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30/03/2010 | CEDH | N°44418/07

CEDH | AFFAIRE PONCELET c. BELGIQUE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE PONCELET c. BELGIQUE
(Requête no 44418/07)
ARRÊT
STRASBOURG
30 mars 2010
DÉFINITIF
04/10/2010
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Poncelet c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Ireneu Cabral Barreto, président,   Françoise Tulkens,   Vladimiro Zagrebelsky,   Danutė Jočienė,   Dragoljub Popović,   Andr

ás Sajó,   Işıl Karakaş, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en a...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE PONCELET c. BELGIQUE
(Requête no 44418/07)
ARRÊT
STRASBOURG
30 mars 2010
DÉFINITIF
04/10/2010
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Poncelet c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Ireneu Cabral Barreto, président,   Françoise Tulkens,   Vladimiro Zagrebelsky,   Danutė Jočienė,   Dragoljub Popović,   András Sajó,   Işıl Karakaş, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 mars 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 44418/07) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jean Poncelet (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er octobre 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Mes M. Franchimont et H. Germain, avocats à Liège. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général au Service public fédéral de la Justice.
3.  Le requérant alléguait en particulier une violation de son droit à la présomption d'innocence garantie par l'article 6 § 2 de la Convention.
4.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
5.  Le 26 novembre 2008, le vice-président de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6.  Le requérant est né en 1952 et réside à Herstal.
7.  Le requérant, ingénieur civil électronicien, entra en fonction le 1er octobre 1980 à la Direction de l'électricité de Liège, au ministère des Travaux publics. Il exerça ensuite les fonctions de directeur, avant d'être promu au grade d'ingénieur en chef directeur, puis de premier ingénieur en chef directeur. Le 15 mai 1998, il quitta la direction de Liège pour assurer les missions d'inspecteur général au ministère wallon de l'Equipement et des transports à Namur. Il fut par la suite détaché dans un cabinet ministériel.
8.  Le 7 mars 1994, L.C., inspecteur principal du service d'enquêtes du Comité supérieur du contrôle, fut chargé d'une enquête administrative relative à la vérification des travaux d'entretien des équipements électriques et électromécaniques des routes, autoroutes, tunnels et ouvrages d'art de la province de Liège. Estimant que des irrégularités avaient été commises lors de l'exécution des marchés en question, dans le volet « P. » du dossier et aussi dans son volet « S. », L.C. transmit plusieurs procès-verbaux au parquet.
9.  Dans le volet « P. » du dossier, certains passages dans différents procès-verbaux se lisent ainsi :
– « en agissant de la sorte, le requérant a sciemment contourné toute la réglementation en vigueur régissant l'engagement du personnel à l'administration » ;
– « le garde prévient le braconnier » ;
– « cette note démontre que Poncelet était conscient qu'il n'y avait pas de contrôle des travaux d'entretien et que donc les factures étaient payées sans vérification » ;
– « il y a donc manifestement une volonté de la part de tous les fonctionnaires du Met de ne pas nuire à P. et une complicité dans la fraude puisqu'ils approuvent des factures pour paiement tout en sachant que le travail n'était pas exécuté » ;
– « au travers de ces contrats d'entretien, nous constatons que la SA P. a été outrageusement avantagée et a bénéficié de la complicité des contrôleurs, du fonctionnaire dirigeant ainsi que de la vôtre. N'est-ce pas là le paiement de vos voyages et déjeuners avec D. sur le compte de la SA P.? » ;
– « il est manifeste que la raison des voyages effectués par ces deux fonctionnaires [dont le requérant] sur le compte des fournisseurs était de passer quelques moments agréables et sans le souci de rédiger des rapports et non la soif de se documenter pour mener à bien des études. Relevons que Poncelet est directeur et n'effectue donc aucune étude technique ».
10.  De plus, L.C. extrapola quelques unes de ses constatations faites en 1996-1997 à l'ensemble des marchés d'entretien conclus en 1993 et 1997.
11.  De même, dans le volet « S. » on peut lire ce qui suit :
– « en conclusion il appert que la personne du ministre des Travaux publics et celle de l'IF ont été abusées, avec l'appui d'un membre du cabinet du ministre par la direction de la DEET » ;
– « au cours de son audition, Poncelet avait défendu avec pugnacité, voire même de façon déplacée pour un fonctionnaire, les intérêts de la SA S. et la valeur de leurs produits, allant jusqu'à prétendre que cette société est la seule à fabriquer des appareils d'éclairage de qualité (...). Que fait ce fonctionnaire supérieur du devoir de réserve qui lui est imparti ? » ;
– « le fait que les fonctionnaires D. et Poncelet ont défendu avec bec et ongle la passation d'un marché de gré à gré avec consultation d'un seul fournisseur, en l'occurrence la SA C., prétextant qu'il s'agissait de la seule firme capable de construire les appareils d'éclairage en question » ;
– « nous avons ainsi trouvé dans les pays limitrophes quelques constructeurs, et non les moindres, qui seraient de sérieux concurrents pour la SA S. si celle-ci, avec la complicité de fonctionnaires, ne se réservait l'entièreté du marché » ;
– « tout ceci montre que S. prend ses désirs pour des réalités, mais aussi que tout ce que dit Poncelet lui est dicté par S., comme l'indiquent les mots « réfute toutes nos réponses fournies au directeur, Monsieur Poncelet. Ce directeur prend ses ordres et ses directives auprès de S.» ;
– « en fait, il est important, pour que la mascarade orchestrée par Poncelet et D. soit parfaite ... » ;
– « ceci signifie aussi que D. et par conséquent Poncelet étaient bien au courant et d'accord pour que la fabrication des pièces soit lancée avant qu'il n'y ait approbation du marché » ;
– « pour quelle raison vous permettez-vous de violer le secret professionnel et détournez-vous des documents au profit de S. ? Pour quelle raison violez-vous le principe de l'égalité des soumissionnaires au bénéfice de la société S. en lui fournissant des informations sur les marchés avant mise en adjudication et notamment en la laissant participer et/ou faire les études d'éclairage dont les fonctionnaires de votre service ont la charge ? ».
12.  L'affaire fut mise à l'instruction par un réquisitoire du 30 mars 1995.
13.  Le requérant fut entendu pour la première fois le 22 novembre 1995 lors de la perquisition réalisée à son domicile.
14.  Le dernier devoir d'enquête consista en la transmission, le 3 mars 2003, par le procureur du roi au juge d'instruction du procès-verbal de la police fédérale du 23 janvier 2003.
15.  Le 12 avril 2005, le juge d'instruction prit une ordonnance de soit-communiqué.
16.  Le 5 octobre 2005, le ministère public prit son réquisitoire en vue du règlement de la procédure devant la chambre du conseil du tribunal correctionnel de Liège.
17.  Le requérant fut poursuivi du chef de faux et usage de faux relativement à des factures et offres dans le cadre de marchés publics, du chef de détournement et subsidiairement d'escroquerie, du chef de corruption, du chef d'entrave ou de trouble à la liberté des enchères ou des soumissions.
18.  L'affaire fut fixée à l'audience de la chambre du conseil du 23 février 2006, puis reportée au 8 juin 2006.
19.  Le 7 septembre 2006, la chambre du conseil rendit son ordonnance sur le règlement de la procédure. Elle déclara l'action publique éteinte à l'égard d'une des personnes poursuivies, suite à son décès, et conclut qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre pour le surplus. Elle releva que l'ancienneté des faits, la prescription acquise pour beaucoup d'entre eux, le dépassement du délai raisonnable en raison de retards importants et non justifiés durant l'instruction et la violation, à plusieurs reprises, de la présomption d'innocence justifiaient qu'il soit considéré en l'espèce que l'atteinte aux droits fondamentaux était grave, irrémédiable et compromettait gravement le caractère équitable d'un procès public devant le tribunal correctionnel, en violation de l'article 6 de la Convention.
20.  Plus précisément, concernant la présomption d'innocence, la chambre du conseil considéra que celle-ci avait été violée en raison du parti pris adopté dès le départ par l'enquêteur principal tout au long du dossier et se manifestant par des considérations, non seulement peu objectives, mais résolument partisanes. Elle conclut ainsi : « S'il n'est pas exigé de la part des enquêteurs qu'ils enquêtent à charge et à décharge, il ne se conçoit pas qu'ils se muent en accusateur, en violation de la présomption d'innocence ».
21.  Le ministère public interjeta appel de cette ordonnance à l'égard des quatre personnes sur les vingt-deux poursuivies, dont le requérant.
22.  Par un arrêt du 15 janvier 2007, la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Liège déclara l'appel recevable et réserva toute autre décision relative au règlement de la procédure. Elle rejeta deux exceptions d'irrecevabilité de l'action publique, soulevées par le requérant, relatives à la violation de la présomption d'innocence et au dépassement du délai raisonnable.
23.  En ce qui concerne la première exception, la chambre des mises en accusation précisa que les obligations contenues dans l'article 6 de la Convention ne concernaient pas, comme telles, le ministère public ou la police. Elle releva que les critiques formulées par les inculpés, et visant la manière dont les enquêteurs avaient posé certaines questions, manquaient en droit. Il n'était pas interdit à un enquêteur de soumettre à un inculpé des éléments perçus comme défavorables par ce dernier, précisément dans le but de le faire réagir, dans le cadre de l'exercice de ses droits de la défense, sous peine, dans l'hypothèse contraire, de contraindre les enquêteurs à acter les affirmations de la personne interrogée servilement et sans la moindre analyse critique et, notamment, sans la moindre confrontation à d'autres éléments recueillis antérieurement par l'enquête.
24.  La chambre des mises en accusation précisa que la présomption d'innocence était garantie à l'égard d'un inculpé par le droit de contradiction qu'il pouvait faire valoir relativement aux constatations des verbalisateurs, concernant notamment le caractère objectif ou non de ces constatations, et par l'impartialité avec laquelle le juge appréciait leur valeur probante. Il ne pouvait être question de conclure à une quelconque violation des droits de la défense, l'exercice de ceux-ci ne pouvant pas aller jusqu'à museler les verbalisateurs et à leur interdire de mentionner ou même d'interpréter tel ou tel élément que l'inculpé éprouverait comme défavorable à son égard.
25.  Quant au dépassement du délai raisonnable, la chambre des mises en accusation considéra qu'il n'était pas démontré que, du seul fait de la durée de l'instruction et du temps qui s'était ensuite écoulé depuis l'accomplissement du dernier devoir d'enquête, les inculpés ne seraient pas ou ne seraient plus en mesure de contester le fondement des accusations dirigées à leur encontre et de présenter les demandes qu'ils jugeaient utiles pour leur défense. Par ailleurs, l'examen du dossier montrait que l'instruction, caractérisée notamment par une réelle complexité des faits et par un grand nombre d'investigations et de mesures d'instruction parfaitement justifiées, s'était efforcée de rassembler tous les éléments à charge et à décharge que les inculpés pouvaient encore valablement critiquer ou alléguer devant les juridictions de fond. Enfin, aux termes de l'article 21ter du titre préliminaire du code de procédure pénale, la sanction du dépassement du délai raisonnable ne consistait jamais dans l'irrecevabilité ou la nullité des poursuites. Tel ne pouvait être le cas que si une juridiction de fond constatait une déperdition des preuves due à l'écoulement de ce délai.
26.  Se prévalant des §§ 1 et 2 de l'article 6 de la Convention, le requérant se pourvut en cassation.
27.  Par un arrêt du 4 avril 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.
28.  L'affaire revint devant la chambre des mises en accusation qui, par un arrêt du 4 juin 2007, renvoya le requérant et les trois autres prévenus en jugement devant le tribunal correctionnel de Liège.
29.  L'audience, initialement fixée au 6 décembre 2007, fut ajournée pour le 6 mars 2008. Les débats furent clos en avril 2008.
30.  Par un jugement du 19 juin 2009, le tribunal correctionnel jugea que, pris dans son ensemble, le procès n'était pas équitable en raison des a priori de l'enquêteur qui avaient violé gravement les droits de la défense, le dépassement du délai raisonnable empêchant en outre irrémédiablement les prévenus de contester utilement les éléments contenus dans le dossier. Le tribunal releva que l'enquête était partie de certains préjugés et que les procès-verbaux étaient truffés de considérations sur les prévenus et sur le fait que des préventions étaient établies dans leur chef. Il souligna que dès son premier procès-verbal, l'enquêteur principal avait fait fi des explications qui lui étaient apportées et avait pris le parti que les éventuelles erreurs de l'administration n'en étaient pas et avaient été commises sciemment ; que c'était ce procès-verbal qui avait motivé la mise à l'instruction du chef de faux et corruption. Il critiqua le fait que des appréciations émises par un enquêteur qui démontreraient dans le chef de celui-ci des a priori tellement flagrants sur le caractère établi des préventions et sur les prévenus qu'elles indiqueraient son obnubilation, empêchant que soit poursuivie une instruction objective et équitable.
31.  Le tribunal conclut que les considérations émises par l'enquêteur ne résultaient pas d'une analyse rigoureuse faite par lui des éléments en sa possession mais bien de ses préjugés. L'enquêteur avait enquêté à charge, sans jamais prendre en considération ni les éléments à décharge, ni les explications fournies par les prévenus, et avait écarté les éléments pouvant être favorables à ceux-ci pour ne retenir que ceux qui leur était défavorable. L'enquête avait été menée en violation de la présomption d'innocence et en violation des droits de la défense. En outre, la complexité de l'affaire ne pouvait justifier la longueur de la procédure, les prévenus étant jugés entre onze et treize ans depuis leur première audition.
32.  Enfin, le tribunal affirma que, s'agissant d'exceptions relatives à l'ordre public, les irrégularités, omissions et causes de nullité, pouvaient être de nouveau débattues, même si elles avaient été écartées par la chambre des mises en accusation, un pourvoi formé immédiatement ayant été en outre rejeté.
33.  Le ministère public interjeta appel contre ce jugement devant la cour d'appel de Liège.
34.  Par un arrêt du 10 juin 2009, la cour d'appel, réformant le jugement attaqué, déclara recevables les poursuites exercées à charge du requérant, précisa que le dernier fait commis par lui et visé à l'une des préventions était non établi et constata, pour le surplus, l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription. Pour déclarer les poursuites recevables, la cour d'appel se fonda sur l'article 235bis § 5 du code d'instruction criminelle (CIC) et conclut que tous les moyens invoqués par le requérant ayant déjà été examinés par la chambre des mises en accusation dans son arrêt du 15 janvier 2007, le juge du fond ne pouvait plus examiner ces moyens tirés de l'irrecevabilité des poursuites. Enfin, elle laissa les frais des deux instances à la charge de l'Etat.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
35.  Les articles pertinents du CIC disposent :
Article 21ter
« Si la durée des poursuites pénales dépasse le délai raisonnable, le juge peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi.
Si le juge prononce la condamnation par simple déclaration de culpabilité, l'inculpé est condamné aux frais et, s'il y a lieu, aux restitutions. La confiscation spéciale est prononcée. »
Article 235bis § 5
« Les irrégularités, omissions ou causes de nullités visées à l'article 131, § 1er, ou relatives à l'ordonnance de renvoi, et qui ont été examinées devant la chambre des mises en accusation ne peuvent plus l'être devant le juge du fond, sans préjudice des moyens touchant à l'appréciation de la preuve ou qui concernent l'ordre public. Il en va de même pour les causes d'irrecevabilité ou d'extinction de l'action publique, sauf lorsqu'elles ne sont acquises que postérieurement aux débats devant la chambre des mises en accusation. Les dispositions du présent paragraphe ne sont pas applicables à l'égard des parties qui ne sont appelées dans l'instance qu'après le renvoi à la juridiction de jugement, sauf si les pièces sont retirées du dossier conformément à l'article 131, § 2, ou au § 6 du présent article. »
Article 136
« La chambre des mises en accusation contrôle d'office le cours des instructions, peut d'office demander des rapports sur l'état des affaires et peut prendre connaissance des dossiers. (...)
Si l'instruction n'est pas clôturée après une année, la chambre des mises en accusation peut être saisie par une requête motivée adressée au greffe de la cour d'appel par l'inculpé ou la partie civile. La chambre des mises en accusation agit conformément à l'alinéa précédent et à l'article 136 bis. La chambre des mises en accusation statue sur la requête par un arrêt motivé, qui est communiqué au procureur général, à la partie requérante et aux parties entendues. Le requérant ne peut déposer de requête ayant le même objet avant l'expiration du délai de six mois à compter de la dernière décision. »
Article 136bis
« Le procureur du Roi fait rapport au procureur général de toutes les affaires sur lesquelles la chambre du conseil n'aurait point statué dans l'année à compter du premier réquisitoire.
S'il l'estime nécessaire pour le bon déroulement de l'instruction, la légalité ou la régularité de la procédure, le procureur général prend, à tout moment, devant la chambre des mises en accusation, les réquisitions qu'il juge utiles.
Dans ce cas, la chambre des mises en accusation peut, même d'office, prendre les mesures prévues par les articles 136, 235 et 235 bis.
Le procureur général est entendu.
La chambre des mises en accusation peut entendre le juge d'instruction en son rapport, hors la présence des parties si elle l'estime utile. Elle peut également entendre la partie civile, l'inculpé et leurs conseils, sur convocation qui leur est notifiée par le greffier, par télécopie ou par lettre recommandée à la poste, au plus tard quarante huit heures avant l'audience. »
36.  Les articles 1382 et 1383 du code civil se lisent ainsi :
Article 1382
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par lequel il est arrivé, à le réparer. »
Article 1383
« Chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION
37.  Le requérant allègue une violation de la présomption d'innocence, d'une part, par les enquêteurs qui ont mené l'enquête administrative et qui ont fait preuve d'un parti pris manifeste et, d'autre part, par le juge d'instruction qui n'aurait pas réagi face à la manière dont l'enquête était réalisée et qui se serait ainsi appropriée les irrégularités de celle-ci. Il invoque l'article 6 § 2 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
A.  Sur la recevabilité
38.  A titre principal, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours par le requérant. Il soutient que l'examen de l'affaire devant les juridictions de fond constituait, en l'espèce, une voie de recours à épuiser avant la saisine de la Cour, car la présomption d'innocence est garantie par le droit de contradiction dont les parties disposent devant ces juridictions et par l'impartialité avec laquelle le juge du fond apprécie les éléments de preuve apportés devant lui.
39.  Le Gouvernement invoque en sa faveur le considérant du jugement du tribunal correctionnel du 19 juin 2008 selon lequel, s'agissant d'exceptions relatives à l'ordre public, les irrégularités, omissions et causes de nullité, peuvent être de nouveau débattues, même si elles ont été écartées par la chambre des mises en accusation.
40.  Le Gouvernement prétend que l'article 235bis § 5 n'empêche en rien que l'objectivité des verbaliseurs dans la rédaction de leur procès verbaux soit contestée devant les juridictions de fond et ce, même après avoir fait l'objet de débats et décisions devant les juridictions d'instruction et que la Cour de cassation ait statué sur un pourvoi interjeté contre une décision d'une telle juridiction. L'affaire ayant été renvoyée devant les juridictions de fond, cette voie de recours s'ouvre automatiquement aux prévenus, dont le requérant. Il appartenait ensuite à celui-ci d'user de son droit de contradiction durant l'audience pour contester l'objectivité des verbaliseurs dans la rédaction des procès verbaux.
41.  Le requérant souligne qu'il était contraint, par prudence, d'invoquer, dès le moment où il a introduit sa requête devant la Cour, le grief tiré de la violation de la présomption d'innocence car, à ce moment-là, il était dans l'impossibilité de savoir si l'arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2007 constituait une décision définitive à l'égard de ce grief compte tenu de l'article 235bis § 5. De plus, le requérant allègue que dans la mesure où la violation de la présomption d'innocence est avérée dès le stade de l'instruction, cette violation doit pouvoir être constatée à ce stade sans devoir attendre l'examen de l'affaire au fond.
42.  La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes. A cet égard, elle souligne que tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l'occasion que l'article 35 § 1 a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre lui (Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, p. 19, § 36). Néanmoins, les dispositions de l'article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent l'épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues (voir notamment les arrêts Vernillo c. France du 20 février 1991, série A no 198, § 27 et Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, § 38).
43.  La Cour note que dans son arrêt du 10 juin 2009, la cour d'appel de Liège a déclaré les poursuites recevables et, par conséquent, a écarté les arguments invoqués par le requérant quant à l'irrecevabilité de celles-ci. Se fondant sur l'article 235bis § 5, la cour d'appel a jugé que tous les moyens tirés de l'irrecevabilité des poursuites invoqués par le requérant (y compris la question de la présomption d'innocence) ayant déjà été examinés par la chambre des mises en accusation dans son arrêt du 15 janvier 2007, le juge du fond ne pouvait plus les examiner. Certes, à la date de la communication de la requête au Gouvernement, la cour d'appel de Liège n'avait pas encore statué, mais ses conclusions infirment la thèse du Gouvernement selon laquelle, s'agissant d'exceptions relatives à l'ordre public, les irrégularités, omissions et causes de nullité peuvent être de nouveau débattues, même si elles ont été écartées par la chambre des mises en accusation.
44.  Il convient dès lors de rejeter l'exception du Gouvernement sur ce point.
B.  Sur le fond
45.  Le Gouvernement soutient que les procès-verbaux litigieux n'étaient pas publics et, par conséquent, on ne peut pas considérer que l'innocence présumée du requérant ait été publiquement ébranlée. Le pouvoir de décision des enquêteurs quant au résultat de la procédure est inexistant. Les constatations des enquêteurs sont examinées par les juridictions comme faisant partie du dossier. A cet égard, les procès-verbaux sont soumis à la contradiction des parties, notamment devant les juridictions de fond et sont appréciés de manière impartiale par les juges.
46.  Le Gouvernement souligne que si les enquêteurs ne peuvent communiquer leurs opinions personnelles dans les procès-verbaux, ils peuvent faire état de leurs constatations et conclusions. La force probante qui s'attache aux procès-verbaux ne concerne que les faits matériels et non pas les appréciations du verbalisateur.
47.  Le Gouvernement se livre à un examen des propos des enquêteurs en citant plusieurs extraits des procès-verbaux afin de démontrer que ceux-ci ne pouvaient pas porter atteinte à la présomption d'innocence du requérant.
48.  Le requérant reproche au Gouvernement de tenter de justifier longuement dans ses observations le comportement et les propos tenus par l'enquêteur dans ses procès-verbaux. De cette manière, il ne fait que continuer à violer la présomption d'innocence. La position du Gouvernement est d'autant plus blessante qu'au moment où il a rédigé ses observations, il avait parfaitement connaissance du jugement du 19 juin 2008. Le requérant soutient qu'une publicité a été donnée aux procès-verbaux litigieux puisqu'il a fait l'objet d'un procès public devant le tribunal correctionnel, puis devant la cour d'appel. Des articles sont également parus dans la presse au stade de l'instruction en novembre 1995, lors des perquisitions, et puis en mars 2008, suite aux audiences devant le tribunal correctionnel.
49.  La Cour rappelle que la présomption d'innocence consacrée par le paragraphe 2 de l'article 6 figure parmi les éléments du procès pénal équitable exigé par le paragraphe 1 (voir notamment les arrêts Deweer c. Belgique du 27 février 1980, série A no 35, p. 30, § 56, Minelli c. Suisse du 25 mars 1983, série A no 62, p. 15, § 27, Allenet de Ribemont c. France du 10 février 1995, série A no 308, p. 16, § 35, et Bernard c. France du 23 avril 1998, § 37).
50.  L'article 6 § 2 régit l'ensemble de la procédure pénale, indépendamment de l'issue des poursuites, et non le seul examen du bien-fondé de l'accusation (Minelli, précité, § 30).
51.  Cette disposition garantit à toute personne de ne pas être désignée ni traitée comme coupable d'une infraction avant que sa culpabilité n'ait été établie par un tribunal (voir, mutatis mutandis, Allenet de Ribemont, précité, pp. 16-17, §§ 35-36, et Y.B. et autres c. Turquie, arrêt du 28 octobre 2004, § 43). Dès lors, elle exige, entre autres, qu'en remplissant leurs fonctions, les membres du tribunal ne partent pas de l'idée préconçue que le prévenu a commis l'acte incriminé (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, arrêt du 6 décembre 1988, série A no 146, § 77). La présomption d'innocence se trouve atteinte par des déclarations ou des décisions qui reflètent le sentiment que la personne est coupable, qui incitent le public à croire en sa culpabilité ou qui préjugent de l'appréciation des faits par le juge compétent (Y.B. et autres, précité, § 50).
52.  Avec le Gouvernement, la Cour estime qu'il convient de distinguer la présente affaire des arrêts précités Allenet de Ribeaumont et Y.B. et autres dans lesquels elle a constaté une violation de la présomption d'innocence car les autorités avaient fait des déclarations publiques, notamment à la presse, qui incitaient le public à croire en la culpabilité des requérants et préjugeaient de l'appréciation des faits par les juges compétents.
53.  La Cour note, en premier lieu, que les procès-verbaux litigieux constituaient la base du dossier répressif qui a servi pour engager les poursuites contre le requérant. Ces procès-verbaux étaient établis par l'inspecteur principal du service d'enquêtes du comité supérieur de contrôle du ministère des travaux publics. Il ne s'agissait donc pas de documents émanant d'un juge d'instruction ou d'un membre d'une formation judiciaire ayant eu à juger le requérant
54.  La Cour relève par la suite que la chambre du conseil a considéré que la présomption d'innocence avait été violée en raison du parti pris adopté dès le départ par l'inspecteur principal tout au long du dossier et se manifestant par des considérations, non seulement peu objectives, mais résolument partisanes. La chambre du conseil a conclu ainsi : « S'il n'est pas exigé de la part des enquêteurs qu'ils enquêtent à charge et à décharge, il ne se conçoit pas qu'ils se muent en accusateur, en violation de la présomption d'innocence ».
55.  Toutefois, au moment de l'introduction de la requête, l'affaire du requérant n'avait pas encore été portée devant les juridictions de fond. La Cour considère que l'on ne saurait apprécier s'il y a eu violation de la présomption d'innocence sur la base du seul examen de la phase d'instruction sans examiner d'abord si le requérant a disposé d'un droit de contradiction effectif devant les juridictions de fond et si ces juridictions ont évalué avec impartialité tous les éléments portés devant elles, notamment les procès-verbaux rédigés par l'enquêteur. On pourrait en fait se demander si, eu égard au contexte et au stade auquel les déclarations et considérations incriminées ont été utilisées, l'inspecteur visait non la question de savoir si la culpabilité du requérant était établie, mais celle de savoir si le dossier renfermait suffisamment d'éléments pour justifier le renvoi du requérant en jugement.
56.  Or, la Cour ne perd pas de vue les constats du tribunal correctionnel dans son jugement du 19 juin 2008. Selon ce tribunal, dès son premier procès-verbal, l'inspecteur principal avait fait fi des explications qui lui étaient apportées ; il avait pris le parti que les éventuelles erreurs de l'administration n'en étaient pas et avaient été commises sciemment. Or, ce procès-verbal avait motivé la mise à l'instruction du chef de faux et de corruption. La suite de l'enquête s'est déroulée à partir de ces préjugés. Le tribunal a conclu que l'inspecteur avait initié son enquête avec des a priori défavorables aux prévenus et que les considérations formulées ne résultaient pas d'une analyse rigoureuse des éléments en sa possession mais bien de ses préjugés. Le tribunal concluait que l'enquête avait été menée en violation de la présomption d'innocence et des droits de la défense.
57.  Il ressort effectivement de l'examen du dossier que l'enquêteur a mené son enquête à charge, sans prendre en considération ni les éléments à décharge ni les explications fournies par le requérant. Du reste, dans le volet « P. » du dossier, l'utilisation de certaines expressions par l'enquêteur manifesterait l'attitude partisane de celui-ci : en effet, il relevait que le requérant avait « sciemment contourné toute la réglementation en vigueur », qu'il y avait « manifestement une volonté de ne pas nuire à P. et une complicité dans la fraude », qu'il était « manifeste que la raison des voyages effectués (...) sur le compte des fournisseurs était de passer quelques moments agréables ». De même, dans le volet « S. », l'enquêteur faisait état d'une « mascarade orchestrée par Poncelet » (paragraphes 9-10 ci-dessus).
58.  La Cour note que, statuant sur l'appel interjeté par le ministère public, la cour d'appel de Liège a infirmé les conclusions précitées du tribunal correctionnel. Par son arrêt du 10 juin 2009, elle a réformé le jugement entrepris et déclaré recevables les poursuites exercées à charge du requérant pour constater ensuite l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription en faveur de celui-ci.
59.  La Cour rappelle que l'article 6 ne consacre pas un droit à l'obtention d'un résultat déterminé à l'issue d'un procès pénal ni, par conséquent, au prononcé d'une décision expresse de condamnation ou d'acquittement sur les accusations formulées (Kart c. Turquie [GC], no 8917/05, § 68, 3 décembre 2009). Le fait que des poursuites pénales dirigées contre un accusé ne soient pas conclues par une telle décision expresse ne constitue pas une atteinte à la présomption d'innocence (Withey c. Royaume-Uni (déc.), no 59493/00, 26 août 2003).
60.  A n'en pas douter, l'arrêt de la cour d'appel ne contient aucun motif qui donnerait à penser que celle-ci considère le requérant comme coupable. Toutefois en réformant le jugement du tribunal correctionnel et en déclarant recevables les poursuites contre lui tout en constatant en même temps l'extinction des poursuites par prescription, la cour d'appel a en fait invalidé les effets de la décision de la chambre du conseil du 7 septembre 2006 et le jugement du tribunal correctionnel constatant une atteinte à la présomption d'innocence. Alors que les poursuites contre lui ont été engagées et maintenues en dépit de la méconnaissance de la présomption d'innocence et droits de la défense, comme l'a reconnu du reste le tribunal correctionnel, l'arrêt de la cour d'appel a cristallisé le sentiment que seule la prescription a pu éviter au requérant une condamnation.
61.  Dans la mesure où le Gouvernement évoque l'arrêt Daktaras c. Lituanie (no 42095/98, CEDH 2000-X), la Cour estime que la présente affaire s'en distingue par au moins trois éléments qui lui semblent déterminants. D'une part, dans cet arrêt, était en cause une déclaration du procureur proclamant le requérant coupable ; d'autre part, la procédure avait abouti à la condamnation du requérant ; enfin, et surtout, à la différence de la présente affaire, à aucun moment et par aucune autorité judiciaire,  il n'y avait eu reconnaissance de la violation de la présomption d'innocence du requérant. Il est vrai que la Cour apprécie de manière autonome les faits qui ont amené les juridictions nationales à pencher en faveur de l'une ou de l'autre thèse en matière de présomption d'innocence mais, en l'espèce, elle n'aperçoit aucune raison d'estimer que le constat du tribunal correctionnel était arbitraire.
62.  Dans les circonstances de la cause, la Cour estime que la présomption d'innocence du requérant, garantie par l'article 6 § 2 de la Convention, a été enfreinte.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
63.  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention. Invoquant aussi l'article 13 de la Convention, il se plaint qu'il ne disposait d'aucun recours effectif pour corriger ou réparer les conséquences de la durée déraisonnable de la procédure. Les articles 6 § 1 et 13 sont ainsi libellé :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
64.  Le Gouvernement soutient à nouveau que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes car il n'a pas fait usage des recours prévus par les dispositions suivantes : les articles 21ter, 136 et 136bis du CIC, ainsi que les articles 1382 et 1383 du code civil. Plus particulièrement, concernant le recours prévu par ces derniers articles, le Gouvernement prétend que la chambre des mises en accusation, dans son arrêt du 15 janvier 2007, ne s'était pas prononcée de façon complète et définitive sur le dépassement du délai raisonnable et que la cour d'appel aurait dû se prononcer sur ce point. Comme elle ne l'a pas fait, le requérant aurait dû former un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel quant à la question de l'application de l'article 235bis § 5 par cette dernière. En effet, si une juridiction considère, à son stade, qu'il n'y a pas de dépassement du délai raisonnable, il est possible que celui-ci soit acquis postérieurement et cette possibilité est prise en compte par l'article 235bis § 5.
65.  Le requérant marque son désaccord avec cette thèse. Plus particulièrement, concernant le recours sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, il souligne que la chambre des mises en accusation, dans son arrêt du 15 janvier 2007 confirmé par la Cour de cassation, avait refusé de constater un dépassement du délai raisonnable estimant que cela revenait au juge pénal du fond. Or, « le criminel tient le civil en état ». En outre, à l'issue de la procédure pénale, ce recours n'était toujours pas ouvert au requérant puisque la cour d'appel a refusé d'examiner ce grief. Enfin, ce recours ne peut être considéré comme efficace car il ne peut conduire qu'à l'octroi des dommages-intérêts une fois la procédure pénale clôturée. Or, ce qui importait au requérant était de faire cesser la violation du délai raisonnable dans le cours du déroulement du procès pénal.
66.  La Cour rappelle que dans sa décision Phserowsky c. Belgique (no 52436/07, 7 avril 2009), elle a jugé ainsi :
« Quant au recours fondé sur les articles 1382 et 1383 du code civil, la Cour rappelle que dans sa décision dans l'affaire Depauw c. Belgique, elle a estimé que le recours consacré par l'arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2006, dans l'affaire Ferrara Jung, devait être épuisé aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention. Dans l'affaire Depauw, la Cour a également considéré que l'arrêt de la Cour de cassation avait acquis un degré de certitude suffisant au cours du premier trimestre de l'année 2007, et notamment à partir du 28 mars 2007, de sorte que le requérant, qui avait saisi la Cour bien avant cette date, ne pouvait se voir reprocher de ne pas avoir usé du recours fondé sur l'article 1382 du code civil.
Certes, comme le souligne à juste titre le requérant, la décision Depauw concernait une durée de procédure civile. Toutefois, de l'avis de la Cour, il n'y a aucun obstacle à ce que l'arrêt de la Cour de cassation précité ne puisse pas s'appliquer en matière de longueur de procédure pénale. Le fait que le Gouvernement ne fournisse aucune décision judiciaire statuant dans le sens de l'arrêt de la Cour de cassation est, sans doute dû au peu de temps qui s'est écoulé depuis la date de l'adoption de celui-ci et de celle de la décision Depauw. De plus, la Cour rappelle qu'elle avait déjà fait application de la jurisprudence Depauw en matière pénale dans la décision Beheyt c. Belgique ((déc.), no 41881/02, 9 octobre 2007).
Or, à la date de l'introduction de sa requête devant la Cour, soit le 22 novembre 2007, le requérant était censé connaître, depuis le 28 mars 2007, la jurisprudence la Cour de cassation et tenter un recours sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil. A supposer même que celui-ci eût pu avoir des doutes quant à l'applicabilité de cette jurisprudence en matière pénale et aux chances réelles de succès qu'elle était de nature à offrir, c'est là un point qui aurait dû être soumis aux tribunaux internes eux-mêmes avant de l'être à la Cour. »
67.  La Cour note qu'en l'espèce, le requérant a introduit sa requête le 1er octobre 2007. En dépit du fait que depuis le 28 mars 2007 la Cour n'a aucune information relative à des recours qui auraient été introduits sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, ce qui soulève des interrogations quant à une telle omission, elle n'aperçoit pas, dans les circonstances de l'espèce, de raison de s'écarter de ses conclusions dans l'affaire Phserowsky précitée.
68.  L'exception selon laquelle le recours interne « effectif » pertinent n'a pas été exercé est donc fondée.
69.  Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme irrecevable en application de l'article 35 §§ 1 et 4 in fine de la Convention.
70.  Compte tenu de cette conclusion, la Cour n'a pas à examiner le grief relatif à l'article 13 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
71.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
72.  Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) pour dommage moral. Il prétend que la procédure pénale à son encontre lui a causé d'énormes inquiétudes dans le cadre de sa carrière de fonctionnaire, que son honneur et sa réputation ont été bafoués par cette procédure et les propos tenus à son égard dans le dossier répressif.
73.  Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour.
74.  La Cour estime que le requérant a subi un tort moral incontestable qui n'est pas suffisamment réparé par le constat d'une violation. Par conséquent, statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle lui alloue 5 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.
B.  Frais et dépens
75.  Pour frais et dépens devant les juridictions internes, le requérant demande 20 261,25 EUR et pour ceux devant la Cour 5 151,04 EUR.
76.  Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour.
77.  La Cour note que le requérant fournit un état des frais et honoraires très détaillé qui lui a été adressé par son avocat l'invitant à régler les montants dus après déduction des provisions que le requérant lui avait déjà fait parvenir. Compte tenu des documents en sa possession, de sa jurisprudence en la matière et de la position du Gouvernement, la Cour estime raisonnable d'allouer au requérant 15 000 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant.
C.  Intérêts moratoires
78.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Déclare, à l'unanimité, la requête recevable quant au grief relatif à l'article 6 § 2 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit, par quatre voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 2 de la Convention ;
3.  Dit, par quatre voix contre trois,
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i.  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral;
ii.  15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 mars 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Ireneu Cabral Barreto   Greffière adjointe Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion dissidente commune aux juges I. Cabral-Barreto, V. Zagrebelsky et A. Sajó.
I.C.B.   F.E.P. 
OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES CABRAL BARRETO, ZAGREBELSKY ET SAJÓ
A notre grand regret, nous ne pouvons partager la conclusion de la majorité qui constate, dans la présente affaire, une violation de la présomption d'innocence énoncée à l'article 6 § 2 de la Convention. Nous expliquons ici les raisons de notre position.
Nous notons au préalable que les événements dont il s'agit se sont entièrement déroulés dans le cadre de la procédure et qu'à aucun moment de celle-ci le requérant n'a été désigné comme coupable d'une infraction pénale (ce qui distingue sa situation de celle examinée par exemple dans l'arrêt Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, série A no 308).
La présomption d'innocence demande que les juges « ne partent pas de l'idée préconçue que le prévenu a commis l'acte incriminé » (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, 6 décembre 1988, § 77, série A no 146). Il nous paraît difficile, voire impossible, d'étendre le même principe aux enquêteurs ou aux membres du parquet sans tenir compte de leurs rôles respectifs par rapport à celui des juges (Daktaras c. Lituanie, no 42095/98, §§ 42-44, CEDH 2000-X), particulièrement dans la phase préalable de l'enquête qui précède la mise en accusation (et pour laquelle l'applicabilité même de l'article 6 peut susciter des doutes).
Si les enquêteurs sont de parti pris, c'est aux juges de le découvrir et d'en empêcher les conséquences négatives pour l'accusé. Il est vrai que le requérant lie son grief également à la conduite du juge d'instruction (paragraphe 37 de l'arrêt), mais la majorité limite ses considérations critiques au seul enquêteur et, à juste titre, ne reproche rien au juge d'instruction. C'est donc seulement la manière dont l'enquêteur a conduit l'enquête qui, selon la majorité, pose problème.
Cela dit, en ce qui concerne la présomption d'innocence par rapport à l'action des enquêteurs, à notre avis dans le cas d'espèce la Cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour conclure que l'inspecteur L.C. a mené l'enquête d'une manière incompatible avec la présomption d'innocence dont devait bénéficier le requérant. L'opinion exprimée en ce sens par la chambre du conseil du tribunal correctionnel le 7 septembre 2006 (paragraphes 19-20 de l'arrêt), sur appel du ministère public, a été renversée par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel (paragraphes 21-25 de l'arrêt), par un arrêt que la Cour de cassation a confirmé (paragraphes 26-27 de l'arrêt). Il est vrai que par la suite l'opinion de la chambre du conseil du tribunal correctionnel a été reprise par celui-ci (paragraphes 30-32 de l'arrêt), mais le jugement du tribunal concluant à l'irrecevabilité des poursuites a été réformé par la cour d'appel (paragraphes 33-34 de l'arrêt). Cette juridiction a dit en particulier, sur la base de l'article 235bis § 5 du code d'instruction criminelle, que le tribunal correctionnel ne pouvait pas réexaminer la question de la recevabilité des poursuites (paragraphe 34 de l'arrêt). Pour ce qui est de la compatibilité de l'attitude de l'enquêteur avec la présomption de l'innocence du requérant, cela signifie que la conclusion définitive à laquelle sont parvenues les autorités internes est celle de la chambre des mises en accusation du 15 janvier 2007. La Cour n'est certes pas liée par la conclusion des juridictions internes sur ce point, mais elle se doit de constater qu'il s'agit d'une conclusion raisonnablement motivée se fondant sur l'ensemble du dossier de la procédure et qu'il n'y a pas de motif suffisant de l'écarter en se prononçant en sens contraire.
ARRÊT PONCELET c. BELGIQUE
ARRÊT PONCELET c. BELGIQUE 
ARRÊT PONCELET c. BELGIQUE – OPINION SÉPARÉE
ARRÊT PONCELET c. BELGIQUE – OPINION SÉPARÉE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 44418/07
Date de la décision : 30/03/2010
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 6-2 ; Préjudice moral - réparation

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES


Parties
Demandeurs : PONCELET
Défendeurs : BELGIQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-03-30;44418.07 ?

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