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02/03/2010 | CEDH | N°78039/01

CEDH | AFFAIRE GROSARU c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE GROSARU c. ROUMANIE
(Requête no 78039/01)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée conformément à l'article 81 du règlement de la Cour le 29 septembre 2010
STRASBOURG
2 mars 2010
DÉFINITIF
02/06/2010
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Grosaru c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura,   Corneliu Bîrsan,   Alvina Gyulumyan,   Egber

t Myjer,   Ineta Ziemele,   Ann Power, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en a...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE GROSARU c. ROUMANIE
(Requête no 78039/01)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée conformément à l'article 81 du règlement de la Cour le 29 septembre 2010
STRASBOURG
2 mars 2010
DÉFINITIF
02/06/2010
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Grosaru c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura,   Corneliu Bîrsan,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   Ineta Ziemele,   Ann Power, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 février 2010
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 78039/01) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Mircea Grosaru (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 avril 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R.-H. Radu, du ministère des Affaires extérieures.
3.  Le requérant, s'étant vu refuser l'attribution d'un mandat de député au nom de la minorité italienne de Roumanie, s'estimait victime d'une violation de ses droits garantis par les articles 13 de la Convention et 3 du Protocole no 1.
4.  Par une décision du 25 novembre 2008, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
5.  Le Gouvernement, mais non le requérant, a déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6.  Le requérant est né en 1952 et réside à Bucarest.
7.  Membre de l'Association des Italiens de Roumanie, il se porta candidat aux élections législatives du 26 novembre 2000 au nom de la Communauté italienne de Roumanie, l'une des organisations représentant la minorité italienne de Roumanie. Ladite organisation déposa la liste uninominale du requérant dans 19 des 42 circonscriptions du pays.
8.  Après le décompte des voix, le bureau électoral central décida, en vertu de l'article 4 de la loi no 68/1992 sur l'élection à la Chambre des députés et au Sénat (ci-après « la loi no 68/1992 »), d'attribuer le mandat de député revenant à la minorité italienne à la Communauté italienne de Roumanie, celle-ci ayant obtenu 21 263 voix au niveau national.
9.  Bien que le requérant eût obtenu au niveau national 5 624 voix sur un total de 21 263 suffrages, le bureau électoral central attribua le mandat de député à un autre membre de la Communauté italienne de Roumanie, Mme Ileana Stana Ionescu, qui s'était présentée sur une autre liste uninominale et n'avait obtenu que 2 943 voix, mais dans une seule et même circonscription.
10.  Le 1er décembre 2000, le requérant contesta devant le bureau électoral central la décision d'attribution du mandat de député. Le 2 décembre 2000, le bureau rejeta sa contestation à la majorité des voix. Cette décision fut signée par six juges et six représentants des partis politiques.
11.  En ses parties pertinentes, elle est libellée en ces termes :
« En vertu de l'article 4 § 2 de la loi no 68/1992 telle que modifiée et complétée, les organisations de citoyens appartenant à des minorités nationales qui participent aux élections sont assimilées juridiquement aux partis politiques en ce qui concerne les opérations électorales.
S'agissant de la minorité italienne, la centralisation des voix et la répartition des mandats ont été effectuées conformément à l'article 66 de la loi, en retenant l'organisation qui a obtenu le plus grand nombre de voix ainsi que l'ordre des candidats sur la liste gagnante de cette organisation, le critère de la candidature individuelle n'étant pas prévu par la loi.
Il convient de préciser que l'ordonnance d'urgence no165 du Gouvernement en date du 15 octobre 2000, qui donne le droit aux minorités nationales de déposer la même liste de candidats à la Chambre des députés dans plusieurs circonscriptions électorales, ne méconnaît pas le principe des mandats répartis par circonscriptions électorales, le fondement de cette réglementation étant de déterminer, en l'occurrence, l'organisation de la minorité ethnique qui dispose du plus grand nombre de voix, et non de contrevenir au principe de la représentativité territoriale dans le cadre des élections. »
12.  Dans une opinion dissidente, la représentante d'un parti politique estima que l'article 68, § 1 g), de la loi no 68/1992 devait être interprété en ce sens que dans le cas d'une minorité ethnique donnée, le mandat de député devait être attribué au premier candidat sur la liste gagnante au niveau national de l'organisation ayant obtenu, toujours à l'échelon national, le plus grand nombre de voix.
13.  Le 2 décembre 2000, le requérant introduisit un recours devant le bureau électoral central contre la décision rendue par celui-ci le même jour. Le 3 décembre 2000, le bureau, siégeant en une formation composée de six juges et douze représentants des partis politiques, rejeta le recours comme irrecevable, au motif que ses décisions étaient définitives.
14.  Le 4 décembre 2000, le requérant porta l'affaire devant la Cour constitutionnelle. Par une lettre du 11 décembre 2000 dans laquelle elle renvoyait à l'article 21 de la Constitution consacrant le libre accès à la justice, la Cour informa le requérant qu'elle n'était pas compétente en matière de contentieux électoral.
15.  Le 4 décembre 2000, le requérant saisit la Cour suprême de justice. Par une décision du 13 décembre 2000, celle-ci déclara ce recours irrecevable, au motif que les décisions du bureau électoral central étaient définitives.
16.  Le 8 décembre 2000, le requérant réitéra sans succès sa contestation dans un mémoire adressé à la commission de validation de la Chambre des députés. Il ressort de la transcription de la séance du 15 décembre 2000 de la Chambre des députés publiée sur le portail Internet de cette institution que la contestation du requérant fut rejetée pour les mêmes motifs que ceux qui avaient été avancés par le bureau électoral central.
17.  Lors des élections législatives de 2004 et de 2008, le requérant fut élu député au nom de la minorité italienne de Roumanie.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A.  Le droit interne
1.  La Constitution roumaine (en vigueur à l'époque des faits)
L'élection des Chambres  Article 59
« 1)  La Chambre des députés et le Sénat sont élus au suffrage universel, égal, direct, secret et librement exprimé, conformément à la loi électorale.
2)  Les organisations de citoyens appartenant aux minorités nationales qui ne réunissent pas aux élections le nombre de voix nécessaire pour être représentées au Parlement ont droit chacune à un siège de député, dans les conditions fixées par la loi électorale. Les citoyens d'une minorité nationale ne peuvent être représentés que par une seule organisation.
2.  La loi no 68/1992 du 15 juillet 1992 sur l'élection à la Chambre des députés et au Sénat
18.  Les articles pertinents de cette loi, en vigueur à l'époque des faits, sont libellés comme suit :
Article 4
« 1.  Conformément à l'art. 59 al. 2 de la Constitution, les organisations légalement constituées de citoyens appartenant à une même minorité nationale qui n'ont pas obtenu au moins un siège de député ou de sénateur ont droit, conjointement, à un siège de député, si elles ont obtenu au moins 5% du nombre moyen de suffrages valablement exprimés à l'échelon national pour l'élection d'un député.
2.  Les organisations de citoyens appartenant à des minorités nationales qui participent aux élections sont assimilées juridiquement aux partis politiques en ce qui concerne les opérations [électorales].
3.  Bénéficient également des dispositions du paragraphe 1 les organisations de citoyens appartenant à des minorités nationales qui ont participé aux élections sur la liste commune des organisations en question ; dans ce cas, si aucun des candidats inscrits sur la liste commune n'a été élu, un siège de député est attribué à toutes les organisations qui ont proposé la liste, dans le respect des dispositions du paragraphe 1.
4.  Les dispositions du paragraphe 3 ne s'appliquent pas aux organisations de citoyens appartenant à des minorités nationales qui ont participé aux élections sur une liste commune avec un parti politique ou une autre formation politique ou qui y ont participé tant sur les listes communes visées au paragraphe 3 que sur leurs propres listes.
5.  Le siège de député accordé conformément aux paragraphes 1 et 3 est attribué en sus du nombre total de députés (...) »
Article 24
« 1.  Le bureau électoral central est composé de sept juges de la Cour suprême de justice et de seize représentants des partis, formations politiques et coalitions qui participent aux élections.
2.  Dans les cinq jours suivant la fixation de la date des élections, le président de la Cour suprême de justice procède à la désignation des sept juges parmi l'ensemble des juges en exercice de la Cour, en séance publique et par tirage au sort. Le résultat du tirage au sort est consigné dans un procès-verbal signé par le président de la Cour suprême de justice, qui vaut acte de confirmation. Le président de la Cour suprême de justice rend publique la date de la séance par voie de presse, au moins quarante-huit heures à l'avance.
3.  Dans les vingt-quatre heures qui suivent leur confirmation, les juges désignés choisissent parmi eux, à bulletin secret, le président du bureau électoral central. Le bureau ainsi constitué, qui est ensuite complété par les représentants des partis, formations politiques et coalitions, remplit toutes les fonctions qui lui incombent en vertu de la présente loi.
4.  Dans les deux jours qui suivent l'expiration du délai de dépôt des candidatures, les partis, formations politiques et coalitions qui participent aux élections communiquent par écrit au bureau électoral central le nombre de listes présentées dans chaque circonscription électorale, ainsi que les noms et prénoms des candidats. Les communications déposées après ce délai ne sont plus prises en considération.
5.  La désignation des représentants des partis, formations politiques ou coalitions au bureau électoral central est effectuée dans l'ordre décroissant du nombre de listes communiquées par chaque parti, formation politique ou coalition au sens du paragraphe 4 par rapport au nombre total de circonscriptions électorales que compte le pays. Un parti, une formation politique ou une coalition ne peut avoir plus de cinq représentants.
6.  Les personnes ayant la qualité de représentants d'un parti, d'une formation ou d'une coalition au bureau électoral central sont choisies dans l'ordre mentionné dans la communication visée au paragraphe 4.
7.  Si plusieurs partis, formations politiques ou coalitions ont déposé le même nombre de listes, la désignation de leurs représentants est effectuée par le président du bureau électoral central, par tirage au sort, en présence des personnes déléguées par les partis, formations ou coalitions concernés (...) »
Article 25
« 1.  Le bureau électoral central exerce les attributions suivantes :
a)  veiller à la mise à jour des listes électorales, à l'application à l'échelon national des disposions légales concernant les élections, ainsi qu'à l'interprétation uniforme de celles-ci ;
b)  résoudre les contestations relatives à ses activités ou aux opérations des bureaux électoraux de circonscription ;
c)  recevoir des bureaux électoraux de circonscription les procès-verbaux mentionnant le nombre de suffrages valablement exprimés pour chaque liste de candidats et constater quels partis, formations politiques ou coalitions n'ont pas obtenu 3% au moins des suffrages valablement exprimés à l'échelon national ; communiquer aux bureaux électoraux de circonscription et rendre publics, dans les vingt-quatre heures qui suivent, les noms des partis, formations politiques ou coalitions concernés ;
d)  vérifier et enregistrer le résultat des élections, additionner, à l'échelon national, les suffrages non utilisés pour chaque parti, formation politique ou coalition qui remplissent la condition prévue à la lettre c) ci-dessus et procéder à la répartition centralisée des sièges par circonscription électorale ;
e)  confirmer l'attribution d'un siège de député à l'organisation de citoyens appartenant à une minorité nationale qui a satisfait aux conditions prévues à l'article 4, et délivrer l'attestation correspondante au député ainsi désigné ;
f)  annuler les élections organisées dans une circonspection électorale si le vote ou la validation des résultats ont fait l'objet d'une fraude de nature à modifier les modalités d'attribution des sièges, et décider de l'organisation d'un nouveau scrutin ;
g)  exercer toutes autres attributions qui lui incombent conformément à la présente loi.
4)  Les décisions du bureau électoral central sont prononcées en séance publique. »
Article 66
« 1.  Aux fins de l'attribution des sièges aux candidats inscrits sur les listes, sont pris en considération uniquement les partis, formations politiques et coalitions qui ont réuni, à l'échelon national, au moins 3% des suffrages valablement exprimés. L'attribution des sièges a lieu séparément pour la Chambre des députés et pour le Sénat.
2.  Les sièges sont attribués après communication par le bureau électoral central des noms des partis, formations politiques ou coalitions ayant réuni au moins 3% des suffrages valablement exprimés à l'échelon national. L'attribution des sièges a lieu séparément pour la Chambre des députés et pour le Sénat.
3.  La répartition et l'attribution des sièges de députés et de sénateurs s'effectuent en deux étapes : au niveau de chaque circonscription électorale et au niveau national.
4.  Au niveau de la circonscription électorale, le bureau électoral détermine, séparément pour la Chambre des députés et pour le Sénat, le coefficient électoral de la circonscription, en divisant le nombre total de suffrages valablement exprimés pour toutes les listes des partis, formations politiques et coalitions qui remplissent la condition prévue au paragraphe 1 et pour les candidats indépendants par le nombre de députés ou, selon le cas, de sénateurs à élire dans ladite circonscription ; sont attribués à chaque liste autant de mandats que le nombre de suffrages valablement exprimés pour cette liste contient de fois le coefficient électoral de la circonscription électorale. Le bureau électoral de circonscription procède à l'attribution des sièges dans l'ordre d'inscription des candidats sur la liste ; il est attribué un siège à chaque candidat indépendant ayant obtenu un nombre de voix valablement exprimées au moins égal au coefficient électoral pour les députés ou, selon le cas, les sénateurs. Le bureau électoral de circonscription communique au bureau électoral central, en vue de leur répartition centralisée, la liste des suffrages restants (non utilisés ou inférieurs au coefficient électoral) obtenus par les listes des partis, formations politiques et coalitions remplissant la condition prévue au paragraphe 1 et des sièges qu'il n'a pas attribués.
5.  Pour chaque parti, formation politique ou coalition remplissant la condition prévue au premier paragraphe, le bureau électoral central additionne à l'échelon national, séparément pour la Chambre des députés et pour le Sénat, les suffrages non utilisés ou inférieurs au coefficient électoral de circonscription de toutes les circonscriptions électorales. Le nombre de suffrages ainsi obtenu par chaque parti, formation politique ou coalition est divisé par 1, 2, 3, 4 etc. en procédant à autant d'opérations de division qu'il y a de sièges non attribués au niveau des circonscriptions électorales ; les quotients résultant de la division, quelle que soit la liste dont ils proviennent, sont classés par ordre décroissant à concurrence du nombre de sièges non attribués ; le quotient le plus bas constitue le coefficient électoral national pour les députés ou, selon le cas, pour les sénateurs. Chaque parti, formation politique ou coalition se voit attribuer autant de sièges de députés, ou de sénateurs, que le nombre total de suffrages valablement exprimés, non utilisés et inférieurs au coefficient électoral de circonscription qu'il ou elle a recueillis à l'échelon national contient de fois le coefficient électoral fixé au niveau national.
6.  Le bureau électoral central détermine la répartition des sièges par circonscription électorale. (...) »
Article 68
« 1.  Le Bureau électoral central tranche les contestations pouvant survenir et dresse un procès-verbal distinct pour la Chambre des députés et pour le Sénat. Ce procès-verbal indique, à l'échelon national :
a)  le nombre total d'électeurs inscrits sur les listes électorales permanentes ;
b)  le nombre total de votants ;
c)  le nombre total de suffrages valablement exprimés ;
d)  le nombre total de suffrages nuls ;
e)  la manière dont les bureaux électoraux de circonscription ont appliqué les dispositions de l'article 66 § 4 ;
f)  la répartition des mandats au niveau national en vertu de l'article 66 § 5, et leur affectation aux circonscriptions électorales en vertu de l'article 66 § 6 ;
g)  les organisations de citoyens appartenant à des minorités nationales qui, malgré leur participation aux élections, n'ont obtenu aucun mandat de député ou de sénateur ; le total des suffrages valablement exprimés pour les listes de chacune de ces organisations et pour les organisations qui ont droit à un siège de député conformément à l'article 4 ; ainsi que les nom et prénom du premier candidat inscrit sur la liste de l'organisation ayant droit à un siège de député qui a réuni le plus grand nombre de suffrages. En cas d'égalité des suffrages obtenus par les listes de l'organisation, il est procédé à la désignation par tirage au sort. »
19.  L'article 91 § 9 de la nouvelle loi no 373 du 24 septembre 2004 sur les élections à la Chambre des députés et au Sénat précise que le mandat de député des minorités nationales est attribué à la circonscription électorale dans laquelle la liste de candidats déposée a obtenu le plus grand nombre de voix.
3.  L'ordonnance d'urgence no 165 du 13 octobre 2000 portant modification de la loi no 68/1992
20.  Par cette ordonnance, le paragraphe suivant fut ajouté à l'article 5 de la loi no 68/1992 précitée :
« 8.  Par dérogation aux dispositions des paragraphes 3, 6 et 7, les organisations de citoyens appartenant à des minorités nationales peuvent déposer la même liste de candidats à la Chambre des députés dans plusieurs circonscriptions électorales. »
4.  Le règlement de la Chambre des députés du 24 février 1994, republié le 14 mars 1996
21.  Les articles pertinents de ce règlement dans sa version en vigueur à l'époque des faits étaient libellés comme suit :
Article 3
« Aux fins de la validation des mandats, la Chambre des députés élit, lors de sa première séance, une commission composée de 30 députés reflétant la configuration politique de la Chambre, telle qu'elle ressort de la constitution des groupes parlementaires. »
Article 6 § 51
« La commission de validation examine les contestations pendantes et celles qui ont été examinées en méconnaissance des dispositions procédurales. »
B.  Travaux de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« Commission de Venise »)
1.  Le code de bonne conduite en matière électorale
22.  Le Code de bonne conduite en matière électorale a été adopté par la Commission de Venise lors de sa 51ème session plénière tenue les 5 et 6 juillet 2002, et soumis à l'Assemblée parlementaire le 6 novembre 2002. En ses parties pertinentes, il est ainsi libellé :
« 3.3.  L'existence d'un système de recours efficace
Afin que les règles du droit électoral ne restent pas lettre morte, leur non-respect doit pouvoir être contesté devant un organe de recours. Cela vaut en particulier du résultat de l'élection, dont la contestation permet d'invoquer les irrégularités dans la procédure de vote ; cela vaut aussi d'actes pris avant l'élection, en particulier en ce qui concerne le droit de vote, les listes électorales et l'éligibilité, la validité des candidatures, le respect des règles de la campagne électorale et l'accès aux médias ou le financement des partis.
Deux solutions sont envisageables :
-  Les recours sont traités par des tribunaux – ordinaires, spéciaux ou constitutionnels.
-  Les instances compétences sont des commissions électorales. Ce système présente de réels avantages du fait que ces commissions sont très spécialisées et, donc, plus au fait des questions électorales que les tribunaux. Il est néanmoins souhaitable, à titre de précaution, de mettre en place une forme de contrôle juridictionnel. Dès lors, le premier degré de recours sera la commission électorale supérieure, et le deuxième le tribunal compétent.
Le recours devant le Parlement, comme juge de sa propre élection, est parfois prévu, mais risque d'entraîner des décisions politiques. Il est admissible en première instance là où il est connu de longue date, mais un recours judiciaire doit alors être possible.
La procédure de recours devrait être la plus brève possible, en tout cas en ce qui concerne les décisions à prendre avant l'élection. Sur ce point, il faut éviter deux écueils : d'une part, que la procédure de recours retarde le processus électoral ; d'autre part, que, faute d'effet suspensif, les décisions sur recours qui pouvaient être prises avant ne soient prises après les élections. En outre, les décisions relatives aux résultats de l'élection ne doivent pas tarder, surtout si le climat politique est tendu. Cela implique à la fois des délais de recours très courts et que l'instance de recours soit tenue de statuer aussitôt que possible. Les délais doivent cependant être assez longs pour permettre un recours, pour garantir l'exercice des droits de la défense et une décision réfléchie. Un délai de trois à cinq jours en première instance (aussi bien pour recourir que pour statuer) paraît raisonnable pour les décisions à prendre avant les élections. Il est toutefois admissible que les instances supérieures (Cours suprêmes, Cours constitutionnelles) se voient accorder un peu plus de temps pour statuer.
Par ailleurs, la procédure doit être simple. La mise à la disposition des électeurs désirant former un recours de formulaires spéciaux contribue à la simplification de la procédure. Il est nécessaire d'écarter tout formalisme, afin d'éviter des décisions d'irrecevabilité, notamment dans les affaires politiquement délicates.
En outre, il faut absolument que les dispositions en matière de recours, et notamment de compétence et de responsabilités des diverses instances, soient clairement réglées par la loi, afin d'éviter tout conflit de compétences positif ou négatif. Ni les requérants, ni les autorités ne doivent pouvoir choisir l'instance de recours. Le risque de déni de justice est en effet accru s'il est possible de recourir alternativement auprès des tribunaux et des commissions électorales ou en l'absence de délimitation claire des compétences entre plusieurs tribunaux – par exemple les tribunaux ordinaires et la Cour constitutionnelle. (...)
Les litiges liés aux listes électorales, qui relèvent par exemple de la compétence de l'administration locale agissant sous contrôle des commissions électorales ou en collaboration avec elles, peuvent être traités par des tribunaux de première instance.
La qualité pour recourir doit être reconnue très largement. Le recours doit être ouvert à tout électeur de la circonscription et à tout candidat qui se présente dans celle-ci. Un quorum raisonnable peut toutefois être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux résultats des élections.
La procédure doit avoir un caractère judiciaire, en ce sens que le droit des requérants au contradictoire doit être sauvegardé.
Les pouvoirs de l'instance de recours sont également importants. Il doit lui être possible d'annuler le scrutin si une irrégularité a pu influencer le résultat, c'est-à-dire modifier la répartition des sièges. Ce principe général doit être affiné, en ce sens que le contentieux de l'annulation ne doit pas forcément porter sur l'ensemble du territoire, voire l'ensemble de la circonscription ; au contraire, l'annulation doit être possible par bureau de vote. Cela permettra à la fois d'éviter deux situations extrêmes : l'annulation de la totalité d'un scrutin alors que les irrégularités sont limitées géographiquement ; le refus d'annuler le scrutin si l'étendue géographique des irrégularités est insuffisante. L'annulation du scrutin doit entraîner la répétition de l'élection sur le territoire où l'élection a été annulée.
Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours, elles doivent pouvoir rectifier ou annuler d'office les décisions des commissions électorales supérieures. »
2.  Le rapport sur le droit électoral et l'administration des élections en Europe
23.  Le Rapport sur le droit électoral et l'administration des élections en Europe (Étude de synthèse sur certains défis et problèmes récurrents) a été adopté par le Conseil des élections démocratiques lors de sa 17e réunion (Venise, 8-9 juin 2006) et par la Commission de Venise lors de sa 67e session plénière (Venise, 9-10 juin 2006). En ses parties pertinentes, il est ainsi libellé :
« XII.  Recours en matière d'élections et responsabilité au titre des violations du droit électoral
167.  Les procédures de dépôt de recours doivent être ouvertes au moins à tout électeur, candidat et parti. Un quorum raisonnable peut toutefois être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux résultats des élections (CDL-AD(2002)023rev, paragraphe 99). Pour être conformes aux normes internationales, les procédures de recours doivent clairement conférer les droits suivants aux électeurs, aux candidats et aux partis politiques : droit de déposer un recours, droit de présenter des éléments de preuve à l'appui d'un recours, droit à un examen public et équitable d'un recours, droit à ce qu'un tribunal se prononce de façon transparente et impartiale sur un recours, droit à une solution effective et rapide ainsi que droit de s'adresser à un tribunal d'appel si le recours est rejeté (voir par exemple CDL-AD(2004)027, paragraphe 111). En pratique, cependant, ces droits ne sont pas toujours respectés. Il arrive que même des recours fondés ne puissent pas conduire à l'élimination de l'inégalité.
168.  En raison de traditions juridiques et politiques différentes selon les pays, diverses procédures sont utilisées pour résoudre les litiges électoraux. Dans nombre de démocraties bien établies d'Europe de l'Ouest (comme l'Allemagne, la France, l'Italie ou le Royaume-Uni), les recours en matière électorale sont entendus par les organes administratifs et judiciaires ordinaires dans le cadre de procédures spéciales. Par contre, dans la plupart des démocraties nouvelles ou émergentes d'Europe centrale et de l'Est (ainsi que dans d'autres régions du monde), des commissions électorales indépendantes et des tribunaux ordinaires se partagent la responsabilité d'examiner les recours en matière électorale (...) »
3.  Le rapport sur le droit électoral et les minorités nationales
24.  Le rapport sur le droit électoral et les minorités nationales a été adopté par la Commission de Venise le 25 janvier 2000. Il concerne l'élément central de la vie publique, la participation aux organes élus de l'État, et tout particulièrement au Parlement national. Cette participation est examinée au travers du droit électoral, et des possibilités qu'il offre aux personnes appartenant à des minorités nationales d'être présentes dans les organes élus.
Les règles du droit électoral relatives à une représentation spéciale des minorités sont l'exception. Ainsi, parmi les États qui ont répondu au questionnaire de la Commission, trois seulement (Croatie, Roumanie, Slovénie) prévoyaient l'élection de députés destinés à représenter les minorités nationales. Selon le rapport, la Roumanie est le pays où le plus grand nombre de partis ou organisations de minorités - assimilées aux partis politiques en matière électorale – ont participé aux élections et ont des députés et des sénateurs au Parlement.
Sans forcément garantir la présence de personnes appartenant à des minorités nationales dans les organes élus, d'autres systèmes facilitent la représentation des organisations de minorités. En Pologne et en Allemagne, les règles en matière de quorum ne s'appliquent en effet pas à de telles organisations.
Le système belge est spécifique. L'ensemble des institutions est conçu de manière à établir un équilibre entre les divers groupes linguistiques (plutôt qu'entre des minorités proprement dites). En outre, dans certains territoires mixtes du point de vue linguistique, des aménagements ont été opérés afin que les électeurs des différentes communautés linguistiques soient représentés dans l'organe élu.
Le plus souvent toutefois, la représentation des minorités dans l'organe élu est au contraire assurée par l'application des règles générales du droit électoral, qui traitent de la même manière les personnes appartenant à des minorités nationales et les autres.
C.  Les recommandations de Lund sur la participation effective des minorités nationales à la vie publique
25.  Les recommandations ont été adoptées à Lund (Suède) en septembre 1999 par un groupe d'experts internationaux sous l'égide du Haut Commissaire pour les minorités nationales de l'OSCE. En ses parties pertinentes, les recommandations sont ainsi libellées :
« B.  Elections
7)  L'expérience acquise, notamment en Europe, démontre l'importance du processus électoral pour faciliter la participation des minorités à la vie politique. Les Etats doivent garantir le droit des personnes appartenant à des minorités nationales de prendre part à la conduite des affaires publiques, notamment grâce au droit de voter ou de se porter candidat, sans discrimination.
8)  Les règlements applicables à la formation et à l'activité de partis politiques doivent être conformes au principe de droit international concernant la liberté d'association. Ce principe inclut la liberté de créer des partis politiques basés sur des caractéristiques communautaires de même que des partis qui ne sont pas identifiés exclusivement avec les intérêts d'une communauté déterminée.
9)  Le système électoral devrait faciliter la représentation et l'influence des minorités.
- Lorsque des minorités sont concentrées sur le plan territorial, les circonscriptions qui n'élisent qu'un seul député peuvent assurer une représentation suffisante de la minorité.
- Des systèmes de représentation proportionnelle, selon lesquels le nombre de voix qu'obtient un parti politique dans le scrutin national se reflète dans le nombre de sièges législatifs, peuvent contribuer à assurer la représentation des minorités.
- Certaines formes de vote préférentiel, selon lesquelles les électeurs classent les candidats dans un ordre de préférence, peuvent faciliter la représentation des minorités et promouvoir une coopération intercommunautaire.
- Un abaissement du seuil fixé pour être représenté au sein du corps législatif peut renforcer l'insertion des minorités nationales dans la gestion des affaires publiques.
10)  Le découpage des circonscriptions électorales devrait permettre aux minorités nationales d'être représentées de manière équitable. »
Les recommandations de Lund sont développées dans « Les lignes directrices visant à favoriser la participation des minorités nationales au processus électoral », publiées en janvier 2001, sous l'égide de l'OSCE.
D.  Droit comparé en matière de recours post-électoraux
26.  Malgré la diversité de l'organisation et des caractéristiques de l'administration électorale compétente en matière de résultats et de répartition des sièges (commissions électorales indépendantes, structures gouvernementales, bureaux électoraux temporaires, tribunaux), il ressort des éléments dont la Cour dispose sur la législation de bon nombre d'États membres du Conseil de l'Europe qu'il existe une certaine convergence quant à l'existence d'un système de recours postélectoral. Dans certains États, il est possible d'exercer un tel recours devant un organe qualifié de cour ou de tribunal, qu'il s'agisse du juge ordinaire, d'une cour électorale spéciale, ou d'un tribunal constitutionnel. Si certains pays prévoient jusqu'à deux degrés de recours devant des organes juridictionnels, d'autres n'envisagent qu'un seul recours de ce type, en première instance. Les trois pays qui n'envisagent aucun recours juridictionnel en dehors de la validation des pouvoirs par la chambre législative sont des pays d'Europe occidentale (Belgique, Italie, Luxembourg). L'existence de cette tendance à la juridictionnalisation du contentieux postélectoral s'inscrit dans le droit fil des normes européennes préconisées par la Commission de Venise, qui souligne qu'un recours juridictionnel devrait exister dans tous les cas, les seuls recours devant la commission de validation du parlement ou devant une commission électorale n'offrant pas de garanties suffisantes.
a)  L'administration électorale centrale en tant qu'organe de recours
27.  Tel est le système adopté par la Roumanie et l'Albanie. Dans ce dernier pays, il est possible de contester les décisions relatives à la déclaration des résultats devant la commission électorale centrale elle-même. Cependant, les parties lésées peuvent ensuite recourir contre la décision de la commission devant un tribunal (le collège électoral de la Cour d'appel de Tirana).
b)  La validation politique : les commissions parlementaires de validation
28.  Si cette pratique est largement répandue, trois pays (Belgique, Italie, Luxembourg) présentent la particularité de ne pas prévoir d'autre recours postélectoral que la validation par le Parlement, les décisions des bureaux électoraux étant considérées comme définitives. Cela étant, ces trois pays jouissent d'une longue tradition démocratique qui tend à dissiper les doutes éventuels quant à la légitimité d'une telle pratique. La Commission de Venise se montre toutefois réservée de manière générale quant à l'effectivité de ce type de recours, l'impartialité de tels organes paraissant sujette à caution (voir ci-dessus, paragraphe 22).
29.  On peut rappeler à cet égard l'exemple français : la Commission de validation (qui était alors seule à statuer sur les recours) ayant, en 1956, exclu 25 députés poujadistes du Parlement, le Conseil constitutionnel institué par la Constitution de 1958 a été chargé d'éviter de tels écueils, et la pratique de la validation a purement et simplement disparu du paysage parlementaire français. On peut souligner par ailleurs qu'en 2005, la Suisse a instauré la possibilité d'un recours devant le Tribunal fédéral (alors qu'auparavant, seule la vérification des pouvoirs par le Conseil national tenait lieu de recours).
30.  Pour autant, cette pratique reste implantée dans certains États. Par ailleurs, un système double persiste dans de nombreux pays, dont la Suisse. Le contrôle juridictionnel n'empêche pas de fait l'existence d'une validation par le parlement, dans la mesure où les buts de l'un et de l'autre restent distincts : dans un cas, il s'agit d'un contrôle judiciaire visant à régler d'éventuels contentieux, dans l'autre, il s'agit d'un contrôle politique visant à valider les mandats. L'existence de ce type de validation repose sur une reconnaissance de la spécificité et de l'indépendance du pouvoir législatif par rapport tant au pouvoir exécutif qu'au pouvoir judiciaire.
c)  Le recours juridictionnel
31.  Un premier type de recours est celui que l'on porte devant le juge « ordinaire ». Les instances compétentes peuvent être des tribunaux administratifs et des cours d'appel, comme dans les pays suivants : Andorre, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Espagne (chambre contentieuse administrative de la Cour suprême), Géorgie (cour et cour d'appel de Tbilissi), Hongrie, Lettonie (département des affaires administratives du Sénat de la Cour suprême), Royaume-Uni (Election Court de la High Court et appel devant la Court of Appeal).
32.  De nombreux pays confient la tâche de statuer sur le contentieux postélectoral au juge constitutionnel. Cependant, le contrôle que celui-ci opère n'est pas nécessairement le même d'un système à l'autre : ainsi, il peut se contenter de contrôler la constitutionnalité (Géorgie), ou vérifier et approuver les résultats transmis par la commission électorale (Azerbaïdjan).
33.  Certains pays ont adopté ce type de recours, soit en première instance soit en dernier ressort : Andorre (deuxième degré de juridiction), Arménie (premier degré), Croatie (premier degré), Espagne (deuxième degré et protection des droits fondamentaux), Estonie (premier degré, devant la Cour suprême en tant que juge constitutionnel), France (premier degré), Géorgie (seulement si des questions de constitutionnalité se posent), Malte (premier degré), Suisse (deuxième degré devant le Tribunal fédéral).
34.  Enfin, certains systèmes comprennent des juridictions qui ne connaissent que du contentieux électoral. Elles sont composées de juges venant en général d'autres juridictions et ont une durée de vie limitée (le temps des délais de recours après la publication des résultats), mais elles jouissent d'une compétence exclusive en matière de contentieux électoral. Des organes spécifiques de ce type ont été institués dans les pays suivants : Albanie (collège électoral de la cour d'appel de Tirana), Grèce (Cour spéciale suprême, spécialisée dans certains types de contentieux, dont le contentieux électoral), Royaume-Uni (Election court), Suède (Commission de révision électorale).
d)  Le recours devant l'exécutif
35.  Un seul cas est connu, celui de la Suisse (contestation devant le gouvernement cantonal). Cette particularité est le fruit de l'histoire du pays et de sa tradition fédérale ; cependant les pouvoirs du gouvernement cantonal vont de pair avec la validation par le Conseil national (Parlement) de ses propres pouvoirs ainsi qu'avec le recours devant le Tribunal fédéral, depuis 2005.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
36.  Le requérant se plaint du refus des autorités de lui attribuer un mandat de député au nom de la minorité italienne lors des élections parlementaires de 2000. Il invoque l'article 3 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :
« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
A.  Thèses des parties
37.  Le Gouvernement souligne d'emblée que, selon la jurisprudence de la Cour, les États contractants jouissent d'une large marge d'appréciation en matière électorale. Il argue que les conditions requises par la législation en vigueur à l'époque des faits (la Constitution et la loi no 68/1992 sur l'élection à la Chambre des députés et au Sénat) pour la représentation des minorités au Parlement étaient minimales, qu'elles poursuivaient un but légitime, et que les moyens employés pour y parvenir n'étaient pas disproportionnés.
38.  Le Gouvernement considère que dans sa décision du 2 décembre 2000, le bureau électoral central a correctement interprété les dispositions législatives pertinentes en matière d'élection des députés représentant des minorités nationales. Ainsi, le bureau aurait jugé à bon droit que le mandat devait être attribué à l'organisation italienne ayant réuni le plus grand nombre de voix dans une seule et même circonscription, en l'occurrence la Communauté italienne de Roumanie. Or le requérant représentait l'Association des Italiens de Roumanie.
39.  Enfin, le Gouvernement souligne que la représentation des minorités au Parlement roumain est importante. C'est d'ailleurs ce qu'a constaté la Commission de Venise dans son rapport du 25 janvier 2000 sur la loi électorale et les minorités nationales et dans son avis de 2005 sur le projet de loi relatif au statut des minorités en Roumanie. Ainsi, lors des élections législatives de 2000, les minorités nationales se sont vu attribuer 45 mandats de députés sur un total de 341, et, lors des élections municipales, des centaines de maires et de conseillers départementaux et locaux appartenant à des minorités nationales ont été élus.
40.  Le requérant fait valoir que l'Association des Italiens de Roumanie, dont il faisait partie, et la Communauté italienne de Roumanie avaient signé un protocole d'alliance validé par le bureau électoral central, en vertu duquel l'Association des Italiens de Roumanie participait aux élections avec son emblème électoral et la Communauté italienne de Roumanie avec son nom. Lors des élections parlementaires de 2000, il aurait donc fait partie de la même organisation que Mme Ileana Stana Ionescu, à savoir la Communauté italienne de Roumanie.
41.  Le requérant estime que l'interprétation des dispositions électorales donnée par le bureau électoral central est contraire à la logique même de la possibilité qu'offre la loi aux représentants des minorités de déposer une liste dans plusieurs circonscriptions, en application du principe de représentation au niveau national. En outre, il argue que le mandat de député est attribué aux minorités ayant obtenu 5% au moins des suffrages valablement exprimés au niveau national pour l'élection d'un député et ce, en sus du nombre de députés issu de la norme de représentation.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour
42.  La Cour rappelle que l'article 3 du Protocole no 1 diffère des autres dispositions de la Convention et de ses Protocoles garantissant des droits en ce qu'il énonce l'obligation pour les Hautes Parties contractantes d'organiser des élections dans des conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple et non un droit ou une liberté en particulier. Toutefois, eu égard aux travaux préparatoires de l'article 3 du Protocole no 1 et à l'interprétation qui est donnée de cette clause dans le cadre de la Convention dans son ensemble, la Cour a établi que cet article implique également des droits subjectifs, dont le droit de vote et celui de se porter candidat à des élections (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, §§ 46-51, série A no 113, Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 102, CEDH 2006-IV).
43.  Les droits garantis par l'article 3 du Protocole no 1 sont cruciaux pour l'établissement et le maintien des fondements d'une véritable démocratie régie par la prééminence du droit. Néanmoins, ces droits ne sont pas absolus. Il y a place pour des « limitations implicites », et les États contractants doivent se voir accorder une marge d'appréciation en la matière. A ce sujet, la Cour a déjà réaffirmé que la marge d'appréciation en ce domaine est large (Mathieu-Mohin, arrêt précité, § 52, et, plus récemment, Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 63, CEDH 1999-I, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 201, CEDH 2000-IV, et Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II). Il existe de nombreuses manières d'organiser et de faire fonctionner les systèmes électoraux, et une multitude de différences au sein de l'Europe, notamment dans l'évolution historique, la diversité culturelle et la pensée politique qu'il incombe à chaque État contractant d'incorporer dans sa propre vision de la démocratie (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 61, CEDH 2005-IX).
44.  Cependant, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l'observation des exigences de l'article 3 du Protocole no 1 ; il lui faut s'assurer que les conditions auxquelles sont subordonnés les droits de vote ou le fait de se porter candidat à des élections ne réduisent pas les droits en question au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, que ces conditions poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (Mathieu-Mohin, ibidem). En particulier, aucune des conditions imposées le cas échéant ne doit entraver la libre expression du peuple sur le choix du corps   législatif – autrement dit, elles doivent refléter, ou ne pas contrecarrer, le souci de maintenir l'intégrité et l'effectivité d'une procédure électorale visant à déterminer la volonté du peuple par l'intermédiaire du suffrage universel (Hirst, arrêt précité, § 62 ; Yumak et Sadak c. Turquie [GC], no 10226/03, § 109, 8 juillet 2008). Toutefois, la Cour n'a pas à prendre position sur le choix entre un système électoral et un autre. En effet, ce choix, dicté par des considérations d'ordre historique et politique qui lui sont propres, relève en principe du domaine de compétence exclusive de l'État (voir Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 34, CEDH 2002-II).
2.  Application de ces principes généraux en l'espèce
45.  En l'espèce, la Cour observe d'emblée qu'il ressort des pièces du dossier que le requérant s'est bel et bien porté candidat au nom de la Communauté italienne de Roumanie et non, comme le soutient le Gouvernement, de l'Association des Italiens de Roumanie.
46.  Elle note que la présente affaire ne concerne pas, comme dans la grande majorité des arrêts qu'elle a rendus jusqu'à présent en matière électorale, des conditions d'éligibilité, mais l'attribution d'un mandat de député, soit une question de droit postélectoral. Il s'agit là d'une problématique tout aussi cruciale, qui influe en outre directement sur le résultat des élections, circonstance à laquelle la Cour accorde une très grande importance (I.Z. c. Grèce, no 18997/91, décision de la Commission du 28 février 1994, Décisions et rapports (DR), et Babenko c. Ukraine (déc.), no 43476/98, 4 mai 1999).
47.  A cet égard, la Cour rappelle que l'objet et le but de la Convention, instrument de protection des êtres humains, appellent à interpréter et à appliquer ses dispositions d'une manière qui en rende les exigences non pas théoriques ou illusoires, mais concrètes et effectives (voir par exemple les arrêts Artico c. Italie du 13 mai 1980, série A no 37, pp. 15-16, § 33 ; Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie du 30 janvier 1998, Recueil 1998-I, pp. 18-19, § 33, et Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 100, CEDH 1999-III). Or le droit de se porter candidat aux élections et, le cas échéant, d'être élu, garanti par l'article 3 du Protocole no 1 et inhérent à la notion de régime véritablement démocratique, ne serait qu'illusoire si l'intéressé pouvait à tout moment en être arbitrairement privé. Par conséquent, s'il est vrai que les États disposent d'une grande marge d'appréciation pour établir des règles électorales in abstracto, le principe d'effectivité des droits exige que les décisions prises en application de ces règles soient conformes à un certain nombre de critères permettant d'éviter l'arbitraire. En particulier, ces décisions doivent être prises par un organe présentant un minimum de garanties d'impartialité. De même, le pouvoir autonome d'appréciation de cet organe ne doit pas être exorbitant ; il doit être, à un niveau suffisant de précision, circonscrit par les dispositions du droit interne. Enfin, la procédure du constat d'inéligibilité doit être de nature à garantir une décision équitable et objective, ainsi qu'à éviter tout abus de pouvoir de la part de l'autorité compétente (Podkolzina, précité, § 35).
48.  La Cour constate d'emblée que la Roumanie a choisi d'assurer une représentation spéciale des minorités au Parlement, et qu'il s'agit du pays européen où le plus grand nombre de partis ou d'organisations de minorités ont participé aux élections et ont des représentants au Parlement (voir les conclusions du rapport sur le droit électoral et les minorités nationales, paragraphe 24 ci-dessus).
49.  La Cour observe que la loi électorale no 68/1992 n'énonce pas clairement les modalités à suivre pour l'attribution du mandat parlementaire correspondant à l'organisation gagnante représentant une minorité nationale. Ainsi, le bureau électoral central, conformément à l'article 68, alinéa g), de la loi en question doit « déterminer les nom et prénom du premier candidat inscrit sur la liste de l'organisation ayant droit à un siège de député qui a réuni le plus grand nombre de suffrages ». Ce texte ne précise donc pas s'il s'agit du plus grand nombre de voix au niveau national ou au niveau d'une circonscription électorale. Or, une telle précision peut s'avérer être décisive au moment de la détermination du candidat retenu.
50.  Au sein de la Communauté italienne, au nom de laquelle le requérant s'était porté candidat, le mandat a été attribué non pas au requérant, qui avait obtenu le plus grand nombre de suffrages sur l'ensemble du territoire, mais à un autre candidat qui avait obtenu un nombre important de voix dans une seule et même circonscription. Le bureau électoral central a donc opté pour une méthode basée sur la représentativité territoriale et non sur la représentativité nationale.
51.  La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si ce manque de clarté des règles électorales pouvait donner lieu à une interprétation arbitraire lors de leur application. A ce sujet, la Cour rappelle qu'elle a déjà sanctionné l'interprétation extensive, et dès lors arbitraire, d'une disposition légale en matière électorale (voir les affaires Kovach c. Ukraine (requête no 39424/02, §§ 48-62 arrêt du 7 février 2008), relative à l'invalidation du scrutin dans quatre circonscriptions lors des élections parlementaires, ce qui avait conduit à l'élection d'un autre candidat que le requérant ; Lykourezos c. Grèce (no 33554/03, §§ 50-58, CEDH 2006-VIII), relative à la déchéance d'un mandat parlementaire en raison d'une incompatibilité professionnelle introduite par une nouvelle loi; Paschalidis, Koutmeridis et Zaharakis c. Grèce (nos 27863/05, 28422/05 et 28028/05, §§ 29-35, arrêt du 10 avril 2008), relative à la prise en compte des bulletins blancs pour le calcul du quotient électoral dans une seule circonscription électorale).
52.  De l'avis de la Cour, le manque de clarté des dispositions pertinentes en la matière imposait aux autorités nationales d'être prudentes dans leur interprétation, compte tenu de l'impact direct que celle-ci aurait sur le résultat des élections (voir Kovach, précité, § 59). Le bureau électoral central a interprété les dispositions de la loi no 68/1992 en ce sens que le mandat devait être attribué à la liste de l'organisation de citoyens appartenant à une minorité nationale qui avait recueilli le plus grand nombre de voix dans une seule et même circonscription électorale. Il n'a pas précisé s'il s'agissait d'une première interprétation de cette disposition ou si une pratique constante existait en la matière. Il n'a pas non plus expliqué pourquoi le critère de la représentativité territoriale s'appliquait aux minorités nationales alors que celles-ci bénéficiaient, pour d'autres aspects ayant trait aux élections, de dispositions particulières liées au critère de la représentativité nationale. Enfin, bien que la Cour l'y ait invité, le Gouvernement n'a pas davantage fourni d'informations sur l'interprétation faite par les autorités nationales ou par la doctrine de l'article 68, alinéa g), de la loi no 68/1992. La Cour estime donc que les dispositions déterminantes pour l'attribution d'un mandat de député à l'organisation représentant une minorité nationale ne répondaient pas à l'époque des faits aux exigences de précision posées dans sa jurisprudence (voir ci-dessus paragraphe 47).
53.  Toutefois, la Cour prend acte de la modification législative intervenue quant à la portée de la disposition litigieuse dans la nouvelle loi sur l'élection au Parlement (voir le droit interne pertinent ci-dessus, paragraphe 19). Il reste néanmoins que ce changement législatif est largement postérieur aux faits dénoncés par le requérant, et ne permet donc pas de remédier à sa situation.
54.  Par ailleurs, la Cour note que le bureau électoral central et la commission de validation de la Chambre des députés ont examiné la contestation du requérant puis l'ont rejetée pour défaut de fondement. Or, de l'avis de la Cour, un individu dont la nomination à une fonction de député a été refusée a des raisons légitimes de craindre que la grande majorité des membres de l'organe ayant examiné la légalité des élections, plus concrètement les membres représentant les autres partis politiques du bureau central, aient un intérêt contraire au sien. Les règles de composition de cet organe constitué d'un grand nombre de membres représentant des partis politiques ne paraissent donc pas de nature à fournir un gage suffisant d'impartialité. La même conclusion vaut a fortiori pour la commission de validation de la Chambre des députés.
55.  En outre, la Cour note qu'aucun tribunal national ne s'est prononcé sur l'interprétation de la disposition légale en question. Ainsi, la Cour suprême de justice a rejeté la contestation du requérant comme irrecevable, considérant que les décisions du bureau central étaient définitives. Par la suite, la Cour constitutionnelle s'est bornée à informer le requérant qu'elle n'était pas compétente en matière électorale. A ce sujet, la Cour rappelle que dans l'affaire Babenko précitée, elle avait jugé important le fait que les allégations du requérant avaient été examinées dans le cadre d'une procédure judiciaire.
56.  Cette approche est d'ailleurs confirmée par la Commission de Venise dans son Code de bonne conduite en matière électorale, qui prône un contrôle judiciaire de l'application des règles électorales, éventuellement en complément des recours devant les commissions électorales ou devant le Parlement (paragraphe 22 ci-dessus). Les éléments de droit comparé montrent également que plusieurs États membres du Conseil de l'Europe ont adopté un contrôle juridictionnel, seules quelques États gardant encore un contrôle des élections purement politique (paragraphe 28 ci-dessus).
57.   Dans ces conditions, la Cour estime que le manque de clarté de la loi électorale en ce qui concerne les minorités nationales et l'absence de garanties suffisantes quant à l'impartialité des organes chargés d'examiner les contestations du requérant ont porté atteinte à la substance même des droits garantis par l'article 3 du Protocole nº 1.
Il y a donc eu violation de cet article.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1
58.  Invoquant en substance l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3 du Protocole no 1, le requérant se plaint de l'absence de recours effectif lui permettant de contester le refus des autorités de lui attribuer le mandat de député pour la minorité italienne et, en conséquence, de la méconnaissance de la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. L'article 13 de la Convention est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
59.  Le Gouvernement soutient que le requérant disposait d'un recours interne effectif au sens de l'article 13 de la Convention, à savoir la contestation devant le bureau électoral central, organe qui répondrait aux exigences posées dans la jurisprudence de la Cour. Il souligne à cet égard qu'en vertu de l'article 24 de la loi no 68/1992, le bureau électoral central était composé de sept juges de la Cour suprême de justice et de seize représentants des partis politiques, que les juges étaient choisis de manière aléatoire, par tirage au sort, que les décisions du bureau étaient motivées, et que les membres de celui-ci avaient la possibilité de formuler des opinions dissidentes.
60.  Enfin, le Gouvernement argue que les États contractants ont une large marge d'appréciation en ce qui concerne l'article 13 de la Convention (Wille c. Liechtenstein [GC], no 28396/95, § 75, CEDH 1999-VII) et que les dispositions législatives d'autres Etats prévoient le même recours interne en la matière (voir le cas de la Hongrie).
61.  Le requérant soutient que la décision du 2 décembre 2002 du bureau électoral central ne constitue pas un recours efficace. Il estime en effet que cet organe n'est pas impartial. En particulier, il lui reproche d'être composé de juges de la Cour suprême de justice, qui aurait ainsi par la suite été influencée lorsqu'elle a refusé d'examiner sa contestation. Enfin, il considère que la référence du Gouvernement à des législations électorales prétendument semblables est dénuée de pertinence en l'espèce, compte tenu du statut particulier dont bénéficient les minorités nationales en Roumanie.
62. La Cour estime que, pour les raisons qui figurent aux paragraphes 55 et 56 ci-dessus, il y a également violation de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3 du Protocole no 1.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
63.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
64.  Au titre du dommage matériel, le requérant réclame 200 000 euros, qui correspondent aux salaires et indemnités auxquels il aurait eu droit en tant que député pour la période 2000-2004. Au titre du dommage moral, il demande 1 500 000 euros pour le préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé d'exercer le mandat de député et des attaques et des injustices auxquelles il affirme que lui-même et sa famille ont été exposés.
65.  Le Gouvernement estime que la somme demandée par le requérant au titre du dommage matériel est excessive et purement spéculative. Il souligne qu'elle n'est accompagnée d'aucun document justificatif. Par ailleurs, il renvoie à la jurisprudence de la Cour relative à l'article 3 du Protocole no 1 à la Convention, en vertu de laquelle la Cour n'octroie pas de sommes pour dommage matériel dans ce domaine (Podkolzina, précité, § 49 ; Aziz c. Chypre, no 69949/01, § 43, CEDH 2004-V; Melnitchenko c. Ukraine, no 17707/02, § 75, CEDH 2004-X ; Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 94, CEDH 2005-IX).
66.  En ce qui concerne le dommage moral, le Gouvernement estime qu'aucun lien de causalité n'a été établi entre le dommage éventuel et la violation alléguée de la Convention. En outre, il souligne que dans plusieurs affaires où elle a constaté une violation de l'article 3 du Protocole no 1, la Cour a considéré que le constat de violation fournissait en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants. En toute hypothèse, la somme demandée serait exorbitante compte tenu des montants habituellement octroyés par la Cour en la matière (Podkolzina, précité, § 52 ; Melnitchenko, précité, § 78).
67.  Pour ce qui est du dommage matériel, la Cour ne saurait spéculer sur ce qu'aurait été l'issue des élections en présence d'une disposition claire interprétée par un organisme répondant de manière suffisante aux exigences d'impartialité. Par ailleurs, l'intéressé n'a pas fait mention des activités professionnelles qu'il a exercées entre 2000 et 2004 ni démontré que le montant des honoraires ou salaires qu'il a éventuellement perçus était inférieur à celui des indemnités parlementaires qu'il aurait perdues pendant la période considérée. Dès lors, la Cour rejette les prétentions qu'il a formulées au titre du dommage matériel (voir Kovatch, précité, § 66).
68.  En revanche, la Cour reconnaît que le requérant a subi un préjudice moral du fait de la violation constatée. En conséquence, statuant en équité et eu égard à l'ensemble des circonstances de l'affaire, elle lui alloue 5 000 EUR au titre du dommage moral.
B.  Frais et dépens
69.  Le requérant demande également 2 300 EUR pour les frais et dépens qu'il a engagés dans le cadre des procédures menées devant les juridictions internes et devant la Cour.
70.  Le Gouvernement souligne que l'intéressé n'a produit aucun justificatif à l'appui de sa demande.
71.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, la Cour note que le requérant n'a pas détaillé ses demandes ni communiqué de justificatif à l'appui de ses estimations. Dès lors, elle ne saurait accorder aucune somme à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
72.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 du Protocole no 1 à la Convention ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3 du Protocole no 1 ;
3.  Dit
a)  que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 euros (cinq mille euros) pour dommage moral, à convertir en lei au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 mars 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall   Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée de la juge Ziemele.
J.C.M.   S.Q.
OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE ZIEMELE
1.  J'ai voté avec la majorité pour la violation de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3 du Protocole no 1. Il me semble important que la Cour continue de développer sa jurisprudence relative à l'article 13 (voir, à cet égard, mon opinion dissidente dans l'affaire Zavoloka c. Lettonie, requête no 58447/00, 7 juillet 2009).
2.  En l'espèce, pourtant, la Cour s'est contentée, dans son raisonnement sur l'article 13, de renvoyer à ses conclusions quant à l'article 3 du Protocole no 1. Ce faisant, elle a manqué une occasion de préciser la portée des obligations qui découlent de l'article 13 lorsque surviennent des problèmes de respect des droits de l'homme dans le contexte d'élections nationales. La Cour a estimé que les dispositions de la loi électorale relatives aux minorités nationales manquaient de clarté et que les organes chargés d'examiner les litiges en matière électorale n'étaient pas suffisamment impartiaux ; et elle a noté qu'aucun tribunal ne s'était prononcé sur l'interprétation du droit ni même sur le litige lui-même. Pour ces motifs, elle a conclu à la violation de l'article 3. Pour ce qui est de la violation de l'article 13 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1, elle a renvoyé à ses conclusions relatives à l'absence de contrôle juridictionnel (voir le paragraphe 62 de l'arrêt).
3.  Il convient de noter que jusqu'à cet arrêt, la Cour examinait sous l'angle de l'article 3 du Protocole no 1 le fonctionnement des recours relatifs à des allégations de problèmes électoraux (voir Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 37, CEDH 2002-II). Dans l'affaire Podkolzina, elle a considéré qu'il n'était pas nécessaire d'examiner séparément l'absence de recours effectif du point de vue de l'article 13 (ibidem, § 45). La présente affaire marque donc un tournant dans sa jurisprudence, tournant auquel je souscris.
4.  Il reste que la question soulevée en l'espèce est celle de la nature et de la portée des obligations qui découlent de l'article 13, dans la limite de la pertinence de ces éléments pour l'examen de la présente affaire. En d'autres termes, il faut se demander quels sont les recours effectifs qui devraient exister pour l'examen des allégations de violation du droit à des élections libres. Jusqu'à présent, la Cour a dégagé dans sa jurisprudence plusieurs éléments qui précisent la notion de recours effectif au sens de l'article 13. Elle a ainsi admis qu'il n'est pas nécessaire, pour que le recours soit effectif, qu'il soit judiciaire ou qu'il se suffise à lui-même : un ensemble de recours considérés dans leur globalité peuvent répondre à l'exigence d'effectivité. En outre, l'effectivité, telle que la Cour l'interprète, consiste aussi bien à empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée qu'à fournir à la victime de la violation un redressement approprié, par exemple sous la forme d'une indemnisation, pour toute violation s'étant déjà produite (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 158, CEDH 2000-XI).
5.  En l'espèce, le requérant alléguait, sous l'angle de l'article 13, qu'aucun recours ne lui permettait de recouvrer son siège au parlement ; tandis que le Gouvernement arguait que la composition du bureau électoral central répondait aux exigences rendant effectifs les recours devant lui. Or, la Cour ayant renvoyé à sa conclusion relative à l'absence de contrôle juridictionnel, elle n'a développé ni à partir des observations des parties ni de son propre chef la notion de l'effectivité des recours dans les cas tels que celui du requérant. Je note à cet égard que le Code de bonne conduite en matière électorale adopté en 2002 par la Commission de Venise du Conseil de l'Europe admet qu'un recours peut être effectif non seulement lorsqu'il est examiné par des tribunaux, mais encore lorsqu'il l'est par des commissions électorales (voir le paragraphe 93 du Code, cité au paragraphe 22 de l'arrêt). J'estime qu'en se bornant à renvoyer à l'absence de contrôle juridictionnel disponible pour les parties intéressées en général et pour le requérant en particulier, la Cour n'a pas répondu à la question qui se posait sous l'angle de l'article 13, à savoir celle de l'existence d'un ensemble efficace d'institutions et de procédures qui auraient permis au requérant de contester quant au fond la privation de mandat dont il s'estimait victime et de demander une réparation adéquate.
1 Rectifié le 29 septembre 2010 : le texte était le suivant : « Article 6 § 6 ».
ARRÊT GROSARU c. ROUMANIE 
ARRÊT GROSARU c. ROUMANIE 
ARRÊT GROSARU c. ROUMANIE 
ARRÊT GROSARU c. ROUMANIE – OPINION SÉPARÉE
ARRÊT GROSARU c. ROUMANIE – OPINION SÉPARÉE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de P1-3 ; Violation de l'art. 13+P1-3 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation

Analyses

(Art. 13) RECOURS EFFECTIF, (P1-3) CHOIX DU CORPS LEGISLATIF


Parties
Demandeurs : GROSARU
Défendeurs : ROUMANIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (troisième section)
Date de la décision : 02/03/2010
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 78039/01
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-03-02;78039.01 ?

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