La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/02/2010 | CEDH | N°5211/05

CEDH | AFFAIRE MALANCHUK ET VAVRENYUK c. UKRAINE


CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE MALANCHUK ET VAVRENYUK c. UKRAINE
(Requête no 5211/05)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée conformément à l'article 81 du règlement de la Cour le 19 avril 2010
STRASBOURG
18 février 2010
DÉFINITIF
18/05/2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Malanchuk et Vavrenyuk c. Ukraine,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre com

posée de :
Peer Lorenzen, président,   Renate Jaeger,   Karel Jungwiert,   Rait Maruste,   Mar...

CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE MALANCHUK ET VAVRENYUK c. UKRAINE
(Requête no 5211/05)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée conformément à l'article 81 du règlement de la Cour le 19 avril 2010
STRASBOURG
18 février 2010
DÉFINITIF
18/05/2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Malanchuk et Vavrenyuk c. Ukraine,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,   Renate Jaeger,   Karel Jungwiert,   Rait Maruste,   Mark Villiger,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,   Mykhaylo Buromenskiy, juge ad hoc,  et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 janvier 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 5211/05) dirigée contre l'Ukraine et dont deux ressortissants, MM. Grygoriy Ivanovych Malanchuk et Andriy Makarovych Vavrenyuk (« les requérants »), ont saisi la Cour le 31 janvier 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement ukrainien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Zaytsev, du ministère de la Justice.
3.  Le 12 septembre 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4.  Les requérants sont nés respectivement en 1929 et 1931 et résident à Chervonograd.
5.  Le 26 et le 25 mars 1998, respectivement les requérants assignèrent leur ancien employeur, la mine no 5 Velykomostivska, d'une demande de réajustement des indemnités pour des maladies professionnelles.
6.  Le 29 novembre 1999, le tribunal de première instance de Chervonograd (ci-après « le tribunal de première instance »), à la suite d'une demande du premier requérant du 25 novembre 1999 de fixer la date de l'audience, l'informa qu'elle serait fixée après « l'examen de la question par la Cour Suprême ».
7.  Le 8 décembre 1999, le tribunal, à la suite de la demande du second requérant de fixer l'audience, l'informa que l'examen de son affaire fut suspendu avant « l'examen de la question concernant l'application du coefficient 2,38 dans les réajustements ».
8.  Selon le Gouvernement, entre les 17 novembre 2000 et 17 octobre 2003, le tribunal fixa treize audiences dans les affaires des requérants. Toutefois, elles furent toutes reportées pour différentes raisons. Notamment, deux audiences prévues pour les 17 novembre et 30 août 2001 respectivement, furent reportées à la suite de la demande du représentant du défendeur. Les audiences fixées aux 5 et 29 décembre 2000, 9 avril et 16 mai 2001 et 23 octobre 2002, furent reportées à cause de la non-comparution de ce dernier. Les audiences prévues pour les 28 janvier, 27 juin, 29 juillet, 19 septembre et 9 octobre 2003 eurent lieu, mais l'examen des affaires fut à chaque fois ajourné à une date ultérieure. L'audience qui aurait dû avoir lieu le 15 mai 2002 fut reportée pour la non-comparution des requérants.
9.  Les requérants contestent ces faits. Le premier requérant soutient avoir reçu du tribunal, du 9 mars 2000 au 9 octobre 2003, 52 convocations (повістка). Le second requérant soutient, à son tour, avoir obtenu entre les 6 juillet 1999 et 17 octobre 2003, 59 convocations.
10.  Les 26 septembre 2001 et 27 juin 2003, les requérants modifièrent leur demandes des sommes réclamées qui, selon eux, se multiplièrent avec le temps.
11.  Par deux jugements du 17 octobre 2003, le tribunal accueillit partiellement les demandes des requérants. Il ordonna l'entreprise d'Etat « Zahidno-Ukrayinska Direktsiya po Likvidatsiyi Shaht « Ukrvuglerestrukturyzatsiya » (le successeur du défendeur d'origine) (« l'entreprise ») de payer aux requérants les sommes de 2 144,41 hryvnias1 (« UAH ») et de 2 887,43 UAH2 respectivement au titre des arriérés des indemnités, ainsi que les sommes de 178,90 UAH3 et de 291,43 UAH4 au titre de paiements mensuels à partir du 1 avril 2001.
12.  Le 17 novembre 2003, les requérants interjetèrent appels de ces jugements, estimant les montants accordés insuffisants.
13.  L'audience du 24 mai 2004 fut reportée pour la non-comparution du représentant du défendeur.
14.  Par deux arrêts du 14 juin 2004, la cour d'appel de la région de Lviv (« la cour d'appel ») annula les jugements du 17 octobre 2003 et renvoya les affaires pour un nouvel examen devant le tribunal de première instance. Elle nota en particulier que l'entreprise n'ayant pas de personnalité juridique distincte, il fut nécessaire d'attirer en justice à sa place l'entreprise d'Etat « Ukrvuglerestrukturyzatsiya » (« l'entreprise d'Etat ») dont il fut l'unité structurelle. La cour d'appel indiqua également que le tribunal de première instance faillit à identifier les cas où un réajustement des indemnités devait avoir lieu.
15.  L'audience prévue pour le 3 août 2004, fut reportée pour la non-comparution du représentant du défendeur. Par deux jugements du 17 septembre 2004, le tribunal débouta les requérants. La cour d'appel confirma ces jugements le 10 janvier 2005.
16.  Le 1er novembre 2006, la Cour Suprême rejeta les pourvois en cassation des requérants, introduits le 9 février 2005.
EN DROIT
I.  SUR LA DUREE DE LA PROCEDURE
17.  Les requérants allèguent que la durée des procédures a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
18.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
19.  La Cour note que les procédures ont débuté en mars 1998 et se sont achevées en novembre 2006. Elles ont donc duré environs huit ans et sept mois, pour trois degrés de juridiction avec un renvoi.
A.  Sur la recevabilité
20.  La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l'article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu'ils ne se heurtent à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevable.
B.  Sur le fond
21.  Le Gouvernement souligne la complexité des affaires en raison de la nécessité de remplacement du défendeur initial par son successeur et les calculs financiers difficiles. Il note également que les requérants ont modifié quelques fois leurs demandes, notamment les 26 septembre 2001 et 27 juin 2003, ce qui a retardé l'examen de leurs affaires. Par ailleurs, le comportement des parties a contribué au prolongement de la procédure, notamment le fait qu'elles ne se comparurent pas devant le tribunal de première instance à plusieurs reprises. Enfin, le fait que les requérants ont contesté les décisions devant les instances supérieures a également rallongé la procédure.
22.  Les requérants contestent les thèses du Gouvernement soutenant, entre autres, que le nombre d'ajournement des audiences était plus élevé que le prétend le Gouvernement.
23.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
24.  La Cour observe que lors du premier cycle d'examen des affaires, une période d'environs quatre ans et dix mois s'est écoulée entre la saisine du tribunal de première instance et la tenue de la première audience. Il ressort du dossier que ce retard a été causé par la suspension de l'examen des affaires pendant la prise d'une position du tribunal sur les questions spécifiques ayant de l'importance pour les affaires des requérants (voir paragraphes 6 et 7 ci-dessus).
25.  La Cour observe que les requérants se sont toujours présentés aux audiences, avec une exception, contrairement aux défendeurs - deux entreprises d'Etat – qui n'ont pas comparu à plusieurs reprises (voir, mutatis mutandis, Serdyuk c. Ukraine, no. 15002/02, § 33, 20 septembre 2007). Elle note également que les jugements de première instance ont été infirmés une fois par l'instance supérieure et les affaires furent alors renvoyées en vue d'un nouvel examen sur le fond (voir paragraphes 14 ci-dessus). Bien qu'après ce renvoi, les procédures se sont poursuivies à un rythme soutenu, la Cour ne peut pas négliger la durée de l'examen des pourvois en cassation des requérants par la Cour suprême qui se prolongea du 9 février 2005 au 1er novembre 2006 (voir paragraphe 16 ci-dessus).
26.  La Cour n'est pas convaincue par la thèse du Gouvernement selon laquelle le délai dans l'examen des affaires a été retardé en raison de la nécessité du remplacement du défendeur initial par son successeur dans la mesure où un tel remplacement ne semble pas présenter de difficultés particulières, ce dernier étant aussi la société d'Etat.
27.  A la lumière de ce qui précède et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse était excessive et ne répondait pas à l'exigence du « délai raisonnable ».
28.  Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
29.  Les requérants se plaignent enfin de l'iniquité des procédures en question, invoquant à cet égard l'article 6 § 1 de la Convention.
30.  La Cour, après avoir examiné l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, n'a décelé aucun indice d'iniquité dans la procédure. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
31.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
32.  Les requérants déclament une somme de 35 000 UAH5 chacun au titre du préjudice moral.
33.  Le Gouvernement conteste cette demande.
34.  La Cour estime que les requérants ont subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle leur accorde 1 600 EUR au titre de préjudice moral à chacun.
B.  Frais et dépens
35.  Les requérants ne formulent aucune demande à ce titre. Dès lors, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de lui octroyer une somme à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
36.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant à la durée des procédures, et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 600 EUR (mille six cents euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement6 ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 février 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen   Greffière Président
1.  346.28 euros (EUR)
2.  466.27 EUR
3.  28.89 EUR
4.  447.06 EUR
1.  5 363,48 EUR
1.  Rectifié le 19 avril 2010 : « à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement » a été rajouté.
ARRÊT MALANCHUK ET VAVRENYUK c. UKRAINE
ARRÊT MALANCHUK ET VAVRENYUK c. UKRAINE 


Synthèse
Formation : Cour (cinquième section)
Numéro d'arrêt : 5211/05
Date de la décision : 18/02/2010
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-2) INGERENCE, (Art. 10-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 10-2) PROTECTION DE LA REPUTATION D'AUTRUI, (Art. 10-2) PROTECTION DES DROITS D'AUTRUI


Parties
Demandeurs : MALANCHUK ET VAVRENYUK
Défendeurs : UKRAINE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-02-18;5211.05 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award