La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/05/2009 | CEDH | N°5243/03

CEDH | AFFAIRE GÜRSEL ÇELIK c. TURQUIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE GÜRSEL ÇELİK c. TURQUIE
(Requête no 5243/03)
ARRÊT
STRASBOURG
5 mai 2009
DÉFINITIF
05/08/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Gürsel Çelik c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Ireneu Cabral Barreto, président,   Vladimiro Zagrebelsky,   Danutė Jočienė,   Dragoljub Popović,   András Sajó,   Nona Tsotsoria,   Işıl Karakaş, juges,  et de Françoise Elens-Passos,

greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 avril 2009,
Rend l’arrêt que voic...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE GÜRSEL ÇELİK c. TURQUIE
(Requête no 5243/03)
ARRÊT
STRASBOURG
5 mai 2009
DÉFINITIF
05/08/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Gürsel Çelik c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Ireneu Cabral Barreto, président,   Vladimiro Zagrebelsky,   Danutė Jočienė,   Dragoljub Popović,   András Sajó,   Nona Tsotsoria,   Işıl Karakaş, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 avril 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5243/03) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Gürsel Çelik (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 août 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me M.S. Tanrıkulu, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
3.  Le 4 mars 2008, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
4.  Le requérant est né en 1966. Lors de l’introduction de la requête, il était incarcéré.
5.  Le 29 septembre 1998, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue. Il était soupçonné d’appartenance au PKK1.
6.  Lors de sa garde à vue, l’intéressé ne bénéficia pas de l’assistance d’un avocat. Il reconnut appartenir à l’organisation en question et décrivit en détail son activité en son sein.
7.  Le 8 octobre 1998, le requérant fut entendu par le procureur de la République. Il réitéra sa déposition faite devant les gendarmes.
8.  Le 9 octobre 1998, il fut traduit devant le tribunal d’instance pénal de Bismil. Il reconnut partiellement les faits qui lui étaient reprochés. Le juge ordonna sa mise en détention provisoire.
9.  Par un acte d’accusation du 2 novembre 1998, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır inculpa vingt-sept personnes dont le requérant d’appartenance à une organisation illégale.
10.  Le requérant bénéficia de l’assistance d’un avocat tout au long de la procédure devant les tribunaux internes.
11.  Le 16 février 1999, la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır entendit le requérant. Il revint sur sa déposition faite devant la police et contesta les actes d’enquêtes effectués lors de sa garde à vue au motif qu’ils avaient été obtenus sous la contrainte.
12.  Le 18 juin 1999, la Grande Assemblée nationale de Turquie modifia l’article 143 de la Constitution et exclut les magistrats militaires (du siège comme du parquet) de la composition des cours de sûreté de l’Etat. Des modifications dans le même sens furent apportées le 22 juin 1999 à la loi sur les cours de sûreté de l’Etat. En conséquence, le juge militaire qui participait au procès du requérant fut remplacé par un magistrat civil.
13.  A l’audience du 22 juillet 1999, le magistrat désigné pour remplacer le juge militaire siégea pour la première fois au sein de la cour de sûreté de l’Etat. Cette dernière constata que le nouveau juge avait déjà lu le dossier et les procès-verbaux.
14.  Au cours de l’audience du 11 avril 2000, le procureur de la République présenta ses réquisitions sur le fond de l’affaire. Les juges accordèrent des délais aux accusés et à leurs avocats pour la préparation de leur défense.
15.  Lors des audiences qui eurent lieu entre le 17 août 2000 et le 17 avril 2001, les avocats demandèrent des délais supplémentaires pour présenter la défense de leurs clients.
16.  La dix-neuvième audience, tenue le 5 juin 2001, fut consacrée à la présentation de la défense des accusés.
17.  Par un arrêt du 5 juin 2001, la cour de sûreté condamna le requérant à douze ans et six mois d’emprisonnement pour appartenance à une organisation illégale, en application de l’article 168 § 2 de l’ancien code pénal. A l’appui de leur décision, les juges se fondèrent sur les déclarations que le requérant avait faites devant les gendarmes, devant le procureur et devant le juge d’instance pénal de Bismil.
18.  Le requérant se pourvut en cassation, en sollicitant la tenue d’une audience publique.
19.  Le 12 mars 2002, après avoir tenu une audience, la Cour de cassation confirma le jugement attaqué, dans le chef du requérant. L’arrêt fut prononcé le 13 mars 2002.
EN DROIT
20.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant allègue que sa cause n’a pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial du fait qu’un juge militaire a siégé pendant une partie de la procédure au sein de la cour de sûreté de l’Etat qui l’a jugé. L’intéressé voit en outre une violation de ses droits de la défense dans le fait qu’il s’est vu dénier l’accès à un avocat pendant sa garde à vue. Il invoque l’article 6 § 3 c) de la Convention.
21.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes et soutient qu’à aucun moment de la procédure devant les juridictions nationales le requérant n’a soulevé son grief tiré de l’indépendance et de l’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat eu égard au fait qu’un juge militaire y siégeait. Concernant l’accès à un avocat pendant la garde à vue, le Gouvernement considère que ce grief se heurte au non-respect du délai de six mois dans la mesure où la fin de la garde à vue de l’intéressé date du 9 octobre 1998. En outre, il fait observer que le requérant n’a pas sollicité l’assistance d’un avocat et renvoie par ailleurs à la décision Ahmet Yavuz c. Turquie (no 38827/02, 21 novembre 2006).
22.  La Cour rappelle qu’elle a déjà rejeté des exceptions similaires (Özer et autres c. Turquie, no 48059/99, §§ 18-20, 22 avril 2004, et Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, 27 novembre 2008). En l’espèce, elle n’aperçoit aucune circonstance particulière pour parvenir à une conclusion différente et ne relève aucun autre des motifs d’irrecevabilité énoncés à l’article 35 de la Convention. Dès lors, elle déclare ces griefs recevables.
23.  Quant au fond, la Cour note qu’après le remplacement du juge militaire, aucune des mesures prises jusqu’alors relative à l’exercice des droits de la défense du requérant n’a été reconsidérée ni renouvelée (voir paragraphe 13 ci-dessus, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 113, CEDH 2005-IV, et Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV). Dans ces conditions, elle considère que le remaniement opéré dans la composition de la formation de jugement ne pouvait suffire pour dissiper les doutes nourris par le requérant quant à l’indépendance et à l’impartialité objectives du tribunal qui l’a jugé (Şimşek c. Turquie, no 68881/01, § 76, 20 mai 2008). Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention de ce chef.
24.  S’agissant du grief tiré de l’article 6 § 3 c) de la Convention concernant la privation de l’assistance d’un avocat lors de la garde à vue du requérant, la Cour renvoie à son arrêt Salduz, précité, et conclut, pour les mêmes motifs, à la violation de ladite disposition combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention (Gülbahar et Tut c. Turquie, no 24468/03, § 10, 24 février 2009).
25.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint également de la durée de la procédure pénale engagée à son encontre. Il allègue aussi une violation de l’article 6 § 2 de la Convention du fait de la durée de sa détention provisoire. Il invoque enfin l’article 13 de la Convention.
26.  Concernant ces griefs, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. Il convient donc de les écarter pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
27.  Reste la question de l’application de l’article 41 de la Convention. Le requérant réclame 70 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi et 5 040 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. A titre de justificatif, il fournit un décompte horaire et le barème d’honoraires du barreau de Diyarbakır.
28.  Quant au préjudice moral, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 1 000 EUR.
29.  Cela étant, elle estime qu’en principe, le redressement le plus approprié serait de faire rejuger le requérant en temps utile par un tribunal indépendant et impartial, si l’intéressé le demande (Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003, et Öcalan, précité, § 210).
30.  Quant aux frais et dépens, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR, tous frais confondus, et l’accorde au requérant.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’indépendance et l’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır et de l’absence de l’assistance d’un avocat lors de la garde à vue
2.  Déclare le restant de la requête irrecevable ;
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison du manque d’indépendance et l’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır ;
4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 à raison du fait que le requérant n’a pu se faire assister d’un avocat pendant sa garde à vue ;
5.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour dommage moral et 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, ces sommes étant à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 mai 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Ireneu Cabral Barreto   Greffière adjointe Président
1.  « Parti des travailleurs du Kurdistan », une organisation illégale.
ARRÊT GÜRSEL ÇELİK c. TURQUIE
ARRÊT GÜRSEL ÇELİK c. TURQUIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de P1-1

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) ORIGINE NATIONALE, (Art. 35-3) RATIONE MATERIAE, (Art. 35-3) RATIONE PERSONAE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, (Art. 8-2) INGERENCE


Parties
Demandeurs : GÜRSEL ÇELIK
Défendeurs : TURQUIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 05/05/2009
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 5243/03
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-05-05;5243.03 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award