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02/02/2010 | CEDH | N°10193/02

CEDH | AFFAIRE SCUNDEANU c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE SCUNDEANU c. ROUMANIE
(Requête no 10193/02)
ARRÊT
STRASBOURG
2 février 2010
DÉFINITIF
02/05/2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Scundeanu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura,   Corneliu Bîrsan,   Boštjan M. Zupančič,   Egbert Myjer,

 Luis López Guerra,   Ann Power, juges,  et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,
Après en...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE SCUNDEANU c. ROUMANIE
(Requête no 10193/02)
ARRÊT
STRASBOURG
2 février 2010
DÉFINITIF
02/05/2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Scundeanu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura,   Corneliu Bîrsan,   Boštjan M. Zupančič,   Egbert Myjer,   Luis López Guerra,   Ann Power, juges,  et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 janvier 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 10193/02) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Ion Scundeanu (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 janvier 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Le 30 avril 2003, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Le 24 mars 2009, la troisième section a décidé, comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A.  L'ouverture des poursuites contre le requérant
4.  Le requérant est né en 1944 et réside à Comăneşti, Bacău.
5.  Le 31 mai 2001, à la suite de plusieurs plaintes pénales pour escroquerie déposées par les représentants de différentes sociétés commerciales ayant collaboré avec la société dont le requérant était administrateur, les agents de police de la ville de Comăneşti informèrent le requérant des faits qui lui étaient reprochés. Une enquête pénale fut ouverte à son encontre le même jour. Dans ce cadre, le requérant déposa une déclaration concernant ces faits. Un procès-verbal attestant que l'intéressé avait été informé des accusations portées à son encontre fut dressé le jour même. Une deuxième déclaration du requérant en ce sens fut déposée le 1er novembre 2001. Les enquêteurs envoyèrent le dossier au parquet.
B.  Le placement et le maintien du requérant en détention provisoire
6.  Le 2 novembre 2001, par une ordonnance du parquet près le tribunal de première instance de Moineşti (« le tribunal de première instance »), le requérant fut mis en examen pour escroquerie. Le même jour, par une ordonnance du parquet rendue en vertu de l'article 148 f) et h) du code de procédure civile (CPC), le requérant fut placé en détention provisoire pour une période de trente jours. Le parquet retint qu'entre janvier et août 2001 le requérant avait émis plusieurs chèques sans provision, causant un préjudice d'environ 1 058 800 000 lei (soit environ 40 600 euros (EUR)) au patrimoine de plusieurs sociétés commerciales ayant collaboré avec la société dont il était gérant.
7.  Le jour du placement en détention provisoire, le procureur N.M. informa le requérant des accusations portées à son encontre. A cette occasion, l'intéressé déclara connaître les faits qui lui étaient reprochés. Copie de cette déclaration fut versée au dossier.
8.  Le 5 novembre 2001, le requérant fut présenté devant le tribunal de première instance aux fins de vérification de la légalité de la mesure privative de liberté. A cette occasion, sur le fondement de l'article 139 (34) du code de procédure pénale, le requérant demanda l'annulation de la mesure de placement en détention provisoire pour des motifs médicaux, affirmant que son état de santé n'était pas compatible avec une telle mesure. Il déposa à l'appui de sa demande le rapport d'une expertise médicale datant du 17 janvier 2000, établi pendant l'exécution d'une peine de prison antérieure. Lors de cette expertise médicale il était mentionné que le requérant souffrait d'une hernie discale et d'une cirrhose hépatique. Le tribunal de première instance décida d'ajourner l'audience en raison de l'absence de la signature du requérant sur sa demande d'annulation.
9.  Le 6 novembre 2001, le tribunal de première instance confirma l'ordonnance du parquet portant sur le placement en détention provisoire du requérant. Il retint que le requérant était récidiviste et que son maintien en détention provisoire s'imposait afin de garantir le bon déroulement de la procédure. Pour ce qui était de l'état de santé du requérant, il jugea que, celui-ci ayant refusé de faire traiter ses affections après sa libération, en juin 2000, la situation lui était imputable.
10.  Le 10 novembre 2001, les mêmes enquêteurs envoyèrent au parquet de nouveaux dossiers d'enquête contenant d'autres plaintes pénales pour escroquerie, déposées à l'encontre du requérant par les gérants d'autres sociétés commerciales.
11.  Le requérant contesta le jugement devant le tribunal départemental de Bacău (« le tribunal départemental ») en s'appuyant sur deux expertises, l'une de mars 1993 et l'autre de janvier 2000.
12.  Le 15 novembre 2001, le tribunal départemental, jugeant que les documents médicaux fournis ne corroboraient pas les dires du requérant quant à son état de santé et qu'ils ne justifiaient dès lors pas sa remise en liberté, rejeta le recours.
13.  Par un réquisitoire du 22 novembre 2001, le requérant fut mis en examen également pour faux et usage de faux (infraction prévue par l'article 282 du code pénal). Copie de ce réquisitoire fut déposée au dossier.
14.  Le 26 novembre 2001, le parquet près le tribunal de première instance demanda au tribunal la prolongation de la détention provisoire du requérant. Celui-ci demanda l'annulation de cette mesure en argüant de la précarité de son état de santé.
15.  Le 28 novembre 2001, le tribunal de première instance, retenant l'ampleur du préjudice potentiellement causé par le requérant, rejeta cette demande et prolongea la mesure privative de liberté jusqu'au premier jour où le tribunal statuerait sur le fond de l'affaire.
16.  Le 7 janvier 2002, le requérant demanda à nouveau l'annulation de la mesure de détention provisoire pour raison de santé. Une demande identique fut déposée par M.E., administratrice de la société commerciale dont le requérant était associé. Celle-ci alléguait que la situation à l'origine des accusations à la charge du requérant était due à un blocage financier.
17.  Le 8 janvier 2002, le tribunal de première instance demanda à un laboratoire de médecine légale de Bacău de réaliser une expertise afin d'établir si le requérant pouvait être soigné dans l'hôpital pénitentiaire ou s'il nécessitait des soins spécialisés incompatibles avec le régime de détention.
18.  Le 4 février 2002, en l'absence de renseignements de la part du laboratoire, le tribunal décida le maintien du requérant en détention provisoire. Il renouvela sa demande concernant les renseignements médicaux.
19.  Le 18 février 2002, le tribunal prit acte du refus du requérant de se soumettre aux investigations neurologiques au laboratoire de l'hôpital de Bacău. Il demanda à un laboratoire de médecine légale de Iaşi d'effectuer l'expertise portant sur la compatibilité de l'état de santé du requérant avec le régime de détention.
20.  Le 7 mars 2002, le laboratoire de médecine légale de Iaşi confirma la possibilité d'effectuer l'expertise médicale requise. Le 18 mars 2002, en raison de la demande d'ajournement formulée par le requérant, un nouveau délai fut fixé afin de statuer sur sa demande d'annulation. Le lendemain, le tribunal de première instance renouvela auprès du laboratoire de médecine légale de Iaşi sa demande de réalisation de l'expertise. Le même jour, il ordonna le transfert du requérant au pénitencier de Iaşi. Ce transfert eut lieu le 28 mars 2002.
21.  Le 1er avril 2002, le tribunal de première instance décida d'ajourner à nouveau l'examen de la demande d'annulation en raison de l'absence du requérant (due à son transfert au pénitencier de Iaşi) et de l'absence du rapport médical d'expertise. Un nouveau délai fut accordé au laboratoire de médecine légale de Iaşi.
22.  Ce laboratoire informa le tribunal de première instance qu'un examen médical avait été réalisé le 8 avril 2002 et que des examens supplémentaires s'imposaient. Le 15 avril 2002, au vu de cette lettre, le tribunal décida d'ajourner l'examen de la demande du requérant.
23.  Le 20 avril 2002, il décida d'ajourner à nouveau l'examen de cette demande en raison de la résiliation du contrat d'assistance juridique conclu entre le requérant et son représentant.
24.  Le 29 avril 2002, il invita à nouveau le laboratoire de Iaşi à fournir le rapport d'expertise nécessaire à l'examen de la demande d'annulation formulée par le requérant.
25.  Le 30 mai 2002, le laboratoire de médecine légale de Iaşi déposa un rapport d'expertise médicale, réalisée le 8 avril 2002, dans lequel les médecins concluaient que le requérant souffrait « d'un syndrome pluriradiculaire cervical et lombaire non systématisé, (...) d'une hernie discale, d'une hépatopathie chronique, (...) d'une angine de poitrine stable, consécutive à un infarctus, ainsi que de cataracte ». Pour ce qui était de la hernie discale, les médecins recommandaient un examen IRM et l'hospitalisation du requérant pendant un mois en vue d'une rééducation. Ils estimaient que cette affection ne pouvait pas être traitée dans le cadre des hôpitaux pénitentiaires car elle nécessitait une rééducation d'une durée de trois mois, une surveillance médicale et un examen IRM, et éventuellement une intervention chirurgicale dans une clinique spécialisée.
26.  Le 31 mai 2002, le requérant récusa le procureur chargé de la procédure pénale engagée à son encontre. Cette demande fut rejetée par le tribunal de première instance pour défaut de fondement.
27.  Le 3 juin 2002, le tribunal rejeta pour irrecevabilité la demande d'annulation de la mesure de détention provisoire. Il rappela qu'une telle demande ne pouvait être formulée qu'en cas d'exécution d'une peine de prison ferme, à la suite d'une condamnation définitive. Toutefois, le tribunal jugea que pour les affections ne pouvant pas être traitées en détention, le requérant devait être hospitalisé, sous escorte, dans des hôpitaux privés afin d'être soigné.
28.  Par un jugement du 11 juin 2002, le tribunal départemental rejeta le recours du requérant comme étant mal fondé. A l'audience, le représentant du parquet demanda le rejet du recours, car, selon lui, les infractions pour lesquelles le requérant avait été mis en détention provisoire étaient très graves.
29.  Les juges estimèrent que le requérant souffrait des maladies en cause déjà avant sa mise en détention provisoire et que leur gravité n'avait pas empêché que cette mesure soit prise. Ils conclurent donc qu'aucun changement, de nature à modifier les circonstances en vertu desquelles cette mesure avait été prise, n'était survenu.
Pour ce qui était de l'état de santé du requérant, les juges de recours conclurent :
« (...) il ne ressort pas des certificats médicaux qu'une intervention chirurgicale d'urgence soit nécessaire. Même si le requérant était tombé malade pendant la détention provisoire, l'article 139, alinéa 2, du code de procédure pénale ne serait pas applicable en l'espèce (...) car les circonstances en vertu desquelles la détention a été ordonnée n'ont pas disparu. (...)
En vertu du décret présidentiel du 20 juillet 2000, (...) le requérant a bénéficié d'une grâce individuelle. Cette mesure de clémence a été prise en vertu des certificats médicaux établis avant le 20 juillet 2000.
Une fois remis en liberté, le requérant n'a pas poursuivi les traitements médicaux prescrits par les médecins, et il a commis d'autres infractions.
La présente action pénale (...) est caractérisée par une grande complexité et un préjudice important ; de plus, l'inculpé, qui a persévéré dans un comportement délictueux, représente un vrai danger pour l'ordre public.
En conséquence, pour un meilleur déroulement du procès pénal, la détention provisoire du requérant apparaît nécessaire. »
30.  Le 10 juin 2002, le requérant déposa une nouvelle demande d'annulation de la mesure de détention provisoire qui fut rejetée le même jour, par un jugement avant dire droit. Son recours contre ce jugement fut rejeté le 22 août 2002 par le tribunal départemental. Le tribunal jugea que le maintien du requérant en détention provisoire s'imposait en raison de l'activité infractionnelle que celui-ci avait déployée en tant que gérant de deux sociétés commerciales et du danger potentiel qu'il représentait s'il était remis en liberté. Il jugea ensuite que l'état de santé précaire du requérant ne pouvait pas constituer un motif d'annulation, ses maladies ne constituant pas des urgences médicales.
31.  D'après les mêmes informations, le 26 août 2002, lors d'une audience visant à permettre au tribunal de trancher le fond de l'affaire, le requérant fit une nouvelle demande d'annulation de la mesure de détention provisoire. Cette demande fut rejetée le même jour. Le requérant forma un recours contre cette décision.
32.  Une nouvelle demande identique fut formulée le 23 juillet 2002 par un gérant d'une des sociétés appartenant au requérant. Le 26 août 2002, le tribunal de première instance demanda au laboratoire de médecine légale de Iaşi de réaliser une nouvelle expertise médicale portant sur la possibilité de faire soigner les affections dont souffrait l'intéressé en régime de détention.
33.  Selon le Gouvernement, le 17 décembre 2002 le tribunal départemental réunit tous les dossiers relatifs aux demandes d'annulation et rejeta le recours du requérant pour irrecevabilité.
34.  Le 8 janvier 2003, le laboratoire de médecine légale de Iaşi versa au dossier un rapport d'expertise réalisé le 12 décembre 2002, qui confirmait les affections du requérant (discopathie cervicale, hernie discale, hypertension artérielle de troisième degré, séquelles post-infarctus, angine de poitrine stable et cataracte nucléaire à œil droit) et constatait que les affections cardiovasculaires pouvaient être traitées en détention. Pour ce qui était de la hernie discale, les médecins de l'institut de médecine légale de Iaşi aboutirent à la conclusion suivante :
« (...) La discopathie cervicale nécessite un traitement anti-inflammatoire (...) et pour la hernie discale il y a déjà une indication pour un traitement neurochirurgical. Ces affections ne comportent pas de risque vital mais le retard dans la réalisation d'une intervention chirurgicale peut avoir pour résultat une sciatique de nature paralytique, avec des graves conséquences ultérieures sur l'état de santé du patient. L'intervention chirurgicale ne peut pas être effectuée dans le réseau des hôpitaux pénitentiaires, mais uniquement dans une clinique spécialisée relevant du ministère de la Santé, un traitement d'une durée de trois mois étant nécessaire. »
35.  Le 13 janvier 2003, le tribunal de première instance, s'appuyant sur les conclusions du rapport d'expertise médicale du 8 janvier 2003 et jugeant que l'état de santé du requérant serait mis en danger si l'intervention chirurgicale dans une clinique spécialisée n'avait pas lieu, ordonna l'annulation de la mesure de détention provisoire.
36.  Les éléments du dossier ne permettent pas de savoir si le requérant a été condamné ou acquitté pour les infractions présumées qui avaient donné lieu à son placement en détention provisoire. Le requérant n'a pas informé la Cour de la suite de cette procédure ni s'il s'est fait opérer après sa libération.
C.  Le traitement médical du requérant
37.  Trois expertises médicales réalisées en 1993, 1998 et 1999 attestaient des affections dont le requérant souffrait (cirrhose hépatique, discopathie lombaire gauche, insuffisance circulatoire avec troubles hémodynamiques cérébraux, hémiplégie/hémibloc gauche, cataracte, cardiopathie avec troubles du rythme cardiaque, toutes ces affections ayant atteint un stade chronique).
38.  Entre le 2 et le 7 novembre 2001, le requérant refusa de se nourrir. A cette dernière date, il fut admis à l'hôpital de Moineşti avec le diagnostic de « crise d'hypoglycémie ». Le lendemain, ayant refusé toute analyse et tout traitement, il quitta l'hôpital.
39.  Ainsi qu'il ressort de la fiche médicale établie par le service médical pénitentiaire près le ministère de la Justice, le 9 novembre 2001 le requérant, souffrant d'une crise d'hypoglycémie, reçut de la part des médecins de l'hôpital de Moineşti un traitement d'urgence consistant en des perfusions de glucose.
40.  Les 11 et 12 novembre 2001, le requérant fut hospitalisé à l'hôpital départemental de Bacău pour une hypoglycémie due à son refus de se nourrir. A cette occasion, le requérant déclara avoir été victime, en 1989, de deux accidents vasculaires cérébraux. Les médecins autorisèrent son transfert à l'hôpital pénitentiaire de Jilava, à Bucarest.
41.  Le 12 novembre 2001, le requérant fut hospitalisé à l'hôpital pénitentiaire de Jilava, pour refus de nourriture, hypoglycémie, cardiopathie avec troubles du rythme cardiaque et hémibloc gauche. Le 17 novembre 2001, il refusa de se soumettre aux analyses médicales. Deux jours plus tard, il refusa à nouveau de se nourrir, ce qui provoqua des vertiges et des crampes abdominales. Les médecins confirmèrent à cette occasion la cardiopathie avec troubles du rythme cardiaque et recommandèrent une expertise médicolégale aux fins d'établir si les affections dont le requérant souffrait pouvaient être traitées dans le réseau des hôpitaux pénitentiaires.
42.  Le 8 décembre 2001, après son transfert au pénitencier de Bacău, le requérant fut examiné par les médecins de l'hôpital pénitentiaire, qui lui administrèrent notamment les médicaments suivants : Isosorbit dinitrat, Aspacardin, diclofenac et Lipovitan pour traiter la cardiopathie, l'hémibloc, la discopathie, l'hémiplégie et la cirrhose. Le 20 décembre 2001, les médecins lui administrèrent de l'Isosorbit dinitrat, de l'Aspacardin, du Piafen, de la Doxicilina et du Bromhexin, pour les mêmes affections. Le 2 janvier 2002, le requérant fut traité pour les mêmes affections (Isosorbit dinitrat et Aspacardin) et pour la hernie discale (Europirin). Le 4 février et le 6 mars 2002, il fut traité pour l'hémiparésie et l'hypertension.
43.  Le 23 janvier 2001, le requérant fut examiné par les médecins du laboratoire médical de Bacău, notamment pour les affections cardiologiques et gastro-entérologiques. Un traitement lui fut également prescrit. Quant à l'examen neurologique, le requérant, convaincu que le neurologue avait été impliqué dans son arrestation, refusa toute analyse et tout examen.
44.  Le 8 avril 2002, le laboratoire de médecine légale de Iaşi effectua un rapport d'expertise médicale (paragraphe 25 ci-dessus). Le 22 avril 2002, les médecins de l'hôpital de Iaşi effectuèrent un examen ophtalmologique. Du 23 au 29 avril 2002, le requérant fut hospitalisé au service de neurologie de l'hôpital de Iaşi pour des examens.
45.  Le 22 mai 2002, les médecins de l'hôpital pénitentiaire de Bacău lui administrèrent un traitement pour soigner les affections cardiologiques (Diacordin, Furosemid, Nitromint, Farcovit, Meprobamat et Piroxicam). Deux jours plus tard, le requérant refusa de continuer ce traitement. Le 14 juin et le 15 juillet 2002, les mêmes médecins lui administrèrent un traitement contre l'hypertension artérielle et la cirrhose.
46.  Du 25 juillet au 11 août 2002, le requérant fut hospitalisé pour discopathie et monoparésie dans le service de neurologie de l'hôpital pénitentiaire de Jilava. Il refusa les investigations médicales et tout traitement.
47.  Le 9 septembre 2002, les médecins de l'hôpital pénitentiaire de Bacău lui administrèrent un traitement contre l'hypertension artérielle et, le 12 septembre 2002, un traitement contre la cirrhose et la monoparésie.
48.  Le requérant fut hospitalisé le 20 novembre 2002 à l'hôpital militaire de Iaşi pour discopathie (examen IRM). Les médecins conclurent à une « légère protrusion discale ». Le 3 décembre 2002, les médecins de l'hôpital de Bacău lui administrèrent un traitement contre les affections cardiologiques, l'hépatite et une bronchite. Le 11 décembre, le requérant fut examiné par les médecins du service de neurochirurgie de Iaşi pour discopathie, qui lui administrèrent un traitement. Sept jours plus tard, l'intéressé refusa un nouvel examen neurologique.
49.  Le 12 décembre 2002, le requérant fut présenté à l'institut médicolégal de Iaşi pour une expertise (voir paragraphe 34 ci-dessus).
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
50.  En ce qui concerne le placement en détention provisoire et la prolongation de cette mesure, les dispositions pertinentes en l'espèce du code de procédure pénale (CPP), telles qu'elles étaient rédigées à l'époque des faits, ainsi que l'essentiel de la pratique interne relative à la notion de « danger pour l'ordre public » prévue par l'article 148 h) CPP sont décrits dans l'arrêt Mujea c. Roumanie ((déc.), no 44696/98, 10 septembre 2002) et dans l'arrêt Calmanovici c. Roumanie (no 42250/02, §§ 40-42, 1er juillet 2008). Il convient de noter que l'article 148 CPP prévoyait que le placement en détention provisoire ne pouvait être ordonné par un procureur que si se trouvaient réunis, de manière cumulative, les conditions de l'article 143 CPP (preuves ou indices concluants quant à la commission d'une infraction) et l'un des cas prévus par l'article en cause, en particulier : de la fuite du détenu ou le fait de se soustraire à des poursuites à son encontre (article 148 c)), l'existence d'une des circonstances aggravantes (article 148 g)), la commission d'un délit pour lequel la loi prévoit une peine de prison supérieure à deux ans et le fait que son maintien en liberté constituerait un danger pour l'ordre public (article  148 h)). La détention pouvait être prolongée en cas de nécessité, à condition d'être motivée (article 155).
51.  Les autres dispositions pertinentes en l'espèce du code de procédure pénale, en vigueur à l'époque des faits, se lisent comme suit :
Article 136
La finalité et les catégories des mesures provisoires
« Dans les causes relatives aux infractions punies de prison ferme, afin d'assurer le bon déroulement du procès pénal et pour empêcher que la personne soupçonnée ou l'inculpé ne se soustraie aux poursuites pénales (...), l'une des mesures préventives suivantes peut être adoptée à son encontre : (...) 1c) la détention provisoire. (...) La mesure prévue par l'article 136 § 1 c) peut être adoptée par le procureur ou par un tribunal. »
Article 1371
L'information sur les raisons de l'arrestation
« La personne arrêtée doit être aussitôt informée des raisons de son arrestation (...) en présence d'un avocat.
(...) le procureur ou le tribunal doivent informer, dans un délai maximum de vingt-quatre heures, [la] famille [de la personne arrêtée] ou une personne désignée par [celle-ci], et dresser un procès-verbal. »
Article 139
Le remplacement ou l'annulation des mesures préventives
« La mesure préventive déjà prise peut être remplacée par une autre, lorsque les raisons en vertu desquelles elle a été prise ont changé.
Lorsqu'il n'y a plus de raisons pour la justifier, la mesure préventive doit être annulée d'office ou à la demande des parties. (...) »
Article 453
Les cas de sursis à l'exécution d'une peine d'emprisonnement   ou de réclusion à perpétuité
« Le sursis à l'exécution d'une peine d'emprisonnement ou de réclusion à perpétuité peut être prononcé dans les cas suivants :
a)  lorsqu'il est constaté, après une expertise médicolégale, que le condamné souffre d'une maladie qui le place dans l'impossibilité d'exécuter sa peine. Dans ce cas, il sera sursis à l'exécution de la peine jusqu'à ce que le requérant soit en mesure de l'exécuter ; (...) »
Article 455
Les cas d'interruption de l'exécution d'une peine d'emprisonnement   ou de réclusion à perpétuité
« L'exécution d'une peine d'emprisonnement ou de réclusion à perpétuité peut être interrompue dans les cas et les conditions prévus par l'article 453 du code de procédure pénale (...) »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
52.  Le requérant allègue que son maintien en détention provisoire entre le 2 novembre 2001 et le 13 janvier 2003 a constitué, compte tenu de son état de santé précaire, un traitement inhumain et dégradant. Il invoque l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Sur la recevabilité
1.  Arguments des parties
53.  Le Gouvernement soutient que le traitement allégué n'a pas atteint le minimum de gravité requis pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention. Il considère que le placement du requérant en détention provisoire ne peut pas poser, en soi, un problème sur le terrain de l'article 3 de la Convention et que le refus de remettre en liberté une personne malade ne constitue pas un traitement contraire à cette disposition. Il ajoute qu'en revanche l'État a l'obligation positive d'assurer un traitement médical adéquat au sein des hôpitaux pénitentiaires et, si l'état de santé d'un détenu l'impose, de permettre l'hospitalisation de celui-ci dans un hôpital civil.
54.  Il affirme par ailleurs que le requérant a bénéficié d'un traitement médical pour toutes les affections dont il souffrait. Il fournit à ce sujet un tableau mettant en regard les affections dont le requérant souffrait, les dates des soins administrés (du 2 novembre 2001 au 18 décembre 2002) et les établissements médicaux dans lesquels les soins ont été administrés (9 examens médicaux à l'intérieur du système pénitentiaire, 1 hospitalisation dans un hôpital pénitentiaire et 5 hospitalisations dans des hôpitaux civils).
55.  D'après le Gouvernement, certains manquements dans l'établissement du diagnostic ou dans l'administration d'un traitement qui aurait été plus approprié ne sauraient être considérés comme contraires aux exigences de l'article 3 de la Convention. Le Gouvernement affirme que le réseau des hôpitaux pénitentiaires a été modernisé et qu'il peut procéder à des analyses et dispenser des traitements plus complexes. Pour ce qui est de l'état de santé du requérant, il est d'avis que l'aggravation de ses anciennes affections est due à la grève de la faim menée à plusieurs reprises en protestation contre la détention provisoire, ce qui aurait accentué son anémie, ainsi qu'il ressortirait des registres d'observations tenus par les médecins du pénitencier.
56.  Le Gouvernement considère en outre, au vu des examens médicaux dont le requérant a fait l'objet et des périodes d'hospitalisation et de traitement dont il a bénéficié, qu'il n'y a eu aucun manquement de la part des autorités dans l'administration d'une assistance médicale conforme aux affections dont l'intéressé souffrait (Deligiannis c. Grèce (déc.), no 5074/03, 5 juin 2003). Il invite la Cour à appliquer la jurisprudence Kudła c. Pologne ([GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI) et propose de rejeter cette partie de la requête comme incompatible ratione materiae.
57.  Le requérant combat les thèses du Gouvernement. Il affirme que les médecins de l'hôpital pénitentiaire ne lui ont pas dispensé un traitement adéquat contre la hernie discale et la cirrhose dont il souffrait et que cela a entraîné une paralysie. Il conteste les données indiquées dans le tableau fourni par le Gouvernement et affirme n'avoir jamais reçu de médicaments et n'avoir pas eu la possibilité de se faire soigner avec des médicaments envoyés par sa famille.
2.  Appréciation de la Cour
58.  La Cour renvoie aux principes fondamentaux se dégageant de sa jurisprudence en matière de suivi et de traitement médical d'une personne privée de liberté (Kudła, précité, § 91, Paladi c. Moldova [GC], no 39806/05, § 71, 10 mars 2009, et Mouisel c. France, no 67263/01, § 38, CEDH 2002-IX). Si l'on ne peut en déduire une obligation générale de libérer un détenu pour raison de santé, l'article 3 de la Convention impose en tout cas à l'État de protéger, notamment par l'administration des soins médicaux requis, l'intégrité physique des personnes privées de liberté (Rivière c. France, no 33834/03, § 62, 11 juillet 2006).
59.  En l'espèce, la Cour note que le requérant se plaint d'omissions et de défaillances de la part des autorités dans la fourniture des médicaments prescrits, nécessaires au traitement de ses affections (voir, mutatis mutandis, Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, § 41, 15 janvier 2004). Partant, elle examinera le respect par les autorités de leur obligation positive d'assurer au requérant, pendant sa privation de liberté, le suivi médical ainsi que le traitement prescrit par les médecins pour soigner les affections en question, et elle tiendra également compte de l'évolution de son état de santé (I.T. c. Roumanie (déc.), no 40155/02, 24 novembre 2005).
60.  La Cour note que le requérant affirme ne pas avoir reçu de traitement médical contre la discopathie et la cirrhose, et que cela a entraîné la paralysie dont il est atteint. En ce qui concerne ces affections, la Cour observe que, ainsi qu'il ressort des expertises effectuées en 1993, 1998, 1999 et 2000, le requérant en souffrait déjà avant le 2 novembre 2001, date de son placement en détention provisoire, et qu'il présentait également déjà une hémiplégie gauche (paragraphe 37 ci-dessus). Dès lors, compte tenu des éléments de fait figurant dans le dossier, ces affections n'ont pas été causés par sa mise en détention provisoire, et partant on ne saurait considérer que les autorités en sont responsables.
61. La Cour relève en outre que les affections dont le requérant souffrait (cirrhose hépatique, discopathie lombaire gauche, insuffisance circulatoire avec troubles hémodynamiques cérébraux, hémiplégie/hémibloc gauche, cataracte, cardiopathie avec des troubles du rythme cardiaque) se trouvaient déjà à un stade chronique avant son placement en détention provisoire.
62.  Pour ce qui est du suivi de ces affections après le placement du requérant en détention provisoire, la Cour relève que le suivi a consisté principalement en des examens périodiques, à la suite desquels les médecins pouvaient analyser les données recueillies et adapter le traitement à administrer. A cet égard, il ressort du dossier que l'intéressé a été hospitalisé à plusieurs reprises, notamment à l'hôpital pénitentiaire de Jilava (paragraphes 41 et 46 ci-dessus), aux hôpitaux civils de Moineşti (paragraphes 38 et 39 ci-dessus) et de Bacău (paragraphe 40 ci-dessus) et qu'il a été examiné dans les laboratoires médicolégaux de Bacău et de Iaşi (respectivement paragraphes 43 et 44 ci-dessus), dont le personnel était compétent pour établir un bilan de santé par rapport aux affections dont le requérant souffrait, effectuer des analyses et administrer un traitement. Au vu des éléments du dossier, la Cour conclut que les analyses et les traitements ont été réalisés avec une certaine régularité.
63.  En ce qui concerne le suivi médical du requérant, la Cour note qu'il ressort de la fiche médicale que celui-ci avait refusé de se nourrir pendant plusieurs semaines, ce qui a provoqué des crises d'hypoglycémie.
64.  La Cour note également que la demande d'annulation de la mesure privative de liberté formulée par le requérant se basait sur un ancien rapport d'expertise, réalisé en 2000 dans le cadre d'une autre procédure relative à une condamnation pénale le concernant. S'il est vrai que les tribunaux internes, saisies de la demande d'annulation, n'ont pas réagi avec promptitude pour ordonner la réalisation d'une expertise médicale, il n'en reste pas moins que la première expertise réalisée n'indique pas, avec certitude, un état d'urgence même s'il est constaté qu'une partie des affections devrait être traitée en dehors des hôpitaux pénitenciers (paragraphe 25 ci-dessus). Par ailleurs, pour ce qui était de la nécessité d'un examen et d'un traitement de la discopathie, la Cour observe que cela a été possible le 20 novembre 2002, à l'hôpital militaire de Iaşi (paragraphe 48 ci-dessus). Enfin, elle note le refus du requérant, après son transfert dans un hôpital civil, d'effectuer les analyses requises par ses affections (paragraphe 48 in fine ci-dessus). A cet égard, elle relève également l'attitude non coopérative du requérant, qui s'est opposé à plusieurs reprises aux traitements et examens médicaux, sans aucune raison objective pouvant justifier son comportement (paragraphes 43, 45, 46 et 48 in fine ci-dessus). La Cour n'est pas convaincue qu'une telle attitude puisse s'expliquer par l'état psychologique de l'intéressé à ce moment-là et, en tout état de cause, le requérant ne le soutient pas.
65.  Par ailleurs, la Cour note que les médecins de l'institut médicolégal de Iaşi avaient indiqué qu'une solution d'urgence ne s'imposait pas en l'espèce, les affections du requérant ne présentant pas « un risque vital », mais qu'il était préférable de ne pas retarder la réalisation d'une telle intervention neurochirurgicale (paragraphe 34 ci-dessus).
66.  Quant à l'argument du requérant selon lequel il n'aurait pas reçu les médicaments auxquels se réfère le Gouvernement, rien dans le dossier ne permet de corroborer une telle affirmation.
67.  Après s'être livrée à une appréciation globale des faits sur la base des preuves produites devant elle, la Cour estime que les autorités n'ont pas manqué à leur devoir de protéger la santé de l'intéressé ; elle considère également que la détresse que ce dernier allègue avoir éprouvée du fait de son maintien en détention malgré son état de santé n'a pas atteint le seuil minimum de gravité requis par l'article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Corsaro c. Italie (déc.), no 69135/01, 6 novembre 2003, Dimitrov c. Bulgarie (déc.), no 50401/99, 26 mai 2005, et Ene c. Roumanie (déc.), no 15110/05, 18 mai 2006).
68.  Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 2 DE LA CONVENTION
Sur la recevabilité
69.  Invoquant l'article 5 § 2 de la Convention, le requérant affirme ne pas avoir été informé des raisons de son arrestation et des accusations portées contre lui. Cette disposition est ainsi libellée :
« 2.  Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. »
70.  Le Gouvernement fait valoir que le requérant a été informé des accusations d'escroquerie portées à son encontre le jour même où l'enquête pénale a débuté ; il en veut pour preuve la copie d'un procès-verbal établi en ce sens, versé au dossier de la requête. Il affirme en outre que le contenu et la nature des informations fournies au requérant lui ont permis de faire usage d'un recours contre la mesure privative de liberté. Par conséquent, il demande à la Cour de rejeter ce grief comme étant mal fondé.
71.  Le requérant est d'avis que l'accusation portée à son encontre (escroquerie) aurait dû être traitée comme un litige de nature civile et non pas pénale, puisqu'elle concernait l'utilisation de plusieurs billets à ordre.
72.  La Cour rappelle que l'article 5 § 2 énonce une garantie élémentaire : toute personne arrêtée doit savoir pourquoi elle a été privée de liberté. Cette garantie oblige à signaler à une telle personne, dans un langage simple accessible pour elle, les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté afin qu'elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu de paragraphe 4. L'intéressé doit bénéficier de ces renseignements « dans le plus court délai », mais le policier qui l'arrête peut ne pas les lui fournir en entier sur-le-champ. Pour déterminer s'il en a reçu assez et suffisamment tôt, il faut avoir égard aux particularités de l'espèce (Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 50, CEDH 2002-I).
73.  Dans la présente affaire, la Cour note que, ainsi qu'il ressort de la déclaration du requérant datée du 2 novembre 2001, jour de son arrestation, l'intéressé a été informé des accusations retenues à son encontre (paragraphe 7 ci-dessus). De plus, elle observe qu'il a eu la possibilité de contester, le 5 novembre 2001, la légalité de la mesure privative de liberté (paragraphe 8 ci-dessus).
74.  La Cour considère que les renseignements ainsi fournis sur les motifs de l'arrestation du 2 novembre 2001 remplissaient les exigences de l'article 5 § 2 de la Convention. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
75.  Le requérant allègue que la durée de sa détention provisoire a dépassé la limite du raisonnable au vu des faits qui lui étaient reprochés. Il invoque l'article 5 § 3, qui est libellé ainsi :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »
76.  Le Gouvernement combat cette thèse.
A.  Sur la recevabilité
77.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
1.  Sur la durée de la période à prendre en considération
78.  La Cour observe que le requérant a été privé de liberté entre le 2 novembre 2001 et le 13 janvier 2003 (voir §§ 6 et 35 ci-dessus).
79.  Il s'ensuit que la durée de la détention du requérant au regard de l'article 5 § 3 de la Convention a duré un an, deux mois et onze jours.
2.  Sur le caractère raisonnable de la durée de la détention
80.  Le Gouvernement fait valoir que, compte tenu des circonstances de l'espèce, un an et deux mois de détention provisoire (du 2 novembre 2001 au 13 janvier 2003) ne constituent pas une durée déraisonnable de détention au sens de l'article 5 § 3 de la Convention. Il soutient que le requérant était un récidiviste qui représentait un danger pour l'ordre public, et que l'infraction dont il était accusé présentait un degré élevé de danger social. Il affirme également qu'il y avait un risque de voir l'intéressé, s'il avait été remis en liberté, se soustraire à la justice. Toutes ces raisons auraient été avancées par les tribunaux internes afin de justifier le maintien du requérant en détention provisoire. Enfin, le Gouvernement insiste sur la complexité de l'affaire (plus de vingt sociétés commerciales s'étaient constituées parties civiles, quarante audiences ont été tenues) et fait référence à la jurisprudence de la Cour (Maresova et Mares c. République tchèque (déc.), no 74365/01, 6 mai 2003).
81.  La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Toutefois, au bout d'un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle recherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, parmi d'autres, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, §§ 152-153, CEDH 2000-IV).
82.  A la lumière de faits pertinents de l'espèce, la Cour estime qu'il y avait des raisons plausibles de soupçonner le requérant de la commission d'une infraction pénale, à savoir l'escroquerie (voir paragraphe 5 ci-dessus).
83.  Quant au danger d'entrave au bon déroulement de la procédure pénale il ne peut être invoqué de manière abstraite par les autorités, mais doit reposer sur des preuves factuelles (Becciev c. Moldova, no 9190/03, § 59, 4 octobre 2005). C'est aussi le cas des troubles à l'ordre public : si un tel motif peut entrer en ligne de compte au regard de l'article 5 dans des circonstances exceptionnelles et dans la mesure où le droit interne reconnaît cette notion, il ne saurait être considéré comme pertinent et suffisant que s'il repose sur des faits de nature à montrer que l'élargissement du détenu troublerait réellement l'ordre public (Letellier c. France, 26 juin 1991, série A no 207, § 51).
84.  La Cour rappelle que, dans l'affaire Calmanovici (no 42250/02, § 101, 1 juillet 2008), elle a conclu que les autorités n'avaient pas fourni des motifs « pertinents et suffisants » pour justifier la nécessité de maintenir le requérant en détention provisoire pendant une période d'environ trois mois et demi, dès lors qu'elles n'avaient pas présenté des faits concrets quant aux risques encourus en cas de remise en liberté de l'intéressé, qu'elles n'avaient pas examiné individuellement la situation de celui-ci et qu'elles n'avaient pas pris en compte la possibilité d'appliquer des mesures alternatives à la détention.
85.  En l'espèce, après avoir examiné les faits pertinents, la Cour considère que le Gouvernement n'a pas présenté d'éléments permettant de mener à une conclusion différente. En l'espèce, le requérant a été gardé en détention provisoire pendant un an et deux mois sans avoir été jugé pour les infractions dont il était accusé (paragraphe 36 ci-dessus). Or à l'exception de l'ordonnance du procureur du 2 novembre 2001 fondée sur l'article 148 f) et h) CPP, toutes les autres décisions ayant conduit au maintien du requérant en détention provisoire se sont appuyées essentiellement sur l'article 148 h) CPP.
86.  Le Cour relève surtout qu'il ressort des décisions pertinentes que, tout comme dans l'affaire susmentionnée, les tribunaux internes n'ont pas fourni de raisons concrètes pour appuyer la thèse du « danger pour l'ordre public » et justifier, sur la base de l'article 148 h) CPP, la nécessité de maintenir le requérant en détention, alors que la jurisprudence interne avait indiqué des critères et des éléments à prendre en compte lors d'un tel examen et que l'article 155 CPP exigeait que les tribunaux fournissent des motifs à ce titre. Pour l'essentiel, les tribunaux se sont limités à reproduire le texte de ce dernier article d'une manière stéréotypée (Calmanovici, précité, § 97).
87.  Enfin, ainsi qu'il ressort des faits, la Cour relève que les juridictions internes n'ont invoqué le bon déroulement de la procédure et le danger pour l'ordre public que trois fois (paragraphes 10, 28 et 30 ci-dessus), alors que la détention provisoire du requérant a été prolongée pour plus d'un an. Quant à l'éventuelle entrave au bon déroulement de la procédure, les juridictions n'ont à aucun moment donné des éléments à l'appui de cette affirmation. De plus, elle observe que les tribunaux internes n'ont pas examiné individuellement la situation du requérant, son profil personnel et sa situation familiale, et qu'elles n'ont à aucun moment examiné la possibilité d'adopter l'une des mesures alternatives prévues par le droit interne, alors que l'article 5 § 3 demande que les autorités prennent en considération de telles mesures pour autant que la situation s'y prête et que l'accusé fournisse des garanties quant à sa comparution au procès (paragraphes 10, 11, 15 et 16 ci-dessus) (voir, mutatis mutandis, Becciev, précité, § 62, et Calmanovici, précité, §§ 98 et 100).
88.  Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime que les autorités n'ont pas fourni des motifs « pertinents et suffisants » pour justifier la nécessité de maintenir le requérant en détention provisoire pendant la période en cause. Elle considère que la simple mention de l'état de récidive du requérant ne suffit pas pour justifier une détention provisoire pendant la durée en cause.
89.  Dans ces circonstances, il n'est pas nécessaire de rechercher de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Dolgova c. Russie, no 11886/05, § 50 in fine, 2 mars 2006). Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu'il y a eu en l'espèce violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
IV.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
A.  Sur l'article 3 de la Convention
90.  Dans ses observations du 3 septembre 2003, en réponse à celles du Gouvernement, le requérant a dénoncé les conditions matérielles régnant dans la prison de Botoşani, notamment la surpopulation (47 personnes dans une chambre de 14 lits) et l'humiliation à laquelle il aurait été exposé en raison de la paralysie qui l'empêchait de se déplacer, autant de traitements contraires selon lui à l'article 3 de la Convention.
91.  La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention elle ne peut être saisie que dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive rendue dans le cadre normal de l'épuisement des voies de recours internes susceptibles de fournir un moyen efficace et suffisant pour redresser les griefs faisant l'objet de la requête. En l'absence de recours interne efficace, le délai de six mois prévu par l'article 35 § 1 court à partir de la date de l'acte ou de la décision incriminée et, lorsqu'il s'agit d'une situation continue, il court à partir de la date de la fin de celle-ci (voir, parmi d'autres, Mujea c. Roumanie (déc.) no 44696/98, 10 septembre 2002).
92.  En l'espèce, la Cour observe que le requérant a été placé en détention provisoire par une ordonnance du procureur du 2 novembre 2001 et qu'il a été libéré le 13 janvier 2003, par un jugement avant dire droit du tribunal de première instance de Moineşti. Il s'ensuit que le grief soulevé le 3 septembre 2003 est tardif et qu'il doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
B.  Sur l'article 6 § 1 de la Convention
93.  Le requérant, dénonçant une impossibilité de se défendre lors de son procès pénal, se plaint d'une atteinte aux droits garantis par l'article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l'espèce se lisent ainsi :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...).
94.  Ainsi qu'il ressort des éléments fournis par les parties, la Cour observe que la procédure pénale dirigée à l'encontre du requérant n'a abouti à aucune décision jugeant du bien-fondé des accusations portées à son encontre, l'intéressé ayant été libéré pour des raisons médicales. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme incompatible ratione personae, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
C.  Sur l'article 7 de la Convention
95.  Le requérant dénonce une violation de l'article 7 de la Convention ; il affirme que sa responsabilité était de nature civile et non pénale, le fait d'avoir émis des billets à ordre ne pouvant selon lui être qualifié d'escroquerie. La disposition invoquée se lit comme suit :
« 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.
2.  Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
96.  La Cour note qu'à l'époque des faits, tout comme à la date d'adoption du présent arrêt, l'escroquerie était une infraction prévue à l'article 215 du code pénal. En tout état de cause, il ne ressort pas des éléments fournis par les parties, que le requérant a fait l'objet d'une condamnation dans la procédure litigieuse. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme incompatible ratione personae, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
V.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
97.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
98.  Le 24 mars 2009, après la décision de la chambre d'examiner conjointement la recevabilité et le fond de l'affaire, la partie requérante a été invitée à transmettre, avant le 24 avril 2009, ses demandes au titre de l'article 41 de la Convention. Aucune suite n'ayant été donnée à cette demande, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 5 § 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 février 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Josep Casadevall   Greffier adjoint Président
ARRÊT SCUNDEANU c. ROUMANIE
ARRÊT SCUNDEANU c. ROUMANIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 5-3

Parties
Demandeurs : SCUNDEANU
Défendeurs : ROUMANIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 02/02/2010
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 10193/02
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-02-02;10193.02 ?

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