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27/04/2010 | CEDH | N°7/08

CEDH | AFFAIRE TANASE c. MOLDOVA


GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE TĂNASE c. MOLDOVA
(Requête no 7/08)
ARRÊT
STRASBOURG
27 avril 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Tănase c. Moldova,
La Cour européenne des droits de l'homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,   Françoise Tulkens,   Josep Casadevall,   Ireneu Cabral Barreto,
Corneliu Bîrsan,   Rait Maruste,   Vladimiro Zagrebelsky,   Elisabeth Steiner,   Dean Spielmann,   Sverre Erik Jebens,   Ján Š

ikuta,   Dragoljub Popović,   Isabelle Berro-Lefèvre,   Päivi Hirvelä,   George Nicolaou,   Zdravka Kalay...

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE TĂNASE c. MOLDOVA
(Requête no 7/08)
ARRÊT
STRASBOURG
27 avril 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Tănase c. Moldova,
La Cour européenne des droits de l'homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,   Françoise Tulkens,   Josep Casadevall,   Ireneu Cabral Barreto,
Corneliu Bîrsan,   Rait Maruste,   Vladimiro Zagrebelsky,   Elisabeth Steiner,   Dean Spielmann,   Sverre Erik Jebens,   Ján Šikuta,   Dragoljub Popović,   Isabelle Berro-Lefèvre,   Päivi Hirvelä,   George Nicolaou,   Zdravka Kalaydjieva,   Mihai Poalelungi, juges,  et de Michael O'Boyle, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 septembre 2009 et le 10 mars 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 7/08) dirigée contre la République de Moldova et dont deux ressortissants moldaves et roumains, M. Alexandru Tănase et M. Dorin Chirtoacă (« les requérants »), ont saisi la Cour le 27 décembre 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants ont été représentés par Me J. Hanganu, avocate à Chişinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V. Grosu.
3.  Les requérants alléguaient en particulier la violation de leur droit de se présenter à des élections libres et d'exercer leur mandat parlementaire s'ils étaient élus, dans des conditions assurant la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif telle que garantie par l'article 3 du Protocole no 1 à la Convention. Ils dénonçaient également une violation de l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1.
4.  La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Dans un arrêt du 18 novembre 2008 sur la recevabilité et le fond, une chambre de ladite section composée des juges dont le nom suit : Nicolas Bratza, Lech Garlicki, Giovanni Bonello, Ljiljana Mijović, David Thór Björgvinsson, Ledi Bianku et Mihai Poalelungi, ainsi que de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section, a déclaré, à la majorité, la requête irrecevable en ce qui concerne M. Chirtoacă ; a déclaré, à l'unanimité, la requête recevable en ce qui concerne M. Tănase ; a conclu, à l'unanimité, à la violation de l'article 3 du Protocole no 1 à la Convention ; et a dit, à l'unanimité, qu'il n'y avait pas lieu d'examiner séparément le grief tiré de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 3 du Protocole no 1.
5.  Le 6 avril 2009, à la suite d'une demande du Gouvernement, le collège de la Grande Chambre a décidé de renvoyer l'affaire à la Grande Chambre en vertu de l'article 43 de la Convention.
6.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. Le juge Jean-Paul Costa n'ayant pu prendre part aux deuxièmes délibérations, le juge Peer Lorenzen a assumé la présidence de la Grande Chambre lors de l'examen de la requête, et le juge Corneliu Bîrsan, premier suppléant, est devenu membre à part entière de la Grande Chambre (article 11 du règlement).
7.  Tant M. Tănase, le requérant restant, que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire. Des observations ont également été reçues du gouvernement roumain, qui avait exercé son droit d'intervenir (article 36 § 1 de la Convention et article 44 § 1 b) du règlement).
8.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 16 septembre 2009 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le gouvernement défendeur  M. V. Grosu,  agent ;
–  pour le requérant  Mme J. Hanganu,  conseil ;
–  pour le gouvernement roumain  M. R.-H. Radu,  agent,  Mmes D. Tase,   I. Popescu,   I. Cioponea,  conseillères.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Grosu, Mme Hanganu et M. Radu.
9.  A la suite de certains faits nouveaux survenus après l'audience (paragraphes 68 à 70 ci-dessous), le requérant a indiqué qu'il ne souhaitait pas que l'affaire fût rayée du rôle de la Cour.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
10.  Le requérant est né en 1971 et réside à Chişinău. Homme politique moldave, il est de souche roumaine.
A.  Le contexte historique
11.  C'est en 1359 que la Principauté de Moldavie fit son apparition en tant qu'Etat indépendant. Son territoire s'étendait alors entre les Carpates orientales, le Dniestr et la mer Noire, zone qui englobe aujourd'hui la Moldova, une partie de la Roumanie et une partie de l'Ukraine. La population de la Principauté parlait la même langue et avait les mêmes origines que les populations de la Valachie et de la Transylvanie (qui font toutes deux partie de la Roumanie actuelle).
12.  Au XVe siècle, la Moldavie accepta la suzeraineté de l'Empire ottoman.
13.  A la suite de la guerre russo-turque de 1806-1812, la partie orientale de la Principauté de Moldavie, délimitée par le Dniestr à l'est et la rivière Prout à l'ouest, fut annexée par l'Empire russe. Elle fut rebaptisée Bessarabie.
14.  En 1859, la partie occidentale de la Principauté de Moldavie s'unit à la Valachie pour former un nouvel Etat. A partir de 1861, ce nouvel Etat fut connu sous le nom de Roumanie. En 1877, la Roumanie devint indépendante à l'égard de l'Empire ottoman.
15.  Début 1918, la Bessarabie proclama son indépendance vis-à-vis de la Russie et, le 27 mars 1918, elle s'unit à la Roumanie. La population de la Bessarabie devint roumaine.
16.  L'Union soviétique ne reconnut pas la réunion de la Bessarabie et de la Roumanie. Le 28 juin 1940, à la suite de la conclusion du Pacte Molotov-Ribbentrop entre l'Allemagne nazie et l'Union soviétique, celle-ci réannexa le territoire de la Bessarabie.
17.  A l'issue de la Seconde Guerre mondiale, une partie de la Bessarabie correspondant à environ 70 % de son territoire et à quelque 80 % de sa population devint la République socialiste soviétique de Moldavie (devenue République socialiste soviétique de Moldova en 1990). Le reste du territoire de la Bessarabie fut intégré à la République socialiste soviétique d'Ukraine. Les habitants de la Bessarabie perdirent la nationalité roumaine et acquirent la citoyenneté soviétique. La Roumanie devint quant à elle un Etat satellite de l'Union soviétique.
18.  Après l'effondrement de l'Union soviétique, le Parlement de la République de Moldova, dans sa déclaration d'indépendance du 27 août 1991, condamna notamment l'annexion par la Russie du territoire de la Principauté de Moldavie en 1812 ainsi que l'annexion par l'Union soviétique du territoire pris à la Roumanie en 1940, et proclama l'indépendance du pays dans les frontières de l'ancienne République socialiste soviétique de Moldavie. Peu après, la Moldova rejoignit les Nations unies et fut reconnue par la communauté internationale.
B.  La nationalité depuis l'indépendance
19.  En 1991, le Parlement de la République de Moldova adopta une loi sur la nationalité et proclama citoyens moldaves, notamment, toutes les personnes ayant vécu sur le territoire de l'ancienne République socialiste soviétique de Moldavie avant l'annexion soviétique, ainsi que leurs descendants.
20.  En tant que descendant de personnes ayant vécu sur le territoire de la République de Moldova avant le 28 juin 1940, le requérant obtint la nationalité moldave.
21.  Egalement en 1991, le Parlement roumain adopta une nouvelle loi sur la nationalité, en vertu de laquelle les personnes qui avaient perdu la nationalité roumaine avant 1989 pour des raisons ne pouvant leur être imputées, ainsi que leurs descendants, avaient la possibilité de recouvrer cette nationalité.
22.  Initialement, l'article 18 de la Constitution moldave (adoptée le 29 juillet 1994 et entrée en vigueur le 27 août 1994) interdisait aux ressortissants moldaves, sauf cas exceptionnels, de posséder la nationalité d'un autre Etat, quel qu'il soit. Dans la pratique, cette interdiction se révéla toutefois inopérante, car de nombreux Moldaves d'origine roumaine se prévalurent des dispositions de la loi roumaine pour se faire réintégrer dans la nationalité roumaine. Dans le même temps, beaucoup de Moldaves ayant d'autres origines acquirent d'autres nationalités (russe, ukrainienne, bulgare ou encore turque).
23.  En 2002, les dispositions constitutionnelles moldaves interdisant la pluralité de nationalités furent abrogées.
24.  Le 5 juin 2003, pour faire suite à cette mesure, le Parlement moldave modifia la loi sur la nationalité en supprimant la restriction qui jusque-là empêchait les ressortissants moldaves de posséder une autre nationalité (paragraphe 74 ci-dessous). Selon les nouvelles dispositions, les plurinationaux ont les mêmes droits que les personnes qui possèdent uniquement la nationalité moldave, sans exception (paragraphe 75 ci-dessous).
25.  A une date qui n'a pas été précisée, le requérant acquit la nationalité roumaine. Le passeport roumain qu'il détient aujourd'hui lui fut délivré en décembre 2005. Par la suite, l'intéressé annonça publiquement qu'il possédait la nationalité roumaine.
26.  On ignore le nombre total de Moldaves qui ont obtenu la nationalité roumaine depuis 1991, le gouvernement roumain n'ayant jamais rendu cette information publique ; on estime cependant que de 95 000 à 300 000 Moldaves ont acquis cette nationalité entre 1991 et 2001. Le 4 février 2007, le président de la Roumanie déclara lors d'une interview qu'environ 800 000 demandes de nationalité roumaine déposées par des Moldaves étaient pendantes et que son gouvernement s'attendait à ce que ce chiffre atteigne 1,5 million (sur un total de 3,8 millions de citoyens moldaves) à la fin de l'année 2007.
27.  Le nombre de Moldaves possédant une seconde nationalité autre que la nationalité roumaine n'est pas non plus connu, mais il semble qu'il soit très élevé et qu'en termes de popularité la nationalité russe occupe le deuxième rang après la nationalité roumaine. Le 16 septembre 2008, l'ambassadeur de Russie en Moldova affirma lors d'un entretien télévisé que l'on dénombrait environ 120 000 Moldaves titulaires de passeports russes sur les deux rives du Dniestr (c'est-à-dire dans l'ensemble de la Moldova).
28.  Le gouvernement moldave a indiqué dans ses observations à l'intention de la chambre qu'un tiers de la population de Transnistrie possédait deux nationalités, et V. Mişin, député communiste, a avancé lors des débats parlementaires sur la loi no 273 (paragraphe 78 à 81 ci-dessous) que le nombre total de Moldaves binationaux était d'environ 500 000.
C.  Aperçu de l'évolution politique de la Moldova avant la réforme électorale de 2008
29.  Pendant la dernière décennie et jusqu'aux élections de 2009, le Parti communiste de Moldova, étant le plus largement représenté au Parlement, domina la scène politique nationale.
30.  Outre le Parti communiste, la Moldova comptait plus de vingt-cinq partis politiques, nettement moins influents toutefois que le premier et difficiles à recenser précisément en raison de fluctuations constantes. La faiblesse comparative de ces partis explique que très peu d'entre eux soient parvenus à franchir le seuil électoral de 6 %, condition imposée lors de précédents scrutins législatifs pour obtenir des sièges au Parlement.
31.  Lors des élections de 2001, le Parti populaire démocrate-chrétien, en recueillant environ 8 % des voix, fut, mis à part le Parti communiste, le seul sur les vingt-sept partis en lice à atteindre individuellement le seuil électoral. Six autres partis totalisèrent quelque 13 % des suffrages après avoir constitué un bloc électoral (une liste commune). Le Parti communiste remporta environ 50 % des voix et, après répartition proportionnelle des suffrages perdus, obtint 71 sièges de députés sur 101.
32.  En 2002, la Moldova modifia sa législation électorale. Elle maintint le seuil électoral de 6 % applicable aux partis individuels mais instaura pour les blocs électoraux un nouveau seuil qui, fixé à 9 % pour les blocs de deux partis, montait à 12 % pour les blocs de trois partis ou plus.
33.  Lors des élections de 2005, sur un total de vingt-trois partis en lice, le Parti populaire démocrate-chrétien, avec quelque 9 % des voix, fut à nouveau le seul en dehors du Parti communiste à franchir individuellement le seuil électoral. Trois autres partis unis en un bloc électoral recueillirent environ 28 % des suffrages. Le Parti communiste remporta près de 46 % des voix et, après répartition proportionnelle des suffrages perdus, obtint 56 sièges de députés sur 101.
34.  En juillet 2005, face aux critiques persistantes de certains observateurs internationaux et du Conseil de l'Europe, le Parlement amenda une nouvelle fois le code électoral, fixant le seuil électoral à 4 % pour les partis individuels et à 8 % pour les blocs, indépendamment du nombre de partis membres. La Commission européenne pour la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe (Commission de Venise) et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) se félicitèrent de l'abaissement du seuil pour les partis individuels et recommandèrent la mise en place d'un seuil voisin pour les blocs électoraux, qui à leurs yeux devaient être encouragés dans l'intérêt d'une meilleure coopération et de la stabilité gouvernementale.
35.  Lors des élections locales de juin 2007, le Parti communiste recueillit quelque 40 % des suffrages au sein des organes législatifs locaux. Compte tenu de l'absence de seuil dans le cadre des élections locales, il devint un parti d'opposition dans la plupart des conseils locaux. A l'issue de ce scrutin, le requérant devint membre du conseil municipal de Chişinău.
36.  L'intéressé fut par la suite élu vice-président du Parti démocrate-libéral, parti d'opposition créé en janvier 2008.
D.  La réforme électorale de 2008
37.  Le 10 avril 2008, le Parlement moldave adopta une réforme de la législation électorale comportant trois grands amendements : le relèvement du seuil électoral de 4 % à 6 %, l'interdiction de toutes formes de blocs et coalitions électoraux, et l'interdiction pour les binationaux ou plurinationaux de devenir députés.
38.  L'amendement concernant ce dernier point fut introduit par le biais de la loi no 273 (paragraphes 78 à 80 ci-dessous), approuvée par le Parlement en première lecture le 11 octobre 2007. Le projet de loi, préparé par le ministère de la Justice, disposait que seules les personnes possédant exclusivement la nationalité moldave pouvaient occuper des postes élevés dans l'administration et divers services publics et se présenter aux élections législatives (paragraphe 78 ci-dessous). Il contenait une disposition spécifique concernant la Transnistrie (paragraphes 80 et 81 ci-dessous).
39.  Dans l'exposé des motifs du projet de loi, le ministre adjoint de la Justice déclarait :
« Après analyse de la situation qui prévaut actuellement dans le pays en matière de nationalité, nous constatons que la tendance des Moldaves à acquérir la nationalité d'autres Etats s'explique par leur souhait d'obtenir des privilèges tels que le droit de voyager sans restrictions au sein de l'Union européenne, des avantages sociaux et des possibilités en termes de réunification familiale, d'emploi et d'études.
En même temps, une personne qui possède la nationalité d'un autre Etat a des obligations politiques et juridiques envers cet Etat. Un conflit d'intérêts peut surgir lorsqu'il existe des obligations à la fois envers la République de Moldova et envers l'autre Etat dont l'intéressé est un ressortissant.
Compte tenu de ces éléments et aux fins de remédier à la situation, nous estimons raisonnable de modifier la législation en vigueur de manière à interdire la fonction publique aux personnes qui possèdent plusieurs nationalités (...)
Cela ne signifie toutefois pas que les personnes concernées ne pourront travailler en République de Moldova ; elles pourront pratiquer leurs activités professionnelles dans des domaines qui n'impliquent pas l'exercice de la puissance publique (...) »
40.  Au cours des débats parlementaires, de nombreux membres de l'opposition demandèrent que le projet de loi fût soumis au Conseil de l'Europe en vue d'une expertise préalable, mais la majorité vota contre cette proposition. L'opposition fut néanmoins invitée à contester la nouvelle loi devant la Cour constitutionnelle de Moldova, ce qu'elle ne fit pas à l'époque (voir cependant les paragraphes 54 à 58 ci-dessous). Les députés de l'opposition furent nombreux à estimer que le projet d'amendement interdisant la députation aux plurinationaux était incompatible avec l'article 17 de la Convention européenne sur la nationalité (paragraphes 83 à 85 ci-dessous), mais le ministre adjoint de la Justice exprima un avis contraire et considéra qu'en toute hypothèse il était loisible au Parlement de dénoncer cette Convention s'il y avait incompatibilité.
41.  Le 7 décembre 2007, le projet de loi fut approuvé par le Parlement en dernière lecture (paragraphe 78 ci-dessous). Le président de la République refusa toutefois de promulguer le texte et le renvoya au Parlement pour un nouvel examen.
42.  En conséquence, le projet fut encore amendé et la liste des postes de l'administration et de la fonction publique inaccessibles aux plurinationaux fut raccourcie. Les dispositions relatives aux élections législatives furent également modifiées, de manière à autoriser les binationaux et les plurinationaux à se présenter à ces scrutins ; toutefois, avant de faire enregistrer leur candidature, les intéressés devaient informer la Commission électorale centrale qu'ils possédaient une autre nationalité et, avant validation par la Cour constitutionnelle de leur mandat de député, ils devaient renoncer à cette nationalité ou engager une procédure à cet effet (paragraphe 79 ci-dessous).
43.  Le 10 avril 2008, le nouveau projet de loi fut soumis au Parlement par la commission des lois du Parlement. Comme cela a été indiqué plus haut, il fut adopté à cette date. Compte tenu des modifications apportées par la loi no 273, une exception fut introduite dans la disposition de la loi sur la nationalité qui concerne l'égalité des citoyens, de manière à permettre une différence de traitement dans les cas prévus par la loi (paragraphes 24 ci-dessus et 75 ci-dessous)
44.  Le 29 avril 2008, le président de la République promulgua la loi adoptée par le Parlement le 10 avril. Le 13 mai 2008, le texte fut publié au Journal officiel et entra ainsi en vigueur. Les deux autres amendements à la législation électorale (paragraphe 37 ci-dessus) furent également adoptés et entrèrent en vigueur en mai 2008.
E.  Réactions internationales à la réforme électorale
1.  La Commission du Conseil de l'Europe contre le racisme et l'intolérance
45.  Le 29 avril 2008, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) rendit public un rapport adopté le 14 décembre 2007, dans lequel elle exprimait sa préoccupation face aux amendements relatifs à la possession de deux ou plusieurs nationalités :
« 16.  L'ECRI note avec intérêt que l'article 25 de la loi sur la nationalité, en pleine conformité avec l'article 17 de la Convention européenne sur la nationalité que [la] Moldova a ratifiée, dispose que les citoyens moldaves qui possèdent une autre nationalité et qui ont leur résidence légale et habituelle en Moldova ont les mêmes droits et devoirs que les autres citoyens moldaves. A ce sujet, l'ECRI tient à faire part de sa préoccupation face à un projet de loi portant modification de certains textes législatifs adoptés en première lecture par le parlement le 11 octobre 2007. Selon ce projet de loi, seules les personnes ayant exclusivement la nationalité moldave sont habilitées à occuper des postes élevés dans l'administration et dans plusieurs services publics. D'après les informations qu'elle a reçues, l'ECRI croit comprendre qu'au cas où ce projet de loi entrerait en vigueur sous sa forme actuelle, les citoyens moldaves ayant plusieurs nationalités seraient très désavantagés par rapport aux autres citoyens moldaves dans l'accès à des fonctions publiques. Il semble donc que si la loi entre en vigueur en l'état, cela pourrait conduire à une discrimination, c'est-à-dire une différence de traitement injustifiée, sur la base de la nationalité. L'ECRI croit savoir qu'au moment où le présent rapport a été rédigé, un vaste débat portait en Moldova sur ce projet de loi et que de nombreuses sources, tant au niveau national qu'au niveau international, ont souligné la nécessité de procéder à une révision complète du texte avant son adoption définitive pour qu'il soit compatible avec les normes nationales et internationales.
18.  L'ECRI recommande vivement aux autorités moldaves de réviser le projet de loi du 11 octobre 2007 (...) afin de s'assurer que ce projet ne porte pas atteinte au principe de non-discrimination pour des raisons liées à la nationalité ni ne remette en question tous les avantages résultant des modifications récemment apportées à la loi sur la nationalité visant à autoriser la pluralité de nationalités. »
2.  La Commission de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe
46.  Dans un rapport du 14 septembre 2007 intitulé « Respect des obligations et des engagements de la Moldova », la Commission de l'Assemblée parlementaire pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (la « Commission pour le respect des obligations ») observa :
« 20.  L'Assemblée apprécie les efforts des autorités moldaves pour évaluer le degré de mise en œuvre des recommandations des experts du Conseil de l'Europe. Cependant, tous les nouveaux projets de loi touchant des domaines en rapport avec les engagements pris à l'égard du Conseil de l'Europe doivent être soumis aux experts de ce dernier et discutés avec eux préalablement à leur adoption. »
47.  Dans un rapport postérieur du 9 juin 2008, intitulé « La situation de la démocratie en Europe : le fonctionnement des institutions démocratiques en Europe et l'évolution de la procédure de suivi de l'Assemblée », la Commission pour le respect des obligations a notamment déclaré :
« 80.  Dans leur rapport de 2007 sur le respect des obligations et engagements de la Moldova (Doc. 11374), les corapporteurs de la commission saluaient les modifications apportées au Code électoral en 2005. Plus précisément, le seuil pour les partis se présentant seuls avait été ramené à 4 % et à 8 % pour les coalitions (...)
82.   La commission de suivi est très inquiète des nouvelles modifications apportées au code électoral. En avril 2008, le Parlement moldove a relevé le seuil des listes de partis à 6 % et a interdit la constitution de « blocs électoraux » – listes conjointes présentées par un groupe de partis politiques. Ces mesures sont préoccupantes et la commission a décidé de procéder à un échange de vues avec la délégation moldove dans les plus brefs délais, le 15 avril. La législation électorale ne peut pas être modifiée tous les deux ou trois ans pour satisfaire des impératifs politiques. Elle doit permettre à un large éventail de partis de participer au processus démocratique afin de contribuer à l'établissement d'institutions démocratiques vraiment pluralistes. Les corapporteurs vont examiner de près les dernières modifications ainsi que leurs raisons sous-jacentes lors de l'observation des préparatifs des prochaines élections parlementaires prévues pour le printemps 2009. »
3.  L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
48.  L'Assemblée parlementaire exprima également son inquiétude dans sa Résolution no 1619 (2008) sur la situation de la démocratie en Europe, adoptée le 25 juin 2008 :
« 5.3 (...) [L]'Assemblée (...) déplore (...) la récente décision prise par le Parlement moldove de relever [le] seuil [électoral] à 6 % pour les listes des partis (...) »
49.  Dans sa Résolution 1666 (2009) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Moldova, l'Assemblée parlementaire se déclara très préoccupée :
« (...) par le fait que les autorités moldoves [s'étaient] conformées partiellement aux précédentes recommandations concernant l'amélioration du processus électoral et le renforcement des institutions démocratiques de l'Etat avant les élections législatives du 5 avril 2009. Les amendements apportés au Code électoral en avril 2008 ont augmenté le seuil électoral de 4 à 6 %, ne prévoient pas de coalitions électorales de partis politiques et d'organisations politico-sociales et ont mis en place une interdiction d'exercer une haute fonction publique pour les citoyens moldoves ayant plusieurs nationalités. L'effet combiné de ces amendements a été de limiter les possibilités pour plusieurs forces politiques de participer efficacement au processus politique, affaiblissant ainsi le pluralisme. »
50.  Elle invita la Moldova :
« 8.1. à reprendre la réforme de la législation électorale, en coopération avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), afin de réduire le seuil électoral pour les partis politiques, ouvrant ainsi le processus politique à plus de pluralisme (...)
8.2. à suspendre l'application des dispositions du Code électoral, relatives à l'interdiction faite aux personnes ayant plusieurs nationalités d'exercer des hautes fonctions publiques, en attendant que la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme rende sa décision dans l'affaire Tănase et Chirtoacă c. Moldova (...) »
4.  La Commission européenne pour la démocratie par le droit
51.  Le 23 octobre 2008, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) rendit public un rapport sur les modifications apportées au code électoral en avril 2008. Adopté les 17-18 octobre 2008, le rapport (Avis no 484/2008) est critique envers l'ensemble des aspects de la réforme. Quant aux amendements concernant les plurinationaux, il se lit ainsi :
« 30.  Un nouveau paragraphe à l'article 13(2) refuse le droit « d'être élu » lors des élections parlementaires « aux personnes qui ont en plus de la nationalité de la République de Moldova d'autres nationalités pour occuper une fonction de député selon les conditions de l'article 75 ». Or l'article 75(3) dispose qu'une personne peut avoir plusieurs nationalités et présenter sa candidature, à condition de renoncer au moment de l'élection à ses nationalités autres que la nationalité moldave. Cela doit être considéré comme une incompatibilité.
31.  Au-delà de la simple question d'incohérence, la nationalité multiple ne devrait pas figurer parmi les restrictions au droit de se présenter aux élections. Le Code de bonne conduite en matière électorale cite la Convention européenne sur la nationalité, ratifiée par la Moldova en novembre 1999, qui dispose sans ambiguïté que « les ressortissants d'un Etat partie détenteurs d'une autre nationalité devraient avoir, sur le territoire de l'Etat partie dans lequel ils résident les mêmes droits et devoirs que les autres ressortissants de cet Etat partie ».
32.  Qui plus est, cette limitation pourrait constituer une violation de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à savoir de l'article 3 du Premier Protocole et de l'article 14 de la Convention. »
5.  Autres critiques formulées au niveau international
52.  Le 27 mai 2008, lors d'une réunion du Conseil de coopération UE-Moldova à Bruxelles, le ministre slovène des Affaires étrangères, alors président du Conseil des Affaires générales et des relations extérieures de l'UE, déclara qu'il était important que la Moldova menât son scrutin législatif de 2009 conformément aux normes internationales, et exprima son inquiétude face aux derniers amendements à la législation électorale qui avaient notamment relevé le seuil électoral à 6 %.
53.  Les préoccupations suscitées par la réforme électorale furent également évoquées le 9 juillet 2008 par le président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, à l'occasion d'un discours devant le Parlement moldave :
« (...) [J]e vous encourage vivement à obtenir l'aval de la Commission de Venise au sujet des derniers changements dans le cadre législatif qui s'appliquera aux prochaines élections, notamment en ce qui concerne le seuil électoral, les blocs électoraux et la double citoyenneté. Ce sont des questions délicates et il est nécessaire de trouver le bon équilibre entre les préoccupations qui vous ont guidés pour introduire ces dispositions et le souci de la communauté internationale que ces mêmes dispositions soient conformes aux principes du Conseil de l'Europe. »
F.  Le recours formé devant la Cour constitutionnelle
54.  Le 9 décembre 2008, M. Vlad Filat, président du Parti démocrate-libéral, a formé auprès de la Cour constitutionnelle un recours en inconstitutionnalité de la loi no 273.
55.  Par un arrêt du 26 mai 2009, la haute juridiction a jugé que la loi en question était conforme à la Constitution et valide dans son intégralité. Elle a estimé que les dispositions de la loi étaient claires et sans équivoque, accessibles car publiées au Journal officiel, et prévisibles en ce qu'elles permettaient avec une précision suffisante aux citoyens moldaves souhaitant briguer un siège au Parlement mais possédant une autre nationalité de prendre leurs responsabilités afin d'éviter la restriction de leurs droits. Elle a également souligné que la loi n'empêchait pas les binationaux d'accéder à la députation dès lors qu'elle leur offrait la possibilité de se conformer à la législation. Par ailleurs, elle a considéré que les dispositions de la loi en cause étaient conformes aux règles de droit international, et conclu que les divers instruments internationaux permettaient aux Etats de définir des incompatibilités relativement à la plurinationalité des personnes occupant une charge publique.
56.  La Cour constitutionnelle a aussi dit que la loi litigieuse poursuivait un but légitime, à savoir garantir la loyauté envers l'Etat moldave, eu égard à l'importance de la souveraineté de l'Etat et à la nécessité d'un lien politique et juridique permanent entre l'électeur et l'Etat. Elle a estimé que pour un citoyen moldave possédant la nationalité d'un autre Etat, la signification de la nationalité moldave était considérablement réduite du fait que l'intéressé risquait d'être guidé non seulement par les prescriptions constitutionnelles de la Moldova et les intérêts du peuple moldave, mais aussi par les intérêts d'un Etat étranger. Permettre aux députés de posséder deux nationalités était donc contraire au principe constitutionnel d'indépendance du mandat de député, à la souveraineté de l'Etat, à la sécurité nationale et au principe de non-divulgation d'informations confidentielles. A ce propos, la haute juridiction a insisté sur le fait qu'il était devenu d'une urgente nécessité de veiller à la sécurité nationale et de renforcer le statut d'Etat de la Moldova eu égard à certains mouvements tendant à affaiblir l'Etat moldave.
57.  Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a tenu l'ingérence pour proportionnée en ce qu'elle ne portait pas atteinte à la substance des droits électoraux mais subordonnait simplement l'exercice du droit d'être député à la possession exclusive de la nationalité moldave. Les citoyens pouvaient choisir soit d'occuper une fonction exigeant qu'ils aient une seule nationalité, soit de conserver plusieurs nationalités mais d'exercer alors un emploi différent.
58.  Concernant l'argument selon lequel la loi entraînait une inégalité de traitement parmi les citoyens moldaves, la Cour constitutionnelle a estimé qu'il ne fallait pas confondre principe d'égalité et principe d'uniformité. Les personnes ayant plusieurs nationalités ne se trouvaient pas dans la même situation que celles possédant uniquement la nationalité moldave, et en conséquence les deux cas n'étaient pas comparables.
G.  L'évolution politique après la réforme électorale de 2008
59.  Le 5 avril 2009 ont eu lieu des élections législatives. Le Parti communiste a remporté 60 sièges. Les trois partis d'opposition en ont obtenu 41 au total (15 pour le Parti démocrate-libéral ainsi que pour le Parti libéral, et 11 pour l'Alliance « Notre Moldova »). Vingt et un sur les 101 députés élus avaient plus d'une nationalité ou avaient déposé une demande en vue d'obtenir une seconde nationalité, et ont de ce fait été touchés par les dispositions de la loi no 273. Ces vingt et un députés étaient tous membres de partis d'opposition.
60.  A l'issue de ce scrutin, le requérant a lui aussi été élu au Parlement moldave. Pour pouvoir exercer son mandat, il lui fallait engager une procédure de renonciation à la nationalité roumaine ; il a satisfait à cette condition en adressant à l'ambassade de Roumanie à Chişinău une lettre indiquant qu'il était contraint d'entamer des démarches en vue de sa renonciation à la nationalité roumaine mais qu'il se réservait le droit de retirer sa lettre lorsque la Grande Chambre aurait statué sur la présente affaire.
61.  Le 22 avril 2009, la Cour constitutionnelle a validé le mandat du requérant, prenant en considération sa lettre à l'ambassade de Roumanie.
62.  Le Parti communiste a par la suite tenté d'élire un président de la République mais a échoué à deux reprises, faute d'avoir obtenu les soixante et une voix de députés nécessaires. En conséquence, le Parlement a été dissous le 15 juin 2009 et de nouvelles élections législatives ont été fixées au 29 juillet 2009.
63.  Avant sa dissolution, le Parlement avait derechef modifié la législation électorale, abaissant le seuil électoral de 6 % à 5 % et réduisant le seuil obligatoire de participation de 51 % à un tiers des électeurs inscrits. L'opposition avait exprimé son inquiétude face à ces amendements, arguant qu'ils visaient à aider le Parti populaire démocrate-chrétien – allié du Parti communiste pendant la précédente législature – à atteindre le seuil électoral pour pouvoir entrer au Parlement.
64.  Dans l'intervalle, M. Marian Lupu, figure importante du Parti communiste et président du Parlement sous l'ancienne législature, a quitté le Parti communiste pour devenir le chef d'un petit parti, le Parti démocrate, qui n'avait pas franchi le seuil électoral en avril 2009.
65.  Lors du scrutin du 29 juillet 2009, cinq partis ont atteint le seuil électoral. Le Parti communiste a ainsi obtenu 48 sièges, le Parti démocrate-libéral 18, le Parti libéral 15, le Parti démocrate 13, et l'Alliance « Notre Moldova » 7. Ces quatre derniers partis formaient une coalition dénommée « Alliance pour l'intégration européenne », qui a remporté un total de 53 sièges, soit la majorité parlementaire.
66.  Le requérant a été réélu. Son mandat a par la suite été confirmé par la Cour constitutionnelle, sur production de documents montrant qu'il avait engagé une procédure de renonciation à sa nationalité roumaine (paragraphe 60 ci-dessus).
67.  Le 28 août 2009, la majorité a élu M. Mihai Ghimpu président du Parlement. Le 11 septembre 2009, le président de la Moldova, M. Vladimir Voronin, a démissionné. En application de la Constitution moldave, M. Ghimpu, en sa qualité de président du Parlement, a assumé la fonction de président par intérim en attendant l'élection d'un nouveau président le moment venu.
68.  Depuis le 25 septembre 2009, la Moldova est gouvernée par la coalition « Alliance pour l'intégration européenne ». A cette date, M. Vlad Filat a été officiellement nommé premier ministre et, de même, un certain nombre d'autres ministres ont été formellement désignés. Le requérant a été nommé ministre de la Justice. Conformément au droit moldave, il conservera son mandat de député pendant les six mois suivant sa nomination en tant que ministre.
69.  Le 10 novembre 2009, le Parlement a fait une première tentative pour élire M. Marian Lupu président de la République, mais sans succès car les 61 voix requises n'ont pas été réunies. Le Parti communiste a refusé de participer au vote. Une seconde tentative pour élire un président a été engagée le 7 décembre 2009, mais en vain à nouveau, les 61 suffrages nécessaires n'ayant pas été obtenus.
70.  En application de la Constitution moldave, de nouvelles élections législatives devront être organisées, la coalition n'étant pas parvenue à élire un président.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
A.  La place des traités internationaux en Moldova
71.  L'article 4 de la Constitution de la République de Moldova énonce :
« 1.  Les dispositions constitutionnelles relatives aux droits et aux libertés de l'homme sont interprétées et appliquées conformément à la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi qu'aux conventions et traités internationaux auxquels la République de Moldova est partie.
2.  En cas de conflit entre les conventions et traités portant sur les droits fondamentaux de l'homme auxquels la République de Moldova est partie et les lois internes, ce sont les instruments internationaux qui priment. »
72.  L'article 8 de la Constitution dispose :
« 1.   La République de Moldova s'engage à respecter la Charte de l'Organisation des Nations unies et les traités auxquels elle est partie (...) »
73.  Les dispositions pertinentes de la loi no 595 relative aux traités internationaux ratifiés par la République de Moldova sont ainsi libellées :
Article 19  Respect des traités internationaux
« Les traités internationaux doivent être observés avec bonne foi et conformément au principe pacta sunt servanda. La République de Moldova ne peut invoquer les dispositions de son droit interne pour justifier le non-respect d'un traité international auquel elle est partie. »
Article 20  Application des traités internationaux
« Les dispositions des traités internationaux qui, de par leur libellé, sont susceptibles d'être applicables sans nécessiter l'adoption d'actes législatifs spéciaux ont un caractère exécutoire et s'appliquent directement dans l'ordre juridique moldave. Des actes normatifs spéciaux sont adoptés aux fins de la mise en œuvre des autres dispositions des traités. »
B.  La loi sur la nationalité de la République de Moldova
74.  L'article 24 de la loi sur la nationalité de la République de Moldova (loi no 1024 du 2 juin 2000), telle que modifiée le 5 juin 2003, dispose qu'il est autorisé en Moldova de posséder plusieurs nationalités et que l'acquisition par un ressortissant moldave d'une autre nationalité n'entraîne pas la perte de la nationalité moldave.
75.  Selon l'article 25, un citoyen moldave qui réside légalement et habituellement sur le territoire de la Moldova et possède la nationalité d'un autre Etat a les mêmes droits et devoirs que les autres citoyens de la Moldova. La loi no 273 a néanmoins prévu la possibilité de déroger « dans les cas prévus par la loi » à ce principe d'égalité de traitement des citoyens.
76.  En vertu de l'article 39, les personnes ayant obtenu la nationalité moldave par naturalisation ou réintégration doivent prêter un serment d'allégeance, lequel est ainsi libellé :
« Moi [nom, prénom], né [date et lieu de naissance], je jure d'être un citoyen fidèle à la République de Moldova, de respecter sa Constitution et ses lois et de ne commettre aucun acte de nature à porter atteinte aux intérêts et à l'intégrité territoriale de l'Etat. »
C.  Le droit de vote et le droit de se présenter à une élection
77.  Quant au droit de vote et au droit d'être élu, les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent ainsi :
Article 38  Droit de vote et droit d'être élu
3.  Le droit d'être élu est garanti à tous les citoyens de la République de Moldova ayant le droit de vote, dans les conditions fixées par la loi. »
Article 39  Droit d'accès à la fonction publique
« 1.  Les citoyens de la République de Moldova ont le droit de participer, directement ou par l'intermédiaire de leurs représentants, à l'administration des affaires publiques.
2.  Tout citoyen a accès à la fonction publique, conformément à la loi. »
78.  La loi no 273 contient les amendements à la législation électorale. L'article 10 du projet de loi adopté par le Parlement le 7 décembre 2007 mais non promulgué par le président de la République proposait l'insertion de la disposition suivante dans le code électoral :
« Les candidats à la charge de député doivent avoir au moins dix-huit ans au jour du scrutin, posséder exclusivement la nationalité moldave, résider dans le pays et remplir les conditions prévues par le présent code. »
79.  L'article 9 de la version finale de la loi no 273, entrée en vigueur le 13 mai 2008, a introduit les dispositions suivantes dans le code électoral :
« 1.  Les candidats à la charge de député doivent avoir au moins dix-huit ans au jour du scrutin, posséder la nationalité moldave, résider dans le pays et remplir les conditions prévues par le présent code.
2.  Au moment de faire enregistrer sa candidature, l'intéressé doit, le cas échéant, déclarer qu'il possède ou qu'il a demandé la nationalité d'un autre Etat.
3.  Lors de la validation de son mandat de député, toute personne visée au paragraphe 2 doit prouver par des documents écrits qu'elle a renoncé à la nationalité d'un autre Etat, qu'elle a engagé une procédure à cet effet ou qu'elle a retiré une demande visant à l'obtention d'une telle nationalité.
4.  L'omission de déclarer la possession d'une autre nationalité au moment de faire enregistrer sa candidature à la charge de député, de même que l'acquisition d'une autre nationalité pendant l'exercice d'un mandat parlementaire, sont des motifs qui suffisent à justifier l'annulation du mandat parlementaire par la Cour constitutionnelle, à la demande de la Commission électorale centrale. »
80.  L'article 21 de la loi expose comme suit la situation pour ce qui est de la Transnistrie :
« (...) 3.  Les incompatibilités prévues par la présente loi ne s'appliquent aux personnes résidant en Transnistrie que pour autant qu'elles sont énoncées dans la législation relative au statut juridique spécial de la Transnistrie. »
81.  Cette disposition particulière a donné lieu à un débat parlementaire limité. Le seul extrait pertinent se lit ainsi :
« Le député Vladimir Turcan, président de la commission juridique sur les nominations et les immunités au Parlement, lors des débats parlementaires en session plénière du 7 décembre 2007 :
Le député Vladimir Braga :
Les individus qui sont citoyens de la République de Moldova et résident en Transnistrie continueront de posséder la double nationalité, et donc l'efficacité de la loi se trouve marginalisée. En clair, nous écartons les citoyens de Transnistrie, qui sont également citoyens de la République de Moldova.
Le député Vladimir Turcan :
Pas du tout. Il faut bien comprendre ceci : premièrement, cette loi ne s'applique pas à tous les citoyens ; deuxièmement, elle vise seulement les personnes qui occupent une fonction au sein d'un organe public ; troisièmement, nous avons délibérément inséré une disposition dans les articles définitifs ou transitoires, et je tiens à souligner que le troisième paragraphe vise les personnes qui vivent, ou qui travaillent dans les services concernés, sur la rive gauche, en Transnistrie, que cette loi ne s'applique pas dans ce cas auxdites personnes et qu'elle [leur] sera appliquée uniquement si cela est prévu par la loi sur le statut spécial de la Transnistrie. »
D.  L'accès à la Cour constitutionnelle
82.  Selon l'article 38 du code de la juridiction constitutionnelle de la République de Moldova, la Cour constitutionnelle ne peut être saisie que par le président de la République de Moldova, le gouvernement, le ministre de la Justice, la Cour suprême de justice, la Cour économique, le procureur général, les députés, les groupes parlementaires et le médiateur.
III.  LES INSTRUMENTS PERTINENTS ADOPTÉS DANS LE CADRE DU CONSEIL DE L'EUROPE
A.  La Convention européenne sur la nationalité
83.  Le préambule de la Convention européenne sur la nationalité (la « CEN »), adoptée dans le cadre du Conseil de l'Europe et entrée en vigueur le 1er mars 2000 (en général et à l'égard de la Moldova), explique l'objet de la CEN et se lit comme suit en ses passages pertinents :
« Reconnaissant qu'en matière de nationalité, tant les intérêts légitimes des Etats que ceux des individus doivent être pris en compte ;
Notant que les Etats ont des positions différentes sur la question de pluralité de nationalités et reconnaissant que chaque Etat est libre de décider des conséquences qui découlent, dans son droit interne, de l'acquisition ou de la possession d'une autre nationalité par l'un de ses ressortissants ;
84.  L'article 15 de la CEN évoque les cas possibles de pluralité de nationalités autres que ceux de la plurinationalité automatique à la naissance ou de l'acquisition automatique d'une deuxième nationalité par le mariage. Il est ainsi libellé :
« Les dispositions de la Convention ne limitent pas le droit de chaque Etat Partie de déterminer dans son droit interne si :
a)  ses ressortissants qui acquièrent ou possèdent la nationalité d'un autre Etat gardent ou perdent la nationalité de cet Etat Partie,
b)  l'acquisition ou la conservation de sa nationalité est subordonnée à la renonciation ou la perte d'une autre nationalité. »
85.  Concernant les droits et devoirs liés à la pluralité de nationalités, l'article 17 de la CEN énonce :
« 1. Les ressortissants d'un Etat Partie possédant une autre nationalité doivent avoir, sur le territoire de cet Etat Partie dans lequel ils résident, les mêmes droits et devoirs que les autres ressortissants de cet Etat Partie.
2. Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte :
a) aux règles de droit international relatives à la protection diplomatique ou consulaire qu'un Etat Partie accorde à l'un de ses ressortissants possédant simultanément une autre nationalité,
b) à l'application des règles de droit international privé de chaque Etat Partie en cas de pluralité de nationalités. »
B.  Le Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise du Conseil de l'Europe (CDL-AD (2002) 23 rev)
86.  La Commission de Venise a adopté un Code de bonne conduite en matière électorale. Le rapport explicatif de ce code indique en ses passages pertinents :
« 6b.  [L]es doubles nationaux doivent, d'après la Convention européenne sur la nationalité, disposer des mêmes droits électoraux que les autres nationaux.
63.  La stabilité du droit est un élément important de la crédibilité du processus électoral, qui est elle-même essentielle à la consolidation de la démocratie. En effet, si les règles changent souvent, l'électeur peut être désorienté et ne pas les comprendre, notamment si elles présentent un caractère complexe ; il peut surtout considérer, à tort ou à raison, que le droit électoral est un instrument que ceux qui exercent le pouvoir manipulent en leur faveur, et que le vote de l'électeur n'est dès lors pas l'élément qui décide du résultat du scrutin.
64.  La nécessité de garantir la stabilité ne concerne pas, en pratique, tant les principes fondamentaux, dont la mise en cause formelle est difficilement envisageable, que certaines règles plus précises du droit électoral, en particulier le système électoral proprement dit, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions. Ces trois éléments apparaissent souvent – à tort ou à raison – comme déterminants pour le résultat du scrutin, et il convient d'éviter, non seulement les manipulations en faveur du parti au pouvoir, mais aussi les apparences mêmes de manipulations.
65.  Ce qui est à éviter, ce n'est pas tant la modification du mode de scrutin, car celui-ci peut toujours être amélioré ; c'est sa révision répétée ou intervenant peu avant le scrutin (moins d'un an). Même en l'absence de volonté de manipulation, celle-ci apparaîtra alors comme liée à des intérêts partisans conjoncturels. »
IV.  LE DROIT ET LA PRATIQUE AU SEIN DES ETATS MEMBRES DU CONSEIL DE L'EUROPE
87.  Les informations dont dispose la Cour font apparaître que, outre la Moldova, trois Etats (l'Azerbaïdjan, la Lituanie et la Bulgarie) interdisent clairement l'élection des binationaux au Parlement. En Azerbaïdjan et en Lituanie, la double nationalité est de toute façon interdite ; en Bulgarie, elle est en revanche autorisée. La Constitution d'un quatrième Etat, à savoir Malte, dispose qu'un individu ne peut être élu à la Chambre des représentants « s'il est citoyen d'un Etat autre que Malte et est devenu citoyen de cet Etat volontairement ou est lié à cet Etat par une déclaration d'allégeance » ; il est difficile de déterminer si cette disposition s'applique aux non-ressortissants ou aux plurinationaux. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas d'exemples connus d'application de cette disposition, et l'on ne sait pas précisément si la restriction était censée rester en vigueur après l'adoption, en 2000, d'un amendement législatif ayant autorisé la double nationalité à Malte. La Roumanie, qui accepte la double nationalité, a levé en 2003 l'interdiction qui était faite aux binationaux de devenir députés.
88.  En Lettonie, rien n'interdit aux députés de posséder deux nationalités ; en revanche, un binational ne peut pas être élu président de l'Etat. On notera que la double nationalité est en principe interdite en droit letton, même si elle est autorisée dans certains cas limités. A Monaco, un citoyen ne peut devenir membre du Conseil national s'il occupe une charge publique ou élective dans un autre Etat. Au Portugal, un binational non-résident ne peut devenir député au titre de la circonscription qui couvre le territoire du pays correspondant à son autre nationalité.
89.  En résumé, trois Etats membres du Conseil de l'Europe (la Moldova, la Bulgarie et Malte, sous réserve pour ce dernier pays de l'ambiguïté évoquée plus haut) autorisent actuellement la double nationalité mais interdisent la députation aux binationaux. Par ailleurs, la Lituanie et l'Azerbaïdjan, qui prohibent la double nationalité, interdisent aussi aux binationaux de devenir députés. Parmi ces quatre pays autres que la Moldova, on remarquera que la Lituanie et l'Azerbaïdjan ne sont pas parties à la CEN, que la Bulgarie a formulé une réserve au sujet de l'article 17 de la CEN, et que Malte a signé mais non ratifié cet instrument.
90.  Outre la Moldova, vingt-sept Etats autorisent la double nationalité. Dans dix-neuf Etats membres, la double nationalité est interdite en principe. Elle est prohibée en Ukraine.
91.  La Lituanie, la Lettonie et l'Estonie interdisent elles aussi la double nationalité. Selon le recensement de 2000, l'Estonie comptait alors quelque 200 binationaux. En Lituanie, ils sont au nombre de 700 environ. On ne dispose pas de chiffres pour la Lettonie. Un quart environ de la population de la Lettonie et de l'Estonie est d'origine russe.
92.  Pour ce qui est des Etats issus de l'ex-Yougoslavie, on observera que la Croatie, la Serbie, la Slovénie et « l'ex-République yougoslave de Macédoine » autorisent la double nationalité, même si la Croatie et la Slovénie s'efforcent de l'interdire aux citoyens naturalisés. En Bosnie-Herzégovine et au Monténégro, la double nationalité n'est permise que si la deuxième nationalité est celle d'un Etat avec lequel un accord bilatéral a été conclu. Les populations respectives de la plupart de ces Etats présentent une certaine mixité ethnique. Le Monténégro (Monténégrins 43 %, Serbes 32 %, Bosniaques 8 %, autres 17 %) et la Bosnie-Herzégovine (Bosniaques 48 %, Serbes 37,1 %, Croates 14,3 %, autres 0,6 %) possèdent les populations les plus mélangées sur le plan ethnique ; vient ensuite « l'ex-République yougoslave de Macédoine » (Macédoniens 64,2 %, Albanais 25,2 %, autres 10,6 %). On ne dispose pas de statistiques sur le nombre de binationaux que comptent ces pays. Aucun d'eux n'interdit à ces personnes de briguer un siège au Parlement.
93.  Sur les vingt-sept Etats membres de l'Union européenne, seize autorisent la double nationalité, cinq (le Danemark, la Grèce, la Lituanie, la Pologne et la République tchèque) l'interdisent ou l'acceptent uniquement dans des circonstances exceptionnelles et six (l'Allemagne, l'Autriche, l'Espagne, l'Estonie, la Lettonie et les Pays-Bas) l'autorisent dans certaines circonstances, à des degrés divers. Deux Etats, à savoir la Lituanie et la Bulgarie, interdisent l'élection de binationaux au Parlement. D'autres limitations existent dans trois Etats (la Lettonie, Malte et le Portugal – paragraphes 87 et 88 ci-dessus).
EN DROIT
94.  Le requérant allègue que l'interdiction faite aux ressortissants moldaves qui possèdent d'autres nationalités de siéger au Parlement après avoir été élus porte atteinte à son droit de se présenter à des élections libres et d'exercer son mandat de député s'il est élu, dans des conditions assurant la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. Il invoque l'article 3 du Protocole no 1, qui dispose :
« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
95.  Sous l'angle de l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1, il estime également être soumis à une discrimination par rapport aux ressortissants moldaves qui possèdent plusieurs nationalités et résident en Transnistrie. L'article 14 de la Convention est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
I.  SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
A.  Sur la qualité de victime
1.  Les conclusions de la chambre
96. La chambre a renvoyé à la jurisprudence de la Cour selon laquelle il est loisible à un particulier de soutenir qu'une loi viole ses droits, en l'absence d'acte individuel d'exécution, si l'intéressé est obligé de changer de comportement ou s'il fait partie d'une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la législation. Elle a estimé que le requérant subissait directement les effets de la loi no 273, dès lors que s'il était élu il aurait à faire un choix difficile entre l'exercice de son mandat de député et la conservation de sa double nationalité. La conscience de ce choix délicat risquait d'ailleurs de peser sur sa campagne électorale, non seulement en termes d'investissement et d'efforts personnels mais aussi à cause de l'éventualité d'une perte de suffrages. La chambre a donc rejeté l'exception du Gouvernement selon laquelle le requérant n'avait pas la qualité de victime.
2.  Thèses des parties
a)  Le gouvernement moldave
97.  Dans ses observations à l'intention de la Grande Chambre, le Gouvernement soutient que le requérant n'est pas victime au sens de l'article 34 de la Convention, la requête ayant été introduite devant la Cour avant la promulgation de la loi no 273. Se référant à l'affaire Očič c. Croatie ((déc.), no 46306/99, CEDH 1999-VIII), il estime de plus que le grief du requérant constitue une actio popularis par laquelle l'intéressé cherche à obtenir le contrôle in abstracto de la législation, puisqu'au moment de l'introduction de sa requête la loi en question n'avait jamais été appliquée à son détriment. Par ailleurs, les affaires mentionnées par la chambre à l'appui de son constat que le requérant avait la qualité de victime seraient de nature différente de l'espèce, en ce que dans celles-là la législation contestée aurait déjà été en vigueur, contrairement à la loi en cause dans la présente affaire. Bien que la Cour ait considéré un requérant comme la victime potentielle d'une loi déjà adoptée mais qui ne lui avait jamais été appliquée, elle n'aurait jusqu'à présent jamais conclu qu'un requérant était la victime ou la victime potentielle d'un projet de loi. Le Gouvernement invoque encore l'affaire Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France c. France ((déc.), no 53430/99, CEDH 2001-XI), dans laquelle la Cour a fait observer qu'elle avait admis la notion de victime potentielle dans les cas suivants : lorsque le requérant n'était pas en mesure de démontrer que la législation qu'il incriminait lui avait été effectivement appliquée, du fait du caractère secret de mesures qu'elle autorisait (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, série A no 28) ; lorsqu'une loi réprimant les actes homosexuels était susceptible de s'appliquer à une certaine catégorie de la population, dont le requérant (Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, série A no 45) ; enfin, en cas de mesures d'éloignement forcé d'étrangers déjà décidées mais non encore exécutées, et lorsque leur exécution exposerait les intéressés à subir, dans le pays d'envoi, des traitements contraires à l'article 3 (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, série A no 161) ou violerait le droit au respect de la vie familiale (Beldjoudi c. France, 26 mars 1992, série A no 234). En ratifiant la Convention, les Etats parties n'auraient nullement accepté que les projets de loi puissent être remis en cause devant la Cour ; si cette option existait, les requérants, en cas d'impossibilité de contester un projet de loi au niveau interne, seraient encouragés à saisir directement la Cour, ce qui enfreindrait le principe de subsidiarité et entraînerait un accroissement important du nombre de requêtes.
98.  En outre, un plurinational aurait le droit de se présenter à une élection en Moldova et, pour faire valider son mandat par la Cour constitutionnelle, il lui suffirait de prouver qu'il a engagé une procédure aux fins de renoncer à toute nationalité autre que la nationalité moldave (paragraphe 79 ci-dessus). Aucune disposition du code électoral ne permettrait de révoquer ensuite le mandat d'un député au motif que la procédure de renonciation n'a jamais été menée à terme. En l'espèce, une fois le mandat du requérant confirmé, il n'y aurait aucun moyen de le révoquer si l'intéressé n'allait pas au bout de sa renonciation à la nationalité roumaine.
b)  Le requérant
99.  Le requérant admet avoir soumis sa requête à la Cour avant la promulgation officielle de la loi no 273, mais argue que le texte avait déjà été approuvé par le Parlement (paragraphe 38 ci-dessus) et allait donc forcément être signé par le président de la République et entrer en vigueur tôt ou tard. Il ajoute que la Cour a communiqué la requête au Gouvernement le 17 juin 2008, date à laquelle la loi litigieuse était en vigueur (paragraphe 44 ci-dessus).
100.  Par ailleurs, à la suite de son élection, le requérant n'aurait été autorisé à occuper son siège de député qu'après avoir entamé une procédure de renonciation à la nationalité roumaine (paragraphes 60-61 et 66 ci-dessus). S'il avait refusé de le faire, il n'aurait pas pu exercer son mandat.
101.  L'intéressé prie en conséquence la Cour de constater qu'il est victime de la législation incriminée.
c)  Le gouvernement roumain
102.  Le gouvernement roumain estime que le requérant peut être considéré comme victime au sens de l'article 34 de la Convention. Selon l'arrêt Klass et autres c. Allemagne (précité, § 34) un individu pourrait se prétendre victime en raison de la simple existence de mesures ou d'une législation, sans avoir besoin de démontrer qu'on les lui a réellement appliquées. Au moment de l'introduction de la requête devant la Cour, le requérant, homme politique, aurait déjà exprimé son intention de présenter sa candidature aux élections de 2009. L'intéressé aurait donc risqué de subir les effets de la nouvelle loi. De fait, il aurait été élu et aurait dû entamer une procédure de renonciation à la nationalité roumaine. La décision Očič c. Croatie, mentionnée par le gouvernement défendeur, serait ici dénuée de pertinence en ce que dans cette affaire le requérant n'aurait pas démontré qu'il risquait de subir personnellement les effets de la législation litigieuse. S'appuyant enfin sur le fait que la chambre a rendu son arrêt après la promulgation de la loi, le gouvernement roumain considère que la requête ne porte pas sur un simple projet de loi.
103.  Il prie la Cour de rejeter l'exception soulevée par le gouvernement défendeur.
3.  Appréciation de la Cour
104.  La Cour rappelle que pour pouvoir introduire une requête en vertu de l'article 34 une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers doit pouvoir se prétendre victime d'une violation des droits reconnus dans la Convention. Pour pouvoir se prétendre victime d'une violation, un individu doit avoir subi directement les effets de la mesure litigieuse. Ainsi, la Convention n'envisage pas la possibilité d'engager une actio popularis aux fins de l'interprétation des droits reconnus dans la Convention ; elle n'autorise pas non plus les particuliers à se plaindre d'une disposition de droit interne simplement parce qu'il leur semble, sans qu'ils en aient directement subi les effets, qu'elle enfreint la Convention. Il est toutefois loisible à un particulier de soutenir qu'une loi viole ses droits, en l'absence d'acte individuel d'exécution, si l'intéressé est obligé de changer de comportement sous peine de poursuites ou s'il fait partie d'une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la législation (Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, §§ 33 et 34, 29 avril 2008 ; Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, 29 octobre 1992, § 44, série A no 246-A ; Klass et autres, précité, § 33).
105.  Dans l'affaire Bourdov c. Russie (no 59498/00, § 30, CEDH 2002-III), la Cour a jugé que la question de savoir si un requérant pouvait se prétendre victime du manquement allégué se posait à tous les stades de la procédure au regard de la Convention (voir aussi E. c. Autriche, no 10668/83, décision de la Commission du 13 mai 1987, Décisions et rapports 52, p. 177). La Cour rappelle qu'il convient d'interpréter les dispositions de la Convention d'une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (voir notamment Soering précité, § 87, et Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37). Pour déterminer si un requérant peut se prétendre réellement victime d'une violation alléguée, il convient de tenir compte non seulement de la situation officielle au moment de l'introduction de la requête auprès de la Cour, mais aussi de l'ensemble des circonstances de l'affaire en question, notamment de tout fait nouveau antérieur à la date de l'examen de l'affaire par la Cour (voir, mutatis mutandis, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 69, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV).
106.  Eu égard à ces considérations, la Cour estime que la question de savoir si un requérant a la qualité de victime doit être tranchée au moment où la Cour examine l'affaire, lorsque les circonstances justifient cette approche. A cet égard, elle renvoie à sa jurisprudence concernant la perte de la qualité de victime : dans certaines affaires, elle a étudié des exceptions du gouvernement défendeur consistant à dire que des mesures prises par ou dans l'Etat défendeur postérieurement à l'introduction de la requête auprès de la Cour avaient apporté un redressement adéquat de la violation alléguée, de sorte que le requérant ne pouvait plus passer pour victime au sens de l'article 34 de la Convention (voir, par exemple, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil 1996-III ; Chevrol c. France, no 49636/99, §§ 37-43, CEDH 2003-III ; Siliadin c. France, no 73316/01, §§ 54 et 63, CEDH 2005-VII ; et Ramazanova et autres c. Azerbaïdjan, no 44363/02, §§ 36-39, 1er février 2007). Certaines de ces requêtes ont été déclarées irrecevables ou ont été rayées du rôle lorsque les mesures postérieures en question avaient apporté un redressement adéquat au requérant, qui avait dès lors perdu la qualité de victime (voir, par exemple, Conrad c. Allemagne, no 13020/87, décision de la Commission du 13 avril 1988 ; Caraher c. Royaume-Uni (déc.), no 24520/94, CEDH 2000-I ; et Ohlen c. Danemark (radiation), no 63214/00, §§ 28-31, 24 février 2005). La Cour recherchera donc si le requérant a la qualité de victime au sens de l'article 34 de la Convention, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
107.  En l'espèce, la Cour note que la loi litigieuse est entrée en vigueur en mai 2008 (paragraphe 44 ci-dessus). Cette requête porte donc sur une loi qui a été promulguée.
108.  En ce qui concerne la question de savoir si la mesure en cause a été appliquée de manière préjudiciable au requérant, la Cour observe qu'après son élection en avril 2009 l'intéressé était tenu d'entamer une procédure de renonciation à la nationalité roumaine pour pouvoir faire confirmer son mandat de député par la Cour constitutionnelle et être ainsi autorisé à siéger au Parlement, et qu'il a, de fait, entrepris les démarches requises (paragraphes 60-61 ci-dessus). Ayant été réélu en juillet 2009, il a dû derechef, pour faire valider son mandat, fournir à la Cour constitutionnelle la preuve qu'il avait engagé une procédure de renonciation à cette nationalité (paragraphe 66 ci-dessus). La Cour conclut que le requérant a directement subi les effets de la loi no 273 dès lors qu'il a été obligé d'entamer des démarches qui l'exposaient à la perte de sa nationalité roumaine. De plus, et en toute hypothèse, le fait que M. Tănase savait avant même son élection que s'il était élu il lui faudrait pour pouvoir exercer son mandat de député prendre des dispositions afin de renoncer à sa nationalité roumaine a indéniablement pesé sur lui tout au long de la campagne électorale. Il se peut du reste que l'intéressé ait perdu des suffrages, car les électeurs étaient conscients qu'il risquait de renoncer à siéger si cela impliquait la perte de son statut de binational. Le requérant ayant directement subi les effets de la loi en cause, la Cour conclut que la mesure litigieuse a eu des conséquences préjudiciables pour lui.
109.  Quant à l'argument du Gouvernement selon lequel la loi no 273 exige simplement qu'une procédure de renonciation ait été entamée, et non qu'elle ait été menée à terme, la Cour estime que cet élément ne retire pas à l'intéressé sa qualité de victime. Même si son mandat a été confirmé par la Cour constitutionnelle, le requérant s'est auparavant trouvé soumis à l'obligation d'adresser aux autorités roumaines une lettre demandant le déclenchement d'une procédure de renonciation à la nationalité roumaine, ce qu'il a fait. Il est vrai que l'Etat roumain n'a pas encore pris de dispositions pour retirer sa nationalité à l'intéressé ; cependant, ce dernier n'a aucun contrôle sur la conduite des autorités roumaines, et celles-ci ne se sont pas engagées formellement à ne pas donner suite à sa demande et peuvent donc à tout moment décider de mener à bien la procédure en question.
110.  En toute hypothèse, chaque fois que le requérant souhaitera se présenter à des élections législatives il sera confronté à une incertitude, ignorant si la Cour constitutionnelle moldave va estimer qu'il s'est conformé à la loi et si l'Etat roumain va prendre des dispositions afin de donner effet à sa demande de renonciation à la nationalité roumaine.
111.  En conséquence, l'exception que le Gouvernement tire du défaut de la qualité de victime est rejetée.
B.  Sur le non-épuisement des voies de recours internes
1.  Les conclusions de la chambre
112.  La chambre a rejeté l'exception du Gouvernement consistant à dire que le requérant n'avait pas épuisé les voies de recours internes du fait qu'il n'avait pas déposé de plainte auprès du médiateur, lequel aurait pu saisir la Cour constitutionnelle pour contester la loi no 273. La chambre a souligné que l'obligation d'épuiser les voies de recours internes ne valait que pour les recours accessibles et effectifs. En l'espèce, le recours invoqué par le Gouvernement ne pouvait passer pour effectif, l'intéressé n'ayant pas eu la possibilité de saisir directement la juridiction constitutionnelle.
2.  Thèses des parties
a)  Le gouvernement moldave
113.  Le Gouvernement estime que le requérant aurait pu prier M. Filat, qui en sa qualité de député était habilité à saisir la Cour constitutionnelle (paragraphe 82 ci-dessus), de contester la validité de la loi no 273 devant la haute juridiction. Rappelant la conclusion de la chambre selon laquelle la saisine de la Cour constitutionnelle par le biais du médiateur n'est pas un recours effectif, le Gouvernement distingue la présente option de la précédente en faisant valoir que M. Filat est le président du parti politique dont le requérant est vice-président, que M. Filat possède lui aussi la double nationalité et, enfin, qu'il est déjà venu en aide à l'intéressé dans le cadre de la présente affaire. En conclusion, le recours en question serait accessible au requérant.
114.  La présente affaire porterait sur une question de constitutionnalité que seule la Cour constitutionnelle pourrait trancher. Dans ses observations sur la recevabilité à l'intention de la chambre, le Gouvernement avait évoqué la possibilité de saisir la haute juridiction par le biais du médiateur, estimant que la voie de recours ainsi proposée correspondait en substance à la possibilité de faire examiner l'affaire par la Cour constitutionnelle et que le choix précis de l'intermédiaire chargé par le requérant de la saisine n'importait guère. La présente exception ne serait donc pas un nouveau point mais la réitération de la précédente exception et en conséquence le Gouvernement ne serait pas forclos à la soulever à ce stade de la procédure.
115.  Enfin, le recours formé en décembre 2008 – par lequel la Cour constitutionnelle aurait été invitée à examiner la constitutionnalité de la loi – aurait abouti puisqu'il aurait été admis (paragraphes 54 à 58 ci-dessus). Il s'agirait donc à l'évidence d'un recours effectif, même si en fin de compte la loi a été jugée conforme à la Constitution.
b)  Le requérant
116.  Le requérant considère que l'exception soulevée par le Gouvernement est nouvelle et n'est pas liée à des éléments factuels non disponibles au moment où la Cour a examiné la recevabilité de l'affaire. Dès lors, invoquant l'arrêt Sejdovic c. Italie ([GC], no 56581/00, § 41, CEDH 2006-II), l'intéressé estime que le Gouvernement aurait dû évoquer cette possibilité de recours dans le cadre de ses observations écrites ou orales sur la recevabilité. Il n'existerait pas de circonstances exceptionnelles militant pour que le Gouvernement soit exonéré de l'obligation de satisfaire à cette exigence et, en conséquence, le requérant prie la Cour de rejeter l'exception en question.
117.  Pour le cas où la Cour tendrait à accepter que l'exception soit soulevée à ce stade de la procédure, le requérant soutient qu'un recours auprès de la Cour constitutionnelle par l'intermédiaire de M. Filat n'est pas un recours effectif qui s'offre à lui, au sens de l'article 35. Pareil recours serait en effet inaccessible en ce qu'il ne serait pas loisible à tout citoyen de l'exercer et que l'intéressé lui-même, jusqu'au 22 avril 2009 – date de la confirmation de son mandat de député –, n'aurait appartenu à aucune des catégories de personnes habilitées à le faire. En toute hypothèse, le requérant aurait comparu en tant que représentant de M. Filat dans le cadre de la procédure engagée devant la Cour constitutionnelle et aurait alors soulevé toutes les questions portées ensuite devant la Cour européenne, la juridiction constitutionnelle aurait jugé la loi litigieuse conforme à la Constitution (paragraphe 55 ci-dessus) et ce recours, pour autant qu'il puisse passer pour effectif, aurait de toute évidence été exercé.
c)  Le gouvernement roumain
118.  Le gouvernement roumain souligne que le gouvernement défendeur a évoqué pour la première fois dans ses observations à l'intention de la Grande Chambre la voie de recours proposée. Or il ressortirait clairement de la jurisprudence de la Cour que pareille exception doit être soulevée dans les observations sur la recevabilité de la requête. Le gouvernement défendeur aurait disposé de tous les éléments factuels nécessaires pour formuler cette exception au stade de la recevabilité et n'aurait pas expliqué pourquoi il ne l'a pas fait. Dès lors, il n'y aurait pas de circonstances exceptionnelles justifiant ce retard, et le gouvernement défendeur serait forclos à soulever cette exception à ce stade de la procédure.
119.  Pour le cas où la Cour accepterait d'examiner l'exception en dépit de sa tardiveté, le gouvernement roumain soutient que le recours suggéré ne remplit pas les conditions découlant de l'article 35. Il ne serait pas accessible au requérant, celui-ci n'étant pas habilité à saisir directement la Cour constitutionnelle mais devant faire appel à un intermédiaire, lequel serait libre de prier ou non la haute juridiction d'examiner la législation litigieuse.
3.  Appréciation de la Cour
120.  La Cour rappelle que la finalité de l'article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l'occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises à la Cour. Les Etats n'ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d'avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne (voir, par exemple, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil 1996-II, et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Dans le cadre de l'article 35 § 1 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d'obtenir réparation des violations qu'il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues (voir notamment Akdivar et autres, précité, § 66).
121.  La Cour rappelle par ailleurs que, aux termes de l'article 55 de son règlement, si la Partie contractante défenderesse entend soulever une exception d'irrecevabilité, elle doit le faire dans les observations écrites ou orales sur la recevabilité de la requête présentées par elle (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 145, CEDH 2001-VII, et N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 44, CEDH 2002-X). Dans des cas particuliers, il peut toutefois exister des circonstances exceptionnelles qui exonèrent le Gouvernement de l'obligation de soulever son exception préliminaire au stade de l'examen de la recevabilité (Prokopovitch c. Russie, no 58255/00, § 29, CEDH 2004-XI, et Sejdovic précité, § 41).
122.  La Cour considère qu'il n'y a pas lieu de rechercher si le Gouvernement est forclos à soulever l'exception en question à ce stade de la procédure, car elle juge en toute hypothèse que le requérant n'était pas tenu d'exercer le recours à présent évoqué. Elle rappelle la conclusion de la chambre – non contestée par le Gouvernement – selon laquelle la possibilité de porter plainte auprès du médiateur, qui pouvait à son tour contester la loi devant la Cour constitutionnelle, ne représentait pas un recours effectif dès lors que le requérant ne pouvait saisir directement la juridiction constitutionnelle. La Grande Chambre ne voit aucune raison de s'écarter de l'appréciation de la chambre. De même, la voie de droit que préconise actuellement le Gouvernement n'était pas directement accessible au requérant puisque celui-ci n'a pu s'adresser à la Cour constitutionnelle sans intermédiaire mais a dû compter sur l'exercice, par M. Filat, de son pouvoir discrétionnaire de former un recours. Partant, cette voie de droit n'était pas un recours effectif au sens de l'article 35 § 1 de la Convention.
123.  Quoi qu'il en soit, il est clair que, dès lors que la Cour constitutionnelle s'est prononcée sur la constitutionnalité de la loi (paragraphes 54 à 58 ci-dessus), le recours suggéré a désormais été exercé. En conséquence, la Cour rejette l'exception soulevée par le Gouvernement.
C.  Sur l'incompatibilité ratione materiae
1.  Thèses des parties
a)  Le gouvernement moldave
124.  Dans ses observations à l'intention de la Grande Chambre, le Gouvernement soulève pour la première fois une exception d'incompatibilité ratione materiae du fait que l'arrêt de la chambre renvoie à la Convention européenne sur la nationalité (la « CEN »). La chambre ne se serait pas penchée sur le droit de se présenter à des élections, qui est protégé par l'article 3 du Protocole no 1, mais sur le droit de posséder plusieurs nationalités et le droit d'acquérir une nationalité, lesquels ne seraient pas garantis par la Convention. Le Gouvernement conteste l'importance que la chambre a accordée à la ratification et à la non-ratification de la CEN. Il souligne que la Moldova pourrait tout simplement dénoncer la CEN et, si elle le voulait, la ratifier à nouveau en formulant une réserve relative à l'article 17.
125.  Le Gouvernement prie la Cour de dire que cette exception concerne les questions de fond posées par l'affaire, et de la traiter avec celles-ci.
126.  Invoquant l'arrêt Blečić c. Croatie ([GC], no 59532/00, §§ 63-69, CEDH 2006-III), il estime n'être pas forclos à soulever cette exception à ce stade de la procédure puisqu'elle touche à la compétence de la Cour.
b)  Le requérant
127.  Le requérant considère qu'en principe cette exception aurait dû elle aussi être présentée avant que la requête ne soit déclarée recevable, et qu'en conséquence le Gouvernement est forclos à la formuler à ce stade. Il admet toutefois que la Cour doit s'assurer qu'elle est compétente dans toute affaire portée devant elle et qu'elle doit se pencher sur cette question à tout stade de la procédure.
128.  Il conclut que le point soulevé par le Gouvernement ne doit pas être tenu pour une exception préliminaire, au motif qu'il touche à l'interprétation des droits garantis par l'article 3 du Protocole no 1. Aussi demande-t-il à la Cour d'étudier les arguments du Gouvernement dans le cadre de l'examen au fond de la requête.
c)  Le gouvernement roumain
129.  Renvoyant à ses propres arguments selon lesquels le gouvernement défendeur est forclos à exciper du non-épuisement des voies de recours internes, le gouvernement roumain estime qu'un raisonnement similaire vaut pour l'exception d'incompatibilité ratione materiae. Contrairement au gouvernement défendeur dans l'affaire Demir et Baykara c. Turquie ([GC], no 34503/97, 12 novembre 2008), le Gouvernement, en l'espèce, aurait clairement indiqué que son exception était une réaction à l'arrêt de la chambre et que l'argument en question n'avait pas été avancé en substance précédemment. Bien que dans l'arrêt Blečić c. Croatie (précité) la Cour ait donné des exemples d'exceptions d'incompatibilité pouvant être soulevées à tout moment de la procédure, aucun de ces exemples ne s'apparenterait à la présente situation. Le gouvernement défendeur ne pourrait en conséquence formuler cette exception à ce stade.
130.  Si toutefois la Cour devait conclure qu'il n'y a pas forclusion, le gouvernement roumain la prie de joindre l'exception aux questions de fond et de l'examiner avec celles-ci. Il faudrait analyser les engagements pris par la Moldova dans le cadre d'accords internationaux pour déterminer comment cet Etat a choisi de donner effet aux droits garantis par la Convention. Le gouvernement roumain renvoie à la jurisprudence constante de la Cour affirmant que la Convention ne saurait s'interpréter dans le vide et qu'il faut tenir compte d'autres instruments de droit international pertinents (voir, par exemple, Emonet et autres c. Suisse, no 39051/03, § 65, CEDH 2007-XIV, et Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001-XI). Ce serait donc à juste titre que la chambre a évoqué les engagements souscrits par la Moldova au niveau européen et les a jugés pertinents pour son analyse des restrictions imposées par la loi no 273. A cet égard, le gouvernement roumain fait observer que la Moldova a ratifié la CEN sans formuler de réserve et que l'obligation pour les Etats d'appliquer de bonne foi les traités internationaux auxquels ils sont parties constitue un principe fondamental du droit international.
2.  Appréciation de la Cour
131.  La Cour observe que l'exception ratione materiae soulevée par le Gouvernement n'a pas été présentée au stade de l'examen de la recevabilité et est donc nouvelle. Elle note toutefois qu'une exception d'incompatibilité ratione materiae a trait à la compétence de la Cour et elle rappelle qu'elle se doit d'examiner la question de sa compétence à chaque stade de la procédure. Dès lors, on ne saurait considérer que le Gouvernement est forclos à formuler cette exception à ce stade (voir, mutatis mutandis, Blečić précité, § 67).
132.  Comme les parties, la Cour estime que l'exception est étroitement liée au fond du grief présenté par le requérant. C'est pourquoi elle l'examinera dans ce contexte, ci-après.
D.  Conclusion
133.  La requête ne saurait être rejetée pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, pour non-épuisement des voies de recours internes ou pour défaut de la qualité de victime dans le chef du requérant. En conséquence, la Cour écarte les exceptions préliminaires formulées par le gouvernement défendeur, hormis l'exception d'incompatibilité ratione materiae, jointe à l'examen du fond.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
A.  Les conclusions de la chambre
134.  La chambre a admis que les dispositions litigieuses étaient libellées de manière claire et poursuivaient le but légitime consistant à garantir la loyauté des députés envers l'Etat moldave. Elle a toutefois estimé que les moyens employés par l'Etat pour atteindre ce but étaient disproportionnés et que, partant, il y avait eu violation de l'article 3 du Protocole no 1.
135.  Pour évaluer la proportionnalité de la mesure, la chambre a pris en considération la pratique d'autres Etats membres du Conseil de l'Europe ainsi que l'existence d'autres moyens pour l'Etat de garantir la loyauté des députés, par exemple l'obligation pour ceux-ci de prêter serment. Elle a également étudié les dispositions de la CEN et les commentaires de l'ECRI et de la Commission de Venise sur la nouvelle loi. Même dans le contexte spécifique de l'évolution politique de la Moldova, la chambre a estimé que l'interdiction faite aux plurinationaux d'exercer un mandat parlementaire ne pouvait se justifier, compte tenu notamment du fait que cette très radicale restriction avait été mise en place environ un an, voire moins, avant les élections législatives.
B.  Thèses des parties
1.  Le gouvernement moldave
136.  Le Gouvernement explique à titre liminaire que la loi no 273 oblige simplement une personne à prouver qu'elle a entamé une procédure de renonciation à la nationalité d'un autre Etat (paragraphe 79 ci-dessus). Par ailleurs, comme indiqué plus haut (au paragraphe 98), une fois que la Cour constitutionnelle a confirmé le mandat d'un député, aucun mécanisme ne permettrait de le révoquer, la loi n'ayant pas prévu pareille procédure.
137.  Le Gouvernement réitère la thèse qu'il a présentée à la chambre, à savoir que l'ingérence est légale et poursuit les buts légitimes consistant à assurer la loyauté des députés, protéger l'indépendance et l'existence de l'Etat et garantir la sécurité de celui-ci. Il met en avant les conclusions de la Cour constitutionnelle sur la compatibilité de la loi avec la Constitution moldave et les conventions internationales (paragraphe 55 ci-dessus). Il conteste la conclusion de la chambre selon laquelle la mesure en question n'est pas proportionnée, estimant à cet égard que la chambre n'a pas accordé un poids suffisant à ses arguments concernant le contexte historique propre à la Moldova, lequel aurait imposé que l'on restreignît la possibilité pour les binationaux de devenir députés. Au moment de la ratification de la CEN, en 1999, le nombre des Moldaves possédant la double nationalité aurait été insignifiant parce que la législation alors en vigueur n'autorisait pas la double nationalité (paragraphe 22 ci-dessus) ; c'est pourquoi il n'aurait pas été jugé nécessaire de formuler une réserve quant à l'article 17 de la CEN. Le Gouvernement explique également qu'en 1999 la Moldova n'était pas une république parlementaire comme à l'heure actuelle, mais une république semi-présidentielle ; l'organe législatif aurait donc joué un rôle moins important qu'aujourd'hui. Si, parmi les autres Etats membres du Conseil de l'Europe qui interdisent aux binationaux de devenir députés, l'Azerbaïdjan, la Lituanie et Malte n'ont pas ratifié la CEN et la Bulgarie a formulé une réserve au sujet de l'article 17 de la CEN, la Moldova pourrait quant à elle simplement dénoncer la CEN et, si elle le voulait, la ratifier à nouveau en déposant une réserve relative à l'article 17, ce qui la placerait dans la même position que la Bulgarie.
138.  Par ailleurs, le Gouvernement critique aussi la chambre pour l'importance qu'elle a attachée au fait que la Moldova n'a pas soumis le projet de loi aux organes internationaux compétents et n'a pas suivi les recommandations de l'ECRI et de la Commission de Venise (paragraphes 40, 45 et 51 ci-dessus). Invoquant l'affaire Boicenco c. Moldova (no 41088/05, 11 juillet 2006), il souligne que la Cour a par le passé constaté une violation alors même que la loi en cause avait été soumise aux experts du Conseil de l'Europe et avait été modifiée conformément à leurs recommandations ; à l'inverse, dans l'affaire Yumak et Sadak c. Turquie ([GC], no 10226/03, 8 juillet 2008), le manquement de la Turquie à suivre les recommandations des experts du Conseil de l'Europe n'aurait pas conduit la Cour à conclure à la violation de la Convention. Par ailleurs, le rapport de la Commission de Venise, qui n'aurait pas encore été publié au moment où la loi a été adoptée, ne serait pas pertinent en l'espèce.
139.  Au sujet des autres méthodes que la chambre a proposées pour garantir la loyauté des députés, le Gouvernement soutient qu'une prestation de serment ne constituerait pas un moyen suffisant, en ce que tout ressortissant moldave ayant une seconde nationalité aurait également prêté serment à l'Etat de sa seconde nationalité et que, partant, le serment serait de pure forme et ne permettrait pas de garantir la loyauté.
140.  Enfin, le Gouvernement relève que, sur les 101 députés élus en avril 2009, vingt et un sont des binationaux. Cette situation susciterait de graves préoccupations en ce qui concerne l'indépendance et la sécurité de la Moldova, ainsi que son existence même en tant qu'Etat.
141.  Le Gouvernement prie la Cour de conclure à la non-violation de l'article 3 du Protocole no 1 en l'espèce.
2.  Le requérant
142.  Le requérant soutient que les restrictions prévues par la loi no 273 emportent violation de son droit de se porter candidat à des élections libres dans des conditions assurant la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. L'obligation qui lui est faite d'engager une procédure de renonciation à sa nationalité roumaine pour pouvoir siéger au Parlement aurait pour effet de restreindre les droits garantis à l'article 3 du Protocole no 1 au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, le droit de se présenter à une élection étant vidé de son sens sans le droit d'exercer son mandat une fois élu (le requérant s'appuie sur M. c. Royaume-Uni (déc.), no 10316/83, 7 mars 1984).
143.  L'intéressé réitère son grief selon lequel la loi no 273 ne remplit pas la condition de légalité en ce qu'elle serait en contradiction avec les dispositions de la Constitution et de la CEN, cette dernière ayant été ratifiée par la Moldova en 1999 et faisant donc partie de l'ordre juridique interne (paragraphes 71 à 73 ci-dessus).
144.  En outre, la loi no 273 ne poursuivrait pas un but légitime, l'objectif qui consiste à garantir la loyauté des députés envers la Moldova n'étant pas, selon le requérant, la véritable motivation à l'origine de l'adoption de la nouvelle loi. A titre d'exemple, Mme Larissa Savga aurait réintégré le gouvernement à la suite des élections du mois d'avril alors qu'il serait notoire qu'elle possède aussi la nationalité roumaine. D'après des informations non confirmées parues dans la presse, l'ancien président de la Moldova, M. Voronin, aurait possédé la nationalité russe alors qu'il était président et il percevrait une pension de la Russie. Par ailleurs, selon les conclusions d'observateurs indépendants, la possession de deux nationalités ne rendrait pas les citoyens moldaves moins patriotes.
145.  Enfin, la loi en cause serait disproportionnée, arbitraire et anti-démocratique. La Convention serait à interpréter d'une manière qui en rende les garanties concrètes et effectives. A cet effet, il conviendrait de la lire comme un tout et de manière à promouvoir la cohérence interne entre ses diverses dispositions, et également de prendre en considération toute règle et tout principe de droit international applicables. Tout consensus qui se dégage parmi les Etats européens serait un élément pertinent dont la Cour devrait tenir compte (Demir et Baykara c. Turquie, précité, §§ 66 à 85).  Appliquant ces principes à l'espèce, le requérant conclut que la Cour, pour apprécier la proportionnalité des restrictions au regard de l'article 3 du Protocole no 1, ne doit pas faire abstraction des obligations contractées par l'Etat défendeur en vertu de la CEN. Il en irait de même des recommandations et conclusions d'autres organisations internationales. De plus, la Moldova serait le seul Etat membre du Conseil de l'Europe à autoriser la pluralité de nationalités tout en interdisant aux plurinationaux de se présenter à des élections nationales ; cela montrerait que l'approche du Gouvernement ne rencontre pas l'adhésion internationale.
146.  En outre, il serait disproportionné, de la part de l'Etat défendeur, de limiter le droit de siéger comme député aux seules personnes qui possèdent exclusivement la nationalité moldave, compte tenu de sa précédente politique ayant consisté à encourager les ressortissants moldaves à acquérir d'autres nationalités. Le Gouvernement aurait admis qu'un nombre appréciable de Moldaves avaient obtenu une deuxième nationalité pour des raisons sociales ou économiques (paragraphe 39 ci-dessus), ce qui ne ferait qu'accentuer le caractère disproportionné de la nouvelle politique gouvernementale. Le Gouvernement n'aurait soumis aucun cas dans lequel un binational aurait représenté une menace quelconque pour la sécurité ou l'indépendance de la Moldova. Les sanctions pour trahison constitueraient un bon moyen de prévenir la déloyauté. En toute hypothèse, l'accès à des informations classées secrètes serait subordonné à une habilitation de sécurité, laquelle ne serait accordée qu'après enquête approfondie des services secrets.
147.  Enfin, le requérant dénonce le fait que la nouvelle loi a été adoptée moins d'un an avant les élections du 5 avril 2009. La proportionnalité de cette loi serait à apprécier dans le contexte général de la réforme électorale mise en œuvre en Moldova, qui aurait consisté aussi à relever de 4 % à 6 % le seuil électoral à franchir pour remporter un siège au Parlement et à interdire les blocs électoraux (paragraphe 37 ci-dessus). Les résultats du scrutin du 5 avril 2009 montreraient que la nouvelle loi a touché principalement l'opposition, puisque vingt et un membres sur quarante et un auraient été concernés (paragraphe 59 ci-dessus). Le cas de Mme Savga (paragraphe 144 ci-dessus) attesterait que l'application de cette nouvelle loi est entachée d'arbitraire. Il serait important pour la Cour de savoir si les règles régissant les élections ont pour effet d'interdire à un groupe de personnes de prendre part à la vie politique d'un pays, si les disparités nées d'un système électoral donné peuvent être qualifiées d'arbitraires ou d'abusives et si un système tend à favoriser un parti politique au détriment d'un autre (le requérant se réfère notamment à Aziz c. Chypre, no 69949/01, § 28, CEDH 2004-V, et à Yumak et Sadak c. Turquie, précité, § 121). La réforme électorale aurait visé en réalité à compromettre les perspectives électorales de l'opposition et, partant, la loi no 273 serait arbitraire et abusive.
3.  Le gouvernement roumain
148.  Le gouvernement roumain conteste la légalité de la loi no 273, estimant que ce texte n'est pas prévisible en ce qu'il ne serait pas appliqué uniformément et que ses dispositions se prêteraient à diverses interprétations.
149.  De plus, l'étude des législations applicables dans les différents Etats membres ferait ressortir une norme européenne minimum qui n'imposerait pas la condition de la nationalité unique aux candidats aux élections législatives. A la différence des autres Etats membres du Conseil de l'Europe qui interdisent la députation aux binationaux, la Moldova aurait choisi de souscrire à l'ensemble des obligations découlant de la CEN. Le fait que cet Etat ait changé de position quant à la possibilité d'acquérir une deuxième nationalité ne l'exonérerait pas de ces obligations. Du reste, l'article 4 de la Constitution moldave disposerait qu'en cas de conflit entre la législation nationale et une convention internationale relative aux droits de l'homme à laquelle la Moldova est partie, ce seraient les dispositions internationales qui priment (paragraphe 71 ci-dessus). En outre, l'article 25 de la loi sur la nationalité de la République de Moldova indiquerait que les citoyens moldaves qui possèdent aussi la nationalité d'un autre Etat ont les mêmes droits et devoirs que les autres citoyens moldaves (paragraphe 75 ci-dessus).
150.  Le gouvernement roumain souligne aussi que, quelque dix-sept ans après l'accession de la Moldova à l'indépendance, l'Etat défendeur met en avant une menace pour cette indépendance mais ne fournit aucune preuve à ce sujet. Aucun lien de causalité n'aurait été établi entre la double nationalité et le danger prétendu pour l'indépendance de l'Etat, et il n'aurait été présenté aucun exemple de binational qui aurait commis des actes portant atteinte à l'indépendance ou à la sûreté nationales.
151.  Par ailleurs, la législation en question ne poursuivrait pas un but légitime. Certes, la protection de l'indépendance et de la sécurité de l'Etat pourrait constituer un but légitime et il faudrait l'apprécier dans le contexte historique et politique de cet Etat ; toutefois, contrairement à ce que plaide le gouvernement défendeur, la situation historico-politique de la Moldova ne rendrait pas le but légitime en l'espèce. En outre, un certain nombre de lois adoptées entre 1991 et 2000 n'imposeraient pas la condition de la nationalité unique pour pouvoir se porter candidat à certaines charges publiques, comme en témoignerait la loi no 720 du 18 septembre 1991 régissant les élections présidentielles. Invoquant les affaires Ždanoka c. Lettonie ([GC], no 58278/00, § 135, CEDH 2006-IV) et Ādamsons c. Lettonie (no 3669/03, § 123, 24 juin 2008), le gouvernement roumain soutient que si la condition de la nationalité unique pouvait se justifier dans les premières années qui ont suivi l'accession de la Moldova à l'indépendance, avec le temps et la consolidation de la démocratie cette condition a cessé de se justifier. Dès lors, il serait difficile de comprendre la position de la Moldova, qui pendant trois législatures a permis à des plurinationaux de devenir députés mais qui à présent, quelque dix-sept ans plus tard, considère que la possession d'une autre nationalité représente un grave danger pour la Moldova et assimile la double nationalité à une trahison. Le but consistant à garantir la loyauté des députés envers l'Etat devrait être poursuivi par l'imposition de sanctions pour toute conduite portant atteinte aux intérêts nationaux et non par la restriction de l'accès des plurinationaux à certaines fonctions publiques.
152.  En ce qui concerne la proportionnalité, le gouvernement roumain souligne à nouveau l'existence d'une norme européenne minimum qui n'impose pas la condition de la nationalité unique pour être candidat à des élections législatives. En outre, les rapports publiés par l'ECRI et la Commission de Venise (paragraphes 45 et 51 ci-dessus) qui, comme l'aurait démontré l'arrêt Chtoukatourov c. Russie (no 44009/05, § 95, 27 mars 2008), constitueraient des éléments que la Cour doit prendre en compte, corroboreraient l'argument selon lequel il existe une norme européenne commune en matière d'élections. Ces rapports seraient importants à la fois en raison de la valeur intrinsèque de l'opinion émise – celle d'experts juridiques impartiaux – et en raison, précisément, du poids que leur accordent la Cour et les autres organes du Conseil de l'Europe.
153.  Le gouvernement roumain conclut que la Moldova a outrepassé sa marge d'appréciation en ce domaine. A cet égard, il ne suffirait pas que le requérant soit autorisé à présenter sa candidature ; pour que ce droit soit effectif, l'intéressé devrait pouvoir siéger (le gouvernement roumain se réfère à M. c. Royaume-Uni, précitée). L'adoption de la loi no 273 aurait porté atteinte à la substance même des droits garantis par l'article 3 du Protocole no 1, les rendant théoriques et illusoires. En conclusion, le gouvernement roumain prie la Cour de souscrire au constat de la chambre selon lequel il y a eu violation de cette disposition.
C.  Appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
154.  La Cour ne cesse de souligner l'importance de l'article 3 du Protocole no 1 dans un régime politique véritablement démocratique, et donc la place capitale de cette disposition dans le système de la Convention. Dans l'arrêt Yumak et Sadak c. Turquie (précité, § 105), elle a rappelé que les droits garantis par cet article sont cruciaux pour l'établissement et le maintien des fondements d'une véritable démocratie régie par la prééminence du droit. Dans les arrêts Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique (2 mars 1987, § 47, série A no 113) et Lingens c. Autriche (8 juillet 1986, §§ 41 et 42, série A no 103), elle a déclaré que des élections libres et la liberté d'expression, notamment la liberté du débat politique, constituent l'assise de tout régime démocratique.
155.  La jurisprudence de la Cour fait la distinction entre l'aspect actif de l'article 3 du Protocole no 1, qui a trait au droit de vote, et l'aspect passif, c'est-à-dire le droit de se porter candidat aux élections (Ždanoka précité, §§ 105 et 106). La présente espèce porte essentiellement sur ce deuxième aspect. Cependant, comme la Cour l'a relevé ci-dessus (paragraphe 108), l'interdiction faite aux plurinationaux de siéger comme députés peut aussi avoir un effet secondaire sur la manière dont les électeurs exercent leur droit de vote en Moldova.
156.  En ce qui concerne l'aspect passif de l'article 3 du Protocole no 1, la Cour souligne que les Etats contractants disposent d'une grande latitude pour établir les critères d'éligibilité. Dans Ždanoka c. Lettonie (précité, § 106), elle a expliqué :
« Quoique procédant d'un souci commun – assurer l'indépendance des élus mais aussi la liberté des électeurs –, ces critères varient en fonction des facteurs historiques et politiques propres à chaque Etat. La multitude de situations prévues dans les constitutions et les législations électorales de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe démontre la diversité des choix possibles en la matière. Aux fins de l'application de l'article 3, toute loi électorale doit donc toujours s'apprécier à la lumière de l'évolution politique du pays concerné. »
157.  De même, dans Podkolzina c. Lettonie (no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II), la Cour a observé qu'aux fins de l'application de l'article 3 toute loi électorale doit toujours s'apprécier à la lumière de l'évolution politique du pays, de sorte que des détails inacceptables dans le cadre d'un système déterminé peuvent se justifier dans celui d'un autre ; elle a toutefois souligné que cette marge de manœuvre reconnue à l'Etat est limitée par l'obligation de respecter le principe fondamental de l'article 3 du Protocole no 1, à savoir « la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif » (voir également Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, précité, § 47 ; et Melnitchenko c. Ukraine, no 17707/02, § 55, CEDH 2004-X).
158.  Evaluant les limites de la latitude dont disposent les Etats, la Cour a relevé dans l'arrêt Aziz c. Chypre (précité, § 28) :
« (...) [L]es Etats jouissent d'une grande latitude pour déterminer, dans leurs ordres constitutionnels respectifs, les règles régissant les élections législatives et la composition de leurs parlements, les critères pertinents en la matière variant en fonction des facteurs historiques et politiques propres à chaque Etat. [La Cour] estime toutefois que ces règles ne peuvent avoir pour effet d'interdire à certaines personnes ou à certains groupes de prendre part à la vie politique du pays, notamment par la désignation des membres du corps législatif, droit garanti tant par la Convention que par les constitutions de tous les Etats contractants. »
159. Appliquant ces principes, la Cour a jugé dans l'arrêt Ždanoka c. Lettonie (précité, §§ 119 à 135) que des considérations historiques peuvent justifier que l'on restreigne des droits aux fins de protéger l'intégrité du processus démocratique ; il s'agissait en l'occurrence d'exclure les personnes qui avaient pris une part active à des tentatives de renversement du régime démocratique nouvellement établi. La Cour a toutefois laissé entendre que pareilles restrictions ne pourraient guère se concilier avec la Convention si elles sont encore en application après de longues années, alors que la justification de leur application et les menaces qu'elles tendaient à éviter ne sont plus d'actualité. Par la suite, dans Ādamsons c. Lettonie (précité, §§ 123 à 128), la Cour a souligné qu'avec le temps une restriction générale des droits électoraux devient plus difficile à justifier et qu'il est préférable de suivre une approche « individualisée » permettant de tenir compte du risque que pose réellement un individu donné.
160.  Dans l'arrêt Hirst c. Royaume-Uni (no 2) ([GC], no 74025/01, § 62, CEDH 2005-IX), la Cour a observé plus généralement que toute condition imposée aux droits garantis par l'article 3 du Protocole no 1 doit refléter, ou ne pas contrecarrer, le souci de maintenir l'intégrité et l'effectivité d'une procédure électorale visant à déterminer la volonté du peuple par l'intermédiaire du suffrage universel.
161.  Enfin, en dépit de l'ample marge d'appréciation laissée aux Etats dans ce domaine, la Cour a rappelé maintes fois qu'il lui appartient de statuer en dernier ressort sur l'observation des exigences de l'article 3 du Protocole no 1. A cet égard, il lui faut s'assurer que les limitations ne réduisent pas les droits dont il s'agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu'elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (voir, par exemple, Hirst c. Royaume-Uni, précité, § 62, et Yumak et Sadak, précité, § 109).
2.  Application à l'espèce des principes généraux
162.  La Cour rappelle avoir conclu ci-dessus que le requérant peut se prétendre victime de la loi no 273 (paragraphe 111). Elle observe également qu'à l'issue des élections d'avril 2009 mais aussi de juillet 2009, l'intéressé a été élu député (paragraphes 59 et 66 ci-dessus). Pour faire confirmer son mandat par la Cour constitutionnelle, il a dû engager une procédure de renonciation à la nationalité roumaine (paragraphes 60-61 et 66 ci-dessus). En conséquence, la Cour estime qu'il y a eu ingérence dans l'exercice par le requérant de ses droits au titre de l'article 3 du Protocole no 1. Pareille ingérence constitue une violation, sauf si elle satisfait aux exigences de légalité, poursuit un but légitime et est proportionnée.
a)  Légalité
163. La Cour observe que l'interdiction d'être députés faite aux plurinationaux par la loi no 273 est libellée en des termes suffisamment clairs. De plus, après son adoption la loi a été publiée au Journal officiel. La Cour constate donc que la législation litigieuse remplissait les conditions de prévisibilité. Même s'il semble y avoir incompatibilité entre la loi et l'article 17 de la CEN, laquelle fait partie de l'ordre juridique interne en vertu de la Constitution moldave et prime la législation nationale (paragraphes 71 à 73 ci-dessus), la Cour ne juge pas nécessaire de résoudre cet apparent conflit de normes. Elle se penchera toutefois de plus près sur la portée de la CEN en examinant, ci-après, la proportionnalité de la mesure en cause.
b)  But légitime
164.  A la différence des articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention, l'article 3 du Protocole no 1 n'énumère pas lui-même les buts qui peuvent passer pour légitimes en ce qui le concerne. Le Gouvernement invoque divers buts pour justifier l'interdiction instaurée par la loi no 273, à savoir : assurer la loyauté des députés, protéger l'indépendance et l'existence de l'Etat, et garantir la sécurité de l'Etat. La Cour observe que la juridiction constitutionnelle a jugé que le but poursuivi par l'interdiction en cause consistait à garantir la loyauté des députés envers l'Etat et a conclu que permettre aux députés de posséder deux nationalités allait à l'encontre du principe constitutionnel d'indépendance du mandat de député, de la souveraineté de l'Etat, de la sécurité nationale et du principe de non-divulgation d'informations confidentielles (paragraphe 56 ci-dessus). Le ministre adjoint de la Justice, expliquant le but poursuivi par le projet de loi, a déclaré qu'un conflit d'intérêts risquait de surgir si un citoyen moldave avait des obligations politiques et juridiques envers un autre Etat du fait qu'il possédait une seconde nationalité (paragraphe 39 ci-dessus).
165.  Pour ce qui est du but consistant à garantir la loyauté des députés, notion mentionnée par toutes les parties dans leurs observations à l'intention de la Cour (paragraphes 137, 144 et 151 ci-dessus), celle-ci observe que la « loyauté » invoquée par les parties pour justifier l'instauration de l'interdiction n'est pas clairement définie et que les parties n'ont donné aucune explication quant à sa teneur. Les parties semblent toutefois s'accorder à dire que dans ce contexte la loyauté est liée à l'existence et à l'indépendance de l'Etat ainsi qu'à des questions de sécurité nationale. Le serment d'allégeance que prête un citoyen lorsqu'il acquiert la nationalité moldave par naturalisation ou réintégration renvoie également à la nécessité de respecter la Constitution et les lois de l'Etat, et à s'abstenir de tout acte de nature à porter atteinte aux intérêts et à l'intégrité territoriale de celui-ci (paragraphe 76 ci-dessus).
166.  Pour sa part, la Cour fait d'emblée la distinction entre loyauté envers l'Etat et loyauté envers le gouvernement. Si la nécessité de veiller à la loyauté envers l'Etat peut fort bien constituer un but légitime justifiant des restrictions aux droits électoraux, cela ne vaut pas pour la loyauté envers le gouvernement. Dans un Etat démocratique attaché à la prééminence du droit et au respect des droits et libertés fondamentaux, il est clair que le rôle même des députés, notamment de ceux qui appartiennent à l'opposition, est de représenter les électeurs en garantissant l'obligation pour le gouvernement en place de rendre des comptes et en évaluant les politiques de celui-ci. De plus, la poursuite de buts différents, parfois diamétralement opposés, est non seulement acceptable mais aussi nécessaire pour promouvoir le pluralisme et donner aux électeurs la possibilité d'opérer des choix qui reflètent leurs opinions politiques. Ainsi que la Cour l'a déjà relevé, la protection des opinions et de la liberté de les exprimer constitue l'un des objectifs des libertés garanties par la Convention, en particulier les articles 10 et 11. Ce principe est d'autant plus important s'agissant des députés, eu égard au rôle essentiel qu'ils jouent dans le maintien du pluralisme et le bon fonctionnement de la démocratie (concernant l'importance de la liberté d'expression des partis politiques en général, voir Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, § 88, CEDH 2003-II).
167.  Pour ce qui est du type de loyauté envers l'Etat que l'on exige des députés, la Cour estime qu'il englobe en principe le respect de la Constitution, des lois, des institutions, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale du pays. Cependant, la notion de respect, dans ce contexte, doit se limiter à exiger que toute volonté d'induire des changements dans l'un de ces domaines se manifeste d'une manière se conciliant avec les lois de l'Etat. Toute autre position aurait pour effet de saper la capacité des députés à représenter les opinions de leurs électeurs, notamment des groupes minoritaires. La Cour a déjà souligné par le passé qu'une formation politique ne peut se voir inquiétée pour le seul fait de vouloir débattre publiquement du sort d'une partie de la population d'un Etat et se mêler à la vie politique de celui-ci afin de trouver, dans le respect des règles démocratiques, des solutions qui puissent satisfaire tous les acteurs concernés. De même, en l'espèce, le fait que des députés moldaves binationaux puissent souhaiter défendre un projet politique que certains jugent incompatible avec les principes et structures actuels de l'Etat moldave ne le rend pas contraire aux règles démocratiques. Un aspect fondamental de la démocratie est qu'elle doit permettre la proposition et la discussion de projets politiques divers, même ceux qui remettent en cause le mode d'organisation actuel d'un Etat, pourvu qu'ils ne visent pas à porter atteinte à la démocratie elle-même (Parti socialiste et autres c. Turquie, 25 mai 1998, §§ 45 et 47, Recueil 1998-III ; et Manole et autres c. Moldova, no 13936/02, § 95, CEDH 2009-...).
168.  En tenant compte de ces considérations, la Cour va à présent rechercher si la mesure ici en cause visait véritablement, comme l'allègue le Gouvernement, à garantir la loyauté envers l'Etat. A cet égard, elle observe que la loi no 273 était le troisième volet d'un ensemble de réformes électorales, les autres ayant consisté à relever le seuil électoral et à interdire les blocs électoraux (paragraphe 37 ci-dessus). Toutes les mesures en question ont eu un effet préjudiciable sur l'opposition, qui par le passé avait eu du mal à obtenir assez de voix pour atteindre le seuil permettant d'accéder au Parlement et n'y était parvenue que par la formation de blocs électoraux (paragraphes 31 et 33 ci-dessus). Les résultats du scrutin d'avril 2009, à l'issue duquel vingt et un députés, tous membres de l'opposition, sur les 101 élus ont été touchés par la loi no 273 (paragraphe 59 ci-dessus), montrent l'effet disproportionné qu'a eu la nouvelle loi. L'allégation du requérant selon laquelle les personnes résidant en Transnistrie, dont une large part possèdent la nationalité russe, ne sont pas visées par la loi ne fait qu'accroître les inquiétudes quant au véritable objet de la législation (au paragraphe 187 ci-dessous, la Cour évoque toutefois l'ambiguïté qui entoure cette dérogation). Enfin, la Cour juge révélateur que les amendements aient été adoptés moins d'un an avant les élections législatives (paragraphe 44 ci-dessus). A la suite des élections d'avril 2009, un nouvel amendement a été apporté à la législation électorale, que les partis d'opposition ont également critiqué, estimant qu'il était destiné à améliorer les perspectives du parti au pouvoir et de ses alliés politiques (paragraphe 63 ci-dessus). Sur ce point, la Cour renvoie au Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise, qui met en garde contre le risque que des modifications fréquentes de la législation électorale ou des modifications adoptées juste avant un scrutin soient perçues, à tort ou à raison, comme une tentative de manipulation des lois électorales au profit du parti qui est au pouvoir (paragraphe 86 ci-dessus). Il est également significatif que la Commission pour le respect des obligations et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe aient exprimé leur inquiétude face aux amendements en cause, qui à leurs yeux limitaient les possibilités pour les forces politiques de participer de manière effective au processus politique, et affaiblissaient ainsi le pluralisme (paragraphes 47 et 49-50 ci-dessus).
169.  Lorsque les autorités instaurent d'importantes restrictions au droit de voter ou de se porter candidat à des élections, et surtout lorsque ces modifications sont introduites peu avant la tenue d'un scrutin, c'est au Gouvernement qu'il appartient de fournir à la Cour des éléments pertinents à l'appui de ses affirmations concernant le but visé par la mesure litigieuse. Par ailleurs, dans des affaires telles que l'espèce, où la mesure en cause est lourde de conséquences pour la capacité des partis d'opposition à participer de manière effective au processus politique, il est d'autant plus impérieux que le Gouvernement produise des éléments montrant que les amendements répondent à des motifs légitimes. Dans la présente affaire, le Gouvernement n'a pas été en mesure de soumettre un seul cas dans lequel un député binational aurait fait preuve de déloyauté envers l'Etat moldave. Le changement de politique électorale n'a guère donné lieu à des explications, si ce n'est que dans son arrêt la Cour constitutionnelle a fait brièvement référence à des mouvements tendant à affaiblir l'Etat moldave. De surcroît, certains éléments semblent indiquer que la loi en question n'est pas appliquée de façon uniforme (paragraphe 144 ci-dessus).
170.  Dans ces conditions, la Cour n'est pas réellement convaincue que l'objet de la mesure en cause était de garantir la loyauté des députés envers l'Etat. Il n'est toutefois pas nécessaire qu'elle se prononce sur ce point, compte tenu de ses conclusions ci-après relatives à la proportionnalité de l'interdiction. En conséquence, la Cour ne se prononce pas sur la question de savoir si l'interdiction faite aux plurinationaux d'exercer un mandat parlementaire poursuivait un but légitime.
c)  Proportionnalité
171.   En premier lieu, la Cour observe que rares sont les Etats membres du Conseil de l'Europe qui interdisent la députation aux binationaux (paragraphe 87 ci-dessus). Parmi les trois pays autres que la Moldova où l'interdiction est claire, deux n'autorisent pas leurs ressortissants à posséder deux nationalités ; d'ailleurs, aucun de ces trois Etats n'a signé l'article 17 de la CEN (paragraphe 89 ci-dessus). Les Etats issus de l'ex-Yougoslavie, qui pour la plupart ont une population assez diverse sur le plan ethnique, autorisent tous la double nationalité, dans certains cas au moins, et aucun d'eux n'interdit aux plurinationaux de se porter candidats aux élections législatives (paragraphe 92 ci-dessus).
172.  Un tour d'horizon de la pratique des Etats membres du Conseil de l'Europe révèle un consensus sur le point suivant : lorsque la plurinationalité est autorisée, la possession de plus d'une nationalité ne doit pas être un motif d'inéligibilité à la charge de député, même si la population présente une certaine diversité ethnique et que le nombre de députés plurinationaux risque d'être élevé. En dépit de ce consensus, une approche différente peut néanmoins se justifier lorsque des considérations historiques ou politiques particulières appellent une pratique plus restrictive.
173.  La Cour insiste sur la situation particulière de la Moldova, qui comprend une part potentiellement importante de binationaux et n'est devenue indépendante qu'à une date relativement récente. A la lumière de l'histoire de ce pays (paragraphes 11 à 18 ci-dessus), la Cour considère qu'il y avait probablement un intérêt particulier pour lui, lorsqu'il a proclamé son indépendance en 1991, à prendre des mesures afin de circonscrire les menaces éventuelles pour l'indépendance et la sécurité de l'Etat, et ainsi d'assurer la stabilité et de permettre l'établissement et le renforcement d'institutions démocratiques fragiles. Concernant les autres Etats de la région, la Cour observe qu'en Roumanie – pays qui autorise la double nationalité – l'interdiction qui était faite aux binationaux d'exercer un mandat parlementaire a été levée récemment, en 2003. La Bulgarie a actuellement la même approche que la Moldova (paragraphe 87 ci-dessus). L'Ukraine continue d'interdire la double nationalité (paragraphe 90 ci-dessus). La restriction instaurée par la loi no 273 doit s'apprécier compte dûment tenu de ce contexte politico-historique spécifique et de l'ample marge d'appréciation dont l'Etat jouit en conséquence (Ždanoka c. Lettonie, précité, § 121). Partant, la Cour n'exclut pas qu'immédiatement après la déclaration d'indépendance de la Moldova, en 1991, il ait pu être justifié d'interdire la députation aux plurinationaux.
174.  La Cour estime toutefois révélateur que cette interdiction ait été mise en place non pas en 1991 mais en 2008, soit quelque dix-sept ans après que la Moldova eut accédé à l'indépendance et cinq ans environ après qu'elle eut assoupli sa législation aux fins d'autoriser la double nationalité. Dans ces conditions, la Cour juge bien moins convaincant l'argument selon lequel cette mesure s'imposait pour protéger les lois, les institutions et la sécurité nationale de la Moldova. Il faut, pour justifier l'introduction récente de restrictions générales aux droits électoraux, des raisons particulièrement impérieuses. Or le Gouvernement n'a pas expliqué pourquoi des inquiétudes avaient surgi récemment au sujet de la loyauté des binationaux et pourquoi ces inquiétudes n'existaient pas quand la Moldova a modifié la loi une première fois afin d'autoriser la double nationalité. Le Gouvernement plaide que le nombre de personnes concernées – un cinquième environ des députés actuels possèdent une seconde nationalité ou en ont demandé une – suffit à justifier l'approche suivie (paragraphe 140 ci-dessus). La Cour reconnaît que les chiffres en question sont élevés, mais souligne aussi qu'une large part des citoyens sont binationaux (paragraphes 26 à 28 ci-dessus) et que ces personnes ont le droit d'être représentées par des députés qui expriment leurs préoccupations et leurs opinions politiques.
175.  Par ailleurs, la Cour renvoie à l'arrêt Ādamsons (précité, § 123), dans lequel elle a relevé qu'au fil du temps une restriction générale frappant les droits électoraux devient plus difficile à justifier, et a souligné la nécessité de suivre une approche « individualisée » permettant de tenir compte du comportement réel des personnes concernées et non de ce qui est perçu comme une menace représentée par un groupe. En l'espèce, la Cour estime qu'il existe d'autres moyens de protéger les lois, les institutions et la sécurité nationale de la Moldova. Ainsi, des sanctions pour comportement illégal ou comportement menaçant les intérêts nationaux sont de nature à avoir un effet préventif et à permettre de faire face à toute menace particulière que constituerait un individu identifié. De plus, le Gouvernement n'a pas laissé entendre que le système des habilitations de sécurité n'assurait pas suffisamment la protection des informations confidentielles et sensibles. On notera que ces deux types de mesures consistent à identifier une menace crédible pour les intérêts de l'Etat, dans des circonstances particulières et sur la base d'informations spécifiques, et non à partir du principe général que tous les binationaux sont une menace pour la sécurité et l'indépendance nationales. La Cour rappelle que c'est là l'approche à privilégier une fois jugulée une menace directe pour la démocratie ou l'indépendance (Ādamsons, précité, § 125).
176.  En outre, et en toute hypothèse, les éléments historico-politiques doivent être replacés dans le contexte plus large des obligations librement contractées par la Moldova au titre de la CEN ainsi que des recommandations et conclusions des organes internationaux compétents. C'est dans ce cadre qu'il convient d'étudier l'exception ratione materiae soulevée par le gouvernement défendeur (paragraphes 131 à 132 ci-dessus). La Cour souligne qu'elle dit invariablement devoir prendre en considération les instruments et rapports internationaux pertinents, en particulier ceux d'autres organes du Conseil de l'Europe, pour interpréter les garanties offertes par la Convention et déterminer s'il existe dans le domaine concerné une norme européenne commune. C'est à la Cour qu'il appartient de décider des instruments et rapports internationaux qu'elle juge dignes d'attention ainsi que du poids qu'elle entend leur accorder. S'il existe une norme commune et que l'Etat défendeur ne s'y est pas conformé, ce peut être un élément important que la Cour ait à considérer lorsqu'elle interprète les dispositions de la Convention dans des cas spécifiques (voir notamment Demir et Baykara, précité, §§ 85-86, et Chtoukatourov c. Russie, précité, § 95). En l'espèce, la Cour estime devoir prendre en compte les dispositions de la CEN, les conclusions et rapports de l'ECRI et de la Commission de Venise (paragraphes 45 et 51 ci-dessus) et les résolutions de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (paragraphes 48 à 50 ci-dessus) pour déterminer si la loi no 273 est proportionnée. Elle précise qu'en faisant référence à la CEN elle n'entend pas examiner le droit du requérant de posséder deux nationalités, mais celui de l'Etat défendeur de restreindre le droit de l'intéressé, en raison de sa binationalité, d'exercer son mandat à la suite de son élection, et la compatibilité de pareille restriction avec l'article 3 du Protocole no 1.
177.  Au sujet du contenu des rapports et commentaires susmentionnés, la Cour observe que la Commission de Venise, l'ECRI, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et la Commission pour le respect des obligations sont unanimes dans leurs critiques visant l'interdiction en cause (paragraphes 45 à 51 ci-dessus). Des inquiétudes ont été exprimées quant à l'effet discriminatoire de la loi no 273 ainsi qu'à ses conséquences pour la capacité d'un certain nombre de forces politiques à participer de manière effective au processus politique. Par ailleurs, la Cour prend acte de l'article 17 de la CEN et de l'engagement qui en découle pour la Moldova d'assurer aux ressortissants moldaves qui possèdent une autre nationalité les mêmes droits et devoirs qu'aux autres ressortissants moldaves (paragraphe 85 ci-dessus).
178.  Enfin, la Cour rappelle qu'une restriction aux droits électoraux ne saurait avoir pour effet d'empêcher certaines personnes ou certains groupes de prendre part à la vie politique du pays (paragraphe 158 ci-dessus). A cet égard, elle souligne l'effet disproportionné de la loi sur les partis qui, au moment de son adoption, étaient dans l'opposition (paragraphe 168 ci-dessus). Le pluralisme et la démocratie doivent se fonder sur le dialogue et un esprit de compromis, qui impliquent nécessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d'une société démocratique (Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 45, Recueil 1998-I, et Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 108, CEDH 2005-XI). Pour promouvoir ce dialogue et cet échange d'opinions nécessaires à une démocratie effective, il est important de veiller à ce que les partis d'opposition aient accès à l'arène politique, dans des conditions qui leur permettent de représenter leurs électeurs, de signaler leurs préoccupations et de défendre leurs intérêts (Parti populaire démocrate-chrétien c. Moldova, no 28793/02, § 67, CEDH 2006-II).
179.  La Cour doit examiner avec un soin particulier toute mesure qui semble opérer, seule ou à titre principal, au détriment de l'opposition, surtout si de par sa nature la mesure compromet les chances mêmes des partis d'opposition de parvenir un jour au pouvoir. Une restriction de ce type limite les droits garantis par l'article 3 du Protocole no 1 au point de porter atteinte à leur substance même et de les priver de toute effectivité. Le fait que l'interdiction ici en cause ait été instaurée peu avant un scrutin, à un moment où la part des voix revenant au parti au pouvoir était en déclin (paragraphes 31 à 44 ci-dessus), est une indication supplémentaire du caractère disproportionné de la mesure.
180.  Compte tenu de l'ensemble des éléments ci-dessus, et malgré le contexte historique et politique spécifique à la Moldova, la Cour estime que les dispositions de la loi no 273 qui empêchent les plurinationaux élus députés d'exercer leur mandat sont disproportionnées et emportent violation de l'article 3 du Protocole no 1. Partant, l'exception ratione materiae soulevée par le gouvernement défendeur est rejetée.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1
A.  Les conclusions de la chambre
181.  La chambre a estimé que les questions soulevées sous l'angle de l'article 14 portaient sur les mêmes problèmes que ceux examinés dans le cadre du grief tiré de l'article 3 du Protocole no 1, et a donc conclu qu'il n'y avait pas lieu d'examiner séparément le grief tiré de l'article 14.
B.  Thèses des parties
1.  Le gouvernement moldave
182.  Le Gouvernement soutient que l'article 21 § 3 de la loi no 273 (paragraphe 80 ci-dessus) ne fait pas échapper les personnes résidant en Transnistrie à l'interdiction qui frappe les députés plurinationaux, mais écarte les institutions de Transnistrie du champ d'application de la loi. Il souscrit à la conclusion de la chambre selon laquelle aucune question distincte ne se pose sur ce terrain.
2.  Le requérant
183.  Le requérant conteste l'explication du Gouvernement quant au sens de l'article 21 § 3, plaidant que le texte de la loi est suffisamment explicite et s'applique aux personnes vivant en Transnistrie et non aux élections dans les institutions de Transnistrie, lesquelles de toute façon ne seraient pas reconnues par le gouvernement moldave. Il estime qu'une question distincte se pose sous l'angle de l'article 14 en ce que la loi no 273 exclut expressément de son champ d'application les citoyens moldaves vivant en Transnistrie alors qu'un certain nombre d'entre eux possèdent aussi la nationalité russe. Cette différence de traitement n'aurait aucune justification.
184.  L'intéressé prie la Cour de conclure à une violation distincte de l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1.
3.  Le gouvernement roumain
185.  Le gouvernement roumain désapprouve lui aussi l'interprétation plus étroite que le gouvernement défendeur entend donner à l'article 21 § 3 de la loi no 273 sur l'exception visant la Transnistrie : elle est à ses yeux contraire aux principes généraux d'interprétation. Ne reconnaissant pas les institutions et autorités établies en Transnistrie, le gouvernement défendeur ne pourrait prétendre que la loi adoptée par la Moldova vise à régir les élections au sein desdits organes. Soulignant que l'ECRI a jugé la distinction injustifiée (paragraphe 45 ci-dessus), le gouvernement roumain invite la Cour à accorder un certain poids à cette conclusion (il renvoie à Cobzaru c. Roumanie, no 48254/99, §§ 49 et 50, 26 juillet 2007).
186.  En conclusion, le gouvernement roumain prie la Cour de conclure à la violation de l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1.
C.  Appréciation de la Cour
187.  La Cour constate l'existence d'un différend concernant l'interprétation correcte à donner à l'article 21 § 3 de la loi no 273, dont le libellé manque de clarté. Elle considère que les deux lectures proposées par les parties sont possibles et qu'il ne lui appartient pas de statuer sur la juste interprétation à livrer de la législation nationale, cette question relevant des juridictions internes.
188.  En l'espèce, et ayant déjà constaté une violation de l'article 3 du Protocole no 1, la Cour conclut qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément le grief que le requérant formule sous l'angle de l'article 14.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
189.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
190.  Le requérant n'a pas présenté de demande pour préjudice matériel ou moral.
B.  Frais et dépens
191.  Le requérant a soumis une demande détaillée, justificatifs à l'appui, portant sur une somme de 5 021,83 euros (EUR), au titre des frais et dépens supplémentaires engagés pour la procédure devant la Grande Chambre (cette somme comprend les frais liés à sa présence à l'audience). L'intéressé sollicite un montant total de 8 881,83 EUR, qui inclut les frais exposés pour la procédure devant la chambre.
192.  Le Gouvernement n'a pas présenté à la Grande Chambre d'observations au sujet de ces prétentions.
193.  La Cour rappelle que la chambre a octroyé la somme de 3 860 EUR au titre des frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure devant elle. De nouveaux justificatifs ont été fournis concernant les frais et dépens subséquents liés à la procédure devant la Grande Chambre. Dès lors, la Cour alloue l'intégralité du montant demandé.
C.  Intérêts moratoires
194.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
1.  Décide de joindre au fond l'exception ratione materiae soulevée par le gouvernement défendeur, et de rejeter celle-ci ;
2.  Rejette les autres exceptions préliminaires soulevées par le gouvernement défendeur ;
3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 du Protocole no 1 à la Convention ;
4.  Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément le grief tiré de l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1 à la Convention ;
5.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 8 881,83 EUR (huit mille huit cent quatre-vingt-un euros et quatre-vingt-trois centimes), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant, pour frais et dépens, somme à convertir en lei moldaves au taux applicable à la date du règlement :
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 27 avril 2010.
Michael O'Boyle  Peer Lorenzen Greffier adjoint Président
ARRÊT TĂNASE c. MOLDOVA
ARRÊT TĂNASE c. MOLDOVA 


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 7/08
Date de la décision : 27/04/2010
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire jointe au fond et rejetée (ratione materiae) ; Exceptions préliminaires rejetées (victime, non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de P1-3

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 35-3) RATIONE MATERIAE, (P1-3) LIBRE EXPRESSION DE L'OPINION DU PEUPLE, (P1-3) SE PORTER CANDIDAT AUX ELECTIONS


Parties
Demandeurs : TANASE
Défendeurs : MOLDOVA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-04-27;7.08 ?

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