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30/06/2009 | CEDH | N°35579/03;35613/03;35626/03;...

CEDH | AFFAIRE ETXEBERRIA BARRENA ARZA NAFARROAKO AUTODETERMINAZIO BILGUNEA ET AIARAKO ET AUTRES c. ESPAGNE


CINQUIÈME SECTION
AFFAIRES
ETXEBERRIA
  BARRENA ARZA
  NAFARROAKO AUTODETERMINAZIO BILGUNEA
et  AIARAKO et autres  
c. ESPAGNE
(Requêtes nos 35579/03, 35613/03, 35626/03 et 35634/03)
ARRÊT
STRASBOURG
30 juin 2009
DÉFINITIF
06/11/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Etxeberria et autres c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,   Rait Maruste,   Karel Jungwier

t,   Renate Jaeger,   Mark Villiger,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,   Alejandro Saiz Arnaiz, juge ad hoc,  e...

CINQUIÈME SECTION
AFFAIRES
ETXEBERRIA
  BARRENA ARZA
  NAFARROAKO AUTODETERMINAZIO BILGUNEA
et  AIARAKO et autres  
c. ESPAGNE
(Requêtes nos 35579/03, 35613/03, 35626/03 et 35634/03)
ARRÊT
STRASBOURG
30 juin 2009
DÉFINITIF
06/11/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Etxeberria et autres c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,   Rait Maruste,   Karel Jungwiert,   Renate Jaeger,   Mark Villiger,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,   Alejandro Saiz Arnaiz, juge ad hoc,  et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 juin 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouvent quatre requêtes (nos 35579/03, 35613/03, 35626/03 et 35634/03) dirigées contre le Royaume d'Espagne et dont deux ressortissants de cet Etat, Mme Etxeberría (requête no 35579/03) et M. Barrena Arza (requête no 35613/03), ainsi que plusieurs groupements électoraux (requêtes nos35626/03 et 35634/03) (« les requérants »), ont saisi la Cour le 6 novembre 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Devant la Cour, les requérants sont représentés par Me D. Rouget, avocat à Saint-Jean-de-Luz. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. Blasco, chef du service juridique des droits de l'homme au ministère de la Justice.
3.  Sur le terrain de l'article 10 de la Convention, l'ensemble des requérants se plaignent de l'annulation de leurs candidatures aux élections à la mairie d'Hernani, au Conseil général de Alava, Guipúzcoa et Biscaye, au Parlement de Navarre ainsi que dans plusieurs municipalités de Navarre et du Pays basque. Par ailleurs, les requérants soutiennent que la procédure contentieuse-électorale devant la chambre spéciale du Tribunal suprême, régie par la loi organique relative au régime électoral général telle que modifiée par la loi organique 6/2002 du 27 juin 2002 sur les partis politiques, ne saurait passer pour un recours effectif. Finalement, dans les requêtes nos 35613/03 et 35626/03, les requérants invoquent également l'article 3 du Protocole no 1. Ils se plaignent de s'être vu privés de la possibilité de se présenter aux élections au Parlement de Navarre et de représenter les électeurs.
4.  La Cour a décidé de joindre les requêtes (article 42 § 1 du règlement).
5.  Par une décision du 11 décembre 2007, la Cour a déclaré les requêtes partiellement recevables.
6.  Le 1er juillet 2008 la Cour a notifié aux parties son intention de se dessaisir en faveur de la Grande Chambre, conformément à l'article 72 § 1 du règlement. Se prévalant de l'article 72 § 2, le Gouvernement s'est opposé au dessaisissement. Par conséquent, la Chambre a poursuivi le traitement de la requête.
7.  Les requérants ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement), mais non le Gouvernement. La chambre ayant décidé après consultation des parties qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 3 in fine du règlement), les parties ont chacune soumis des commentaires écrits.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8.  A l'origine de la requête no 35579/03 se trouve une ressortissante espagnole résidant à Hernani (province de Guipúzcoa). Elle était la tête de liste du groupement électoral Bildu Hernani, qui présenta sa candidature aux élections municipales à la mairie de Hernani (Guipúzcoa) du 25 mai 2003.
9.  A l'origine de la requête no 35613/03 se trouve un ressortissant espagnol résidant à Berriozar (Navarre). Il était la tête de liste du groupement électoral Nafarroako Autodeterminaziorako Bilgunea, qui présenta sa candidature en vue des élections au Parlement de Navarre du 25 mai 2003.
10.  A l'origine de la requête no 35626/03, se trouve un groupement électoral qui présenta sa candidature aux élections au Parlement de Navarre du 25 mai 2003.
11.  A l'origine de la requête no 35634/03 se trouvent 218 groupements électoraux (dont la liste figure en annexe) constitués pour participer, pour certains d'entre eux, à l'élection des conseils généraux (Juntas generales) d'Alava, de Guipúzcoa et de Biscaye et, pour d'autres, aux élections municipales de Navarre, d'Alava, de Guipúzcoa et de Biscaye du 25 mai 2003.
12.  Les groupements mentionnés ci-dessus seront désignés dorénavant comme les « groupements électoraux litigieux ».
A.  La genèse de l'affaire
13.  La Cour renvoie à ce sujet aux paragraphes 10 à 14 de l'arrêt Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne (nos 25803/04 et 25817/04) du 30 juin 2009.
B.  L'annulation des candidatures des requérants
14.  Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
15.  Le 28 avril 2003, les commissions électorales du Pays basque et de Navarre enregistrèrent les candidatures des groupements aux élections municipales, régionales et autonomes au Pays basque et en Navarre fixées au 25 mai 2003.
16.  Le 1er mai 2003, l'avocat de l'Etat et le ministère public présentèrent des recours contentieux-électoraux tendant à l'annulation d'environ 300 candidatures, dont celles des groupements électoraux litigieux, devant la chambre spéciale du Tribunal suprême, constituée conformément à l'article 61 de la loi organique relative au pouvoir judiciaire (ci-après « la LOPJ »). Ils leur reprochaient de poursuivre les activités des partis politiques Batasuna et Herri Batasuna, déclarés illégaux et dissous en mars 2003.
17.  Le même jour, le Tribunal suprême, rappelant les principes de célérité et de concentration propres à la procédure contentieuse-électorale, cita les groupements électoraux litigieux à comparaître avant le lendemain 15 heures pour présenter leurs observations.
18.  Le 3 mai 2003, le Tribunal suprême fit droit, en ce qui concerne les groupements électoraux litigieux devant la Cour, aux recours présentés par l'avocat de l'Etat et le ministère public et annula les candidatures au motif qu'elles avaient pour but de poursuivre les activités des trois partis déclarés illégaux et dissous. Il fonda ses décisions sur l'article 44 § 4 de la loi organique relative au régime électoral général, telle que modifiée par la LOPP.
19.  Dans ses arrêts, le Tribunal suprême rejeta, en premier lieu, les allégations des groupements électoraux litigieux selon lesquelles ils n'avaient pas disposé de suffisamment de temps pour présenter leurs observations. Il considéra à cet égard que la brièveté des délais était justifiée par la nature exceptionnelle de ce type de recours, qui devait être décidé, conformément à la loi organique relative au régime électoral général, dans un délai de deux jours. En l'espèce, ces contraintes n'avaient pas empêché d'assurer le respect tout au long de la procédure des principes du contradictoire et d'impartialité, composantes essentielles du droit des groupements électoraux litigieux à un procès équitable.
20.  Pour le Tribunal suprême, bien que la dissolution des partis politiques n'entraîne pas la suppression du droit de voter ou d'être élu de ses dirigeants ou de ses membres, les activités des partis dissous ne sauraient continuer à l'avenir sous d'autres noms ou formes juridiques. Aux fins d'apprécier l'existence de cette continuité ou succession entre un parti politique et un groupement électoral, l'article 44 § 4 de la loi organique relative au régime électoral général établit un ensemble de critères tels que la similitude substantielle de leurs structures, de leur organisation ou de leur fonctionnement, de leurs membres, dirigeants, représentants ou des responsables des investitures aux élections, l'origine des moyens de financement ou leur soutien à la violence ou au terrorisme.
21.  Le Tribunal suprême considéra à cet égard que l'article 44 § 4 de la loi organique ne visait pas à restreindre le droit d'éligibilité des candidats mais avait pour but d'empêcher la dénaturation des groupements électoraux en tant qu'instruments de participation citoyenne. Il s'agissait d'une garantie institutionnelle qui respectait en tout état de cause le contenu essentiel du droit de participer aux affaires publiques. A cet égard, le Tribunal suprême rappela la jurisprudence du Tribunal constitutionnel quant au fait qu'il s'agissait d'un droit dont l'exercice était subordonné aux exigences imposées par la loi. Ladite loi pouvait, en effet, en limiter l'exercice afin de sauvegarder les principes essentiels du système démocratique.
22.  Le Tribunal suprême énuméra également d'autres critères pouvant être pris en compte pour apprécier l'existence d'une continuité, tels que la participation des partis dissous à la promotion des groupements électoraux, leur programme d'activité politique, le pourcentage de candidats ayant des liens spécifiques avec les partis déclarés illégaux, l'exercice de fonctions publiques au nom des partis dissous ou l'existence de condamnations pénales à l'encontre des candidats. A cet égard, il releva que l'appréciation globale de ces facteurs devait être réalisée en sorte qu'il soit possible de déduire, d'une façon raisonnable et non arbitraire, que le groupement électoral avait agi, de fait, comme successeur des partis déclarés illégaux.
23.  Selon le Tribunal suprême, les éléments de preuve suivants démontraient que les groupements électoraux litigieux avaient pour but de poursuivre les activités des partis déclarés illégaux et dissous.
24.  La police nationale avait saisi plusieurs documents internes élaborés par l'entourage des partis dissous, intitulés « Elections 2003 – Démarches à entreprendre au niveau juridique ». Dans ces rapports était mentionnée l'intention de créer des « plateformes » comme stratégie de réponse à la dissolution, dont le but serait non seulement de remplacer Batasuna mais aussi de fournir une réponse politique à la situation. De plus, ces documents prévoyaient des solutions pour le cas où les candidatures proposées dans le cadre des « plateformes » ne seraient pas admises en raison de la constatation de l'existence d'une succession de Batasuna et Herri Batasuna.
25.  Quant aux liens entre les candidats des groupements électoraux litigieux et les partis déclarés illégaux, le Tribunal suprême releva que de nombreux dirigeants et anciens candidats de ces partis figuraient comme candidats dans les listes des groupements controversés. De plus, certains de ces dirigeants s'étaient exprimés dans les médias peu avant les élections pour dire que « toutes les organisations déclarées illégales [avaient] continué leur existence afin de montrer leur engagement pour la libération de notre peuple [basque] » et avaient également affirmé : « peu importe le nom sous lequel le nouveau projet deviendra une réalité ; ce qui compte est le projet en soi et les idées ».
26.  Plus particulièrement, le Tribunal suprême attira l'attention sur le protocole souscrit entre Batasuna et Nafarroako Autodeterminaziorako Bilgunea (un des groupements électoraux litigieux) le 27 mars 2003, soit le jour où ce même Tribunal avait déclaré illégal le parti politique Batasuna.
27.  De l'avis du Tribunal suprême, ces éléments mettaient en évidence une stratégie de la part des partis politiques déclarés illégaux tendant à contourner les effets de l'arrêt du 27 mars 2003 par le biais de groupements électoraux.
28.  Les groupements électoraux litigieux présentèrent alors un recours d'amparo devant le Tribunal constitutionnel. Ils alléguaient notamment les violations suivantes :
–  violation du droit à un procès impartial, dans la mesure où la chambre spéciale du Tribunal suprême ayant examiné les recours contentieux-électoraux avait également rendu l'arrêt du 27 mars 2003 ;
–  violation des droits de la défense et du droit à un procès comportant toutes les garanties voulues pour autant que la procédure contentieuse-électorale les concernant n'avait été entamée que pour garantir l'exécution de l'arrêt du 27 mars 2003, alors qu'aucun des groupements requérants n'avait été partie à cette première procédure ;
–  violation du droit à utiliser les moyens de preuve nécessaires pour se défendre, en raison de la célérité excessive de la procédure contentieuse-électorale ;
–  violation du droit au respect de la vie privée combiné avec le droit à un procès assorti de toutes les garanties et du droit à la liberté de pensée dans la mesure où les faits prouvés dans les arrêts du Tribunal suprême étaient basés sur des données à caractère personnel concernant des membres des groupements ;
–  violation du droit à la présomption d'innocence et à être informé de l'accusation, dans la mesure où, même s'il ne s'agissait pas d'une procédure pénale, les groupements étaient accusés d'obéir aux ordres de l'ETA ;
–  violation du droit de participer aux affaires publiques, directement ou par le biais de représentants, dans la mesure où les arrêts du Tribunal suprême avaient entraîné l'inéligibilité des membres des groupements et, par conséquent, privé les électeurs potentiels du droit de vote, entrainant ainsi également une violation du droit à la liberté idéologique et à la liberté d'expression (cette dernière n'a pas été alléguée dans la requête no 35613/03) ;
–  violation du droit d'association ;
–  violation du principe d'interdiction de la rétroactivité des règles restreignant les droits politiques et civils, dans la mesure où la dissolution des partis politiques a provoqué l'élimination de listes dans lesquelles figuraient des individus ayant appartenu à ces partis lorsqu'ils étaient encore légaux ;
–  violation de l'interdiction de la discrimination, dans la mesure où la LOPP n'a pas été appliquée à d'autres groupements auxquels appartenaient également d'anciens membres des partis politiques déclarés illégaux par l'arrêt du Tribunal suprême du 27 mars 2003.
29.  Par un arrêt du 8 mai 2003, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours pour ce qui est, entre autres, des quatre groupements électoraux litigieux. Seize des groupements électoraux visés dans la procédure interne virent accueillir leur recours d'amparo.
30.  En ce qui concerne les quatre groupements électoraux litigieux, la haute juridiction rappela sa propre jurisprudence concernant la constitutionnalité de la procédure contentieuse-électorale prévue par l'article 49 de la loi organique relative au régime électoral général (arrêt du 24 février 2000, parmi d'autres). A cet égard, elle releva :
« La brièveté des délais prévus par l'article 49 de la loi organique relative au régime électoral général pour le déroulement du recours contre l'enregistrement de candidatures et candidats – deux jours pour former le recours et deux autres jours pour rendre une décision – n'emporte en soi aucune violation du droit à un procès équitable, dans la mesure où le législateur a conçu (...) une procédure extrêmement rapide (...) qui exige des délais courts à tous les stades, aussi bien pour son volet administratif que pour son volet juridictionnel, et qui exige donc de toutes les parties une extrême diligence puisqu'il s'agit de rendre compatibles le droit à un procès équitable des intéressés et la nécessité de respecter les délais établis compte tenu de ceux fixés pour l'ensemble du processus électoral en cause. »
31.  Le Tribunal constitutionnel constata que les groupements litigieux avaient pu présenter leurs griefs et proposer les moyens de preuve pertinents en vue de contester les recours formés contre leurs candidatures devant le Tribunal suprême. Par ailleurs, dans le cadre du recours d'amparo, ils avaient eu l'occasion de soumettre de nouvelles observations.
32.  Enfin, pour ce qui est des griefs tirés du droit à participer aux affaires publiques, le Tribunal constitutionnel s'exprima dans les termes suivants:
« Dans la mesure où la volonté de contourner la dissolution d'un parti politique est établie, la législation électorale prévoit l'interdiction des groupements électoraux qui (...) agissent en tant qu'instruments de cette volonté. Cette conséquence restreint évidemment l'exercice d'un droit individuel qui n'a pas fait l'objet de l'arrêt de dissolution, mais il n'en reste pas moins vrai que, dans la mesure où un groupement électoral s'articule avec ce but frauduleux, son équivalence fonctionnelle avec le parti dissous doit primer sur toute autre considération, y compris l'exercice d'un droit instrumentalisé qui devient abusif en tant que tel (...)
Il est évident que le sacrifice du droit des citoyens de se porter candidats à un processus électoral par le biais d'un groupement d'électeurs doit se fonder sur une décision judiciaire selon laquelle le groupement constitué sert réellement à la poursuite d'un but qui n'est pas d'exercer un tel droit mais d'échapper aux effets de la dissolution d'un parti politique. Les critères à utiliser sont ceux prévus par l'article 44 § 4 de la loi organique relative au régime électoral général, qui font référence aux éléments de continuité organico-fonctionnelle, personnelle et financière. (...) En tout cas, ce qui importe est que les critères d'appréciation utilisés suffisent pour conclure d'une façon motivée que les groupements électoraux litigieux agissent effectivement en tant qu'éléments constitutifs d'un parti de facto et non comme de vrais instruments de participation politique qui visent à mettre en œuvre l'exercice du droit d'éligibilité par les particuliers qui en font partie. »
33.  La haute juridiction se référa aux arrêts du Tribunal suprême contestés et considéra qu'ils accréditaient, de façon raisonnable et suffisamment motivée, l'existence d'une stratégie conjointe, élaborée par l'organisation terroriste ETA et le parti dissous Batasuna, visant à favoriser la reconstruction du parti et à présenter des candidatures lors des élections municipales, provinciales ou autonomes suivantes. A cet égard, le Tribunal constitutionnel rappela qu'il n'était pas compétent pour réviser l'appréciation effectuée, dans la mesure où il s'agissait d'une question relevant de la légalité ordinaire.
34.  Parmi les preuves que le Tribunal suprême avait considérées comme pertinentes pour parvenir à sa conclusion, la haute juridiction souligna
« (...) les instructions données concernant l'inclusion aux premières places des candidatures de personnes ayant été élues auparavant en tant que représentants des partis dissous ; la publication d'annonces visant l'obtention de signatures et les déclarations publiques de plusieurs porte-parole de l'ETA ainsi que de dirigeants de Batasuna en faveur de la participation citoyenne aux élections.
De l'avis de la chambre [du Tribunal suprême] (...), le cumul des circonstances [susmentionnées] ne pouvait qu'amener à la conclusion que les groupements requérants (...) ont été créés dans le seul but de continuer les activités des partis politiques dissous. »
35.  Le Tribunal constitutionnel rappela que la limitation du droit de participer aux affaires publiques ne pouvait se justifier que si, après une appréciation de la proportionnalité entre le but poursuivi et le droit touché, il était possible de prouver que les groupements électoraux avaient été dénaturés par le biais d'éléments les transformant en un parti politique de facto donnant continuité à un autre parti dissous. Dans les circonstances de l'espèce et dans la mesure où l'appréciation des preuves faite par le Tribunal suprême paraissait être raisonnable et avoir pris en considération tous les intérêts et droits en conflit, le Tribunal constitutionnel considéra que la restriction du droit de participer aux affaires publiques était justifiée.
36.  Concernant enfin le droit à la liberté d'expression, la haute juridiction signala ce qui suit :
« (...) Tout en reconnaissant l'étroite relation qui existe entre [la liberté idéologique et la liberté d'expression] et le droit de participer aux affaires publiques (article 23 § 2 de la Constitution), (...) ces deux éléments ne possèdent pas de rapport objectif, conformément à la doctrine constitutionnelle établie, avec ce qui a été décidé par le Tribunal suprême [dans ses arrêts contestés en amparo]. En conséquence, ils ne doivent pas être examinés en tant que tels dans cet arrêt ».
37.  Un magistrat dissident exprima des doutes quant à la conformité de la procédure contentieuse-électorale, prévue par la loi organique relative au régime électoral général, avec le droit à un procès équitable garanti par l'article 24 de la Constitution, eu égard aux courts délais qui caractérisent cette procédure.
II.  LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT
1.  La Constitution
Article 20
« 1.  Sont reconnus et protégés les droits suivants :
a)  droit d'exprimer et de diffuser librement des pensées, idées et opinions oralement, par écrit ou par tout autre moyen de reproduction ;
d)  droit de communiquer et de recevoir librement des informations vraies par tous moyens de diffusion. (...).
2.  L'exercice de ces droits ne peut être restreint par aucune censure préalable.
4.  Ces libertés trouvent leur limite dans le respect des droits reconnus dans ce Titre, dans les dispositions des lois applicables et particulièrement dans le droit à l'honneur, à la vie privée, à l'image et à la protection de la jeunesse et de l'enfance. »
Article 23
« 1.  Les citoyens ont le droit de participer aux affaires publiques, directement ou à travers leurs représentants élus librement lors d'élections périodiques au suffrage universel. »
Article 24
« 1.  Toute personne a le droit d'obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et intérêts légitimes, sans jamais être mise dans l'impossibilité de se défendre.
2.  De même, toute personne a le droit d'être entendue par une juridiction ordinaire établie préalablement par la loi ; elle a le droit de se défendre et de se faire assister par un avocat, d'être informée de l'accusation portée contre elle, de bénéficier d'un procès public sans délais injustifiés et assorti de toutes les garanties, d'utiliser les moyens de preuve appropriés pour sa défense, de ne pas témoigner contre elle-même ni se reconnaître coupable, et d'être présumée innocente. (...) »
2.  La loi organique 5/1985 du 19 juin 1985 relative au régime électoral général, telle que modifiée par la loi organique 6/2002 du 27 juin 2002 sur les partis politiques (LOPP)
Article 44 § 4
« Ne peuvent se porter candidats aux élections les groupements électoraux qui, de fait, succèdent à un parti politique déclaré illégal et dissous ou suspendu, ou continuent les activités d'un tel parti. A cet égard, on tiendra compte de la similitude substantielle de leurs structures, organisation et fonctionnement, des personnes qui en font partie, dirigent, représentent ou administrent les candidatures, de l'origine des moyens financiers ou matériels, ou de toute autre circonstance pertinente qui, comme leur disposition à soutenir la violence ou le terrorisme, permettent d'apprécier cette continuité ou succession. »
Article 49 § 1
« A compter de la proclamation, tout candidat exclu ainsi que les représentants des candidatures proclamées ou dont la proclamation aurait été refusée, disposent d'un délai de deux jours pour introduire un recours devant le juge contentieux-administratif à l'encontre de la décision des Juntas Electorales (...) ».
Article 49 § 3
« La décision de justice, qui devra être rendue dans les deux jours suivants la présentation du recours, possède un caractère définitif et sans appel, sans porter préjudice à la procédure d'amparo devant le Tribunal Constitutionnel. »
Article 49 § 4
« Le recours d'amparo doit être introduit dans un délai de deux jours et le Tribunal Constitutionnel doit se prononcer sur ledit recours dans les trois jours qui suivent. »
3.  La loi organique 6/1985 du 1er juillet 1985 sur le pouvoir judiciaire (LOPJ), telle que modifiée par loi organique 6/2002 du 27 juin 2002 sur les partis politiques (LOPP)
Article 61
« 1. Une chambre composée du président du Tribunal suprême, des présidents des différentes chambres et du magistrat le plus ancien et le plus récent de chacune d'entre elles sera compétente pour :
1o examiner les recours en révision (...) ;
2o traiter les procédures incidentes tendant à la récusation (...) ;
3o examiner les demandes en responsabilité civile dirigées contre les présidents de chambre (...)
4o l'instruction et le jugement des litiges contre les présidents de chambre (...) ;
5o examiner les allégations d'erreur judiciaire dirigées contre les chambres du Tribunal suprême ;
6o traiter les procédures tendant à voir déclarer l'illégalité et la dissolution des partis politiques, conformément à la loi organique 6/2002 du 27 juin 2002 sur les partis politiques.
4.  La loi organique 6/2002 du 27 juin 2002 sur les partis politiques (LOPP)
Article 12
« 1. La dissolution judiciaire d'un parti politique produira les effets prévus par les lois et, en particulier, les effets suivants :
a. après la notification du jugement décidant la dissolution, le parti politique dissous devra cesser immédiatement toute activité. Le non respect de cette disposition pourra engager la responsabilité conformément aux prévisions du code pénal.
b. les actes frauduleux ou commis avec abus de personnalité juridique n'empêcheront pas l'application de cette loi. La création d'un nouveau parti politique sur la base d'un autre déjà inscrit au Registre qui poursuive ou continue l'activité d'un parti déclaré illégal ou dissous sera présumée frauduleuse et par conséquent interdite.
5.  La Résolution 1308 (2002) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe intitulée « Restrictions concernant les partis politiques dans les Etats membres du Conseil de l'Europe » (extrait)
« (...) Afin d'éviter toute mesure arbitraire, la décision visant l'interdiction ou la dissolution d'un parti politique ne doit être prise qu'en dernière extrémité, en conformité avec l'ordre constitutionnel du pays et selon des procédures offrant les garanties d'un procès équitable. La Convention européenne des Droits de l'Homme représente une garantie contre toute dissolution abusive d'un parti politique ».
6.  Les lignes directrices sur l'interdiction et la dissolution des partis politiques et les mesures analogues (Commission de Venise, réunion plénière des 10-11 décembre 1999, extrait)
L'interdiction ou la dissolution forcée de partis politiques ne peuvent se justifier que dans le cas où les partis prônent l'utilisation de la violence ou l'utilisent comme un moyen politique pour faire renverser l'ordre constitutionnel démocratique, abolissant de ce fait les droits et libertés protégés par la Constitution.
Un parti politique, en tant que tel, ne peut pas être tenu pour responsable de la conduite de ses membres qui n'aurait pas été autorisée par le parti à l'intérieur du cadre politique/public et des activités du parti.
L'interdiction ou la dissolution de partis politiques comme mesure particulière de portée considérable doivent être utilisées avec la plus grande retenue. Avant de demander à la juridiction compétente d'interdire ou de dissoudre un parti, les gouvernements ou autres organes de l'Etat doivent établir – en regard de la situation dans le pays concerné – si le parti représente réellement un danger pour l'ordre politique libre et démocratique ou pour les droits des individus, et si d'autres mesures moins radicales peuvent prévenir ledit danger ».
7.  Code de bonne conduite en matière électorale (Commission de Venise, 18-19 octobre 2002)
II. Les conditions de la mise en œuvre des principes
« 3. 3 L'existence d'un système de recours efficace
a)      L'instance de recours en matière électorale doit être soit une commission électorale, soit un tribunal. Un recours devant le Parlement peut être prévu en première instance en ce qui concerne les élections du Parlement. Dans tous les cas, un recours devant un tribunal doit être possible en dernière instance.
b)      La procédure doit être simple et dénuée de formalisme, en particulier en ce qui concerne la recevabilité des recours.
c)      Les dispositions en matière de recours, et notamment de compétences et de responsabilités des diverses instances, doivent être clairement réglées par la loi, afin d'éviter tout conflit de compétences positif ou négatif. Ni les requérants, ni les autorités ne doivent pouvoir choisir l'instance de recours.
d)      L'instance de recours doit être compétente notamment en ce qui concerne le droit de vote – y compris les listes électorales – et l'éligibilité, la validité des candidatures, le respect des règles de la campagne électorale et le résultat du scrutin.
e)      L'instance de recours doit pouvoir annuler le scrutin si une irrégularité a pu influencer le résultat. (...)
f)      Tout candidat et tout électeur de la circonscription ont qualité pour recourir (...)
g)      Les délais de recours et les délais pour prendre une décision sur recours doivent être courts (trois à cinq jours en première instance).
h)      Le droit des requérants au contradictoire doit être sauvegardé.
i)      Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours, elles doivent pouvoir rectifier ou annuler d'office les décisions des commissions inférieures».
8.  Procédures d'annulation des candidatures électorales dans les Etats membres du Conseil de l'Europe
L'aperçu général du contentieux préélectoral en Europe, permet de révéler une grande diversité dans les systèmes des droits nationaux. Cependant, dans la quasi-totalité des Etats étudiés des délais très courts de contestation des décisions relatives à l'enregistrement des candidatures sont prévus et ce, en raison de la célérité requise par le processus électoral. S'il est vrai que parmi ces pays, il y en a dix qui s'alignent sur les recommandations de la Commission de Venise (délai de trois à cinq jours pour introduire le recours en première instance), il y en a d'autres, plus proches du système juridique espagnol (France, Portugal, Italie), qui accordent un délai plus bref, à savoir deux jours. S'agissant du délai pour statuer en première instance, il y a neuf Etats qui prévoient un délai plus long que celui prévu en Espagne, alors que sept autres Etats établissent le même délai de deux jours.
Les différences sont plus marquantes en ce qui concerne la possibilité d'un appel contre la décision de première instance. La majorité des Etats qui ont prévu un tel recours sont les Etats qui ont conféré la compétence en première instance à des commissions électorales, soumettant celles-ci à un contrôle juridictionnel en dernier ressort. Mais pour ceux où la compétence en première instance est attribuée à une cour de justice (la plupart des cas à la Cour suprême en matière d'élections législatives), aucun recours ultérieur n'est prévu. Le cas espagnol, avec celui du Portugal, constitue donc une exception dans la mesure où il permet de saisir en dernière instance le Tribunal constitutionnel d'un recours électoral. Pour ce qui est des délais régissant l'appel, la plupart des Etats étudiés n'accordent pas de délais beaucoup plus longs permettant à leurs cours suprêmes de statuer. Seuls trois pays, dont l'Espagne, prévoient un délai pour statuer plus long en appel qu'en première instance.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1
38.  Les requérants à l'origine des requêtes nos 35613/03 et 35626/03, chacun tête de liste d'un groupement électoral litigieux, se plaignent de s'être vu privés de la possibilité de se présenter aux élections au Parlement de Navarre et de représenter les électeurs, ce qui a entravé la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. Ils invoquent l'article 3 du Protocole no 1, qui se lit comme suit :
« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
a)  Thèses des parties
i.  Les requérants
39.  Les requérants considèrent que ni le Tribunal suprême ni le Tribunal constitutionnel n'ont analysé le contenu du programme des candidats. Par ailleurs, ils n'ont pu baser leurs décisions sur les activités du groupement ; en effet, il a été déclaré illégal le cinquième jour après sa déclaration de candidature par les Juntas Electorales. Par conséquent, les requérants sont d'avis que l'application par le Tribunal suprême et le Tribunal constitutionnel de l'article 44 § 4 de la loi organique relative au régime électoral général n'était pas prévue par la loi au sens de la Convention. A cet égard, les requérants sont d'avis que le raisonnement des juridictions internes est contraire à la jurisprudence établie dans les affaires Ždanoka (Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, §§ 123 et 130, CEDH 2006-...) et Podkolzina (Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, §§ 35 et 36, 9 avril 2002) et que la procédure d'annulation des listes de candidats n'aurait pas rempli « les exigences d'équité procédurale et de certitude légale ».
40.  En outre, les requérants considèrent que les tribunaux internes ont appliqué un critère de « présomption » lors de l'adoption de la mesure litigieuse. Ainsi, la simple présence sur les listes litigieuses d'individus qui avaient eu une relation avec les partis politiques Batasuna et Herri Batasuna dissous fut suffisante pour contaminer « idéologiquement » l'ensemble de la plateforme, dans la mesure où leur présence créerait un lien d'identité entre le candidat et le parti politique dissous.
41.  Au vu de ce qui précède, les requérants estiment que la mesure litigieuse n'était ni proportionnée au but poursuivi ni nécessaire dans une société démocratique, et qu'elle a porté atteinte à l'essence même du droit à se présenter à des élections garanti par l'article 3 du Protocole no 1.
ii.  Le Gouvernement
42.  Le Gouvernement signale que les exigences de prévisibilité et de nécessité de la mesure d'annulation sont moindres s'agissant de l'article 3 du Protocole no 1 que pour d'autres articles de la Convention. Il renvoie à cet égard à l'arrêt Ždanoka c. Lettonie (précité, § 115). Pour ce qui est de la première de ces exigences, le Gouvernement indique que la mesure était prévue par l'article 12 § 1 b) de la LOPP combiné avec l'article 44 § 4 de la loi organique relative au régime électoral général. A son avis, la loi est donc suffisamment claire : elle envisage l'annulation comme une mesure subsidiaire, réservée aux candidatures qui ont des liens forts et avérés avec les partis politiques dissous. Concernant le caractère accessible et prévisible de la loi organique relative au régime électoral général, le Gouvernement estime que ce texte indique avec une clarté suffisante les situations qui peuvent donner lieu à une annulation. En outre, les arrêts des tribunaux internes sont également uniformes à ce sujet. En particulier, sont seulement interdites les candidatures dont les circonstances permettent de conclure de façon fondée que le groupement en cause continue les activités d'un parti politique déclaré illégal, dissous ou suspendu par une décision de justice.
43.  Pour ce qui est de la nécessité de la mesure, le Gouvernement renvoie à ses observations dans le cadre de l'affaire Batasuna (requête no 25817/04, voir § 8). En effet, la dissolution des partis politiques aurait été inutile s'ils avaient pu poursuivre de facto leur activité par le biais de groupements électoraux. De plus, conformément à la jurisprudence établie dans l'affaire Gorzelik et autres c. Pologne ([GC], no 44158/98, CEDH 2004-I), également invoquée dans l'affaire Batasuna, il appartient en premier lieu aux instances nationales d'apprécier le « besoin social » d'une mesure, sans préjudice du contrôle pouvant être effectué par la Cour.
44.  Quant à la question de l'appréciation des preuves effectuée par les juridictions internes, le Gouvernement note premièrement que la décision d'annuler les candidatures n'a pas été prise par le Gouvernement ou l'administration mais par un organe juridictionnel, à savoir le Tribunal suprême. Dès lors, les requérants ont bénéficié d'une procédure contradictoire au cours de laquelle les preuves ont fait l'objet d'un examen minutieux.
45.  Par ailleurs, le Gouvernement signale que tant le Tribunal suprême que le Tribunal constitutionnel ont procédé à l'application de la mesure d'annulation en dernier recours. En effet, ils ont examiné les programmes de tous les groupements électoraux litigieux et n'ont décidé l'annulation que pour ceux où la mesure s'avérait proportionnée au but poursuivi. Ainsi, même si dans certains cas il pouvait y avoir des soupçons, le constat de l'existence d'un rapport avec les partis politiques dissous n'a pas suffi, à lui seul, à les annuler, les tribunaux internes ayant examiné au cas par cas la nature précise du rapport avec les partis politiques dissous.
46.  A la lumière des arguments susmentionnés, le Gouvernement estime qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 du Protocole no 1.
b)  Appréciation de la Cour
i)  Jurisprudence de la Cour relative à l'article 3 du Protocole no 1
47.  La Cour souligne tout d'abord que l'article 3 du Protocole no 1 consacre un principe fondamental dans un régime politique véritablement démocratique et revêt donc dans le système de la Convention une importance capitale (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 47, série A no 113). En effet, la démocratie représente un élément fondamental de « l'ordre public européen », et les droits garantis par l'article 3 du Protocole no 1 sont cruciaux pour l'établissement et le maintien des fondements d'une véritable démocratie régie par la prééminence du droit (voir, en dernier lieu et parmi beaucoup d'autres, Ždanoka précité, §§ 98 et 103).
48.  Cependant, la Cour rappelle que, pour importants qu'ils soient, les droits reconnus à l'article 3 du Protocole no 1 ne sont pas absolus. Comme l'article 3 les reconnaît sans les énoncer en termes exprès ni moins encore les définir, il y a place pour des « limitations implicites » (Gitonas et autres c. Grèce, 1er juillet 1997, § 39, Recueil 1997-IV). Dans leurs ordres juridiques respectifs, les Etats contractants entourent les droits de vote et d'éligibilité de conditions auxquelles l'article 3 ne met en principe pas obstacle. Ils jouissent en la matière d'une large marge d'appréciation, mais il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l'observation des exigences du Protocole no 1 ; il lui faut s'assurer que lesdites conditions ne réduisent pas les droits dont il s'agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu'elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (Ždanoka précité, § 115, et Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 63, CEDH 1999-I), sans perdre de vue la base légale nécessaire pour la mise en œuvre de toute mesure restrictive des droits garantis par cette disposition.
49.  La notion de « limitation implicite » qui se dégage de l'article 3 du Protocole no 1 signifie également que la Cour n'applique pas les critères traditionnels de « nécessité » ou de « besoin social impérieux » qui sont utilisés dans le cadre des articles 8 à 11 de la Convention. Lorsqu'elle a à connaître de questions de conformité d'une restriction à l'article 3 du Protocole no 1, la Cour s'attache essentiellement à deux critères : elle recherche d'une part s'il y a eu arbitraire ou manque de proportionnalité et d'autre part si la restriction a porté atteinte à la libre expression de l'opinion du peuple (Ždanoka précité, § 115). De plus, la Cour souligne la nécessité d'apprécier toute législation électorale à la lumière de l'évolution politique du pays concerné, ce qui implique que des caractéristiques inacceptables dans le cadre d'un système peuvent se justifier dans le contexte d'un autre (voir, notamment, les affaires Mathieu-Mohin et Clerfayt, et Podkolzina précitées).
50.  Finalement, la Cour distingue entre le droit de vote, dans l'aspect « actif » des droits garantis par l'article 3 du Protocole no 1 et le droit de se présenter aux élections, qui en constitue son aspect « passif ». Elle a observé que le droit de se présenter aux élections législatives peut être encadré par des exigences plus strictes que le droit de vote. En effet, alors que le critère relatif à l'aspect « actif » de l'article 3 du Protocole no 1 implique d'ordinaire une appréciation plus large de la proportionnalité des dispositions légales privant une personne ou un groupe de personnes du droit de vote, la démarche adoptée par la Cour quant à l'aspect « passif » de cette disposition se limite pour l'essentiel à vérifier l'absence d'arbitraire dans les procédures internes conduisant à priver un individu de l'éligibilité (Melnitchenko c. Ukraine, 19 octobre 2004, § 57, et Ždanoka précité, § 115).
ii)  Application de la jurisprudence de la Cour aux cas d'espèce
51.   La Cour note que l'ordre juridique espagnol prévoit la mesure litigieuse. De l'avis de la Cour, les requérants pouvaient raisonnablement s'attendre à ce que cette disposition soit appliquée dans leur cas. En effet, elle était publiée dans le journal officiel et en vigueur au moment où les candidatures des groupements électoraux litigieux furent annulées, ce qui confère à la loi un caractère suffisamment prévisible et accessible.
52.   Quant aux buts de la mesure, la Cour attire premièrement l'attention sur le fait que, conformément à l'article 12 § 1 de la LOPP combiné avec l'article 44 § 4 de la loi organique relative au régime électoral général, la mesure est réservée aux candidatures qui ont des liens forts et avérés avec des partis politiques dissous. La loi prend en compte, parmi d'autres éléments, la similitude substantielle de leurs structures et organisations respectives, de leurs membres et de leurs dirigeants ou représentants, ainsi que l'appui de la nouvelle formation politique à la violence ou au terrorisme. La Cour est d'accord avec l'affirmation du Gouvernement conformément à laquelle la dissolution des partis politiques Batasuna et Herri Batasuna aurait été inutile s'ils avaient pu poursuivre de facto leur activité par le biais des groupements électoraux litigieux. Dès lors, elle juge que la restriction litigieuse poursuit des buts compatibles avec le principe de la prééminence du droit et les objectifs généraux de la Convention, à savoir notamment la protection de l'ordre démocratique.
53.  Reste à établir si la restriction était proportionnée. A ce sujet, la Cour est d'avis que les autorités nationales disposaient de nombreux éléments permettant de conclure que les groupements électoraux litigieux voulaient continuer les activités des partis politiques déclarés illégaux préalablement, comme par exemple les documents trouvés au domicile d'un membre présumé de l'ETA, rédigés à l'attention des groupements et leur donnant des instructions à suivre au cas où le parti Batasuna serait déclaré illégal (voir, a contrario, Labita c. Italie, [GC], no 26772/95, § 203, CEDH 2000-IV). Par ailleurs, elle signale que les candidatures furent présentées le 28 avril 2003 et que l'arrêt du Tribunal suprême intervint le 3 mai 2003, laissant le temps nécessaire aux autorités pour examiner le programme des groupements litigieux. En tout état de cause, la Cour constate que le Tribunal suprême s'est fondé sur des éléments supplémentaires au programme des groupements litigieux (paragraphes 17 à 22 ci-dessus). La Cour rappelle en outre que les autorités ont pris les décisions d'annulation des candidatures de façon individualisée et, après un examen contradictoire au cours duquel les groupements ont pu présenter des observations, les juridictions internes ont constaté de façon non équivoque un lien avec les partis politiques déclarés illégaux. En effet, la Cour attire l'attention sur le fait que plusieurs groupements ayant fait l'objet de la même mesure que les requérants saisirent le Tribunal constitutionnel simultanément à ces derniers et que la haute juridiction, comme le Tribunal suprême auparavant, accepta certains de leurs recours d'amparo. Elle considéra que les liens avec Batasuna et Herri Batasuna n'étaient pas suffisamment avérés. De l'avis de la Cour, cette distinction atteste le caractère individualisé de la mesure.
54.  La Cour est consciente que les présentes requêtes diffèrent de l'affaire Ždanoka c. Lettonie, précitée, où la Grande Chambre conclut à la non-violation de l'article 3 du Protocole no 1, dans la mesure où le Parti communiste de Lettonie (PCL) dont faisait partie la requérante, fut tenu comme responsable de plusieurs épisodes violents mettant en danger l'ordre démocratique. En revanche, les partis politiques dont les groupements électoraux litigieux sont considérés comme successeurs en l'espèce n'avaient pas commis, eux-mêmes, d'actes violents. Nonobstant, de l'avis de la Cour, il a été suffisamment prouvé par les juridictions internes espagnoles que les groupements litigieux prétendaient poursuivre les activités de Batasuna et Herri Batasuna, dissous préalablement en raison de leur soutien à la violence et aux activités de l'organisation terroriste ETA.
55.  Finalement, la Cour note que le contexte politique existant en Espagne, à savoir la présence de partis politiques à caractère indépendantiste dans les organes de gouvernement de certaines communautés autonomes et en particulier au Pays basque, prouve que la mesure litigieuse ne répondait pas à une intention d'interdire toute manifestation d'idées séparatistes. Ainsi, la Cour estime que sa propre jurisprudence, conformément à laquelle l'expression de points de vue séparatistes n'implique pas per se une menace contre l'intégrité territoriale de l'Etat et la sécurité nationale, a été respectée (voir Organisation macédonienne unie Ilinden et autres c. Bulgarie, no 59491/00, § 76, 19 janvier 2006).
56.  Par conséquent, la Cour estime que la restriction litigieuse est proportionnée au but légitime poursuivi et que, en l'absence d'arbitraire, elle n'a pas porté atteinte à la libre expression de l'opinion du peuple. Il n'y a donc pas eu violation de l'article 3 du Protocole no 1.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
57.  Sur le terrain de l'article 10 de la Convention, tous les requérants se plaignent de l'annulation de leurs candidatures aux élections au Parlement de Navarre, ainsi qu'aux élections municipales et régionales au Pays basque et en Navarre. Ils contestent le caractère prévisible de l'article 44 § 4 de la loi organique relative au régime électoral général et dénoncent l'absence de but légitime et de nécessité de l'ingérence dans une société démocratique. Les requérants estiment que les termes de la loi sont très vagues, indéterminés et ambigus, et que ces lacunes n'ont pu être palliées en l'espèce par la jurisprudence interne, cette disposition étant seulement en vigueur depuis le 29 juin 2002. Par ailleurs, ils se plaignent de l'application rétroactive de l'article 44 § 4 de la loi organique relative au régime électoral général, dans la mesure où les faits reprochés aux membres des groupements électoraux requérants n'étaient pas constitutifs d'une infraction pénale et n'étaient pas non plus contraires à la législation applicable.
58.  Les requérants soutiennent que l'objectif de l'ingérence, ainsi que de la LOPP, était d'interdire toutes les expressions politiques de l'indépendantisme basque. Ils estiment enfin que la mesure dont ils ont fait l'objet n'était pas proportionnée au but poursuivi.
59.  L'article 10 de la Convention :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2.  L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
1. Sur l'applicabilité de l'article 10
a)  Thèses des parties
i.  Les requérants
60.  L'ensemble des requérants sont d'avis que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le droit à des élections libres au niveau local se trouve sous la protection du droit à la liberté d'expression (Rekvényi c. Hongrie [GC], no 25390/94, § 26, CEDH 1999-III, et Ahmed et autres c. Royaume-Uni, 2 septembre 1998, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI). A cet égard, ils estiment que l'interdiction faite à une liste électorale de se porter candidate à des élections constitue une mesure restrictive analogue à l'interdiction des activités ou à la dissolution d'un parti politique. En effet, mis à part l'impossibilité pour les candidats de participer au débat électoral, cette mesure constitue un obstacle au libre choix par les électeurs de leurs représentants dans les institutions. Les requérants à l'origine des requêtes nos35579/03 et 35634/03 ajoutent pour leur part que l'article 3 du Protocole no 1 ne leur est pas applicable.
ii.  Le Gouvernement
61.  Le Gouvernement signale que, dans la mesure où en l'espèce cette liberté se situe dans un contexte électoral, elle doit être analysée comme une forme spécifique du droit de participer aux affaires publiques, reconnu dans l'article 3 du Protocole no 1. Le Gouvernement rappelle le raisonnement adopté à ce sujet par la Cour dans l'affaire Ždanoka précitée. Dès lors, les questions soulevées ne relèvent pas de la liberté d'expression, au-delà de leur connexion intrinsèque avec le domaine matériel de l'article 3 du Protocole no 1.
b)  Appréciation de la Cour
62.  La Cour signale d'emblée que la question se pose de savoir si l'article 10 est applicable lorsque, comme en l'espèce, l'article 3 du Protocole no 1 ne rentre pas dans le champ d'application. En effet, ni les municipalités ni les provinces en cause ne participent à « l'exercice du pouvoir législatif et partant [elles] ne font pas partie du « corps législatif » au sens de l'article 3 du Protocole no 1 » (voir Salleras Llinares c. Espagne (déc.), no 52226/99, CEDH 2000-XI).
63.  A cet égard, la Cour se doit de signaler qu'à de multiples reprises, elle a rappelé l'importance cruciale de la liberté d'expression, qui constitue l'une des conditions préalables au fonctionnement de la démocratie (Özgür Gündem c. Turquie, no 23144/93, § 43, CEDH 2000-III). Cette affirmation de la fonction sociale de la liberté d'expression constitue la philosophie de base de la jurisprudence de la Cour relative à l'article 10. Il en résulte, d'une part, que la liberté d'expression n'est pas seulement une garantie contre les ingérences de l'Etat (un droit subjectif) mais elle est aussi un principe fondamental objectif pour la vie en démocratie ; d'autre part, la liberté d'expression n'est pas une fin en soi mais un moyen pour l'établissement d'une société démocratique pluraliste.
64.  En l'espèce, la Cour considère que ce droit doit être interprété comme englobant également celui à communiquer des informations et des idées à des tiers dans un contexte politique. Ainsi, même si le droit à la liberté d'expression est lié, in concreto, à une procédure électorale, ceci ne suffit pas à exclure son application aux présentes affaires (voir, mutatis mutandis, Rekvényi précité, § 26).
65.  A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut à l'applicabilité de l'article 10.
2.  Sur l'observation de l'article 10
a)  Thèses des parties
i.  Les requérants
66. Premièrement, les requérants signalent que la loi en vigueur, à savoir l'article 44 § 4 de la loi organique relative au régime électoral général, est excessivement large et ambigüe quant aux critères qu'elle expose et se plaignent de son application rétroactive. Ce manque de certitude et de prévisibilité dans la rédaction du texte laisse tant au Tribunal suprême qu'au Tribunal constitutionnel une trop large marge d'interprétation. En effet, les critères de dissolution prévus sont purement indicatifs, les juridictions chargées d'examiner une affaire pouvant en conséquence se baser sur « toute autre circonstance pertinente ». Les requérants signalent également que, de par son libellé, cet article entend établir la continuité entre deux entités ayant une nature juridique différente et constituant des instruments destinés à l'exercice de droits fondamentaux différents : d'une part, un parti politique qui a vocation à durer dans le temps et à protéger le droit d'association et, d'autre part, une plateforme électorale qui vise le droit à la participation politique et dont la personnalité juridique découle de sa présentation devant l'administration électorale, sa raison d'être disparaissant après la tenue des élections pour lesquelles elle a été créée. Dès lors, dans la mesure où la vocation de cette plateforme est limitée dans le temps, il est ontologiquement impossible de la considérer comme la continuation d'un parti politique déclaré dissous. De plus, les requérants signalent que le critère utilisé par le Tribunal constitutionnel pour fonder la similitude entre les deux entités est quantitatif (à savoir le nombre de candidats qui figuraient auparavant sur les listes des partis politiques déclarés illégaux) et qu'il n'est pas prévu, de façon directe ou indirecte, par l'article 44 § 4. Le manque de prévisibilité de cette disposition n'ayant pas été comblé par la jurisprudence nationale, l'ingérence ne peut en l'espèce être considérée comme prévue par la loi.
67.  Concernant la question de savoir si l'annulation visait un but légitime, ils estiment que, derrière le prétexte de la protection de l'ordre public et de la lutte contre le terrorisme énoncé dans la loi organique relative au régime électoral général, la mesure visait l'élimination du débat politique du courant indépendantiste de gauche au Pays basque espagnol. Cela irait à l'encontre du principe garantissant une société démocratique et pourrait être assimilé à un régime d'apartheid touchant une grande partie de la société basque. En effet, toutes les tendances politiques doivent pouvoir participer librement aux élections. Un deuxième élément qui, selon les requérants, entre en ligne de compte pour prouver l'absence de but légitime est la nature collective de la mesure litigieuse : il a été considéré que la seule présence dans le groupement d'un candidat ayant été membre d'un des partis politiques déclarés illégaux « contaminait » l'ensemble de la liste, sans que l'on s'attarde à examiner le comportement individuel de chaque candidat.
68.  S'agissant de la nécessité de la mesure dans une société démocratique, les requérants admettent, comme cela est reconnu dans la jurisprudence de la Cour (Mathieu-Mohin et Clerfayt précité, § 52, et Matthews précité, § 63), que le droit de participer à des élections libres n'est pas absolu. Cependant, ils estiment qu'en l'espèce, la mesure litigieuse contredit de manière arbitraire et disproportionnée la liberté d'expression et d'opinion. En effet, pour les requérants à l'origine des requêtes nos 35579/03 et 35613/03, elle est fondée uniquement sur leurs activités antérieures dans un parti politique alors que celui-ci était encore légal. De plus, la mesure a engendré leur inéligibilité totale, sans que leurs activités individuelles aient été examinées par une instance nationale, leur seule présence ayant provoqué l'annulation des groupements requérants.
ii.  Le Gouvernement
69.  Le Gouvernement réitère son argument d'après lequel ce grief doit être analysé comme une forme spécifique du droit de participer aux affaires publiques, reconnu dans l'article 3 du Protocole no 1.
b)  Appréciation de la Cour
i.  Requêtes nos35613/03 et 35626/03
70.  La Cour constate que le grief tiré de l'article 10 se rapporte aux mêmes faits que les doléances soulevées sur le terrain de l'article 3 du Protocole no 1. A cet égard, elle rappelle que cette dernière disposition constitue une lex specialis pour ce qui est de l'exercice du droit de vote (voir Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 89, CEDH 2005, et Ždanoka précité). Cette considération est applicable a fortiori au droit subjectif de se porter candidat. Par conséquent, la Cour renvoie aux conclusions présentées ci-dessous sous l'angle de l'article 3 du Protocole no 1 et déclare qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 10.
ii.  Requêtes nos35579/03 et 35634/03
71.  Dans la mesure où l'article 10 est la seule disposition invoquée, la Cour rappelle qu'elle a conclu ci-dessus à la non-violation de l'article 3 du Protocole no 1, au motif que la mesure d'annulation dont firent l'objet les groupements litigieux était proportionnée au but légitime poursuivi et n'avait pas porté atteinte à la libre expression de l'opinion du peuple (voir § 50 ci-dessus).
72.  Tenant compte du lien étroit entre le droit à la liberté d'expression et les critères dégagés par sa jurisprudence concernant l'article 3 du Protocole no 1 (paragraphes 47 à 50 ci-dessus), la Cour est d'avis que, concernant l'article 10, l'Etat est en droit de disposer d'une marge d'appréciation comparable à celle acceptée dans le cadre de l'article 3 du Protocole no 1. A la lumière des considérations qui l'ont conduite au constat de non-violation de l'article 3 du Protocole no 1, la Cour estime que les autorités espagnoles n'ont pas excédé la marge d'appréciation dont elles disposaient vis-à-vis de l'article 10.
73.  En ce qui concerne le grief relatif à l'application rétroactive de l'article 44 § 4 de la loi organique relative au régime électoral général, la Cour rappelle que l'article 7 § 1 de la Convention garantit la non-rétroactivité seulement dans les procédures pénales, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En tout état de cause, la Cour constate que les actes pris en compte par le Tribunal suprême pour conclure à l'annulation des groupements électoraux litigieux datent d'après l'entrée en vigueur de la LOPP. Au demeurant, elle indique qu'aucune disposition de la Convention n'exclut la possibilité de se baser sur des faits antérieurs à l'adoption de la loi.
74.  Par conséquent, la Cour conclut à la non-violation de l'article 10 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
75.  L'ensemble des requérants se plaignent que la procédure contentieuse-électorale devant la chambre spéciale du Tribunal suprême, régie par la loi organique relative au régime électoral général telle que modifiée par la LOPP, ne saurait passer pour un recours effectif vu notamment les courts délais dont ils ont disposé. L'article 13 de la Convention se lit ainsi :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
1.  Thèses des parties
i.  Les requérants
76.  Les requérants estiment que dans la mesure où l'ingérence en cause a trait à l'exercice des droits les plus fondamentaux dans une société démocratique, à savoir, la liberté d'expression et le droit à des élections libres, les recours dont ils disposèrent se devaient d'être effectifs au sens de l'article 13 de la Convention.
ii.  Le Gouvernement
77.  De son côté, le Gouvernement considère que la célérité avec laquelle elle se déroule se justifie par la nécessité de garantir la bonne tenue des élections. En l'espèce, cela n'a nullement constitué un obstacle au respect du principe du contradictoire. En effet, conformément à l'article 61 de la LOPJ, les requérants ont pu présenter les allégations qu'ils ont estimées pertinentes. En tout état de cause, le Gouvernement indique que les requérants ne précisent pas dans leurs requêtes quelles sont les allégations qu'ils se sont vu empêchés de soulever ni quelles preuves ils n'ont pas pu présenter.
2.  Appréciation de la Cour
78.  La Cour note que les délais dont les groupements litigieux ont disposé pour former leurs recours, à savoir, deux jours tant pour contester le refus d'enregistrement de leurs candidatures devant le Tribunal suprême que pour former amparo devant le Tribunal constitutionnel, ont été brefs.
79.  A cet égard, la Cour rappelle que les standards fixés par la Commission de Venise dans le « code de bonne conduite en matière électorale », considèrent souhaitable un délai de trois à cinq jours en première instance (voir la partie « Droit interne et international pertinent » ci-dessus).
80.  Cependant, la Cour se doit de constater l'absence d'unanimité parmi les Etats membres du Conseil de l'Europe. Ainsi, s'il est vrai que parmi ces Etats il y en a certains qui s'alignent sur les recommandations de la Commission de Venise (cf. Albanie, Allemagne, Arménie ou Lettonie), il y en a d'autres, plus proches du système juridique espagnol (cf. France, Portugal, Italie ou Bosnie-Herzégovine, ), qui accordent un délai plus bref, à savoir deux jours, pour contester en première instance l'annulation de candidatures électorales. En conséquence, le délai prévu en Espagne ne constitue pas un exemple isolé ou une solution manifestement déraisonnable par rapport à la majorité des autres Etats européens. Par ailleurs, en appel, le cas espagnol, avec celui du Portugal, constitue une exception dans la mesure où il permet de saisir en dernière instance le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo électoral (voir la partie « Droit interne et international pertinent » ci-dessus).
81.  En tout état de cause, la Cour signale que son rôle ne consiste pas à analyser la législation en tant que telle pour dire si un délai de deux jours est trop court in abstracto, mais à en examiner les effets à la lumière des circonstances particulières de chaque cas d'espèce. Dans les présentes affaires, la Cour constate qu'il n'a pas été démontré par les requérants que ces délais aient empêchés les représentants des groupements litigieux de former leurs recours devant le Tribunal suprême ou le Tribunal constitutionnel et de présenter des observations et défendre leurs intérêts de manière appropriée.
82.  Par conséquent, il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 du Protocole no 1 concernant les requêtes no 35613/03 et no 35626/03,  et qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 10 de la Convention ;
2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 10 de la Convention concernant les requêtes no 35579/03 et no  35634/03 ;
3.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 juin 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen   Greffière Président
ARRÊT ETXEBERRIA et autres c. ESPAGNE
ARRÊT ETXEBERRIA et autres c. ESPAGNE 


Synthèse
Formation : Cour (cinquième section)
Numéro d'arrêt : 35579/03;35613/03;35626/03;...
Date de la décision : 30/06/2009
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Non-violation de P1-3 ; Non-violation de l'art. 10 ; Non-violation de l'art. 13

Parties
Demandeurs : ETXEBERRIA BARRENA ARZA NAFARROAKO AUTODETERMINAZIO BILGUNEA ET AIARAKO ET AUTRES
Défendeurs : ESPAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-06-30;35579.03 ?

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