La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/05/2009 | CEDH | N°32800/02

CEDH | AFFAIRE ELIAS c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE ELIAS c. ROUMANIE
(Requête no 32800/02)
ARRÊT
STRASBOURG
12 mai 2009
DÉFINITIF
12/08/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Elias c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Boštjan M. Zupančič,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Egbert Myjer,   Luis López Guerra,   Ann Power, juges,  et de Stanley Naismith, greffier adjoint de

section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 avril 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE ELIAS c. ROUMANIE
(Requête no 32800/02)
ARRÊT
STRASBOURG
12 mai 2009
DÉFINITIF
12/08/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Elias c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Boštjan M. Zupančič,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Egbert Myjer,   Luis López Guerra,   Ann Power, juges,  et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 avril 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 32800/02) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet État ayant également la nationalité allemande, M. Josep Elias et Mme Sana Elias (« les requérants »), ont saisi la Cour le 9 juillet 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Les requérants allèguent une atteinte à leur droit de propriété garanti par l’article 1 du Protocole no 1, compte tenu de l’impossibilité dans laquelle ils se trouvent de jouir de leur droit à indemnisation pour un bien immobilier, en vertu de la législation interne sur les restitutions.
4.  Le 4 avril 2008, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire. En vertu de l’article 44 § 1 a) de son règlement, elle a également communiqué une copie de la requête au gouvernement allemand, qui n’a pas souhaité intervenir.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5.  Les requérants, mari et femme, sont nés respectivement en 1929 et 1931 et résident à Kempten, en Allemagne.
6.  En 1983, la maison des requérants située à Lugoj fut nationalisée en raison de leur départ à l’étranger. La maison fut ensuite occupée par des tierces personnes en vertu de contrats de location conclus avec l’État (« les locataires »).
7.  Le 21 août 1996, la commission départementale de Timiş pour l’application de la loi no 112/1995 rejeta la demande des requérants visant à la restitution de la maison. Par un jugement du 3 septembre 1997, le tribunal de première instance de Lugoj rejeta la contestation des requérants contre cette solution. Le tribunal retint que les requérants avaient reçu 55 766 lei roumains (ROL) lors de la nationalisation du bien et qu’en tout état de cause le bien était occupé par des locataires. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les requérants ont interjeté appel de ce jugement.
8.  Le 18 mai 2001, par l’intermédiaire d’un huissier de justice, les requérants adressèrent à la mairie de Lugoj une notification fondée sur la loi no 10/2001 en vue de la restitution en nature du bien. Ils faisaient valoir qu’ils n’avaient pas été autorisés à prendre à l’étranger la somme qui leur avait été accordée à titre de dédommagements à l’occasion de la nationalisation de leur maison.
9.  Le 3 juillet 2001, la mairie informa les requérants que la restitution en nature n’était pas possible, puisque la maison avait été achetée par les locataires. Elle leur communiqua également qu’ils avaient la possibilité d’opter pour des mesures de réparation par équivalence.
10.  Par une décision du 31 janvier 2002, la société M., qui administrait les biens du patrimoine de l’État, rejeta la demande de restitution en nature du bien et établit que les requérants avaient le droit de se voir accorder 249 077 947 ROL à titre de dédommagements. La société précisa qu’elle avait pris en compte la valeur imposable du bien, telle qu’elle ressortait des documents fournis par la direction économique de la mairie et qu’elle avait diminué cette valeur avec le montant réactualisé des dédommagements qui auraient été accordés aux requérants en 1983. Les requérants ne contestèrent pas cette décision.
11.  Le 9 juillet 2002, les requérants informèrent le greffe de la Cour qu’en mai 2002, en réponse à leur demande de renseignements sur la date à laquelle ils pourront obtenir les dédommagements, les autorités les avaient informés qu’elles ne disposaient pas encore de fonds. Par la même lettre, ils firent valoir qu’ils n’ont pas été autorisés à prendre avec eux à l’étranger les dédommagements accordés en 1983, de sorte que la somme en question s’est dépréciée en Roumanie. Ils estimèrent également que la somme accordée par la décision du 31 janvier 2002 était dérisoire. Par une lettre du 6 novembre 2002, les requérants réitérèrent qu’ils n’avaient pas touché les dédommagements accordés par cette décision en raison du manque allégué de fonds.
12.  Par une lettre du 14 novembre 2005 transmise par le Gouvernement en annexe à ses observations, la mairie communiqua aux requérants qu’elle avait transmis leur dossier à la Commission centrale de l’Autorité nationale pour la restitution des propriétés (ANRP) en vue de se voir accorder les dédommagements établis par la décision du 31 janvier 2002.
13.  Le 16 mai 2008, ANRP informa le Gouvernement que le dossier des requérants n’avait pas encore été sélectionné afin d’être examiné.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
14.  Les dispositions légales (y compris celles de la loi no 10/2001 sur le régime juridique des biens immobiliers pris abusivement par l’État) et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, §§ 31-44, CEDH 1999-VII), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, §§ 19-26, CEDH 2005-VII), Păduraru c. Roumanie (no 63252/00, §§ 23-53, CEDH 2005-XII (extraits)) et Tudor c. Roumanie (no 29035/05, §§ 15–20, 17 janvier 2008).
III.  LES TEXTES DU CONSEIL DE L’EUROPE
15.  Dans sa Résolution Res(2004)3 relative aux arrêts révélant un problème structurel sous-jacent, adoptée 12 mai 2004, le Comité des Ministres a indiqué ce qui suit :
« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,
Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres, et que l’un des moyens les plus importants pour atteindre ce but est la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
Réaffirmant sa conviction que la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (ci-après dénommée «la Convention») doit demeurer le point de référence essentiel dans le domaine de la protection des droits de l’homme en Europe et rappelant son engagement à prendre des mesures visant à garantir l’efficacité à long terme du système de contrôle institué par la Convention;
Rappelant le caractère subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention, qui présuppose, conformément à son article 1er, que les droits et libertés garantis par la Convention soient protégés tout d’abord par le droit interne et appliqués par les autorités nationales;
Se félicitant à cet égard de ce que la Convention fait aujourd’hui partie intégrante de l’ordre juridique interne de l’ensemble des États parties;
Rappelant que, en vertu de l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après dénommée «la Cour») dans les litiges auxquels elles sont parties et que l’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution;
Soulignant l’intérêt d’aider l’État concerné à identifier les problèmes sous-jacents et les mesures d’exécution nécessaires;
Estimant que la mise en œuvre des arrêts serait facilitée si l’existence d’un problème structurel était déjà identifiée dans l’arrêt de la Cour;
Gardant à l’esprit les observations faites sur cette question par la Cour elle-même lors de la session du Comité des Ministres du 7 novembre 2002;
Invite la Cour:
I.  dans toute la mesure du possible, à identifier dans les arrêts où elle constate une violation de la Convention ce qui, d’après elle, révèle un problème structurel sous-jacent et la source de ce problème, en particulier lorsqu’il est susceptible de donner lieu à de nombreuses requêtes, de façon à aider les États à trouver la solution appropriée et le Comité des Ministres à surveiller l’exécution des arrêts;
II.  à signaler spécialement tout arrêt comportant des indications sur l’existence d’un problème structurel et sur la source de ce problème non seulement à l’État concerné et au Comité des Ministres, mais aussi à l’Assemblée parlementaire, au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et au Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, et à signaler de manière appropriée ces arrêts dans la base de données de la Cour. »
16.  La recommandation du Comité des ministres Rec(2004)6 sur l’amélioration des recours internes, adoptée le 12 mai 2004, se lit ainsi :
« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,
Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres, et que l’un des moyens les plus importants pour atteindre ce but est la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
Réaffirmant sa conviction que la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (ci-après dénommée «la Convention») doit demeurer le point de référence essentiel dans le domaine de la protection des droits de l’homme en Europe et rappelant son engagement à prendre des mesures visant à garantir l’efficacité à long terme du système de contrôle institué par la Convention;
Rappelant le caractère subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention, qui présuppose, conformément à son article 1er, que les droits et libertés garantis par la Convention soient protégés tout d’abord par le droit interne et appliqués par les autorités nationales;
Se félicitant à cet égard de ce que la Convention fait aujourd’hui partie intégrante de l’ordre juridique interne de l’ensemble des États parties;
Soulignant que, ainsi que l’article 13 de la Convention l’exige, les États membres se sont engagés à ce que toute personne pouvant alléguer de manière défendable une violation de ses droits et libertés reconnus dans la Convention ait droit à un recours effectif devant une instance nationale;
Rappelant que, au-delà de l’obligation de s’assurer de l’existence de tels recours effectifs au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après dénommée «la Cour»), les États ont l’obligation générale de remédier aux problèmes sous-jacents aux violations constatées;
Soulignant qu’il appartient aux États membres d’assurer que les recours internes soient effectifs en droit et en pratique, et qu’ils puissent aboutir à une décision sur le bien-fondé du grief et à un remède approprié de toute violation constatée;
Notant que la nature et le nombre des requêtes portées devant la Cour et les arrêts qu’elle rend démontrent plus que jamais le besoin, pour les États membres, de s’assurer de manière efficace et régulière que de tels recours existent en toute circonstance en particulier dans le cas de durée excessive de procédures juridictionnelles;
Estimant que la disponibilité de recours internes effectifs pour toutes les allégations défendables de violations de la Convention devrait permettre de réduire la charge de travail de la Cour, en raison, d’une part, de la réduction du nombre des affaires qui lui parviennent et, d’autre part, du fait que le traitement circonstancié des affaires au plan national est de nature à faciliter leur examen ultérieur par la Cour;
Soulignant que l’amélioration des recours au niveau national, tout particulièrement en matière d’affaires répétitives, devrait également contribuer à réduire la charge de travail de la Cour;
Recommande aux États membres, en tenant compte des exemples de bonnes pratiques figurant en annexe:
I.  de s’assurer par un suivi constant, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, que des recours internes existent pour toute personne alléguant d’une façon défendable une violation de la Convention et que ces recours sont effectifs, dans la mesure où ils permettent d’aboutir à une décision sur le bien-fondé du grief et à un remède approprié de toute violation constatée;
II.  de réexaminer, à la suite d’arrêts de la Cour qui révèlent des défaillances structurelles ou générales dans le droit ou la pratique de l’État, l’effectivité des recours internes existants et, le cas échéant, mettre en place des recours effectifs afin d’éviter que des affaires répétitives ne soient portées devant la Cour;
III.  de porter une attention particulière, dans le cadre des points I et II ci-dessus, à l’existence de recours effectifs en cas d’allégation défendable de durée excessive des procédures juridictionnelles;
Charge le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de déployer les moyens nécessaires pour octroyer une assistance appropriée aux États membres qui le demanderaient, afin de les aider à mettre en œuvre la présente recommandation. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
17.  Les requérants estiment que l’impossibilité dans laquelle ils se trouvent de jouir du droit d’être indemnisés pour leur maison nationalisée constituent une atteinte au droit au respect des biens. Ils invoquent en substance l’article 1 du Protocole no 1 qui est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A.  Sur la recevabilité
18.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
19.  Le Gouvernement insiste sur le fait que les requérants ont fait usage de la possibilité de s’adresser aux autorités administratives afin de se voir accorder des dédommagements en vertu de la loi no 10/2001. Selon le Gouvernement, le mécanisme mis en place par cette dernière loi, telle que modifiée par la loi no 247/2005, et portant sur la création du fonds Proprietatea est de nature à offrir aux intéressés des dédommagements correspondant aux exigences de la jurisprudence de la Cour. Il soumet également qu’il y a environ 6 000 titres de dédommagements émis par la Commission centrale. Le Gouvernement conclut que le juste équilibre a été maintenu entre l’intérêt général et le respect des droits individuels des requérants.
20.  Les requérants font valoir qu’ils ont fait des efforts depuis douze ans pour récupérer leur maison et qu’ils n’ont touché non plus des dédommagements.
21.  La Cour observe que par la décision du 31 janvier 2002, la société M. a reconnu aux requérants le droit de se voir accorder 249 077 947 ROL à titre de dédommagements pour la maison en question. Les requérants disposaient dès lors d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Par conséquent, le défaut de paiement des dédommagements jusqu’à ce jour constitue une ingérence dans leur droit au respect de leurs biens. La Cour doit dès lors examiner si l’ingérence dénoncée se justifie sous l’angle de cette disposition.
22.  Afin de déterminer si un juste équilibre a été ménagé entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde du droit au respect des biens des requérants, elle est appelée à examiner si le délai nécessaire aux autorités roumaines afin de payer une indemnité aux intéressés n’a pas placé sur ceux-ci une charge disproportionnée et excessive. La Cour rappelle à cet égard que les États disposent d’une marge d’appréciation étendue pour déterminer ce qui est dans l’intérêt public, surtout lorsqu’il s’agit d’adopter et d’appliquer de mesures de reforme économique ou de justice sociale (Ramadhi et 5 autres c. Albanie, no 38222/02, § 79, 13 novembre 2007).
23.  En l’espèce, plus de sept ans se sont écoulés à ce jour depuis la décision susmentionnée, sans que les requérants se soient vu verser de dédommagements. Pour ce qui est de l’argument du Gouvernement selon lequel le mécanisme mis en place par la loi no 247/2005 est de nature à offrir des dédommagements appropriés, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que le fonds Proprietatea ne fonctionne actuellement pas d’une manière susceptible d’aboutir à l’octroi effectif d’une indemnité aux requérants (voir, parmi d’autres, Tudor, précité, § 33).
24.  Dans ces conditions, à supposer même que le Gouvernement ait pu démontrer que l’ingérence dans le droit des requérants était prévue par la loi et servait une cause d’utilité publique, la Cour estime que le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété des requérants et les exigences d’intérêt général a été rompu et que les intéressés ont supporté une charge spéciale et exorbitante.
25.  Partant, la Cour conclut il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
26.  L’article 46 de la Convention dispose :
« 1.  Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2.  L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
27.  La Cour constate que la violation du droit des requérants au respect de leurs biens tel que le garantit l’article 1 du Protocole no 1 tire son origine d’un problème à grande échelle résultant du dysfonctionnement du mécanisme mis en place par la loi no 10/2001, telle que modifiée par la loi no 247/2005, lequel n’a pas abouti à ce jour à l’octroi effectif d’une indemnité aux personnes bénéficiaires des mesures de réparation prévues par cette loi.
28.  La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation, l’État défendeur a l’obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41, mais aussi de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à intégrer dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences. L’État défendeur demeure libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 192, CEDH 2004-V).
29.  Concernant les mesures destinées à garantir l’effectivité du mécanisme établi par la Convention, la Cour attire l’attention sur la résolution (Res(2004)3) et la recommandation (Rec(2004)6) du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adoptées le 12 mai 2004 (paragraphes 15­16 ci-dessus).
30.  Bien qu’en principe il ne lui appartienne pas de définir quelles peuvent être les mesures de redressement appropriées pour que l’État défendeur s’acquitte de ses obligations au regard de l’article 46 de la Convention, eu égard à la situation de caractère structurel qu’elle constate, la Cour observe que des mesures générales au niveau national s’imposent sans aucun doute dans le cadre de l’exécution du présent arrêt (Broniowski précité, § 193).
31.  Pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour a cherché, à titre purement indicatif, le type de mesures que l’État roumain pourrait prendre pour mettre un terme à la situation structurelle constatée en l’espèce. Elle considère que l’État défendeur doit garantir, dans les plus brefs délais, par des mesures législatives, administratives et budgétaires appropriées, la réalisation effective et rapide du droit à réparation, conformément aux principes de la prééminence du droit et de la légalité de la protection des droits patrimoniaux énoncés à l’article 1 du Protocole no 1, en tenant compte des principes énoncés par la jurisprudence de la Cour en matière d’indemnisation (arrêt Broniowski précité, §§ 176 et 186).
32.  En particulier, l’État doit aménager la procédure mise en place par les lois de réparation (actuellement les lois nos 10/2001 et 247/2005) de sorte qu’elle devienne réellement cohérente, accessible, rapide et prévisible, y compris en ce qui concerne la méthode pour choisir les dossiers qui seront traités par la commission centrale (voir également, mutatis mutandis, Viaşu c. Roumanie, no 75951/01, §§ 82-83, 9 décembre 2008 ; Faimblat c. Roumanie, no 23066/02, §§ 53-54, 13 janvier 2009 ; Katz c. Roumanie, no 29739/03, §§ 35-36, 20 janvier 2009 ; Deneş et autres c. Roumanie, no 25862/03, § 66, 3 mars 2009, les trois derniers arrêts n’étant pas encore définitifs).
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
33.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
34.  Les requérants insistent sur la restitution en nature de leur maison. Ils notent également avoir engagé des frais considérables et avoir connu des souffrances pour essayer de recouvrer leur bien. Ils estiment que leur dommage dépasse 10 000 EUR, mais précisent être prêts à renoncer à cette somme s’ils pouvaient se voir restituer leur maison. Dans la négative, ils laissent à l’appréciation de la Cour leur situation. Les requérants précisent également ne pas avoir conservé les justificatifs de leurs frais, sauf un reçu attestant le paiement d’une somme de 250 000 ROL à l’huissier de justice le 18 mai 2001 pour la notification adressée à la mairie. Une copie de ce reçu fut versée au dossier par les intéressés.
35.  Le Gouvernement note que les requérants n’ont pas contesté la décision du 31 janvier 2002, par laquelle ils s’étaient vu accorder 249 077 947 ROL. Dès lors, ils ne pourront demander la restitution en nature du bien, mais uniquement la valeur actualisée des dédommagements. S’appuyant sur les données fournies par l’Institut national de Statistique pour le mois de septembre 2008, le Gouvernement considère que la valeur réactualisée de la somme en question est de 449 162 261 ROL, soit 12 051,25 EUR.
36.  Le Gouvernement estime que les requérants n’ont pas formé une demande proprement dite pour le dommage moral et note qu’ils n’ont fourni qu’un seul justificatif des frais.
37.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
38.  En l’espèce, compte tenu de la nature de la violation constatée, la Cour considère que les requérants ont subi un préjudice matériel et moral, lequel n’est pas suffisamment compensé par le constat de violation.
39.  La Cour note également que les requérants ne disposent d’aucune décision judiciaire ou administrative leur reconnaissant le droit de se voir restituer le bien en nature. Dès lors, elle rejette cette demande.
40.  Elle relève toutefois qu’une décision administrative, que les requérants n’ont pas contestée, a fixé le montant des dédommagements. Dès lors, elle estime que le paiement de ces dédommagements, réactualisés sur la base du taux de l’inflation, et complétés par une somme à titre de dommage moral et de frais et dépens, placerait les intéressés dans une situation équivalant autant que possible à celle où ils se trouveraient si les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 n’avaient pas été méconnues.
41.  Partant, sur la base des éléments se trouvant en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue aux requérants conjointement la somme de 14 000 EUR, pour tous préjudices et frais confondus.
C.  Intérêts moratoires
42.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
3.  Dit
a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 14 000 EUR (quatorze mille euros), pour tous préjudices et frais confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b)  que la somme susmentionnée sera à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
c)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 mai 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Josep Casadevall   Greffier adjoint Président
ARRÊT ELIAS c. ROUMANIE
ARRÊT ELIAS c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (cinquième section)
Numéro d'arrêt : 32800/02
Date de la décision : 12/05/2009
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 8 ; Préjudice moral - réparation

Analyses

(Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE FAMILIALE


Parties
Demandeurs : ELIAS
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-05-12;32800.02 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award