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02/02/2010 | CEDH | N°42430/05

CEDH | AFFAIRE AIZPURUA ORTIZ ET AUTRES c. ESPAGNE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE AIZPURUA ORTIZ ET AUTRES c. ESPAGNE
(Requête no 42430/05)
ARRÊT
STRASBOURG
2 février 2010
DÉFINITIF
28/06/2010
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Aizpurua Ortiz et autres c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura,   Boštjan M. Zupančič,   Alvina Gyulumyan,   Egbe

rt Myjer,   Luis López Guerra,   Ann Power, juges,  et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE AIZPURUA ORTIZ ET AUTRES c. ESPAGNE
(Requête no 42430/05)
ARRÊT
STRASBOURG
2 février 2010
DÉFINITIF
28/06/2010
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Aizpurua Ortiz et autres c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura,   Boštjan M. Zupančič,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   Luis López Guerra,   Ann Power, juges,  et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 janvier 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 42430/05) dirigée contre le Royaume d'Espagne et dont Mme Begoña Perea de la Tajada a saisi la Cour le 17 novembre 2005 au nom de M. Magdaleno Aizpurua Ortiz et cinquante-cinq autres ressortissants de cet Etat (« les requérants »), dont les noms figurent en annexe, en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés par Me R. Zarauz Elguezabal, avocat à Bilbao. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. Blasco Lozano, chef du service juridique des droits de l'homme au ministère de la Justice.
3.  Les requérants se plaignent en particulier qu'ils ont été privés de leurs droits à une pension complémentaire sur la base d'une convention collective conclue entre leur ancien employeur et les représentants des employés.
4.  Le 20 novembre 2008, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5.  Les requérants résident ou résidaient dans la province de Biscaye.
A. Faits relatifs à l'introduction de la requête devant la Cour
6.  Le 17 novembre 2005, Mme Begoña Perea de la Tajada, avouée, envoya à la Cour une lettre introductive de requête au nom des cinquante-six requérants. Elle fournit des pouvoirs par lesquels les intéressés lui donnaient mandat pour les représenter dans tout type de procédure.
7.  Le 29 décembre 2005, B.P. envoya à la Cour le formulaire de requête au nom des requérants. Par une lettre du 11 janvier 2006, le greffe confirma à B.P. l'enregistrement de la requête et l'invita à le tenir informé de tout développement pertinent pour l'affaire en cause.
8.  Par une lettre du 27 novembre 2008, le greffier notifia à B.P. que le président de la section avait décidé de communiquer au Gouvernement la requête en question. Il attira son attention sur l'article 36 §§ 2 et 4 du règlement de la Cour, selon lequel les requérants doivent à ce stade de la procédure être représentés devant la Cour par un conseil.
9.  Le 15 janvier 2009, Me Ricardo Zarauz Elguezabal, avocat, envoya au greffe les formulaires lui donnant pouvoir aux fins de représenter les requérants dans la procédure devant la Cour.
10.  Par une lettre du 11 février 2009, le greffe indiqua à Me Zarauz que les 2e, 3e, 4e, 7e, 9e, 10e, 13e, 14e, 15e, 18e, 19e, 22e, 25e, 29e, 30e, 32e, 35e, 38e, 40e, 45e, 47e, 49e, 50e, 51e et 53e requérants n'avaient pas signé leurs pouvoirs et que les pouvoirs relatifs aux 12e et 20e requérants apparaissaient signés par d'autres personnes.
11.  Par une lettre du 25 février 2009, le représentant des requérants répondit que, vu l'âge des requérants, tous retraités, il devait se renseigner sur des éventuels décès ou incapacités ayant pu affecter la régularité des signatures requises.
12.  Par une lettre du 6 mars 2009, le greffier invita le représentant des requérants à l'informer de l'éventuel décès des requérants n'ayant pas signé leurs pouvoirs. Il lui demanda également de l'informer de l'existence d'héritiers ou proches parents qui souhaiteraient assumer et poursuivre l'instance au nom des requérants décédés et de lui envoyer, le cas échéant, les pouvoirs signés par ces personnes.
13.  Par une lettre du 28 mars 2009, le représentant des requérants indiqua que les 2e, 3e, 4e, 7e, 9e, 10e, 13e, 14e, 15e, 18e, 19e, 25e, 29e, 30e, 35e, 40e, 45e, 47e, 49e, 50e et 53e requérants étaient décédés et que le 11e requérant était décédé récemment. Il fournit pour la plupart de ces requérants des certificats de décès, des certificats d'héritiers, ainsi que des pouvoirs signés par les héritiers ou proches parents intéressés. S'agissant des 4e et 47e requérants, décédés, aucun héritier ou proche parent n'avait signé un pouvoir aux fins de leur représentation devant la Cour. Le représentant des requérants indiqua également que les 12e et 20e requérants étaient en état d'incapacité et que les pouvoirs envoyés avaient été signés respectivement par son épouse María Gómez Aguayo et sa fille Maria Garcia. Enfin, pour ce qui est des 22e, 32e, 38e et 51e requérants, le représentant des requérants n'avait pas pu obtenir des informations sur leur situation personnelle.
B. Faits relatifs à l'objet de l'affaire
14.  Les requérants étaient employés par la société « Sefanitro S.A. » (ci-après, « la société ») jusqu'à leur mise à la retraite anticipée et bénéficiaient de pensions complémentaires conformément aux conditions prévues par un accord collectif conclu entre les représentants des employés et la société le 22 décembre 1983. Parmi les conditions établies, était prévu le versement d'une pension complémentaire annuelle de caractère viager jusqu'à l'âge de 65 ans, moment auquel le montant acquerrait un caractère dynamique. Ces conditions furent reprises dans les conventions collectives conclues ultérieurement. Elles s'appliquaient aux employés ayant commencé à travailler pour la société avant 1984.
15.  En août 1994, la société cessa de verser aux requérants les pensions complémentaires prévues par l'accord collectif du 22 décembre 1983. Les requérants saisirent alors les juges du travail de Bilbao de plusieurs demandes afin de solliciter les montants dus au titre des pensions complémentaires. Ils obtinrent gain de cause. Les jugements rendus en leur faveur furent confirmés par plusieurs arrêts du Tribunal supérieur de justice du Pays Basque (arrêts de 1997, 1998, 1999, 2000 et 2002).
16.  En vertu d'une nouvelle convention collective publiée le 10 avril 2000, les conditions de paiement des prestations complémentaires aux requérants furent modifiées, en raison du changement substantiel des conditions économiques existantes en 1983. Cette convention abrogea avec effet au 1er janvier 2000 toutes les conventions collectives antérieures ayant reconnu le droit au versement d'une pension complémentaire. Aux termes de la deuxième disposition additionnelle de la nouvelle convention collective, les employés ayant bénéficié de pensions complémentaires avaient droit au versement d'un seul montant correspondant à trois mensualités, calculées par rapport aux sommes versées par la société au titre du complément en juillet 1994. Sur ce montant, des réductions devaient s'appliquer en fonction de l'âge de la retraite.
17.  Le 6 mars 2002, les requérants saisirent le juge du travail no 1 de Bilbao d'une demande tendant à constater que leurs droits à une pension complémentaire ne pouvaient être affectés par la nouvelle convention collective. Ils soutinrent que cette convention collective avait été conclue entre la société débitrice et les représentants des employés actifs, qui ne pouvaient en aucun cas agir en leur nom car ils défendaient des intérêts qui leur étaient défavorables.
18.  Par un jugement du 13 septembre 2002, le juge du travail no 1 de Bilbao fit partiellement droit aux requérants et condamna la société défenderesse au versement des pensions sollicitées. Le juge du travail débouta les 7e et 30e requérants de leurs prétentions, dans la mesure où ils étaient décédés respectivement le 12 mars 2001 et le 9 octobre 2001.
19.  Contre ce jugement, la société fit appel (suplicación) auprès du Tribunal supérieur de justice du Pays Basque, qui le rejeta par un arrêt du 11 février 2003.
20.  La société se pourvut alors en cassation en vue d'assurer l'harmonisation de la jurisprudence. Par un arrêt du 8 avril 2005, notifié aux requérants le 18 mai 2005, le Tribunal suprême fit droit à la société, cassa la décision attaquée et débouta les requérants de leurs demandes. Le Tribunal suprême se référa à l'article 82 § 4 du Statut des travailleurs (voir ci-dessous, § 22) et nota que le législateur espagnol avait opté pour un système qui primait la liberté de négociation collective sur les compromis acquis en vertu des conventions collectives antérieures, indépendamment de la nature des droits affectés. A cet égard, il rappela que lors de l'adoption du Statut des travailleurs, le Parlement avait rejeté une proposition visant à inclure une clause de sauvegarde concernant les droits acquis. Le Tribunal considéra donc que les droits reconnus par une convention collective antérieure pouvaient cesser d'être effectifs lorsqu'ils faisaient l'objet d'une révision par une convention collective postérieure, sauf disposition contraire. Il souligna qu'en l'espèce, les deux conventions collectives qui s'étaient succédées dans le temps avaient le même rang. S'agissant de l'interprétation de l'article 192 de la loi générale sur la sécurité sociale (voir ci-dessous, § 22), le Tribunal suprême estima que le droit à une amélioration complémentaire d'une prestation périodique ne pouvait être annulé ou diminué qu'en conformité avec les normes régissant sa reconnaissance, en l'espèce la convention collective ayant reconnu les améliorations en question. Dans la mesure où la convention collective ne contenait aucune disposition relative à son application dans le temps ou à son intangibilité face aux conventions postérieures, ces améliorations pouvaient être modifiées ou annulées par une convention collective postérieure, conformément à l'article 82 § 4 du Statut des travailleurs.
21.  Le Tribunal suprême nota qu'en tout état de cause, la convention collective postérieure n'avait pas supprimé les droits reconnus par la première convention, mais qu'elle les avait remplacés par d'autres droits de nature équivalente. Or, les requérants n'acceptèrent pas les nouvelles modalités reconnues par la nouvelle convention (le versement d'une somme unique). Il releva également que la mauvaise situation financière de la société, notamment pendant les trois dernières années, était à l'origine de la modification des droits reconnus aux retraités. A cet égard, le Tribunal suprême nota que les anciens employés retraités, dont les requérants, n'avaient pas été traités de manière discriminatoire, dans la mesure où les employés actifs de la société avaient également renoncé à leur pension complémentaire par une convention collective du 31 janvier 1995.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
22.  Le droit interne pertinent
1. La Constitution
Article 37 § 1
« La loi garantit le droit à la négociation collective en matière de travail entre les représentants des travailleurs et des chefs d'entreprise, ainsi que le caractère contraignant des conventions. »
2. Le Statut des travailleurs (Décret-législatif royal 1/1995, du 24 mars 1995)
Article 82 § 4
« La convention collective qui remplace une convention collective précédente peut disposer des droits reconnus par cette dernière. Dans ce cas, ce sont les stipulations de la nouvelle convention collective qui s'appliquent de plein droit ».
3. La Loi générale sur la sécurité sociale (Décret-législatif royal 1/1994, du 20 juin 1994)
Article 192
« Les employeurs peuvent améliorer directement les prestations du régime général, à leur charge exclusive. Exceptionnellement, avec l'accord préalable du Ministère du travail et des affaires sociales, le versement de cotisations par les employés peut être établi, à condition qu'ils puissent adhérer ou non, individuellement et de leur gré, aux améliorations offertes par les employeurs à cette fin.
Nonobstant le caractère volontaire, pour les employeurs, de l'introduction de telles améliorations auquel cet article fait référence, lorsqu'un employé a obtenu le droit à un complément de la prestation périodique, ce droit ne peut être annulé ou diminué qu'en conformité avec les normes régissant sa reconnaissance. »
23.  La jurisprudence du Tribunal suprême
Le Tribunal suprême établit sa jurisprudence sur la question des conventions collectives successives et des améliorations volontaires des prestations de retraite existant en dehors du régime national de sécurité sociale, dans un arrêt du 16 juillet 2003 (concernant le même litige entre les requérants et la société), dont les principes ont été suivis par l'arrêt du 8 avril 2005 mis en cause en l'espèce.
Dans son arrêt du 16 juillet 2003, trois magistrats exprimèrent une opinion dissidente. Les magistrats dissidents considérèrent qu'il fallait faire une distinction entre les employés actifs de la société et les retraités, dans la mesure où les derniers n'étaient pas représentés aux organes de représentation habilités à conclure des nouvelles conventions collectives. Par ailleurs, l'article 192 § 2 de la loi générale sur la sécurité sociale devait être considérée comme une lex specialis par rapport au Statut des travailleurs, l'annulation ou la modification des droits acquis ne pouvant donc avoir lieu qu'en vertu de la norme ayant reconnu ces droits. Dans le respect du principe de sécurité juridique, la cause d'une telle modification ou annulation devrait être prévue par la norme ayant reconnu les droits en question. Enfin, les magistrats dissidents soulignèrent qu'une telle modification a posteriori était incompatible avec le caractère viager de la pension complémentaire.
24.  Le Droit communautaire
La directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur
Article 8
« Les États membres s'assurent que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés et des personnes ayant déjà quitté l'entreprise ou l'établissement de l'employeur à la date de la survenance de l'insolvabilité de celui-ci, en ce qui concerne leurs droits acquis, ou leurs droits en cours d'acquisition, à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants, au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux nationaux de sécurité sociale. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
25.  Les requérants se plaignent qu'ils ont été privés de leurs droits à une pension complémentaire sur la base d'une convention collective conclue entre la société et les représentants des employés actifs, alors que ceux-ci ne pouvaient les représenter ni défendre leurs intérêts. Ils soutiennent que l'interprétation faite par le Tribunal suprême de la législation interne a porté atteinte à leur droit de propriété. Ils invoquent l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
26.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A.  Sur la recevabilité
1. Locus standi des requérants
27. La Cour doit tout d'abord se pencher sur la question du locus standi des requérants.
28.  La Cour réaffirme que l'existence d'une victime, c'est-à-dire d'un individu qui est personnellement touché par la violation alléguée d'un droit garanti par la Convention, est nécessaire pour que soit enclenché le mécanisme de protection prévu par celle-ci, bien que ce critère ne puisse être appliqué de façon rigide, mécanique et inflexible tout au long de la procédure (Karner c. Autriche, no 40016/98, § 25, CEDH 2003-IX).
29.  La Cour autorise normalement les proches de la victime à maintenir la requête introduite par celle-ci avant son décès à condition qu'ils aient un intérêt suffisant pour agir (Malhous c. République tchèque (déc.), no 33071/96, CEDH 2000-XII). Toutefois, la situation est différente lorsque la victime directe est décédée avant d'avoir soumis une requête à la Cour (Sanles Sanles c. Espagne (déc.), no 48335/99, CEDH 2000-XI). S'il est vrai que les proches de personnes décédées dans des circonstances soulevant des questions sous l'angle de l'article 2 de la Convention peuvent se déclarer requérants à part entière, c'est là une situation particulière régie par la nature de la violation alléguée et des considérations liées à l'application effective de l'une des dispositions les plus fondamentales du système de la Convention. Les cas des requérants décédés avant l'introduction de la requête doit donc être distingué des cas des requérants décédés pendant la procédure devant la Cour, pour lesquels elle doit prendre en compte la volonté de poursuivre celle-ci exprimée par des héritiers ou parents proches (voir, parmi d'autres, les arrêts Deweer c. Belgique, 27 février 1980, série A no 35, § 37, et Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 39, CEDH 1999-VI).
30.  Pour ce qui est de la présente espèce, la Cour observe que, tel qu'il ressort du jugement du juge du travail no 1 de Bilbao du 13 septembre 2002, les 7e et 30e requérants étaient décédés respectivement le 12 mars 2001 et le 9 octobre 2001. Elle note par ailleurs que par une lettre du 28 mars 2009, le représentant des requérants informa le greffe de la Cour que certains requérants étaient décédés, et fournit des certificats de décès à leur égard. Il ressort de ces documents qu'outre les 7e et 30e requérants, les 3e, 13e, 14e, 25e, 35e, 45e et 47e requérants étaient décédés respectivement le 30 mai 2003, le 19 janvier 2005, le 18 février 2004, le 2 juillet 2004, le 23 juin 2003, le 19 octobre 2005 et le 13 juillet 2003. Ces requérants étaient donc tous décédés avant l'introduction de la requête en leur nom par leur avouée. D'après la pratique de la Cour, et conformément à l'article 34 de la Convention, une requête ne peut être présentée que par des personnes vivantes ou en leur nom (Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, § 111, 18 septembre 2009). Dès lors, la Cour considère que ces requérants ne pouvaient pas saisir valablement la Cour d'une requête et que la requête introduite en leur nom doit être rejetée pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. Pour ce qui est des proches parents, époux ou héritiers qui ont manifesté leur intention d'assumer l'instance au nom de ces requérants (à l'exception du 47e requérant, pour lequel aucun héritier ou époux n'a manifesté une telle intention), elle constate qu'à supposer même qu'ils puissent avoir la qualité de victime (voir Marie-Louise Loyen et autre c. France, no 55929/00, § 29, 5 juillet 2005, Ressegatti c. Suisse, no 17671/02, § 25, 13 juillet 2006, Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, §§ 44-51, 15 octobre 2009 et a contrario Fairfield et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 24790/04, CEDH 2005-VI), ils n'ont manifesté leur souhait d'assumer la présente requête que le 28 mars 2009, soit plus de six mois après la décision interne définitive (l'arrêt du 8 avril 2005 du Tribunal suprême, notifié aux requérants le 18 mai 2005).
31.  En ce qui concerne le 4e requérant, décédé le 16 février 2007, soit après l'introduction de la requête, la Cour note qu'aucun ayant droit ou proche parent n'a manifesté sa volonté de poursuivre l'instance devant elle. La Cour rappelle qu'elle a pour pratique de rayer les requêtes du rôle lorsqu'aucun héritier ou parent proche ne veut poursuivre l'instance (voir, parmi d'autres, Scherer c. Suisse, arrêt du 25 mars 1994, §§ 31-32, série A no 287, Thévenon c. France (déc.), no 2476/02, CEDH 2006-III, et Léger c. France (radiation) [GC], no 19324/02, § 44, CEDH 2009-...). Conformément à l'article 37 § 1 c) de la Convention, elle considère qu'il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête à l'égard de ce requérant.
32.  S'agissant des 22e, 32e, 38e et 51e requérants, la Cour note que le représentant des requérants admet n'avoir pas pu obtenir des informations à leur égard depuis la communication de la requête au Gouvernement, notamment sur leur éventuel décès ou l'existence d'héritiers ou proches parents. Elle note par ailleurs que les pouvoirs envoyés par le représentant des requérants après la communication de la requête n'ont été signés ni par ces requérants ni par des éventuels héritiers/proches parents.
33.  La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 36 § 1 de son règlement, « [l]es personnes physiques (...) peuvent initialement soumettre des requêtes en agissant soit par [elles]-mêmes, soit par l'intermédiaire d'un représentant ». En outre, une fois la requête notifiée à la Partie contractante défenderesse, tout requérant doit, sauf décision contraire du président de la chambre, être représenté par un conseil habilité à exercer dans l'une quelconque des Parties contractantes et résidant sur le territoire de l'une d'elles (voir les paragraphes 2 et 4 a) de l'article 36 précité). Enfin, toute requête formulée en vertu de l'article 34 de la Convention doit être présentée par écrit et signée par le requérant ou son représentant ; lorsqu'un requérant est représenté, son ou ses représentants doivent produire une procuration ou un pouvoir écrit (article 45 §§ 1 et 3 du règlement de la Cour).
34.  En l'espèce, les 22e, 32e, 38e et 51e requérants n'ont pas présenté leur requête en agissant par eux-mêmes ; les intéressés sont en effet passés par l'intermédiaire des représentants, à savoir initialement une avouée, et ensuite, à partir de janvier 2009, un avocat. Dès lors, lesdits représentants étaient tenus de produire une procuration ou un pouvoir écrit signés par leurs clients. Or, les procurations écrites concernant la procédure devant la Cour qui sont parvenues au greffe après la communication de la requête n'étaient pas signées par ces requérants. Par ailleurs, dès février 2009, le greffe de la Cour avait invité le représentant des requérants à produire une procuration dûment remplie et signée par ses clients, et ensuite, à l'informer de l'éventuel décès de ces requérants.
35.  Dans ces circonstances, la Cour considère que les 22e, 32e, 38e et 51e requérants n'entendent plus maintenir leur requête (voir, mutatis mutandis, Cherif et autres c. Italie, no 1860/07, § 42, 7 avril 2009). Il s'ensuit qu'aux termes de l'article 37 § 1 a) de la Convention, il y a lieu de rayer l'affaire du rôle dans la mesure où elle a été introduite par ces requérants.
36.  Enfin, en ce qui concerne les 2e, 9e, 10e, 11e, 15e, 18e, 19e, 29e, 40e, 49e, 50e et 53e requérants, tous décédés après l'introduction de la requête devant la Cour le 17 novembre 2005, elle observe que leur représentant a fait parvenir au greffe de la Cour, après la communication de la requête au Gouvernement, des procurations écrites signées par leurs proches parents, époux ou héritiers. Dans ces circonstances, la Cour considère que ces personnes peuvent poursuivre la requête devant elle au nom des intéressés décédés (voir Malhous, décision précitée).
37.  S'agissant des 1er, 5e, 6e, 8e, 12e, 16e, 17e, 20e, 21e, 23e, 24e, 26e, 27e, 28e, 31e, 33e, 34e, 36e, 37e, 39e, 41e, 42e, 43e, 44e, 46e, 48e, 52e, 54e, 55e et 56e requérants, la Cour constate que l'examen de la présente requête peut être poursuivi.
2. Applicabilité ratione materiae de l'article 1 du Protocole no 1
38.  La Cour a estimé que le droit à pension fondé sur l'emploi pouvait dans certaines circonstances être assimilé à un droit de propriété lorsque notamment l'employeur avait pris l'engagement plus général de verser une pension à des conditions qui peuvent être considérées comme faisant partie du contrat de travail (Laloyaux c. Belgique (déc.), no 73511/01, 9 mars 2006, et Sture Stigson c. Suède, no 12264/86, décision de la Commission du 13 juillet 1988, Décisions et rapports 57, p. 131). Toutefois, l'article 1 du Protocole no 1 ne saurait être interprété comme donnant droit à une pension d'un montant déterminé (voir, parmi d'autres, Aunola c. Finlande (déc.), no 30517/96, 15 mars 2001).
39.  En l'occurrence, la Cour note que le droit à une pension complémentaire avait été reconnu aux requérants en vertu d'un accord collectif conclu le 22 décembre 1983 entre leur ancien employeur et les représentants des employés. Elle observe que les requérants, à compter de leur mise à la retraite anticipée, ont perçu ces pensions jusqu'au moment où la société a cessé de les verser, en 1994. Les requérants ont ensuite réclamé ces pensions devant les tribunaux, qui ont donné suite à leurs demandes en condamnant la société à poursuivre le paiement des pensions complémentaires. Une nouvelle convention collective publiée le 10 avril 2000 a abrogé les conventions collectives antérieures ayant reconnu le droit au versement d'une pension complémentaire. Après avoir attaqué cette convention collective avec succès en première et deuxième instance, les requérants se sont vus privés de leurs droits à une pension complémentaire de manière définitive par un arrêt du Tribunal suprême qui a donné gain de cause à la société défenderesse. La Cour relève que cet arrêt du Tribunal suprême a validé la clause litigieuse de la convention collective de 2000, en infirmant les décisions des tribunaux inférieurs favorables aux requérants et en tranchant de manière définitive la contestation sur leurs droits à une pension complémentaire.
40.  La Cour considère que les requérants avaient, pour le moins, l'espérance légitime de continuer à percevoir les pensions complémentaires prévues par l'accord collectif de 1983. Dans ces circonstances, elle est prête à partir de l'hypothèse de travail que le droit à une pension complémentaire reconnu aux requérants par l'accord collectif de 1983 s'analysait en une valeur patrimoniale relevant du champ d'application de l'article 1 du Protocole no 1.
3. Décision de la Cour sur la recevabilité
41.  En conclusion, la Cour estime que la requête, pour autant qu'elle concerne les 3e, 7e, 13e, 14e, 25e, 30e, 35e, 45e et 47e requérants, doit être déclarée irrecevable en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. Elle décide de rayer la requête du rôle dans la mesure où elle a été introduite par les 4e, 22e, 32e, 38e et 51e requérants conformément à l'article 37 § 1 de la Convention. En revanche, pour ce qui est des 1er, 2e, 5e, 6e, 8e, 9e, 10e, 11e, 12e, 15e, 16e, 17e, 18e, 19e, 20e, 21e, 23e, 24e, 26e, 27e, 28e, 29e, 31e, 33e, 34e, 36e, 37e, 39e, 40e, 41e, 42e, 43e, 44e, 46e, 48e, 49e, 50e, 52e, 53e, 54e, 55e et 56e requérants, la Cour considère que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que cette partie de la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B.  Sur le fond
1. Les observations des parties
a) Les requérants
42.  Les requérants allèguent qu'ils ont été gravement lésés du fait que leur droit à une pension complémentaire à vie a été remplacé par une prestation équivalente à trois mensualités, en vertu de la convention collective du 10 avril 2000 entre leur ancien employeur et les représentants des travailleurs actifs de la société. En effet, la compensation qui leur était offerte en échange de la perte des pensions complémentaires n'était pas proportionnelle. Les requérants soulignent que cet accord a été conclu entre des tierces parties, d'une part la société débitrice de la prestation à vie, et d'autre part les représentants des travailleurs actifs, dont les intérêts était opposés à ceux du collectif des retraités. Ils soutiennent par ailleurs qu'ils ont fait l'objet d'une discrimination puisque, même si la suppression du droit à une pension complémentaire était envisagée pour l'avenir pour tous les travailleurs qui seraient mis à la retraite, seules les personnes déjà retraitées se voyaient privées d'un droit de recevoir une pension complémentaire de retraite, convenu avec la société et ensuite inclus dans les conventions collectives successives.
43.  Les requérants font valoir que la cause d'utilité publique requise par l'article 1 du Protocole no 1 n'était pas présente en l'espèce, dans la mesure où les seuls bénéficiaires du sacrifice qui leur a été imposé sont la société et, indirectement, les travailleurs actifs, eu égard à la situation financière de la société en cause. Pour les requérants, il est incompréhensible que l'Etat puisse favoriser une politique de renforcement de la situation financière des sociétés au prix de sacrifier les droits des créanciers, en particulier lorsque ces derniers sont des retraités qui ne peuvent plus obtenir de revenus de remplacement. En l'espèce, ce sacrifice n'est par ailleurs pas proportionné aux difficultés économiques de la société.
44.  Pour conclure, les requérants mettent en cause l'interprétation du droit interne faite par le Tribunal suprême, qu'ils considèrent incompatible avec les garanties découlant de l'article 1 du Protocole no 1. S'appuyant sur l'arrêt Evaldsson et autres c. Suède, no 75252/01, §§ 62-64, 13 février 2007, ils soutiennent que l'Etat espagnol avait l'obligation positive de protéger leurs intérêts, de sorte que si la nouvelle convention collective pouvait les affecter d'une manière aussi grave, ils auraient dû avoir la possibilité légale d'être informés et d'intervenir de manière efficace dans la négociation. Les requérants allèguent enfin que l'Espagne n'avait pas encore mise en œuvre la Directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, sur le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (voir ci-dessus, § 24).
b) Le Gouvernement
45.  Le Gouvernement souligne d'emblée que les pensions litigieuses ne relevaient pas du régime général de la sécurité sociale, mais qu'elles constituaient des améliorations volontaires à la charge de la société, reconnues par une convention collective et non par un pacte individuel. Il ajoute que ladite amélioration a été remplacée par la perception d'un montant unique pour tous les travailleurs de la société. Il s'agissait donc d'une modification réalisée dans le cadre de la négociation collective, accordée entre la société et les représentants des travailleurs en raison d'un changement substantiel des conditions existants au moment de la reconnaissance de la prestation en cause. Le Gouvernement rappelle que l'article 192 de la Loi générale sur la sécurité sociale prévoit la possibilité pour les employeurs d'améliorer directement les prestations du régime général, à leur charge exclusive ou moyennant le versement de cotisations par les employés. Dans la mesure où ces prestations complémentaires sont financées par les fonds propres aux sociétés, ces dernières peuvent être contraintes à subir une charge disproportionnée. Le Gouvernement soutient qu'il n'existe aucune raison pour laquelle une amélioration volontaire reconnue par une convention collective ne puisse pas être modifiée par une convention collective postérieure, c'est-à-dire par une norme d'égal rang et égal champ d'application. Par ailleurs, tel que le Tribunal suprême l'a relevé, la pension complémentaire a été remplacée par une autre prestation que les requérants ont librement et volontairement refusée.
46.  Le Gouvernement fait valoir que l'intervention de l'Etat dans la présente espèce s'est limitée à la reconnaissance par les tribunaux espagnols de la légalité de la modification litigieuse, conformément à l'article 82 § 4 du Statut des travailleurs, réglant la question des conventions collectives successives (voir ci-dessus, § 22). Les autorités espagnoles n'ont fait que reconnaître et respecter les résultats de la négociation collective.
47.  De surcroît, le Gouvernement allègue que, tel qu'il ressort de la jurisprudence du Tribunal suprême, les juridictions internes sont en mesure de vérifier si la mesure litigieuse était proportionnée à l'altération substantielle des conditions affectant la société ou si elle comportait une discrimination des retraités par rapport aux employés actifs. Il rappelle enfin que, d'après la jurisprudence de la Cour, l'article 1 du Protocole no 1 ne saurait être interprété comme donnant droit à une pension d'un montant déterminé. Pour conclure, le Gouvernement soutient que, dans la mesure où la pension du régime de la sécurité sociale des requérants est intacte et l'amélioration volontaire a été modifiée par une nouvelle convention collective, appliquée de manière proportionnée et non discriminatoire, affirmer l'intangibilité absolue de l'amélioration volontaire irait à l'encontre de l'autonomie collective des employeurs et employés ainsi que de la jurisprudence de la Cour.
2. Appréciation de la Cour
48.  La Cour estime que la modification ou la suppression du droit aux prestations complémentaires de retraite, sur la base de la convention collective de 2000 validée par l'arrêt définitif du Tribunal suprême du 8 avril 2005, constituait une atteinte au droit de propriété des requérants et que celle-ci ne correspondait ni à une expropriation ni à une mesure de réglementation de l'usage des biens ; elle doit donc être examinée sous l'angle de la première phrase du premier alinéa de l'article 1. Aussi convient-il de déterminer si un juste équilibre a été ménagé entre les exigences relatives à l'intérêt général de la société et les impératifs liés à la protection des droits fondamentaux de l'individu.
49.  La Cour observe que la question litigieuse trouve son origine dans un accord collectif conclu entre personnes privées, qui a été ensuite repris par des conventions collectives. Elle note que les conventions collectives ont une force de norme obligatoire dans le système juridique espagnol (voir, ci-dessus, § 22). D'une part, la Cour a déjà jugé que le droit de mener des négociations collectives avec l'employeur est, en principe, devenu l'un des éléments essentiels du « droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts » énoncé à l'article 11 de la Convention (Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 154, 12 novembre 2008). D'autre part, les Etats, en déléguant la réglementation et la législation relatives à d'importantes questions du travail à des organismes indépendants par le biais d'un système de conventions collectives, peuvent avoir des obligations positives de protéger les intérêts des personnes concernées (voir, mutatis mutandis, Evaldsson et autres c. Suède, no 75252/01, § 63, 13 février 2007).
50.  De plus, l'article 1 du Protocole no 1 fait obligation à l'Etat de prendre les mesures nécessaires à la protection du droit au respect des biens, même lorsque sont en cause des litiges opposant de simples particuliers. L'Etat a en particulier l'obligation d'offrir aux parties en conflit des procédures judiciaires présentant les garanties procédurales requises, de manière à permettre aux juridictions nationales de statuer de façon effective et équitable à la lumière de la législation applicable (Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 83, CEDH 2007-I). Toutefois, cette obligation ne s'étend pas à obliger l'Etat à assumer la responsabilité de reprendre les engagements d'une société ou d'une autre personne juridique privée qui n'est plus à même de verser une pension à ses anciens employés, ou de la maintenir au même niveau, en raison des difficultés financières.
51.  En l'espèce, la Cour relève que le Tribunal suprême a validé la clause litigieuse de la convention collective de 2000, en infirmant les décisions des tribunaux inférieurs favorables aux requérants et en tranchant de manière définitive la contestation sur les droits aux pensions complémentaires des requérants. Dans ces circonstances, la Cour se doit d'examiner la manière dont les tribunaux internes ont résolu la question portée devant eux. Cependant, elle rappelle qu'elle dispose d'une compétence limitée s'agissant de vérifier si le droit national a été correctement interprété et appliqué ; il ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux, son rôle consistant surtout à s'assurer que les décisions de ces derniers ne sont pas entachées d'arbitraire ou d'irrationalité manifeste (Anheuser-Busch Inc., précité, § 83).
52.  La Cour observe que le Tribunal suprême a noté que le législateur espagnol avait opté pour un système primant la liberté de négociation collective sur les compromis acquis en vertu des conventions collectives antérieures. La haute juridiction a considéré que, dans le système juridique espagnol, les droits reconnus par une convention collective antérieure pouvaient cesser d'être effectifs lorsqu'ils faisaient l'objet d'une révision par une convention collective postérieure, sauf disposition contraire. Il n'appartient pas à la Cour d'examiner l'interprétation donnée par le Tribunal suprême à la législation interne relative aux rapports entre conventions collectives successives, notamment aux dispositions du Statut des travailleurs et de la loi générale sur la sécurité sociale. Elle se borne à constater que les requérants ont eu la possibilité, tout au long de la procédure qui s'est déroulée devant les juridictions espagnoles, de présenter leur interprétation de la législation qu'ils estimaient applicable en l'espèce et de soumettre la solution qu'ils considéraient comme la plus adéquate quant à la question juridique soulevée en l'espèce. Confrontée à deux interprétations divergentes, à l'égard des règles concernant la succession dans le temps des conventions collectives en matière d'améliorations volontaires des prestations de retraite complémentaires, le Tribunal suprême a pris sa décision, après avoir entendu les parties intéressées et sur la base de la jurisprudence établie dans son arrêt du 16 juillet 2003 (voir ci-dessus, § 23).
53.  Par ailleurs, la Cour observe que, tel que le Tribunal suprême l'a relevé dans son arrêt du 8 avril 2005, la clause litigieuse de la convention collective n'avait pas supprimé les droits reconnus aux requérants, mais elle les avait remplacés par le paiement d'une somme forfaitaire. De plus, le Tribunal suprême a également considéré que la mauvaise situation financière de la société avait été à l'origine de la modification des droits reconnus aux requérants. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que l'ingérence litigieuse poursuivait un but d'intérêt général, à savoir le maintien de la bonne santé financière des sociétés et de leurs créanciers, la protection de l'emploi, ainsi que le respect du droit de mener des négociations collectives.
54.  La Cour note enfin, à l'instar du Tribunal suprême, que la modification des droits reconnus aux requérants n'était pas discriminatoire, dans la mesure où les employés actifs de la société avaient quant à eux renoncé à leur pension complémentaire par une convention collective du 31 janvier 1995.
55.  De l'avis de la Cour, ces motifs ne sauraient passer pour déraisonnables ou disproportionnés. Elle ne décèle aucun élément permettant de conclure que la décision du Tribunal suprême était entachée d'arbitraire ou imposait une charge disproportionnée aux requérants du fait de la modification de leurs droits à une pension complémentaire.
56.  Les requérants soutiennent que l'Espagne n'avait pas mis en œuvre la directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, sur le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (voir ci-dessus, § 24). A cet égard, la Cour, tout en considérant les objectifs généraux de cette directive comme étant souhaitables, rappelle qu'il ne lui appartient pas d'empiéter sur des questions qui touchent à la compatibilité du droit interne d'un Etat membre avec le droit communautaire (voir, mutatis mutandis, Parti nationaliste basque – Organisation régionale d'Iparralde c. France, no 71251/01, § 48, CEDH 2007-VII).
57.  Eu égard à ces éléments et à la marge d'appréciation dont bénéficient les Etats parties à la Convention dans le domaine de la détermination des politiques sociales et économiques, la Cour estime que l'arrêt litigieux du Tribunal suprême n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens des requérants au sens de l'article 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Gascón Moreno c. Espagne (déc.), no 49151/99, 1er octobre 2002).
58.  Il n'y a donc pas eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1.  Décide, à l'unanimité, de rayer la requête du rôle dans la mesure où elle a été introduite par les 4e, 22e, 32e, 38e et 51e requérants ;
2.  Déclare, à l'unanimité, la requête recevable pour autant qu'elle concerne les 1er, 2e, 5e, 6e, 8e, 9e, 10e, 11e, 12e, 15e, 16e, 17e, 18e, 19e, 20e, 21e, 23e, 24e, 26e, 27e, 28e, 29e, 31e, 33e, 34e, 36e, 37e, 39e, 40e, 41e, 42e, 43e, 44e, 46e, 48e, 49e, 50e, 52e, 53e, 54e, 55e et 56e requérants, et irrecevable pour le surplus ;
3.  Dit, par six voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 février 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Josep Casadevall   Greffier adjoint Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée du juge Myjer.
J.C.M.
S.H.N.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE MYJER
(Traduction)
A mon sens, l'approche choisie par la majorité en l'espèce est préoccupante.
Est-il juste que des salariés retraités soient privés de leur droit à une pension complémentaire – acquis en 1983, en toute bonne foi, et réaffirmé dans des conventions collectives ultérieures – par une nouvelle convention collective entre les employés actifs d'une société et la société elle-même, sans avoir été impliqués ou représentés dans les négociations concernant cette convention collective ?
L'article 82 § 4 du Statut des travailleurs (1995) énonce simplement que « [l]a convention collective qui remplace une convention collective précédente peut disposer des droits reconnus par cette dernière. Dans ce cas, ce sont les stipulations de la nouvelle convention collective qui s'appliquent de plein droit ». Cela suffit-il dans une affaire telle que celle-ci ? Lorsque le Statut a été débattu au Parlement, celui-ci a rejeté une proposition visant à inclure une clause de sauvegarde des droits acquis. Eu égard à l'applicabilité de l'article 1 du Protocole no 1 à des affaires telles que celle-ci, l'Etat n'avait-il pas en outre un devoir de vigilance ?
Est-il pertinent de souligner qu'apparemment la société se trouvait dans une situation financière difficile et qu'en cas de faillite aucun retraité ne percevrait de pension complémentaire ?
Est-il légitime de déclarer – comme le fait l'arrêt au paragraphe 53 – que l'ingérence litigieuse poursuivait un but d'intérêt général, à savoir le maintien de la bonne santé financière des sociétés et de leurs créanciers, la protection de l'emploi, ainsi que le respect du droit de mener des négociations collectives ? A ce propos, je trouve illogique d'inclure le droit de négociation collective – entre employeurs et salariés – dans les objectifs d'un accord collectif affectant des personnes qui ne relèvent d'aucune de ces deux catégories.
Ce qui s'est passé me semble injuste.
Tout d'abord, je souscris pleinement au raisonnement exposé au paragraphe 49 de l'arrêt selon lequel les Etats, en déléguant la réglementation et la législation relatives à d'importantes questions du travail à des organismes indépendants par le biais d'un système de conventions collectives, peuvent avoir des obligations positives de protéger les intérêts des personnes concernées Et j'ajoute que plus ces personnes sont vulnérables, plus elles ont droit à une protection.
A mon sens, c'est précisément là le cœur du sujet : si en effet le droit espagnol admet les conventions collectives qui portent atteinte aux droits acquis des travailleurs et des retraités, cela signifie que dans le système espagnol les employeurs et les salariés en activité peuvent bafouer les intérêts des retraités sans défense qui ne sont pas représentés dans les organes de représentation habilités à conclure de nouvelles conventions collectives.
Ainsi, l'affaire se résume finalement à un manque de garanties relevant de l'article 1 du Protocole pour protéger de vulnérables retraités contre les atteintes à leurs droits à pension.
Les retraités sont à bien des égards une catégorie vulnérable. La preuve la plus évidente en est que, contrairement aux salariés en activité, ils ne peuvent avoir recours au droit de grève afin de défendre ce qu'ils considèrent comme leurs intérêts légitimes. Du fait de cette vulnérabilité, il est essentiel que les retraités bénéficient d'une protection juridique renforcée lorsqu'on en vient à proposer des modifications restreignant leurs droits à pension. Tel est particulièrement le cas lorsque, comme en l'espèce, une société privée cherche à supprimer les droits à pension complémentaires de ses retraités en se prévalant d'une nouvelle convention collective qui n'a été négociée qu'avec les salariés en activité de la société ; l'une ou l'autre des parties, ou les deux, peuvent avoir un intérêt à faire supporter la charge financière par les retraités.
Cela distingue également l'affaire d'une convention collective conclue au niveau national. Le fait que les salariés, en négociant la nouvelle convention collective, aient pu avoir l'intention d'améliorer la situation financière apparemment peu florissante de la société et contribuer ainsi à la survie de celle-ci et à la possibilité de conserver leurs propres emplois, ne saurait me conduire à une autre conclusion.
Par ailleurs, certains pays exigent que tout fonds de pension ait sa propre personnalité juridique, distincte de celle de sa société mère. Tel ne semble pas être le cas en Espagne. Bien que, apparemment, cet aspect de la question n'ait pas été abordé lors des discussions, il est bon de l'évoquer à ce stade. Des fonds de pension autonomes constituent un bon moyen de protéger les droits des retraités contre les conditions économiques ou une mauvaise gestion affectant la société mère.
A N N E X E
LISTE DES REQUÉRANTS
1.- MAGDALENO AIZPURUA ORTIZ,
2.- ANTONIO ALARCON MOLINA,
3.- JULIA ALVAREZ CONDE,
4.- GREGORIO ALVAREZ MARTINEZ,
5.- ENRIQUE ANDINO DIEZ,
6.- RUFINO ANDRES RIEGA,
7.- JOSE BELLO PEREZ,
8.- J. LUIS BERMEJO BERMEJO,
9.- MANUEL CASAS VARELA,
10.- FIDEL CORDON GARRIZ,
11.- FEDERICO CRESPO FUENTES,
12.- A. JOSE CRUZ CARRILLO,
13,- LEOPOLDO DE DIEGO GARCIA,
14.- BENJAMIN DEL OLMO RUIZ,
15.- ANTONIO DIEZ CALZADA,
16.- MARIANO DOMINGUEZ TORREA,
17.- JOSE ESCALERA BERDONCES,
18.- MANUEL FERNANDEZ ALVAREZ,
19.- CELSO FERNANDEZ VARELA,
20.- ATILANO GARCIA GARCIA,
21.- FELIX GARCIA GARCIA,
22.- J. LUIS GOMEZ GABILONDO,
23.- MANUEL GOYANES VAZQUEZ,
24.- FORTUNATO GUTIERREZ GUTIERREZ,
25.- FELIPE INORIZA SANTAMARIA.
26.- LORENZO ITURRARAN URCULLU,
27.- PABLO JIMENEZ GARCIA,
28.- ANTONIO JURADO RODRIGUEZ,
29.- ILDEFONSO LAZCANO HERNANDO,
30.- GABRIEL MAESTRE ALONSO,
31.- EMILIANO MAESTRE HERNANDO,
32.- ADOLFO MARIN MARIN,
33.- MANUEL MARTIN BUJAN,
34.- CARLOS MARTOS MENDEZ,
35.- RAFAEL MELENDO QUESADA,
36.- JUAN MIGUEL FERNANDEZ,
37.- JUAN MIGUEL RUIZ,
38.- EDUARDO MOLINA FERNANDEZ,
39.- FRANCISCO MONTORO MARTINEZ,
40.- EDUARDO PEDRIDO BARREIRO,
41.- PEDRO PEREZ CASCAJAR,
42.- AMADEO PUENTE FERNANEZ,
43.- AVELINO RODRIGUEZ DIAZ,
44.- PEDRO RUIZ AYALA,
45.- JAIME SANGRADOR ESCOBAL,
46.- AUGUSTO SANTOS DE LA FUENTE,
47.- ALEJANDRO SANTURTUN TUBILLEJAS,
48.- FRANCISCO SANZ RUIZ,
49.- JESUS SEGUROLA BELASTEGUI,
50.- ELISEO SIXTO ROMERO,
51.- RICARDO SUAREZ FERNANDEZ,
52.- MARINO TAMAYO GARCIA,
53.- VALERIANO TAPIA PEÑA,
54.- ISIDRO VELASCO CORTES,
55.- EDUARDO VIZCAINO ZAS,
56.- AGUSTIN ZABALLA INORIZA
ARRÊT AIZPURUA ORTIZ ET AUTRES c. ESPAGNE
ARRÊT AIZPURUA ORTIZ ET AUTRES c. ESPAGNE 
ARRÊT AIZPURUA ORTIZ ET AUTRES c. ESPAGNE – OPINION SEPARÉE
ARRÊT AIZPURUA ORTIZ ET AUTRES c. ESPAGNE - OPINION SÉPARÉE 
ARRÊT AIZPURUA ORTIZ ET AUTRES c. ESPAGNE
ARRÊT AIZPURUA ORTIZ ET AUTRES c. ESPAGNE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Radiation partielle du rôle ; Partiellement irrecevable ; Non-violation de P1-1

Analyses

(Art. 34) LOCUS STANDI, (P1-1-1) BIENS, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS


Parties
Demandeurs : AIZPURUA ORTIZ ET AUTRES
Défendeurs : ESPAGNE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 02/02/2010
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 42430/05
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-02-02;42430.05 ?

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