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19/05/2009 | CEDH | N°18353/03

CEDH | AFFAIRE KULIKOWSKI c. POLOGNE


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE KULIKOWSKI c. POLOGNE
(Requête no 18353/03)
ARRÊT
[EXTRAITS]
STRASBOURG
19 mai 2009
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kulikowski c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Lech Garlicki,   Giovanni Bonello,  Ljiljana Mijović,   Päivi Hirvelä,   Ledi Bianku,   Nebojša Vučinić, juges,  et de Lawrence Early, greffier de section,<

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Rend l’arrêt que voici, adopté à cette...

QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE KULIKOWSKI c. POLOGNE
(Requête no 18353/03)
ARRÊT
[EXTRAITS]
STRASBOURG
19 mai 2009
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kulikowski c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Lech Garlicki,   Giovanni Bonello,  Ljiljana Mijović,   Päivi Hirvelä,   Ledi Bianku,   Nebojša Vučinić, juges,  et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 avril 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 18353/03) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Adam Kulikowski (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 mai 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. J. Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères. Le requérant est représenté par Me B. Słupska-Uczkiewicz, avocate à Wrocław.
3.  Dans sa requête, M. Kulikowski alléguait en particulier que la durée de sa détention provisoire avait dépassé le « délai raisonnable » visé à l’article 5 § 3 de la Convention. Sous l’angle de l’article 6 § 1 lu conjointement avec l’article 6 § 3 c), il se plaignait également de ne pas avoir eu accès à la Cour suprême. Enfin, il voyait dans le fait que, pendant sa détention provisoire, il n’avait pas été autorisé à voir ses fils mineurs et sa correspondance avec eux avait été interceptée, une atteinte à son droit au respect de la vie familiale et de la correspondance garanti par l’article 8 de la Convention.
4.  Le 27 septembre 2007, le président de la quatrième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.
5.  Le Gouvernement n’a pas répondu aux questions que lui a posées la Cour.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6.  Le requérant est né en 1964. Il purge actuellement une peine de prison.
1.  La détention provisoire du requérant
7.  Le 22 mars 2000, le requérant, soupçonné d’avoir tué sa mère, fut arrêté. Le 24 mars 2000, il fut placé en détention provisoire par le tribunal de district (Sąd Rejonowy) de Gliwice. Le 19 juin 2000, le tribunal régional (Sąd Okręgowy) de Katowice ordonna son maintien en détention provisoire. La cour d’appel (Sąd Apelacyjny) de Katowice fit de même le 6 septembre 2000, ainsi que le tribunal régional de Gliwice le 5 mars et le 13 juillet 2001 et la cour d’appel de Katowice le 13 mars, le 29 mai, le 10 juillet et le 28 août 2002.
8.  Les juridictions internes justifièrent le maintien du requérant en détention provisoire dans un premier temps par l’existence d’éléments à charge puissants et par la probabilité qu’une peine sévère soit imposée, ainsi que par la nécessité de garantir le bon déroulement de la procédure. Pendant ce temps, il fut procédé à une autopsie, à plusieurs tests biologiques et à l’inspection des lieux du crime. Par la suite, les autorités justifièrent le maintien en détention du requérant par la gravité de la peine encourue. Elles soulignèrent également que, pour des raisons indépendantes de la volonté du procureur, à savoir des retards dans la remise des expertises et dans le visionnement de la déposition audiovisuelle du requérant, l’enquête n’avait pas pu être menée à son terme.
9.  Du 17 décembre 2001 au 2 janvier 2002, le requérant purgea en outre une peine de seize jours d’emprisonnement, qui lui avait été imposée dans une autre affaire pénale par le tribunal de district de Zabrze à une date non précisée.
2.  La procédure pénale dirigée contre le requérant
10.  Au cours de l’enquête, les fils mineurs du requérant et sa femme furent appelés à témoigner. En mai 2002, le procureur décida qu’un psychologue devrait être présent lorsque le fils cadet serait interrogé par l’accusation. Il semblerait qu’il ait aussi interrogé le fils aîné, à une date non précisée. Le requérant se plaint que sa femme et ses deux fils n’aient pas été autorisés, pendant une période non précisée, à communiquer avec lui par écrit ni à lui rendre visite en prison, l’accusation s’appuyant à cet égard sur l’article 217 du code pénal exécutif (paragraphe 30 ci-dessous).
11.  Le requérant fut inculpé le 20 novembre 2000. Il fut représenté en première et en deuxième instance par un avocat commis d’office.
12.  Le 14 août 2002, le tribunal régional de Gliwice le jugea coupable de meurtre et le condamna à douze années d’emprisonnement.
13.  Le 19 décembre 2002, la cour d’appel de Katowice confirma ce jugement. Une copie de l’arrêt fut communiquée au requérant le 17 janvier 2003.
3.  La procédure de pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel
14.  Le 21 février 2003, la cour d’appel de Katowice désigna une avocate commise d’office pour la procédure en cassation.
15.  Le 3 mars 2003, une copie de l’arrêt du 19 décembre 2002 fut communiquée à l’avocate commise d’office.
16.  Par une lettre du 20 mars 2003, l’avocate informa la cour d’appel de Katowice qu’à son avis, un pourvoi en cassation devant la Cour suprême était peu susceptible d’aboutir dans le cas du requérant, et qu’elle refusait donc de préparer et d’introduire un tel pourvoi. Par une lettre du 27 mars 2003, la cour d’appel de Katowice informa le requérant du refus de l’avocate et de ce qu’aucun autre avocat commis d’office ne serait désigné pour le défendre en cassation.
17.  La lettre de la cour d’appel fut remise au requérant par l’administration pénitentiaire le 1er avril 2003.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
2.  Le pourvoi en cassation
19.  En vertu de la loi du 6 juin 1997 portant adoption du code de procédure pénale («  le code »), entrée en vigueur le 1er septembre 1998, les parties à une procédure pénale peuvent se pourvoir en cassation devant la Cour suprême contre les décisions définitives des cours d’appel mettant fin à la procédure pénale. Le pourvoi doit être introduit et signé par un avocat, sous peine d’irrecevabilité. En sa partie pertinente, l’article 523 § 1 du code dispose :
« Il ne peut être introduit de pourvoi en cassation que pour les motifs visés à l’article 439 [ces motifs ont trait à des irrégularités de procédure, par exemple en ce qui concerne la composition de la formation de jugement, l’assistance juridique dans les cas où celle-ci est obligatoire, les règles de compétence en matière pénale, les jugements par défaut lorsque la présence de l’accusé est obligatoire (possibilité de s’exprimer pour sa défense), etc.] ou en raison d’une autre violation flagrante des règles de droit ayant modifié l’issue de la décision de justice concernée. La sévérité de la peine imposée n’est pas un motif de pourvoi (niewspółmierności kary). »
20.  En vertu de l’article 524 § 1 du code, le pourvoi en cassation doit être introduit devant la juridiction d’appel compétente pour procéder à un premier examen de la recevabilité dans un délai de trente jours à compter de la date de communication de la décision écrite motivée de la juridiction d’appel à l’intéressé où, s’il était représenté, à son avocat.
3.  L’assistance juridique aux fins de l’introduction du pourvoi en cassation
21.  En vertu de l’article 83 du code, l’accusé peut désigner un avocat pour le représenter à la procédure pénale. S’il n’a pas les moyens de s’acquitter des frais d’avocat, il peut introduire une demande d’aide judiciaire en vertu de l’article 78 du code.
22.  Le bénéfice de l’aide judiciaire expire avec la décision de la juridiction d’appel. Si le condamné souhaite poursuivre la procédure en introduisant un pourvoi en cassation devant la Cour suprême, une nouvelle décision d’attribution d’aide judiciaire est nécessaire. En sa partie pertinente à cet égard, l’article 84 § 3 du code dispose :
« L’avocat de la défense désigné pour la procédure en cassation en vertu du programme d’aide judiciaire (...) prépare et signe le pourvoi en cassation (...) ou informe la cour par écrit du fait qu’il n’a décelé aucun motif d’introduction d’un pourvoi (...) Si le pourvoi en cassation (...) est introduit, l’avocat de la défense est habilité à représenter l’accusé pour la suite de la procédure. »
23.  Dans une décision du 17 juin 1997 (V KX 57/97, OSNKW 1997/9-010/82), la Cour suprême releva que la procédure en cassation présentait la particularité de concerner une décision de justice devenue définitive, dès lors qu’elle avait été confirmée par la juridiction d’appel. Compte tenu de cette particularité, la haute juridiction était d’avis qu’à ce stade, le simple fait que le condamné ait bénéficié de l’aide judiciaire était suffisant pour garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense : selon elle, il incombait à l’avocat d’analyser le dossier et d’apprécier l’existence de motifs fondant l’introduction d’un pourvoi en cassation contre la décision de la juridiction d’appel ; et s’il estimait que de tels motifs n’étaient pas présents, il n’y avait de base légale dans le code de procédure pénale ni pour l’obliger à introduire un recours qu’il estimait voué à l’échec ni pour obliger les juges à désigner un autre avocat à cette fin.
24.  Dans une décision du 25 mars 1998, la Cour suprême jugea que le fait que l’avocat commis d’office ait refusé d’introduire un pourvoi en cassation ne constituait pas un motif valable pour proroger rétroactivement le délai d’introduction du pourvoi afin de permettre à l’auteur de la saisir tardivement par l’intermédiaire d’un autre avocat (V KZ 12/98). La haute juridiction confirma ensuite cette analyse dans une autre décision en date du 1er décembre 1999. Elle estima alors que les juges ne devaient désigner un nouvel avocat commis d’office dans l’affaire que s’il avait été démontré que le premier avocat s’était montré négligent lorsqu’il avait apprécié les chances de succès du pourvoi ; et que, dans le cas contraire, ils n’étaient pas tenus de désigner un nouvel avocat commis d’office pour représenter la personne condamnée, et leur refus n’était pas susceptible de recours (III KZ 139/99).
25.  Dans une décision du 1er juillet 1999, la Cour suprême considéra que pareille négligence ne pouvait être prouvée qu’au moyen d’une procédure disciplinaire engagée contre l’avocat en vertu des dispositions de la loi sur le barreau (V KZ 33/99).
26.  Dans des décisions en date respectivement du 13 mars et du 17 septembre 2002, elle estima que lorsqu’un avocat commis d’office refusait de représenter un condamné devant elle, les juges d’appel n’étaient pas tenus de désigner un nouvel avocat (II KZ 11/02, II KZ 36/02).
27.  Le 26 février 2002, la Cour suprême révisa sa position relative à la date à compter de laquelle le délai d’introduction du pourvoi en cassation commençait à courir (paragraphe 20 ci-dessus). Elle jugea que lorsque l’avocat commis d’office avait refusé de représenter la personne condamnée aux fins de la procédure en cassation au motif qu’un pourvoi n’aurait présenté aucune perspective de succès, la juridiction d’appel était tenue d’indiquer à l’intéressé que le délai d’introduction du pourvoi ne commençait à courir qu’à la date à laquelle celui-ci se voyait communiquer le refus de l’avocat, et non à la date à laquelle la décision de la juridiction d’appel lui avait été communiquée. Elle estima qu’il ne faisait pas de doute qu’un accusé confronté au refus de l’avocat commis d’office de le défendre avait le droit de prendre d’autres mesures pour obtenir l’assistance juridique nécessaire aux fins de l’introduction d’un pourvoi en cassation (III KZ 87/01). La Cour suprême a réitéré cette analyse dans une décision du 6 mai 2008 puis dans plusieurs décisions analogues rendues la même année. Elle a alors observé qu’il existait certaines incohérences dans la pratique judiciaire quant au mode de calcul du délai en pareil cas, mais que, pour l’essentiel, la jurisprudence suivait, à juste titre, sa décision de février 2002, et que la doctrine reconnaissait que ce mode de calcul offrait aux accusés des garanties procédurales adéquates en matière d’accès à la procédure en cassation dans un délai raisonnable (II KZ 16/08).
III.  LES TEXTES PERTINENTS AUTRES QUE LA CONVENTION
32.  En 1990, l’ONU a adopté les Principes de base relatifs au rôle du barreau (les Principes de base). Ils prévoient notamment ceci :
« 13. Les avocats ont les devoirs suivants envers leurs clients :
a)  Les conseiller quant à leurs droits et obligations juridiques et quant au fonctionnement du système juridique, dans la mesure où cela a des incidences sur lesdits droits et obligations juridiques ;
b)  Les assister par tous les moyens appropriés et prendre les mesures juridiques voulues pour préserver leurs intérêts ;
c)  Les assister devant les tribunaux ou autorités administratives, le cas échéant.
14.  En protégeant les droits de leurs clients et en promouvant la cause de la justice, les avocats doivent chercher à faire respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales reconnus par le droit national et international et agissent à tout moment librement et avec diligence, conformément à la loi et aux normes reconnues et à la déontologie de la profession d’avocat.
15.  Les avocats servent toujours loyalement les intérêts de leurs clients. »
33.  Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté plusieurs recommandations relatives à l’accès à la justice et à l’apport de services d’aide judiciaire, notamment la recommandation no R (81) 7 sur les moyens de faciliter l’accès à la justice, qui indique notamment ceci :
« 4. Aucune partie ne doit être empêchée de se faire assister par un avocat. Le recours obligatoire d’une partie aux services de plusieurs professionnels du droit pour les besoins du même litige doit être évité, lorsqu’une telle pluralité de services n’est pas indispensable. Lorsque, en raison de la nature de l’affaire, il serait opportun, en vue de faciliter l’accès des particuliers à la justice, de leur permettre de présenter eux-mêmes leur cas au tribunal, le ministère d’un avocat ne devrait pas être obligatoire. »
34.  En ses parties pertinentes, la Recommandation no R (93) 1 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à l’accès effectif au droit et à la justice des personnes en situation de grande pauvreté est ainsi libellée :
« Le Comité des Ministres, (....)
Rappelant qu’outre le droit d’accès au droit et à la justice prévu à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ont également vocation à s’appliquer aux personnes en situation de grande pauvreté les autres dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment les articles 2, 3 et 8, ainsi que d’autres instruments juridiques du Conseil de l’Europe comme la Charte sociale européenne ;
Considérant que la présente recommandation vise à améliorer, notamment pour les personnes en situation de grande pauvreté, les systèmes de consultation juridique et d’aide judiciaire existants, et présente dès lors un caractère complémentaire par rapport aux dispositifs existants en ce qui concerne les autres catégories de personnes pour lesquelles ces systèmes ont été conçus,
Recommande aux gouvernements des Etats membres :
1.  de faciliter l’accès effectif au droit (« le droit au droit ») pour les personnes en situation de grande pauvreté : (...)
b.  en promouvant les services de consultation juridique pour les personnes en situation de grande pauvreté ; (...)
3.  de faciliter l’accès effectif aux juridictions pour les personnes en situation de grande pauvreté, notamment par les voies ou moyens suivants :
c.  en reconnaissant le droit à l’assistance d’un conseil compétent, autant que possible choisi librement, auquel une rémunération adéquate sera octroyée ;
e.  en simplifiant la procédure d’octroi de l’aide judiciaire aux personnes en situation de grande pauvreté (...) »
35.  En 2000, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation no R (2000) 21. Cette recommandation constitue un prolongement, au niveau européen, des Principes de base de l’ONU. Elle insiste en particulier sur l’accès pour tous à un avocat et sur le rôle et les obligations des avocats. Plus précisément, elle énonce ceci :
« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe, (...)
Soulignant le rôle fondamental que les avocats et les associations professionnelles d’avocats jouent également pour assurer la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; (...)
Considérant que l’accès à la justice peut nécessiter que les personnes économiquement faibles puissent obtenir les services d’avocats,
Recommande aux gouvernements des Etats membres de prendre ou de renforcer selon le cas, toutes les mesures qu’ils jugent nécessaires pour mettre en œuvre les principes contenus dans cette Recommandation. (...)
1.  Toutes les mesures nécessaires devraient être prises pour respecter, protéger et promouvoir la liberté d’exercice de la profession d’avocat sans discrimination ni intervention injustifiée des autorités ou du public, notamment à la lumière des dispositions pertinentes de la Convention européenne des Droits de l’Homme. (...)
1.  Toutes les mesures nécessaires devraient être prises pour veiller à ce que toute personne ait un accès effectif à des services juridiques fournis pas des avocats indépendants.
2.  Les avocats devraient être encouragés à fournir des services juridiques aux personnes économiquement faibles.
3.  Les gouvernements des Etats membres devraient veiller, lorsque cela est nécessaire pour permettre un accès effectif à la justice, à ce que des services juridiques soient accessibles aux personnes économiquement faibles, notamment celles privées de liberté.
4.  Les devoirs des avocats à l’égard de leur client ne devraient pas être affectés par le fait qu’ils sont rémunérés totalement ou en partie par des fonds publics. »
EN DROIT
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 6 § 3 c)
52.  Le requérant soutient que le refus de l’avocate commise d’office d’établir un pourvoi en cassation dans son affaire l’a privé d’un accès effectif à la Cour suprême. Il invoque l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 c) de la Convention. En leurs parties pertinentes, ces dispositions sont ainsi libellées :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent. »
A.  Sur la recevabilité
53.  La Cour considère que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Par ailleurs, il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il doit donc être déclaré recevable.
B.  Sur le fond
1.  Les thèses du requérant
54.  Le requérant soutient que le refus de l’avocate commise d’office d’introduire un pourvoi en cassation dans son affaire et le refus de la cour d’appel de lui attribuer un nouvel avocat commis d’office ont rendu la procédure inéquitable en le privant de l’accès à la Cour suprême et de la possibilité de faire examiner par la haute juridiction les irrégularités de la procédure. Il estime que les autorités n’auraient pas dû considérer le simple fait qu’il ait bénéficié de l’aide judiciaire comme une garantie effective du respect des droits de la défense dans son affaire. Il reproche en outre à la jurisprudence de la Cour suprême de ne ménager la possibilité de désigner un nouvel avocat commis d’office que dans les cas où il a été démontré que le premier avocat s’est montré négligent lorsqu’il a apprécié les chances de succès du pourvoi, et se plaint que cette approche ait de fait été retenue dans son affaire. Il conclut, en s’appuyant sur les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Siałkowska c. Pologne (no 8932/05, 22 mars 2007) et Staroszczyk c. Pologne (no 59519/00, 22 mars 2007), qu’il n’a pas pu exercer effectivement devant la Cour suprême son droit de se défendre avec l’assistance d’un défenseur.
2.  Les principes établis dans la jurisprudence de la Cour
a)  La portée de la responsabilité ratione personae de l’Etat en vertu de la Convention
55.  La Cour rappelle, en premier lieu, que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès pénal équitable garanti par le paragraphe 1 du même article. En conséquence, elle examinera le grief du requérant sous l’angle de ces dispositions lues conjointement (voir, parmi d’autres arrêts, Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, p. 755, § 52, et Bobek c. Pologne, no 68761/01, § 55, 17 juillet 2007).
56.  D’emblée, la Cour observe que la responsabilité des parties contractantes est engagée du fait des actes de leurs organes. Même s’il est désigné par des instances officielles, un avocat ne saurait être considéré comme un organe de l’Etat. Compte tenu de l’indépendance du barreau à l’égard de l’Etat, la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, que celui-ci soit commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué par son client ; en tant que telle, elle ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, engager la responsabilité de l’Etat en application de la Convention (Artico c. Italie, arrêt du 30 mai 1980, série A no 37, p. 18, § 36 ; Daud c. Portugal, arrêt du 21 avril 1998, Recueil 1998-II, p. 749, § 38 ; Tuziński c. Pologne (déc.), no 40140/98, 30 mars 1999 ; Rutkowski c. Pologne (déc.), no 45995/99, CEDH 2000-XI ; Cuscani c. Royaume-Uni, no 32771/96, § 39, 24 septembre 2002).
57.  Néanmoins, la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à la personne qu’il doit défendre (Imbrioscia c. Suisse, arrêt du 24 novembre 1993, série A no 275, § 38). Il est des circonstances où l’Etat doit agir et ne pas demeurer passif, lorsque des problèmes relatifs à la représentation en justice sont portés à l’attention des autorités compétentes. En fonction des circonstances de la cause et au vu de la procédure dans son ensemble, la défense pourra ou non être considérée comme concrète et effective (voir, mutatis mutandis, Artico, précité, § 33, Goddi c. Italie, arrêt du 9 avril 1984, série A no 76, p. 11, § 27, Rutkowski, précité, Staroszczyk c. Pologne, précité, §§ 121-122, et Siałkowska c. Pologne, précité, §§ 99-100).
b)  L’accès à un tribunal
58.  La Cour souligne ensuite l’importance du droit d’accès aux tribunaux, eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (Airey c. Irlande, arrêt du 9 octobre 1979, série A no 32, p. 12-13, § 24). Une interprétation restrictive de ce droit ne s’accorderait pas avec l’objet et le but de cette disposition (De Cubber c. Belgique, arrêt du 26 octobre 1984, série A no 86, § 30), mais il n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat (Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998, 1998-I, § 34, et Garcia Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36). A cet égard, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation, même s’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention. Il doit être établi que les limitations appliquées ne restreignent ni ne réduisent l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. De surcroît, ces limitations ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Ashingdane c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A no 93, p. 24, § 57 ; Prince Hans-Adam II du Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 44, CEDH 2001-VIII, mutatis mutandis).
59.  La Convention n’astreint pas les Etats contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Cependant, lorsque de telles juridictions existent, les procédures menées devant elles doivent respecter les garanties de l’article 6. La manière dont cette disposition s’applique à ces juridictions dépend des particularités de la procédure en cause. Il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la Cour de cassation. Vu la spécificité de ce rôle, qui consiste exclusivement à contrôler le respect du droit, un formalisme plus grand peut être admis à cet égard (Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, § 41, CEDH 2002-VII ; Staroszczyk c. Pologne, précité, § 25 ; Siałkowska c. Pologne, précité, § 104). Cependant, la Cour doit juger établi que la méthode choisie par les autorités internes dans le cas précis est conforme à la Convention (voir, mutatis mutandis, Artico, précité, § 33, Goddi c. Italie, arrêt du 9 avril 1984, série A no 76, p. 11, § 27, Rutkowski, précité, Staroszczyk c. Pologne, précité, §§ 121-122, et Siałkowska c. Pologne, précité, §§ 99-100).
En s’acquittant de son obligation d’apporter une aide judiciaire aux parties à la procédure pénale lorsqu’une telle mesure est prévue par le droit interne, l’Etat doit en outre faire preuve de diligence afin d’assurer aux intéressés la jouissance réelle et effective de leurs droits garantis par l’article 6 (R.D. c. Pologne, nos 29692/96 et 34612/97, § 44, 18 décembre 2001).
3.  Application de ces principes en l’espèce
60.  Pour en venir aux faits de la cause, la Cour observe que le droit polonais de la procédure pénale impose que les personnes dont la condamnation a été confirmée par une juridiction d’appel soient assistées d’un avocat dans la préparation de leur pourvoi en cassation contre une telle décision. La Cour rappelle que l’exigence que l’auteur d’un pourvoi devant une juridiction de cassation soit représenté par un juriste qualifié ne saurait, en soi, être considérée comme contraire à l’article 6. Cette exigence, qui est commune aux systèmes juridiques de plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, est clairement compatible avec les caractéristiques de la Cour suprême, qui est la plus haute juridiction de Pologne et qui examine des recours portant sur des points de droit (Vacher c. France, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2148-49, §§ 24 et 28 ; Staroszczyk c. Pologne, précité, § 128).
61.  La Cour note encore qu’en l’espèce, la cour d’appel a fait droit à la demande d’aide judiciaire introduite par le requérant aux fins de se pourvoir en cassation. Par la suite, l’avocate a indiqué à la cour d’appel, par une lettre datée du 20 mars 2003, qu’à son avis, un pourvoi en cassation ne présenterait pas de perspectives raisonnables de succès.
62.  La Cour note que la Cour suprême polonaise a dit, dans sa décision du 17 juin 1997, que le rôle de l’avocat commis d’office devait se comprendre comme l’obligeant à fournir à la personne qu’il représente des conseils juridiques complets, y compris quant aux perspectives de succès d’un pourvoi en cassation dans le cas d’espèce. Elle a conclu qu’il était loisible à un avocat commis d’office sur une affaire pénale de refuser de préparer et d’introduire un pourvoi en cassation, et elle a confirmé cette conclusion dans sa jurisprudence ultérieure (paragraphes 23 à 26 ci-dessus). Sous l’angle de l’article 6 de la Convention et compte tenu de la nature du pourvoi en cassation dans le contexte de la procédure pénale, la Cour ne peut que souscrire à cette conclusion (voir, mutatis mutandis, Staroszczyk c. Pologne, précité, § 113).
63.  A cet égard, la Cour souligne qu’il est de la responsabilité de l’Etat de ménager l’équilibre requis entre, d’une part, la jouissance effective du droit d’accès à la justice et, d’autre part, l’indépendance du barreau (voir Siałkowska c. Pologne, précité, § 112, et Staroszczyk c. Pologne, précité, § 133). Le simple fait qu’un avocat commis d’office puisse refuser de représenter un accusé dans une procédure devant la juridiction suprême ne saurait, en soi, s’analyser en un déni d’assistance juridique incompatible avec les obligations incombant à l’Etat en vertu de l’article 6 de la Convention.
64.  La Cour rappelle encore que même s’il est nécessaire de soumettre la recevabilité des recours à certaines conditions pour assurer la sécurité juridique et la bonne administration de la justice et si les parties doivent normalement s’attendre à ce que les règles de procédure soient appliquées, une interprétation particulièrement rigoureuse de ces règles peut priver le requérant du droit d’accès à un tribunal (Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 60, 12 novembre 2002 ; Zvolský et Zvolská c. République tchèque, no 46129/99, 12 novembre 2002 ; Kemp et autres c. Luxembourg, no 17140/05, § 42, 24 avril 2008, mutatis mutandis).
65.  A cet égard, la Cour note que la Cour suprême a relevé dans une série de décisions les difficultés que pouvait rencontrer l’accusé s’efforçant d’obtenir un accès effectif à la juridiction de cassation lorsqu’il lui avait été octroyé une aide judiciaire à cette fin mais que l’avocat commis d’office avait conclu qu’un pourvoi en cassation serait voué à l’échec. La Cour suprême a examiné la manière dont il fallait déterminer le moment où le délai d’introduction du pourvoi commençait à courir en ces circonstances particulières. Elle a conclu, dans sa décision du 26 février 2002, qu’en cas de refus de l’avocat commis d’office d’introduire le pourvoi en cassation, le point de départ du délai devait être déterminé de manière à tenir compte de la situation de l’accusé, afin de ne pas le priver en pratique de la possibilité de voir son affaire examinée par la Cour suprême. Ainsi, elle a considéré que le délai d’introduction du pourvoi en cassation ne commençait à courir qu’à la date à laquelle l’accusé était informé du refus de l’avocat, et non lorsque la décision de la juridiction de deuxième instance était communiquée à l’avocat.
66.  La Cour note encore qu’en 2008, la Cour suprême a indiqué que non seulement cette jurisprudence était correcte et offrait à l’accusé des garanties procédurales satisfaisantes, mais encore elle représentait la pratique judiciaire prévalente.
67.  En l’espèce, le refus de l’avocate a été communiqué au requérant le 1er avril 2003 et, à la lumière de la jurisprudence de la Cour suprême susmentionnée, il faut considérer que le délai de trente jours a commencé à courir à cette date. On ne peut donc pas dire que le requérant se soit trouvé placé dans une situation où il lui restait si peu de temps pour faire introduire un pourvoi en cassation qu’il a été privé d’une possibilité réaliste de porter et de défendre sa cause devant la juridiction de cassation (voir, a contrario, Siałkowska c. Pologne, no 8932/05, §§ 114-115, 22 mars 2007, où le délai avait commencé à courir lorsque la décision avait été communiquée à l’avocat commis d’office et où la requérante n’avait été informée du refus de l’avocat que trois jours avant l’expiration du délai). Il n’a pas été démontré ni même avancé que dans ces circonstances, il aurait été impossible pour le requérant de trouver un nouvel avocat pour le représenter.
68.  A cet égard, la Cour observe que le requérant a été jugé admissible au bénéfice de l’assistance par un avocat commis d’office. Les juges ont donc reconnu qu’il ne pouvait supporter les frais d’honoraire d’un avocat engagé à titre privé (paragraphes 11 et 14 ci-dessus). La Cour a bien noté qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour suprême, le simple refus de la part d’un avocat commis d’office d’établir un pourvoi en cassation ne constituait pas un motif suffisant pour désigner un nouvel avocat pour l’affaire dans le cadre de l’aide judiciaire (paragraphes 23-24 et 26 ci-dessus). Cela étant, elle est d’avis que l’article 6 de la Convention n’impose pas à l’Etat l’obligation d’assurer l’assistance successive de plusieurs avocats commis d’office aux fins de l’exercice de recours dont il a été estimé qu’ils ne présentaient pas de perspectives raisonnables de succès. En l’espèce, la première avocate commise d’office n’a pas trouvé de motifs justifiant l’introduction d’un pourvoi en cassation. En l’absence de signes de négligence ou d’arbitraire de la part de l’avocate dans l’exercice de ses fonctions, on peut dire que l’Etat s’est acquitté de ses obligations d’apporter au requérant une aide judiciaire effective relativement à la procédure de cassation.
69.  Cependant, la Cour note qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour suprême (voir le paragraphe 27 ci-dessus), la cour d’appel de Katowice était tenue d’informer le requérant du fait que le délai d’introduction d’un pourvoi en cassation ne commençait à courir qu’à la date à laquelle lui était communiqué le refus de l’avocate. Or elle n’a pas respecté cette obligation.
70.  La Cour est donc d’avis que, dans cette mesure limitée mais néanmoins cruciale, le cadre procédural applicable en droit polonais à partir de février 2002 n’a pas été respecté dans le cas du requérant. Du fait du manquement de la cour d’appel de Katowice à informer l’intéressé – qui n’était pas représenté par un avocat – de ses droits procéduraux, celui-ci n’a eu aucun moyen de savoir qu’il disposait d’un nouveau délai pour trouver un avocat qui pourrait accepter d’introduire un pourvoi en cassation en son nom. La Cour note à cet égard que le cadre procédural régissant la mise à disposition d’une aide judiciaire aux fins des pourvois en cassation en matière pénale, tel qu’il a été décrit ci-dessus, relève du contrôle des juridictions d’appel. Lorsqu’elle est avertie du refus de l’avocat commis d’office d’introduire un pourvoi en cassation, la pratique et l’équité commandent que la cour d’appel indique à l’appelant quelles sont les autres options procédurales dont il dispose. La jurisprudence de la Cour suprême met l’accent sur ce point. Cependant, en l’espèce, cette exigence n’a pas été respectée, de sorte que le droit d’accès à la Cour suprême du requérant n’a pas été garanti « de manière concrète et effective ».
71.  Partant, la défaillance susmentionnée a emporté violation de l’article 6 § 1 de la Convention combiné avec l’article 6 § 3 c).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention combiné avec l’article 6 § 3 c) ;
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 19 mai 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early Nicolas Bratza   Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions concordantes des juges Bonello et Mijović.
N.B.
T.L.E.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE BONELLO
1.  Les faits de la cause font apparaître que le requérant, accusé dans un procès pénal, avait demandé à son avocate commise d’office d’introduire un pourvoi en cassation contre la décision de la juridiction d’appel. Or, deux jours à peine avant la fin du délai légal de recours, l’avocate l’a informé qu’« un pourvoi en cassation devant la Cour suprême était peu susceptible d’aboutir dans [son] cas, et qu’elle refusait donc de préparer et d’introduire un tel pourvoi ».1 Je ne trouve pas satisfaisant le raisonnement qu’a retenu la Cour pour conclure à la violation de l’article 6. J’estime que les droits du requérant ont été violés non seulement parce que la cour d’appel de Katowice a manqué à son obligation de l’informer de la prolongation du délai d’introduction d’un pourvoi en cassation, comme l’a jugé la Cour, mais aussi pour des raisons plus graves.
2.  A mes yeux, les faits en eux-mêmes font apparaître une grave violation du droit d’accès à un tribunal dans le chef du requérant. Dès lors qu’existe en droit pénal polonais un recours ultime en cassation, le droit d’exercer ce recours doit, pour avoir un sens, être pratique et effectif, et non dépendre exclusivement de la volonté sans contrôle et sans appel d’une seule personne, non juge.2 Si le droit de se pourvoir en cassation existe dans le système polonais, la procédure correspondante doit respecter les garanties de l’article 6. De plus, lorsque l’Etat est tenu d’offrir une aide judiciaire, il doit le faire d’une manière qui garantisse aux bénéficiaires la jouissance réelle et effective des droits garantis par cet article.3
3.  La Cour a reconnu l’importance de ne pas faire dépendre la possibilité d’introduire un pourvoi en cassation en matière civile exclusivement du caprice des avocats commis d’office. Elle a conclu à la violation de l’article 6 lorsque, en refusant à la dernière minute d’introduire un pourvoi en cassation en matière civile, des avocats commis d’office avaient fait obstacle au droit d’accès à un tribunal des requérants.4 J’estime inconséquent d’imposer des garanties procédurales plus strictes pour les procédures civiles que pour les procès pénaux. Les normes applicables aux procédures civiles devraient à plus forte raison s’appliquer aux procédures pénales.
4.  L’ordre juridique polonais prévoit : a) le droit de se pourvoir en cassation dans les procès pénaux, b) l’exercice de ce droit exclusivement par le ministère d’un avocat, c) le droit pour les auteurs de pourvoi dont les ressources sont limitées à un avocat commis d’office. En l’espèce, les juridictions polonaises ont admis que l’indigence du requérant justifiait sa demande d’être assisté par un avocat commis d’office pour l’établissement et l’introduction de son pourvoi en cassation.
5.  Les juridictions polonaises ont attaché une valeur à ce point déterminante aux pourvois en cassation en matière pénale qu’elles ont allongé le délai d’introduction de tels pourvois (30 jours) dans les cas où l’auteur est assisté par un avocat commis d’office : le délai commence alors à courir non pas à la date où la décision de la juridiction de deuxième instance est communiquée à l’avocat, mais seulement à celle où l’accusé est informé du refus de l’avocat d’introduire le pourvoi.5 La motivation qui sous-tend ce raisonnement est peut-être admirable ; mais ses conséquences factuelles – qui consistent à laisser à l’auteur suffisamment de temps pour engager à titre privé un avocat rémunéré par lui – sont désastreuses, comme je l’explique au paragraphe 11 ci-dessous.
6.  Selon moi, le présent arrêt a vidé de toute substance le droit d’accès à un tribunal. Les trois droits prévus dans l’ordre juridique polonais (paragraphe 4 ci-dessus) ont en pratique été fondus dans le droit supérieur de tout avocat commis d’office d’avoir le premier et le dernier mot sur l’affaire. A partir d’aujourd’hui, ce n’est plus la juridiction de cassation qui décide de la validité des moyens soulevés par l’auteur d’un pourvoi : cette tâche est laissée exclusivement – et irrévocablement – au jugement plus ou moins éclairé du premier avocat d’office venu. Le garde-fou ultime qu’a souhaité mettre en place le législateur polonais en instaurant la procédure en cassation se trouve irrémédiablement affaibli par l’abandon de la destinée des clients impécunieux, souvent irascibles, à la bonne volonté d’avocats sous-payés et peut-être commis contre leur gré.
7.  Le droit fondamental d’accès à un tribunal dépend donc ainsi exclusivement de la bonne volonté d’un avocat pratiquement contraint de travailler sur l’affaire pour une somme dérisoire plutôt que sur une évaluation objective du bien-fondé du pourvoi réalisée par une autorité indépendante et impartiale ; il est abandonné au bon vouloir qui n’en est souvent pas d’un avocat commis d’office que l’on a allègrement affranchi des garanties les plus élémentaires : il détermine seul le bien-fondé du pourvoi – or certains avocats sont connus pour être pourvus d’un sens de l’humour commercial aigu. Le gouvernement défendeur n’a pas avancé qu’un avocat commis d’office ait jamais été sanctionné pour avoir refusé sans raison d’introduire un pourvoi en cassation dans une affaire pénale. L’avocat est intouchable s’il prend la bonne décision, mais également s’il prend une décision irresponsable. Le vingtième siècle aura donc déchu de son infaillibilité le souverain pontife romain pour en parer les avocats commis d’office polonais.
8.  Le fait que ce dernier rempart ait été laissé aux mains et à la libre volonté des avocats commis d’office ne constitue pas un danger purement hypothétique. Lorsqu’ils refusent de préparer et d’introduire un pourvoi en cassation, les avocats ne sont pas tenus de fournir la moindre explication. Leur raisonnement, si l’on peut charitablement l’appeler ainsi, risque fort de rester à jamais un secret bien gardé. Vous ne pouvez pas vous pourvoir en cassation parce que l’avocat commis d’office l’a dit. Et pourquoi l’a-t-il dit ? Parce que c’est comme cela, voyons. Les juridictions internes n’ont pas leur mot à dire – et la Cour européenne des droits de l’homme ne veut pas avoir son mot à dire.
9.  En l’espèce, on a laissé l’avocate justifier son inaction en s’abritant derrière une formule aussi vide que banale : « à son avis, un pourvoi en cassation était peu susceptible d’aboutir ». Cette conclusion est assénée sans la moindre référence à un argument solide, à un précédent faisant autorité ou à une doctrine judiciaire venant la confirmer : l’avocate livre simplement son « avis », que rien n’étaie – et circulez, il n’y a rien à voir. Son choix a-t-il fait l’objet du moindre contrôle ? Non. A-t-elle avancé la moindre raison ? Non. Sa décision se fondait-elle sur le moindre élément issu de la juridiction de cassation ? Non. Le requérant avait-il le moindre recours ? Non. A-t-elle été la seule et unique juge du pourvoi ? Oui. Il semble que seule une petite minorité de la Cour ait été choquée par ce concentré d’arbitraire autorisé. Je l’ai été, en tout cas. Cela dit, j’ai une bien vilaine tendance à m’écarter des arguties juridiques pour mettre le pied dans la réalité.
10.  La règle est donc la dictature de l’avocat commis d’office, la tyrannie du pouvoir sans limites d’un individu qui n’est responsable devant personne. La cour de cassation est déchargée de ses fonctions du simple fait qu’un avocat commis d’office a été désigné. La manière dont ces avocats d’office désignés aux fins expresses de former un pourvoi en cassation s’acquittent de leurs responsabilités ne regarde personne. S’ils le font bien, tant mieux. Sinon, tant pis. Leurs caprices règnent en maîtres, et la Cour des droits de l’homme n’y voit pas d’inconvénient. Elle se satisfait du pouvoir absolu exempt de toute responsabilité dont jouissent les avocats commis d’office. Une forme de pouvoir totalitaire dont n’aurait pas à rougir un bon dictateur ...
11.  Je ne trouve pas le moins du monde convaincant le raisonnement selon lequel, dès lors qu’ils sont informés à temps, les auteurs potentiels de pourvois devant la cour de cassation peuvent engager un avocat privé contre paiement en cas de désertion de leur avocat commis d’office. La raison pour laquelle l’aide judiciaire est octroyée est précisément que la juridiction interne a estimé établi que l’intéressé n’a pas les moyens de s’offrir les services d’un avocat. Puis, après avoir officiellement reconnu son indigence, l’Etat invite le bénéficiaire de l’aide judiciaire à engager et payer lui-même un avocat pour protéger ses droits. Quelle belle cohérence de la part de l’Etat face à ses propres décisions – cela, bien sûr, si l’on considère que souffler le chaud et le froid en même temps démontre les vertus de la polyvalence ...
12.  Dès lors que la juridiction de cassation a reconnu au requérant le droit à l’aide judiciaire, le fait de prétendre que le recours à des services payants est une solution de repli acceptable est incohérent et porte atteinte aux fondements même de l’aide judiciaire. N’y aurait-il pas dans tout cela des relents de discrimination ploutocratique ? Les accusés fortunés qui peuvent se payer un avocat ont accès à la juridiction de cassation en dernier recours ; ceux dont les moyens sont limités ne peuvent y parvenir que si leur avocat s’est réveillé de bonne humeur.
13.  Il me semble qu’il y avait là l’occasion pour la chambre, dans le cas où une solution équitable aurait été à l’encontre d’une jurisprudence antérieure de la Cour, de se dessaisir en faveur de la Grande Chambre.6
14.  Bien entendu, nous sommes tous d’accord pour dire que le droit d’accès à un tribunal – le cœur du présent grief – n’est pas absolu, mais soumis à des limites. Cependant, la Cour « doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même ». La noble incantation ! – noble mais totalement vide de sens. Selon moi, le droit d’accès du requérant à une juridiction de cassation n’a pas été « atteint dans sa substance ». Il a été totalement anéanti. La communauté juridique serait éternellement reconnaissante à quiconque lui montrerait quels lambeaux du droit d’accès à une juridiction de cassation il est resté au requérant. Je les ai cherchés attentivement et avec persévérance, et je les cherche encore.
OPINION CONCORDANTE DE Mme LA JUGE MIJOVIĆ
Si je souscris pleinement aux arguments exposés par le juge Bonello dans son opinion concordante, j’estime qu’il me faut développer quelques points supplémentaires car, à mes yeux, le refus des avocats commis d’office de représenter des bénéficiaires de l’aide judiciaire au motif qu’un grief ne présente pas de perspectives raisonnables de succès est un problème général. Par ailleurs, je ne considère pas que ce problème soit exclusivement lié à la procédure pénale : il concerne aussi les procédures civiles7 et les procédures administratives, même si les faits de la cause ne me permettent pas de développer ces points.
En l’espèce, la procédure concernant l’introduction d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la juridiction d’appel a démarré avec la désignation par la cour d’appel de Katowice d’une avocate commise d’office aux fins de la procédure en cassation. La lettre qui contenait la décision de l’avocate de ne pas introduire de pourvoi en cassation et celle de la cour d’appel de ne pas désigner de nouvel avocat commis d’office a été remise au requérant deux jours seulement avant l’expiration du délai d’introduction d’un pourvoi en cassation. La principale raison pour laquelle la chambre a conclu à la violation de l’article 6, conformément à la jurisprudence de la Cour8, a été que le cadre procédural applicable en droit polonais à partir de février 2002 n’avait pas été respecté, de sorte que le requérant n’avait pas bénéficié d’une possibilité réaliste de prendre d’autres mesures pour porter et défendre sa cause devant la Cour suprême et d’exercer ainsi de manière effective son droit d’accès à un tribunal. Or, de mon point de vue, le refus de l’avocate commise d’office de soulever des motifs de recours pour les présenter à l’examen de la Cour suprême et les conditions imposées pour introduire un pourvoi en cassation ont emporté violation du droit d’accès à un tribunal dans le chef du requérant, et ils traduisent l’existence générale d’un grave problème dans le système d’aide judiciaire mis en place par la législation polonaise.
S’il ne fait aucun doute qu’il est légitime pour l’Etat de décider que l’aide judiciaire doit être disponible pour certains types de procédures et non pour d’autres, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que les droits garantis par l’article 6 s’en trouvent atteints dans leur substance même. En l’espèce, le requérant se plaignait que le refus de l’avocate commise d’office d’introduire un pourvoi en cassation l’ait privé d’un accès effectif à la Cour suprême. Or l’article 6 stipule que tout accusé a le droit, notamment, de « se défendre lui-même ou [d’]avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, [de] pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ».
Telle que je comprends la pratique de la Cour suprême, lorsque l’avocat commis d’office refuse d’introduire un pourvoi en cassation, les juges ne peuvent désigner un nouvel avocat que s’il a été démontré que le premier avocat s’est montré négligent lorsqu’il a apprécié les chances de succès du pourvoi. En outre, cette négligence doit « être démontrée » dans le cadre d’une action civile distincte (action en indemnisation) contre l’avocat, le requérant devant prouver que les juges auraient dû, dans les circonstances de l’espèce, désigner un nouvel avocat commis d’office. A mon avis, cette partie du programme d’aide judiciaire est tout simplement trop éloignée de ce que j’estime suffisant pour assurer un accès effectif au tribunal.
S’il est vrai que le droit à un tribunal – dont le droit d’accès constitue un aspect9 – n’est pas absolu et se prête à des limitations, et que les Etats jouissent assurément en la matière d’une certaine marge d’appréciation10, ces limitations ne se concilient avec l’article 6 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé11. La Convention n’astreint pas les Etats contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Cependant, lorsque de telles juridictions existent, les procédures menées devant elles doivent respecter les garanties de l’article 6.12
Ces principes de la jurisprudence de la Cour sont correctement énoncés dans l’arrêt de la chambre. Néanmoins, j’estime qu’ils auraient dû être développés plus avant et menés plus loin encore de manière à critiquer la confusion conceptuelle qui entoure les dispositions internes relatives à l’aide judiciaire, à savoir le fait qu’en vertu des règles applicables du droit interne, l’avocat commis d’office n’est pas tenu d’établir un avis juridique écrit sur les perspectives de succès du recours et que, de plus, la loi ne prévoit aucune norme de qualité quant aux motivations juridiques justifiant le refus de l’avocat d’introduire le recours.
De surcroît, je suis fermement convaincue que la décision relative au point de savoir si une affaire donnée présente des perspectives raisonnables de succès ne devrait pas être prise par un avocat commis d’office. Je voudrais souligner à cet égard que le droit d’accès à la Cour suprême devrait reposer sur l’idée que tout un chacun doit se voir accorder le droit de porter son affaire devant la juridiction suprême s’il considère que les juridictions inférieures ont violé les règles de droit ou les ont mal interprétées. A mes yeux, le fait de donner à un avocat commis d’office le droit de décider de l’issue de l’affaire avant même qu’elle ne soit portée devant la Cour suprême et en l’absence de motivations écrites est arbitraire, et même, comme l’a souligné le juge Bonello, cela revient à abandonner l’affaire aux caprices d’un individu. Bien entendu, l’opinion de l’avocat commis d’office doit être prise en compte. Cependant, je considère que l’aide judiciaire est plus une question de représentation juridique gratuite qu’une question de conseils juridiques, ou pire, la simple disposition juridique (et très personnelle) d’un individu n’ayant aucun statut judiciaire. En outre, en tant que juge, je considère que la formule « de l’avis de l’avocat commis d’office, le pourvoi en cassation était peu susceptible d’aboutir » est non seulement arbitraire, mais encore offensante et empreinte de préjugés, compte tenu en particulier du fait qu’en l’espèce, la cour d’appel s’est fondée sur cet « avis » pour rejeter les demandes du requérant aux fins de la désignation d’un nouvel avocat commis d’office et l’a ainsi définitivement empêché de porter son affaire devant la plus haute autorité judiciaire. C’est là selon moi l’essence même du problème, et c’est la raison pour laquelle je pense que la jurisprudence de la Cour européenne aurait dû traiter cette situation avec plus de soin au lieu de simplement constater une violation de l’article 6 au seul motif que le délai fixé par la législation polonaise n’avait pas été respecté.
1 Paragraphe 16 de l’arrêt.
2 Paragraphe 56 : “Même s’il est désigné par des instances officielles, un avocat ne saurait être considéré comme un organe de l’Etat ».
3 R.D. c. Pologne, 18 décembre 2001.
4 Sialkowska c. Pologne et Staroszczyk c. Pologne, 22 mars 2007.
5 Paragraphe 63.
6 Article 30.
7 Plus de 120 affaires à ce sujet sont actuellement pendantes devant la Cour européenne des droits de l'homme.
8 Siałkowska c. Pologne, no 8932/05, 22 mars 2007.
9 Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975.
10 Vasilakis c. Grèce, arrêt du 17 janvier 2008.
11 Ashingdane c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998.
12 Staroszczyk c. Pologne, arrêt du 22 mars 2007.
ARRÊT KULIKOWSKI C. POLOGNE
ARRÊT KULIKOWSKI C. POLOGNE 
ARRÊT KULIKOWSKI C. POLOGNE – OPINIONS SÉPARÉES
ARRÊT KULIKOWSKI C. POLOGNE – OPINIONS SÉPARÉES 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 18353/03
Date de la décision : 19/05/2009
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 5-3 ; Violation de l'art. 6-1+6-3-c ; Préjudice moral - réparation

Analyses

(Art. 46-2) MESURES GENERALES, (Art. 5-3) DUREE DE LA DETENTION PROVISOIRE, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) ACCES A UN TRIBUNAL


Parties
Demandeurs : KULIKOWSKI
Défendeurs : POLOGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-05-19;18353.03 ?

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