (directive du 10 juin 1991 et règlement du 26 octobre 2005) visent à mettre en place des dispositifs efficaces permettant notamment le contrôle de flux transfrontaliers de capitaux. Le système de déclaration obligatoire au passage de la frontière des espèces transportées et de sanction en cas de non déclaration s’inscrit dans ce contexte.
94.  Reste à établir si les autorités ont en l’espèce ménagé un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. En d’autres termes, la Cour doit rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général et la protection des droits fondamentaux de l’individu, compte tenu de la marge d’appréciation reconnue à l’Etat en pareille matière
95. La Cour s’est tout d’abord attachée au comportement du requérant. Elle relève qu’il s’est abstenu, malgré les demandes faites à deux reprises par les douaniers, de déclarer les sommes importantes qu’il transportait. Ce faisant, il a enfreint en connaissance de cause l’obligation édictée par l’article 464 du code des douanes, de déclarer au franchissement de la frontière toute somme dépassant un certain plafond (7 600 EUR au moment des faits).
96.  Le Gouvernement s’appuie également sur les renseignements transmis par les autorités néerlandaises quant aux activités délictueuses du requérant. A cet égard, la Cour relève que, selon la télécopie de l’attaché douanier de l’ambassade de France aux Pays-Bas du 29 janvier 1996, le requérant est « connu des services judiciaires » pour des faits remontant à 1983 (notamment menaces, extorsion de fonds, enlèvement et détention d’arme à feu). Selon une télécopie du même attaché du 23 avril 1997, sa seule activité connue serait l’immobilier et il serait soupçonné par la police néerlandaise d’utiliser cette façade pour blanchir des capitaux.
97.  La Cour note toutefois qu’il ne ressort pas du dossier que le requérant ait fait l’objet de poursuites ni de condamnations de ce chef ou du chef d’infractions liées (notamment trafic de stupéfiants), que ce soit au Pays-Bas ou à Andorre où il réside. La Cour observe d’ailleurs que, dans ses conclusions devant le tribunal correctionnel, l’administration des douanes a reconnu que la somme saisie sur lui était compatible avec sa fortune personnelle.
98.  Le seul comportement délictueux qui puisse donc être retenu à l’encontre du requérant consiste dans le fait de n’avoir pas déclaré au passage de la frontière franco-andorrane les espèces qu’il transportait. Le Gouvernement n’a d’ailleurs pas soutenu que les sommes transportées seraient issues d’activités illicites ou destinées à de telles activités.
99.  La Cour estime donc que la présente affaire se distingue des affaires similaires dont elle a eu à connaître jusqu’ici, où les mesures de confiscation ordonnées par les autorités internes étaient de deux ordres : soit elles s’appliquaient à l’objet même du délit (AGOSI et Bosphorus Airways précités) ou au moyen utilisé pour le commettre (cf. Air Canada précité, décision C.M. précitée et, mutatis mutandis, Yildirim c. Italie (déc.), no 38602/02, CEDH 2003-IV ), soit elles visaient des biens présumés acquis au moyen d’activités délictueuses, (voir en matière de trafic de stupéfiants décision Phillips précitée et, mutatis mutandis, Welch c. Royaume-Uni, arrêt du 9 février 1995, série A no 307-A, et en matière d’activités d’organisations de type mafieux arrêt Raimondo précité et décisions Arcuri et Riela précitées), ou des sommes destinées à de telles activités (décision Butler précitée).
100. La Cour a également eu égard à l’importance de la sanction qui a été infligée au requérant pour ce défaut de déclaration, à savoir le cumul de la confiscation de l’intégralité de la somme transportée, soit 233 056 EUR, avec une amende égale à la moitié de ce montant (116 528 EUR), soit au total 349 584 EUR. Elle relève qu’en vertu de l’article 465 du code des douanes dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, le défaut de déclaration entraînait automatiquement la confiscation de l’intégralité de la somme, seule l’amende pouvant être modulée par les juridictions internes (de 25 à 100 % de la somme non déclarée).
101.  La Cour relève que, parmi les autres Etats membres du Conseil de l’Europe, la sanction la plus fréquemment prévue est l’amende. Elle peut être cumulée avec une peine de confiscation, notamment lorsque l’origine licite des sommes transportées n’est pas établie, ou en cas de poursuites pénales à l’encontre de l’intéressé. Toutefois, lorsqu’elle est prévue, la confiscation ne concerne en général que le reliquat de la somme excédant le montant à déclarer ; seul un autre Etat (la Bulgarie) prévoit le cumul d’une amende pouvant aller jusqu’au double de la somme non déclarée avec la confiscation automatique de l’intégralité de la somme.
102.  La Cour rejoint l’approche de la Commission européenne qui, dans son avis motivé de juillet 2001 (paragraphe 29 ci-dessus), a souligné que la sanction devait correspondre à la gravité du manquement constaté, à savoir le manquement à l’obligation de déclaration et non pas à la gravité du manquement éventuel non constaté, à ce stade, d’un délit tel que le blanchiment d’argent ou la fraude fiscale.
103.  La Cour relève qu’à la suite de cet avis motivé, les autorités françaises ont modifié l’article 465 précité. Dans sa rédaction entrée en vigueur le 1er octobre 2004, cet article ne prévoit plus de confiscation automatique et l’amende a été réduite au quart de la somme sur laquelle porte l’infraction. La somme non déclarée est désormais consignée pendant une durée maximum de six mois, et la confiscation peut être prononcée dans ce délai par les juridictions compétentes lorsqu’il y a des indices ou raisons plausibles de penser que l’intéressé a commis d’autres infractions au code des douanes ou y a participé. De l’avis de la Cour, un tel système permet de préserver le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la protection des droits fondamentaux de l’individu.
104.  La Cour observe enfin que, dans la plupart des textes internationaux ou communautaires applicables en la matière, il est fait référence au caractère « proportionné » que doivent revêtir les sanctions prévues par les Etats.
105. Au vu de ces éléments et dans les circonstances particulières de la présente affaire, la Cour arrive à la conclusion que la sanction imposée au requérant, cumulant la confiscation et l’amende, était disproportionnée au regard du manquement commis et que le juste équilibre n’a pas été respecté (cf. Ismayilov c. Russie, no 30352/03, § 38, 6 novembre 2008).
106. Il y a donc eu en l’espèce violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
107.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
108.  Le requérant sollicite, au titre du préjudice matériel, la somme de 226 890,11 euros (EUR) correspondant aux 500 000 florins confisqués, assortie des intérêts. Il demande également 37 772,44 EUR au titre des frais d’avocat et 3 249,89 EUR au titre des frais de traduction.
109.  Le Gouvernement considère que le préjudice financier du requérant n’est pas établi dès lors que l’administration des douanes a renoncé au recouvrement de l’amende qui, aux termes de l’article 465 du code des douanes, pouvait atteindre au minimum le quart et au maximum le montant de la somme objet de l’infraction. Il estime qu’un constat de violation vaudrait réparation du préjudice éventuellement subi. Le Gouvernement propose par ailleurs 3 000 EUR au titre des frais d’avocat et 500 EUR pour les frais de traduction.
110.  La Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état. Partant, il y a lieu de réserver la question en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’Etat défendeur et le requérant (article 75 § 1 du règlement).
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Rejette, à l’unanimité, l’exception préliminaire du Gouvernement relative à la qualité de victime du requérant en ce qui concerne l’amende ;
2.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
3.  Dit, par six voix contre une, que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence,
a)  la réserve en entier ;
b)  invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans le délai de trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c)  réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 février 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Christos Rozakis   Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion en partie dissidente du juge Jebens.
C.L.R.  S.N.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE   DU JUGE JEBENS
(Traduction)
Je conviens qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 dans cette affaire en raison du manque de proportionnalité entre le but légitime visé par la législation douanière française et la sanction infligée au requérant. Toutefois, je ne souscris pas entièrement au raisonnement de la majorité et, par ailleurs, je n’approuve pas la décision de celle-ci de réserver la question de l’application de l’article 41.
Tout d’abord, il convient d’apporter quelques éclaircissements quant à la culpabilité du requérant en l’espèce : s’il est vrai que l’intéressé a répété à plusieurs reprises aux douaniers français qui l’interrogeaient qu’il n’avait rien à déclarer, ce qui était faux, il n’a pas été inculpé et encore moins condamné pour s’être procuré cet argent illégalement. Il y a lieu de noter que les autorités françaises ont reconnu que la somme confisquée, équivalente à 233 000 euros, était compatible avec la fortune personnelle du requérant. La Cour n’est pas en mesure de tirer une conclusion différente. Il lui faut donc fonder son raisonnement sur la prémisse selon laquelle le requérant était le propriétaire légitime de l’argent confisqué.
C’est dans cette optique que doit être analysée la décision de confisquer l’intégralité de la somme saisie et d’infliger en outre au requérant une amende correspondant à la moitié de cette somme. Il est également utile à cet égard de rappeler que ces sanctions ont été prononcées sur la base de dispositions strictes du code des douanes qui ont été supprimées par la suite.
A mon avis, ces faits ne sont pas seulement pertinents pour juger de la proportionnalité sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 mais militent aussi en faveur de l’adoption d’une décision sur le terrain de l’article 41 au lieu de réserver la question du dédommagement pour qu’elle soit tranchée ultérieurement. Il faut donc aussi tenir dûment compte des intérêts du requérant en la matière, sans oublier que celui-ci attend déjà depuis plus de six ans qu’un arrêt soit rendu.
En outre, la Cour dispose de toutes les informations dont elle a besoin pour terminer l’examen de l’affaire même en ce qui concerne le dédommagement. Le fait que le requérant ne se soit pas acquitté de l’amende infligée ne saurait constituer un obstacle étant donné que cela n’influe pas sur le montant du dédommagement mais seulement sur la question du règlement, qui doit être résolue en déduisant l’amende impayée du total de l’indemnisation octroyée.
La majorité ayant décidé de réserver la question de l’article 41, je ne vois pas de raison de l’aborder quant au fond.
1 Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, France, Italie, Lituanie, Moldova, Monténégro,  Pologne, Russie, Serbie, Slovénie,  Slovaquie, Ukraine.
2 Allemagne, Autriche, Portugal.
3Andorre, Belgique, Estonie, Finlande, Géorgie, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Turquie.
4 Bulgarie, Finlande, Russie, Ukraine
5 Bulgarie, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie, Moldova
6 Croatie, Italie, Roumanie, Slovénie
7 Lituanie, Russie, Ukraine
ARRÊT GRIFHORST c. FRANCE
ARRÊT GRIFHORST c. FRANCE 
ARRÊT GRIFHORST c. FRANCE - OPINION SÉPARÉE
ARRÊT GRIFHORST c. FRANCE – OPINION SÉPARÉE 


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 28336/02
Date de la décision : 26/02/2009
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (victime) ; Violation de P1-1 ; Dommage matériel - décision réservée

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (P1-1-2) ASSURER LE PAIEMENT DES CONTRIBUTIONS OU AMENDES, (P1-1-2) INTERET GENERAL, (P1-1-2) REGLEMENTER L'USAGE DES BIENS


Parties
Demandeurs : GRIFHORST
Défendeurs : FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-02-26;28336.02 ?

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