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07/04/2009 | CEDH | N°6586/03

CEDH | AFFAIRE BRANDUSE c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BRÂNDUŞE c. ROUMANIE
(Requête no 6586/03)
ARRÊT
STRASBOURG
7 avril 2009
DÉFINITIF
07/07/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Brânduşe c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura-Sandström,   Corneliu Bîrsan,   Boštjan M. Zupančič,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   Ineta Ziemele, juges,  et de Santiago Quesada, greff

ier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 mars 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BRÂNDUŞE c. ROUMANIE
(Requête no 6586/03)
ARRÊT
STRASBOURG
7 avril 2009
DÉFINITIF
07/07/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Brânduşe c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura-Sandström,   Corneliu Bîrsan,   Boštjan M. Zupančič,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   Ineta Ziemele, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 mars 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 6586/03) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ioan Brânduşe (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 janvier 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Le 31 mai 2007, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  Le requérant est né en 1951. Il est à présent détenu dans l’établissement pénitentiaire d’Arad à la suite de sa condamnation à une peine de prison de dix ans pour escroquerie, peine établie par des arrêts du 14 août 2002 et du 11 novembre 2004 de la cour d’appel de Timişoara.
A.  Faits relatifs aux conditions de détention du requérant
1.  Version du requérant
5.  Pendant sa détention provisoire, le requérant fut détenu dans les locaux de la police d’Arad. Il devait satisfaire certains de ses besoins naturels dans un seau en plastique, qui restait ensuite dans la cellule qu’il partageait avec d’autres détenus. Il n’avait accès aux toilettes que deux fois par jour, à 6 heures et à 17 heures. Transféré au plus tard au mois d’avril 2002 dans les prisons de Timişoara et d’Arad, où il a passé la majeure partie de son temps de détention jusqu’à présent, le requérant dut partager avec vingt-sept autres détenus une cellule d’environ 38 m2 et ayant 18 lits et une seule fenêtre. Selon le requérant, il n’y avait jamais d’eau chaude au lavabo de la cellule. La tenue pénitentiaire était une ancienne tenue militaire ayant plus de vingt ans et, à la prison de Timişoara, l’administration ne lui fournissait ni draps ni couverture. Quant à la nourriture, elle était de très mauvaise qualité : on lui servait chaque jour des pommes de terre bouillies et du thé sans sucre, mais jamais de viande.
2.  Observations du Gouvernement
6.  Au cours de sa détention dans les locaux de la police d’Arad, entre le 17 janvier et le 14 février 2002, le requérant partagea une cellule de 6,53 m2 et dotée de quatre lits avec un ou plusieurs codétenus (maximum quatre par cellule). Le Gouvernement confirme pour l’essentiel les affirmations du requérant quant à l’accès aux toilettes séparées de la cellule, précisant toutefois que durant la journée l’intéressé pouvait solliciter d’y être conduit. A partir de février 2002 et jusqu’à présent, le requérant a été détenu alternativement dans les prisons d’Arad et de Timişoara (il a passé la majeure partie de cette période dans la prison d’Arad, notamment une grande partie des étés à partir de 2003 et la période entre décembre 2004 et mars 2007).
7.  Dans la prison d’Arad, il partagea avec un nombre non précisé de codétenus la cellule no 161, qui avait 15,37 m2 de superficie et était dotée d’une fenêtre de 1,50 m sur 1,80 m, ainsi que de six lits, une armoire, trois tables de chevet, une table, un support TV et deux petites banquettes métalliques. L’aération de la cellule se faisait par l’ouverture de la fenêtre. La cellule était équipée d’un ensemble sanitaire (toilettes, lavoir, petite baignoire) séparé par un hall du corps de la cellule et le requérant avait accès deux fois par semaine aux douches à l’eau chaude situées sur le couloir. A présent, il y a six détenus dans la cellule en cause.
8.  Dans la prison de Timişoara, le requérant occupa différentes cellules. Le Gouvernement indique que, la base de données informatique étant incomplète, il ne dispose de renseignements qu’à l’égard des cellules où l’intéressé fut détenu après novembre 2004. Il ressort de ces renseignements que le requérant disposait généralement dans ces cellules, qu’il partageait avec d’autres codétenus, d’un espace de vie d’environ 1,50 m2 jusqu’en 2007 et d’environ 6,25 m2 par la suite. Le mobilier des chambres était similaire à celui de la prison d’Arad, tout comme l’étaient les conditions d’hygiène et d’aération des cellules. Selon une lettre du 4 septembre 2007 de la prison de Timişoara, qui renvoie à la règlementation en la matière, le requérant bénéficia d’une alimentation conforme ainsi que d’une heure de promenade en plein air jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines de prison (deux heures après cette date).
B.  Faits relatifs à l’ancienne décharge d’ordures se trouvant à proximité de la prison d’Arad
1.  Fonctionnement de la décharge d’ordures et mesures des autorités à cet égard
9.  La prison d’Arad est installée à une vingtaine de mètres de l’ancienne décharge d’ordures ménagères qui, administrée par la société S., elle-même contrôlée par la mairie d’Arad, avait fonctionné de 1998 jusqu’à 2003, où l’administration locale choisit un autre site, situé dans une autre partie de la ville. Il ressort du dossier que la décharge avait fonctionné sans les autorisations nécessaires de la part des autorités locales chargées de la protection de l’environnement (APE) et, respectivement, de la santé publique. Par ailleurs, la fermeture de l’ancienne décharge en 2003 ne fut pas suivie d’une remise en état des lieux ou de travaux de couverture du site avec de la terre. Des entreprises et de nombreux particuliers continuèrent à y déposer des ordures et des déchets. D’après le requérant, des mouches, des insectes et même des oiseaux volent de l’ancienne décharge jusque dans sa cellule, ce qui représente un risque d’infection, compte tenu aussi du fait que les détenus gardent de la nourriture dans la cellule, laquelle ne dispose pas d’un réfrigérateur. Par ailleurs, selon le requérant, la proximité de l’ancienne décharge serait une source d’odeurs pestilentielles et de nuisances olfactives.
10.  Par un arrêté no 76 du 4 avril 2002, la mairie d’Arad adopta une « stratégie sur le développement et le fonctionnement des services de salubrité ». Prenant note de l’ancienneté du système de dépôt d’ordures à ciel ouvert et des risques pour la population, la mairie se fixait pour objectif, entre autres, de « désaffecter » cette décharge d’ordures au plus tard en 2004.
11.  Conformément à la loi no 137/1995 relative à la protection de l’environnement et à l’arrêté du Gouvernement no 162/2002 sur le dépôt des déchets, deux rapports environnementaux (« bilans I et II ») furent rédigés en juillet et septembre 2003 par l’université d’Arad pour la société S., qui les déposa le 17 novembre 2003 à l’APE. Selon cette dernière, le second rapport avait été rédigé afin d’obtenir l’autorisation de l’APE pour la fermeture de la décharge. Les rapports soulignèrent que la décharge « n’avait pas les autorisations requises » pour son fonctionnement et que son emplacement ne respectait pas la distance minimale de 1 000 m, prévue par l’ordre no 536/1997 du ministère de la Santé, entre la décharge et les immeubles d’habitation (situés principalement de l’autre côté et à plus grande distance de la décharge que la prison). Un autre point de non-conformité était l’absence de tout aménagement approprié, dont notamment celle d’un système pour collecter le gaz méthane produit par la fermentation des ordures. La décharge s’étalait sur environ 13 ha et était encore utilisée à cette époque : elle était remplie à 90 % de sa capacité, soit un volume d’ordures de 350 000 m3. Les rapports recommandaient d’organiser le dépôt des ordures d’une manière appropriée pour éviter le risque d’incendie et l’émanation de mauvaises odeurs, et pour faire disparaître les rats et les larves de mouches. Il ressortait des analyses d’air que les valeurs règlementaires étaient dépassées (indicateur ammoniac) même à des températures peu élevées (14o C), que l’air dans le périmètre de la décharge était « fortement pollué » et que pendant les saisons plus chaudes la pollution était encore plus élevée, la décomposition des ordures avec émanation d’ammoniac générant des nuisances et des perturbations (« puternic disconfort » et « disfuncţii ») pour les habitants des quartiers voisins ou même, en cas de vent, pour ceux situés à plus grande distance. Indépendamment de la solution qui serait adoptée par la mairie d’Arad (neutralisation de la décharge in situ ou déplacement des ordures), les rapports recommandaient la surveillance du niveau de pollution.
12.  Le 26 novembre 2003 et le 24 février 2005, l’APE demanda à la mairie d’Arad de compléter sa demande de fermeture de la décharge par la fourniture de plusieurs documents. Devant l’insuffisance de la réponse donnée par la mairie le 18 mai 2005, qui se limitait à la question du financement, un complément fut à nouveau demandé par l’APE le   22 août 2006.
13.  Entre temps, en février 2006, la mairie d’Arad délégua à la société S. la responsabilité de l’ancienne décharge d’ordures de la ville.
14.  Le 11 juillet 2006, un incendie que l’adjoint au maire d’Arad qualifia « d’extrêmement puissant » se déclencha et s’étendit sur la majeure partie de l’ancienne décharge d’ordures près de la prison où le requérant était incarcéré à cette date, incendie favorisé par les émanations de gaz méthane issues des couches profondes d’ordures. Plusieurs dizaines de pompiers furent mobilisés pendant trois jours pour éteindre l’incendie qui fit s’élever des nuages noirs au-dessus des quartiers avoisinants. Des enquêtes furent ordonnées par la préfecture et la police d’Arad. Selon le Gouvernement, qui s’appuie sur des lettres de septembre 2007 de la prison d’Arad et de l’Inspection pour les situations d’urgence, le requérant ne fut pas affecté par l’incendie, le vent ayant soufflé dans la direction opposée.
15.  Par un procès-verbal dressé le 12 juillet 2006, le commissaire D. de l’autorité départementale chargée de prévenir, constater et sanctionner les infractions à la règlementation sur l’environnement (Garda de mediu,   ci-après « la GM ») condamna la mairie d’Arad au paiement d’une amende contraventionnelle de 30 000 lei roumains (RON), en vertu de l’article 96 § 2 (4) de l’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 195/2005 sur la protection de l’environnement (« O.U.G. no 195/2005 »). Le passage pertinent du procès-verbal était libellé comme suit :
«  Dans le périmètre de la décharge il n’y avait aucun dispositif ou panneau pour informer et avertir le public quant aux risques générés pour l’environnement et pour la santé de la population du fait de l’existence de cette décharge d’ordures, à l’égard de laquelle les travaux de fermeture et de reconstruction écologique n’ont pas été réalisés jusqu’à présent. L’information du public aurait dû être faite par les autorités locales antérieurement, conformément à l’article 96 § 2 (4) de l’O.U.G. 195/2005. »
16.  Sur demande de l’APE, une étude de faisabilité pour la fermeture de l’ancienne décharge d’ordures fut réalisée en juillet 2006 par l’université d’Arad. L’étude indiqua que la prison d’Arad se trouvait à 18 m de distance à l’est de la décharge et nota que celle-ci avait continué d’être utilisée « sans accord préalable », ayant un volume d’ordures de 462 000 m3 sur une superficie de 14 ha. Sur la base des analyses faites, l’étude indiquait que l’air dans le périmètre en question était pollué – par rapport aux normes fixées en 1987 –, ce qui générait un « inconfort total » pour les habitants de cette zone. Eu égard au degré de pollution, l’étude recommandait de dégager le site et transférer les ordures, pendant l’hiver, dans un autre site qui remplisse les exigences de l’arrêté du Gouvernement no 349/2005 et de l’ordre no 757/2004 du ministère de l’Environnement (« l’arrêté no 349/2005 » et « l’ordre no 757/2004 ») relatifs au dépôt des déchets. Appuyant cette proposition, le département technique de la mairie d’Arad indiqua la présence d’une « forte pollution » et le maire se référa en outre à l’absence des autorisations nécessaires et à la méconnaissance de l’ordre no 536/1997 du ministère de la Santé.
17.  Par une décision du 22 août 2006, le conseil municipal d’Arad approuva l’étude susmentionnée, mais le 31 octobre 2006, le ministère de l’Environnement estima que le volume d’ordures était proche de 1 000 000 m3 et que la fermeture du site devait donc suivre la procédure prévue par l’ordre no 757/2004 précité. Plusieurs échanges de courriers eurent lieu en 2007 entre la mairie d’Arad et l’APE pour l’obtention par la première de l’accord de la seconde sur le programme de mise en conformité avec les obligations environnementales et sur les travaux de fermeture à effectuer, accord nécessaire selon l’ordre no 757/2004. Il ressort d’une lettre du 26 octobre 2007 de l’APE que l’accord sur le programme précité fut délivré le 18 octobre 2007, celui pour les travaux à réaliser étant alors en cours d’examen. Le programme en question prévoit, entre autres, comme obligation à la charge de la mairie d’Arad pour 2008-2009, l’amélioration de la qualité de l’air dans le périmètre de l’ancienne décharge d’ordures par des travaux de réhabilitation et de clôture du périmètre, y compris la couverture de la décharge avec des couches de terre et de l’herbe et la création de conduits pour les gaz émanant de la décharge. Le Gouvernement n’a pas fourni de renseignements plus récents sur la procédure d’autorisation et l’état d’avancement des travaux en question.
18.  Dans une lettre du 29 octobre 2007 fournie par le Gouvernement, le directeur de la prison d’Arad notait que l’ancienne décharge d’ordures avait été « désactivée » depuis 2000. Selon le directeur, c’était pour cette raison que l’action du requérant sur la base de l’O.U.G. no 56/2003 avait été rejetée (paragraphes 22-23 ci-dessous) et que les détenus n’avaient pas été affectés par la proximité de la décharge, aucune maladie n’ayant été causée par les faits allégués. Par ailleurs, sur la base du dossier médical de l’intéressé, un rapport médical datant d’août 2007 indiqua que l’état de santé du requérant n’avait pas été affecté par l’existence de la décharge.
2.  Démarches administratives et judiciaires du requérant
19.  Le 27 avril 2004, en réponse à une lettre adressée par le requérant au sujet des effets nocifs de l’ancienne décharge d’ordures sur la vie des détenus, le préfet d’Arad lui indiqua qu’une société italienne avait l’intention d’acheter ce terrain public et de le remettre en état. Le préfet concluait en précisant qu’il espérait que ce projet allait se réaliser et en souhaitant au requérant de surmonter les moments difficiles qu’il vivait.
20.  Le 1er juin 2004, la mairie d’Arad répondit à une lettre similaire du requérant que l’ancienne décharge avait été fermée et n’était plus utilisée. Elle ajoutait que la société S. avait rédigé un rapport environnemental et surveillait en permanence cette décharge. Par ailleurs, un programme de neutralisation des ordures ménagères était à l’étude, les autorités souhaitant obtenir à cette fin un financement par l’Union européenne.
21.  Le 4 avril 2005, le requérant saisit le tribunal de première instance d’Arad d’une action fondée sur l’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 56/2003 concernant certains droits des personnes exécutant une peine privative de liberté (ci-après, « l’O.U.G. no 56/2003 »), se plaignant notamment des conditions d’hygiène dans les locaux de détention de la police d’Arad et dans la prison d’Arad, de l’absence d’un réfrigérateur et du fait qu’il devait supporter dans la prison précitée l’air vicié et les odeurs pestilentielles émanant de l’ancienne décharge d’ordures ménagères.
22.  Par un jugement du 27 janvier 2006, le tribunal de première instance d’Arad rejeta comme mal fondée l’action du requérant, jugeant que « certains aspects invoqués par le requérant n’entraient pas dans l’objet de l’O.U.G. no 56/2003 et [que] les autres aspects relatifs à la méconnaissance de ses droits n’avaient été aucunement prouvés. »
23.  Par un arrêt du 24 mai 2006, le tribunal départemental d’Arad rejeta le recours formé contre le jugement précité par le requérant, qui sollicitait que l’administration pénitentiaire prenne des mesures de désinfection et de neutralisation de l’ancienne décharge. Il jugea que les aspects présentés par le requérant ne pouvaient pas faire l’objet d’un examen dans le cadre de l’O.U.G. no 56/2003, indiquant par ailleurs que l’intéressé pouvait éventuellement saisir l’administration locale chargée de la propreté de la ville et du maintien du niveau de confort environnemental de la population.
C.  Faits relatifs aux conversations téléphoniques du requérant en prison
24.  Dans une lettre du 29 septembre 2006, le requérant précise qu’un gardien de la prison était présent près de lui lors de ses conversations téléphoniques avec des personnes de l’extérieur de la prison et qu’il devait indiquer à l’administration, pour fichage dans un registre, les numéros de téléphone qu’il souhaitait appeler.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A.  Les dispositions régissant le délit de mauvais traitements et la responsabilité civile délictuelle
25.  Les dispositions des articles 267 et 2671 du code pénal (CP) relatifs, respectivement, aux délits de « mauvais traitements » et de « torture »,   sont citées dans les affaires Iambor c. Roumanie (no 64536/01, § 130,   24 juin 2008) et Velcea c. Roumanie ((déc.), no 60957/00, 23 juin 2005) respectivement. Les dispositions concernant la responsabilité civile délictuelle (articles 998-999 du code civil) sont décrites dans l’arrêt Iambor (précité, § 142).
B.  Les dispositions relatives aux conversations téléphoniques des personnes privées de liberté
26.  L’ordonnance d’urgence du gouvernement no 56/2003 concernant certains droits des personnes privées de liberté (« l’O.U.G. no 56/2003 »), publiée et entrée en vigueur le 27 juin 2003, prévoyait dans son article 3 que les détenus avaient le droit de saisir le tribunal de première instance d’une plainte contre les mesures de l’administration pénitentiaire relatives à l’exercice de leurs droits. L’article 9 indiquait que les détenus avaient le droit d’utiliser les cabines téléphoniques publiques installées dans les l’enceinte de la prison et que les conversations téléphoniques avaient un caractère confidentiel. L’O.U.G. no 56/2003 a été abrogée et remplacée par la loi no 275/2006, qui est entrée en vigueur le 20 octobre 2006 et contient des dispositions similaires, tout en prévoyant par ailleurs que les conversations téléphoniques des détenus ont lieu « sous surveillance à vue ».
C.  Les dispositions internes et internationales pertinentes en matière de protection de l’environnement et, en particulier, de dépôt et de gestion des déchets
27.  L’essentiel des dispositions internes pertinentes (l’article 35 de la Constitution de 1991, la loi no 137/1995 et l’ordonnance gouvernementale no 195/2005 sur la protection de l’environnement qui a remplacé la loi précitée, ainsi que l’ordre du ministère de l’Environnement no 125 du 11 avril 1996) est présenté dans l’affaire Tatar c. Roumanie (no 67021/01, 27 janvier 2009). Il en est de même des dispositions internationales pertinentes (la Déclaration finale de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, faite à Stockholm le 16 juin 1972 ; la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, du 14 juin 1992 ; et la Convention internationale sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement – Convention d’Aarhus –, du 25 juin 1998).
28.  L’article 5 de la loi no 137/1995 précitée prévoyait que l’Etat reconnaissait à toute personne le droit à un environnement sain et garantissait l’accès aux informations concernant la qualité de l’environnement et le droit de s’adresser aux autorités administratives ou judiciaires dans un but de prévention ou de réparation du préjudice subi. L’article 82 de cette loi prévoyait que la méconnaissance des dispositions de cette loi entraînait la responsabilité civile, contraventionnelle ou pénale, selon le cas, et l’article 86 disposait que le constat et la poursuite des infractions prévues par ladite loi étaient opérés d’office par les autorités de poursuites.
29.  Les dispositions relatives aux activités de stockage et de gestion de déchets ont fait l’objet de plusieurs actes normatifs. Ainsi, les ordres du ministère de la Santé nos 81/1994 et 536/1997 concernant les normes d’hygiène pour la population prévoyaient l’emplacement des décharges d’ordures à plus de 1 000 m de distance par rapport aux quartiers d’habitation. Par ailleurs, tant les ordres du ministère de l’Environnement no 437 du 17 juillet 1991 et 125 du 11 avril 1996 que la loi no 137/1995 précitée, en vigueur pendant la durée de fonctionnement de la décharge d’ordures d’Arad, prévoyaient qu’une « autorisation environnementale de fonctionnement » (autorizaţia de mediu) était obligatoire pour toute activité ayant des conséquences sur l’environnement, comme le stockage et la gestion des déchets. L’ordre no 125/1996 précité, qui prévoyait la procédure d’obtention de l’autorisation environnementale, précisa la nécessité d’études spécifiques dans le cas des activités qui, par leur nature, leur localisation ou leur ampleur, pouvaient avoir un impact sérieux sur l’environnement. De toute manière, dans la demande d’autorisation, il convenait de renseigner les autorités compétentes sur, entre autres, la quantité d’émissions polluantes, les installations dépolluantes utilisées, la distance jusqu’à la population éventuellement affectée et les mesures prises pour la protection de celle-ci. Des mesures étaient prévues pour assurer, dans le cadre de cette procédure d’autorisation, l’accès du public aux informations pertinentes (voir la description dans l’affaire Tatar précitée), notamment dans le cas où l’autorité compétente estimait nécessaire aux fins de l’autorisation un « bilan environnemental » - le rapport à cet égard devant être soumis au débat public. En cas de refus d’octroi de l’autorisation environnementale, la personne morale en cause devait cesser l’activité de stockage sur le site en question. S’agissant du bilan susmentionné, l’article 10 de la loi no 137/1995 prévoyait que celui-ci était ordonné par l’APE, en vue d’établir un « programme de [mise en] conformité », dans le cas des activités existantes qui ne remplissaient pas les conditions d’autorisation environnementale.
30.  Par ailleurs, des actes normatifs spécifiques ont été adoptés en matière de stockage et de gestion des déchets : l’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 78/2000 (« l’O.U.G. no 78/2000 »), entrée en vigueur le 22 juillet 2000, et les arrêtés du Gouvernement nos 162/2002 et 349/2005, ce dernier ayant transposé la Directive du Conseil de l’Union européenne no 1999/31/CE du 26 avril 1999.
L’O.U.G. no 78/2000 prévoyait que les autorités compétentes devaient autoriser et contrôler le processus « d’élimination des déchets » pour éviter, entres autres, les risques pour la santé de la population et les mauvaises odeurs (article 5 § 1). Elles devaient prendre des mesures pour faire utiliser des technologies et installations spécifiques pour éliminer les déchets et devaient réaliser des plans pour la gestion de ces derniers (articles 6 à 8). Les autorités et les entreprises chargées d’éliminer des déchets devaient obtenir des « autorisations environnementales » qui fixaient les techniques à utiliser et les mesures de sûreté à adopter (article 11) ; par ailleurs, elles devaient adopter des systèmes de dépollution, contrôler le niveau de pollution avant et après la fermeture du site, et faire effectuer des travaux de « reconstruction écologique » après avoir cessé d’utiliser la décharge en question (article 26).
L’arrêté du Gouvernement no 162/2002, ainsi que l’arrêté no 349/2005 qui l’a remplacé, prévoyaient les procédures pour accorder l’autorisation environnementale, y compris pour les décharges existantes à la date de leur entrée en vigueur (sur la base du rapport dit « bilan II »), la procédure pour surveiller en permanence le niveau de pollution, y compris le bon fonctionnement des installations et conduits pour capter et brûler les gaz émanés du fait de la fermentation des déchets, ainsi que celle pour fermer les sites non conformes ou en fin de durée de fonctionnement (la couverture des sites et la maintenance des conduits précités étaient nécessaires). La méconnaissance des dispositions de ces arrêtés constituait des contraventions, qui devaient être constatées et sanctionnées par le personnel qualifié de l’APE ou de l’administration centrale ou locale.
31.  La méthodologie de fermeture des décharges d’ordures a fait successivement l’objet de dispositions détaillées dans des « règlements techniques » (normative) annexés aux ordres du ministère de l’Environnement nos 1147/2002 et 757/2004. Précisant que le projet initial d’autorisation d’une décharge d’ordures devait comprendre un projet pour la fermeture, la surveillance, et la reconstruction écologique postérieure de ladite décharge, ces règlements présentaient les obligations et les techniques en la matière.
III.  DISPOSITIONS ET RAPPORTS ÉMANANT DU CONSEIL DE L’EUROPE
32.  Les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) rendues à la suite des visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont   résumées dans l’arrêt Bragadireanu c. Roumanie (no 22088/04, §§ 73-76, 6 décembre 2007).
33.  Dans son dernier rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT précisa :
« § 70 : (...)  le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l’échelon national, et ce, depuis la première visite en Roumanie en 1995. Il est grand temps que des mesures d’envergure soient prises afin de mettre un terme définitif à cette situation inacceptable. Le CPT en appelle aux autorités roumaines afin qu’une action prioritaire et décisive soit engagée afin que chaque détenu hébergé dans un établissement pénitentiaire dispose d’un lit.
En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. »
IV.  AUTRES RAPPORTS CONCERNANT LES CONDITIONS DE DÉTENTION ET LES EFFETS DE LA PROXIMITÉ DE LA DÉCHARGE D’ORDURES
34.  Rédigé à la suite d’une visite les 6 et 7 juin 2001 dans la prison d’Arad, le rapport de l’organisation non gouvernementale « Association pour la défense des droits de l’homme-comité Helsinki » (Apador-CH) indiquait, entre autres, que dans l’aile ancienne de la prison, qui devait accueillir normalement 868 personnes, il y avait 1 229 détenus, et que la qualité de la nourriture était insatisfaisante. Par ailleurs, le rapport faisait mention de la passivité des autorités face au problème très grave lié à la présence dans l’immédiate proximité de la prison de la décharge d’ordures de la ville, dont émanaient des odeurs insupportables pendant les mois chauds et qui augmentait fortement le risque que le personnel et les détenus attrapent des maladies.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
35.  Le requérant se plaint dans une lettre du 6 juillet 2004 des conditions de détention dans les locaux de la police d’Arad et dans les prisons de Timişoara et d’Arad, en particulier de la surpopulation carcérale, de la mauvaise qualité de la nourriture et des conditions d’hygiène. Il invoque en substance l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
36.  Le Gouvernement combat cette thèse.
A.  Sur la recevabilité
37.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours par le requérant. Ce dernier aurait pu saisir les tribunaux d’une action en dédommagement sur la base des dispositions de droit commun sur la responsabilité civile délictuelle (articles 998-999 du code civil) ou formuler une plainte pénale pour « mauvais traitements » et « torture » contre les personnes responsables (articles 267 et 2671 CP). Comme jurisprudence interne pertinente, le Gouvernement soumet deux décisions susceptibles de recours – sans précisions sur leur devenir à cet égard –, rendues par le tribunal départemental de Bucarest en 2007 dans des affaires concernant la responsabilité civile délictuelle dans le cas d’un défaut de traitement médical en prison et de détention d’un prévenu avec des récidivistes.
38.  Le Gouvernement excipe aussi de la tardiveté du grief du requérant pour autant que celui-ci concerne les conditions de détention dans les locaux de la police d’Arad. Il soutient en effet que dans l’hypothèse où le requérant ne disposait pas d’une voie de recours à épuiser, il aurait dû saisir la Cour dans un délai de six mois à partir de la date de son transfert à la prison d’Arad, en février 2002.
39.  Le requérant n’a pas présenté d’observations sur ces points.
40.  S’agissant de l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours, la Cour observe que le grief du requérant porte sur les conditions de détention, dont la surpopulation carcérale. Elle rappelle avoir déjà jugé, dans une affaire récente relative à un grief similaire et dirigée contre la Roumanie, qu’au vu de la particularité de ce grief, il n’y avait pas de recours effectif à épuiser par le requérant (Petrea c. Roumanie, no 4792/03, § 37, 29 avril 2008). Les arguments du Gouvernement ne sauraient mener en l’espèce à une conclusion différente. La Cour observe que le Gouvernement n’a pas indiqué de quelle manière les voies de recours invoquées pouvaient remédier au problème du surpeuplement en particulier, et n’a pas fourni de décisions définitives pertinentes à cet égard. De surcroît, elle note que le requérant a attiré l’attention des autorités sur les conditions de détention (paragraphe 21 ci-dessus et, mutatis mutandis, Yakovenko c. Ukraine, no 15825/06, § 76, 25 octobre 2007, et Seleznev c. Russie, no 15591/03, § 33, 26 juin 2008).
41.  Quant à la tardiveté alléguée de la partie du grief du requérant relative aux conditions de détention dans les locaux de la police d’Arad, la Cour note avoir examiné dans une affaire récente la manière dont il convient d’appliquer la règle des six mois dans les affaires de ce type (Seleznev, précité, § 35). Renvoyant à la jurisprudence pertinente, elle a ainsi indiqué qu’il n’y avait pas lieu de considérer des conditions de détention comme une situation continue dans la mesure où le grief y afférent porte sur un épisode, un traitement, ou un régime de détention spécifique, lié à une période de détention identifiée ; au contraire, il y a situation continue si le grief concerne des aspects généraux (conditions d’hygiène, surpeuplement, température des cellules etc.) et des conditions de détention qui sont restées sensiblement similaires malgré le transfert du requérant (Seleznev, précité, § 36).
42.  A la différence de l’affaire précitée, en l’espèce, la Cour observe qu’en ce qui concerne les conditions de détention dans les locaux de la police d’Arad, le grief tel que présenté par le requérant porte exclusivement sur l’accès restreint aux toilettes pendant la période déterminée en question (paragraphe 5 ci-dessus). Or, force est de constater qu’après son transfert en février 2002 dans la prison d’Arad, la question susmentionnée ne se posait plus, le requérant ayant été détenu dans des cellules dotées de toilettes séparées et accessibles à tout moment. Certes, le requérant s’est plaint aussi des conditions de détention dans les prisons d’Arad et de Timişoara, mais en invoquant à ce propos des problèmes généraux, tels que le surpeuplement, le manque d’eau chaude ou la qualité de la nourriture. S’il convient, assurément, de se garder de scinder artificiellement une période de détention continue en plusieurs parties du simple fait qu’est intervenu un transfert du détenu, la Cour estime néanmoins qu’en l’espèce, eu égard en particulier au caractère ponctuel et déterminé de l’aspect dont l’intéressé se plaint au sujet des locaux de la police d’Arad, on ne saurait considérer que le transfert du requérant en février 2002 n’a pas apporté un changement notable dans les conditions de détention décriées, pour conclure qu’il s’agirait d’une situation continue (a contrario, Seleznev, § 36, et Sudarkov c. Russie, no 3130/03, § 40, 10 juillet 2008).
43.  Partant, il convient d’accueillir l’exception invoquée par le Gouvernement et de rejeter cette partie du grief du requérant pour tardiveté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
44.  S’agissant du restant du grief (les conditions de détentions dans les prisons d’Arad et de Timişoara), la Cour constate qu’il n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre que cette partie du grief ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B.  Sur le fond
45.  Le Gouvernement renvoie à la jurisprudence de la Cour en la matière. Se référant à la description des conditions de détention fournie par les établissements pénitentiaires en question, le Gouvernement soutient que les conditions de détention du requérant étaient conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention.
46.  Le requérant réitère en substance ses allégations.
47.  La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI).
48.  La Cour renvoie à sa jurisprudence sur la manière dont, dans des affaires similaires, elle a fait application du principe affirmanti incumbit probatio lorsque le Gouvernement est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les affirmations du requérant. (Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, § 113, CEDH 2005-X (extraits), et Seleznev, précité, § 41). En l’espèce, concernant les allégations de surpeuplement, le Gouvernement n’a fourni de renseignements ni quant à la taille des cellules où le requérant a été détenu à la prison de Timişoara avant novembre 2004, ni quant au nombre de codétenus avec lesquels le requérant a dû partager les cellules des prisons d’Arad et Timişoara, sauf pour cette dernière prison après 2004. Le caractère incomplet de la base de données informatique avant novembre 2004 invoqué par le Gouvernement ne saurait constituer une raison suffisante à cet égard pour écarter purement et simplement les allégations de l’intéressé quant au surpeuplement des cellules (paragraphe 5 ci-dessus). Certes, l’intéressé n’a pas fourni de détails à l’égard des différentes cellules ni, le cas échéant, de déclarations des codétenus pour clarifier ces aspects, pas plus qu’il n’a contredit les renseignements incomplets présentés par le Gouvernement et relatifs à la taille des cellules. Partant, la Cour considère qu’il suffit, dans le cas d’espèce, d’examiner ce grief en prenant en compte, conjointement, les allégations non contredites des parties et, pour la cellule no 161 de la prison d’Arad, l’existence d’un taux d’occupation correspondant au nombre de lits.
49.  La Cour relève que dans la cellule no 161 de la prison d’Arad, que le requérant a occupée pendant la majeure partie de sa détention, soit une période de plusieurs années, l’intéressé disposait d’un espace de vie d’environ 2,50 m2 ; par ailleurs, elle estime qu’il convient de prendre en compte que cet espace était en réalité encore réduit par le mobilier présent. Pour la prison de Timişoara, tant les données fournies par le requérant et non contredites par le Gouvernement (paragraphe 5 ci-dessus) que celles présentées par ce dernier pour la période d’après novembre 2004 vont dans le sens que, avant 2007, le requérant disposait d’un espace de vie d’environ 1,50- 2,00 m2. Par ailleurs, la Cour note qu’il ressort des renseignements fournis par le Gouvernement qu’avant l’entrée en vigueur de la loi no 275/2006, le requérant avait droit à une heure de promenade en plein air par jour (paragraphe 6 in fine ci-dessus).
50.  La Cour rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l’article 3 de la Convention en raison principalement du manque d’espace individuel suffisant (voir, entre autres, Petrea, précité, §§ 45 et suivants, Seleznev, précité, §§ 46-47, et Khoudoyorov, précité, §§ 104 et suivants). La Cour admet qu’en l’espèce rien n’indique qu’il y ait eu véritablement intention d’humilier ou de rabaisser le requérant. Toutefois, l’absence d’un tel but ne saurait exclure un constat de violation de l’article 3. La Cour estime que les conditions de détention en cause, que le requérant a dû supporter pendant plusieurs années, n’ont pas manqué de le soumettre à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.
51.  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
II.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
52.  Le requérant allègue que, du fait de la proximité de l’ancienne décharge d’ordures et de la passivité des autorités quant à la neutralisation de celle-ci, il est obligé de respirer un air vicié et pestilentiel, et soumis à un risque réel d’attraper des maladies. En outre, il se plaint du défaut de confidentialité de ses conversations téléphoniques avec l’extérieur à partir des postes téléphoniques installés dans la prison d’Arad, en raison de l’obligation d’indiquer tous les numéros de téléphone qu’il souhaitait appeler et de la présence des gardiens à côté des détenus pendant ces conversations. Le requérant invoque en substance l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
53.  Le Gouvernement conteste cette thèse.
A.  Sur le grief concernant l’ancienne décharge d’ordures
1.  Sur la recevabilité
54.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Notant que l’intéressé a formulé son grief le 20 juillet 2004, le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu s’appuyer sur les articles 5 et 82 combinés de la loi no 137/1995, dispositions reprises par l’O.U.G. no 195/2005 qui a abrogé ladite loi, pour déposer une plainte pénale ou pour saisir les tribunaux d’une action civile contre les personnes ou les autorités responsables de la pollution alléguée. Le Gouvernement note qu’à la place de ces voies de recours, le requérant a choisi de formuler seulement quelques demandes devant les autorités administratives.
55.  Le requérant n’a pas présenté d’observations sur ce point.
56.  La Cour relève avoir déjà rejeté une exception similaire, relative aux voies pénale et civile susmentionnées, dans l’affaire Tatar c. Roumanie (déc.) (no 67021/01, 5 juillet 2007). La Cour considère que le Gouvernement n’a fourni aucun élément pertinent pour qu’elle aboutisse à une conclusion contraire dans la présente affaire. A ce titre, elle relève que, selon l’article 86 de la loi no 137/1995, le constat et la sanction des infractions prévues par cette loi incombaient aux autorités compétentes, qui devaient agir d’office, que le requérant a attiré à plusieurs reprises l’attention des autorités locales sur la question de l’ancienne décharge, et que le Gouvernement n’a fourni aucun exemple de jurisprudence interne pour démontrer le caractère effectif des voies de recours invoquées (voir, mutatis mutandis, Tatar, précitée, §§ 56 et 63-64).
57.  En outre, la Cour observe que, étant privé de liberté, le requérant a saisi les tribunaux internes d’une action fondée sur l’O.U.G. no 56/2003 et qui tendait, entre autres, à obliger les autorités à agir compte tenu des nuisances olfactives liées à l’existence de l’ancienne décharge à proximité de la prison. Même si l’O.U.G. no 56/2003 ne comprenait pas de dispositions susceptibles de porter remède au grief soulevé par le requérant, il y a lieu de noter que, dans son arrêt définitif de rejet du 24 mai 2006, le tribunal départemental d’Arad n’a pas renvoyé le requérant vers les voies de recours invoquées par le Gouvernement, mais a seulement observé que l’intéressé pouvait éventuellement, pour ce genre de questions d’environnement, saisir l’administration locale – ce que ce dernier avait d’ailleurs déjà fait, sans résultat (paragraphes 19-20 et 23 in fine ci-dessus).
58.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le Gouvernement n’a pas démontré avec un degré suffisant de certitude l’existence d’une voie de recours permettant de porter remède au grief du requérant. Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement ne peut être retenue.
59.  Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2.  Sur le fond
a)  Thèses des parties
60.  Le Gouvernement soutient que l’inconfort apporté au requérant par la décharge d’ordures située à proximité de la prison d’Arad n’a pas atteint un degré de gravité suffisant pour être pris en compte aux fins de l’article 8 de la Convention. Il met en avant qu’entre mai 2002 et décembre 2004 le requérant a été détenu alternativement dans les prisons d’Arad et de Timişoara (presque un an dans cette dernière), que l’ancienne décharge n’avait plus été utilisée après 2002, et que l’intéressé n’a apporté aucun élément tendant à prouver que son état de santé ou, en général, sa vie privée aient été affectés par l’existence de cette décharge. Quant à l’incendie de juillet 2006, il n’a eu, tout au plus, qu’un effet réduit sur le requérant. S’agissant des obligations des autorités pour protéger le droit du requérant au respect de sa vie privée, le Gouvernement considère qu’à la différence des affaires Giacomelli c. Italie (no 59909/00, 2 novembre 2006) et Guerra et autres c. Italie [GC] (no 14967/89, Recueil des arrêts et décisions 1998-I), en l’espèce l’administration s’est conformée à la législation interne et a pris les mesures nécessaires en matière d’environnement. A ce titre, il renvoie à l’arrêté du conseil municipal d’Arad du 4 avril 2002, au dépôt à l’APE du « bilan II » ainsi qu’aux autres démarches des autorités pour l’émission de l’avis environnemental du 18 octobre 2007.
61.  Le requérant fournit pour l’essentiel la déclaration d’un codétenu (F.I.), qui mentionne que l’aération des cellules par les détenus était difficile en raison des mauvaises odeurs émanant de la décharge d’ordures près la prison d’Arad, et qu’il y avait chaque été des incendies, même s’ils étaient de moindre intensité que celui de juillet 2006.
b)  Appréciation de la Cour
i.  Principes généraux
62.  La Cour renvoie aux principes développés dans sa jurisprudence relative aux atteintes graves d’ordre immatériel au droit au respect de la vie privée et familiale d’un individu, du fait de nuisances sonores, olfactives ou autres subies par ladite personne à son domicile, au sens de l’article 8 de la Convention (Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, §§ 96 et suivants, CEDH 2003-VIII). Elle rappelle que, dans une affaire traitant de décisions et mesures des autorités ayant une incidence sur des questions d’environnement, l’examen auquel la Cour peut se livrer comporte deux volets. Premièrement, elle peut apprécier le contenu matériel de la décision en cause en vue de s’assurer que celle-ci est compatible avec l’article 8. Deuxièmement, elle peut se pencher sur le processus décisionnel, afin de vérifier si les intérêts de l’individu ont été dûment pris en compte (Giacomelli, précité, § 79).
63.  Par ailleurs, la Cour rappelle que l’article 8 ne se borne pas à astreindre l’Etat à s’abstenir d’ingérences arbitraires de la part des pouvoirs publics : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale (Guerra, précité, § 58). Il y a, avant tout, pour les Etats, notamment dans le cas d’une activité dangereuse, une obligation positive de mettre en place une réglementation adaptée aux spécificités de ladite activité, notamment au niveau du risque qui pourrait en résulter. Cette obligation doit régir l’autorisation, la mise en fonctionnement, l’exploitation, la sécurité et le contrôle de l’activité en question, ainsi qu’imposer à toute personne concernée par celle-ci l’adoption de mesures d’ordre pratique propres à assurer la protection effective des citoyens dont la vie risque d’être exposée aux dangers inhérents au domaine en cause (voir, mutatis mutandis, Oneryildiz c. Turquie, [GC], no 48939/99, § 90, CEDH 2004-XII). Par ailleurs, le processus décisionnel susmentionné doit tout d’abord comporter la réalisation des enquêtes et études appropriées, de manière à prévenir et évaluer à l’avance les effets des activités qui peuvent porter atteinte à l’environnement et aux droits des individus, et à permettre ainsi l’établissement d’un juste équilibre entre les divers intérêts concurrents en jeu. L’importance de l’accès du public aux conclusions de ces études ainsi qu’à des informations permettant d’évaluer le danger auquel il est exposé ne fait pas de doute (Giacomelli, précité, § 83).
ii.  Sur l’applicabilité de l’article 8 en l’espèce
64.  La Cour doit examiner s’il convient d’appliquer les principes susmentionnées de l’article 8 de la Convention au cas d’espèce, dans lequel « l’espace de vie » du requérant est représenté par la cellule où il purge sa peine de prison, et si les nuisances olfactives alléguées par l’intéressé ont atteint le seuil minimum de gravité pour que la question posée rentre dans le champ d’application de l’article précité (voir, mutatis mutandis, Moreno Gómez c. Espagne, no 4143/02, § 58, CEDH 2004-X).
65.  A ce titre, elle rappelle avoir conclu dans une affaire à l’applicabilité de l’article 8 précité au vu de l’incidence directe des émissions de substances nocives sur le droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale (Guerra, précité, § 60). Par ailleurs, après avoir indiqué que des atteintes graves à l’environnement pouvaient affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile d’une manière atteignant sa vie privée et familiale, sans avoir pour cela à mettre en grave danger la santé de l’intéressée, la Cour a jugé dans une autre affaire que l’article 8 était également applicable lorsque les effets dangereux   d’une activité auxquels les individus concernés risquaient d’être exposés avaient été déterminés dans le cadre d’une procédure d’évaluation de l’impact sur l’environnement (Taskin et autres c. Turquie, no 46117/99, § 113, CEDH 2004-X).
66.  En l’espèce, la Cour observe que les allégations du requérant quant aux fortes nuisances olfactives qu’il doit supporter se trouvent étayées non seulement par la déclaration de son codétenu F.I., mais aussi par plusieurs éléments, dont des études d’impact sur l’environnement rédigées par des experts en 2003 et 2006 à la demande des autorités. Ces études confirment le niveau très élevé de pollution de l’air dans le périmètre de la décharge d’ordures et « l’inconfort total » subi par les habitants des immeubles avoisinants, déjà plus éloignés de la décharge que ne l’est la prison d’Arad (paragraphes 11 in fine et 16 ci-dessus). Les constats faits par la mairie d’Arad et par l’organisation non gouvernementale APADOR-CH vont dans le même sens (paragraphes 16 in fine et 34 in fine ci-dessus). Par ailleurs, la Cour relève que le problème de la neutralisation de l’ancienne décharge, située à quelques dizaines de mètres de la prison où le requérant a passé la grande majorité de sa période de détention, d’environ sept ans jusqu’à présent, ne semble pas avoir été résolu de manière effective à ce jour (paragraphe 17 in fine ci-dessus).
67.  Tout en notant que l’état de santé du requérant ne s’est pas dégradé du fait de la proximité de l’ancienne décharge d’ordures, la Cour estime que cet élément ne peut pas mener, à lui seul, à la conclusion de l’inapplicabilité de l’article 8. En effet, elle considère qu’au vu des conclusions des études susmentionnées et de la durée pendant laquelle le requérant a subi les nuisances en cause, la qualité de vie et le bien-être de l’intéressé ont été affectés d’une manière qui a nui à sa vie privée et qui n’était pas une simple conséquence du régime privatif de liberté. A cet égard, la Cour relève que le grief du requérant porte sur des aspects qu’elle a déjà examinés au regard de l’article 8, qui dépassent le cadre des conditions de détention proprement dites et qui concernent par ailleurs le seul « espace de vie » dont l’intéressé dispose depuis plusieurs années.
La Cour estime donc que l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce.
iii.  Sur l’observation de l’article 8 de la Convention
68.  La Cour rappelle qu’en l’espèce le requérant se plaint de la passivité des autorités pour traiter de manière appropriée la question de l’ancienne décharge d’ordures située à toute proximité de la prison où il est détenu, afin de faire cesser les nuisances olfactives qu’il doit supporter dans sa cellule.
69.  Que l’on aborde l’affaire sous l’angle d’une obligation positive à la charge de l’État, d’adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits que le requérant puise dans le paragraphe 1 de l’article 8, ou sous celui d’une ingérence d’une autorité publique à justifier sous l’angle de son paragraphe 2, les principes applicables sont assez voisins (voir, mutatis mutandis, López Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994, § 51, série A no 303-C, et Giacomelli, précité, § 78).
70.  La Cour observe d’emblée qu’en l’espèce, les autorités sont responsables des émanations et des nuisances olfactives dont il s’agit, vu le contrôle de la société S. par la mairie d’Arad, le fait que le transfert de responsabilité n’est intervenu qu’en février 2006, et que même après cette date les autorités environnementales ont établi des obligations directement à la charge de la mairie pour la fermeture du dépôt d’ordures en cause (paragraphes 9, 13 et 16-17 ci-dessus).
71.  La Cour constate qu’il ressort du dossier que la décharge d’ordures en question a fonctionné de manière effective de 1998 jusqu’en 2003, et que le volume croissant d’ordures accumulées démontre qu’elle a même continué d’être utilisée par la suite par des particuliers, les autorités n’ayant pas adopté de mesures pour la fermeture effective du site (paragraphes 11 et 16 ci-dessus). Or, tout au long de cette période, la décharge n’a bénéficié des autorisations nécessaires ni pour son fonctionnement ni pour sa fermeture. Alors que les dispositions applicables prévoyaient, avant même l’ouverture de la décharge, la nécessité d’une autorisation ainsi que le respect de diverses exigences, les autorités locales ont, faute d’avoir suivi la procédure requise, pu méconnaitre plusieurs de ces obligations (emplacement de la décharge dans l’immédiate proximité de la prison d’Arad, absence d’installations spécifiques et de surveillance du niveau de pollution de l’air, etc. ; paragraphes 11 et 29-30 ci-dessus).
72.  La Cour estime que le fait pour la mairie d’Arad d’avoir finalement obtenu le 18 octobre 2007 l’accord de l’APE sur le programme de mise en conformité avec les obligations environnementales, dans l’attente de l’autorisation sur les travaux de fermeture à effectuer, n’enlève rien au constat précité relatif au non-respect des obligations légales en la matière. A supposer même que dans la mesure où elles se sont pliées à l’obligation d’obtenir une autorisation de fermeture de la décharge, les autorités locales doivent être regardées comme ayant respecté à partir de novembre 2003 les dispositions légales successives concernant la fermeture des sites non conformes, il convient d’examiner si et dans quelle mesure, dans le cadre du processus décisionnel en question, les droits et les intérêts du requérant, qui vivait dans l’immédiate proximité de la décharge, ont été dûment pris en compte (voir, mutatis mutandis, Giacomelli, précité, § 84).
73.  La Cour observe que, alors qu’il incombait aux autorités compétentes de faire effectuer à l’avance des études pour mesurer les effets de l’activité polluante en cause pour permettre ainsi l’établissement d’un juste équilibre entre les divers intérêts concurrents en jeu (Hatton et autres, précité, § 128), ce n’est qu’a posteriori, en 2003 et après le violent incendie de juillet 2006, que les autorités locales ont rempli cette obligation. Or, au sujet des effets de la décharge en question sur l’environnement et la population avoisinant le site, ces études ont conclu que l’activité menée était incompatible avec les exigences environnementales, qu’il y avait une forte pollution dépassant les normes établies en 1987, et que les personnes résidant à proximité devaient supporter des nuisances olfactives significatives (mutatis mutandis, Giacomelli, précité, § 89).
74.  Surtout, la Cour relève que les autorités compétentes ont explicitement sanctionné la mairie d’Arad en juillet 2006 pour l’absence sur le site de la décharge de tout moyen pour informer et avertir le public quant aux risques générés pour l’environnement et pour la santé de la population du fait de l’existence de la décharge d’ordures, à l’égard de laquelle les travaux de fermeture et reconstruction écologique n’avaient pas été réalisés (paragraphe 15 ci-dessus). A ce titre, la Cour note que le Gouvernement n’a pas indiqué quelles mesures ont été prises par les autorités pour que les détenus de la prison d’Arad, et notamment le requérant - qui avait sollicité auprès de l’administration des renseignements au sujet de la décharge en cause -, puissent avoir effectivement accès aux conclusions des études susmentionnées ainsi qu’à des informations permettant d’évaluer le risque sanitaire auquel ils étaient exposés (voir, mutatis mutandis, Guerra, précité, § 60).
75.  Enfin, la Cour observe que les procédures relatives aux travaux de fermeture de l’ancienne décharge près de la prison d’Arad sont encore pendantes et que le Gouvernement n’a pas fourni de renseignements quant à l’état d’avancement – ni même au commencement – de ces travaux de couverture et de réhabilitation de la décharge, travaux censés s’achever en 2009 (paragraphe 17 ci-dessus).
76.  Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que, l’Etat défendeur ayant failli à ses obligations découlant de l’article 8 de la Convention, il y a violation du droit du requérant au respect de sa vie privée, au sens de cet article.
B.  Sur le grief concernant la confidentialité des conversations téléphoniques du requérant
77.  Le requérant se plaint du défaut de confidentialité de ses conversations téléphoniques avec l’extérieur à partir des postes téléphoniques installés dans la prison d’Arad, en raison de l’obligation d’indiquer tous les numéros de téléphone qu’il souhaitait appeler et de la présence des gardiens à côté des détenus pendant ces conversations. Il joint à l’appui la déclaration d’un codétenu qui affirme avoir vu une fois des gardiens à proximité de l’intéressé, s’il se rappelle bien, lors d’une conversation téléphonique ayant eu lieu en 2005 ou 2006.
78.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes par le requérant, qui n’a pas formulé de plainte devant les tribunaux internes en vertu de l’O.U.G. no 56/2003 ou, après 2006, de la loi no 275/2006 (paragraphe 26 ci-dessus). Il fait aussi valoir que les aspects invoqués ne sont pas étayés et ne représentent en aucune manière des ingérences dans le droit du requérant au respect de sa vie privée puisqu’il n’est pas question d’un enregistrement quelconque des conversations, mais simplement d’une surveillance visuelle sans incidence sur le droit en question.
79.  La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner l’exception invoquée par le Gouvernement, le grief du requérant étant de toute manière à rejeter comme manifestement mal fondé. A cet égard, la Cour relève avoir déjà rejeté un grief similaire dans une autre affaire, dans laquelle elle a constaté que les allégations du requérant avaient un caractère simplement général et n’étaient appuyées sur aucune preuve permettant de considérer que les aspects invoqués puissent mener à la conclusion qu’il y avait un problème relevant de l’article 8 de la Convention (Treptow c. Roumanie (déc.), no 30358/03, 20 mai 2008). La Cour considère qu’il n’y a pas d’éléments suffisants pour aboutir en l’espèce à une conclusion différente.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
80.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
81.  Le requérant réclame 12 650 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi du fait des violations de ses droits garantis par la Convention, mentionnant brièvement à ce titre, entre autres, des aspects et griefs qui n’ont pas fait l’objet de la présente affaire ou ont été rejetés comme irrecevables.
82.  Le Gouvernement considère que la somme demandée est excessive au vu de la jurisprudence pertinente de la Cour.
83.  Réitérant qu’elle a constaté la violation des articles 3 et 8 de la Convention en raison des conditions de détention du requérant et de la méconnaissance par l’Etat de ses obligations de protection du droit de l’intéressé au respect de sa vie privée, la Cour considère que le requérant a subi un préjudice moral. Eu égard aux circonstances de l’espèce et statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle estime qu’il y a lieu de lui octroyer 8 000 EUR au titre du préjudice moral.
B.  Frais et dépens
84.  Sans présenter de justificatifs, le requérant demande également 100 000 EUR pour des frais et dépens encourus dans des procédures internes, qu’il ne détaille pas, et 100 EUR pour les frais de correspondance avec la Cour.
85.  Le Gouvernement s’oppose à l’octroi de toute somme à ce titre.
86.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu du fait que le requérant n’a pas présenté de justificatifs pour les frais et dépens prétendument exposés, la Cour décide de ne lui allouer aucune somme à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
87.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention, concernant les conditions de détention dans les prisons d’Arad et Timisoara, et de l’article 8 de la Convention, relativement à l’ancienne décharge d’ordures près de la prison d’Arad, et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3.  Dit qu’il y a violation de l’article 8 de la Convention ;
4.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros), à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 avril 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall   Greffier Président
ARRÊT BRÂNDUŞE c. ROUMANIE
ARRÊT BRÂNDUŞE c. ROUMANIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 3 (volet matériel) ; Violation de l'art. 8 ; Préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : BRANDUSE
Défendeurs : ROUMANIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 07/04/2009
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 6586/03
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-04-07;6586.03 ?

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