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17/09/2009 | CEDH | N°13936/02

CEDH | AFFAIRE MANOLE ET AUTRES c. MOLDOVA


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MANOLE ET AUTRES c. MOLDOVA
(Requête no 13936/02)
ARRÊT
[Extraits]
STRASBOURG
17 septembre 2009
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Manole et autres c. Moldova,
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Josep Casadevall,   Giovanni Bonello,   Rait Maruste,   Lech Garlicki,   Ján Šikuta,   Stanislav Pavlovschi, juges,  et de Lawrence Early, greffier

de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 août 2009,
Rend l'arrêt que vo...

QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MANOLE ET AUTRES c. MOLDOVA
(Requête no 13936/02)
ARRÊT
[Extraits]
STRASBOURG
17 septembre 2009
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Manole et autres c. Moldova,
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Josep Casadevall,   Giovanni Bonello,   Rait Maruste,   Lech Garlicki,   Ján Šikuta,   Stanislav Pavlovschi, juges,  et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 août 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 13936/02) dirigée contre la République de Moldova et dont neuf ressortissants de cet Etat (« les requérants » – paragraphes 9 à 17 ci-dessous), ont saisi la Cour le 19 mars 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, sont représentés par Mes V. Nagacevschi et V. Gribincea, de « Lawyers for Human Rights », une organisation non gouvernementale sise à Chisinau. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. V. Parlog.
3.  Les requérants, tous journalistes ou anciens journalistes à Teleradio-Moldova (“TRM”), alléguaient avoir subi une pratique d'influence politique abusive sur la ligne éditoriale, en violation de l'article 10 de la Convention.
4.  Le 15 juin 2004, une chambre de la quatrième section a déclaré la requête partiellement recevable et a décidé de communiquer les griefs des neuf requérants susmentionnés au Gouvernement afin de recueillir ses observations.
5.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 8 mars 2006 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  M. V. Parlog,  agent,  Mme  D. Sarcu,   Mme L. Grimalschi,  Mme I.Lupusor, conseillères ;
–  pour les requérants  Me V. Nagacevschi,   Me V. Gribincea, conseils. 
La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Parlog, Nagascevschi et Gribincea.
6.  Par une décision du 26 septembre 2006, elle a déclaré la requête recevable pour le surplus.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A.  Teleradio-Moldova
7.  « Teleradio-Moldova » (TRM) fut créée par décret présidentiel le 11 mars 1994 en tant que compagnie d'Etat. Elle succédait à l'office national de radiotélédiffusion. Ses statuts furent modifiés en 1995, 1996 et 2002 (paragraphes 59, 60 et 65 ci-dessous). Elle fut transformée en organisme de service public à cette dernière date, et enregistrée en tant que telle le 26 juillet 2004.
8.  A partir de novembre 2004, une chaîne de télévision privée moldave (NIT) émit également au niveau national. Jusqu'à cette date, hormis TRM, seules une chaîne publique roumaine (Romania 1) et une chaîne publique russe (ORT) pouvaient être captées dans tout le Moldova. Romania 1 ne diffusait pas d'informations locales, et ORT diffusa à partir de 2002 un bulletin quotidien d'informations moldaves d'une durée de dix minutes. En octobre 2004, alors que 61% de la population moldave habitait en zone rurale, la télévision par câble n'était disponible que dans les grandes villes, et la télévision par satellite n'était pratiquement pas utilisée. Selon le Gouvernement, il ressort d'une étude commandée par le Centre pour l'indépendance du journalisme (paragraphe 76 ci-dessous) en 2004 que TRM était alors la chaîne la plus regardée au Moldova et que son journal du soir était le programme de télévision favori d'environ 20% de la population.
B.  Les requérants
9.   Larisa Manole (la première requérante) travailla pour la télévision à partir de 1982. De 2001 à 2002, elle fut à la tête de la section des informations télévisées de TRM. Elle était également éditrice et présentatrice du journal du soir en langue roumaine. Elle quitta TRM en septembre 2002.
10.  Corina Fusu (la deuxième requérante) rédigeait et présentait l'émission de divertissement du matin ainsi que le journal du soir et un programme consacré à la culture française. Elle entra à l'office national de radiotélédiffusion (le prédécesseur de TRM) en 1990 et fut licenciée pour motifs économiques en novembre 2004.
11.  Mircea Surdu (le troisième requérant) était rédacteur en chef et présentateur d'une émission hebdomadaire de débats sur des thèmes culturels, sociaux et politiques diffusée le soir. Il entra à l'office national de radiotélédiffusion en 1985 et fut licencié par la compagnie d'Etat TRM en août 2004 mais engagé par l'organisme de service public TRM le même mois.
12.  Dinu Rusnac (le quatrième requérant) était éditeur senior à la section des informations télévisées et présentait les informations du soir en langue russe. Il entra à TRM en juillet 1994 et fut licencié pour motifs économiques en novembre 2004.
13.  Diana Donică (la cinquième requérante) était directrice de la section des émissions télévisées culturelles et travaillait pour l'émission présentée par Mircea Surdu. Elle entra à TRM en août 1994 et fut licenciée par la compagnie d'Etat TRM en août 2004 mais engagée par l'organisme de service public TRM le même mois.
14.  Leonid Melnic (le sixième requérant) produisait plusieurs programmes et émissions de débat au sein de la section des émissions télévisées culturelles. Il entra à l'office national de radiotélédiffusion en août 1992 et fut licencié par la compagnie d'Etat TRM en août 2004 mais engagé par l'organisme de service public TRM le même mois.
15.  Viorica Cucereanu-Bogatu (la septième requérante) travaillait comme correspondante spéciale à la section des informations télévisées. Elle entra à l'office national de radiotélédiffusion en août 1979 et fut licenciée pour motifs économiques en novembre 2004.
16.  Angela Aramă-Leahu (la huitième requérante) était éditrice senior et présentatrice à la section des émissions télévisées culturelles. Elle produisait et présentait également une émission de divertissement. Elle entra à l'office national de radiotélédiffusion en décembre 1983 et fut licenciée pour motifs économiques en novembre 2004.
17.  Ludmila Vasilache (la neuvième requérante) était éditrice et présentatrice de plusieurs programmes au sein de la section des émissions télévisées culturelles. Elle entra à l'office national de radiotélédiffusion en février 1990. Elle fut licenciée par la compagnie d'Etat TRM en août 2004 mais engagée par l'organisme de service public TRM le même mois.
C.  Les observations des parties relatives à l'exercice d'un contrôle politique abusif à TRM entre février 2001 et novembre 2004
1.  Les requérants
18.  Selon les requérants, TRM a toujours fait l'objet d'un contrôle politique, mais les restrictions apportées à la liberté d'expression journalistique se sont accentuées à partir de février 2001. A cette date, le Parti communiste remporta une large majorité aux élections législatives : plusieurs hauts responsables de TRM auraient alors été limogés et remplacés par des personnes loyales au Gouvernement.
19.  Les requérants allèguent que les informations diffusées par la chaîne firent alors l'objet d'un contrôle strict de la hiérarchie au plus haut niveau. Par exemple, alors qu'il aurait précédemment relevé des attributions de la première requérante de sélectionner les informations de la partie du journal qu'elle présentait et d'en établir le script, cette tâche aurait été reprise à partir de 2001 par le directeur de la section des informations. Selon les requérants, celui-ci décidait quels étaient les points qui devaient figurer au journal en se fondant sur une grille établie par l'agence de presse de l'Etat, « Moldpres », et soumettait cette sélection à l'approbation du président de la chaîne et de son directeur de la radio et de la télévision. La priorité aurait été attribuée aux reportages relatifs aux sessions parlementaires et aux réunions gouvernementales ou présidentielles ou aux visites locales des organismes officiels.
20.  Seuls les journalistes et les techniciens ayant la confiance des autorités auraient pu pratiquer les interviews et les reportages politiques. Alors qu'avant 2001, les journalistes auraient contrôlé dans une large mesure le contenu éditorial, après cette date, des instructions auraient été données quant au ton et à la ligne à adopter ; il serait même arrivé que l'intégralité du script leur soit dictée. Les interviews et les reportages qui n'étaient pas diffusés en direct auraient été sélectionnés et édités de manière à présenter le parti au pouvoir sous un jour favorable.
21.  La règle à TRM aurait été que les reportages sur les activités des organismes et responsables favorables au Gouvernement durent de trois à cinq minutes, contre 60 à 90 secondes au maximum pour les reportages sur les autres événements. Ainsi, les deux tiers du temps alloué aux informations auraient été consacrés à des reportages sur des questions ayant trait au Gouvernement. Tous les conflits dans le pays et les événements organisés par l'opposition, par des organisations non gouvernementales ou par des personnes ne partageant pas l'opinion du parti au pouvoir auraient été occultés. Aucun parti d'opposition n'aurait eu accès à l'antenne, et il aurait existé une « liste noire » de personnes influentes des milieux politique, culturel et scientifique qui ne soutenaient pas le Parti communiste et n'auraient donc pas eu accès aux programmes de TRM. Dans les rares cas où un politicien de l'opposition pouvait passer à l'antenne, les interviews auraient été tronquées, ou on aurait ajouté en voix off un commentaire journalistique ou un texte fourni par l'agence de presse du Gouvernement, Moldpres.
22.  Les journaux n'auraient pas été les seuls programmes à subir la censure. Les sujets prêtant à controverse auraient été interdits, l'identité des invités et des membres du public aurait été contrôlée, les programmes en direct ou interactifs auraient été évités, et les appels téléphoniques de téléspectateurs filtrés. La grille hebdomadaire des programmes aurait été soumise à l'approbation du président de TRM. Les émissions n'ayant pas reçu son aval auraient été supprimées de la grille sans préavis ni explication à l'intention des téléspectateurs et des participants à l'émission.
23.  Il aurait également été interdit d'utiliser des mots ou expressions tels que « roumain », « langue roumaine », « Bessarabie », « histoire des Roumains » ou « régime totalitaire », et de faire la moindre référence aux périodes de l'histoire telles que celles de l'entre-deux-guerres, de la famine organisée en URSS, du régime stalinien, des déportations au goulag ou de la période du renouveau nationaliste de 1989.
24.  Les requérants citent plusieurs incidents précis survenus à cette époque : une mesure disciplinaire prononcée contre un journaliste pour avoir employé les expressions « régime communiste totalitaire », « gouvernement communiste » et « place de la Grande Assemblée nationale » dans un reportage sur la fête de l'Indépendance diffusé en direct le 27 août 2001 ; la suppression, dans un reportage sur la fête de l'Indépendance diffusé au journal du soir, d'une interview de Mircea Snegur, le premier président du Moldova ; une réprimande adressée à un journaliste qui avait tourné une interview du président du syndicat des employés du cinéma où celui-ci disait que « sous le régime totalitaire, des églises [avaient été] détruites » ; la coupure d'une interview de l'ancien secrétaire général du Parti communiste, G.E., le 22 septembre 2001, au motif que celui-ci, s'exprimant sur la situation économique du Moldova, y estimait qu'au moment de l'interview, « on [était] loin de voir le bout du tunnel » ; la suppression d'un programme sur les chanteurs décédés Doina et Ion Aldea Teodorovici qui devait être diffusé le 28 octobre 2001 ; le refus de diffuser, le 13 février 2002, une interview du parlementaire Vlad Cubreacov sur la modification du programme scolaire consistant à remplacer l'étude de l'« histoire des Roumains » par celle de l'« histoire du Moldova » ; l'interdiction de faire la moindre allusion à la position de l'opposition dans un reportage du 22 février 2002 relatif à un débat au Parlement sur la situation sociopolitique ; la censure d'un reportage sur une conférence de presse dans laquelle un député du groupe parlementaire « Alianţa Braghiş » critiquait les propositions gouvernementales de réforme territoriale et administrative ; l'interdiction des reportages consacrés au Congrès de philologie et aux conférences organisées par les historiens, au motif qu'y étaient exprimées certaines opinions sur l'« histoire des Roumains » et la langue roumaine ; l'interdiction, en avril 2002, de diffuser un reportage sur l'inauguration du musée de l'histoire nationale, consacré aux victimes des répressions staliniennes ; l'interdiction, en juillet 2002, de diffuser un reportage sur le professeur Elle Pelerino, qui avait évoqué la déportation soviétique des personnes d'ethnie allemande ; la suppression, en juillet 2002, dans un reportage sur feu Gheorghe Ghimpu, du titre de son livre « la conscience nationale des Roumains moldaves » ; et l'interdiction, pendant la période des fêtes de fin d'année 2002 et 2003, de toute interview des membres du clergé de l'Eglise métropolitaine de Bessarabie.
25. Le 28 novembre 2003, l'émission de débat « Bună Seara », présentée par le requérant Mircea Surdu, devait être consacrée au plan de fédéralisation du Moldova proposé par la Fédération de Russie. Les invités de l'émission étaient le représentant du Conseil de l'Europe au Moldova, Vladimir Filipov, le porte-parole de la mission de l'OSCE, Klaus Neurkirh, et les présidents des trois groupes parlementaires, Victor Stepaniuc, Dumitru Braghiş et Iurie Roşca. Quelques heures avant le début prévu de l'émission, le président de TRM informa Vladimir Filipov qu'il n'était pas nécessaire qu'il vienne, l'émission ayant été annulée. L'équipe de production et le présentateur n'en furent pas informés. Klaus Neurkirh, Dumitru Braghiş et Iurie Roşca vinrent au studio. Le public prit place et le débat commença. Cependant, à l'insu des participants et sans qu'aucune explication n'ait été donnée, l'émission ne fut pas diffusée ; elle fut remplacée par un film. Les journalistes qui avaient travaillé sur cette émission furent ensuite interrogés par la police.
2.  Le Gouvernement
26. Le Gouvernement ne conteste pas les incidents relatés par les requérants. Il affirme cependant que les politiciens de l'opposition avaient accès à la télévision nationale et que les protestations de 2002 ont bien été couvertes, comme le montrent selon lui les textes des programmes d'information diffusés entre le 14 et le 27 février 2002 puis, ponctuellement, en avril 2002, en juillet 2002 et en novembre 2003. Il indique en outre que les magazines de programmes télévisés publiés à cette période annoncent pour TRM les émissions suivantes : 14 mai 2004 – « La Tribune des partis politiques » ; 12 juillet 2004 – « Vie publique », avec la participation du président du Moldova ; 15 juillet 2004 – « Le processus démocratique et la liberté des médias », avec la participation de MM. V. Stepaniuc, président du groupe parlementaire communiste, D. Braghiş, président du groupe parlementaire « Moldova Democrată », M. Petrache, président du parti extra-parlementaire « Union centriste », et d'autres personnes ne représentant aucun parti politique.
27.  Depuis 2002, dans le souci de répondre aux attentes des principales minorités, TRM diffuserait des programmes dans six langues (russe, ukrainien, gagaouze, bulgare, rom et yiddish).
28.  Pendant la campagne électorale de 2005, des programmes tels que « L'heure de l'opposition » puis « Contrepoint » auraient permis aux membres de l'opposition d'exprimer leur point de vue pendant une heure chaque semaine. En dehors de la période électorale, le programme « La plateforme des partis politiques » aurait offert chaque semaine dix minutes à un politicien de l'opposition pour s'adresser au public. De plus, depuis 2005, tous les débats au Parlement seraient diffusés sur les chaînes de télévision et de radio de TRM.
D.  Les protestations et la grève de 2002
29.  En 2002, du 9 janvier jusqu'au mois de mai, le Parti populaire démocrate-chrétien, qui était alors le principal parti d'opposition, organisa des manifestations quotidiennes contre la décision du Gouvernement de modifier le programme scolaire d'enseignement de l'histoire et de restaurer l'étude obligatoire du russe. Ces manifestations, qui avaient lieu sur la place de la Grande Assemblée nationale, devant le bâtiment principal du gouvernement, réunirent plusieurs dizaines de milliers de protestataires (voir à ce sujet l'affaire Parti populaire démocrate-chrétien c. Moldova, no 28793/02, CEDH 2006-II).
30.  Selon le Gouvernement, il fut fait état de ces manifestations dans les journaux de TRM, principalement dans des reportages de fond de la requérante Corina Fusu. Les requérants affirment quant à eux que la couverture de ces manifestations fut très limitée et strictement contrôlée. Ainsi, il aurait par exemple été interdit de donner la moindre information sur les motivations des manifestants ou les vues exprimées par l'opposition au cours du débat parlementaire.
31.  Le 25 février 2002, 331 employés de TRM signèrent la déclaration suivante :
« Nous, employés de Teleradio-Moldova, notons que depuis la victoire du Parti communiste aux élections, notre liberté d'expression a été restreinte. Nos auditeurs et nos téléspectateurs sont privés du droit à des informations exactes et impartiales. De fait, les autorités ont restauré, à la radio et à la télévision nationale, une censure politique de type soviétique, pourtant interdite par la Constitution du Moldova. « Teleradio-Moldova » est ainsi devenu un instrument de lavage de cerveau et de manipulation de l'opinion publique, la voix du parti au pouvoir. Nous protestons contre ces actions totalitaires, qui portent atteinte aux droits des téléspectateurs, des auditeurs et de la liberté de la presse en général. Pareilles atteintes aux principes démocratiques sont dangereuses, car elles déstabilisent la situation politique de notre pays. Nous exprimons notre solidarité avec les actions des manifestants, qui sont dirigées contre la russification forcée [du pays] et la destruction délibérée de son système démocratique. Nous exigeons l'abolition de la censure au sein de la compagnie d'Etat Teleradio-Moldova et le respect du droit du peuple à des informations exactes, fiables et impartiales. Nous exigeons que les autorités respectent la politique démocratique et pro-européenne que le peuple de ce pays a choisie. »
32.  Le 26 février 2002, cette déclaration fut transmise aux agences de presse, et plusieurs milliers de personnes se réunirent devant le siège de TRM pour protester contre le contrôle politique dénoncé. Le même jour, pendant l'enregistrement du journal de 19 heures, le quatrième requérant, Dinu Rusnac, refusa de lire le texte qui lui avait été remis, lequel passait sous silence les protestations exprimées devant le siège de TRM. L'équipe du journal commença à diffuser un reportage sur ces manifestations, mais après quelques minutes, le journal fut interrompu et remplacé par un documentaire. L'armée fut appelée au studio. On ne laissa pas Larisa Manole présenter son journal en langue roumaine à 21 heures, en raison de sa participation aux protestations.
33.  Le 27 février 2002, un groupe d'employés de TRM décida d'entamer une grève perlée et élit à cette fin un Comité de grève. Celui-ci adressa au président de TRM et au Gouvernement une liste de revendications, parmi lesquelles l'abolition de la censure, et les éditeurs et les présentateurs de journaux décidèrent de commencer à produire des journaux non censurés. Un groupe de quelque 700 manifestants se réunit devant le bâtiment de TRM.
34.  Le même jour, dans l'après-midi, le président du Moldova se rendit à TRM et rencontra les représentants du Comité de grève. Il déclara être lui aussi opposé à la censure. Néanmoins, il rejeta une demande tendant à offrir à l'opposition une heure d'antenne, au prétexte que les manifestations de la place de la Grande Assemblée nationale étaient illégales.
35. Le 5 mars 2002, le quatrième requérant, Dina Rusnac, fit figurer dans le script du journal de 19 heures la réponse du Comité de grève à certaines déclarations du président du Moldova ainsi qu'une interview du président du Parti populaire démocrate-chrétien, Iurie Roşca. Le directeur de la section des informations supprima ces passages du script. Pendant le journal, qui était diffusé en direct, M. Rusnac se plaignit d'avoir été censuré et montra à la caméra la version annotée du script. Immédiatement, le directeur de la section ordonna au technicien de couper le son.
36.  Le 7 mars 2002, le Parlement créa une commission parlementaire spéciale chargée d'élaborer une « stratégie d'amélioration du travail à [TRM] ».
E.  Les mesures disciplinaires prises contre la première requérante et le quatrième requérant
37.  A la suite des événements du 27 février 2002, il ne fut plus permis à la première requérante, Larisa Manole, qui présentait jusqu'alors les informations en langue roumaine tous les soirs, de les présenter qu'un ou deux soirs par semaine. Le 6 mars 2002, au motif qu'elle avait fait une erreur en lisant les informations, elle fut rétrogradée du poste d'éditrice et présentatrice senior à celui de reporter junior, et ne fut plus autorisée à présenter le journal.
38.  Elle intenta une action contre TRM devant les juridictions du travail et, le 11 septembre 2002, la cour d'appel statua en sa faveur et ordonna à TRM de la réintégrer à son poste de présentatrice. Cependant, TRM n'exécuta pas cette décision, et Mme Manole ne reprit jamais sa place à son ancien poste. Elle allègue en outre qu'il ne lui était pas donné suffisamment de travail de reportage et qu'elle faisait l'objet de harcèlement et de censure, au point que, ne pouvant plus gagner sa vie, elle fut contrainte de démissionner. Le 13 novembre 2002, elle quitta TRM. Elle travailla par la suite pour une agence de presse, puis pour une autre société de télévision.
39.  Le 7 mars 2002, le quatrième requérant, Dinu Rusnac, fit l'objet d'une sanction disciplinaire prenant la forme d'un avertissement pour faute grave (“mustrare aspră”) au motif qu'il s'était écarté de sa propre initiative du script autorisé du journal. De plus, il fut rétrogradé de son poste de présentateur et privé du droit de présenter des programmes d'information.
40.  Il intenta une action contre TRM et, le 23 septembre 2002, la cour d'appel annula la sanction disciplinaire au motif que M. Rusnac ne semblait pas avoir enfreint la moindre obligation contractuelle en s'écartant du script. Elle rejeta cependant sa demande de réintégration au poste de présentateur du journal, observant qu'il n'avait pas de droit contractuel à ce poste, qui ne lui avait été attribué que par un accord oral. Le 25 octobre 2002, TRM révoqua la sanction disciplinaire conformément à la décision de la cour d'appel.
F.  Le rapport du Conseil de coordination de l'audiovisuel
41.  Entre le 16 et le 19 avril 2002, le Conseil de coordination de l'audiovisuel (« CCA », paragraphe 58 ci-dessous) organisa une série de rencontres avec la direction et le personnel de TRM pour discuter du problème de la censure et des autres problèmes de la chaîne. Le 29 avril 2002, il publia ses conclusions, qui étaient les suivantes :
« En ce qui concerne le conflit à l'origine de différentes revendications et de la création d'un comité de grève, l'administration et le personnel de l'entreprise ont l'une comme l'autre exprimé leur souhait de trouver rapidement une solution et souligné qu'il en allait de leur intérêt.
Les discussions étaient axées sur deux grands thèmes :
- la nature politisée du comité de grève et des événements qui ont eu lieu à [TRM],
- les questions sociales et administratives, en particulier le sentiment du personnel de ne pouvoir réaliser son potentiel créatif.
La grève est l'aboutissement d'une longue série d'événements. Il y a eu un très fort taux de renouvellement des hauts responsables de l'administration centrale et des différentes directions de la chaîne, ce qui a eu des conséquences graves. Certains journalistes et directeurs adjoints, au mépris des dispositions de leur contrat de travail, ont cessé de respecter les instructions relatives à la préparation et à la diffusion des programmes, ce qui a donné lieu à un glissement des règles établies et au non-respect des règles et exigences de la diffusion radiotélévisée. Certains journalistes de télévision ont d'emblée exprimé leur soutien aux manifestations organisées par le parti parlementaire d'opposition sur la place de la Grande Assemblée nationale, démontrant ainsi leur parti pris politique. Profitant de la situation ainsi créée, ils ont non seulement agi de manière déplacée en enfreignant les règles professionnelles, mais encore participé à l'aggravation de la situation dans l'entreprise en divisant le personnel en deux camps : « nous » et « eux ».
(...) Des sanctions disciplinaires comportant notamment le retrait de la licence de présentateur ont été imposées aux journalistes qui avaient violé les règles de diffusion. Les déclarations partiales des membres du Comité de grève ont été rejetées par la majorité des employés de TRM, de sorte qu'il a été créé un comité anti-grève, comptant autant de membres que le Comité de grève.
L'action du Comité de grève n'avait pas le soutien du comité syndical de TRM. Les membres du Comité de grève ont présenté leurs revendications non seulement à la hiérarchie de l'entreprise et au Gouvernement, mais encore au Conseil de l'Europe, sans en informer le Conseil de coordination de l'audiovisuel.
Pour ce qui est de la notion de « censure » ou d'« application d'une forme de censure » dans le processus créatif, on observe une tentative de qualifier de « censure » les exigences de base liées au devoir de respecter les obligations du service. Il a été fait mention aussi bien de censure « externe » que de censure « interne ».
En fait, les auteurs de ces allégations de censure ont ainsi tenté de justifier la qualité médiocre de leur travail et leur manque de professionnalisme. Ces journalistes ne se sont pas dûment acquittés des tâches que leur hiérarchie leur avait confiées aux fins de la production de programmes impartiaux. Ils ont interprété les exigences de base du professionnalisme comme une forme de dictature ou de censure. Cependant, il ne peut être exclu que certains directeurs aient eux-mêmes tenté de transmettre en direct leurs propres thèses en faveur de la ligne politique de la majorité parlementaire. Le CCA a conscience, même s'il n'en a pas d'exemples concrets, que des représentants du pouvoir étatique tentent encore d'influencer le message que font passer les programmes. On comprend aisément que cette forme d'influence déplacée ait déclenché des protestations de la part du personnel créatif. Ce genre de situation est typique de la télévision.
Ainsi, la « censure politique », qui correspond en fait à un manque de professionnalisme de la part de certains directeurs quant à l'organisation du processus créatif, a évolué pour devenir une « censure intellectuelle ».
Il a également été observé que la hiérarchie de l'entreprise n'interdit pas d'employer les mots Bessarabie, roumain, langue roumaine, histoire roumaine ou régime totalitaire dans un contexte historique ; cependant, elle ne permet pas qu'ils soient utilisés dans les reportages portant sur les événements actuels. Les revendications des membres du Comite de grève ont été mentionnées à l'antenne. (...)
Les statuts de TRM ont été soumis au contrôle de l'Union européenne avant d'être adoptés par le Gouvernement. Cependant, certains de leurs articles et dispositions n'ont pas encore été transposés dans l'activité créative de TRM ni dans les relations entre la direction et le personnel. Les propositions visant à faire de la compagnie d'Etat une institution publique sont ambitieuses et n'ont pas de base financière. (...)
Ainsi, le CCA, ayant examiné la situation à la compagnie d'Etat Teleradio-Moldova, est parvenu aux conclusions suivantes :
- la pratique consistant à changer en permanence de directeurs et l'exercice sur le personnel créatif d'une pression que celui-ci interprète comme l'application d'une forme de censure sont incompatibles avec l'activité dudit personnel ;
- les statuts de la compagnie d'Etat Teleradio-Moldova et la possibilité de créer à l'avenir des postes publics dans la télédiffusion et la radiodiffusion devraient être examinés publiquement ;
- l'entreprise doit respecter strictement les dispositions de ses statuts et mettre en place un conseil d'administration collégial ;
- la décision définitive quant au financement, y compris pour ce qui est des rémunérations, et à la fourniture de matériel puissant devrait être prise par le Parlement et le Gouvernement ;
- les statuts et la composition de la Commission artistique de la télévision et de la radio ainsi que les instructions relatives à la préparation et au lancement des programmes doivent être réexaminés, de même que doit l'être régulièrement la législation relative au secteur audiovisuel, et ce avec une responsabilité totale ;
- il faut réviser les procédures de formation et de reclassement du personnel et organiser des programmes de formation dans des studios à l'étranger. »
G.  La conversion de TRM en organisme de service public et la procédure de transfert des employés
42.  Le 7 juin 2002, le président du Moldova fit une déclaration à la presse au sujet de TRM. Il exprima un certain nombre de réserves relativement à la résolution par laquelle l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe demandait aux autorités moldaves de transformer la compagnie d'Etat TRM en organisme de service public (paragraphe 61 ci-dessous), mais déclara qu'il accepterait le cas échéant la décision du Parlement de procéder à un tel changement.
43.  Le 26 juillet 2002, le Parlement adopta la loi no 1320-XV sur l'organisme audiovisuel public « Teleradio-Moldova », portant conversion de la compagnie d'Etat en organisme de service public (paragraphe 65 ci-dessous).
44.  Selon la nouvelle loi, le personnel de l'ancienne compagnie d'Etat devait passer un examen pour être engagé dans le nouvel organisme de service public. Une commission d'examen fut nommée en mai 2004. Le requérant Mircea Surdu fut choisi pour y représenter le personnel.
45.  Tous les requérants passèrent l'examen. Les résultats furent publiés le 26 juillet 2004. Corina Fusu, Dinu Rusnac, Viorica Cucereanu-Bogatu et Angela Arama-Leahu ne furent pas maintenus à leurs postes, de même que bon nombre de personnes ayant participé à la grève de 2002. Mircea Surdu démissionna de la commission d'examen à titre de protestation.
46.  Le 27 juillet 2004, les journalistes qui n'avaient pas été maintenus à leur poste organisèrent une conférence de presse, où ils affirmèrent avoir été renvoyés pour des motifs politiques. Un reportage sur cette conférence de presse était prévu dans le journal de 19 heures. Cependant, le président de TRM décida de diffuser à la place un documentaire sur la nature.
47.  Le même jour, le président de TRM adopta une décision par laquelle dix-neuf des personnes qui avaient participé à la conférence de presse, dont cinq des requérants, étaient interdites d'entrée dans les locaux de TRM. Les journalistes et leurs sympathisants protestèrent devant le bâtiment de la chaîne pendant plusieurs mois.
H.  Le litige relatif à la procédure de transfert des employés
48.  Les requérants Corina Fusu, Angela Aramă-Leahu et Dinu Rusnac ainsi que 57 autres personnes saisirent la chambre administrative de la cour d'appel de Chişinău, dénonçant l'irrégularité de la procédure de transfert des employés et soutenant notamment que la commission d'examen avait été constituée de manière irrégulière.
49.  Par un arrêt du 24 septembre 2004, la cour d'appel de Chişinău rejeta leur action pour défaut de fondement. Elle considéra notamment que la commission d'examen avait été constituée conformément à la loi no 1320-XV du 26 juillet 2002, et que cette loi n'octroyait aux requérants aucuns droits particuliers quant à l'organisation de l'examen. Elle estima que TRM avait agi dans le cadre du pouvoir discrétionnaire que lui conférait la loi à cet égard et que nul n'avait le droit de contester les dispositions légales.
50.  Les intéressés contestèrent cette décision devant la Cour suprême de justice. Le 16 mars 2005, celle-ci rejeta leur recours pour défaut de fondement.
II.  LES PRINCIPES ET LES LIGNES DIRECTRICES DÉVELOPPÉS PAR LE COMITÉ DES MINISTRES DU CONSEIL DE L'EUROPE RELATIVEMENT AUX SERVICES PUBLICS DE RADIOTÉLÉDIFFUSION
51.  A la quatrième Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse tenue à Prague les 7 et 8 décembre 1994, le Comité des Ministres a adopté les résolutions suivantes :
Résolution no 1 sur l'avenir du service public de la radiodiffusion
52.  En 1996, le Comité des Ministres a adopté la recommandation no R(96)10 concernant la garantie de l'indépendance du service public de la radiodiffusion (...)
53.  En décembre 2000, le Comité des Ministres a adopté la recommandation Rec(2000)23 concernant l'indépendance et les fonctions des autorités de régulation du secteur de la radiodiffusion, dans laquelle il souligne notamment que, pour garantir l'existence d'une multiplicité de médias indépendants et autonomes dans le secteur de la radiodiffusion, il est essentiel d'établir une régulation judicieuse et proportionnée de ce secteur, pour garantir la liberté de ces médias tout en assurant un équilibre entre cette liberté et d'autres droits et intérêts légitimes. (...)
54.  Le 27 septembre 2006, le Comité des Ministres a adopté une « Déclaration sur la garantie de l'indépendance du service public de radiodiffusion dans les Etats membres » (...)
III.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Les recours permettant de contester la compatibilité du droit interne avec la Convention
55.  En vertu de l'article 4 de la loi sur les procédures administratives (loi no 793-XIV du 10 février 2000), les lois et les décrets administratifs ainsi que les ordonnances et décisions du président et du Gouvernement ne sont pas susceptibles de contrôle juridictionnel. Ils sont cependant soumis à un contrôle de constitutionnalité. Un tel contrôle n'est entrepris qu'en cas de saisine de la Cour constitutionnelle (article 4 de la loi no 317-XIII du 13 décembre 1994 sur la Cour constitutionnelle). Il n'existe pas d'accès direct à la Cour constitutionnelle sous forme de recours individuel. Les personnes et institutions habilitées à saisir la haute juridiction sont visées de manière exhaustive à l'article 25 de la loi sur la Cour constitutionnelle et à l'article 38 du code de la justice constitutionnelle :
« Sont habilités à saisir la Cour constitutionnelle :
a) le président de la République de Moldova ;
b) le Gouvernement ;
c) le ministre de la Justice ;
d) la Cour suprême ;
e) le Tribunal économique ;
f) le Procureur général ;
g) un député ;
h) un groupe parlementaire ;
i) le Médiateur ;
j) l'Assemblée du peuple de Gagaouzie (Gagaouze-Yeri) (...) »
B.   Les dispositions constitutionnelles relatives à la diffusion audiovisuelle
56.  La liberté d'expression est garantie par la Constitution, qui est ainsi libellée :
« Article 32.   Liberté d'opinion et d'expression
1)  La liberté d'opinion et la liberté d'exprimer publiquement ses pensées et ses opinions par la parole, par l'image ou par tout autre moyen est garantie à tous les citoyens.
2)  L'exercice de la liberté d'expression ne peut porter atteinte à l'honneur ou à la dignité des tiers ni à leur droit de nourrir et d'exprimer leurs propres opinions et jugements.
3)  La loi interdit et sanctionne tous les actes visant à nier ou à diffamer l'Etat ou le peuple. L'incitation à la sédition, à la guerre, à l'agression, à la haine ethnique, raciale ou religieuse, à la discrimination, au séparatisme territorial, à la violence publique, ou à d'autres actes constituant une menace pour l'ordre constitutionnel est également interdite et passible de poursuites. »
C.  La loi de 1995 relative aux diffusions audiovisuelles
57.  La loi relative aux diffusions audiovisuelles (loi no 603-XIII du 3 octobre 1995) régit ainsi la liberté d'expression en matière de diffusion audiovisuelle :
« Article 2
3)  Les organismes audiovisuels ne sont pas soumis à la censure.
Article 3
La liberté d'expression audiovisuelle implique le strict respect de la Constitution et ne peut s'exercer au déterminent de la dignité, de l'honneur, de la vie privée ou de l'image de tiers.
Article 6
1)  L'Etat garantit toutes les conditions nécessaires à l'activité des organismes audiovisuels publics.
2)  L'Etat garantit la mise à la disposition des organismes audiovisuels publics du matériel technique nécessaire à leur activité de diffusion.
Article 29
Les journalistes d'organismes audiovisuels agissant en cette qualité ont le droit :
h)  d'accéder aux juridictions de tous niveaux.
58.  La loi met également en place un Conseil de coordination de l'audiovisuel (« CCA ») :
« Article 31
1)  Le Conseil de coordination de l'audiovisuel est composé de neuf membres :
a)  trois membres (dont un spécialiste de l'audiovisuel) nommés par le Parlement ;
b) trois membres (dont un spécialiste de l'audiovisuel) nommés par le Président de la République de Moldova ;
c) trois membres (dont un spécialiste des télécommunications) nommés par le Gouvernement. (...) »
D.  La création du diffuseur public TRM
59.  TRM fut créée le 11 mars 1994 par le décret présidentiel no 63, qui était ainsi libellé :
« Article 1
L'office national de radiotélédiffusion est dissous.
Article 2
Il est créé une compagnie d'Etat dénommée « Teleradio-Moldova ».
Article 4
La compagnie d'Etat « Teleradio-Moldova » est administrée par son président ; ses activités sont coordonnées par son Conseil de coordination. »
60.  Les statuts de TRM furent modifiés par la décision gouvernementale no 502 du 12 septembre 1996 sur les statuts de la compagnie d'Etat « Teleradio-Moldova », qui était ainsi libellée :
« Article 2
La compagnie est un organisme audiovisuel public. Son activité créative et éditoriale est protégée par la loi contre l'ingérence des autorités publiques et la pression des partis politiques.
Article 3
Le statut de « Teleradio-Moldova » est celui de compagnie d'Etat.
Article 4
La compagnie est fondée par le Gouvernement, au nom de l'Etat de la République de Moldova. L'Etat dirige les activités de la compagnie par l'intermédiaire du Conseil de coordination de l'audiovisuel.
Article 10
Les objectifs de la compagnie sont les suivants :
Communiquer des informations fidèles et objectives sur la vie sociopolitique, économique et culturelle du pays et les relations externes de l'Etat ;
Promouvoir les intérêts de toutes les couches de la société, propager les valeurs de la paix et de l'humanisme, les valeurs démocratiques et le respect des droits de l'homme ;
Créer, développer, protéger et promouvoir les valeurs culturelles et artistiques.
Article 20
L'activité créative et éditoriale de la compagnie est indépendante. Les programmes de télévision et de radio sont protégés par la loi contre l'ingérence des autorités publiques et contre l'influence et la pression de tout parti politique.
Article 22
La compagnie est tenue :
De présenter de manière objective et impartiale les réalités de la vie sociopolitique nationale et internationale, de garantir le droit du peuple à l'information, de promouvoir les valeurs authentiques de la culture nationale, de la culture des minorités nationales et de la culture universelle ;
De garantir la liberté d'expression, la liberté de conscience et la liberté de circulation de l'information ;
De garantir le respect des droits des journalistes conformément à la législation nationale et à la pratique internationale, de garantir la présence dans ses programmes de personnes issues d'horizons politiques et confessionnels différents ;
D'accorder la priorité aux communiqués de presse du Parlement, du Gouvernement et du président du Moldova et de les diffuser gratuitement (...)
Article 23
Les cellules de recherche et de création de la compagnie garantissent le droit des journalistes de nourrir leurs propres avis et opinions. La compagnie ne peut obliger un journaliste à promouvoir aucune idée qui serait en contradiction avec ses valeurs personnelles.
Article 24
Les programmes diffusés par la compagnie ne doivent pas faire l'apologie de la guerre, des actes d'agression, de la haine ethnique, raciale, sociale ou religieuse, des actions violentes contre l'Etat, du terrorisme, de la désobéissance publique, du séparatisme territorial ou d'idées et opinions contraires à la morale.
Article 30
Le Parlement nomme pour un mandat de cinq ans, sur proposition du Conseil de coordination de l'audiovisuel ou de sa propre initiative, le président de la compagnie, son directeur général de la télévision et son directeur général de la radio. Le Conseil de coordination de l'audiovisuel nomme pour un mandat de cinq ans, sur proposition du président de la compagnie, le vice-président de la compagnie.
Article 31
Le président de la compagnie :
Dirige la compagnie ; (...)
Engage et licencie les employés de la compagnie ;
Supervise les activités du conseil d'administration de la compagnie ; (...)
Article 33
Le conseil d'administration est l'organe administratif de la compagnie. Il est collégial et consultatif. Il est composé de treize membres, qui agissent conformément à son règlement.
Article 34
Le président de la compagnie est membre de plein droit du conseil d'administration. Les autres membres du conseil sont les représentants du Gouvernement et du Conseil de coordination de l'audiovisuel.”
E.  La conversion de TRM en organisme de service public
1.  Les recommandations et les rapports du Conseil de l'Europe relatifs au projet de conversion de TRM en radiodiffuseur public
61.  Le 24 avril 2002, l'Assemblée parlementaire adopta la Résolution 1280(2002) sur le « fonctionnement des institutions démocratiques en Moldova », où l'on pouvait notamment lire ceci :
« 1.  L'Assemblée exprime sa profonde préoccupation quant aux événements qui se déroulent depuis janvier 2002 en Moldova, et son inquiétude face à la dégradation continue et à la radicalisation du climat politique qui mettent en danger la stabilité du pays.
2.  Des manifestations organisées par le Parti populaire chrétien démocrate (PPCD) se déroulent au centre-ville de Chisinau depuis maintenant plus de trois mois et demi. (...)
7.  L'Assemblée constate que l'ampleur du mouvement de protestation des journalistes et des employés de Teleradio-Moldova traduit la nécessité de procéder rapidement à des réformes, afin de garantir pleinement la liberté d'expression et de promouvoir un service public de radiodiffusion. Elle appelle les autorités à mettre un terme à la pratique de censure dans les programmes télévisés et à ouvrir largement les émissions de débat à l'ensemble des partis politiques, de l'opposition parlementaire et extra-parlementaire. Elle invite le gouvernement et le parlement moldoves à engager sans délai les travaux concernant la transformation de Teleradio-Moldova en organe public indépendant. (...)
10.  L'Assemblée attend des forces politiques moldoves qu'elles poursuivent un dialogue véritable et constructif, et s'accordent sur un compromis, qui doit contenir les principes suivants : (...)
iv.  la révision de la loi sur l'audiovisuel et la transformation du statut de la compagnie Teleradio-Moldova en organisme public indépendant ; l'ouverture immédiate des travaux par la commission parlementaire compétente ; la reprise éventuelle des projets de loi examinés par la précédente législature (...) L'achèvement de ces travaux serait fixé à la fin de la présente session parlementaire, soit le 31 juillet 2002 ;
11.  L'Assemblée invite le gouvernement et le parlement moldoves à prendre sans délai les mesures énoncées ci-dessus. (...)
14.  L'Assemblée demande aux autorités moldoves de coopérer totalement avec le Conseil de l'Europe et ses organes, et plus particulièrement : (...)
ii.  de soumettre à son expertise les projets de loi à venir relatifs à la réforme de l'audiovisuel et à la transformation du statut de la compagnie d'Etat Teleradio-Moldova en organisme de service public indépendant ; (...) »
62.  Le même jour, l'Assemblée parlementaire adopta également la Recommandation no 1554(2002) sur le « fonctionnement des institutions démocratiques en Moldova », dans laquelle elle formulait notamment la demande suivante :
« 5.  L'Assemblée invite également le Comité des Ministres à renforcer sa coopération avec les autorités moldoves, en ce qui concerne :
i.  une expertise rapide des projets de loi à venir concernant la réforme de l'audiovisuel et la transformation du statut de la compagnie d'Etat Teleradio-Moldova en organisme de service public indépendant ; (...) »
63.  A la suite d'un échange de courriers entre les autorités moldaves et le Secrétaire général du Conseil de l'Europe, un expert, Karol Jakubowicz, Chef de la planification stratégique et du développement à la télévision polonaise, établit une analyse écrite du projet de loi du Gouvernement sur le service public de radiotélédiffusion au Moldova. Dans son premier rapport, daté du 22 juillet 2002 (ATCM (2002) 19), il écrivait notamment ceci :
“[Le projet du Gouvernement] (...) prévoit de nombreuses formes d'ingérence politique directe dans les activités [de l'organisme de radiotélédiffusion] :
•  L'obligation, aux articles 4 § 2 et 6 § 1, de diffuser des « communications d'intérêt public, reçues des autorités publiques » et d'ouvrir l'antenne, sur demande, aux autorités publiques et aux organes d'administration publique, aux fins de la transmission de telles communications, sans aucune limite quant à la teneur, la nature ou les motifs de ces communications ;
•  La nomination directe par le Parlement, le président et le Gouvernement de membres du « Conseil d'observateurs » (art. 13 § 2) ;
•  La possibilité pour l'autorité de nomination de démettre ces personnes de leurs fonctions à tout moment en cas de « violation de la loi sur l'audiovisuel », c'est-à-dire en pratique sous n'importe quel prétexte (art. 13 § 5) ;
•  La soumission du règlement du conseil d'observateurs à l'approbation du Parlement (art. 13 § 7) ;
•  La nomination du directeur général directement par le Parlement, qui peut aussi le démettre de ses fonctions à la demande du conseil d'observateurs (art. 19) ;
•  Le droit pour un comité parlementaire spécial de demander des explications écrites relativement à toute action du diffuseur public que le Parlement estime illégale, puis d'exiger, conjointement avec le CCA, qu'il soit remédié à l'illégalité alléguée.
Ces projets de dispositions ne sont guère conformes à la recommandation no R (96)10 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe concernant la garantie de l'indépendance du service public de la radiodiffusion ou à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, en vertu duquel la liberté d'expression doit être exercée « sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques », en particulier d'ingérences de l'Etat ou d'une autorité ou d'un responsable publics. De plus, la Cour européenne des droits de l'homme a reconnu que dans certaines circonstances, la Convention pouvait imposer à l'Etat une obligation positive d'interdire, d'encadrer ou de limiter les ingérences de personnes ou d'organismes privés dans la liberté d'expression. L'exercice réel et effectif de la liberté d'expression et d'information ne dépend pas simplement du devoir de l'Etat de s'abstenir de toute ingérence, mais peut aussi exiger des mesures positives contribuant à stimuler ou à protéger et défendre la liberté d'expression. On attend des Etats parties à la Convention européenne qu'ils respectent cette obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger et promouvoir l'exercice par les médias et les journalistes de la liberté d'expression. Les dispositions citées ci-dessus ne se concilient pas avec ces obligations, car elles consistent essentiellement à donner aux autorités politiques des raisons d'intervenir dans le fonctionnement du radiodiffuseur public d'une manière telle qu'elles créent une véritable possibilité de limiter sa liberté ».
64.  Dans sa deuxième analyse (ATCM (2002) 30), en date du 18 décembre 2002, M. Jakubowicz exprimait principalement sa préoccupation face à la composition envisagée de l'organe directeur de TRM, le « Conseil d'observateurs ». Se référant à la ligne directrice figurant en annexe à la Recommandation no R (96) 10 du Comité des Ministres (paragraphe 51 ci-dessus), selon laquelle les règles régissant le statut et la composition des organes de surveillance des organismes de radiodiffusion devraient être définies de manière à éviter que ceux-ci puissent faire l'objet d'ingérences politiques ou autres, il observait qu'il existait deux modèles possibles de composition d'organes tels que le Conseil de supervision et de nomination de ses membres :
« •  Dans le premier, certaines institutions et certains groupes de la société civile sont habilités à déléguer un représentant de leur choix au Conseil de l'audiovisuel, pour une période donnée (par exemple quatre ans). Ces groupes et institutions peuvent être par exemple des églises, des universités, des théâtres, des auteurs, des journalistes, des musiciens, des agriculteurs, des femmes, des jeunes, des fédérations sportives, des spécialistes de l'environnement, des employeurs, des syndicats, etc.
•  Dans le second, un certain nombre de membres (par exemple neuf ou douze) sont nommés par le Parlement ou par différentes institutions publiques (par exemple un tiers par le Parlement, un tiers par le Gouvernement, un tiers par le président). Les membres du Conseil de l'audiovisuel devant représenter les intérêts de la société civile, il faut attacher le plus grand soin à s'assurer qu'ils ne représentent pas en réalité les vues et intérêts politiques de ceux qui les ont nommés (...)
Dans les conditions sociopolitiques qui sont celles d'un pays en transition, le second modèle présente une contradiction potentielle : des individus nommés par le Parlement – ou par le Parlement, le Gouvernement et le président – peuvent-ils réellement représenter la société civile ou les intérêts de la société en général ? Lorsque la vie publique est extrêmement politisée, peut-on être sûr que des personnes nommées par le pouvoir politique ne représenteront pas les vues et intérêts politiques de ceux qui les ont nommées ?
Ce risque est tellement présent qu'il vaut mieux, nous semble-t-il, préférer le premier modèle.
Bien sûr, malgré toutes les précautions juridiques, nul ne peut contrôler chaque membre du Conseil pour savoir qui il écoutera et quels avis il défendra. Pour cette raison, il est important que la composition de cet organe soit aussi pluraliste que possible, de sorte que les influences que les uns et les autres pourraient subir soient aussi diverses que possible. (...) »
2.  La loi no 1320-XV TRM et sa modification
65.  Le 26 juillet 2002, en vue de transformer TRM en organisme de radiodiffusion de service public, le Parlement adopta la loi no 1320-XV TRM relative à la compagnie d'Etat de radiotélédiffusion publique Teleradio-Moldova. Ce texte ne tenait pas compte des recommandations de l'expert du Conseil de l'Europe (paragraphes 63-64 ci-dessus). Il prévoyait ceci :
« Article 1
Par la présente loi est créé l'organisme audiovisuel public national, l'entreprise « Teleradio-Moldova ». Cet organisme jouit de la personnalité morale, de l'autonomie fonctionnelle et de l'indépendance éditoriale, afin que soit garanti le droit à la liberté de communiquer des informations fidèles et objectives sur l'ensemble du territoire de la République de Moldova (...)
Article 5
2)  L'entreprise doit assurer dans ses émissions une large diversité couvrant les intérêts de différentes catégories sociales, nationales, religieuses et politiques.
3) L'entreprise doit garantir le respect du principe d'objectivité et d'impartialité dans ses émissions d'actualités et de documentaires.
Article 13
1) Le conseil d'observateurs de l'entreprise est un organe autonome qui a pour responsabilité d'assurer le respect du droit du peuple et de la société de recevoir des informations fidèles, complètes et objectives. Il est chargé de contrôler le respect par la compagnie de ses statuts et de la loi.
2) Le conseil d'observateurs est composé de 15 personnalités issues des milieux culturel, scientifique, éducatif, audiovisuel ou autres, nommées pour un mandat de cinq ans par :
a)  le Parlement – deux membres (dont un nommé par l'opposition) (...) ;
b) le président de la République de Moldova – deux membres ;
c) le Gouvernement – deux membres ;
d) le Conseil supérieur de la magistrature – un membre ;
e) le personnel créatif de l'entreprise – un membre ;
f) les organisations des minorités nationales – deux membres ;
g) la confédération des syndicats du Moldova – un membre ;
h)  la confédération des syndicats libres « Solidarité » – un membre ;
i) les syndicats des professions créatives (le syndicat des auteurs, le syndicat des artistes plastiques, le syndicat des employés du cinéma, le syndicat des compositeurs, le syndicat des employés du théâtre) – un membre ;
j) les organisations du monde des médias (le syndicat des journalistes, l'association de la presse libre, l'association de la presse électronique, le comité pour la liberté de la presse, le centre pour l'indépendance du journalisme, l'association des médias) – un membre ;
k) l'association des anciens combattants – un membre.
Article 14
Le conseil d'observateurs :
Nomme le président de l'entreprise, son vice-président, son directeur exécutif de la télévision et son directeur exécutif de la radio ;
Confirme la composition du conseil d'administration.
Article 20
Supervision des activités de l'entreprise
1) La supervision des activités de l'entreprise est exercée par le conseil d'observateurs.
2) Si le conseil d'observateurs ne s'acquitte pas comme il se doit de ses fonctions de supervision, le Parlement peut, par l'intermédiaire d'une commission parlementaire spéciale, exiger de n'importe quel organe de l'entreprise des informations écrites sur les actions ou inactions dont il estime qu'elles enfreignent la présente loi. La commission parlementaire spéciale est composée de membres de tous les groupes parlementaires, qui y sont représentés proportionnellement au nombre de sièges au Parlement de leurs partis respectifs.
4)  Le Parlement, conjointement avec le Conseil de coordination de l'audiovisuel, peut ordonner à l'entreprise de prendre les mesures nécessaires pour remédier aux violations de la loi constatées.
5) L'entreprise a le droit de contester en justice, conformément à la législation en vigueur, la légalité des ordres reçus (...)
7) Aucune mesure prise en vertu du présent article ne peut porter atteinte à la liberté d'information et d'expression de l'entreprise. »
66.  Le 18 septembre 2002, le Comité des Ministres adopta une Réponse à la Recommandation 1554 (paragraphe 61 ci-dessus) de l'Assemblée parlementaire, dans laquelle il estimait que le statut de TRM demeurait un sujet de préoccupation et observait que, même si la loi no 1320-XV constituait une avancée, elle prévoyait, comme l'avait relevé M. Jakubowicz dans son analyse, de nombreuses formes d'ingérence politique directe dans les activités de TRM. Il soulignait que ces dispositions n'étaient pas conformes aux normes du Conseil de l'Europe et risquaient de se trouver en contradiction avec l'article 10 de la Convention.
67.  Le 26 septembre 2002, l'Assemblée parlementaire adopta une nouvelle résolution sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Moldova, la résolution no 1303 (2002), dans laquelle elle invitait les autorités moldaves à « réviser au cours de l'automne 2002 la loi sur la société nationale de radiodiffusion publique Teleradio-Moldova, en associant véritablement aux discussions la société civile, les associations représentant les médias et l'opposition politique, et en prenant en compte les recommandations des experts du Conseil de l'Europe ». Elle demandait en particulier que « la révision des dispositions relatives à la composition, à la nomination et aux compétences du conseil d'observateurs fasse l'objet de la concertation la plus large possible ».
68.  Par la suite, le Gouvernement estima que la loi no 1320-XV n'avait pas été suffisante pour mener à bien la conversion de TRM, et un projet de loi modificatif fut rédigé. Il contenait, outre plusieurs modifications mineures, une proposition visant à dissoudre TRM telle qu'elle existait alors et à créer une nouvelle organisation du même nom.
69.  Le 24 octobre 2003, M. Jakubowicz publia une analyse du projet de loi modificatif (ATCM(2003)025), dans laquelle il formulait les observations suivantes :
« (...) La loi aujourd'hui en vigueur ne contient que des dispositions de base relativement au statut de radiodiffuseur public de l'entreprise et à la description de son organisation institutionnelle. Il est donc clair qu'elle doit être modifiée et étendue de manière à créer un cadre juridique complet et approprié pour la radiotélédiffusion de service public au Moldova, conformément à la Résolution no 1 (« L'avenir du service public de la radiodiffusion ») adoptée à la 4e Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse (Prague, 7-8 décembre 1994), à la Recommandation no R(96)10 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la garantie de l'indépendance du service public de la radiodiffusion, et à la Recommandation Rec(2003)9 du Comité des Ministres aux Etats membres sur des mesures visant à promouvoir la contribution démocratique et sociale de la radiodiffusion numérique.
La question se pose donc de savoir si la modification envisagée répond à cet objectif.
CONCLUSION
Hormis le projet de dissolution de Teleradio-Moldova sous sa forme actuelle et de création, à la place, d'une nouvelle organisation du même nom, les modifications concernent des points relativement mineurs. (...)
On ne saurait donc dire que ces modifications permettent d'encadrer Teleradio-Moldova de manière complète, de préserver son bon fonctionnement, son indépendance, son autonomie et son financement, et de lui assurer une sécurité juridique. Elles apportent peu de changement sur le fond quant à la manière dont Teleradio-Moldova fonctionne en tant que radiodiffuseur public. (...)
En vertu de ces modifications, il est prévu i) de dissoudre la compagnie d'Etat Teleradio-Moldova ; ii) de licencier l'ensemble de son personnel ; et iii) de la dépouiller de tous ses actifs (qui seraient alors transférés à la nouvelle société nationale de radiotélédiffusion Teleradio-Moldova par une décision gouvernementale distincte à prendre sans limite de délai). On ne sait pas bien si cela signifie que Teleradio-Moldova devrait suspendre ses activités et interrompre ses émissions pendant la période transitoire. Cette hypothèse transparaît certes de la disposition selon laquelle l'ensemble du personnel doit être licencié, mais il est possible que des mesures aient été prévues pour assurer la continuité des émissions.
L'application de ces modifications occasionnerait une gêne importante pour Teleradio-Moldova et son public, sans que l'on en voie bien l'utilité concrète. Comme nous l'expliquerons ci-dessous, il ne ressort pas du projet de modifications que celles-ci soient indispensables du point de vue juridique. De plus, il semble que la dissolution ne sera pas complète, car il n'est pas prévu de nommer un nouveau conseil de supervision, un nouveau conseil d'administration ou un nouveau président. Si les organes dirigeants de l'organisation restent en place, il ne s'agit pas véritablement d'une dissolution, mais simplement d'un licenciement massif du personnel. (...) »
70.  La loi de modification fut néanmoins adoptée par le Parlement le 17 octobre 2003. TRM fut inscrite à la chambre nationale des entreprises en tant qu'organisme de service public le 26 juillet 2004 et commença à diffuser sous son nouveau statut le 8 août 2004.
71.  Le 4 octobre 2005, l'Assemblée parlementaire adopta la Résolution 1465 (2005) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Moldova, dans laquelle elle formulait notamment les observations suivantes :
« 6.  (...) Toutefois, pour obtenir une véritable participation de la société civile, il faut garantir au secteur essentiel des médias pluralisme et dynamisme, surtout dans le domaine de la télévision. Il faut également créer les conditions nécessaires au bon fonctionnement d'un service public de radiodiffusion indépendant et professionnel.
14.  L'Assemblée invite en outre les autorités moldoves, en matière de protection des droits de l'homme : (...)
14.1.1. à réviser la législation relative au service public de radiodiffusion (nationale et locale) et à l'audiovisuel en général ;
14.1.2. à poursuivre la conversion de Teleradio-Moldova en un véritable radiodiffuseur public tel que le définit la Recommandation 1641 (2004) de l'Assemblée sur le service public de radiodiffusion ; (...) »
F.  Les rapports faisant état d'une influence politique abusive à TRM
1.  Les observateurs d'organisations intergouvernementales
72.  En janvier 2004, le Représentant spécial du Secrétaire général du Conseil de l'Europe en Moldova a établi le rapport suivant sur les médias au Moldova :
« La Constitution de la République de Moldova garantit la liberté d'expression et la liberté de la presse. Cependant, la situation des médias dans le pays est l'un des domaines de préoccupation majeure de nombre d'ambassades à Chisinau et d'organisations non gouvernementales. Ces deux dernières années, la pression des autorités sur les médias indépendants a augmenté, de même que le soutien aux publications de l'Etat.
La situation dans le domaine des médias électroniques est un facteur très important compte tenu du fait que dans les zones rurales, où vit près de la moitié de la population de la République de Moldova, l'accès à l'information est très limité. Les kiosques y sont pratiquement inexistants, et la presse écrite y parvient avec des délais pouvant aller jusqu'à une semaine. La radio est la principale source d'information.
L'opposition ne bénéficie pas d'une représentation satisfaisante à l'antenne. Les licenciements de journalistes sont de plus en plus fréquents.
•  L'un des exemples les plus spectaculaires de censure à la télévision nationale a été l'interdiction de diffusion, le 28 novembre de l'année dernière, de l'émission de débat populaire Buna Seara, où étaient invités les présidents de groupes parlementaires Stepaniuc, Braghis et Rosca, le Représentant spécial du Secrétaire général et l'agent du service de presse de la mission de l'OSCE. Trois heures avant le début de l'émission, le Représentant spécial du Secrétaire général fut officiellement informé par le président de RTM, M. Efremov, qu'elle ne serait pas diffusée car le président de la majorité avait décidé de ne pas y participer.
•  Les différences forces politiques du pays s'accordent à dire que la chaîne de télévision Moldova 1 doit transmettre les trente premières minutes des sessions de la table ronde permanente sans édition. Cette obligation n'a pas été respectée lors de la session de décembre, et l'explication avancée a été que la diffusion, trois jours plus tard, de « L'heure de l'opposition » était suffisante pour la semaine. Le reportage diffusé au journal le même jour a soigneusement passé sous silence la plupart des déclarations critiques envers les autorités.
•  « L'heure de l'opposition » elle-même prend essentiellement la forme d'un monologue de l'opposition, et ne semble pas contribuer énormément au dialogue avec la majorité. Ce qu'il faudrait est un véritable débat. (...) »
73.  Le représentant de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour la liberté des médias a effectué sa deuxième visite à Chisinau du 18 au 21 octobre 2004, à l'invitation du Gouvernement. Le but de ce voyage était d'évaluer l'état de la liberté des médias dans le pays et de formuler des recommandations à l'intention des autorités. Le représentant de l'OSCE a rencontré des responsables du Gouvernement, des parlementaires, des journalistes et des représentants d'organisations non gouvernementales. Le 16 décembre 2004, il a publié ses « Observations et recommandations », où il indiquait notamment ceci :
« Améliorations – pluralisme (...)
La situation des médias moldaves a connu plusieurs améliorations appréciables.
Dans l'ensemble, le pluralisme des médias est très développé au Moldova, tant en termes de quantité de sources d'information que de diversité des opinions représentées (même si, pour l'un et l'autre volet, la pluralité est plus présente dans la presse écrite qu'à l'antenne). Les politiciens de tous bords sont régulièrement critiqués dans les médias, et les stations indépendantes de télévision et de radio s'expriment très ouvertement sur la politique des autorités. Il y a également un débat public sur l'évolution des médias eux-mêmes, débat que le ministre des Affaires étrangères a qualifié de « transparent. » (...)
Le Moldova a aussi été l'un des premiers pays de la région à transformer son diffuseur national en organisme de service public.
Néanmoins, la plupart des interlocuteurs s'accordent à dire que persistent dans le domaine des médias plusieurs problèmes qu'il faudra traiter dans un avenir proche. Certains manquements découlent, comme l'a dit le président d'un parti parlementaire d'opposition, M. Braghis, « du fait que la démocratie est encore en développement ». Selon lui, l'OSCE doit être plus impliquée dans les questions liées aux médias. Le ministre des Affaires étrangères a également déclaré que le pays présentait « certaines lacunes dans le domaine des médias », mais que cette situation n'était « pas intentionnelle ». « D'autres Etats européens présentent également des lacunes. Nous ne voulons pas nous engager dans la mauvaise direction, et c'est pourquoi nous accueillons avec reconnaissance toutes les recommandations de l'OSCE et des autres organisations internationales », a-t-il ajouté.
L'objet du présent rapport est de formuler ces recommandations, à partir des observations faites pendant la visite.
L'état général de la radiotélédiffusion
Il ne peut y avoir de véritable pluralisme que lorsqu'existent plusieurs chaînes nationales en concurrence sur tout le territoire. Dans ces conditions, il est nécessaire d'ouvrir le marché de façon transparente à une autre fréquence de niveau national.
Actuellement, le Moldova ne compte que trois diffuseurs de niveau national, dont un seulement, l'organisme de service public Teleradio Moldova (TRM), est une chaîne de contenu moldave. Les deux autres chaînes retransmettent des programmes de pays voisins (Roumanie et Fédération de Russie).
Il semble établi qu'il existe une quatrième fréquence nationale, mais l'attribution de cette fréquence a été interrompue par l'autorité de licences en 2002. L'appel d'offres pour la troisième chaîne d'envergure nationale (celle qui retransmet les programmes russes) a été publié le 15 octobre 2004 ; cependant, il n'a pas été republié d'appel d'offres pour la quatrième fréquence. On trouvera plus d'informations sur les problèmes de transparence dans l'attribution des licences au chapitre sur le Conseil de l'audiovisuel.
La situation relative à TRM
Une présence trop forte du Gouvernement face à trop peu d'avis contraires
Même si elle a juridiquement été transformée de diffuseur d'Etat en organisme de service public autonome, TRM reste en réalité orientée en faveur du Gouvernement. Selon les témoignages, la plupart de ses programmes politiques sont constitués d'informations relatives au parti au pouvoir et fournies par lui. TRM étant le seul diffuseur moldave d'envergure nationale, il est encore plus important que les événements politiques y soient présentés de manière neutre. L'organisme ne parvient pas encore à respecter les obligations qui lui incombent en sa qualité de radiodiffuseur public.
TRM ne contrôle pas elle-même le contenu de ses émissions, bien que la nouvelle loi sur la Société nationale de radiodiffusion publique Teleradio Moldova lui impose de le faire. L'explication avancée par la direction à cet égard tient au manque de ressources pour produire les bandes nécessaires. Or c'était en fait au conseil de supervision qu'il revenait d'essayer au moins de veiller à l'application de ce contrôle. Pour expliquer son absence d'intérêt pour ledit contrôle, le conseil a déclaré qu'il eût été trompeur de procéder à des contrôles dans les premiers temps, dans la mesure où TRM venait alors de commencer à opérer en temps qu'organisme public.
En conséquence, seules les ONG ont procédé à ce contrôle. Leurs conclusions sont âprement contestées par la direction de TRM, le conseil de supervision et les responsables du parti au pouvoir. Il est vrai qu'elles ont procédé à partir d'une base quantitative. Incontestablement, la méthode consistant à chronométrer purement et simplement le temps imparti aux uns et aux autres est rudimentaire et ne peut faire apparaître les nuances de la programmation. Elle est toutefois acceptable, et les résultats sont assez spectaculaires ici pour montrer que, depuis sa conversion, TRM diffuse une quantité disproportionnée d'informations relatives au Gouvernement et fournies par lui.
Le conflit social
La direction de TRM et le CADUP, qui représente les journalistes qui n'ont pas été réembauchés à l'issue du processus de conversion de compagnie d'Etat en organisme de service public, devraient s'entendre pour parvenir à un compromis négocié.
Le représentant de l'OSCE et son équipe ont rencontré plusieurs fois la direction de TRM et les représentants des anciens journalistes de la chaîne qui n'avaient pas été réengagés à l'issue de la conversion officielle de TRM de compagnie d'Etat en organisme de service public. Alexander Ivanko a observé le travail du comité de conciliation établi à Teleradio Moldova pour régler ce conflit social.
Contexte
En février 2002, des grèves et des protestations contre une censure alléguée à TRM, qui ont reçu le soutien de plus de 300 employés de la chaîne, ont déclenché un débat au Moldova sur la nécessité de convertir TRM en organisme de service public. Le cadre juridique nécessaire a été mis en place avec l'accompagnement du Conseil de l'Europe.
La loi sur la Société nationale de radiodiffusion publique Teleradio Moldova a été adoptée par le Parlement le 26 juillet 2002, puis modifiée le 13 mars 2003 après avoir été critiquée par le Conseil de l'Europe. Le 13 novembre 2003, elle a été à nouveau modifiée, afin de dissoudre l'entreprise pour la remplacer par un nouvel organisme de service public qui ne serait plus tenu d'engager l'ensemble du personnel de l'ancien diffuseur. Selon plusieurs sources, le personnel de TRM craignait que le processus de sélection à l'embauche dans la nouvelle structure n'aboutisse au licenciement des employés qui avaient été les plus actifs pendant les protestations de février 2002 et qui avaient fait campagne pour la conversion de l'entreprise en diffuseur public indépendant.
Une commission de sélection composée de trois membres proposés par le conseil administratif, trois membres proposés par le conseil de supervision et un membre élu par le personnel de TRM a été mise en place le 30 avril 2004. Elle a procédé à la sélection du personnel jusqu'au 7 août 2004.
Des contrats ont été proposés à 907 personnes, dont 890 les ont signés. A ce jour, 140 postes restent vacants. La commission de sélection n'a donc pas terminé son travail. Quelque 190 employés ont été licenciés.
Après la publication, le 27 juillet, des résultats de la sélection pour les directions de l'information, le mécontentement des employés de TRM face à la manière dont le processus avait été mené a évolué en protestations publiques. Le 27 juillet, un groupe d'employés de TRM a fondé le Comité pour la protection de la dignité humaine et professionnelle et a occupé la salle dans laquelle la commission de sélection se réunissait. En réponse, la direction de TRM a suspendu de leurs fonctions dix-neuf employés et, le 30 juillet, la police a expulsé les protestataires du bâtiment.
Ces manifestations, qui ont réuni à leur apogée plusieurs milliers de personnes, étaient nées de la protestation contre les résultats du processus de sélection. La principale revendication des manifestants était donc, au départ, de recommencer la sélection. Elle a ensuite évolué pour consister à exiger le retour à la situation antérieure au processus de sélection. Il était théoriquement possible de satisfaire cette nouvelle demande sans recommencer la sélection, en offrant simplement des contrats à l'ensemble des 190 employés licenciés.
Tous les interlocuteurs s'accordent à dire que la situation relative à TRM est le problème le plus urgent à régler dans le pays en matière de médias. Tous semblent être d'accord sur le fait que la seule manière de procéder serait d'engager des négociations. Le ministre des Affaires étrangères, M. Stratan, a déclaré : « nous voulons que la conversion de TRM se fasse de manière démocratique ». Cependant, certains problèmes doivent être évoqués.
Le processus de sélection dans son ensemble semble avoir pâti d'une mauvaise compréhension de ce que nécessitait une telle démarche. Même si l'on savait que certains des employés devraient probablement être licenciés, les critères de sélection n'ont pas été clairement définis, et la sélection en elle-même ne s'est pas faite dans la transparence. Les accusations de parti pris politique ne peuvent être réfutées compte tenu de l'opacité du processus de sélection.
L'attitude de la direction de TRM, au moins au départ, n'était pas constructive et a donné lieu à des protestations massives et à une impasse qui n'est toujours pas débloquée.
D'un autre côté, le CADUP, formé à l'origine pour défendre les droits des employés licenciés, a commencé à ajouter des demandes politiques à ses demandes sociales d'origine.
Dans ce contexte, le représentant de l'OSCE, le chef de la mission de l'OSCE au Moldova et le représentant spécial du Secrétaire général du Conseil de l'Europe ont proposé au comité de conciliation la création d'une nouvelle commission de sélection composée comme suit :
- Deux membres nommés par l'administration de Teleradio Moldova ;
- Deux membres nommés par le CADUP ;
- Trois membres nommés par consensus par la commission de conciliation. Une autre solution aurait consisté à ce que l'un de ces trois membres soit un expert étranger détaché par l'OSCE ou par le Conseil de l'Europe.
Au moment où ces lignes sont écrites, la question demeure pendante. La commission de conciliation de TRM ne s'est réunie que deux fois en novembre. Les deux fois, elle a discuté de la proposition conjointe relative à une nouvelle commission de sélection présentée le 21 octobre par l'OSCE et le Conseil de l'Europe, sans parvenir à adopter une décision à l'égard de cette proposition. Les représentants des journalistes protestataires, notant la stagnation des travaux de la commission et accusant la direction de TRM de « simuler le dialogue », se sont retirés de la commission de conciliation le 25 novembre.
Le conseil de supervision de TRM [également dénommé dans le présent arrêt « le Conseil d'observateurs », voir le paragraphe 65 ci-dessus]
Même si, en théorie, il est majoritairement composé de membres de la société civile, le conseil de supervision actuel ne représente pas toute la palette des opinions prévalentes dans la société, et sa composition permet en fait la partialité. La loi actuelle devrait être modifiée pour permettre une composition différente de ce conseil.
Plusieurs parlementaires de l'opposition, journalistes et ONG se sont plaints de la composition actuelle du conseil de supervision. Celui-ci comprend deux représentants du Parlement (dont un de l'opposition), deux du Gouvernement, deux membres nommés par le président, et neuf issus de différentes organisations ; cependant, le président, le Gouvernement et le Parlement représentent le même parti, qui est donc majoritaire par rapport aux organisations civiles représentées au conseil.
Le président du groupe communiste Victor Stepaniuc a reconnu que l'ensemble de la société civile n'était pas représenté au conseil, mais que seules « les principales organisations civiles » y avaient leur place, ce qui soulève la question de savoir quelles sont ces organisations, et, plus important encore, comment on décide qu'elles font partie des « principales » organisations. Dans le contexte hautement politisé du Moldova, le fait que le conseil de supervision soit lui-même extrêmement politisé porte atteinte, dans l'esprit du public, à la crédibilité du diffuseur. L'une des propositions du politicien de l'opposition, M. Braghis, consistait à ce que le conseil de supervision soit composé de 12 membres, six issus du parti au pouvoir et six de l'opposition, et à ce qu'il travaille uniquement par consensus.
Même si cette idée peut sembler séduisante, elle pourrait aussi aboutir à une impasse si le conseil n'était capable de parvenir à un accord sur aucune formule dans laquelle la direction de TRM n'exercerait aucun contrôle de supervision.
L'OSCE et le Conseil de l'Europe devraient être invités à présenter une proposition de structure du conseil de supervision qui aurait l'approbation de toutes les tendances politiques du Moldova. Plusieurs propositions devraient être soigneusement analysées, en particulier celle établie par l'Association des médias électroniques (APEL).
Le conseil de coordination de l'audiovisuel
Les appels d'offre en vue de l'attribution de fréquences sont publiés très peu de temps avant le délai limite de souscription, et ne laissent pas assez de temps aux candidats potentiels pour réunir tous les documents nécessaires. La composition du conseil ne garantit pas son objectivité. Il y a également un manque de transparence dans le processus d'attribution des fréquences.
Les plaintes relatives à un parti pris politique dans l'allocation des fréquences n'ont pu être vérifiées. Cependant, après avoir examiné ces plaintes, le représentant a établi que le processus d'attribution permettait une certaine subjectivité dans l'examen et le choix des candidatures.
Les licences de diffusion sont attribuées par le conseil. Dans ce système que l'on ne peut que qualifier de « bicéphale », les fréquences attribuées au licencié sont fournies au conseil par le ministère des communications. A cet égard, un haut responsable a déclaré : « nous ne savons pas à quel moment ces fréquences deviennent disponibles ».
Le conseil est composé de neuf personnes nommées respectivement par le Gouvernement, le président et le Parlement. Dans une situation telle que la situation actuelle, où un seul parti est majoritaire dans tous les organes du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, ce système aboutit au contrôle politique total du conseil. Plusieurs interlocuteurs ont déclaré croire que le conseil n'était pas objectif lorsqu'il attribuait les licences de diffusion.
Il est également à noter que l'appel d'offres pour la très importante quatrième fréquence de diffusion nationale n'a pas été republié alors qu'après plusieurs années, il n'y a eu absolument aucun progrès dans ce dossier. Par ailleurs, l'appel d'offres pour la troisième fréquence nationale, dont la licence expirait, a été publié avec un délai de 45 jours, et dans trois journaux seulement, sous forme d'annonce en petits caractères.
Pour assurer l'indépendance du conseil, il faudrait que la procédure d'élection ne soit pas politiquement orientée et qu'elle vise en priorité à y nommer des individus réputés pour leur compétence d'experts dans le domaine de l'audiovisuel.
La méthode d'attribution des fréquences doit être modifiée. L'ouverture et l'attribution des fréquences doivent être faites par le même organisme, de manière à remédier aux problèmes liés au système bicéphale actuel, où le conseil dépend du ministère et ne sait pas quand (ni pourquoi) une fréquence peut être mise sur le marché. (...)
Recommandations
· Il ne peut y avoir de véritable pluralisme que lorsqu'existent plusieurs chaînes nationales en concurrence sur tout le territoire. Dans ces conditions, il est nécessaire d'ouvrir le marché de façon transparente à une autre fréquence de niveau national.
· Même si elle a juridiquement été transformée de diffuseur d'Etat en organisme de service public autonome, TRM reste en réalité orientée en faveur du Gouvernement. Selon les témoignages, la plupart de ses programmes politiques sont constitués d'informations relatives au parti au pouvoir et fournies par lui. TRM étant le seul diffuseur moldave d'envergure nationale, il est encore plus important que les événements politiques y soient présentés de manière neutre. L'organisme ne parvient pas encore à respecter les obligations qui lui incombent en sa qualité de radiodiffuseur public.
· La direction de TRM et le CADUP, qui représente les journalistes qui n'ont pas été réembauchés à l'issue du processus de conversion de compagnie d'Etat en organisme de service public, devraient s'entendre pour parvenir à un compromis négocié.
· Il faudrait mettre en place une nouvelle commission de sélection à TRM.
· Même si, en théorie, il est majoritairement composé de membres de la société civile, le conseil de supervision actuel ne représente pas toute la palette des opinions prévalentes dans la société, et sa composition permet en fait la partialité. La loi actuelle devrait être modifiée pour permettre une composition différente de ce conseil.
· Les appels d'offre en vue de l'attribution de fréquences sont publiés très peu de temps avant le délai limite de souscription, et ne laissent pas assez de temps aux candidats potentiels pour réunir tous les documents nécessaires. La composition du conseil ne garantit pas son objectivité. Il y a également un manque de transparence dans le processus d'attribution des fréquences. (...) »
74.  A la même époque, l'OSCE et le Conseil de l'Europe ont publié conjointement des (...) références pour le fonctionnement des diffuseurs publics en République de Moldova (Benchmarks for the Operation of Public Broadcasters in the Republic of Moldova) :
75.  Le 12 mai 2004, la Commission européenne a publié un rapport de pays sur la « Politique européenne de voisinage » concernant le Moldova (SEC (2004) 567). Elle y présente un certain nombre de conclusions relatives notamment à la démocratie et aux droits de l'homme dans le pays, et y relève la préoccupation des observateurs de l'OSCE aux élections locales de 2003 quant à « la partialité évidente manifestée en faveur des autorités sortantes à la télévision d'État ».
2.  Les organisations non gouvernementales
76.  Le Centre pour l'indépendance du journalisme est une organisation non gouvernementale sise à Chisinau qui a pour objectif de soutenir la profession journalistique au Moldova et de contribuer à la consolidation de l'indépendance et de l'impartialité de la presse. Il a été fondé en 1994 en tant que projet de l'organisation Open World House, et est devenu indépendant en 1998. Il est financé notamment par la Fondation Soros.
77.  Le Centre pour l'indépendance du journalisme a suivi la programmation de TRM entre juin 2004 et octobre 2005. Selon son rapport de suivi pour août 2004, aucun représentant du Parti populaire démocrate-chrétien, l'un des deux partis parlementaires d'opposition à l'époque, n'est apparu dans les programmes politiques de la chaîne au cours de ce mois, et un autre parti parlementaire d'opposition, « Moldova Democrată », a bénéficié d'un temps d'antenne de 95 secondes pour tout le mois. En revanche, le Parti communiste (le parti majoritaire) est apparu sept fois, pour une durée totale de 889 secondes. Les mêmes tendances ont été constatées en septembre, octobre et novembre 2004. Dans son rapport publié en décembre 2004, le Centre pour l'indépendance du journalisme a constaté qu'à la télévision, le Gouvernement et ses représentants étaient mentionnés en moyenne 32 fois par jour, contre deux fois par jour en moyenne pour l'opposition. Sur les programmes radiophoniques de TRM, le Gouvernement était mentionné en moyenne 109 fois par jour, contre 0,7 fois pour l'opposition.
78.  Dans un rapport de décembre 2005 intitulé State to Public: Genuine Public Service Broadcasting in Belarus, Moldova and Ukraine? (De l'Etat au public : un véritable service public de radiodiffusion au Bélarus, au Moldova et en Ukraine ?), Article 19, une organisation non gouvernementale internationale sise à Londres œuvrant dans le domaine de la liberté d'expression, a formulé les constatations suivantes (renvois omis) :
« 3.1.  Vue d'ensemble
Le Moldova a été le premier pays de la CEI à s'engager dans un processus d'établissement d'un service public de radiodiffusion. C'est également à l'heure actuelle l'un des trois seuls pays à avoir converti sa compagnie d'Etat de radiotélédiffusion, TeleRadio-Moldova (TRM), en organisme de radiodiffusion de service public. Cependant, si le service public de radiodiffusion existe en théorie, en pratique, le nouvel organisme de diffusion n'est pas réellement indépendant du Gouvernement, et ses émissions restent fortement orientées en faveur du régime en place. Globalement, il ne transmet pas à ses téléspectateurs et à ses auditeurs des informations exactes et objectives et une pluralité d'avis et d'opinions. La consolidation d'une véritable structure de service public de radiodiffusion dépendra de la capacité et de la volonté des autorités à appliquer totalement les dispositions nouvellement adoptées, ainsi que du succès des efforts déployés en ce sens par la société civile.
Malgré ces changements, TRM reste sous l'influence des autorités. De plus, les programmes sont de piètre qualité depuis la conversion. Il est nécessaire d'apporter des financements supplémentaires, de former les employés et de relever le niveau du journalisme.
Un autre élément inquiétant est le recul progressif de la diversité des sources d'information. (...)
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
79.  Les requérants allèguent que lorsqu'ils étaient journalistes à TRM, ils étaient soumis à un régime de censure imposé par les autorités nationales par l'intermédiaire de la direction de TRM, en violation de l'article 10 de la Convention. Cet article est ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2.  L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
Le Gouvernement rejette cette allégation et objecte que, de toute façon, les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes.
A.  La portée temporelle de l'affaire
80.  En l'espèce, la Cour examinera la période allant de février 2001, date à laquelle les requérants allèguent que le problème du contrôle politique sur la politique éditoriale de TRM s'est accentué (paragraphe 18 ci-dessus), à la date de sa décision sur la recevabilité, soit le 26 septembre 2006.
B.  L'exception préliminaire du Gouvernement
1.  Thèses des parties
81.  Le Gouvernement objecte que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours dont ils disposaient en droit interne conformément à l'article 35 § 1 de la Convention. En particulier, il soutient qu'ils auraient dû saisir les juridictions nationales de la violation alléguée de leur droit à la liberté d'expression, en invoquant les dispositions de l'article 20 de la Constitution (paragraphe 56 ci-dessus), les articles 2 § 3, 3 et 6 de la loi relative aux diffusions audiovisuelles (paragraphe 57 ci-dessus) et les dispositions de la loi no 1320 (paragraphe 65 ci-dessus). Il admet ne pouvoir citer d'affaires semblables examinées précédemment par les juridictions internes, mais argue que la raison en est que la République de Moldova n'a pas encore eu le temps de développer une jurisprudence dans ce domaine. Il assure toutefois que si un tel recours avait été introduit, il aurait sans aucun doute été examiné quant au fond. Il ajoute que les requérants auraient également pu saisir le Conseil d'observateurs de TRM – qui, en vertu de l'article 20 de la loi no 1320-XV (paragraphe 65 ci-dessus), est compétent pour contrôler le respect par TRM de son règlement interne et de la loi en général – ou encore le CCA.
82.  Les requérants allèguent quant à eux qu'il y avait à TRM une pratique administrative de censure et de contrôle politique, et que cette situation les libère de l'obligation d'épuiser les voies de recours internes. A titre subsidiaire, ils soutiennent qu'il n'existait pas de recours effectifs au niveau national. Il ne leur aurait pas été possible de porter leurs griefs devant les juridictions internes : même si, en théorie, le juge national pouvait statuer sur un cas isolé de censure alléguée, il n'y avait selon eux en droit interne aucun recours judiciaire permettant de remédier au manque structurel d'indépendance de TRM par rapport au Gouvernement ou de prévenir de futures occurrences de censure. Soulignant que, sur les neuf membres du CCA, trois étaient nommés par le Parlement, trois par le Gouvernement et trois par le président du Moldova, les requérants soutiennent qu'il ne s'agissait donc pas d'un organe indépendant. Ils rappellent que le CCA a d'ailleurs examiné la question de la censure à TRM dans son rapport du 29 avril 2004 (paragraphe 41 ci-dessus), et arguent à cet égard qu'alors qu'ils lui ont fait part de tous les actes de censure allégués dont ils se plaignent dans leur requête à la Cour, aucune de ces allégations n'a été examinée dans le rapport, qui se borne à formuler une conclusion générale selon laquelle il n'y avait pas de censure à TRM. Enfin, ils relèvent que le Conseil d'observateurs est un organe du nouvel organisme de service public, qui a commencé ses activités en août 2004, et qu'il ne pouvait donc pas examiner leurs griefs lorsque les événements à l'origine de leur requête ont eu lieu.
2.  Appréciation de la Cour
83.  La Cour rappelle que le principe selon lequel une personne doit utiliser les recours offerts par l'ordre juridique interne avant de saisir une juridiction internationale constitue un aspect important du mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, 1996-IV). Elle entend jouer un rôle subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de protection des droits de l'homme, et il est souhaitable que les tribunaux nationaux aient initialement la possibilité de trancher les questions de compatibilité du droit interne avec la Convention. Si une requête est néanmoins introduite par la suite à Strasbourg, la Cour européenne doit pouvoir tirer profit des avis de ces tribunaux, lesquels sont en contact direct et permanent avec les forces vives de leurs pays (Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 42, 29 avril 2008).
84.  En vertu de l'article 35 § 1 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d'obtenir réparation des violations qu'il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues (Akdivar et autres, précité, § 66). Il incombe au Gouvernement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible, était susceptible d'offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès. Cependant, une fois cela démontré, c'est au requérant qu'il revient d'établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n'était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de cette obligation (Akdivar et autres, précité, § 68).
85.  Toutefois, la règle de l'épuisement des recours internes ne s'applique pas lorsqu'est prouvée l'existence d'une pratique administrative consistant en la répétition d'actes interdits par la Convention et la tolérance officielle de l'Etat, de sorte que toute procédure serait vaine ou ineffective (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 159, série A no 25 ; Akdivar et autres, précité, §§ 66-67 ; Danemark c. Turquie (déc.), no 34382/97, 8 juin 1999 ; Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 99, CEDH 2001-IV). Dans la décision Caraher c. Royaume-Uni (no 24520/94, CEDH 2000-I), a résumé ainsi la jurisprudence relative à la notion de « pratique administrative » :
« Dans la première « Affaire grecque » (Annuaire de la Convention 11, p. 770), la Commission a dégagé deux éléments dont la présence est nécessaire pour constituer une pratique administrative : la répétition des actes et la tolérance officielle. Par répétition des actes, on entend un nombre important d'actes liés par des circonstances communes (comme le temps et le lieu ou encore l'attitude des personnes impliquées) et non pas une simple série d'actes isolés. La Cour a défini une pratique incompatible avec la Convention comme une accumulation de manquements de nature identique ou analogue, assez nombreux et liés entre eux pour ne pas se ramener à des incidents isolés ou à des exceptions, et pour former un ensemble ou système (arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 64, § 159). La tolérance officielle signifie que, bien que des actes soient clairement illégaux, ils sont tolérés au sens où les supérieurs des auteurs de ces actes, tout en en ayant connaissance, ne prennent aucune mesure pour punir les auteurs ou empêcher que les actes ne se reproduisent, ou bien qu'une autorité supérieure, devant des allégations nombreuses, fasse preuve d'indifférence en refusant de procéder à une enquête sérieuse sur leur véracité, ou encore qu'il n'est pas possible d'obtenir un procès équitable au sujet de tels griefs (voir, mutatis mutandis, France, Norvège, Danemark, Suède et Pays-Bas c. Turquie, requêtes nos 9940-9944/82, décision de la Commission du 6 décembre 1983, DR 35, p. 191, § 19). Toutefois, on peut conclure à l'existence d'une pratique même s'il n'y a pas tolérance officielle au plus haut niveau de l'Etat et même lorsque certaines actions ont donné lieu à des poursuites, car les autorités supérieures assument la responsabilité de prendre des mesures effectives pour que de tels actes cessent de se reproduire (voir, par exemple, l'arrêt Irlande c. Royaume-Uni précité, p. 64, § 159).
86.  La Cour rappelle que dans sa décision sur la recevabilité du 26 septembre 2006, elle a jugé que l'exception préliminaire du Gouvernement était étroitement lié au bien-fondé des griefs formulés par les requérants sur le terrain de l'article 10, et elle l'a jointe au fond.
87.  Elle examinera donc le fond des griefs des requérants avant de déterminer si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, l'exception préliminaire du Gouvernement est fondée.
C.  Sur le fond
1.  Thèses des parties
a)  Le Gouvernement
88.  Le Gouvernement argue que TRM est la chaîne de télévision la plus regardée dans le pays et que le journal du soir en est le programme le plus populaire (paragraphe 8 ci-dessus). Il entend ainsi démontrer que la population du Moldova considère que la chaîne est indépendante, impartiale et objective.
89.  Le Gouvernement dément l'existence de censure à TRM. Il récuse l'allégation selon laquelle il existerait une « liste noire » d'individus ou de sujets qui ne pourraient être montrés sur la chaîne et affirme que les politiciens de l'opposition y ont accès à l'antenne, comme le démontreraient plusieurs émissions annoncées dans les magazines de programmes télévisés (paragraphe 26 ci-dessus).
90.  Le Gouvernement s'appuie sur les conclusions formulées par le CCA dans son rapport du 29 avril 2002 (paragraphe 41 ci-dessus). Il estime comme le CCA que les requérants ont mal interprété la notion de liberté d'expression et qu'ils ont cru qu'elle leur donnait carte blanche pour dire ce qu'ils voulaient dans leurs reportages, au mépris des normes juridiques ou morales et de la responsabilité qui leur incombait en tant que journalistes travaillant alors pour le seul diffuseur national à même de fournir un service objectif et impartial, dénué de parti pris politique.
91.  Selon le Gouvernement, le syndicat de TRM, de même que bon nombre d'employés, ne soutenait pas l'action du Comité de grève. Les sanctions prises contre Dinu Rusnac et Larisa Manole auraient été pleinement justifiées : elles auraient découlé de violations par les intéressés des règles internes, notamment la modification du journal sans autorisation préalable. Plusieurs des requérants, à savoir Mircea Surdu, Ludmila Vasilache, Leonid Melnic et Diana Donică, seraient toujours employés à TRM.
b)  Les requérants
92.  Les requérants considèrent que le droit national ne prévoyait pas suffisamment de garanties contre la censure et l'influence politique abusive. Ainsi, la notion de « politique éditoriale » n'aurait été définie ni dans la législation nationale ni dans les règles internes de TRM. L'Etat ne se serait pas acquitté des obligations positives qui lui incombent en vertu de l'article 10, en ce qu'il aurait manqué à adopter une législation apportant des garanties contre les ingérences abusives des autorités publiques et indiquant clairement la portée et les limites du pouvoir de ces autorités. De plus, en refusant de modifier la loi no 1320-XV suivant les recommandations du Conseil de l'Europe, le Parlement aurait maintenu le contrôle de l'Etat sur l'organisme de service public, ce qui aurait été précisément la cause de la censure. Par ces actions et inactions, l'Etat aurait également porté atteinte au droit de la population d'être informée. Les rapports de l'Assemblée parlementaire et des experts internationaux appuieraient la thèse selon laquelle le droit national n'était pas satisfaisant car il laissait le contrôle global de TRM au Gouvernement et ne prévoyait pas de garanties d'indépendance suffisantes.
93.  Les requérants arguent que les sondages sur lesquels s'appuie le Gouvernement, qui indiquent que TRM était la chaîne de télévision la plus regardée au Moldova, ne sont pas le signe de la qualité de ses programmes mais de l'absence d'autres sources d'information. Ils s'appuient sur les rapports de suivi du Centre pour l'indépendance du journalisme (paragraphe 77 ci-dessus) et sur les observations de plusieurs commentateurs internationaux (paragraphes 72-75 ci-dessus), qui étayent selon eux leurs allégations de déséquilibre dans la programmation de la chaîne en faveur du parti au pouvoir. Les exemples qu'a donnés le Gouvernement de programmes auxquels ont participé des politiciens de l'opposition seraient des exceptions, mais la règle générale serait tout autre. Le CCA lui-même aurait admis dans son rapport du 29 avril 2002 que certains sujets et certaines expressions, tels que « Bessarabie », « roumain », « langue roumaine », « histoire roumaine » ou « régime totalitaire » étaient interdits sauf dans un contexte historique.
94.  Avant 2002, il n'y aurait pas eu de règles internes relativement à l'embauche et au licenciement du directeur des programmes, des différents directeurs et des producteurs. Le président de TRM aurait pu les licencier à tout moment. De plus, il n'y aurait eu aucune règle pour la mise en place du conseil artistique et technique qui appréciait la qualité de la production audiovisuelle. Quant à la nouvelle procédure de recrutement mise en place en 2004, des experts du Conseil de l'Europe auraient estimé qu'elle manquait de transparence et de clarté en ce qui concernait les modalités d'embauche et de réintégration des employés. Les requérants qui avaient perdu leur emploi n'auraient disposé d'aucun recours devant les juridictions internes.
2.  Appréciation de la Cour
a)  Les principes généraux relatifs au pluralisme dans les médias audiovisuels
95.  Pour déterminer si l'article 10 a été respecté en l'espèce, la Cour doit tenir compte des principes suivants. Elle prend pour point de départ cette vérité fondamentale qu'il n'est pas de démocratie sans pluralisme. L'une des principales caractéristiques de la démocratie réside dans la possibilité qu'elle offre de résoudre par le dialogue et sans recours à la violence les problèmes que rencontre un pays, et cela même quand ils dérangent. La démocratie se nourrit de la liberté d'expression. Il est de son essence de permettre la proposition et la discussion de projets politiques divers, même ceux qui remettent en cause le mode d'organisation actuel d'un Etat, pourvu qu'ils ne visent pas à porter atteinte à la démocratie elle-même (Parti socialiste et autres c. Turquie, 1998, §§ 41, 45 et 47, Recueil des arrêts et décisions 1998-III).
96.  La liberté d'expression, consacrée par le paragraphe 1 de l'article 10, constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès (Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 41, série A no 103). La liberté de la presse et des autres médias d'information fournit à l'opinion publique l'un des meilleurs moyens de connaître et juger les idées et attitudes des dirigeants. Il incombe à la presse de communiquer des informations et des idées sur les questions débattues dans l'arène politique, tout comme sur celles qui concernent d'autres secteurs d'intérêt public. A sa fonction qui consiste à en diffuser s'ajoute le droit, pour le public, d'en recevoir (voir par exemple Handyside c. Royaume-Uni, § 49, 7 décembre 1976, série A no 24, et Lingens, précité, §§ 41-42).
97.  Les médias audiovisuels, tels que la radio et la télévision, ont un rôle particulièrement important à jouer à cet égard. En raison de leur pouvoir de faire passer des messages par le son et par l'image, ils ont des effets plus immédiats et plus puissants que la presse écrite (Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 31, série A no 298 ; Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 79, CEDH 2004-XI). La fonction de la télévision et de la radio, sources familières de divertissement au cœur de l'intimité du téléspectateur ou de l'auditeur, renforce encore leur impact (Murphy c. Irlande, no 44179/98, § 74, CEDH 2003-IX (extraits)). De plus, la télévision et la radio peuvent, notamment dans les régions isolées, être plus aisément accessibles que les autres médias.
98.  Une situation dans laquelle une fraction économique ou politique de la société peut obtenir une position de domination sur les médias audiovisuels et exercer ainsi une pression sur les diffuseurs pour finalement restreindre leur liberté éditoriale porte atteinte au rôle fondamental qu'est dans une société démocratique celui de la liberté d'expression consacrée par l'article 10 de la Convention, en particulier lorsqu'il s'agit de communiquer des informations et des idées d'intérêt général, que le public a de plus le droit de recevoir (VGT Verein gegen Tierfabriken c. Suisse, no 24699/94, §§ 73 et 75, CEDH 2001-VI, voir également De Geillustreerde c. Pays-Bas, no 5178/71, décision de la Commission du 6 juillet 1976, § 86, Décisions et rapports (DR) 8, p. 13). Il en va de même lorsque la position de domination est détenue par un Etat ou un diffuseur public. Ainsi, la Cour a déjà dit que, du fait de sa nature restrictive, un régime de licence octroyant au diffuseur public un monopole sur les fréquences disponibles ne saurait se justifier que s'il peut être démontré qu'existe une nécessité impérieuse en ce sens (Informationsverein Lentia et autres c. Autriche, 24 novembre 1993, § 39, série A no 276).
99.  L'exercice réel et effectif de la liberté d'expression ne dépend pas simplement du devoir de l'Etat de s'abstenir de toute ingérence, mais peut exiger qu'il prenne, en droit ou en pratique, des mesures positives de protection (voir par exemple Özgür Gündem c. Turquie, no 23144/93, §§ 42-46, CEDH 2000-III, Fuentes Bobo c. Espagne, no 39293/98, § 38, 29 février 2000, et Appleby et autres c. Royaume-Uni, no 44306/98, §§ 39-40, CEDH 2003-VI). Compte tenu de l'importance des enjeux dans le cadre de l'article 10, l'Etat doit être l'ultime garant du pluralisme (Informationsverein Lentia et autres, précité, § 38 ; VGT Verein gegen Tierfabriken, précité, §§ 44-47).
100.  La Cour considère que, dans le domaine de la diffusion audiovisuelle, ces principes imposent à l'Etat l'obligation de garantir d'une part l'accès du public, par l'intermédiaire de la télévision et de la radio, à des informations impartiales et exactes ainsi qu'à une pluralité d'opinions et de commentaires reflétant notamment la diversité des opinions politiques dans le pays, et d'autre part la protection des journalistes et des autres professionnels des médias audiovisuels contre les entraves à la communication de ces informations et commentaires. Le choix des moyens par lesquels ces buts doivent être atteints doit varier en fonction des conditions locales et relève donc de la marge d'appréciation de l'Etat. Ainsi par exemple, si la Cour et, avant elle, la Commission ont reconnu qu'un service public de radiodiffusion peut contribuer à la qualité et à l'équilibre des programmes (Informationsverein Lentia et autres, précité, § 33 ; Tele 1 Privatfernsehgesellschaft mbH c. Autriche, no 32240/96, 21 septembre 2000 ; X. SA c. Pays-Bas, no 21472/93, décision de la Commission du 11 janvier 1994, DR 76-A, p. 129), l'article 10 n'oblige nullement les Etats à mettre en place un tel service, dès lors que d'autres moyens sont mis en œuvre dans le même but.
101.  Cependant, lorsque l'Etat décide de mettre en place un système public de radiotélédiffusion, il découle des principes exposés ci-dessus que le droit et la pratique internes doivent garantir que ce système assure un service pluraliste. Lorsque, en particulier, les stations privées sont encore trop faibles pour proposer une véritable alternative et que l'organisme public ou d'Etat est donc le seul diffuseur ou le diffuseur dominant dans un pays ou une région, il est indispensable pour le bon fonctionnement de la démocratie qu'il diffuse des informations et des commentaires impartiaux, indépendants et neutres et qu'il fournisse en outre un forum de discussion publique dans le cadre duquel un éventail aussi large que possible d'opinions et de points de vue puissent s'exprimer.
102.  A cet égard, les normes relatives au service public de radiodiffusion dont sont convenus les Etats contractants par l'intermédiaire du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe (paragraphes 51-54 ci-dessus) fournissent un fil conducteur quant à l'approche à retenir pour interpréter l'article 10 dans ce domaine. La Cour note que dans la Résolution no 1 sur l'avenir du service public de la radiodiffusion (1994), les Etats participants se sont engagés à « garantir l'indépendance des radiodiffuseurs publics contre toute interférence politique et économique ». En outre, dans l'Annexe à la Recommandation no R(96)10 concernant la garantie de l'indépendance du service public de la radiodiffusion (1996), le Comité des Ministres a adopté un certain nombre de lignes directrices précises visant à assurer l'indépendance des radiodiffuseurs publics. Il a ainsi estimé, notamment, que « le cadre juridique régissant les organismes de radiodiffusion de service public devrait clairement affirmer leur indépendance éditoriale et leur autonomie institutionnelle », en particulier dans différents domaines d'activité essentiels, dont l'édition et la présentation des programmes d'information et d'actualité et le recrutement, l'emploi et la gestion du personnel. Les lignes directrices soulignent également que les règles régissant le statut des organes de gestion et de supervision des organismes de radiodiffusion de service public et la nomination de leurs membres devraient être définies de manière à éviter que ces organes puissent faire l'objet d'ingérences politiques ou autres. Elles prévoient en outre ceci :
« Le cadre juridique régissant les organismes de radiodiffusion de service public devrait affirmer le principe selon lequel ces organismes veillent à ce que les journaux télévisés présentent loyalement les faits et les événements, et favorisent la libre formation des opinions.
Les cas dans lesquels les organismes de radiodiffusion de service public peuvent être astreints à diffuser des messages, des déclarations ou des communications officiels, ou à rendre compte d'actes ou de décisions des pouvoirs publics, ou à accorder un temps d'antenne à ceux-ci devraient se limiter à des circonstances exceptionnelles et être expressément prévus par la voie législative ou réglementaire. (...) »
Enfin, dans l'Annexe à la Recommandation Rec(2000)23 concernant l'indépendance et les fonctions des autorités de régulation du secteur de la radiodiffusion, le Comité des Ministres a de nouveau souligné l'importance pour les Etats de définir des règles précises relativement à la composition et au fonctionnement de ces autorités, de manière à ce que celles-ci soient protégées contre l'ingérence et l'influence politiques.
b)  L'atteinte alléguée au droit à la liberté d'expression des requérants en l'espèce
103.  Les requérants, qui étaient tous, pendant la période considérée, journalistes, éditeurs ou producteurs à TRM, se plaignent d'atteintes à leur liberté d'expression. La Cour rappelle que, sous réserve des conditions énoncées à l'article 10 § 2, les journalistes ont le droit de communiquer des informations. La protection de l'article 10 s'étend aux journalistes salariés et aux autres salariés des médias. Un journaliste salarié peut se prétendre directement touché par une règle ou une politique générale appliquée par son employeur et restreignant sa liberté journalistique (Purcell et autres c. Irlande, no 15404/89, décision de la Commission du 16 avril 1991, DR 70, p. 263). Une sanction ou une autre mesure prise par un employeur contre un journaliste salarié peut s'analyser en une atteinte à la liberté d'expression (Fuentes Bobo, précité, § 38).
104.  Les requérants allèguent que la direction de TRM leur imposait de respecter une politique consistant à éviter les sujets jugés embarrassants ou préjudiciables pour le Gouvernement. La Cour juge significatif, à cet égard, que le Gouvernement n'ait pas contesté les exemples cités par les requérants de programmes ou de parties de programmes que la direction de TRM aurait refusé de diffuser en raison de leur contenu (paragraphes 24-25 ci-dessus). De plus, il est frappant de constater que le rapport du CCA du 29 avril 2002 (paragraphe 41 ci-dessus), que le Gouvernement n'a pas contesté, concluait que la politique en vigueur à TRM à l'époque interdisait l'utilisation de certains mots ou expressions, en particulier ceux qui avaient trait à la culture et à la langue communes à la Roumanie et au Moldova ou aux violations des droits de l'homme commises pendant l'ère soviétique. Une telle liste de mots et de sujets que les journalistes et les autres individus passant à la télévision nationale ne seraient pas autorisés à mentionner appellerait en tout état de cause une justification puissante pour être compatible avec la liberté d'expression, or le Gouvernement n'a avancé aucun motif pour expliquer comment cette restriction pourrait se concilier avec les exigences de l'article 10. En outre, dans le contexte du débat en cours au Moldova sur l'identité nationale et l'alignement géopolitique, la Cour considère qu'il était du plus haut intérêt public que de telles questions soient débattues de manière ouverte et exhaustive à la télévision nationale, et que tous les points de vue en présence puissent passer à l'antenne.
105.  Les requérants allèguent également qu'à TRM, ils étaient tenus de respecter une politique consistant à consacrer un temps d'antenne disproportionné aux reportages sur les actions des membres du parti politique au pouvoir, et à ignorer dans une large mesure les actions et les avis des partis d'opposition. A cet égard, la Cour note que le paragraphe 18 de l'Annexe à la Recommandation Rec(2000)23 du Comité des Ministres énonce qu'il fait partie des fonctions essentielles des autorités de régulation de surveiller le respect par les radiodiffuseurs de leurs obligations légales, et que l'article 13 § 1 de la loi no 1320-XV imposait au Conseil d'observateurs de contrôler le respect par TRM de ses obligations (paragraphes 53 et 65 ci-dessus). Or il n'apparaît pas, dans les informations qui ont été communiquées à la Cour, qu'il ait procédé à un tel contrôle. En l'absence d'éléments fiables indiquant le contraire, la Cour considère donc que les données réunies par le Centre pour l'indépendance du journalisme sont significatives (paragraphe 77 ci-dessus). Elles montrent, pour 2004 et 2005, une pratique constante de silence à l'égard de l'opposition politique et une proportion élevée d'articles d'actualité consacrés aux activités du président et du Gouvernement. Les chiffres du Centre pour l'indépendance du journalisme sont corroborés par les observations et commentaires de nature plus générale des représentants du Conseil de l'Europe, de l'OSCE et de l'ONG Article 19 (paragraphes 72-78 ci-dessus).
106.  A partir des éléments qui lui ont été communiqués, la Cour conclut donc que pendant la période considérée, les journaux télévisés et les autres programmes diffusés par TRM présentaient un déséquilibre significatif en faveur des activités du président et du Gouvernement, et ne laissaient pas suffisamment aux représentants des partis d'opposition l'occasion de passer à la télévision pour exprimer leurs points de vue. Elle considère de plus que des éléments concrets démontrent l'existence d'une politique de restriction quant aux débats et à l'évocation de certains sujets considérés comme politiquement sensibles ou préjudiciables d'une manière ou d'une autre au Gouvernement. Les requérants, en tant que journalistes, éditeurs et producteurs à la chaîne de télévision TRM, ont dû être touchés par ces politiques. La Cour conclut donc qu'ils ont subi pendant toute cette période une ingérence continue dans leurs droits à la liberté d'expression.
c)  L'obligation positive de l'Etat au regard de l'article 10 en l'espèce
107.  Comme exposé ci-dessus (paragraphes 94-101), l'article 10 impose une obligation positive. L'Etat, ultime garant du pluralisme, doit, dans sa législation et en pratique, garantir d'une part l'accès du public, par l'intermédiaire de la télévision et de la radio, à des informations impartiales et exactes ainsi qu'à une pluralité d'opinions et de commentaires reflétant notamment la diversité des opinions politiques dans le pays, et d'autre part la protection des journalistes et des autres professionnels des médias audiovisuels contre les entraves à la communication de ces informations et commentaires. Lorsqu'il décide de mettre en place un système public de radiotélédiffusion, le droit et la pratique internes doivent garantir que ce système assure un service audiovisuel pluraliste. A cet égard, les normes relatives au service public de radiodiffusion dont sont convenus les Etats contractants par l'intermédiaire du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe fournissent un fil conducteur quant à l'approche à retenir pour interpréter l'article 10 dans ce domaine.
108.  La Court note que pendant la plus grande partie de la période considérée, TRM était le seul organisme moldave de radiotélédiffusion à produire des programmes télévisés pouvant être vus dans tout le pays (paragraphe 8 ci-dessus). De plus, 60% environ de la population vivait en zone rurale, où l'accès à la télévision par câble ou par satellite était limité voire inexistant, de même que l'était, selon le représentant spécial du Secrétaire général, l'accès à la presse écrite (paragraphe 72 ci-dessus). Dans ces circonstances, il était crucial pour le fonctionnement de la démocratie dans le pays que la chaîne transmette des nouvelles et des informations exactes et neutres et que sa programmation reflète toute la palette des opinions politiques et des débats animant le pays, et il incombait aux autorités nationales une obligation positive forte de mettre en place les conditions nécessaires à cet effet.
109.  Afin de respecter cette obligation, il était essentiel, comme l'indiquent les lignes directrices du Comité des Ministres susmentionnées, de mettre en place un cadre juridique assurant l'indépendance de TRM par rapport aux ingérences et au contrôle politiques. La Cour observe à cet égard que la décision gouvernementale no 502 (1996) portant modification des statuts de TRM prévoyait, conformément à l'annexe à la Recommandation no R (96)10, que l'« activité créative et éditoriale » de TRM était « protégée par la loi contre l'ingérence des autorités publiques et la pression des partis politiques » (paragraphe 60 ci-dessus), mais que la loi ne créait pas la structure qui aurait rendu possible une telle indépendance. En vertu de l'article 4 de la décision no 502, « [l]'Etat dirige[ait] les activités de la compagnie par l'intermédiaire du Conseil de coordination de l'audiovisuel ». Or le CCA était composé de neuf membres, nommés pour un tiers par le Parlement, pour un tiers par le président du Moldova, et pour un tiers par le Gouvernement, sans aucune garantie de maintien dans leurs fonctions. Le président, les vice-présidents et le conseil d'administration de TRM étaient nommés par le Parlement sur proposition du CCA. Dans ces conditions, à partir de février 2001, où un seul parti politique contrôlait le Parlement, la présidence et le Gouvernement, le droit interne n'offrait plus aucune garantie d'équilibre politique dans la composition de la direction de TRM et de son organe de contrôle, par exemple grâce à la présence de membres nommés par l'opposition, ni aucun garde-fou contre les ingérences du parti politique au pouvoir dans le fonctionnement et la prise de décisions de ces organes.
110.  La loi no 1320-XV n'a pas suffisamment remédié à ces problèmes. Elle a remplacé l'ancien conseil d'administration par le Conseil d'observateurs, chargé notamment de nommer les plus hauts dirigeants de TRM et de contrôler l'exactitude et l'objectivité des informations qu'elle diffusait. Cependant, comme le souligne M. Jakubowicz dans ses analyses (paragraphes 63, 64, et 69 ci-dessus), les règles de nomination des membres du Conseil d'observateurs ne prévoyaient pas de garanties suffisantes contre le parti pris politique. En particulier, l'article 13 § 2 de la loi no 1320-XV disposait qu'un seul des membres du Conseil d'observateurs était nommé par l'un des partis parlementaires d'opposition : rien ne s'opposait donc à ce que la loyauté des quatorze autres membres à l'égard du parti au pouvoir jouât un rôle dans leur nomination.
d)  Conclusion quant au respect de l'article 10
111.  Pour conclure, et eu égard notamment au quasi-monopole dont jouissait TRM sur la télédiffusion au Moldova, la Cour juge que les autorités nationales ont manqué à s'acquitter de leur obligation positive. Pendant la période en cause, le cadre législatif était défectueux, en ce qu'il ne fournissait pas de garanties suffisantes contre l'exercice d'un contrôle par l'organe politique de gouvernement sur la direction de TRM – et donc sur la ligne éditoriale de la chaîne. Ni l'adoption ni la modification de la loi no 1320-XV n'ont permis de remédier à ces défauts.
e)  Sur l'épuisement des voies de recours internes
112.  La Cour doit à présent examiner l'exception préliminaire soulevée par le Gouvernement pour non-épuisement des voies de recours et l'allégation des requérants selon laquelle il existait une pratique administrative de censure et de contrôle politique à TRM (paragraphes 81-82 ci-dessus). Elle a conclu que, pendant la période en cause, un seul parti politique dominait les organes exécutifs et législatifs de l'Etat, et que le droit interne n'offrait alors pas de garanties suffisantes contre l'éventualité que la ligne éditoriale de TRM ne fasse l'objet d'une ingérence ou d'un contrôle de la part des politiques (paragraphes 109-110 ci-dessus). Dans ces conditions, il y avait indéniablement un risque accru de pratique administrative du type décrit par les requérants. De plus, la Cour considère que les exemples de parti pris politique et de restrictions à la transmission d'informations qu'elle a examinés ci-dessus (paragraphes 104-106) suffisent à étayer la conclusion qu'il existait, pendant la période considérée, un schéma ou un système consistant à utiliser TRM pour promouvoir les thèses du parti au pouvoir, situation qui s'analyse en une pratique administrative au sens de la jurisprudence de la Cour (paragraphe 84 ci-dessus). Dans ces circonstances, les requérants n'étaient pas tenus d'épuiser les voies de recours internes avant de porter leur affaire devant la Cour.
113.  De plus, la Cour observe que le droit interne ne prévoyait aucun mécanisme permettant aux intéressés de contester devant les juridictions nationales pour incompatibilité avec la Convention la législation ou les actes administratifs réglementaires du président ou du Gouvernement (paragraphe 55 ci-dessus). La Cour constitutionnelle pouvait certes contrôler la constitutionnalité des actes du président, du Gouvernement et du Parlement, mais les requérants ne pouvaient la saisir directement. Lorsqu'ils ont intenté une procédure relative à l'irrégularité alléguée de la procédure de transfert des employés dans laquelle quatre d'entre eux avaient perdu leur emploi, la cour d'appel a rejeté leurs demandes, au motif notamment qu'il n'était pas possible de contester des dispositions législatives (paragraphe 49 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour n'est pas convaincue qu'ils aient eu accès à un recours interne effectif relativement au cœur de leurs griefs.
f)  Conclusion
114.  Il s'ensuit que la Cour rejette l'exception préliminaire du Gouvernement et conclut à la violation de l'article 10 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DES ARTICLES 46 ET 41 DE LA CONVENTION
115.  Les articles 46 et 41 de la Convention sont ainsi libellés :
Article 46
« 1.  Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2.  L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution. »
Article 41
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
116.  La Cour rappelle que lorsqu'elle constate une violation, l'Etat défendeur est tenu en vertu de l'article 46 de la Convention non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable au titre de l'article 41, mais aussi de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d'en effacer autant que possible les conséquences. L'Etat défendeur reste libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s'acquitter de son obligation juridique au regard de l'article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l'arrêt de la Cour (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII ; Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001-I ; Kauczor c. Pologne, no 45219/06, § 61, 3 février 2009).
117.  En l'espèce, la Cour a constaté une violation de l'article 10 découlant notamment des défauts du cadre législatif relatif à TRM. Elle considère que l'Etat défendeur est juridiquement tenu, en vertu de l'article 46, de prendre au plus vite des mesures générales pour remédier à la situation qui a donné lieu à la violation de l'article 10. Compte tenu des défauts constatés, ces mesures générales devraient comprendre une réforme législative visant à mettre le cadre juridique pertinent en conformité avec les prescriptions de l'article 10 et à tenir compte de la Recommandation no R(96)10 du Comité des Ministres (paragraphe 52 ci-dessus) ainsi que des recommandations de M. Jakubowicz (paragraphes 63-69 ci-dessus).
118.  La Cour considère que la question de la satisfaction équitable (article 41) ne se trouve pas encore en état. Il échet donc de la réserver et de fixer la procédure ultérieure, compte tenu de la possibilité d'un accord entre les parties (article 75 § 4 du règlement de la Cour).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Rejette l'exception préliminaire du Gouvernement ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention ;
3.  Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;
      en conséquence,
a)  la réserve en entier ;
b)  invite le Gouvernement et les requérants à lui adresser par écrit, dans un délai de trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c)  réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 17 septembre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early Nicolas Bratza   Greffier Président
ARRÊT MANOLE ET AUTRES c. MOLDOVA
ARRÊT MANOLE ET AUTRES c. MOLDOVA 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée ; Violation de l'art. 10 ; Satisfaction équitable réservée

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 46-2) MESURES GENERALES


Parties
Demandeurs : MANOLE ET AUTRES
Défendeurs : MOLDOVA

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (quatrième section)
Date de la décision : 17/09/2009
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 13936/02
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-09-17;13936.02 ?

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