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10/03/2009 | CEDH | N°37496/04

CEDH | AFFAIRE IGUAL COLL c. ESPAGNE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE IGUAL COLL c. ESPAGNE
(Requête no 37496/04)
ARRÊT
STRASBOURG
10 mars 2009
DÉFINITIF
10/06/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Igual Coll c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura-Sandström,   Boštjan M. Zupančič,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   Ineta Ziemele,   Luis López Guerra, juges,  et de Santiago Quesada, greffi

er de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 février 2009,
Rend l’arrêt que voici, ...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE IGUAL COLL c. ESPAGNE
(Requête no 37496/04)
ARRÊT
STRASBOURG
10 mars 2009
DÉFINITIF
10/06/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Igual Coll c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura-Sandström,   Boštjan M. Zupančič,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   Ineta Ziemele,   Luis López Guerra, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 février 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37496/04) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont un ressortissant de cet Etat, M. César Igual Coll (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 octobre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me J.L. Díaz Sánchez, avocat à Badajoz. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. Blasco Lozano, chef du service juridique des droits de l’homme au ministère de la Justice.
3.  Invoquant les articles 6 §§ 1 et 2, le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’une audience devant l’Audiencia Provincial ainsi que d’avoir été condamné sur la base de preuves insuffisantes. Il allègue par ailleurs une violation de l’article 13 de la Convention du fait de ne pas avoir disposé de recours contre sa condamnation en deuxième instance. Invoquant l’article 4 § 2 de la Convention, il estime en particulier que l’obligation de payer la pension alimentaire fixée par le juge l’oblige à faire des horaires de travail excessifs.
4.  Le 27 mars 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5.  Le requérant est né en 1964 et réside à Valence.
6.  Par un jugement du 5 septembre 2002 rendu après la tenue d’une audience publique en présence du requérant, le juge pénal no 10 de Valence acquitta le requérant, légalement séparé de la mère de son fils, du délit d’abandon de famille pour non-paiement de la pension alimentaire fixée dans le jugement de séparation de corps. Le juge estima comme faits prouvés les relevés du compte bancaire de consignation judiciaire ouvert en faveur de son fils, où figuraient les montants que le requérant avait payés ainsi que les dates des versements. Le juge constata également qu’entre le 2 novembre 1998 et le 12 juin 2000, aucun paiement ne fut effectué. Cependant, le juge rappela que le délit en cause était composé de deux éléments, à savoir, l’absence objective de paiement et l’intention de ne pas s’acquitter dudit paiement. Le manque de l’un d’entre eux excluait la condamnation pour ce délit. Malgré la reconnaissance par le juge du premier élément, il estima qu’à la lumière de la situation financière du requérant, qui était au chômage, ce dernier ne s’était pas volontairement abstenu de s’acquitter des montants dus, mais qu’il se trouvait dans l’impossibilité d’y faire face. L’élément subjectif du délit n’ayant pas été constaté, il n’y avait pas de délit.
7.  L’ancienne épouse du requérant fit appel et demanda la tenue d’une audience publique. Il ne ressort pas des documents fournis que le requérant l’ait également sollicité, alors qu’il en avait la possibilité conformément au code de procédure pénale. L’Audiencia Provincial de Valence rejeta la demande d’audience présentée par l’ex-épouse du requérant le 16 décembre 2002. Aucune des parties ne contesta cette décision.
8.  Par un arrêt contradictoire du 17 janvier 2003, l’Audiencia Provincial accueillit le recours et condamna le requérant pour le délit d’abandon de famille à une peine de prison de huit week-ends et au versement des montants dus, ainsi qu’au paiement des frais de justice. En particulier, elle accepta les faits déclarés prouvés par le tribunal a quo et rappela que le délit en cause comportait, d’une part, le non-paiement de la pension fixée par le juge pendant deux mois consécutifs ou quatre mois de façon intermittente, sans que d’éventuels paiements préalables effectués de façon « groupée » puissent être pris en compte. En l’espèce, le requérant n’avait pas versé les montants pendant quinze mois successifs. D’autre part, s’agissant des circonstances personnelles, l’Audiencia Provincial constata que le montant à payer avait été fixé après vérification objective, par le juge civil ayant décidé les termes de la séparation, de la capacité économique du requérant, en particulier de ses relevés bancaires, et signala à cet égard que les demandes de ce dernier pour diminuer les quantités avaient été rejetées par le juge, qui avait relevé que le requérant était ingénieur de profession et qu’il n’avait pas prouvé son impossibilité à trouver un emploi lui permettant de gagner l’argent nécessaire pour s’acquitter de la pension alimentaire.
9.  L’Audiencia nota en outre que le requérant s’était non seulement abstenu de payer, mais qu’il n’avait pas non plus entrepris de démarche pour s’acquitter de sa dette. A titre d’exemple, l’Audiencia signala qu’il ne ressortait pas du dossier que le requérant ait entamé des démarches pour trouver un emploi. A la lumière des preuves documentaires dont elle disposait et, en particulier, des relevés bancaires du requérant ainsi que de celles attestant de sa qualification professionnelle, l’Audiencia constata que l’élément subjectif du délit en cause devait être considéré comme rempli, le requérant devant par conséquent être condamné.
10.  Invoquant l’article 24 §§ 1 (droit à un procès équitable) et 2 (présomption d’innocence) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel, dans lequel il se plaignit, entre autres, de l’absence d’audience publique en appel.
11.  Par une décision du 14 avril 2004, la haute juridiction rejeta le recours. S’agissant du manque d’audience devant la juridiction d’appel, elle rappela sa propre jurisprudence conformément à laquelle l’absence d’audience publique devant une juridiction d’appel jouissant de la plénitude de juridiction pouvait se justifier en raison des caractéristiques de la procédure, pourvu qu’une audience ait eu lieu en première instance.
12.  En l’espèce, le Tribunal constitutionnel estima que les preuves examinées telles que les relevés bancaires du requérant, sa formation professionnelle ou l’absence de démarches pour tâcher de trouver un emploi n’étaient pas de nature à requérir que le requérant s’exprime en personne devant l’Audiencia Provincial. Par ailleurs, elles avaient déjà été appréciées en première instance, l’Audiencia n’ayant pas effectué une nouvelle interprétation. En effet, elle s’était limité à conclure à la culpabilité du requérant sur la base des faits considérés prouvés en première instance, ceci de façon motivée et dénuée d’arbitraire. L’absence d’audience n’avait dès lors pas porté atteinte au droit du requérant à bénéficier d’un procès équitable. Quant au respect de la présomption d’innocence, le Tribunal constitutionnel constata que le requérant avait été condamné sur la base d’un faisceau d’indices objectifs suffisants qui permettaient de conclure à sa culpabilité, à savoir de longues périodes d’inactivité professionnelle, le refus du juge civil de diminuer les montants de la pension, la qualification professionnelle élevée du requérant et l’absence de contestation de ces éléments par le requérant lorsque le juge civil les avait pris en compte.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. Constitution
Article 24
« 1.  Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et ses intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle ne soit mise dans l’impossibilité de se défendre.
2.  De même, toute personne a droit à un juge de droit commun déterminé préalablement par la loi, à se défendre et à se faire assister par un avocat, à être informée de l’accusation portée contre elle, à avoir un procès public sans délais indus et dans le respect de toutes les garanties, à utiliser les moyens de preuve pertinents pour sa défense, à ne pas s’incriminer soi-même, à ne pas s’avouer coupable et à être présumée innocente (...) ».
2. Code pénal
Article 227
« 1. Celui qui ne remplit pas, pendant deux mois consécutifs ou quatre mois alternatifs, toute obligation économique en faveur de son conjoint ou enfants établie au moyen (...) d’une décision judiciaire (...), sera puni avec une peine de prison de huit à vingt week-ends.
3. Code de procédure pénale (en vigueur à l’époque des faits)
Article 795 § 3
« Dans le mémoire de dépôt [de l’appel], le requérant pourra demander l’administration des moyens de preuve qu’il ne put proposer devant la première instance ; de ceux qui furent rejetés sans motivation, à condition que [le requérant] ait formulé des objections auparavant ; et de ceux déclarés recevables mais qui ne furent pas administrés pour des raisons non imputables au requérant, celui-ci devant exposer les raisons pour lesquelles le manque de ces moyens de preuve ont porté atteinte à son droit à la défense ».
Article 795 § 6
« L’Audiencia pourra décider la tenue d’une audience, avec convocation des parties, lorsqu’elle le considère nécessaire pour l’établissement d’une conviction fondée ».
4. Code de procédure pénale (actuellement en vigueur)
Article 791 § 1
« Si les mémoires de dépôt [de l’appel] ou d’allégations contiennent une proposition de preuve, l’Audiencia décidera la recevabilité de la demande dans un délai de trois jours et, dans cette même décision, elle fixera une date pour l’audience publique. Il sera également possible de tenir une audience lorsque, d’office où à la demande d’une partie, le tribunal la considère nécessaire pour l’établissement d’une conviction fondée ».
5. Jurisprudence du Tribunal constitutionnel
Arrêt 230/2002, du 9 décembre 2002
« Sur la base de l’arrêt 167/2002 de ce Tribunal (...) ainsi que de la jurisprudence établie par la Cour de Strasbourg dans les affaires Ekbatani c. Suède, Cooke c. Autriche, Stefanelli c. Saint Marin, Constantinescu c. Roumanie et Tierce et autres c. Saint Marin, [il est possible de conclure que] l’exigence de la garantie [relative à la tenue d’une audience publique] devant la juridiction d’appel dépend des spécialités de la procédure en cause.
[En particulier], l’appréciation de preuves à caractère documentaire ne nécessite pas que le requérant s’exprime en personne devant la juridiction d’appel (...). Par contre, l’Audiencia Provincial ne peut pas, sans la tenue d’une audience, apprécier de nouveau une preuve à caractère personnel, à savoir la déposition d’un témoin ou d’un accusé. En effet, ceci serait contraire aux principes de publicité, d’immédiateté et de contradiction, lesquels font partie du droit à un procès avec toutes les garanties ».
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
13.  Le requérant dénonce une violation de son droit à bénéficier d’une audience publique devant la juridiction d’appel. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes disposent :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
14.  Le Gouvernement conteste cette thèse.
A.  Sur la recevabilité
15.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
1.  Thèses des parties
a)  Le Gouvernement
16.  En guise d’introduction, le Gouvernement rappelle la jurisprudence du Tribunal constitutionnel sur le sujet litigieux et signale que l’arrêt 167/2002 rendu le 18 septembre 2002 a rectifié les éventuelles défaillances dont le droit interne pouvait être entaché au sujet du manque d’audience publique en appel. En effet, il a rectifié le critère existant jusqu’alors, permettant son adéquation avec la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. L’arrêt en question a établi que c’est la nature des questions à traiter devant la juridiction d’appel qui détermine la nécessité de la tenue d’une audience publique. Cet arrêt a été confirmé ultérieurement par plusieurs autres arrêts du Tribunal constitutionnel, qui ont ainsi permis de compléter l’interprétation de l’article 791 § 1 du code de procédure pénale actuellement en vigueur. Ainsi, conformément au principe établi, la tenue d’une audience publique en appel a lieu lorsque l’appréciation de preuves de nature personnelle (cf. témoignages) est déterminante pour décider de la culpabilité du requérant, ces preuves exigeant, de par leur nature même, une connaissance directe et immédiate par le tribunal d’appel.
17.  Selon le Gouvernement, le cas de l’espèce ne fait pas partie du type d’affaires où la tenue d’une audience était nécessaire. En effet, sur la base des mêmes sommes figurant sur les relevés bancaires du compte de consignation judiciaire examinés par le juge pénal no 10 de Valence en audience publique et sans modifier les faits déclarés prouvés en première instance, l’Audiencia Provincial s’est limitée à effectuer des précisions strictement juridiques, à savoir que la loi exigeait que les paiements de la pension alimentaire soient effectués régulièrement et ne permettait dès lors pas de compenser des périodes impayées par des quantités qui auraient été éventuellement versées antérieurement de façon groupée. Par ailleurs, l’Audiencia rappela que l’exemption de paiement ne pouvait être accordée que par le juge compétent ce qui, à la lumière des documents figurant dans le dossier, n’était pas le cas de l’espèce. Bien au contraire, le juge civil avait rejeté toutes les demandes où le requérant sollicitait une diminution de son montant.
18.   En outre, le Gouvernement signale que l’appel fut interjeté par l’ex-épouse du requérant, qui sollicita la tenue d’une audience publique. A cet égard, il constate que le requérant n’utilisa pas la possibilité accordée par l’article 791 du code de procédure pénale de demander à son tour la tenue d’une audience. En tout état de cause, le requérant ne forma pas de recours contre la décision de l’Audiencia Provincial de ne pas tenir audience. Au demeurant, le fait que le requérant n’ait pas sollicité la tenue d’une audience publique ne constitue pas un facteur déterminant, dans la mesure où l’Audiencia aurait pu l’accorder d’office. Au contraire, ce qui, de son avis, constitue un élément à prendre en compte est l’absence de recours du requérant contre le refus de tenir audience.
19.  Dans la mesure où la culpabilité du requérant est fondée sur des preuves à caractère exclusivement documentaire, à savoir l’examen des relevés bancaires, la formation professionnelle du requérant ou l’absence de démarches visant à trouver un emploi, une audience publique en deuxième instance n’était pas nécessaire et n’aurait eu en tout état de cause aucune influence sur la peine finalement imposée. Elle n’aurait pas non plus élargi les possibilités concernant les modalités d’exécution de la peine.
20.  A la lumière des arguments qui précèdent, le Gouvernement estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
b)  Le requérant
21.  Le requérant souligne que l’appel de son ex-épouse soulevait des questions subjectives, dans la mesure où elle exposait son point de vue sur les moyens dont le requérant disposait pour faire face à l’obligation de paiement de la pension, plus précisément, au fait qu’il était ingénieur de profession. Dès lors, le contenu du recours d’appel impliquait la révision des éléments du délit d’abandon de famille, à savoir, l’absence de volonté de paiement malgré l’existence de moyens pour satisfaire l’obligation. Le requérant estime par conséquent que le recours ne se limitait pas à demander une vérification des données objectives figurant dans les relevés bancaires du requérant. De ce fait, une audience publique aurait dû avoir lieu.
22.  S’agissant du jugement de première instance, le requérant souligne que le juge examina les deux éléments constitutifs du délit en cause. Pour ce faire, le juge était obligé, du point de vue du requérant, d’examiner des preuves à caractère personnel, entre autres, celle de vérifier s’il était conscient du non-respect de son obligation. Or, l’examen des preuves par le juge de première instance lui a permis de conclure à l’absence d’élément subjectif dans son cas et, par conséquent, à son acquittement.
23.   S’agissant de l’arrêt de l’Audiencia Provincial, le requérant considère que, pour conclure à l’existence de l’élément subjectif du délit, elle ne se limita pas à réexaminer les faits déclarés prouvés en première instance, mais releva ex novo l’absence de comportement actif du requérant pour se procurer des revenus malgré sa qualification professionnelle élevée. Dans la mesure où l’Audiencia prit en compte un élément personnel ayant influencé la déclaration de sa culpabilité, la tenue d’une audience était nécessaire. En effet, cet élément subjectif fut la seule preuve à charge ou, en tout état de cause, une des preuves principales, pour lesquelles, alors qu’il avait été acquitté en première instance, il fut condamné en appel.
24.  Dans la mesure où l’appréciation de cet élément subjectif de sa culpabilité a été effectuée sans le respect du principe d’immédiateté, l’article 6 § 1 a été violé.
25.   Finalement, le requérant signale que le fait de ne pas avoir sollicité lui-même la tenue d’une audience constitue un facteur purement formel et ne peut en aucun cas lui faire perdre le droit à ce que celle-ci ait lieu. En effet, s’il s’abstint de la solliciter ce fut parce que son ex-épouse l’avait déjà fait.
2.  Appréciation de la Cour
26.  La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit ; il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national. Lorsqu’une audience publique a eu lieu en première instance, l’absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d’appel interne, à l’étendue des pouvoirs de la juridiction d’appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant elle, et notamment à la nature des questions qu’elle avait à trancher (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996-I). Ainsi, devant une cour d’appel jouissant de la plénitude de juridiction, l’article 6 ne garantit pas nécessairement le droit à une audience publique ni, si une telle audience a lieu, celui d’assister en personne aux débats (voir, mutatis mutandis, Golubev c. Russie, déc., no 26260/02, 9 novembre 2006, et Fejde c. Suède, 29 octobre 1991, § 33, série A no 212-C).
27.  En revanche, la Cour a déclaré que, lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des moyens de preuve présentés en personne par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte considéré comme une infraction pénale (Dondarini c. Saint-Marin, no 50545/99, § 27, 6 juillet 2004, Ekbatani c. Suède, § 32, 26 mai 1988, série A no 134, et Constantinescu c. Roumanie, § 55, 27 juin 2000).
28.  En l’espèce, la Cour observe d’emblée qu’il n’est pas contesté que le requérant a été condamné par l’Audiencia Provincial de Valence sans avoir été entendu en personne.
29.  Dès lors, afin de déterminer s’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention, il échoit d’examiner le rôle de l’Audiencia et la nature des questions dont elle avait à connaître.
30.  La Cour rappelle qu’en droit espagnol l’étendue des pouvoirs de la juridiction de recours était définie à l’époque des faits à l’article 795 du code de procédure pénale (actuellement articles 790 à 793). Conformément à ces dispositions, l’administration de preuves devant cette juridiction demeure exceptionnelle et se limite à celles que l’accusé n’a pas pu proposer en première instance, celles proposées mais rejetées de façon non fondée et celles déclarées recevables n’ayant pas pu être administrées en première instance pour des raisons étrangères à l’accusé (voir l’article 795 § 3 du code de procédure pénale ci-dessus). Par ailleurs, la décision sur la tenue d’une audience publique en appel, lorsqu’il n’y a pas de nouvelles preuves, appartient de façon discrétionnaire à l’Audiencia, qui peut l’accorder si elle l’estime nécessaire pour une meilleure compréhension du dossier.
31.  En l’espèce, l’Audiencia Provincial de Valence avait la possibilité, en tant qu’instance de recours, de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu’elle a fait le 17 janvier 2003. A cet égard, elle pouvait décider soit de confirmer l’acquittement du requérant soit de le déclarer coupable, après s’être livrée à une appréciation de la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé.
32.  La Cour ne considère pas pertinent l’argument du Gouvernement qui mentionne l’absence de recours de la part du requérant contre la décision de L’Audiencia Provincial de Valence de ne pas tenir audience. En effet, dans la mesure où celle-ci considéra qu’il n’y avait pas de preuves dont l’administration pouvait nécessiter sa tenue et compte tenu du fait que le requérant avait été acquitté en première instance, la Cour estime que ce dernier n’avait pas de raisons particulières pour demander la tenue d’une audience publique.
33.  La Cour constate que le requérant fut acquitté en première instance, après la tenue d’une audience publique pendant laquelle furent administrées plusieurs preuves et où le requérant fut entendu. A l’issue de l’audience, le juge considéra que, malgré l’absence avérée de paiement, il n’était pas prouvé que le requérant eut omis volontairement de s’acquitter de son obligation. Pour parvenir à cette conclusion, le juge se fonda sur l’examen de la situation économique du requérant qui l’empêchait d’y faire face et se référa à sa déclaration comme source principale.
34.  De son côté, l’Audiencia Provincial parvint à la conclusion opposée et estima que l’accusé non seulement avait sciemment violé son obligation de paiement, dont il pouvait s’acquitter, mais il n’avait pas non plus fait preuve d’une attitude proactive aux fins de se procurer les revenus et ressources financières nécessaires, ceci malgré ses qualifications professionnelles élevées.
35.  La Cour constate que l’Audiencia Provincial n’a pas seulement pris en compte l’élément objectif du délit, en l’occurrence le non-paiement de la pension mais a également examiné les intentions et le comportement du requérant, ainsi que les possibilités d’obtenir des revenus plus élevés en raison de sa formation professionnelle. Aux yeux de la Cour, un tel examen peut difficilement être considéré comme relevant seulement de questions de droit. En effet, il implique, de par ses caractéristiques, une prise de position sur des faits décisif pour la détermination de la culpabilité du requérant.
36.  L’étendue de l’examen effectué par l’Audiencia en l’espèce amène la Cour à considérer que la tenue d’une audience publique était indispensable. En effet, l’Audiencia ne s’est pas limitée à effectuer une interprétation différente en droit à celle du juge a quo quant à un ensemble d’éléments objectifs, mais a effectué une nouvelle appréciation des faits estimés prouvés en première instance et les a reconsidérés, question qui s’étend au-delà des considérations strictement juridiques. Par conséquent, la juridiction de recours a été amenée à connaître de l’affaire en fait et en droit (voir Spînu c. Roumanie, arrêt du 29 avril 2008, § 55).
37.  Dans les circonstances particulières de l’espèce, à savoir l’acquittement du requérant en première instance après la tenue d’une audience publique, pendant laquelle furent administrées plusieurs preuves, tant documentaires, tels que les relevés bancaires du compte de consignation judiciaire, que personnelles comme la déclaration du requérant, la Cour considère que sa condamnation en appel par l’Audiencia Provincial, sans qu’il soit entendu personnellement, n’est pas conforme avec les exigences d’un procès équitable tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.
38.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’une audience publique devant la juridiction d’appel était nécessaire en l’espèce. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
1.   Sur l’article 6 § 2 de la Convention
39.   Invoquant l’article 6 § 2, le requérant estime avoir été condamné sur la base de preuves insuffisantes, sa condamnation ayant par conséquent porté atteinte au droit à la présomption innocence, tel que prévu à l’article 6 § 2 de la Convention :
« 2.  Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
40.   Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
41.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
42.  Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour est d’avis qu’aucune question distincte ne se pose à l’égard de l’article 6 § 2.
2.   Sur l’article 13 de la Convention
43.  Le requérant se plaint par ailleurs qu’après avoir été acquitté en première instance, il n’a pas bénéficié d’un recours à l’encontre de l’arrêt de l’Audiencia Provincial concluant à sa condamnation.
Il invoque l’article 13 de la Convention, qui prévoit ce qui suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
44.  Bien que le requérant soulève son grief sous l’angle du droit à un recours effectif, la Cour rappelle que le principe du double degré de juridiction est garanti par le seul article 2 du Protocole no 7 à la Convention, Protocole que l’Espagne n’a pas ratifié à ce jour.
45.  Cette partie de la requête est, dès lors, incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3.   Sur l’article 4 § 2 de la Convention
46.  Le requérant allègue enfin que l’exigence de s’acquitter de la pension alimentaire l’oblige à réaliser des horaires de travail excessifs, ce qui constitue un travail forcé tel que prévu par l’article 4 § 2 de la Convention, ainsi libellé :
Article 4 § 2
«  Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. »
47.  Dans la mesure où la cour d’appel n’a fait aucune référence, directe ou indirecte, sur la façon dont le requérant devait obtenir les fonds pour payer la pension alimentaire, la Cour estime que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
48.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
49.  Le requérant réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi et 3 429,34 EUR au titre du préjudice matériel, au motif qu’il a été condamné à payer les frais de justice.
50.  Le Gouvernement estime que le montant sollicité est excessif et sollicite le rejet de la demande.
51.  La Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la cour d’appel aurait abouti si elle avait autorisé la tenue d’une audience publique. Cependant, elle estime que le requérant a subi un préjudice moral. Eu égard aux circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide d’octroyer au requérant la somme de 2 000 EUR.
52.  Par ailleurs, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme demandée, à savoir, 3 429,34 EUR au titre du préjudice matériel.
B.  Frais et dépens
53.  Sans aucun justificatif à l’appui, le requérant demande également 8 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
54.  Le Gouvernement sollicite le rejet de la demande.
55.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu du fait que le requérant n’a pas apporté des justificatifs de ces frais, la Cour rejette la demande à cet égard.
C.  Intérêts moratoires
56.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 §§ 1 et 2 de la Convention ;
2.  Déclare la requête irrecevable pour le surplus ;
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief relatif à l’article 6 § 2 de la Convention ;
5.  Dit
a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention :
i.  3 429,34 EUR (trois mille quatre cent vingt-neuf euros et trente-quatre cents) pour dommage matériel ;
ii.  2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 mars 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall   Greffier Président
ARRÊT IGUAL COLL c. ESPAGNE
ARRÊT IGUAL COLL c. ESPAGNE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel et préjudice moral - réparation

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE


Parties
Demandeurs : IGUAL COLL
Défendeurs : ESPAGNE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 10/03/2009
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 37496/04
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-03-10;37496.04 ?

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