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17/05/2010 | CEDH | N°36376/04

CEDH | AFFAIRE KONONOV c. LETTONIE


GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE KONONOV c. LETTONIE
(Requête no 36376/04)
ARRÊT
STRASBOURG
17 mai 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Kononov c. Lettonie,
La Cour européenne des droits de l'homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Jean-Paul Costa, président,   Christos Rozakis,   Nicolas Bratza,   Peer Lorenzen,   Françoise Tulkens,   Josep Casadevall,   Ireneu Cabral Barreto,   Dean Spielmann,   Renate Jaeger,   Sverre Erik Jebens,   Dragoljub Pop

ović,   Päivi Hirvelä,   Ledi Bianku,   Zdravka Kalaydjieva,   Mihai Poalelungi,   Nebojša Vučinić,...

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE KONONOV c. LETTONIE
(Requête no 36376/04)
ARRÊT
STRASBOURG
17 mai 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Kononov c. Lettonie,
La Cour européenne des droits de l'homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Jean-Paul Costa, président,   Christos Rozakis,   Nicolas Bratza,   Peer Lorenzen,   Françoise Tulkens,   Josep Casadevall,   Ireneu Cabral Barreto,   Dean Spielmann,   Renate Jaeger,   Sverre Erik Jebens,   Dragoljub Popović,   Päivi Hirvelä,   Ledi Bianku,   Zdravka Kalaydjieva,   Mihai Poalelungi,   Nebojša Vučinić, juges,   Alan Vaughan Lowe, juge ad hoc,  et de Michael O'Boyle, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 20 mai 2009 et 24 février 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 36376/04) dirigée contre la république de Lettonie et dont un ressortissant de la Fédération de Russie, M. Vassili Kononov (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 août 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant a été représenté par Me M. Ioffe, avocat exerçant à Riga. Le gouvernement letton (« le gouvernement défendeur ») a été représenté par son agent, Mme I. Reine. Le gouvernement de la Fédération de Russie, qui a exercé son droit d'intervention conformément à l'article 36 § 1 de la Convention, l'a été par le représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour, M. G. Matyushkin.
3.  Le requérant alléguait en particulier que la condamnation pour crimes de guerre qu'il avait subie pour avoir participé à une expédition militaire le 27 mai 1944 était contraire à l'article 7 de la Convention.
4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Le 20 septembre 2007, après une audience consacrée à sa recevabilité et à son bien-fondé (article 54 § 3 du règlement), elle a été déclarée partiellement recevable par une chambre de ladite section composée de Boštjan M. Zupančič, président, Corneliu Bîrsan, Elisabet Fura-Sandström, Alvina Gyulumyan, Egbert Myjer, David Thór Björgvinsson et Ineta Ziemele, juges, ainsi que de Santiago Quesada, greffier de section.
5.  Le 24 juillet 2008, la chambre a rendu un arrêt dans lequel elle concluait, par quatre voix contre trois, qu'il y avait eu violation de l'article 7 de la Convention et qu'il y avait lieu d'octroyer une satisfaction équitable au requérant.
6.  Le 24 octobre 2008, le gouvernement défendeur a sollicité le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre (article 43 de la Convention). Le 6 janvier 2009, un collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande (article 73 du règlement).
7.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. Mme Ineta Ziemele, juge élue au titre de la Lettonie, s'est ensuite déportée (article 28 du règlement) et le gouvernement défendeur a désigné M. Vaughan Lowe, professeur de droit international public à l'université d'Oxford, pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement). M. Boštjan M. Zupančič, président de l'ancienne troisième section, s'est lui aussi déporté et M. Nebojša Vučinić, juge suppléant, l'a remplacé.
8.  Par une lettre du 6 avril 2009, le président de la Grande Chambre a autorisé le gouvernement lituanien à soumettre des observations écrites sur l'affaire (article 44 § 3 a) du règlement). Le gouvernement de la Fédération de Russie a de son côté exercé son droit d'intervenir dans la procédure devant la Grande Chambre (article 44 du règlement).
9.  Le requérant et le gouvernement défendeur ont chacun déposé un mémoire sur le fond de l'affaire et les gouvernements de la Fédération de Russie et de la république de Lituanie ont présenté des observations écrites.
10.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 20 mai 2009 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le gouvernement défendeur  Mmes I. Reine,  agente,   K. Inkuša,    M. W. Schabas,  conseils ;
–  pour le requérant  M. M. Ioffe,  conseil,  Mme M. Zakarina,  M. Y. Larine,  conseillers ;
–  pour le gouvernement de la Fédération de Russie  MM. G. Matyushin,  représentant du Gouvernement,   M. Mikhaylov,     P. Smirnov,  conseillers. 
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Ioffe, Mme Reine, M. Schabas et M. Matyushkin.
11.  Le président de la Grande Chambre ayant autorisé le requérant à verser des observations supplémentaires au dossier le jour de l'audience, le gouvernement défendeur et le gouvernement de la Fédération de Russie ont par la suite déposé des observations en réponse.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
12.  Le requérant est né en 1923 dans le district de Ludza, en Lettonie. Il posséda la nationalité lettonne jusqu'à ce qu'un décret spécial lui octroie la nationalité russe en 2000.
A.  Les événements antérieurs au 27 mai 1944
13.  En août 1940, la Lettonie devint une partie de l'Union des républiques socialistes soviétiques (« URSS ») sous le nom de « République socialiste soviétique de Lettonie » (« RSS de Lettonie »). Le 22 juin 1941, l'Allemagne attaqua l'URSS. Devant l'avancée des forces allemandes, l'armée soviétique dut quitter la région balte et se replier en Russie.
14.  Le requérant, qui vivait alors dans une région frontalière, suivit le mouvement. Le 5 juillet 1941, toute la Lettonie se trouva envahie par les forces allemandes. Après son arrivée en URSS, le requérant fut mobilisé comme soldat dans l'armée soviétique en 1942 et affecté au régiment de réserve de la division lettonne. De 1942 à 1943, il suivit une formation spéciale aux missions de sabotage, où il apprit à organiser et à mener des opérations de commando derrière les lignes ennemies. A la fin de cet entraînement, il fut promu au grade de sergent. En juin 1943, il fut parachuté, avec une vingtaine d'autres soldats, sur le territoire biélorusse, alors occupé par l'Allemagne, près de la frontière avec la Lettonie, et donc de sa région natale. Il devint membre d'un commando soviétique composé de « partisans rouges » (combattants soviétiques qui menaient une guérilla contre les forces allemandes). En mars 1944, il fut placé par ses deux supérieurs directs à la tête d'un peloton qui, d'après lui, avait principalement pour objectifs de saboter des installations militaires, des lignes de communication et des points de ravitaillement allemands, de faire dérailler des trains et de diffuser de la propagande politique au sein de la population locale. Il aurait par la suite été responsable du déraillement de seize trains militaires et de la destruction de quarante-deux cibles militaires allemandes.
B.  Les événements du 27 mai 1944, tels qu'établis par les juridictions internes
15.  En février 1944, l'armée allemande découvrit et anéantit un groupe de partisans rouges, dirigé par le commandant Tchougounov, qui s'était caché dans la grange de Meikuls Krupniks, dans le village de Mazie Bati. L'administration militaire allemande avait fourni à quelques hommes de Mazie Bati un fusil et deux grenades chacun. Soupçonnant les villageois d'avoir espionné pour le compte des Allemands et de leur avoir livré les hommes de Tchougounov, le requérant et les membres de son unité décidèrent de mener une action de représailles.
16.  Le 27 mai 1944, armés et portant l'uniforme de la Wehrmacht pour ne pas éveiller les soupçons, ils pénétrèrent dans le village de Mazie Bati. Les habitants s'apprêtaient à fêter la Pentecôte. L'unité se divisa en plusieurs petits groupes, qui attaquèrent chacun une maison, sur les ordres du requérant.
17.  Plusieurs partisans firent irruption chez le paysan Modests Krupniks, saisirent les armes qu'ils trouvèrent dans sa maison et lui ordonnèrent de sortir dans la cour. Comme il les suppliait de ne pas le tuer sous les yeux de ses enfants, ils le firent courir en direction de la forêt, puis l'abattirent de plusieurs coups de feu. Krupniks fut laissé, grièvement blessé, à la lisière de la forêt, où il décéda le lendemain matin.
18.  Deux autres groupes de partisans rouges attaquèrent les maisons de deux autres paysans, Meikuls Krupniks et Ambrozs Buļs. Le premier, appréhendé alors qu'il prenait son bain, fut sévèrement battu. Après avoir saisi les armes trouvées chez les deux villageois, les partisans les déposèrent dans la maison de Meikuls Krupniks, où ils tirèrent plusieurs rafales de balles sur Ambrozs Buļs ainsi que sur Meikuls Krupniks et sa mère. Ces deux derniers furent grièvement blessés. Les partisans arrosèrent ensuite la maison et toutes les dépendances d'essence et y mirent le feu. La femme de Krupniks, enceinte de neuf mois, parvint à s'échapper, mais les partisans la rattrapèrent et la jetèrent par la fenêtre à l'intérieur de la maison en flammes. Le lendemain matin, les survivants retrouvèrent les restes des corps calcinés des quatre victimes ; le cadavre de Mme Krupniks fut identifié d'après le squelette carbonisé du bébé qui gisait à ses côtés.
19.  Un quatrième groupe de partisans fit irruption chez Vladislavs Šķirmants, alors que celui-ci était sur son lit avec son fils âgé d'un an. Après avoir découvert un fusil et deux grenades cachés au fond d'un placard, les partisans firent sortir Šķirmants dans la cour. Ils verrouillèrent alors la porte de l'extérieur afin d'empêcher Mme Šķirmants de suivre son mari, puis emmenèrent celui-ci dans un coin reculé de la cour et l'abattirent. Un cinquième groupe attaqua la maison de Juliāns Šķirmants. Après y avoir trouvé et saisi un fusil et deux grenades, les partisans emmenèrent Juliāns Šķirmants dans la grange, où ils l'exécutèrent. Un sixième groupe s'en prit à la maison de Bernards Šķirmants. Les partisans saisirent les armes qu'ils découvrirent chez lui, le tuèrent, blessèrent sa femme et mirent le feu à tous les bâtiments de la ferme. La femme de Šķirmants fut brûlée vive avec le cadavre de son mari.
20.  Le parquet affirma également que les partisans avaient pillé le village (volant des vêtements et de la nourriture), mais ni la chambre des affaires pénales de la Cour suprême (« la chambre des affaires pénales ») ni le sénat de la Cour suprême n'évoquèrent ce point, leurs décisions ne mentionnant que la saisie des armes.
C.  La version du requérant
21.  Devant la chambre, le requérant a contesté les faits tels qu'ils avaient été établis par les tribunaux internes et les a exposés comme suit.
22.  Tous les villageois décédés étaient des collaborateurs et des traîtres qui avaient livré le peloton du commandant Tchougounov (qui comportait des femmes et un enfant en bas âge) aux Allemands en février 1944. Trois femmes – la mère de Meikuls Krupniks, son épouse et celle de Bernards Šķirmants – avaient assuré au peloton de Tchougounov que la Wehrmacht était loin, mais Šķirmants avait envoyé Krupniks alerter les forces allemandes. Une fois arrivés, les soldats allemands avaient mis le feu à la grange (où se cachait le peloton) en la mitraillant avec des balles incendiaires. Les membres du peloton qui avaient tenté de s'échapper avaient été abattus. La mère de Krupniks avait dépouillé les cadavres de leurs manteaux. Le commandement militaire allemand avait récompensé les villageois concernés en leur offrant du bois de chauffage, du sucre, de l'alcool et de l'argent. Meikuls Krupniks et Bernards Šķirmants étaient des Schutzmänner (auxiliaires de la police allemande).
23.  Le 27 mai 1944, environ une semaine avant les événements litigieux, le requérant et tous les hommes de son peloton avaient été convoqués par leur commandant. Celui-ci les avait informés qu'ils étaient chargés de l'exécution de la sentence condamnant les habitants de Mazie Bati impliqués dans la trahison du groupe de Tchougounov qui avait été prononcée par un tribunal militaire ad hoc. Plus précisément, ils devaient « amener les six Schutzmänner de Mazie Bati aux fins de leur jugement ». Le requérant ayant refusé de diriger l'opération (comme les villageois le connaissaient depuis son enfance, il craignait pour la sécurité de ses parents, qui résidaient dans le village voisin), le commandant avait confié la mission à un autre partisan, et c'est ce dernier qui avait donné les ordres.
24.  Le 27 mai 1944, le requérant avait suivi les hommes de son unité. Il n'était pas entré dans le village, mais s'était caché derrière un buisson d'où il pouvait observer la maison de Modests Krupniks. Peu après, il avait entendu des cris et des coups de feu et aperçu de la fumée. Un quart d'heure plus tard, les partisans étaient revenus seuls. L'un d'eux était blessé au bras ; un autre portait six fusils, dix grenades et un grand nombre de cartouches qui avaient été saisis chez les villageois. Les hommes du requérant lui avaient expliqué plus tard qu'ils n'avaient pas pu exécuter leur mission parce que « les villageois s'étaient enfuis en leur tirant dessus et les Allemands étaient arrivés ». L'unité du requérant n'avait pas pillé Mazie Bati. Lorsque les partisans étaient revenus à leur base, le commandant les avait sévèrement réprimandés pour n'avoir pas ramené les personnes recherchées.
D.  Les événements ultérieurs
25.  En juillet 1944 l'Armée rouge entra en Lettonie et le 8 mai 1945 le territoire letton passa sous le contrôle des forces soviétiques.
26.  Après la fin des hostilités, le requérant demeura en Lettonie. Il fut décoré de l'ordre de Lénine, la plus haute distinction soviétique, pour ses exploits militaires. En novembre 1946, il adhéra au Parti communiste de l'Union soviétique. En 1957, il sortit diplômé de la grande école du ministère de l'Intérieur de l'URSS. Par la suite et jusqu'à sa retraite en 1988, il travailla comme agent dans différentes branches de la police soviétique.
27.  Le 4 mai 1990, le Conseil suprême de la RSS de Lettonie adopta la « Déclaration sur le rétablissement de l'indépendance de la république de Lettonie », déclarant illégitime et nulle l'incorporation de la Lettonie à l'URSS en 1940 et redonnant force de loi aux dispositions fondamentales de la Constitution de 1922. Le même jour, il adopta la « Déclaration relative à l'adhésion de la république de Lettonie aux instruments internationaux en matière de droits de l'homme ». L'« adhésion » proclamée par ladite déclaration signifiait l'acceptation unilatérale et solennelle des valeurs consacrées par les textes en question. Plus tard, la Lettonie signa et ratifia selon la procédure établie la plupart des textes conventionnels visés par la déclaration.
28.  Le 21 août 1991, après deux tentatives avortées de coup d'Etat, le Conseil suprême adopta une loi constitutionnelle concernant le statut étatique de la république de Lettonie et proclamant l'indépendance absolue et immédiate du pays.
29.  Le 22 août 1996, le Parlement letton adopta la « Déclaration sur l'occupation de la Lettonie ». Aux termes de ce texte, l'annexion du territoire letton par l'URSS en 1940 s'analysait en une « occupation militaire » et en une « incorporation illégale ». Quant à la reprise par l'URSS de ce territoire à la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle fut qualifiée de « rétablissement d'un régime d'occupation ».
E.  La condamnation du requérant
1.  La première instruction préliminaire et le procès
30.  En juillet 1998, le centre de documentation sur les conséquences du totalitarisme basé en Lettonie transmit un dossier d'enquête (sur les événements du 27 mai 1944) au parquet général letton. En août 1998, le requérant fut mis en examen pour crimes de guerre. En octobre 1998, il fut traduit devant le tribunal de première instance de l'arrondissement du centre de Riga, qui ordonna son placement en détention provisoire. En décembre 1998, le parquet rédigea l'acte final d'accusation et renvoya le dossier devant le tribunal régional de Riga.
31.  Le procès se déroula devant le tribunal régional de Riga le 21 janvier 2000. Le requérant plaida non coupable. Il réitéra sa version des faits survenus le 27 mai 1944, réaffirmant avec force que toutes les victimes de l'attaque étaient des Schutzmänner armés. Il nia toute implication personnelle dans les événements litigieux. Quant aux nombreux documents (notamment des articles de presse) attestant le contraire, il expliqua qu'il avait à l'époque délibérément consenti à une distorsion des faits historiques afin d'en tirer gloire et d'obtenir ainsi certains avantages personnels.
32.  Le tribunal régional estima que le dossier renfermait de nombreuses preuves de la culpabilité de l'intéressé et que celui-ci avait perpétré des actes prohibés par le Statut du Tribunal militaire international (ci-après « le TMI ») de Nuremberg, par la quatrième Convention de La Haye de 1907 et par la quatrième Convention de Genève de 1949. Il reconnut le requérant coupable d'infractions réprimées par l'article 68-3 du code pénal de 1961 et le condamna à une peine de six ans d'emprisonnement ferme. Tant le requérant que le parquet interjetèrent appel.
33.  Par un arrêt du 25 avril 2000, la chambre des affaires pénales de la Cour suprême annula ce jugement et renvoya le dossier au parquet général pour un complément d'information. Elle estima que la motivation du jugement comportait des lacunes et, en particulier, que la juridiction de première instance était restée en défaut de répondre clairement à des questions décisives, notamment celles de savoir si Mazie Bati se trouvait en « territoire occupé » à l'époque pertinente, si le requérant et ses victimes pouvaient être considérés respectivement comme « combattants » et « non-combattants », et si le fait que l'administration militaire allemande avait armé les villageois aurait entraîné l'assimilation de ceux-ci à des « prisonniers de guerre » en cas d'arrestation. Elle considéra en outre que le parquet aurait dû consulter des experts en histoire et en droit pénal international. Enfin, elle ordonna la libération immédiate du requérant.
34.  Par un arrêt du 27 juin 2000, le sénat de la Cour suprême rejeta le pourvoi du ministère public, tout en annulant l'observation de la chambre concernant la nécessité d'une expertise, estimant que les questions de droit relevaient de la seule compétence des juges.
2.  La deuxième instruction préliminaire et le procès
35.  Le 17 mai 2001, après une autre enquête, le requérant fut de nouveau inculpé en vertu de l'article 68-3 du code pénal de 1961.
36.  La cause fut entendue par le tribunal régional de Latgale, qui rendit son jugement le 3 octobre 2003. Il acquitta le requérant des charges de crimes de guerre, mais le déclara coupable de brigandage, infraction punissable de trois à quinze ans d'emprisonnement en vertu de l'article 72 du code pénal de 1961.
Après avoir analysé la situation dans laquelle la Lettonie s'était trouvée du fait des événements historiques de 1940 et de l'invasion allemande, le tribunal régional conclut que le requérant ne pouvait pas être assimilé à un « représentant des forces d'occupation », qu'il avait au contraire lutté pour la libération du pays contre les forces d'occupation de l'Allemagne nazie. La Lettonie ayant été incorporée à l'URSS, le comportement du requérant devait être analysé sous l'angle des lois soviétiques. En outre, l'intéressé n'avait raisonnablement pu s'attendre à ce qu'on le qualifiât un jour de « représentant des forces d'occupation soviétique ». Quant à l'opération de Mazie Bati, le tribunal reconnut que les villageois avaient collaboré avec l'administration militaire allemande et livré le groupe des partisans rouges de Tchougounov à la Wehrmacht. L'attaque du village avait donc été menée en exécution du jugement rendu par le tribunal militaire ad hoc organisé au sein du détachement des partisans rouges. Le tribunal accepta également que la mort des six hommes de Mazie Bati avait pu passer pour nécessaire et justifiée par des considérations d'ordre militaire. En revanche, cette justification ne s'étendait ni au meurtre des trois femmes ni à l'incendie des bâtiments du village, actes dont le requérant était responsable en tant que chef de l'unité. Par conséquent, dès lors qu'ils avaient agi au-delà de ce que prescrivait le jugement du tribunal militaire ad hoc, le requérant et ses hommes avaient commis un acte de brigandage dont ils étaient entièrement responsables mais qui, en revanche, était prescrit.
37.  Les deux parties interjetèrent appel de ce jugement devant la chambre des affaires pénales. Invoquant, entre autres, l'article 7 § 1 de la Convention, le requérant demandait son acquittement complet, s'estimant victime d'une application rétroactive de la loi. Le ministère public, quant à lui, reprochait aux juges de première instance plusieurs erreurs graves de fait et de droit : le tribunal régional n'avait pas considéré que l'incorporation de la Lettonie à l'URSS était contraire tant à la Constitution lettonne de 1922 qu'aux dispositions du droit international, qu'elle était donc illégitime, et que la république de Lettonie avait continué d'exister de jure. Dès lors, le comportement du requérant en 1944 aurait pu et aurait dû être analysé au regard du droit letton et international, et non au regard des lois soviétiques. En outre, le parquet critiquait la manière dont le tribunal régional avait évalué les preuves dans l'affaire. D'après lui, le tribunal s'était fondé sur une série d'assertions émanant du requérant qui n'étaient corroborées par aucun élément de preuve, et qui en outre étaient contredites par la teneur des preuves. Etaient notamment visées les affirmations suivantes : les villageois de Mazie Bati étaient des collaborateurs armés de l'administration militaire allemande, ils avaient aidé la Wehrmacht à anéantir les partisans de Tchougounov, un « tribunal » ad hoc de partisans avait été constitué au sein du détachement dont relevait le requérant, et le vrai but de l'opération de Mazie Bati avait été non pas d'exécuter sommairement les villageois mais de les arrêter.
38.  Par un arrêt du 30 avril 2004, la chambre des affaires pénales fit droit à l'appel du parquet, annula le jugement du tribunal régional de Latgale et déclara le requérant coupable de l'infraction réprimée par l'article 68-3 du code pénal de 1961. Après avoir analysé les preuves, elle s'exprima ainsi :
« (...) Ainsi, V. Kononov et les partisans du groupe spécial qu'il commandait ont volé les armes qui avaient été remises aux villageois aux fins de leur défense personnelle et ont tué neuf civils du village, parmi lesquels six – notamment trois femmes, dont une en fin de grossesse – ont été brûlés vifs ; ils ont également incendié les bâtiments de deux fermes.
En attaquant ces neuf civils du village de Mazie Bati, qui ne participaient pas aux combats, en les tuant et en volant leurs armes, V. Kononov et les partisans qu'il commandait (...) ont commis une violation grossière des lois et coutumes de la guerre énoncées par :
–  le point b) du premier alinéa de l'article 23 de la Convention de La Haye du [18] octobre 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, obligatoire pour toutes les nations civilisées, qui interdit de tuer ou de blesser par trahison des individus appartenant à la population civile ; l'article 25 [de ladite Convention], qui interdit d'attaquer, par quelque moyen que ce soit, des villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus ; et le premier alinéa de l'article 46 [de ladite Convention], aux termes duquel l'honneur et les droits de la famille, la vie des individus et la propriété privée doivent être respectés ;
–  l'article 3 § 1, point a), de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (...), selon lequel sont prohibées à l'égard des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ; le point d) [du même alinéa], aux termes duquel (...) sont interdites les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés ; l'article 32, qui prohibe le meurtre, la torture et toutes autres brutalités contre les personnes protégées ; et l'article 33, en vertu duquel aucune personne protégée ne peut être punie pour une infraction qu'elle n'a pas commise personnellement, et les peines collectives, toute mesure d'intimidation, le pillage et les mesures de représailles à l'égard des personnes protégées et de leurs biens sont interdits ;
–  l'article 51 § 2 du premier Protocole additionnel à la Convention [susmentionnée] relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, adopté le 8 juin 1977 (...), selon lequel ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne doivent être l'objet d'attaques et sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. Le paragraphe 4, point a), [du même article], qui interdit les attaques sans discrimination qui ne sont pas dirigées contre un objectif militaire déterminé ; le paragraphe 6 [du même article], qui interdit les attaques dirigées à titre de représailles contre la population civile ou des personnes civiles. L'article 75 § 2, point a) (...), aux termes duquel sont prohibées les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, notamment le meurtre, la torture sous toutes ses formes, qu'elle soit physique ou mentale, les mutilations, et le point d) [du même paragraphe], qui interdit les peines collectives.
En agissant avec une cruauté et une brutalité particulières et en brûlant vive la villageoise (...) enceinte, V. Kononov et ses hommes ont ouvertement bafoué les lois et coutumes de la guerre énoncées par le premier alinéa de l'article 16 de la Convention de Genève (...), en vertu duquel les femmes enceintes doivent être l'objet d'une protection et d'un respect particuliers.
De même, en brûlant les maisons [d'habitation] et les autres bâtiments des villageois (...) Meikuls Krupniks et Bernards Šķirmants, V. Kononov et les partisans qui l'accompagnaient ont agi au mépris des dispositions de l'article 53 de cette même Convention, lequel prohibe la destruction des biens immobiliers, sauf dans les cas où elle serait rendue absolument nécessaire par les opérations militaires, ainsi que de l'article 52 du premier Protocole additionnel (...) selon lequel les biens de caractère civil ne doivent être l'objet ni d'attaques ni de représailles.
Eu égard à ce qui précède, les actes perpétrés par V. Kononov et ses hommes doivent être qualifiés de crime de guerre au sens du deuxième alinéa, point b), de l'article 6 du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, en vertu duquel l'assassinat, la torture des personnes civiles dans les territoires occupés, le pillage des biens privés, la destruction sans motif des villages, la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires constituent des violations des lois et coutumes de la guerre, c'est-à-dire des crimes de guerre.
Les actes perpétrés par V. Kononov et ses hommes doivent également être qualifiés d'infractions graves au sens de l'article 147 de la (...) Convention de Genève (...).
Partant (...), V. Kononov a commis le crime réprimé par l'article 68-3 du code pénal (...).
Il ressort des pièces du dossier qu'après la guerre les membres survivants des familles des [personnes] tuées ont été impitoyablement persécutés et soumis à diverses représailles. Après le rétablissement de l'indépendance de la Lettonie, toutes les personnes tuées ont été réhabilitées ; leurs certificats de réhabilitation mentionnent qu'elles n'[ont] pas commis de « crimes contre la paix [ou] l'humanité, d'infractions pénales (...) et qu'elles n'[ont] pas participé (...) aux répressions politiques (...) du régime nazi » (...).
En application de l'article 43 du premier Protocole additionnel à la Convention de Genève (...), selon lequel les combattants, c'est-à-dire les personnes qui ont le droit de participer directement aux hostilités, sont les membres des forces armées d'une partie à un conflit, il y a lieu de considérer que V. Kononov tombe sous le coup [de la disposition régissant] le crime de guerre [en question].
Pendant la Seconde Guerre mondiale, V. Kononov était membre des forces armées d'une partie belligérante, [à savoir de] l'URSS et il a activement participé aux opérations militaires organisées par celle-ci.
V. Kononov avait été envoyé en mission spéciale en Lettonie avec l'ordre bien précis d'agir derrière les lignes ennemies [et] d'y organiser des explosions.
Le peloton dirigé par V. Kononov ne saurait passer pour un groupement de volontaires, puisqu'il avait été organisé et dirigé par les forces armées de l'une des parties belligérantes (l'URSS) ; cela est confirmé par les pièces du dossier. De même, au moment du crime dont il est accusé, V. Kononov agissait également en sa qualité de combattant, dirigeant un groupe de personnes armées qui avait le droit de participer aux opérations militaires en tant que partie intégrante des forces armées d'une partie belligérante. (...)
V. Kononov a combattu sur le territoire letton occupé par l'URSS, et ni le fait qu'il y avait alors une double occupation (l'Allemagne étant l'autre puissance occupante) ni le fait que l'URSS faisait partie de la coalition antihitlérienne n'affectent la qualité de criminel de guerre de V. Kononov. (...).
La chambre des affaires pénales considère que tous les villageois de Mazie Bati qui ont été tués doivent être considérés comme des personnes civiles au sens de l'article 68-3 du code pénal (...) et des dispositions du droit international.
Aux termes de l'article 50 du premier Protocole additionnel à la Convention de Genève (...), est considérée comme civile toute personne n'appartenant pas à l'une des catégories visées à l'article 43 dudit protocole et à l'article 4A de la Convention.
Les attributs décrits par les dispositions précitées, qui sont propres à [certaines] catégories de personnes et qui excluent celles-ci de la définition des personnes civiles, ne s'appliquent pas aux villageois qui ont été tués.
Le fait que ceux-ci eussent obtenu des armes et des munitions ne leur conférait pas la qualité de combattants et l'on ne saurait y voir une volonté de leur part d'effectuer de quelconques opérations militaires.
Il est établi (...) que le groupe de partisans de Tchougounov a été anéanti par un détachement militaire allemand ; cela est du reste confirmé par les documents du quartier général de reconnaissance (...).
Le dossier ne contient pas de preuves susceptibles de démontrer que les villageois eussent participé à cette opération.
Le fait que Meikuls Krupniks eût informé les Allemands de la présence de partisans dans sa grange ne l'exclut pas de la catégorie des personnes civiles.
M. Krupniks vivait sur un territoire occupé par l'Allemagne, et la présence de partisans [rouges] dans sa ferme en temps de guerre était sans doute dangereuse pour lui et pour sa famille. (...)
Le fait que les villageois avaient des armes chez eux et qu'ils montaient [régulièrement] la garde la nuit ne signifie pas qu'ils participaient aux opérations militaires, mais atteste qu'ils craignaient réellement de subir des attaques.
Tout citoyen, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix, a le droit de se défendre lui-même et de défendre les membres de sa famille si leurs vies se trouvent menacées.
Il ressort du dossier que les partisans rouges, y compris le groupe de Tchougounov, usaient de la violence contre les civils, et que la population craignait pour sa sécurité.
La victime [K.] a déclaré que les partisans rouges pillaient les maisons et qu'ils s'emparaient souvent de la nourriture.
Le comportement criminel des partisans a été relevé dans les rapports des officiers supérieurs [S.] et [Č.], suivant lesquels les intéressés perpétraient des pillages, des meurtres et d'autres crimes contre la population locale. Beaucoup de personnes avaient l'impression que les partisans ne combattaient guère, mais se livraient au maraudage. (...)
Il ressort du dossier que des villageois qui ont été tués à Mazie Bati en 1943 et 1944, [seuls] faisaient partie de la garde nationale lettone (aizsargi) Bernards Šķirmants et [sa femme]. Les archives ne contiennent pas de renseignements relatifs à la participation des autres victimes à cette organisation ou à une quelconque autre (...).
La chambre des affaires pénales estime que le fait que les personnes susmentionnées participaient aux activités de la garde nationale lettone ne permet pas de les qualifier de combattants, puisqu'il n'a pas été établi (...) qu'elles eussent participé à des opérations militaires organisées par les forces armées d'une partie belligérante.
Il a été établi (...) qu'aucune formation militaire allemande ne se trouvait au village de Mazie Bati et que les villageois tués étaient de simples agriculteurs qui n'exerçaient aucune activité à caractère militaire.
Au moment des événements [litigieux], ces villageois se trouvaient chez eux et se préparaient à célébrer la Pentecôte. Parmi ceux qui furent tués figuraient des hommes – qui étaient armés – mais également des femmes, dont une était en fin de grossesse et était donc spécialement protégée (...) par la Convention de Genève [de 1949].
C'est sans hésitations que la chambre des affaires pénales a conclu que les personnes tuées étaient des civils. Quand bien même la chose ne lui serait pas apparue évidente, le premier Protocole additionnel à la Convention de Genève [de 1977] précise qu'en cas de doute, toute personne doit être considérée comme civile. (...)
La Lettonie n'ayant pas adhéré à la Convention de La Haye de 1907, les dispositions de cet instrument ne peuvent servir de fondement à [un constat de] violation.
Les crimes de guerre sont interdits, et les personnes en ayant commis doivent être condamnées dans n'importe quel pays, dès lors que la répression des actes en question fait partie intégrante du droit international, ce indépendamment de la question de savoir si les parties au conflit sont ou non parties à tel ou tel traité international. (...) »
39.  La chambre des affaires pénales exclut deux chefs d'accusation qui n'avaient pas été prouvés d'une manière convaincante, à savoir ceux relatifs aux meurtres et tortures que le requérant était supposé avoir perpétrés lui-même. Elle déclara l'intéressé coupable d'un crime grave et, constatant qu'il était âgé, infirme et inoffensif, le condamna à un an et huit mois d'emprisonnement ferme, peine qu'il fut réputé avoir purgée.
40.  Par un arrêt du 28 septembre 2004, le sénat de la Cour suprême rejeta le pourvoi du requérant dans les termes suivants :
« (...) Pour conclure que V. Kononov était un combattant et qu'il a commis le crime en question sur un territoire occupé par l'URSS, la chambre des affaires pénales s'est fondée sur les décisions des organes représentatifs supérieurs de la république de Lettonie, sur les conventions internationales pertinentes et sur d'autres éléments de preuve, vérifiés et appréciés conformément aux règles de la procédure pénale et pris dans leur ensemble.
Dans la déclaration du Conseil suprême (...) du 4 mai 1990 sur le rétablissement de l'indépendance de la république de Lettonie, il a été reconnu que l'ultimatum du 16 juin 1940 adressé au gouvernement de la république de Lettonie par l'ex-URSS stalinienne devait être qualifié de crime international, dès lors que la Lettonie se trouvait sous occupation et que son pouvoir souverain avait été aboli. [Cependant,] la république de Lettonie avait continué d'exister en tant que sujet de droit international, comme l'avaient reconnu plus de cinquante Etats du monde entier (...).
Après avoir analysé le bien-fondé de l'arrêt, (...) le sénat estime que, pour autant que la chambre des affaires pénales a considéré que V. Kononov tombait sous le coup de l'article 68-3 du code pénal (...) les actes de l'intéressé ont été correctement qualifiés, dès lors qu'en qualité de belligérant combattant sur le territoire letton occupé par l'URSS il a violé les lois et coutumes de la guerre en planifiant et dirigeant une opération militaire de représailles contre des civils, à savoir contre les paisibles habitants du village de Mazie Bati, dont neuf furent tués (...) et dont les biens furent volés [ou] brûlés.
Comme l'a relevé (à juste titre) la cour d'appel, ni le fait que pendant la Seconde Guerre mondiale le territoire letton a subi deux occupations successives par deux Etats (dont l'Allemagne ; une « double occupation » selon la cour d'appel) ni le fait que l'URSS appartenait à la coalition antihitlérienne n'affectent la qualité de responsable d'un crime de guerre devant être attribuée à V. Kononov.
S'agissant du moyen (...) selon lequel la cour [d'appel] a violé les dispositions de l'article 6 du code pénal (...) relatives à l'applicabilité temporelle de la loi pénale en déclarant V. Kononov coupable du crime de guerre en question, le [sénat] estime qu'il doit être rejeté pour les motifs suivants.
Il ressort de l'arrêt que la cour d'appel a appliqué les traités, à savoir la Convention de Genève du 12 août 1949 (...) et [son] Protocole additionnel du 8 juin 1977 (...), au crime de guerre reproché à V. Kononov, indépendamment des dates auxquelles ils sont entrés en vigueur. [Cela est conforme] à la Convention des Nations unies du 26 novembre 1968 sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. [La cour d'appel a indiqué] que la république de Lettonie, occupée par l'URSS, n'avait pu adopter plus tôt une décision [en ce sens]. En renvoyant au principe d'imprescriptibilité, la cour s'est conformée aux obligations découlant des traités internationaux et a décidé de déclarer pénalement responsables les personnes coupables des crimes en question, indépendamment de l'époque où ils avaient été perpétrés.
Considérant que l'arrêt attaqué qualifie la violation des lois et coutumes de guerre reprochée à V. Kononov de crime de guerre au sens du deuxième alinéa, point b), de l'article 6 du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg (...) et que (...) conformément à la Convention des Nations unies du 26 novembre 1968 susmentionnée (...) les crimes de guerre (...) sont imprescriptibles, (...) le sénat estime que c'est à bon droit que les actes en question ont été jugés relever de l'article 68-3 du code pénal (...)
Le sénat estime que rien (...) ne permet de dire (...) que la déclaration du Conseil suprême du 4 mai 1990 sur le rétablissement de l'indépendance de la république de Lettonie et la déclaration du Parlement du 22 août 1996 sur l'occupation de la Lettonie n'étaient que de simples textes politiques sur lesquels la cour d'appel ne pouvait fonder son jugement et qui ne pouvaient se voir attribuer rétroactivement force contraignante.
Le [sénat] considère que les deux déclarations constituent des actes étatiques à caractère constitutionnel dont la légalité ne prête pas à controverse.
Dans son arrêt, qu'elle a rendu après avoir évalué les preuves examinées à l'audience, [la cour d'appel] a constaté que V. Kononov, en sa qualité de combattant, avait organisé, commandé et dirigé une action militaire de partisans, qui avait consisté, à titre de représailles, à massacrer la population civile du village de Mazie Bati et à piller et détruire les fermes des paysans. Cela étant, elle a, à juste titre, considéré que les actes individuels perpétrés par les membres du groupe du requérant (...) ne pouvaient passer pour de simples excès de la part des intéressés.
Conformément aux principes du droit pénal régissant la responsabilité des groupes organisés, les membres [d'un groupe] sont complices de l'infraction, indépendamment du rôle joué par eux dans sa commission.
Ce principe de la responsabilité des membres d'un groupe organisé est reconnu par le troisième alinéa de l'article 6 du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, aux termes duquel les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'exécution d'un plan concerté sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan.
Par conséquent, est dénué de fondement le moyen de cassation selon lequel la cour d'appel aurait, sans aucune preuve, reconnu V. Kononov coupable d'actes perpétrés par les membres du groupe spécial de partisans qu'il dirigeait en usant d'un critère de « responsabilité objective », sans examiner son attitude subjective à l'égard des éventuelles conséquences. (...) »
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Le code pénal de 1926
41.  Par un décret du 6 novembre 1940, le Conseil suprême de la RSS de Lettonie remplaça le code pénal letton alors en vigueur par le code pénal soviétique de 1926, dont l'applicabilité fut ainsi étendue au territoire letton (ci-après « le code pénal de 1926 »). Les dispositions pertinentes de ce texte telles qu'elles étaient en vigueur pendant la Seconde Guerre mondiale étaient ainsi libellées :
Article 2
« Le présent code est applicable à tous les citoyens de la R.S.F.S.R. [République socialiste fédérative soviétique de Russie] ayant commis des actes socialement dangereux sur le territoire de la R.S.F.S.R., ou en dehors du territoire de l'URSS s'ils sont interpellés sur le territoire de la R.S.F.S.R. »
Article 3
« La responsabilité des citoyens des autres républiques socialistes fédératives soviétiques pour des infractions commises sur le territoire de la R.S.F.S.R., ou en dehors du territoire de l'URSS si les intéressés ont été interpellés et livrés à un tribunal ou à un organe d'enquête sur le territoire de la R.S.F.S.R., est déterminée conformément aux lois de la R.S.F.S.R.
La responsabilité des citoyens des républiques socialistes fédératives pour des infractions commises sur le territoire de l'Union est déterminée conformément aux lois du lieu où l'infraction a été commise. »
Article 4
« La responsabilité des étrangers pour des infractions commises sur le territoire de l'URSS est déterminée conformément aux lois du lieu où l'infraction a été commise. »
42.  Le chapitre IX du code pénal de 1926 intitulé « Infractions militaires » renfermait les dispositions suivantes, pertinentes en l'espèce :
Article 193-1
« Sont considérées comme des infractions militaires les infractions commises par des militaires au service de l'Armée rouge des ouvriers et des paysans et de la Marine rouge des ouvriers et des paysans, par des personnes affectées aux équipes d'entretien ou par des personnes appelées à servir dans les détachements territoriaux dans le cadre des conscriptions périodiques, [lorsque ces infractions] portent atteinte à l'ordre établi du service militaire et que, eu égard à leur caractère et à leur portée, elles ne peuvent pas être commises par des citoyens qui ne sont pas au service de l'armée ou de la marine. (...) »
Article 193-3
« L'inexécution par un militaire d'un ordre légitime donné pendant le combat entraîne l'application de mesures de protection de la société sous la forme d'un emprisonnement de trois ans au minimum.
Si pareille inexécution engendre des conséquences néfastes pour les opérations de combat, elle entraîne l'application de la mesure ultime de protection de la société [à savoir la peine de mort].
Article 193-17
« Le maraudage, c'est-à-dire le fait, pendant les combats, de dépouiller des civils de leurs biens, sous la menace d'armes ou sous le prétexte que la réquisition de ces biens est nécessaire à des fins militaires, ou le fait de dépouiller des morts et des blessés de leurs effets personnels à des fins d'enrichissement, entraîne l'application de la mesure ultime de protection de la société, assortie de la confiscation de tous les biens.
En présence de circonstances atténuantes, la peine est réduite, sans pouvoir être inférieure à trois ans d'emprisonnement en isolement strict. »
Article 193-18
« Les actes illicites de violence commis par des militaires en temps de guerre ou pendant les combats entraînent l'application de mesures de protection de la société sous la forme d'un emprisonnement en isolement strict de trois ans au minimum.
En présence de circonstances aggravantes, la mesure ultime de protection de la société est appliquée. »
43.  Le texte de l'article 14 (et des notes l'accompagnant) du code pénal de 1926 était ainsi libellé :
« Il ne peut pas y avoir de poursuites pénales :
a)  dans le cas d'une infraction emportant une peine de plus de cinq ans d'emprisonnement ou pour laquelle la loi prévoit une peine d'emprisonnement d'un an au minimum, lorsque dix ans se sont écoulés depuis la commission de l'infraction ;
b)  dans le cas d'une infraction emportant une peine d'emprisonnement de un à cinq ans ou pour laquelle la loi prévoit une peine d'emprisonnement de six mois au minimum, lorsque cinq ans se sont écoulés depuis la commission de l'infraction ;
c)  dans le cas d'une autre infraction, lorsque trois ans se sont écoulés depuis la commission de l'infraction.
La prescription s'applique lorsqu'il n'y a eu ni acte procédural ni mesure d'instruction dans l'affaire pendant toute la période en question et que l'auteur de l'infraction n'a commis, au cours de la période prévue par le présent article, aucune autre infraction relevant de la même catégorie ou présentant un degré de gravité au moins égal.
Note 1 – En ce qui concerne les poursuites pour crimes contre-révolutionnaires, l'application de la prescription est laissée dans chaque cas à la discrétion du tribunal. Toutefois, si celui-ci juge la prescription inapplicable, il doit obligatoirement commuer la peine de mort par fusillade en une déclaration qualifiant l'intéressé d'ennemi des travailleurs, assortie de la déchéance de la citoyenneté de l'URSS et du bannissement à vie du territoire de l'URSS, ou bien en une peine d'emprisonnement dont la durée ne peut être inférieure à deux ans.
Note 2 – En ce qui concerne les poursuites pénales dirigées contre des personnes ayant activement lutté contre la classe ouvrière et contre le mouvement révolutionnaire dans le cadre de l'exercice de fonctions élevées ou secrètes sous le régime tsariste ou au service des gouvernements contre-révolutionnaires lors de la Guerre civile [russe], tant l'application de la prescription que la commutation de la peine de mort par fusillade sont laissées à la discrétion du tribunal.
Note 3 – Les délais de prescription fixés par le présent article ne s'appliquent pas aux actes passibles, en vertu du présent code, de poursuites administratives. Pareils actes ne peuvent entraîner l'application de mesures de contrainte que dans un délai d'un mois à compter de leur commission.
B.  Le code pénal de 1961
44.  Le 6 janvier 1961, le Conseil suprême de la RSS de Lettonie remplaça le code pénal de 1926 par le code pénal de 1961, qui entra en vigueur le 1er avril 1961. Les articles pertinents en l'espèce du nouveau code se lisaient ainsi :
Article 72 [modifié par la loi du 15 janvier 1998]
« Constitue une infraction passible d'une peine de trois à quinze ans d'emprisonnement (...), ou de la peine de mort (...) le fait d'organiser des bandes armées dans le but d'attaquer des entreprises de l'Etat, des entreprises privées, les autorités, des organisations ou des particuliers, ou de participer à de telles bandes ou à des attaques perpétrées par elles. »
Article 226
« Les infractions prévues par le présent code sont considérées comme des infractions militaires lorsqu'elles sont commises par des membres du personnel militaire (...) et portent atteinte à l'ordre établi du service militaire. (...) »
Article 256 [abrogé par la loi du 10 septembre 1991]
« Constitue une infraction passible d'une peine de trois à dix ans d'emprisonnement ou de la peine de mort le fait de marauder, de détruire illégalement des biens, de commettre des actes de violence à l'égard de la population d'une région en proie à des hostilités ou de saisir illégalement des biens sous prétexte de nécessité militaire. »
45.  Aux termes de l'article 45 du code pénal de 1961, l'application de la prescription aux crimes emportant la peine de mort n'était pas automatique, mais relevait de la discrétion du tribunal.
46.  Après le rétablissement de l'indépendance de la Lettonie, le code pénal de 1961 demeura en vigueur (avec quelques amendements).
47.  Par une loi du 6 avril 1993, le Conseil suprême inséra dans la partie spéciale du code pénal de 1961 un chapitre 1-a nouveau, qui renfermait des dispositions réprimant des actes tels que le génocide, les crimes contre l'humanité ou contre la paix, les crimes de guerre et la discrimination raciale.
48.  Une disposition de ce nouveau chapitre (l'article 68-3) traitait des crimes de guerre. Elle se lisait ainsi :
« Quiconque est reconnu coupable d'un crime de guerre tel que défini par les conventions juridiques pertinentes, c'est-à-dire d'une violation des lois et coutumes de la guerre par la voie de meurtres, d'actes de torture, de pillages commis au détriment de la population civile d'un territoire occupé, d'otages ou de prisonniers de guerre, par la voie d'une déportation de ces personnes ou de leur assujettissement à des travaux forcés, ou par la voie d'une destruction injustifiée de villes et d'installations est passible de la réclusion à perpétuité ou d'une peine de trois à quinze ans d'emprisonnement. »
49.  La même loi inséra également dans le code pénal de 1961 un article 6-1 qui permettait l'application rétroactive du droit pénal pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre :
« Les personnes s'étant rendues coupables de crimes contre l'humanité, de génocide, de crimes contre la paix ou de crimes de guerre peuvent être condamnées quelle que soit l'époque à laquelle elles ont perpétré leurs crimes. »
50.  Fut également inséré un article 45-1 qui excluait la prescription pour lesdits crimes :
« La prescription de la responsabilité pénale ne s'applique pas aux personnes s'étant rendues coupables de crimes contre l'humanité, de génocide, de crimes contre la paix ou de crimes de guerre. »
C.  Le code pénal de 1998
51.  Le 1er avril 1999, le code pénal de 1961 a été remplacé par le code pénal de 1998. Ce dernier reprenait en substance les articles 6-1, 45-1 et 68-3 de l'ancien code.
III.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS
52.  A l'époque considérée, les lois de la guerre se dégageaient non seulement de traités, mais aussi « d'us et de coutumes progressivement et universellement reconnus, de la doctrine des juristes, de la jurisprudence des tribunaux militaires »1.
A.  Le « droit de Genève » (1864-1949) sur le traitement des personnes et des biens au pouvoir de l'ennemi
1.  La Convention pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne (« la Convention de Genève de 1864 »)
53.  La première Convention de Genève (ultérieurement remplacée) énonçait les normes minimales applicables aux « militaires blessés ou malades », qui devaient être « recueillis et soignés », sans distinction de nationalité.
2.  La Convention pour l'amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne (« la Convention de Genève de 1906 »)
54.  Cette Convention conférait une protection et le statut de prisonniers de guerre aux combattants malades et blessés tombés au pouvoir de l'ennemi.
« Article premier.  Les militaires et les autres personnes officiellement attachées aux armées, qui seront blessés ou malades, devront être respectés et soignés, sans distinction de nationalité, par le belligérant qui les aura en son pouvoir. (...)
Article 2.  Sous réserve des soins à leur fournir en vertu de l'article précédent, les blessés ou malades d'une armée tombés au pouvoir de l'autre belligérant sont prisonniers de guerre (...). »
3.  La Convention pour l'amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne (« la Convention de Genève de 1929 »)
55.  Cette Convention (remplacée par la première Convention de Genève de 1949) était basée sur les expériences de la Première Guerre mondiale. Elle ne renfermait pas de clause de participation générale. Ses articles 1 et 2 étaient ainsi libellés :
« Article premier.  Les militaires et les autres personnes officiellement attachées aux armées qui seront blessés ou malades devront être respectés et protégés en toutes circonstances ; ils seront traités avec humanité et soignés, sans distinction de nationalité, par le belligérant qui les aura en son pouvoir. (...)
Article 2.  Sous réserve des soins à leur fournir en vertu de l'article précédent, les blessés et les malades d'une armée tombés au pouvoir de l'autre belligérant seront prisonniers de guerre (...) »
4.  La Convention relative au traitement des prisonniers de guerre (« la Convention de 1929 sur les prisonniers de guerre »)
56.  Cette Convention fournissait un vaste ensemble de règles concernant le traitement des prisonniers de guerre. Elle avait pour vocation de remédier aux insuffisances, apparues au cours de la Première Guerre mondiale, des dispositions pertinentes de la Convention et du Règlement de La Haye de 1907 (paragraphes 85-91 ci-dessous). Elle reconnaissait que pour bénéficier du statut de prisonnier de guerre, il fallait avoir la qualité de combattant régulier, telle que définie par le Règlement de La Haye de 1907. Elle introduisait des garanties pour les prisonniers de guerre et exigeait qu'ils fussent traités avec humanité. Les femmes faisaient l'objet d'une protection spéciale. Les dispositions pertinentes en l'espèce étaient ainsi libellées :
« Article premier.  La présente Convention s'appliquera, sans préjudice des stipulations du Titre VII :
1) à toutes les personnes visées par les articles Ier, 2 et 3 du Règlement annexé à la Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, du 18 octobre 1907, et capturées par l'ennemi ;
2) à toutes les personnes appartenant aux forces armées des parties belligérantes, capturées par l'ennemi au cours d'opérations de guerre maritimes ou aériennes, sous réserve des dérogations que les conditions de cette capture rendraient inévitables. Toutefois, ces dérogations ne devront pas porter atteinte aux principes fondamentaux de la présente Convention ; elles prendront fin dès le moment où les personnes capturées auront rejoint un camp de prisonniers de guerre.
Article 2.  Les prisonniers de guerre sont au pouvoir de la Puissance ennemie, mais non des individus ou des corps de troupe qui les ont capturés. Ils doivent être traités, en tout temps, avec humanité et être protégés notamment contre les actes de violence, les insultes et la curiosité publique. Les mesures de représailles à leur égard sont interdites.
Article 3.  Les prisonniers de guerre ont droit au respect de leur personnalité et de leur honneur. Les femmes seront traitées avec tous les égards dus à leur sexe. Les prisonniers conservent leur pleine capacité civile. »
« Article 46.  Les prisonniers de guerre ne pourront être frappés par les autorités militaires et les tribunaux de la Puissance détentrice d'autres peines que celles qui sont prévues pour les mêmes faits à l'égard des militaires des armées nationales. (...) »
« Article 51.  La tentative d'évasion, même s'il y a récidive, ne sera pas considérée comme une circonstance aggravante dans le cas où le prisonnier de guerre serait déféré aux tribunaux pour des crimes ou délits contre les personnes ou contre la propriété commis au cours de cette tentative.
Après une évasion tentée ou consommée, les camarades de l'évadé qui auront coopéré à l'évasion ne pourront encourir de ce chef qu'une punition disciplinaire. »
5.  Le projet de Convention internationale concernant la condition et la protection des civils de nationalités ennemies qui se trouvent sur le territoire d'un belligérant ou sur un territoire occupé par lui (« le projet de Convention de Tokyo de 1934 »)
57.  Ce projet de Convention visait à améliorer la protection des civils ennemis se trouvant sur le territoire d'un belligérant ou sur un territoire occupé par lui. L'éclatement de la Seconde Guerre mondiale empêcha son examen, qui devait avoir lieu lors d'une conférence en 1940. Il constitua par la suite une base de discussion pour la quatrième Convention de Genève de 1949 et mérite d'être cité pour sa définition par la négative des civils (conforme au Manuel d'Oxford de 1880) et pour la distinction qu'il établissait entre combattants et civils :
(Traduction reprise du site internet du CICR)
« Article premier.  Les civils ennemis, dans le sens de la présente Convention, sont les personnes qui réunissent les deux conditions suivantes :
a)  ne pas appartenir aux forces armées terrestres, maritimes et aériennes des belligérants, telles qu'elles sont définies par le droit international, notamment par les articles 1, 2 et 3 du Règlement annexé à la Convention de La Haye, No IV, concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, du 18 octobre 1907 ;
b)  être ressortissant d'un pays ennemi et se trouver sur le territoire d'un belligérant ou sur un territoire occupé par lui. »
58.  Ses articles 9 et 10 énonçaient que les « civils ennemis » devaient être protégés contre les actes de violence et interdisaient les mesures de représailles à leur égard.
6.  La Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (« la troisième Convention de Genève de 1949)
59.  Cette Convention se lisait ainsi en ses passages pertinents en l'espèce :
« Article 5.  La présente Convention s'appliquera aux personnes visées à l'article 4 dès qu'elles seront tombées au pouvoir de l'ennemi et jusqu'à leur libération et leur rapatriement définitifs.
S'il y a doute sur l'appartenance à l'une des catégories énumérées à l'article 4 des personnes qui ont commis un acte de belligérance et qui sont tombées aux mains de l'ennemi, lesdites personnes bénéficieront de la protection de la présente Convention en attendant que leur statut ait été déterminé par un tribunal compétent. »
7.  La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (« la quatrième Convention de Genève de 1949 »)
60.  L'article 16 de cette Convention offrait une protection particulière aux femmes enceintes :
« Les blessés et les malades, ainsi que les infirmes et les femmes enceintes seront l'objet d'une protection et d'un respect particuliers. Pour autant que les exigences militaires le permettront, chaque Partie au conflit favorisera les mesures prises pour rechercher les tués ou blessés, venir en aide aux naufragés et autres personnes exposées à un grave danger et les protéger contre le pillage et les mauvais traitements. »
61.  L'article 32 assurait aux personnes se trouvant au pouvoir de l'ennemi une protection spécifique contre les mauvais traitements et l'article 33 interdisait les peines collectives, le pillage et les mesures de représailles à l'égard des personnes protégées.
62.  L'article 53 interdisait de détruire des biens mobiliers ou immobiliers appartenant à des personnes privées, sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires.
B.  Les lois et coutumes de la guerre avant la Seconde Guerre mondiale
1.  Les Instructions de 1863 pour les armées en campagne des Etats-Unis d'Amérique (« le Code Lieber de 1863 »)
63.  Le Code Lieber est considéré comme la première tentative de codification des lois et coutumes de la guerre. Bien que destinées aux seules forces américaines, ses dispositions correspondaient aux lois et coutumes de la guerre qui existaient à l'époque, et elles ont fortement influencé les codifications ultérieures.
64.  Les articles 15 et 38 énonçaient que la nécessité militaire admettait les captures et destructions de personnes et de biens (voir également l'article 16 du même code ci-après) :
(Traduction reprise du site internet du CICR)
« 15.  La nécessité militaire admet que l'on tue ou blesse directement tout ennemi « armé » et toute autre personne dont la mise hors de combat se trouve inévitable dans les engagements armés de la guerre ; elle permet de capturer tout ennemi armé et tout ennemi de quelque importance pour le gouvernement ennemi ou représentant un danger particulier pour le capteur ; elle permet toutes destruction de biens et obstruction de voies et canaux de trafic, commerce ou communication, et toute suppression de subsistances ou moyens d'existence à l'ennemi ; l'appropriation, en pays ennemi, de tout produit nécessaire à la subsistance et à la sécurité de l'armée, ainsi que toute ruse n'impliquant pas rupture d'un engagement exprès, qu'il s'agisse d'engagements contractés au cours de la guerre ou d'engagements résultant de l'état actuel du droit de la guerre. Ceux qui prennent les armes l'un contre l'autre dans une guerre publique ne cessent pas d'être, pour autant, des être moraux, responsables vis-à-vis l'un de l'autre et de Dieu. »
« 38.  Les biens privés, à moins de crimes ou infractions graves de leurs propriétaires, ne peuvent être saisis qu'en raison d'impérieuses nécessités militaires, pour l'entretien ou tout autre usage de l'armée des Etats-Unis. (...) »
65.  L'article 16 posait une norme générale quant à la conduite à adopter pendant un conflit armé et interdisait les actes de perfidie :
« La nécessité militaire n'admet pas la cruauté, c'est-à-dire le fait d'infliger la souffrance pour elle-même ou par vengeance, ni l'acte de blesser ou mutiler si ce n'est en combat, ni la torture pour obtenir des renseignements. Elle n'admet d'aucune manière l'usage du poison, ni la dévastation systématique d'une contrée. Elle admet la ruse, mais repousse les actes de perfidie ; et, en général, la nécessité militaire ne comprend aucun acte d'hostilité qui accroisse, sans nécessité, les difficultés du retour à la paix. »
66.  Les articles 19 et 37 prévoyaient une protection spéciale pour les femmes dans le contexte d'un conflit armé :
« 19.  Le commandement, toutes les fois que les circonstances le permettent, informe l'ennemi de son intention de bombarder une place, de telle manière que les non-combattants et spécialement les femmes et les enfants puissent être évacués (...) »
« 37.  Les Etats-Unis reconnaissent et protègent, dans les pays ennemis occupés par eux, la religion et la moralité, la propriété strictement privée, la personne des habitants, spécialement celle des femmes et le caractère sacré des relations de famille. Les infractions seront rigoureusement punies. (...) »
67.  L'article 22 énonçait le principe de la distinction entre combattants et civils :
« Néanmoins, de même que la civilisation a progressé durant les derniers siècles, de même a progressé de façon continue, spécialement dans la guerre sur terre, la distinction entre la personne privée des ressortissants d'un pays ennemi et le pays ennemi lui-même avec ses hommes en armes. Le principe a été reconnu, de plus en plus, que le citoyen non armé doit être épargné quant à sa personne, ses biens, son honneur, autant que les exigences de la guerre le permettent. »
68.  L'article 44 énumérait une série d'infractions et les peines sévères encourues par tout soldat qui s'en rendait coupable :
« Toute violence délibérée commise contre les personnes dans le pays envahi, toute destruction de biens non ordonnée par un officier qualifié, tous vol, pillage ou mise à sac, même après la prise d'une place de vive force, tous viol, blessure, mutilation ou mise à mort de ses habitants, sont interdits sous peine de mort ou de toute autre peine grave proportionnée à la gravité de l'offense. Tout soldat, officier ou sous-officier, se livrant à de telles violences et désobéissant à un supérieur qui lui ordonne de s'en abstenir, peut légalement être mis à mort sur place par ce supérieur. »
69.  L'article 47 se référait aux peines prévues par les codes pénaux nationaux :
« Les crimes punissables par tous les codes pénaux, tels qu'incendies volontaires, assassinat, mutilation, voies de fait, attaques à main armée, vol, vol de nuit et avec effraction, escroquerie, faux et viol, s'ils sont commis par un militaire américain en pays ennemi contre les habitants de ce pays ne sont pas seulement punissables comme dans son propre pays, mais, dans tous les cas qui ne sont pas punis de mort, ils seront passibles de la peine supérieure. »
70.  Le Code Lieber illustrait les deux grands droits reconnus à tout « combattant » : le statut de prisonnier de guerre (article 49) et l'immunité de poursuites pour certains actes qui seraient considérés comme criminels pour un civil (article 57) :
« 49.  Est prisonnier de guerre tout belligérant armé ou attaché à l'armée ennemie, en service actif, tombé aux mains du capteur, soit en combattant, soit après avoir été blessé, sur le champ de bataille ou à l'hôpital, par reddition individuelle ou capitulation.
Tous soldats à quelque arme qu'ils appartiennent ; tous hommes faisant partie de la levée en masse du pays ennemi, toutes personnes attachées à l'armée pour ses opérations et faisant directement acte de guerre, excepté celles désignées ci-dessous, tous soldats ou officiers hors de combat sur le champ de bataille ou en tout autre lieu, s'ils sont capturés ; tous ennemis ayant jeté leurs armes et demandant quartier, sont prisonniers de guerre et, comme tels, soumis aux rigueurs comme admis aux privilèges de prisonnier de guerre. »
« 57.  Dès qu'un homme est armé par un gouvernement souverain et prête, comme soldat, le serment de fidélité, il est un belligérant ; le fait de le tuer, le blesser ou commettre envers lui tous autres actes de guerre ne constitue pas un crime ni une infraction individuels. Nul belligérant n'a le droit de déclarer que ses adversaires d'une certaine classe, couleur ou condition, dûment organisés comme soldats, ne seront pas traités par lui en belligérants. »
71.  La notion de « levée en masse » était traitée à l'article 51 :
« Si les habitants d'une partie du pays envahi non encore occupée par l'ennemi ou ceux du pays tout entier, à l'approche de l'armée ennemie, se soulèvent en masse, répondant à un appel dûment autorisé, afin de résister à l'envahisseur, ils sont traités comme belligérants et, en cas de capture, sont prisonniers de guerre. »
72.  L'article 59 disposait que les violations des lois et coutumes de la guerre engageaient la responsabilité pénale de leurs auteurs :
« Tout prisonnier de guerre demeure responsable des crimes qu'il a commis avant sa capture contre l'armée ou le peuple de la partie qui l'a capturé et pour lesquels il n'a pas été puni par ses propres autorités. Tous les prisonniers de guerre sont passibles de mesures de rétorsion. »
73.  Les articles 63 à 65 interdisaient le port de l'uniforme ennemi en tant qu'acte de perfidie et enlevaient à ceux qui se livraient à une telle conduite la protection des lois et coutumes de la guerre :
« 63.  Les troupes qui combattent sous l'uniforme de leurs ennemis sans marque distinctive claire, apparente et uniforme de leur identité, ne peuvent espérer de quartier.
64.  Si l'armée américaine capture des bagages contenant des uniformes ennemis et que le commandement juge opportun de distribuer ceux-ci pour être portés par ses hommes, on adoptera une marque ou un signe apparent quelconque afin de distinguer le soldat américain de l'ennemi.
65.  L'usage de l'insigne national, du drapeau, ou de tout autre emblème de nationalité de l'ennemi pour tromper l'ennemi, au combat, est un acte de perfidie qui fait perdre tout droit à la protection des lois de la guerre. »
74.  Conjointement avec l'article 49, l'article 71 décrivait un statut particulier, celui des personnes que le droit international désignerait ultérieurement par l'expression « hors de combat » :
« 71.  Quiconque blesse intentionnellement l'ennemi déjà réduit complètement à l'impuissance, le tue ou ordonne de le tuer ou encourage ses soldats à le tuer, sera mis à mort, si sa culpabilité est démontrée, soit qu'il appartienne à l'armée des Etats-Unis ou qu'il soit un ennemi capturé après avoir commis son crime. »
75.  Les articles 76 et 77 énonçaient l'obligation de traiter les prisonniers de guerre avec humanité et sans excès en cas de tentative d'évasion. Ces dispositions se lisaient ainsi :
« 76.  Les prisonniers de guerre recevront une nourriture saine et abondante, autant que possible, et seront traités avec humanité. (...)
77.  Le prisonnier qui cherche à s'échapper peut être tué d'une balle ou de toute autre manière, lors de sa fuite, mais ni la mort ni aucune autre peine ne peut lui être infligée simplement pour sa tentative d'évasion, tentative que le droit de la guerre ne considère pas comme un crime. De plus strictes mesures de sécurité seront prises après une tentative infructueuse d'évasion. (...) »
76.  L'article 101 interdisait d'infliger des blessures par traîtrise (acte qui était assimilé à l'époque à l'infliction de blessures par perfidie) :
« Bien que la ruse soit admise à la guerre comme procédé juste et nécessaire de mener les hostilités et soit conforme à l'honneur en temps de guerre, le droit commun de la guerre va jusqu'à permettre de punir de la peine capitale les tentatives clandestines et traîtresses de nuire à l'ennemi quand elles sont spécialement dangereuses et qu'il est particulièrement difficile de se garder contre elles. »
77.  Les articles 88 et 104 traitaient du châtiment des espions :
« 88.  Un espion est une personne qui, en secret, déguisée ou sous une fausse identité, recherche des renseignements avec l'intention de les communiquer à l'ennemi. L'espion est passible de la peine de mort par pendaison par le cou, qu'il ait réussi ou non à obtenir les renseignements ou à les communiquer à l'ennemi. »
« 104.  L'espion ou le traître de guerre qui, après avoir réussi à rejoindre sa propre armée, sera capturé ultérieurement comme ennemi, n'encourt aucune peine pour ses actes d'espion ou de traître de guerre, mais il peut être soumis à une surveillance plus étroite comme individu personnellement dangereux. »
2.  La Déclaration à l'effet d'interdire l'usage de certains projectiles en temps de guerre (« la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 »)
78.  Cette Déclaration était le premier accord formel visant à interdire l'utilisation de certaines armes pendant la guerre. Son préambule rappelait trois principes des lois et coutumes de la guerre : le seul but légitime durant la guerre est l'affaiblissement des forces militaires de l'ennemi, les moyens pouvant être employés contre les forces ennemies sont limités, et les lois et coutumes de la guerre ne tolèrent pas les violences contre les personnes hors de combat.
3.  Le projet d'une Déclaration internationale concernant les lois et coutumes de la guerre (« le projet de Déclaration de Bruxelles de 1874 »)
79.  Cette Déclaration ne fut pas adoptée à la Conférence diplomatique tenue à Bruxelles en 1874, mais l'important exercice de codification qu'elle représentait laissa lui aussi des traces. Ses dispositions pertinentes se lisaient ainsi :
« Qui doit être reconnu comme partie belligérante: des combattants et des non-combattants.
Article 9.  Les lois, les droits et les devoirs de la guerre ne s'appliquent pas seulement à l'armée, mais encore aux milices et aux corps de volontaires réunissant les conditions suivantes :
1.  D'avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés ;
2.  D'avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance ;
3.  De porter les armes ouvertement, et
4.  De se conformer dans leurs opérations aux lois et coutumes de la guerre.
Dans les pays où les milices constituent l'armée ou en font partie, elles sont comprises sous la dénomination d'« armée ».
Article 10.  La population d'un territoire non occupé qui, à l'approche de l'ennemi, prend spontanément les armes pour combattre les troupes d'invasion sans avoir eu le temps de s'organiser conformément à l'article 9, sera considérée comme belligérante si elle respecte les lois et coutumes de la guerre.
Article 12.  Les lois de la guerre ne reconnaissent pas aux belligérants un pouvoir illimité quant aux choix des moyens de nuire à l'ennemi.
Article 13.  D'après ce principe sont notamment « interdits » :
b.  Le meurtre par trahison d'individus appartenant à la nation ou à l'armée ennemie ;
c.  Le meurtre d'un ennemi qui, ayant mis bas les armes ou n'ayant plus les moyens de se défendre, s'est rendu à discrétion ;
d.  La déclaration qu'il ne sera pas fait de quartier ;
e.  L'emploi d'armes, de projectiles ou de matières propres à causer des maux superflus, ainsi que l'usage des projectiles prohibés par la déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 ;
f.  L'abus du pavillon parlementaire, du pavillon national ou des insignes militaires et de l'uniforme de l'ennemi, ainsi que des signes distinctifs de la Convention de Genève ;
g.  Toute destruction ou saisie de propriétés ennemies qui ne serait pas impérieusement commandée par la nécessité de guerre.
Article 20.  L'espion pris sur le fait sera jugé et traité d'après les lois en vigueur dans l'armée qui l'a saisi.
Article 23.  Les prisonniers de guerre sont des ennemis légaux et désarmés. Ils sont au pouvoir du Gouvernement ennemi, mais non des individus ou des corps qui les ont capturés. Ils doivent être traités avec humanité. Tout acte d'insubordination autorise à leur égard les mesures de rigueur nécessaires. Tout ce qui leur appartient personnellement, les armes exceptées, reste leur propriété.
Article 28.  Les prisonniers de guerre sont soumis aux lois et règlements en vigueur dans l'armée au pouvoir de laquelle ils se trouvent. Contre un prisonnier de guerre en fuite il est permis, après sommation, de faire usage des armes. Repris, il est passible de peines disciplinaires ou soumis à une surveillance plus sévère.
Si, après avoir réussi à s'échapper, il est de nouveau fait prisonnier, il n'est passible d'aucune peine pour sa fuite antérieure. »
4.  Les lois de la guerre sur terre de 1880 (« le Manuel d'Oxford de 1880 »)
80.  Le Manuel d'Oxford de 1880, inspiré par le projet de Déclaration de Bruxelles de 1874 et rédigé par l'Institut de droit international, avait pour but d'aider les gouvernements à élaborer leurs législations nationales sur les lois et coutumes de la guerre. Les dispositions ici pertinentes en étaient ainsi libellées :
« Article premier.  L'état de guerre ne comporte des actes de violence qu'entre les forces armées des Etats belligérants. Les personnes qui ne font pas partie d'une force armée belligérante doivent s'abstenir de tels actes. Cette règle implique une distinction entre les individus dont se compose « la force armée » et les autres ressortissants d'un Etat. Une définition est donc nécessaire pour bien établir ce qu'il faut entendre par « force armée ».
Article 2.  La force armée d'un Etat comprend :
1.  L'armée proprement dite, y compris les milices ;
2.  Les gardes nationales, landsturm, corps francs et autres corps qui réunissent les trois conditions suivantes :
a)  Etre sous la direction d'un chef responsable ;
b)  Avoir un uniforme ou un signe distinctif, fixe et reconnaissable à distance, porté par les personnes qui font partie du corps ;
c)  Porter les armes ouvertement ;
3.  Les équipages des navires et autres embarcations de guerre ;
4.  Les habitants du territoire non occupé qui, à l'approche de l'ennemi, prennent les armes spontanément et ouvertement pour combattre les troupes d'invasion, même s'ils n'ont pas eu le temps de s'organiser.
Article 3.  Toute force armée belligérante est tenue de se conformer aux lois de la guerre. (...)
Article 4.  Les lois de la guerre ne reconnaissent pas aux belligérants une liberté illimitée quant aux moyens de nuire à l'ennemi. Ils doivent s'abstenir notamment de toute rigueur inutile, ainsi que de toute action déloyale, injuste ou tyrannique.
Article 8.  Il est interdit :
b)  D'attenter traîtreusement à la vie d'un ennemi, par exemple en soudoyant des assassins ou en feignant de se rendre ;
c)  D'attaquer l'ennemi en dissimulant les signes distinctifs de la force armée ;
d)  D'user indûment du pavillon national, des insignes militaires, ou de l'uniforme de l'ennemi, du pavillon parlementaire, ainsi que des signes tutélaires prescrits par la « Convention de Genève » (...).
Article 9.  Il est interdit :
b)  De mutiler ou de tuer un ennemi qui s'est rendu à discrétion ou qui est hors de combat et de déclarer d'avance qu'on ne fera pas de quartier, même si l'on n'en réclame pas pour soi-même. (...)
Article 20
e) qui peut être fait prisonnier de guerre ?
Article 21.  Les individus qui font partie des forces armées belligérantes, s'ils tombent au pouvoir de l'ennemi, doivent être traités comme prisonniers de guerre, conformément aux articles 61 et suivants. (...) »
81.  Les articles 23 à 26, constituant la partie intitulée « Des espions », se rapportaient au traitement de ceux-ci :
« Article 23.  Les individus capturés comme espions ne peuvent exiger d'être traités comme des prisonniers de guerre.
Mais
Article 24.  On ne doit pas considérer comme espions les individus, appartenant à l'une des forces armées belligérantes et non déguisés, qui ont pénétré dans la zone d'opérations de l'ennemi, – non plus que les messagers porteurs de dépêches officielles, accomplissant ouvertement leur mission et les aéronautes (article 21).
Pour prévenir les abus auxquels donnent lieu trop souvent, en temps de guerre, les accusations d'espionnage, il importe de proclamer bien haut que
Article 25.  Aucun individu accusé d'espionnage ne doit être puni avant que l'autorité judiciaire ait prononcé sur son sort.
D'ailleurs, il est admis que
Article 26.  L'espion qui réussit à sortir du territoire occupé par l'ennemi n'encourt, s'il tombe plus tard au pouvoir de cet ennemi, aucune responsabilité pour ses actes antérieurs. »
82.  L'article 32 b) interdisait notamment de détruire des propriétés publiques ou privées si cette destruction n'était pas commandée par une impérieuse nécessité de guerre.
83.  Le chapitre III traitait du régime de la captivité des prisonniers de guerre. Il décrivait la base légale de la détention de ceux-ci (précisant que la captivité n'était ni une peine ni un acte de vengeance), énonçait que les prisonniers de guerre devaient être traités avec humanité (article 63) et qu'il était possible de faire usage des armes contre un prisonnier fugitif (article 68).
84.  La troisième partie du Manuel définissait les sanctions applicables aux infractions aux règles énoncées dans le Manuel et indiquait les circonstances restreintes dans lesquelles un belligérant pouvait légitimement exercer des représailles si le coupable présumé ne pouvait être appréhendé :
« Si des infractions aux règles qui précèdent ont été commises, les coupables doivent être punis, après jugement contradictoire, par celui des belligérants au pouvoir duquel ils se trouvent. Donc,
Article 84.  Les violateurs des lois de la guerre sont passibles des châtiments spécifiés dans la loi pénale.
Mais ce mode de répression n'est applicable que lorsqu'on peut atteindre le coupable. Dans le cas contraire, la loi pénale est impuissante, et, si la partie lésée juge le méfait assez grave pour qu'il soit urgent de rappeler l'ennemi au respect du droit, il ne lui reste d'autre ressource que d'user de représailles à son égard. Les représailles sont une exception douloureuse au principe général d'équité d'après lequel un innocent ne doit pas souffrir pour un coupable, et à celui qui veut que chaque belligérant se conforme aux lois de la guerre, même sans réciprocité de la part de l'ennemi. Mais cette dure nécessité est tempérée par les restrictions suivantes :
Article 85. Les représailles sont formellement interdites dans le cas où le dommage dont on a lieu de se plaindre a été réparé.
Article 86.  Dans les cas graves où des représailles apparaissent comme une nécessité impérieuse, leur mode d'exercice et leur étendue ne doivent jamais dépasser le degré de l'infraction commise par l'ennemi. Elles ne peuvent s'exercer qu'avec l'autorisation du commandant en chef. Elles doivent respecter, dans tous les cas, les lois de l'humanité et de la morale. »
5.  La quatrième Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et le Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre qui s'y trouvait annexé
85.  La première Conférence internationale de la paix tenue à La Haye en 1899 avait abouti à l'adoption de quatre conventions, dont la deuxième Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et le Règlement qui s'y trouvait annexé. Après la deuxième Conférence internationale de la paix tenue à La Haye en 1907, ces instruments furent remplacés par la quatrième Convention de 1907 (« la Convention de La Haye de 1907 ») et le Règlement qui y était annexé (« le Règlement de La Haye de 1907 »). Ces textes se fondaient sur le projet de Déclaration de Bruxelles de 1874 et sur le Manuel d'Oxford de 1880.
86.  Le Préambule à la Convention de La Haye de 1907 se lisait ainsi :
« Considérant que, tout en recherchant les moyens de sauvegarder la paix et de prévenir les conflits armés entre les nations, il importe de se préoccuper également du cas où l'appel aux armes serait amené par des événements que leur sollicitude n'aurait pu détourner ;
Animés du désir de servir encore, dans cette hypothèse extrême, les intérêts de l'humanité et les exigences toujours progressives de la civilisation ;
Estimant qu'il importe, à cette fin, de réviser les lois et coutumes générales de la guerre, soit dans le but de les définir avec plus de précision, soit afin d'y tracer certaines limites destinées à en restreindre autant que possible les rigueurs ;
Ont jugé nécessaire de compléter et de préciser sur certains points l'œuvre de la Première Conférence de la Paix qui, s'inspirant, à la suite de la Conférence de Bruxelles de 1874, de ces idées recommandées par une sage et généreuse prévoyance, a adopté des dispositions ayant pour objet de définir et de régler les usages de la guerre sur terre.
Selon les vues des Hautes Parties contractantes, ces dispositions, dont la rédaction a été inspirée par le désir de diminuer les maux de la guerre, autant que les nécessités militaires le permettent, sont destinées à servir de règle générale de conduite aux belligérants, dans leurs rapports entre eux et avec les populations.
Il n'a pas été possible toutefois de concerter dès maintenant des stipulations s'étendant à toutes les circonstances qui se présentent dans la pratique ;
D'autre part, il ne pouvait entrer dans les intentions des Hautes Parties contractantes que les cas non prévus fussent, faute de stipulation écrite, laissées à l'appréciation arbitraire de ceux qui dirigent les armées.
En attendant qu'un Code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par Elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique.
Elles déclarent que c'est dans ce sens que doivent s'entendre notamment les articles 1 et 2 du Règlement adopté. »
87.  Le huitième paragraphe de la citation ci-dessus est connu sous le nom de « clause de Martens ». Une clause analogue avait déjà été insérée dans le préambule de la deuxième Convention de La Haye de 1899 ; elle fut reprise en substance dans chacune des quatre Conventions de Genève de 1949 ainsi que dans le Protocole additionnel de 1977 (paragraphes 134-142 ci-dessous).
88.  L'article 2 de la Convention de La Haye de 1907 renfermait une clause de solidarité « si omnes » en vertu de laquelle la Convention et le Règlement de La Haye de 1907 n'étaient applicables qu'entre les puissances contractantes et que si tous les belligérants étaient parties à la Convention. Toutefois, le jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg confirma ultérieurement qu'en 1939 la Convention et le Règlement de La Haye de 1907 devaient être considérés comme déclaratoires des lois et coutumes de la guerre (paragraphes 118 et 207 ci-après).
89.  Les autres dispositions de la Convention de La Haye de 1907 pertinentes en l'espèce énonçaient :
« Article premier.  Les Puissances contractantes donneront à leurs forces armées de terre des instructions qui seront conformes au Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la présente Convention.
Article 3.  La Partie belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement sera tenue à indemnité, s'il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée. »
90.  Les articles 1 et 2 du Règlement de La Haye de 1907 étaient ainsi libellés :
« Article premier.  Les lois, les droits et les devoirs de la guerre ne s'appliquent pas seulement à l'armée, mais encore aux milices et aux corps de volontaires réunissant les conditions suivantes :
1.  d'avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés ;
2.  d'avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance ;
3.  de porter les armes ouvertement et
4.  de se conformer dans leurs opérations aux lois et coutumes de la guerre.
Dans les pays où les milices ou des corps de volontaires constituent l'armée ou en font partie, ils sont compris sous la dénomination d'« armée ».
« Article 2.  La population d'un territoire non occupé qui, à l'approche de l'ennemi, prend spontanément les armes pour combattre les troupes d'invasion sans avoir eu le temps de s'organiser conformément à l'article premier, sera considérée comme belligérante si elle porte les armes ouvertement et si elle respecte les lois et coutumes de la guerre. »
91.  Le chapitre II (articles 4 à 20) du Règlement de La Haye de 1907 posait les règles d'identification des prisonniers de guerre, l'obligation de traiter ces prisonniers avec humanité (article 4) et celle de ne faire usage que des mesures de rigueur nécessaires en cas d'insubordination (article 8). Le Règlement comportait par ailleurs les dispositions suivantes :
« Article 22.  Les belligérants n'ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l'ennemi.
Article 23.  Outre les prohibitions établies par des conventions spéciales, il est notamment interdit
a.  (...)
b.  de tuer ou de blesser par trahison des individus appartenant à la nation ou à l'armée ennemie ;
c.  de tuer ou de blesser un ennemi qui, ayant mis bas les armes ou n'ayant plus les moyens de se défendre, s'est rendu à discrétion ;
d.  (...)
e.  d'employer des armes, des projectiles ou des matières propres à causer des maux superflus ;
f.  d'user indûment du pavillon parlementaire, du pavillon national ou des insignes militaires et de l'uniforme de l'ennemi, ainsi que des signes distinctifs de la Convention de Genève ;
g.  de détruire ou de saisir des propriétés ennemies, sauf les cas où ces destructions ou ces saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de la guerre ;
h.  de déclarer éteints, suspendus ou non recevables en justice, les droits et actions des nationaux de la Partie adverse ;
i.  (...)
Article 29.  Ne peut être considéré comme espion que l'individu qui, agissant clandestinement ou sous de faux prétextes, recueille ou cherche à recueillir des informations dans la zone d'opérations d'un belligérant, avec l'intention de les communiquer à la Partie adverse. (...)
Article 30.  L'espion pris sur le fait ne pourra être puni sans jugement préalable.
Article 31.  L'espion qui, ayant rejoint l'armée à laquelle il appartient, est capturé plus tard par l'ennemi, est traité comme prisonnier de guerre et n'encourt aucune responsabilité pour ses actes d'espionnage antérieurs. »
6.  Le Rapport de la Commission des responsabilités des auteurs de la guerre et de la mise en œuvre des sanctions (« le Rapport de la Commission internationale de 1919 »)
92.  Cette Commission fut chargée par la Conférence de paix de Paris d'établir un rapport consacré, notamment, aux faits concernant les violations des lois et des coutumes de la guerre par les forces de l'Empire allemand et ses alliés (notamment des responsables turcs), au degré de responsabilité des membres des forces ennemies pour ces crimes, et à la constitution et à la procédure d'un tribunal chargé de connaître de telles violations. Ce rapport, achevé en 1919, dressait une liste d'environ 900 criminels de guerre présumés et, s'appuyant sur la clause de Martens de la Convention de La Haye de 1907, proposait d'inculper, entre autres, des responsables turcs de « crimes contre les lois de l'humanité ». Il comprenait en outre une liste non exhaustive de 32 infractions commises durant la guerre et considérées comme contraires aux conventions et coutumes en vigueur : entre autres, meurtres et massacres, infliction de tortures aux civils, imposition de sanctions collectives, dévastation et destruction injustifiées de biens et infliction de mauvais traitements aux blessés et prisonniers de guerre.
93.  En ce qui concerne la responsabilité pénale individuelle, la Commission déclara :
(Traduction du greffe)
« Sont passibles de poursuites pénales toutes les personnes appartenant aux pays ennemis, indépendamment de leur situation et de leur rang, chefs d'Etat compris, qui se sont rendues coupables d'infractions aux lois et coutumes de la guerre ou aux lois de l'humanité ».
7.  Le Traité de Versailles de 1919
94.  Ce traité comportait un certain nombre de dispositions en vertu desquelles les criminels de guerre, y compris l'empereur d'Allemagne, devaient être jugés et punis au niveau international. Les dispositions relatives aux poursuites ne furent jamais appliquées : l'extradition de l'empereur fut refusée et l'idée d'un procès international pour les autres criminels de guerre présumés fut abandonnée au profit d'un procès organisé par l'Allemagne elle-même. L'article 229 prévoyait également la possibilité de traduire les auteurs d'actes criminels contre les ressortissants d'une des puissances alliées et associées devant les tribunaux militaires de cette puissance.
8.  Le Traité de Sèvres de 1920
95.  Le Traité de Sèvres (l'accord de paix entre les Alliés et la Turquie après la Première Guerre mondiale) renfermait des dispositions (articles 226 à 230) similaires à celles du Traité de Versailles concernant la poursuite par les Alliés devant des tribunaux militaires de responsables turcs accusés de violations des lois et coutumes de la guerre. Jamais ratifié, ce traité fut finalement remplacé par une déclaration relative à l'amnistie signée à Lausanne le 24 juillet 1923 par la France, la Grande-Bretagne, la Grèce, l'Italie, le Japon, la Roumanie et la Turquie qui prévoyait que la Grèce et la Turquie accordaient « une amnistie pleine et entière (...) pour tous crimes et délits commis (...) en connexion évidente avec les événements politiques survenus pendant cette période » (1er août 1914 - 20 novembre 1922).
9.  Le projet de Convention pour la protection des populations civiles contre les nouveaux engins de guerre (« le projet de Convention d'Amsterdam de 1938 »)
96.  Ce projet de Convention, élaboré par l'Association de droit international, ne fut jamais adopté par les Etats. Sa définition par la négative de la population civile cadrait avec la définition donnée dans le Manuel d'Oxford de 1880 :
« Article 1.  La population civile d'un Etat ne fera pas l'objet d'actes de guerre. Rentrent dans la « population civile », au sens de la présente Convention, tous ceux qui ne participent pas directement ou indirectement à la défense du territoire, tous les individus qui ne se trouvent pas enrôlés dans un des services de combat de cet Etat. »
C.  La pratique avant la Seconde Guerre mondiale
1.  Les cours martiales américaines de 1899 à 1902, Philippines2
97.  En 1901 et 1902, les cours martiales américaines jugèrent un certain nombre de militaires américains accusés, entre autres, de violations des lois de la guerre durant la campagne américaine de contre-insurrection menée aux Philippines, et notamment d'exécutions extrajudiciaires. Peu nombreuses, les conclusions des Judges Advocate General et des organes de contrôle renfermaient des commentaires sur les lois et coutumes de la guerre relativement à des questions telles que la responsabilité des officiers de commandement et le traitement des prisonniers de guerre. Ces commentaires ont joué un rôle dans les codifications ultérieures. Les procès en question constituent un des premiers exemples de poursuites engagées au niveau national contre des militaires nationaux accusés d'avoir commis contre l'ennemi des crimes violant les lois de la guerre.
98.  Au procès du commandant Waller, l'organe de contrôle s'exprima comme suit :
(Traduction du greffe)
« les lois de la guerre et l'esprit de l'époque ne tolèrent pas qu'un officier puisse, au gré de sa volonté, donner la mort à des prisonniers sans défense remis à sa garde. Toute autre vue participe de la sauvagerie et méconnaît l'exigence raisonnable des nations civilisées en vertu de laquelle la guerre doit être menée avec le moins de cruauté et d'injustice possible. »
99.  Dans l'affaire du commandant Glenn, le Judge Advocate souligna que, même si les soldats américains opéraient dans une situation difficile contre des bandes isolées d'insurgés pratiquant la guérilla au mépris flagrant des règles de la guerre civilisée, ils n'étaient pas dégagés de leur « obligation d'adhérer aux règles de la guerre dans les efforts déployés (...) pour la répression de l'insurrection et la restauration de l'ordre public. »
100.  Au procès du lieutenant Brown, accusé du meurtre d'un prisonnier de guerre, le Judge Advocate nota qu'il existait un « état de guerre » aux Philippines et que la culpabilité de l'accusé devait donc être déterminée non sous l'angle de la loi locale (lex loci) mais sous celui du droit international, ce qui, en l'occurrence, signifiait les lois et les coutumes de la guerre.
2.  Les procès de Leipzig
101.  A la suite du Traité de Versailles, l'Allemagne engagea des procédures devant la Cour suprême de Leipzig. Les Alliés présentèrent 45 affaires (sur les quelque 900 dossiers qui avaient été mentionnés dans le rapport de la Commission internationale de 1919), qui portaient sur le traitement de prisonniers de guerre et de blessés ainsi que sur un ordre de torpillage d'un navire-hôpital britannique. Douze procès eurent lieu en 1921. Ils se terminèrent par six acquittements et six condamnations à des peines symboliques. Les Alliés décidèrent de ne pas soumettre d'autres affaires aux tribunaux allemands.
102.  Les condamnations s'appuyaient essentiellement sur le droit militaire allemand, mais elles comportaient des références explicites au droit international, comme dans le cas de la décision Llandovery Castle :
(Traduction du greffe)
« Le mitraillage des embarcations était contraire au droit des nations. Dans le cadre de la guerre sur terre, il est interdit de tuer des ennemis non armés ([Règlement de La Haye de 1907] article 23 c)) ; de même, dans le cadre de la guerre sur mer, il est interdit de tuer des naufragés s'étant réfugiés sur des chaloupes. (...) Comme le sénat l'a déjà souligné, toute violation du droit des nations en guerre est une infraction punissable dans la mesure où, généralement, une peine est attachée à l'acte. Le fait, dans le contexte d'une guerre, de tuer des ennemis n'est conforme à la volonté de l'Etat en guerre (dont les lois quant à la légalité ou l'illégalité des homicides sont décisives), que dans la mesure où il est compatible avec les conditions et restrictions imposées par le droit des nations. (...) La règle de droit international ici en cause est simple et universellement connue. Il ne peut y avoir de doute quant à son applicabilité. Le tribunal doit en l'espèce reconnaître Patzig coupable d'avoir tué au mépris du droit international. »3
3.  Les poursuites menées contre des agents de la Turquie
103.  Le Royaume-Uni déploya des efforts considérables pour poursuivre des officiers turcs pour mauvais traitements à l'égard de prisonniers de guerre ainsi que pour d'autres crimes commis pendant la Première Guerre mondiale. Considérant que les crimes en cause ne « relevaient pas du droit local » mais étaient régis par « les coutumes de la guerre et les règles du droit international », il était favorable à ce que ces poursuites fussent menées devant des cours martiales britanniques créées dans les territoires occupés4. Un certain nombre de cours martiales furent établies en 1919, mais en raison de développements internes à la Turquie elles ne purent fonctionner. Des cours martiales turques furent aussi constituées et, bien que les inculpations fussent fondées sur le code pénal turc, les condamnations prononcées par elles s'appuyaient sur les notions d'« humanité » et de « civilisation ». Ainsi qu'il a été précisé ci-dessus, le Traité de Lausanne de 1923 mit fin à ces poursuites.
D.  La répression des crimes de guerre durant la Seconde Guerre mondiale
1.  La Déclaration sur les crimes de guerre allemands, signée par les représentants de neuf pays occupés (« la Déclaration de Saint James de 1942 »)
104.  En novembre 1940, les représentants des gouvernements polonais et tchèque en exil formulèrent des allégations de violations des lois de la guerre par les troupes allemandes. Pour le premier ministre britannique, la répression des crimes de guerre faisait partie de l'effort de guerre, et il en était du reste ainsi pour tous les Etats occupés par l'Allemagne, et pour la Chine s'agissant des forces d'occupation japonaises5. En 1942, les représentants des pays occupés par les forces de l'Axe adoptèrent à Londres la Déclaration de Saint James sur les crimes de guerre et leur châtiment. Le préambule de ce texte rappelait que le droit international, et en particulier la Convention de La Haye de 1907, ne permettait aux belligérants dans les pays occupés ni les violences contre les civils, ni le mépris des lois en vigueur, ni le renversement des institutions nationales. La Déclaration se poursuivait ainsi :
(Traduction reprise du document Le châtiment des crimes de guerre publié par le Bureau d'informations Inter-allié à Londres)
« [Les soussignés]
1.  affirment que les violences ainsi exercées contre les populations civiles n'ont rien de commun ni avec la notion de l'acte de guerre, ni avec celle du crime politique, telles que les conçoivent les nations civilisées,
3.  placent parmi les buts principaux de guerre le châtiment, par les voies d'une justice organisée, des coupables ou responsables de ces crimes, qu'ils les aient ordonnés, perpétrés, ou qu'ils y aient participé,
4.  décident de veiller dans un esprit de solidarité internationale à ce que a) les coupables et responsables, à quelque nationalité qu'ils appartiennent, soient recherchés, livrés à la justice et jugés, b) les sentences prononcées soient exécutées. »
105.  A la suite de cette Déclaration fut établie (en 1943) la Commission des Nations unies pour les crimes de guerre (« UNWCC »), qui devait réunir des preuves sur les crimes de guerre et dont les dossiers devaient servir à justifier la poursuite des accusés par les autorités militaires6. A la fin de son mandat, la Commission avait réussi à réunir 8 178 dossiers concernant des personnes soupçonnées de crimes de guerre. Elle adopta intégralement la liste des infractions figurant dans le rapport de la Commission internationale de 1919 (paragraphe 92 ci-dessus) et l'adapta, en fonction des besoins, à la situation de la Seconde Guerre mondiale.
2.  La poursuite des crimes de guerre par l'URSS
106.  Dès début novembre 1941, l'URSS informa tous les pays avec lesquels elle entretenait des relations diplomatiques des crimes de guerre commis, en particulier, par l'Allemagne nazie dans les territoires occupés7. Afin de recenser les crimes reprochés aux forces allemandes et d'établir l'identité des coupables en vue de leur renvoi devant la justice fut créée par un décret daté du 2 novembre 1942 la « Commission extraordinaire de l'Etat pour l'établissement et l'instruction des crimes perpétrés par les envahisseurs germano-fascistes et leurs complices et du préjudice causé par eux aux citoyens, aux kolkhozes, aux associations, aux entreprises de l'Etat et aux institutions de l'URSS ». Les travaux de cette commission furent utilisés ultérieurement dans les procès de « Krasnodar » et de « Kharkov » (voir ci-après).
107.  Les premiers procès de citoyens soviétiques (collaborateurs et auxiliaires des forces allemandes) se tinrent à Krasnodar en janvier 1943. Les accusés furent reconnus coupables par les juridictions pénales soviétiques de meurtre et de haute trahison en vertu du code pénal soviétique.8
108.  Par la suite, le Royaume-Uni, les Etats-Unis d'Amérique et l'URSS adoptèrent la Déclaration de Moscou de 1943, qui représente l'un des principaux textes de la Seconde Guerre mondiale concernant la poursuite des criminels de guerre. Ce texte confirmait la légitimité des juridictions nationales dans leur action répressive contre les criminels de guerre et l'intention de continuer les poursuites après la guerre. Il se lisait ainsi en ses passages pertinents en l'espèce :
(Traduction reprise de : A. de La Pradelle, La Paix moderne, 1947, p. 445)
« (...) les susdites trois puissances alliées, parlant au nom et dans l'intérêt des trente-trois Nations Unies, proclament solennellement ce qui suit, et donnent avertissement de leur proclamation :
lorsqu'un armistice sera accordé à un gouvernement formé en Allemagne, quel qu'il soit, les officiers et soldats allemands et les membres du Parti nazi qui ont été responsables, ou qui ont donné leur consentement aux atrocités, massacres et exécutions dont il a été question, seront renvoyés dans les pays où ils auront perpétré leurs abominables forfaits, pour y être jugés et châtiés conformément aux lois de ces pays libérés et des gouvernements libres qui y seront formés.
Ainsi les Allemands qui ont pris part aux fusillades en masse des officiers polonais, à l'exécution d'otages français, hollandais, belges, norvégiens et de paysans crétois, ou qui ont pris part aux massacres effectués en Pologne et dans les territoires de l'Union soviétique actuellement arrachés à l'ennemi, ces Allemands sauront qu'ils seront ramenés sur la scène de leurs crimes et jugés sur place par les peuples qu'ils auront martyrisés.
Que ceux qui n'ont pas jusqu'à présent trempé leurs mains dans le sang innocent sachent ce qui les attend s'ils deviennent eux-mêmes des coupables. Car il est certain que les trois puissances alliées les poursuivront jusqu'au bout de la terre et les remettront aux mains de leurs accusateurs pour que justice soit faite.
La déclaration ci-dessus ne préjuge pas du cas des criminels de guerre allemands dont les crimes ont été commis sans qu'il soit possible de les localiser géographiquement. Ceux-là seront punis par une décision commune des gouvernements alliés. »
109.  Cette dernière disposition envisageait la poursuite des criminels de guerre allemands par l'Union soviétique. Le premier procès eut lieu à Kharkov en décembre 19439. Le Présidium du Soviet suprême avait édicté en 1943 un décret indiquant les peines applicables. L'acte d'accusation reprochait aux intéressés d'avoir gazé des milliers d'habitants de Kharkov et de sa région, commis des atrocités sur des civils, incendié des villages, exterminé des femmes, des personnes âgées et des enfants, et brûlé vifs et torturé des blessés et des prisonniers de guerre. Le ministère public s'appuya sur les règles de la guerre énoncées dans des Conventions internationales (la Convention et le Règlement de La Haye de 1907 et la Convention de Genève de 1929, notant que l'Allemagne les avait toutes deux ratifiées) et sur les principes universellement reconnus du droit international. L'acte d'accusation se référait non seulement à la responsabilité du gouvernement et du commandement allemands, mais également à la responsabilité individuelle des accusés (référence aux procès de Leipzig). Après avoir reconnu leur propre responsabilité et celle de leurs supérieurs hiérarchiques, les trois accusés furent condamnés à la pendaison. Les procès, dont le caractère équitable a pu être mis en question plus tard, furent largement médiatisés. L'Union soviétique attendit la fin de la guerre pour reprendre de tels procès ; il s'en tint également à Kiev, Minsk, Riga, Leningrad, Smolensk, Briansk, Velikie Luki et Nikolaev10.
110.  Dès que les territoires bulgares furent libérés par les forces allemandes, le tribunal du peuple bulgare condamna, en décembre 1944, onze Bulgares pour crimes de guerre, en application de la Déclaration de Moscou de 194311.
3.   La poursuite des crimes de guerre par les Etats-Unis d'Amérique
a)  Le Manuel des armées en campagne des Etats-Unis d'Amérique : Règlement de la guerre sur terre, 1er octobre 1940
111.  Très complet, ce manuel fut élaboré par le ministère américain de la Guerre en 1940 et diffusé aux forces en campagne. Il renfermait tant des règles coutumières de la guerre que des règles découlant de traités auxquels les Etats-Unis d'Amérique étaient parties et interprétait les règles des conflits armés applicables aux forces militaires américaines à l'époque. Il décrivait les « Principes fondamentaux » comme suit :
(La traduction des passages du Manuel cités ci-dessous a été effectuée par le greffe)
« Les règles ou lois non écrites de la guerre, ainsi qu'il est convenu de les appeler, renferment trois principes fondamentaux interdépendants qui inspirent toutes les autres règles ou lois de la guerre civilisée, écrites et non écrites, et constituent le guide général de conduite lorsqu'aucune règle plus précise n'est applicable :
a)  le principe de nécessité militaire, en vertu duquel, sous réserve des principes d'humanité et de chevalerie, un belligérant est autorisé à exercer tout degré et tout type de contrainte nécessaire pour obtenir la soumission totale de l'ennemi en perdant le moins possible de temps, de vies humaines et d'argent ;
b)  le principe d'humanité, qui interdit le recours à tout type ou degré de violence non réellement nécessaire aux fins de la guerre ; et
c)  le principe de chevalerie, qui condamne et interdit le recours à des moyens, procédés et comportements déshonorants. (...) »
112.  Le paragraphe 8 du Manuel disposait :
« Division générale de la population ennemie – La population ennemie est divisée, en temps de guerre, en deux grandes catégories : les forces armées et la population pacifique. Les deux catégories ont des droits, devoirs et incapacités distincts, et nul ne peut appartenir simultanément aux deux catégories. »
113.  Le Manuel poursuivait ainsi :
« Détermination du statut des troupes capturées – La détermination du statut des troupes capturées relève de l'autorité militaire supérieure ou des tribunaux militaires. Les exécutions sommaires ne sont plus envisagées par les lois de la guerre. Il incombe à l'officier de maintenir les individus capturés en détention et de laisser l'autorité compétente apprécier s'il s'agit de combattants réguliers, de combattants irréguliers, de déserteurs, etc.
Participation aux hostilités d'individus n'appartenant pas aux forces armées – Les individus qui prennent les armes et s'engagent dans les hostilités sans remplir les conditions prévues par les lois de la guerre pour être reconnus comme belligérants sont passibles d'un châtiment en tant que criminels de guerre s'ils sont capturés par la partie lésée.
Droit à un procès – Un individu ne peut être puni pour une infraction aux lois de la guerre qu'en application d'une sentence prononcée à l'issue d'un procès ayant conclu à sa culpabilité mené devant un tribunal ou une commission militaires ou tout autre organe compétent désigné par le belligérant. »
b)  Affaire ex parte Quirin (1942, 317 U.S. 1)
114.  En 1942, huit saboteurs nazis se rendirent aux Etats-Unis, où ils furent capturés, puis jugés par une commission militaire secrète pour, entre autres, des infractions aux lois de la guerre (notamment port de vêtements civils pour franchir par la tromperie les lignes ennemies et commettre des actes de sabotage et d'espionnage et « d'autres actes hostiles »). Leurs avocats introduisirent une action en habeas corpus, qui aboutit à la Cour suprême. Celle-ci s'exprima ainsi :
(Traduction du greffe)
« Par un accord et une pratique universels, les lois de la guerre établissent une distinction entre les forces armées et les populations pacifiques des nations belligérantes et entre les combattants réguliers et les combattants irréguliers. Les combattants réguliers peuvent être capturés et détenus comme prisonniers de guerre par les forces militaires ennemies. Les combattants irréguliers peuvent également être capturés et détenus, mais ils peuvent en outre être jugés et punis par des tribunaux militaires pour les actes rendant leur belligérance illégitime. L'espion qui franchit secrètement et sans uniforme les lignes armées d'une nation belligérante en temps de guerre dans le but de recueillir des renseignements militaires et de les communiquer à l'ennemi, ou le combattant ennemi qui, sans porter d'uniforme, franchit secrètement les lignes pour faire la guerre en portant atteinte à la vie ou aux biens, sont des exemples familiers de belligérants qui sont généralement considérés comme n'ayant pas droit au statut de prisonnier de guerre, mais comme étant des contrevenants aux lois de la guerre soumis au jugement et à la sanction des tribunaux militaires. »
E.  Les procès tenus devant les tribunaux militaires internationaux (ci-après « TMI ») après la Seconde Guerre mondiale pour des actes commis durant cette guerre
1.  L'Accord de Potsdam de 1945
115.  L'Accord de Potsdam concernait l'occupation et la reconstruction de l'Allemagne et d'autres nations après la capitulation de l'Allemagne en mai 1945. Il fut rédigé et adopté par l'URSS, les Etats-Unis et le Royaume-Uni lors de la Conférence de Potsdam, qui eut lieu du 17 juillet au 2 août 1945. Concernant la poursuite des criminels de guerre, il énonçait :
(Traduction reprise dans Notes et études documentaires, no 664, La Documentation française)
« Les trois gouvernements ont pris note des échanges de vues qui ont eu lieu au cours des dernières semaines à Londres, entre les représentants britanniques, américains et français, en vue d'aboutir à un accord sur les méthodes de jugement des principaux criminels de guerre dont les crimes, d'après la déclaration de Moscou d'octobre 1943, n'ont pas de localisation géographique particulière. Les trois gouvernements réaffirment leur intention d'appliquer à ces criminels une justice rapide et sûre; ils espèrent que les négociations de Londres aboutiront à un prompt accord à cet égard et ils considèrent comme particulièrement important que le procès de ces grands criminels de guerre commence à une date aussi prochaine que possible. La première liste des accusés sera publiée avant le 1er septembre. »
2.  L'Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des puissances européennes de l'Axe (« Accord de Londres de 1945 »)
116.  Après la capitulation sans conditions de l'Allemagne, les puissances alliées signèrent en 1945 l'Accord de Londres, dont le passage pertinent en l'espèce était ainsi libellé :
« Considérant que les Nations Unies ont, à diverses reprises, proclamé leur intention de traduire en justice les criminels de guerre ;
Considérant que la Déclaration publiée à Moscou le 30 octobre 1943 sur les atrocités allemandes en Europe occupée a spécifié que les officiers et soldats allemands et les membres du parti nazi qui sont responsables d'atrocités et de crimes, ou qui ont pris volontairement part à leur accomplissement, seront renvoyés dans les pays où leurs forfaits abominables ont été perpétrés, afin qu'ils puissent être jugés et punis conformément aux lois de ces pays libérés et des Gouvernements libres qui y seront établis ;
Considérant que cette Déclaration était faite sous réserve du cas des grands criminels, dont les crimes sont sans localisation géographique précise et qui seront punis par une décision commune des Gouvernements alliés ;
Article premier.  Un Tribunal Militaire International sera établi, après consultation avec le Conseil de Contrôle en Allemagne, pour juger les criminels de guerre dont les crimes sont sans localisation géographique précise, qu'ils soient accusés individuellement, ou à titre de membres d'organisations ou de groupes, ou à ce double titre.
Article 2.  La constitution, la juridiction et les fonctions du Tribunal Militaire International sont prévues dans le Statut annexé au présent Accord, ce Statut formant partie intégrale de l'Accord.
Article 4.  Aucune disposition du présent Accord ne porte atteinte aux principes fixés par la Déclaration de Moscou en ce qui concerne le renvoi des criminels de guerre dans les pays où ils ont commis leurs crimes.
Article 6.  Aucune disposition du présent Accord ne porte atteinte à la juridiction ou à la compétence des tribunaux nationaux ou des tribunaux d'occupation déjà établis, ou qui seront créés, dans les territoires alliés ou en Allemagne pour juger les criminels de guerre. »
3.  Le Statut du TMI de Nuremberg
117.  Annexé à l'Accord de Londres de 1945, le Statut de ce tribunal dressait notamment une liste non exhaustive de violations des lois et coutumes de la guerre dont les « dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices » étaient responsables et énonçait les peines applicables :
« Article premier.  En exécution de l'Accord signé le 8 août 1945 par le Gouvernement Provisoire de la République Française et les Gouvernements des Etats-Unis d'Amérique, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et de l'Irlande du Nord, et de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, un Tribunal Militaire International (dénommé ci-après « le Tribunal ») sera créé pour juger et punir de façon appropriée et sans délai, les grands criminels de guerre des pays européens de l'Axe. (...)
Article 6.  Le Tribunal établi par l'Accord mentionné à l'article 1er ci-dessus pour le jugement et le châtiment des grands criminels de guerre des pays européens de l'Axe sera compétent pour juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l'Axe, auront commis, individuellement ou à titre de membres d'organisations, l'un quelconque des crimes suivants.
Les actes suivants, ou l'un quelconque d'entre eux, sont des crimes soumis à la juridiction du Tribunal et entraînent une responsabilité individuelle :
b)  Les Crimes de Guerre : c'est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l'assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ;
Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan.
« Article 8.  Le fait que l'accusé a agi conformément aux instructions de son Gouvernement ou d'un supérieur hiérarchique ne le dégagera pas de sa responsabilité, mais pourra être considéré comme un motif de diminution de la peine, si le Tribunal décide que la justice l'exige.
« Article 27.  Le Tribunal pourra prononcer contre les accusés convaincus de culpabilité la peine de mort ou tout autre châtiment qu'il estimera être juste.
Article 28.  En plus de toute peine qu'il aura infligée le Tribunal aura le droit d'ordonner à l'encontre du condamné la confiscation de tous biens volés et leur remise au Conseil de Contrôle en Allemagne. »
4.  Le jugement du TMI de Nuremberg12
118.  Le jugement soulignait le caractère coutumier de la Convention et du Règlement de La Haye de 1907 :
« Le Statut lie le Tribunal quant à la définition des crimes de guerre et des crimes contre l'Humanité. Mais, dès avant le Statut les crimes de guerre énumérés par l'article 6, b tenaient du Droit international leur qualification de crimes de guerre. Ils étaient prévus par les articles 46, 50, 52 et 56 de la Convention de La Haye de 1907, et par les articles 2, 3, 4, 46 et 51 de la Convention de Genève de 1929. Il n'est pas douteux que la violation de ces textes constitue un crime, entraînant un châtiment.
On a prétendu écarter, en l'occurrence, la Convention de La Haye. On s'est prévalu, à cet effet, de la clause de « Participation générale » (article 2) (...)
Or plusieurs des nations qui participèrent à la dernière guerre n'avaient pas signé la Convention.
Le Tribunal juge inutile de trancher cette question. Les règles de la guerre terrestre contenues dans la Convention réalisaient certes un progrès du Droit international. Mais il résulte de ses termes mêmes, que ce fut une tentative « pour réviser les lois générales et les coutumes de la guerre », dont l'existence était ainsi reconnue. En 1939, ces règles, contenues dans la Convention, étaient admises par tous les Etats civilisés et regardées par eux comme l'expression, codifiée, des lois et coutumes de la guerre auxquelles l'article 6, b du Statut se réfère. »
119.  Dans sa partie intitulée « Le Statut devant le Droit », le jugement précisait au sujet des crimes contre la paix :
« La Convention de La Haye de 1907 proscrivait l'emploi dans la conduite de la guerre, de certaines méthodes. Elle visait le traitement inhumain des prisonniers, l'usage illégal du drapeau parlementaire, d'autres pratiques du même ordre. Le caractère illicite de ces méthodes avait été dénoncé longtemps avant la signature de la Convention ; mais c'est depuis 1907 qu'on les considère comme des crimes passibles de sanctions en tant que violant les lois de la guerre. Nulle part, cependant, la Convention de La Haye ne qualifie ces pratiques de criminelles ; elle ne prévoit aucune peine ; elle ne porte mention d'aucun tribunal chargé d'en juger et punir les auteurs. Or, depuis nombre d'années, les tribunaux militaires jugent et punissent des personnes coupables d'infractions aux règles de la guerre sur terre établies par la Convention de La Haye. (...) En interprétant le Pacte [Briand-Kellogg], il faut songer qu'à l'heure actuelle, le Droit international n'est pas l'œuvre d'un organisme législatif commun aux Etats. Ses principes résultent d'accords, tels que le Pacte [Briand-Kellogg], où il est traité d'autres choses que de matières administratives, et de procédure. Indépendamment des traités, les lois de la guerre se dégagent d'us et coutumes progressivement et universellement reconnus, de la doctrine des juristes, de la jurisprudence des tribunaux militaires. Ce droit n'est pas immuable, il s'adapte sans cesse aux besoins d'un monde changeant. Souvent, les traités ne font qu'exprimer et préciser les principes d'un droit déjà en vigueur. »
5.  Le Statut du TMI de Tokyo de 1946
120.  Ce Statut fut approuvé par une déclaration unilatérale du Commandement suprême des forces alliées le 19 janvier 1946. Son article 5, en son passage pertinent en l'espèce, se lisait ainsi :
(Traduction du greffe)
« Le tribunal sera compétent pour juger et punir les criminels de guerre des pays d'Extrême-Orient qui auront commis, individuellement ou à titre de membres d'organisations, des infractions incluant des crimes contre la paix.
Les actes suivants, ou l'un quelconque d'entre eux, sont des crimes soumis à la juridiction du Tribunal et entraînent une responsabilité individuelle :
b)  les crimes de guerre conventionnels : c'est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre ;
c)  (...) les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toute personne en exécution de ce plan. »
6.  Le jugement du TMI de Tokyo de 1948
121.  A propos du statut de la Convention de La Haye de 1907, le jugement du tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient du 12 novembre 1948 indique :
(Traduction du greffe)
« (...) L'effectivité en tant qu'obligations conventionnelles directes de certaines conventions signées à La Haye le 18 octobre 1907 a été considérablement affaiblie par l'incorporation dans les textes en question d'une clause dite « de participation générale », en vertu de laquelle la convention ne serait obligatoire que dans les cas où tous les belligérants y seraient parties. Sur un plan strictement juridique, l'effet de cette clause est de priver certaines des conventions de leur force obligatoire en tant qu'obligation conventionnelle directe, soit dès le début d'une guerre, soit au cours de celle-ci, à compter du moment où une Puissance non signataire, aussi insignifiante soit-elle, rejoint les rangs des belligérants. Bien que l'obligation d'observer les dispositions de la convention considérée comme un traité contraignant puisse être écartée par l'effet de la « clause de participation générale » ou autrement, la convention reste un bon reflet du droit coutumier des nations que le Tribunal doit prendre en considération conjointement avec tous les autres éléments de preuve disponibles pour déterminer le droit coutumier à appliquer dans chaque situation concrète. (...) »
7.  Les Principes de Nuremberg
122.  Vers le milieu des années 1950, la Commission du droit international adopta les sept « principes de Nuremberg », qui résumaient les « principes du droit international consacrés » par le Statut et le jugement du TMI de Nuremberg :
« Principe I : Tout auteur d'un acte qui constitue un crime de droit international est responsable de ce chef et passible de châtiment.
Principe 2 : Le fait que le droit interne ne punit pas un acte qui constitue un crime de droit international ne dégage pas la responsabilité en droit international de celui qui l'a commis.
Principe 4 : Le fait d'avoir agi sur l'ordre de son gouvernement ou celui d'un supérieur hiérarchique ne dégage pas la responsabilité de l'auteur en droit international, s'il a eu moralement la faculté de choisir.
Principe 5 : Toute personne accusée d'un crime de droit international a droit à un procès équitable, tant en ce qui concerne les faits qu'en ce qui concerne le droit.
Principe 6 : Les crimes énumérés ci-après sont punis en tant que crimes de droit international.
b)  Crimes de guerre : Les violations des lois et coutumes de la guerre qui comprennent, sans y être limitées, les assassinats, les mauvais traitements ou la déportation pour les travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction perverse des villes ou villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires.
Principe 7 : La complicité d'un crime contre la paix, d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, tels qu'ils sont définis dans le principe 6, est un crime de droit international. »
F.  Les poursuites pour crimes de guerre intentées au niveau national après la Seconde Guerre mondiale à raison d'actes commis durant cette guerre
1.  La loi no 10 du Conseil de contrôle allié – Le châtiment des personnes coupables de crimes de guerre, de crimes contre la paix et de crimes contre l'humanité (« La loi no 10 du Conseil de contrôle ») et « l'affaire des otages »
123.  La loi no 10 du Conseil de contrôle fut édictée en décembre 1945 par le Conseil de contrôle allié en Allemagne en vue de la création dans ce pays d'une base juridique uniforme pour les poursuites judiciaires contre les criminels de guerre (autres que ceux traduits devant le TMI de Nuremberg). L'article 1 énonçait que la Déclaration de Moscou de 1943 et l'Accord de Londres de 1945 devenaient partie intégrante de la loi. L'article II 5) était ainsi libellé :
(Traduction reprise de : Henri Meyrowitz, La répression par les tribunaux allemands des crimes contre l'humanité et de l'appartenance à une organisation criminelle en application de la Loi no 10 du Conseil de contrôle allié, Annexe III, citant le Journal officiel du Conseil de contrôle en Allemagne, pp. 50 et suiv.)
« Dans aucun procès ou aucune poursuite pour un des crimes précités, l'accusé n'aura le droit d'invoquer le bénéfice d'une prescription accomplie durant la période du 30 janvier 1933 au 1er juillet 1945. (...) »
124.  Cette loi reconnaissait également comme constitutifs de crimes de guerre des actes presque identiques à ceux visés à l'article 6 b) du Statut du TMI, et elle disposait qu'une personne était considérée comme ayant commis un crime de guerre, qu'elle eût agi en qualité d'auteur ou de complice, si elle avait ordonné ou favorisé son accomplissement, si elle y avait consenti, si elle avait participé à des plans ou à des entreprises à cet effet ou si elle avait été membre d'une organisation ou d'un groupe impliqué dans l'accomplissement du crime en question. Les châtiments étaient également prévus.
125.  Dans l'affaire des otages (Wilhelm List)13, les accusés étaient appelés à répondre de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Il leur était reproché d'avoir mis en place un système de meurtres par représailles dans les territoires occupés et d'avoir exécuté sommairement des soldats italiens qui s'étaient rendus. Selon le jugement prononcé dans cette affaire, les crimes énoncés dans le Statut du TMI de Nuremberg et dans la loi no 10 du Conseil de contrôle étaient déclaratoires des lois et coutumes de la guerre existantes.
126.  Le jugement comportait le passage suivant concernant l'exécution de francs-tireurs :
(Traduction du greffe)
« [List était] autorisé à pacifier le pays à l'aide de la force militaire ; il était habilité à punir les francs-tireurs qui avaient attaqué ses troupes ou saboté ses moyens de transport et de communication ; [...] cela signifie, bien entendu, que les membres capturés de ces groupes irréguliers n'avaient pas droit à être traités comme des prisonniers de guerre. Les accusés ne peuvent se voir reprocher aucun crime pour avoir tué les membres capturés des forces de résistance, puisqu'il s'agissait de francs-tireurs. »
127.  Au sujet de la nécessité militaire, le jugement s'exprimait ainsi :
(Traduction du greffe)
« La nécessité militaire permet à un belligérant, dans le respect du droit de la guerre, d'exercer toute la contrainte nécessaire pour obtenir la soumission totale de l'ennemi en perdant le moins possible de temps, de vies humaines et d'argent. D'une manière générale, cette notion autorise un occupant à prendre les mesures nécessaires à la sécurité de ses forces et au succès des opérations menées par lui. Elle lui permet d'éliminer des ennemis armés et d'autres personnes dont les conflits armés de la guerre rendent l'élimination accessoirement inévitable ; elle l'autorise à capturer des ennemis armés et d'autres personnes présentant un danger particulier, mais elle ne lui permet pas de tuer des habitants innocents pour assouvir une soif de vengeance ou de meurtre. Pour être légitime, la destruction de biens doit être impérativement exigée par les nécessités de la guerre. La destruction considérée comme une fin en soi est contraire au droit international. Il doit exister un lien raisonnable entre la destruction de biens et la réduction des forces ennemies. »
128.  Après avoir précisé que l'absence de déclaration de guerre officielle entre l'Allemagne et l'Italie jetait des doutes sérieux sur le point de savoir si les officiers italiens exécutés auraient dû ou non se voir reconnaître le statut de prisonniers de guerre, le tribunal, regardant au-delà de cette question, conclut que leur exécution sommaire était « illégale et totalement injustifiée ».
2.  Autres procès tenus au niveau national
129.  Après 1945, divers tribunaux nationaux, notamment des tribunaux civils et militaires australiens, britanniques, canadiens, chinois, français et norvégiens, engagèrent des poursuites pour crimes de guerre à raison d'actes commis pendant la Seconde Guerre mondiale14. Ces affaires avaient toutes trait à des infractions aux lois et coutumes de la guerre. Dans beaucoup d'entre elles fut soulignée la nécessité de tenir des procès équitables avant de punir les auteurs présumés de crimes de guerre. Dans certains jugements, il fut précisé qu'il était légitime pour un tribunal national de se référer aux lois et coutumes internationales de la guerre. D'autres renvoyaient aux règles sur les destructions inutiles de biens appartenant à des civils ou le port illégal de l'uniforme de l'ennemi. Dans un certain nombre de cas, les juges retinrent la responsabilité individuelle des commandants.
G.  Conventions ultérieures
1.  La Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité (« la Convention de 1968 »)
130.  Cette Convention, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies en novembre 1968, trouve son origine dans le souci d'éviter que des criminels de guerre présumés (de la Seconde Guerre mondiale) non encore arrêtés pussent échapper aux poursuites avec le passage du temps.
131.  Entrée en vigueur le 11 novembre 1970, la Convention de 1968 fut ratifiée par l'Union soviétique en 1969 et par la Lettonie le 14 avril 1992. Son passage pertinent en l'espèce se lit comme suit :
« Préambule
Constatant que dans aucune des déclarations solennelles, actes et conventions visant la poursuite et la répression des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité il n'a été prévu de limitation dans le temps,
Considérant que les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité comptent au nombre des crimes de droit international les plus graves,
Convaincus que la répression effective des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité est un élément important de la prévention de ces crimes, de la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, propre à encourager la confiance, à stimuler la coopération entre les peuples et à favoriser la paix et la sécurité internationales,
Constatant que l'application aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité des règles de droit interne relatives à la prescription des crimes ordinaires inquiète profondément l'opinion publique mondiale car elle empêche que les personnes responsables de ces crimes soient poursuivies et châtiées,
Reconnaissant qu'il est nécessaire et opportun d'affirmer en droit international, au moyen de la présente Convention, le principe de l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité et d'en assurer l'application universelle »
132.  L'article premier de la Convention de 1968 dispose :
« Les crimes suivants sont imprescriptibles, quelle que soit la date à laquelle ils ont été commis :
a)  Les crimes de guerre, tels qu'ils sont définis dans le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945 et confirmés par les résolutions 3 (I) et 95 (I) de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies, en date des 13 février 1946 et 11 décembre 1946, notamment les « infractions graves » énumérées dans les Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes de guerre ; (...) »
2.  La Convention européenne sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre (« la Convention de 1974 »)
133.  Cette Convention s'applique aux crimes commis avant son adoption et non encore prescrits. Signée par deux Etats seulement au moment de son dépôt (France et Pays-Bas), elle est entrée en vigueur en 2003 après la troisième ratification (Belgique). Ni l'URSS ni la Lettonie ne l'ont ratifiée.
3.  Le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 (« le Protocole additionnel de 1977 »)
134.  Ce Protocole aux Conventions de Genève avait pour but de développer et de réaffirmer une bonne partie des lois et coutumes de la guerre, eu égard à l'ancienneté de bon nombre des textes sur lesquels lesdites conventions se fondaient (notamment la Convention de La Haye de 1907). Beaucoup de ses dispositions ne font que réénoncer des lois et coutumes de la guerre existantes, d'autres sont de nature constitutive.
135.  Les deux premières « règles fondamentales » de la guerre se trouvent décrites à l'article 35 du texte :
« 1.  Dans tout conflit armé, le droit des Parties au conflit de choisir des méthodes ou moyens de guerre n'est pas illimité.
2.  Il est interdit d'employer des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus. »
136.  L'article 39 dispose :
« 1.  Il est interdit d'utiliser, dans un conflit armé, les drapeaux ou pavillons, symboles, insignes ou uniformes militaires d'Etats neutres ou d'autres Etats non Parties au conflit.
2.  Il est interdit d'utiliser les drapeaux ou pavillons, symboles, insignes ou uniformes militaires des Parties adverses pendant des attaques ou pour dissimuler, favoriser, protéger ou entraver des opérations militaires. »
137.  L'article 41 confirme la protection des personnes hors de combat :
« 1.  Aucune personne reconnue, ou devant être reconnue, eu égard aux circonstances, comme étant hors de combat, ne doit être l'objet d'une attaque.
2.  Est hors de combat toute personne :
a)  qui est au pouvoir d'une Partie adverse,
b)  qui exprime clairement son intention de se rendre, ou
c)  qui a perdu connaissance ou est autrement en état d'incapacité du fait de blessures ou de maladie et en conséquence incapable de se défendre,
à condition que, dans tous les cas, elle s'abstienne de tout acte d'hostilité et ne tente pas de s'évader.
138.  L'article 48 reconnaît le principe de distinction :
« En vue d'assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu'entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires. »
139.  L'article 50 dispose qu'est considérée comme civile toute personne n'appartenant pas aux forces armées. Cette disposition est ainsi libellée :
« 1.  Est considérée comme civile toute personne n'appartenant pas à l'une des catégories visées à l'article 4 A, 1), 2), 3), et 6) de la IIIe Convention et à l'article 43 du présent Protocole15. En cas de doute, ladite personne sera considérée comme civile.
2.  La population civile comprend toutes les personnes civiles.
3.  La présence au sein de la population civile de personnes isolées ne répondant pas à la définition de personne civile ne prive pas cette population de sa qualité. »
140.  L'article 51 traite de la protection accordée aux civils :
« 1.  La population civile et les personnes civiles jouissent d'une protection générale contre les dangers résultant d'opérations militaires. En vue de rendre cette protection effective, les règles suivantes, qui s'ajoutent aux autres règles du droit international applicable, doivent être observées en toutes circonstances.
2.  Ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne doivent être l'objet d'attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile.
3.  Les personnes civiles jouissent de la protection accordée par la présente Section, sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation. »
141.  L'article 52 réitère la règle coutumière selon laquelle un bien de caractère civil (qui n'est pas un objectif militaire) ne doit pas être l'objet d'attaques. Son paragraphe 3 énonce :
« En cas de doute, un bien qui est normalement affecté à un usage civil, tel qu'un lieu de culte, une maison, un autre type d'habitation ou une école, est présumé ne pas être utilisé en vue d'apporter une contribution effective à l'action militaire. »
142.  L'article 75 offre une protection aux personnes qui sont au pouvoir d'une partie belligérante et qui ne bénéficient pas d'un statut spécialement protecteur (celui de prisonnier de guerre par exemple) en vertu des lois et coutumes de la guerre.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 7 DE LA CONVENTION
143.  Invoquant l'article 7 de la Convention, le requérant se plaint d'avoir fait l'objet d'une application rétroactive du droit pénal. Il plaide que les actes pour lesquels il a été condamné n'étaient pas constitutifs d'une infraction au moment de leur commission en 1944 et que le paragraphe 2 de l'article 7 n'était pas applicable, les faits incriminés étant selon lui étrangers au champ d'application de cette disposition. L'article 7 de la Convention énonce :
« 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.
2.  Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
A.  L'arrêt de la chambre
144.  La chambre a examiné le grief du requérant sur le terrain de l'article 7 § 1 de la Convention. Elle a estimé que l'article 68 § 3 du code pénal de 1961 était basé sur le droit international plutôt que sur le droit interne et que les textes internationaux pertinents étaient la Convention et le le Règlement de La Haye de 1907. Elle a relevé que la quatrième Convention de Genève de 1949 et le Protocole additionnel de 1977 avaient été adoptés postérieurement aux actes litigieux, commis en mai 1944, et étaient dépourvus d'effet rétroactif. Elle a indiqué que les principes de la Convention de La Haye de 1907 étaient largement reconnus, qu'ils revêtaient un caractère universel et qu'ils constituaient les règles coutumières fondamentales du jus in bello en 1944, et que dans ces conditions ils s'appliquaient aux actes reprochés au requérant.
145.  Examinant s'il existait une base juridique plausible pour condamner le requérant pour crimes de guerre et si l'intéressé pouvait à l'époque raisonnablement prévoir que le comportement de son unité le 27 mai 1944 le rendrait coupable de tels crimes, la chambre a noté que le secteur de Mazie Bati était en proie à des attaques menées notamment par les forces auxiliaires lettonnes au service de l'administration allemande.
146.  Elle a ensuite examiné le statut juridique des villageois et établi une distinction entre les hommes et les femmes qui avaient péri. En ce qui concerne les hommes, elle a considéré que le requérant avait légitimement pu les prendre pour des collaborateurs de l'armée allemande et que, même s'ils ne remplissaient pas tous les critères de la définition de combattant, le jus in bello ne permettait pas de les qualifier automatiquement de « civils » a contrario. Le statut juridique des villageois ayant ainsi été précisé et le requérant étant un « combattant », la chambre a estimé qu'il n'avait pas été démontré que l'attaque du 27 mai 1944 était en soi contraire aux lois et coutumes de la guerre codifiées par le Règlement de La Haye de 1907 ni par conséquent qu'elle pouvait fonder la condamnation de l'intéressé en tant que commandant de l'unité.
147.  En ce qui concerne les femmes qui avaient été tuées au cours de l'opération, la chambre a considéré que si elles avaient collaboré avec l'administration allemande la conclusion ci-dessus s'appliquait, et que si leur mort était résultée d'un excès de pouvoir on ne pouvait y voir une violation du jus in bello et l'action publique relativement aux actes en question était définitivement prescrite depuis 1954 en vertu du droit interne. Pour la chambre, il était contraire au principe de prévisibilité de punir le requérant près d'un demi-siècle après l'expiration du délai de prescription.
148.  Enfin, la chambre a jugé qu'il n'y avait pas lieu d'examiner l'affaire sous l'angle de l'article 7 § 2. Elle a en effet considéré que même si cette disposition était applicable, l'opération menée le 27 mai 1944 ne pouvait passer pour « criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ».
B.  Thèses défendues devant la Grande Chambre
1.  Le gouvernement défendeur
149.  Le gouvernement défendeur conteste le raisonnement et la conclusion de la chambre.
150.  Il soutient que les actes du requérant revêtaient au moment de leur commission un caractère criminel tant d'après le droit international que d'après le droit national et que dans ces conditions l'affaire devait effectivement être examinée sous l'angle de l'article 7 § 1 de la Convention. Il considère que la Cour a pour rôle, en vertu de cet article, d'établir s'il existait une disposition juridique suffisamment claire et accessible incriminant certains actes et, en particulier, si les juridictions lettonnes étaient en droit de se fonder sur l'article 68 § 3 du code pénal de 1961 et, ce faisant, de s'appuyer sur les éléments pertinents du droit international. Il soutient à cet égard que l'incrimination pouvait résulter du droit national ou international, écrit comme non écrit, et que l'article 7 n'exclut pas une clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l'interprétation judiciaire, pourvu que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction. Pareil développement du droit pénal serait d'autant plus important dans le cas d'un Etat de droit démocratique succédant à un régime totalitaire et assumant l'obligation de poursuivre les criminels de l'ancien régime.
151.  Le Gouvernement considère toutefois que la chambre a outrepassé son rôle subsidiaire en s'appuyant sur une base factuelle s'écartant de celle établie par les juridictions internes, qu'elle aurait pourtant jugé avoir agi en conformité avec l'article 6. En effet, en procédant à une nouvelle appréciation des faits, la chambre aurait négligé certaines circonstances cruciales ayant entouré les événements du 27 mai 1944 tels qu'ils auraient été établis par la chambre des affaires pénales et confirmés par le sénat de la Cour suprême, notamment quant à la réalité d'un jugement d'un tribunal de partisans qui aurait condamné les villageois de Mazie Bati. Pareil jugement aurait de toute manière été illégal car rendu par défaut, au mépris des principes les plus fondamentaux d'un procès équitable. Le gouvernement défendeur a soumis à la Grande Chambre des lettres du parquet général datées de février 2008 (concernant l'existence du tribunal de partisans, le rôle de Mazie Bati et de ses habitants dans la défense allemande et les motifs de la distribution d'armes aux villageois) qu'il avait déjà présentées devant la chambre.
152.  Observations détaillées à l'appui, le gouvernement défendeur soutient que la Cour doit tenir compte du contexte historique et politique général des événements qui se sont produits avant et après la Seconde Guerre mondiale et, notamment, de ce que l'occupation soviétique de la Lettonie en 1940 était illégale et que, bien qu'interrompue par l'occupation allemande, tout aussi illégale, de 1941 à 1944, elle a perduré jusqu'au rétablissement de l'indépendance du pays au début des années 1990. Durant l'occupation soviétique, la Lettonie n'aurait pas pu exercer ses pouvoirs souverains, et elle se serait ainsi trouvée dans l'incapacité d'assumer ses obligations internationales. Indépendamment de la peur que la population locale aurait éprouvée devant les partisans rouges, le requérant dénaturerait la réalité en plaidant que les événements survenus le 27 mai 1944 à Mazie Bati doivent s'analyser en un incident de guerre civile étranger au conflit armé international qui opposait les puissances de l'Axe à l'URSS notamment.
153.  Tout en admettant que la Cour est bien compétente pour appliquer les principes pertinents du droit international, le gouvernement défendeur conteste l'application faite du droit international par la chambre. Celle-ci aurait négligé ou mal appliqué plusieurs sources importantes du droit international et certains principes en découlant, notamment les critères permettant de définir les civils et l'exigence d'un traitement humain de ceux-ci, le principe de la conservation du droit à la protection humanitaire internationale en cas de perte du statut de civil, les limites fixées aux nécessités militaires et l'interdiction des actes de perfidie. Se référant amplement aux conventions et déclarations de l'époque ainsi qu'au Statut et au jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg, le gouvernement défendeur soutient que le requérant était manifestement coupable de crimes de guerre au sens où cette notion était interprétée en 1944.
154.  Tout en reconnaissant que le principe de la distinction n'était pas encore parfaitement établi en 1944, il plaide qu'il était clair que les villageois de Mazie Bati étaient des « civils » : même lorsque des personnes étaient armées, même lorsqu'elles sympathisaient avec la force d'occupation nazie et même lorsqu'elles appartenaient à une organisation de maintien de l'ordre, elles conservaient selon lui leur statut de personnes civiles. En tout état de cause, quand bien même les villageois auraient perdu ce statut et auraient dû être considérés comme des « combattants », rien, pour le Gouvernement, n'autorisait à exécuter sommairement ou à assassiner des personnes hors de combat en l'absence d'un procès équitable (dont il n'y aurait aucune preuve en l'espèce) ayant établi que les intéressés étaient bien impliqués dans la commission d'une infraction pénale. De surcroît, les actes en cause n'auraient pas été des actes licites de « représailles légales de belligérants », puisque, entre autres, pareils actes étaient interdits à l'égard des prisonniers de guerre depuis l'adoption de la Convention de Genève de 1929 et que, par ailleurs, nul n'aurait jamais laissé entendre que les villageois, qu'il y aurait lieu de considérer comme des civils, eussent eux-mêmes commis des crimes de guerre.
155.  Le Gouvernement ajoute qu'en 1944 (comme par la suite), les actes du requérant étaient constitutifs d'infractions en droit interne. Les dispositions du code pénal de 1926 (adopté en 1940 par un décret du Conseil suprême de la RSS de Lettonie, demeuré en vigueur jusqu'en 1991 et réintroduit en 1993) auraient réprimé et puni les violations des règles et coutumes de la guerre, et elles auraient été suffisamment claires et accessibles. L'ambiguïté ayant existé de septembre 1991 à avril 1993 serait sans importance d'un point de vue pratique, compte tenu de l'obligation internationale sous-jacente pour la Lettonie de poursuivre et de juger les auteurs de telles violations sur la base du droit international alors en vigueur.
156.  Peu importerait que le requérant lui-même ait été ou non l'auteur des actes litigieux, puisqu'il aurait assumé la responsabilité du commandement.
157.  Par ailleurs, sa condamnation ne se serait pas heurtée à une quelconque prescription, eu égard, entre autres, à l'article 14 (et aux notes l'accompagnant) du code pénal de 1926, à l'article 45 du code pénal de 1961 et à l'article 1 de la Convention de 1968, dont la Cour européenne des droits de l'homme aurait reconnu l'effet rétroactif.
158.  Eu égard à ce qui précède, il aurait été clairement et objectivement mesurable en 1944 que les actes en cause étaient criminels, et il n'y aurait pas lieu de démontrer que le requérant était au fait de chaque élément de leur qualification juridique précise. D'ailleurs, l'autre version des événements donnée par l'intéressé (à savoir qu'il avait cherché à arrêter les villageois à la suite de leur condamnation par un tribunal composé de partisans) serait révélatrice en ce qu'elle indiquerait qu'il était effectivement conscient à l'époque du caractère criminel du comportement litigieux (les villageois ayant été tués et non arrêtés). La condamnation du requérant aurait elle aussi été objectivement prévisible, eu égard notamment aux déclarations formulées par certains Etats durant la Seconde Guerre mondiale et aux poursuites menées au niveau international et national durant la guerre et immédiatement après, processus auxquels les autorités soviétiques auraient activement participé. Le fait que le requérant eût été considéré comme un héros soviétique pendant de nombreuses années ne serait pas pertinent, l'élément clé étant le point de savoir s'il était raisonnablement prévisible en 1944 que les actes perpétrés seraient considérés comme des crimes de guerre, et non que la situation politique qui aurait fortuitement été la sienne ultérieurement lui eût permis de se soustraire aux poursuites. Soutenir que d'autres commettaient des crimes de guerre ne constituerait pas non plus un moyen de défense permettant de se dégager de toute responsabilité pénale individuelle, sauf à considérer que cette dérogation aux principes par d'autres Etats est suffisante pour établir un changement dans la pratique et la coutume internationales.
159.  A titre subsidiaire, le Gouvernement argue que les actes du requérant constituaient des infractions « d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées », au sens de l'article 7 § 2 de la Convention. Cette disposition aurait également été rédigée pour lever tout doute concernant la validité des poursuites exercées par les tribunaux militaires internationaux après la Seconde Guerre mondiale. Or, la pratique internationale et nationale ultérieure ayant confirmé la validité universelle des tribunaux militaires internationaux et de leurs principes, le rôle de l'article 7 § 2 serait maintenant caduc. Que ces « principes généraux » constituent une source primaire ou une source secondaire du droit international, on les aurait tirés des systèmes nationaux pour combler les lacunes du droit international positif et coutumier. Faute de consensus sur le degré d'exhaustivité requis de l'examen des systèmes nationaux censé permettre de conclure à l'existence de tels principes, le gouvernement défendeur a passé en revue les ordres juridiques qui, en 1944, s'étaient déjà prononcés sur la question des crimes de guerre ainsi que les codes pénaux letton et soviétique. Constatant que les juridictions nationales qui avaient conclu à des violations des lois et coutumes de la guerre s'étaient inspirées de principes de droit international établis, il soutient que les actes commis par le requérant étaient criminels d'après les principes généraux de droit reconnus, de sorte que les juridictions nationales compétentes en l'espèce étaient selon lui en droit d'appliquer ces principes.
2.  Le requérant
160.  Le requérant souscrit au raisonnement et aux conclusions de la chambre, soutenant qu'il ne s'était rendu coupable d'aucune infraction au regard du droit national, du droit international ou des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.
161.  Il récuse l'argument du gouvernement défendeur selon lequel la chambre a outrepassé sa compétence et mal apprécié certains faits. En réalité, ce serait le Gouvernement qui aurait présenté de manière inexacte et déformée devant la Grande Chambre les faits tels qu'établis par la chambre.
162.  Il réitère devant la Grande Chambre sa version des circonstances ayant entouré le décès, en février 1944, des membres du groupe de partisans du commandant Tchougounov. Ceux-ci, réfugiés dans la grange de Meikuls Krupniks, auraient été livrés par ruse à la Wehrmacht par les villageois décédés au cours de l'opération ultérieure : les villageois auraient prétendu les protéger, mais auraient averti de leur présence les forces armées allemandes qui se trouvaient dans les environs. Le lendemain, les soldats allemands seraient arrivés et, après avoir recueilli de plus amples renseignements auprès de trois femmes dans le village, ils auraient tué tous les membres du groupe de Tchougounov. Certaines femmes, dont la mère de Meikuls Krupniks, auraient dépouillé les cadavres de leurs vêtements. Les villageois en question auraient reçu de l'administration militaire allemande du bois de chauffage, du sucre, de l'alcool et de l'argent à titre de récompense. Un villageois capturé par d'autres partisans aurait par la suite donné le nom de ceux qui avaient dénoncé le groupe du commandant Tchougounov.
Le requérant redit avoir agi sur décision d'un tribunal ad hoc de partisans, dont l'existence serait attestée. Ce tribunal aurait enquêté, identifié les villageois de Mazie Bati supposés avoir trahi le groupe du commandant Tchougounov et les aurait condamnés à mort. L'unité du requérant aurait été chargée d'amener les personnes condamnées devant ce tribunal. L'intéressé explique devant la Grande Chambre que, en raison des conditions du combat qui prévalaient à l'époque, son unité n'avait été en mesure ni d'arrêter les villageois et de les maintenir prisonniers (ils auraient représenté un obstacle et un danger mortel pour les partisans) ni de les ramener devant le tribunal des partisans.
163.  Le requérant estime que ses droits protégés par l'article 7 § 1 ont été méconnus. Les garanties consacrées par cette disposition revêtiraient une importance capitale, et il faudrait les interpréter et les appliquer de façon à assurer une protection effective contre des poursuites et des procès arbitraires. L'article 7 § 2 n'entrerait pas en ligne de compte, les infractions alléguées ne tombant pas sous l'empire de cette disposition.
164.  Quant à la définition de la notion de crime de guerre, le requérant s'appuie essentiellement sur la Convention et le Règlement de La Haye de 1907 ainsi que sur le Statut et le jugement du TMI de Nuremberg ; il écarte les Conventions de Genève de 1949 et le Protocole additionnel de 1977 au motif que ces textes sont postérieurs aux événements. Dès lors que l'on entendrait par crime de guerre un crime commis contre la population civile par un occupant sur un territoire occupé, les actes litigieux ne pourraient, pour les motifs énoncés ci-dessous, passer pour de tels crimes au regard du droit international ou des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.
165.  Premièrement, les villageois concernés n'auraient pas été des civils. Les lettres du parquet général de février 2008 seraient inexactes, inadéquates et incorrectes en ce qu'elles laisseraient entendre que c'était à lui, l'accusé, d'étayer ses moyens de défense, alors que ce serait au ministère public qu'il incombait de prouver les accusations. Le requérant a toutefois soumis à la Grande Chambre de nouveaux documents (datant des années 1940 et des archives de l'Etat letton) censés selon lui établir un certain nombre de choses : Mazie Bati aurait figuré sur le plan des postes de défense allemands ; l'administration nazie ayant interdit aux « civils » de porter les armes et les Allemands ayant fourni des armes aux villageois de Mazie Bati, il serait manifeste que le village avait participé aux opérations militaires et avait constitué un centre de la défense allemande ; les villageois défunts (notamment les membres des familles de Bernards Šķirmants, Ambrozs Buls et Meikuls Krupniks) auraient fait partie des aizsargi, et les aizsargi auraient régulièrement participé à des meurtres de Juifs et de partisans en Lettonie. En outre, Bernards Škirmants et Meikuls Krupniks auraient été des Schutzmänner.
En résumé, les villageois auraient été soit des aizsargi, soit des Schutzmänner. Ils auraient donc été armés par l'administration militaire allemande et auraient été en service actif pour celle-ci : en livrant le groupe du commandant Tchougounov, ils auraient commis non pas un acte de défense légitime, mais un acte de collaboration. Dès lors qu'il aurait été impossible de considérer ces villageois comme faisant partie de la population civile, ils seraient devenus une cible militaire légitime. Composé de combattants, le peloton du requérant aurait été en droit de les punir.
166.  Deuxièmement, le requérant soutient que depuis 1940 la Lettonie était légalement une république de l'URSS et que prétendre le contraire, c'est aller à l'encontre de la vérité historique et du bon sens. La déclaration du 4 mai 1990 et sa condamnation auraient eu pour but de stigmatiser comme illégale l'annexion de la Lettonie en 1940 et n'auraient pas été motivées par le souci de la Lettonie de respecter ses obligations internationales de poursuivre les criminels de guerre. Le 27 mai 1944, le requérant aurait été un combattant défendant le territoire de son Etat contre l'Allemagne et contre des citoyens soviétiques qui selon lui collaboraient activement avec l'Allemagne (il s'appuie à cet égard sur le jugement du tribunal régional de Latgale). Faute de pouvoir considérer que l'URSS était à l'époque une puissance occupante, on ne pourrait voir en lui l'auteur d'un crime de guerre. Il serait historiquement inexact d'assimiler, comme le feraient les gouvernements letton et lituanien, l'incorporation légale de la Lettonie à l'URSS en 1940 à l'occupation allemande de 1941. En 1944, les Lettons n'auraient eu que deux options : être anti-Allemands ou être anti-Soviétiques. Le requérant aurait quant à lui choisi de combattre les forces nazies aux côtés de l'URSS pour libérer la Lettonie, tandis que les villageois auraient lutté contre eux de concert avec les Nazis.
167.  Troisièmement, le code pénal de 1926 n'aurait pas comporté de chapitre relatif aux crimes de guerre, et ce serait à tort que le gouvernement défendeur invoque les « infractions militaires » définies au chapitre IX de ce code, les incriminations en question visant des actes portant atteinte à l'ordre établi du service militaire et devant être distinguées des « crimes de guerre ». Le requérant ajoute qu'en réalité le code pénal de 1926 prévoyait que l'inexécution d'un ordre engageait la responsabilité pénale de la personne récalcitrante (article 193-3).
168.  Le requérant soutient en outre qu'il ne pouvait tout simplement pas prévoir qu'il serait poursuivi pour crimes de guerre. Son procès aurait été sans précédent : c'était la première fois, d'après lui, qu'un soldat ayant lutté contre les puissances de l'Axe était accusé autant d'années (près de cinquante) plus tard. Il n'aurait été âgé que de dix-neuf ans lorsque, dans le contexte de divers accords internationaux et de conflits armés dont il n'aurait porté aucune responsabilité, il avait combattu en tant que membre de la coalition anti-hitlérienne. Il affirme que le 27 mai 1944 il avait pensé (il invoque à cet égard le jugement du tribunal régional de Latgale) qu'il défendait la Lettonie en tant que partie intégrante de l'URSS et n'aurait jamais pu imaginer que des décennies plus tard la Lettonie considérerait qu'elle avait été occupée illégalement par l'URSS et que ses actes seraient tenus pour criminels. Il approuve la conclusion de la chambre selon laquelle il lui était impossible de prévoir qu'il serait condamné en vertu du droit interne.
169.  Enfin, le requérant estime que la Grande Chambre devrait réexaminer les griefs tirés des articles 3, 5, 6, 13, 15 et 18 que la chambre a déclarés irrecevables dans sa décision du 20 septembre 2007.
3.  Les gouvernements intervenants
a)  Le gouvernement de la Fédération de Russie
170.  Le gouvernement de la Fédération de Russie souscrit au raisonnement et à la conclusion de la chambre.
171.  D'après lui, il faut examiner l'affaire sous l'angle du premier paragraphe de l'article 7 et il n'y a pas lieu de la considérer sur le terrain du deuxième paragraphe de cette disposition. La responsabilité pénale d'une personne ne pourrait être engagée sur le fondement des « principes généraux » visés à l'article 7 § 2, sauf dans les circonstances tout à fait exceptionnelles de la période ayant suivi la Seconde Guerre mondiale. Ces principes pourraient présenter quelque utilité comme source des normes du droit pénal international, mais leur pertinence aurait diminué avec le développement du droit international conventionnel. En effet, l'existence d'un corps de droit international régissant la responsabilité pénale des individus serait relativement récente et ce ne serait que dans les années 1990, avec la création des tribunaux pénaux internationaux, qu'un régime de droit pénal international se serait développé.
172.  Le gouvernement de la Fédération de Russie estime que les actes reprochés au requérant n'étaient pas constitutifs d'une infraction d'après le droit national ou international en 1944 et que l'intéressé a donc été condamné en violation de l'article 7 § 1. Les juridictions nationales auraient en fait commis un certain nombre d'erreurs.
173.  Premièrement, elles auraient appliqué les mauvaises normes juridiques à l'affaire. Ni le code pénal de 1961 ni les nouvelles dispositions introduites en 1993 n'auraient été en vigueur en 1944, ni d'ailleurs, eu égard au nouveau code pénal adopté en 1998, en 2000 et en 2004. L'article 14 du code pénal de 1926, adopté par la Lettonie après qu'elle fut devenue une république de l'URSS, aurait fixé un délai de prescription de dix ans et n'aurait comporté aucune disposition concernant les crimes de guerre.
174.  Deuxièmement, à supposer que la Convention et le Règlement de La Haye de 1907 fissent partie du droit international coutumier en 1944, on ne pourrait y voir une base valable pour les poursuites dirigées contre le requérant. La responsabilité individuelle n'aurait été définie que par le Statut du TMI de Nuremberg et, même alors, elle n'aurait été applicable qu'aux poursuites dirigées contre les criminels de guerre de l'Axe.
Quand bien même le Statut du TMI devrait être considéré comme le fruit d'un processus de codification, le requérant ne serait pas coupable de crimes de guerre. En effet, cet instrument n'aurait été applicable que dans le cadre du conflit armé entre l'Allemagne et l'URSS et non relativement aux actes entre compatriotes. Or en 1944 la Lettonie aurait été de jure partie de l'URSS et les villageois (bien que de facto sous les ordres de l'Allemagne) auraient été de jure des citoyens soviétiques. En conséquence, tant le requérant que les villageois auraient été des ressortissants soviétiques. Contrairement aux gouvernements letton et lituanien, le gouvernement de la Fédération de Russie estime que la Cour européenne des droits de l'homme n'est pas compétente pour réévaluer des faits historiques et, notamment, l'incorporation de la Lettonie à l'URSS en 1940. Il invoque « les instruments contraignants pertinents de droit international » (dans lesquels la souveraineté de l'URSS sur l'ensemble de ses territoires aurait été reconnue) et les conférences ayant suivi la Seconde Guerre mondiale (et au cours desquelles l'ordre postérieur à la Seconde Guerre mondiale aurait été établi en accord avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni). Eu égard aux critères appliqués en droit international pour définir la notion d'« occupation », on ne pourrait considérer que l'URSS était en 1944 une puissance occupante en Lettonie.
Le gouvernement de la Fédération de Russie considère que le requérant et les villageois décédés étaient des combattants et que le Statut du TMI de Nuremberg n'implique donc pas que les actes litigieux fussent constitutifs de crimes de guerre. Il conteste les arguments du gouvernement défendeur et du gouvernement lituanien relatifs au statut juridique des villageois. Eu égard au principe de distinction et aux critères de définition de la notion de combattant (décrits notamment à l'article 1 du Règlement de La Haye de 1907), le requérant aurait été un combattant formé, armé et agissant en exécution d'un jugement rendu au nom de l'administration militaire soviétique par un tribunal ad hoc de partisans. Les villageois auraient été des membres armés d'une milice collaborant activement avec l'administration militaire allemande. Collaborateurs volontaires, ils auraient activement participé aux hostilités et auraient donc rempli tous les critères pour être qualifiés de combattants (à tout le moins de combattants ennemis irréguliers) et auraient donc constitué des cibles militaires légitimes. Enfin, aucun des instruments internationaux ultérieurs (Conventions de Genève de 1949 et Protocole additionnel de 1977) n'entrerait en ligne de compte, faute de pouvoir s'appliquer rétroactivement.
175.  Troisièmement, le principe général de l'imprescriptibilité des crimes de guerre ne vaudrait pas pour les actes commis par le requérant en 1944, les crimes de guerre n'étant devenus des crimes « internationaux » qu'avec la création des TMI après la Seconde Guerre mondiale. Il ne s'appliquerait donc qu'aux actes commis ultérieurement (sauf pour les criminels de guerre des puissances de l'Axe). Quant à la Convention de 1968, elle ne serait pas applicable car il y aurait lieu de considérer, comme indiqué ci-dessus, que le requérant avait agi contre d'autres citoyens soviétiques et que ses actes ne pouvaient dès lors être constitutifs de crimes de guerre.
176.  Pour toutes les raisons susmentionnées, le requérant n'aurait pas pu prévoir qu'il serait poursuivi pour crimes de guerre à raison des actes commis le 27 mai 1944. De surcroît, en tant que citoyen de l'Union soviétique, il n'aurait pu prévoir que quarante ans plus tard, tout en résidant sur le même territoire, il se retrouverait habiter dans un autre Etat (la Lettonie), qui érigerait en infractions des actes pour lesquels il n'aurait pas été pénalement responsable en 1944.
177.  Enfin, le gouvernement de la Fédération de Russie conteste, entre autres, les éléments de fait soulevés par le gouvernement letton devant la Grande Chambre. Peu importerait que la chambre eût ou non outrepassé sa compétence (concernant l'appréciation des faits et l'interprétation juridique). Le gouvernement de la Fédération de Russie estime que si la Grande Chambre se fonde sur les faits établis par les juridictions nationales et procède à une lecture, et non à une interprétation, des normes nationales et internationales pertinentes, elle peut parvenir à une conclusion identique à celle de la chambre. D'après lui, des décisions et intérêts politiques ne peuvent modifier la qualification juridique des actes du requérant.
b)  Le gouvernement lituanien
178.  Le gouvernement lituanien aborde deux questions.
179.  La première a trait au statut juridique des Etats baltes durant la Seconde Guerre mondiale et à d'autres points connexes du droit international. Au rebours de ce qui est dit au paragraphe 118 de l'arrêt de la chambre, le gouvernement lituanien considère qu'il y a lieu de prendre cet aspect en compte, notamment pour déterminer ce qu'était le statut juridique des belligérants présents dans les Etats baltes à l'époque en cause. En fait, la Cour européenne des droits de l'homme aurait déjà reconnu que les trois Etats baltes avaient perdu leur indépendance à la suite du Pacte Molotov-Ribbentrop (le Traité de non-agression de 1939 et son Protocole secret, le Traité de 1939 sur les frontières et les relations amicales et son Protocole secret et, enfin, le troisième Protocole secret germano-soviétique du 10 janvier 1941) : ce Pacte constituerait un fait historique incontesté, un accord illégal conclu en vue de l'agression, entre autres, des Etats baltes, et il aurait conduit à l'occupation illégale de ces Etats par les forces soviétiques. De fait, l'invasion soviétique des Etats baltes en juin 1940 aurait été un acte d'agression au sens de la Convention de Londres de 1933 sur la définition de l'agression et de la Convention bilatérale de 1933 entre la Lituanie et l'URSS sur la définition de l'agression. Le consentement involontaire des Etats baltes face à l'agression soviétique n'aurait pas rendu cet acte d'agression légal.
L'Union soviétique elle-même aurait quelques années auparavant considéré l'Anschluss comme un crime international. Qui plus est, en 1989 elle aurait reconnu (résolution sur l'appréciation politique et juridique du Traité germano-soviétique de non-agression de 1939) l'illégalité de son agression contre les Etats baltes. Deux conclusions s'imposeraient donc : l'URSS n'aurait obtenu aucun droit souverain sur les Etats baltes, de sorte que ceux-ci n'auraient jamais fait légitimement partie de l'URSS au regard du droit international et, de surcroît, les Etats baltes auraient continué d'exister en tant que sujets de droit international après l'agression de 1940 par l'URSS, laquelle aurait abouti à l'occupation illégale des Etats baltes.
Le gouvernement lituanien soutient que, si l'on applique ce qui précède aux faits de l'espèce, les Etats baltes ont été agressés tant par l'URSS que par l'Allemagne nazie : le jugement du TMI de Nuremberg aurait défini l'agression d'une manière telle que les deux agresseurs devraient être traités de la même façon. Les citoyens baltes n'auraient eu aucune raison de ressentir une sympathie particulière pour l'un ou l'autre des occupants, et ils auraient en réalité éprouvé une peur rationnelle devant chacun des deux agresseurs (à cet égard, le gouvernement lituanien conteste le point de vue exprimé au paragraphe 130 de l'arrêt de la chambre, les crimes commis par l'Union soviétique dans les Etats baltes constituant selon lui un fait historique clairement établi), de sorte qu'un certain degré de collaboration avec l'ennemi dans un esprit de légitime défense ne devrait pas être traité différemment d'un agresseur à l'autre. Les ressortissants des Etats baltes, qui auraient conservé leur nationalité balte en vertu du droit international, ne pourraient être considérés comme ayant été des citoyens soviétiques ; ils auraient plutôt été des habitants d'un Etat occupé mus par le souci d'obtenir la protection nécessaire des deux forces belligérantes d'occupation.
180.  La deuxième question concernerait la qualification, en droit international humanitaire et pénal, des actions punitives menées par les forces soviétiques contre la population locale des Etats baltes et, en particulier, le point de savoir si ces populations pouvaient passer pour des « combattants ».
A cet égard, outre la Convention et le Règlement de La Haye de 1907, il y aurait lieu de prendre en compte un certain nombre d'instruments, en particulier la quatrième Convention de Genève de 1949 et le Protocole additionnel de 1977. L'existence d'une distinction fondamentale entre, d'une part, les forces armées (les belligérants) et, d'autre part, la population pacifique (les civils), et l'immunité de cette dernière contre les attaques militaires (le gouvernement lituanien invoque à cet égard la clause de Martens, paragraphes 86-87 ci-dessus) auraient constitué des principes de base du droit international humanitaire tel qu'il existait en 1944. Le gouvernement lituanien estime que les villageois concernés ne répondaient pas aux critères définissant les combattants et qu'ils n'étaient donc pas une cible militaire légitime. A supposer même qu'ils eussent collaboré dans une certaine mesure avec les forces allemandes, ils n'en auraient pas moins dû continuer, selon lui, à jouir de la protection accordée aux civils dès lors qu'ils ne pouvaient passer pour des combattants. En juger autrement reviendrait à laisser les populations civiles à la merci de commandants des forces belligérantes, qui pourraient décider arbitrairement que les personnes en question sont des combattants et constituent donc des cibles militaires légitimes. Quant au meurtre des femmes, en l'absence d'une participation de celles-ci aux hostilités en tant que combattantes, il aurait été absolument injustifié car contraire aux considérations d'humanité les plus élémentaires, aux lois de l'humanité et aux exigences de la conscience publique. A cet égard, le gouvernement lituanien conteste en particulier le point de vue exprimé par la chambre aux paragraphes 141 et 142 de son arrêt.
181.  Le gouvernement lituanien soutient donc que les actions punitives menées par les forces soviétiques contre les populations locales des Etats baltes occupés s'analysent en des crimes de guerre au regard tant du droit international positif et coutumier que des principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. D'après lui, les poursuites menées contre les auteurs de ces actions n'ont pas violé l'article 7 de la Convention.
C.  Appréciation de la Grande Chambre
1.  La demande du requérant tendant au réexamen de griefs déclarés irrecevables par la chambre
182.  Dans sa décision du 20 septembre 2007, la chambre a déclaré recevable le grief tiré de l'article 7 de la Convention et irrecevables les griefs formulés sur le terrain des articles 3, 5 (combiné avec l'article 18), 6 § 1, 13 et 15. Le requérant soutient que la Grande Chambre doit réexaminer les griefs déclarés irrecevables.
183.  La Grande Chambre observe que la décision de la chambre déclarant les griefs susmentionnés irrecevables est définitive : elle n'est donc pas saisie de cette partie de la requête (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 141, CEDH 2001-VII, et Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, §§ 119-121, 9 avril 2009).
184.  Partant, la Grande Chambre examinera la partie de la requête retenue par la chambre, à savoir le grief fondé sur l'article 7 de la Convention.
2.  Les principes généraux se dégageant de la Convention
185.  La garantie que consacre l'article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l'atteste le fait que l'article 15 n'y autorise aucune dérogation en cas de guerre ou d'autre danger public. Ainsi qu'il découle de son objet et de son but, on doit l'interpréter et l'appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, condamnations et sanctions arbitraires. L'article 7 ne se borne donc pas à prohiber l'application rétroactive du droit pénal au désavantage de l'accusé : il consacre aussi, d'une manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l'accusé, notamment par analogie. Il en résulte qu'une infraction doit être clairement définie par la loi. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.
La notion de « droit » (« law ») utilisée à l'article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d'autres articles de la Convention, celle-ci englobant le droit écrit comme non écrit et impliquant des conditions qualitatives, entre autres celles d'accessibilité et de prévisibilité. En ce qui concerne la prévisibilité, la Cour rappelle que, aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un élément d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation. D'ailleurs, il est solidement établi dans la tradition juridique de certains Etats parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l'évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l'article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire à l'autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible (Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 50, CEDH 2001-II, K.-H.W. c. Allemagne [GC], no 37201/97, § 85, CEDH 2001-II, Jorgic c. Allemagne, no 74613/01, §§ 101-109, CEDH 2007-IX, et Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, §§ 69-71, 19 septembre 2008).
186.  Enfin, les deux paragraphes de l'article 7 sont liés, et ils doivent faire l'objet d'une interprétation concordante (Tess c. Lettonie (déc.), no 34854/02, 12 décembre 2002). Compte tenu de l'objet de l'affaire et du fait que les lois et coutumes de la guerre telles qu'appliquées avant et pendant la Seconde Guerre mondiale sont invoquées, la Cour juge utile de rappeler qu'il ressort des travaux préparatoires de la Convention que le second paragraphe de l'article 7 a pour but de préciser que cet article n'affecte pas les lois qui, dans les circonstances tout à fait exceptionnelles de la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont été adoptées pour réprimer, entre autres, les crimes de guerre ; dès lors, il ne vise aucune condamnation juridique ou morale de ces lois (X. c. Belgique, no 268/57, décision de la Commission du 20 juillet 1957, Annuaire 1, p. 241). Quoi qu'il en soit, la Cour relève en outre que la définition des crimes de guerre figurant à l'article 6 b) du Statut du TMI de Nuremberg était regardée comme l'expression codifiée des lois et coutumes internationales de la guerre telles qu'elles étaient interprétées en 1939 (paragraphes 118 ci-dessus et 207 ci-dessous).
187.  La Cour considérera l'affaire d'abord sous l'angle de l'article 7 § 1 de la Convention. Cette disposition n'exige pas qu'elle se prononce sur la responsabilité pénale individuelle du requérant, cette appréciation incombant en premier lieu aux juridictions internes. Sa fonction au regard de l'article 7 § 1 est en fait double : elle doit premièrement examiner s'il existait une base légale suffisamment claire, compte tenu de l'état du droit au 27 mai 1944, pour condamner le requérant pour crimes de guerre, et deuxièmement rechercher si cette incrimination était définie en droit avec suffisamment d'accessibilité et de prévisibilité pour que l'intéressé pût savoir, le 27 mai 1944, quels actes et omissions étaient de nature à engager sa responsabilité pénale à ce titre et régler sa conduite en conséquence (Streletz, Kessler et Krenz, § 51, K.-H. W., § 46 ; et Korbely, § 73, précités).
3.  Les faits à prendre en compte
188.  Avant de se pencher sur les deux questions susmentionnées, la Cour examinera les désaccords sur les faits qui opposent les parties et les tiers intervenants.
189.  Elle rappelle tout d'abord qu'elle ne doit pas, en principe, se substituer aux juridictions internes. Elle a pour tâche, aux termes de l'article 19 de la Convention, d'assurer le respect par les Etats contractants des engagements résultant pour eux de la Convention. Eu égard au caractère subsidiaire du système de la Convention, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, mutatis mutandis, Schenk c. Suisse, arrêt du 12 juillet 1988, § 45, série A no 140, Streletz, Kessler et Krenz précité, § 49 ; et Jorgic précité, § 102) et si l'appréciation à laquelle se sont livrées les juridictions nationales est manifestement arbitraire.
190.  La chambre a conclu par une décision définitive que le procès du requérant avait été conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention (paragraphes 182-184 ci-dessus). Dans le cadre du grief fondé sur l'article 7, la Grande Chambre, à l'instar de la chambre, ne voit aucune raison de contester la description factuelle des événements du 27 mai 1944 qui figure dans les décisions internes pertinentes, à savoir l'arrêt de la chambre des affaires pénales du 20 avril 2004 et la décision le confirmant rendue par le sénat de la Cour suprême.
191.  Les faits établis par les juridictions internes relativement aux événements du 27 mai 1944 ont été résumés ci-dessus (paragraphes 15-20). La Grande Chambre en extraira les éléments clés suivants. Lorsque l'unité du requérant entra dans Mazie Bati, les villageois n'étaient pas engagés dans des hostilités mais se préparaient à célébrer la Pentecôte, et tous les villageois tués furent trouvés par les partisans à leur domicile (un dans son bain et un autre dans son lit). Si des armes et des munitions fournies par l'administration militaire allemande furent découvertes au domicile des villageois décédés, aucun de ceux-ci ne portait ces armes ou d'autres au moment des événements. La chambre (paragraphe 127 de son arrêt) a jugé ce dernier fait dénué d'importance, mais, pour les raisons exposées ci-après, la Grande Chambre l'estime pertinent. Par ailleurs, le requérant soutient devant la Grande Chambre qu'aucun villageois ne fut brûlé vif, mais les tribunaux internes ont établi que quatre personnes, dont trois femmes, avaient péri dans l'incendie des bâtiments de la ferme. Enfin, aucun des villageois tués n'avait tenté de fuir ou opposé une forme quelconque de résistance aux partisans. Avant leur exécution, tous étaient donc non armés, non résistants et sous le contrôle de l'unité du requérant.
192.  Les tribunaux internes ont rejeté certaines assertions factuelles du requérant. Ils jugèrent non établi que les villageois décédés eussent livré le groupe du commandant Tchougounov aux forces allemandes, concluant plutôt que Meikuls Krupniks avait dénoncé le groupe en question aux Allemands au motif que la présence des intéressés dans sa grange mettait sa famille en danger. Les archives n'indiquaient pas que les victimes étaient des Schutzmänner (auxiliaires de la police allemande) ; il en ressortait uniquement que Bernards Šķirmants et sa femme faisaient partie des aizsargi (garde nationale lettonne). Les tribunaux internes ne purent pas non plus établir précisément pourquoi les villageois avaient reçu des armes de l'administration militaire allemande (à titre de récompense pour avoir livré l'unité du commandant Tchougounov, ou en qualité de Schutzmänner, en qualité d'aizsargi ou en une autre qualité).
193.  Tant les parties que le gouvernement de la Fédération de Russie ont poursuivi la controverse au sujet de ces points devant la Cour, le requérant soumettant à la Grande Chambre des éléments nouveaux provenant des archives de l'Etat letton. La Grande Chambre note que les points controversés concernent le degré de participation des villageois décédés aux hostilités (soit par la dénonciation de l'unité du commandant Tchougounov à l'administration militaire allemande, soit en qualité de Schutzmänner, en qualité d'aizsargi ou en une autre qualité auxiliaire) et, par conséquent, leur statut juridique et le droit à protection pouvant y être attaché. Les tribunaux internes ont estimé que les villageois étaient des « civils », point de vue que partage le gouvernement letton. Après s'être penchée sur certaines des conclusions factuelles formulées par les juridictions internes, la chambre a considéré que les hommes du village étaient des « collaborateurs » et elle a émis des hypothèses différentes pour les femmes. Le requérant, comme le gouvernement de la Fédération de Russie, qualifie les villageois de « combattants ».
194.  Compte tenu des différentes thèses en présence, la Grande Chambre, quant à elle, entamera son analyse en supposant, ce qui est particulièrement favorable au requérant, que les villageois décédés relevaient de la catégorie des « civils ayant pris part aux hostilités » (en communiquant ainsi qu'il est allégué des informations à l'administration allemande, acte qualifiable de « trahison de guerre »16) ou qu'ils avaient le statut de « combattants » (à raison de l'un quelconque des rôles allégués d'auxiliaires).
195.  Elle considère que les villageois n'étaient pas des francs-tireurs, compte tenu de la nature de leurs activités censées avoir abouti à l'attaque litigieuse et du fait que, au moment des évènements, ils ne participaient pas à des hostilités17. Elle ajoute que la notion de levée en masse ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce, dès lors que Mazie Bati était déjà sous occupation allemande au moment des événements en question18.
4.  Existait-il en 1944 une base juridique suffisamment claire pour les crimes pour lesquels le requérant a été condamné ?
196.  Le requérant a été condamné sur le fondement de l'article 68-3 du code pénal de 1961, disposition introduite par le Conseil suprême le 6 avril 1993. Tout en donnant certains exemples d'actes constitutifs de violations des lois et coutumes de la guerre, cette disposition renvoyait aux « conventions juridiques pertinentes » pour une définition précise des crimes de guerre (paragraphe 48 ci-dessus). La condamnation du requérant pour crimes de guerre était donc fondée sur le droit international et non sur le droit national, et elle doit, de l'avis de la Cour, être examinée principalement sous cet angle.
197.  La Cour rappelle que c'est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et aux tribunaux, qu'il appartient d'interpréter la législation interne. Son rôle se limite donc à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999-I, et Korbely précité, § 72).
198.  Toutefois, la Grande Chambre considère avec la chambre que la Cour doit jouir d'un pouvoir de contrôle plus large lorsque le droit protégé par une disposition de la Convention, en l'occurrence l'article 7, requiert l'existence d'une base légale pour l'infliction d'une condamnation et d'une peine. L'article 7 § 1 exige de la Cour qu'elle recherche si la condamnation du requérant reposait à l'époque sur une base légale. En particulier, elle doit s'assurer que le résultat auquel ont abouti les juridictions internes compétentes (condamnation pour crimes de guerre en vertu de l'article 68-3 de l'ancien code pénal) était en conformité avec l'article 7 de la Convention, peu important à cet égard qu'elle adopte une approche et un raisonnement juridiques différents de ceux développés par les juridictions internes. L'article 7 deviendrait sans objet si l'on accordait un pouvoir de contrôle moins large à la Cour. Aussi la Grande Chambre ne se prononcera-t-elle pas sur les diverses voies suivies par les juridictions internes inférieures, notamment celle empruntée par le tribunal régional de Latgale dans sa décision d'octobre 2003, sur laquelle le requérant s'appuie fortement, mais qui a été annulée par la division des affaires pénales. Il lui faut simplement déterminer si la décision rendue par la chambre des affaires pénales et confirmée par le sénat de la Cour suprême était compatible avec l'article 7 (Streletz, Kessler et Krenz précité, §§ 65-76).
199.  En somme, la Cour doit rechercher si, compte tenu de l'état du droit international en 1944, la condamnation du requérant reposait sur une base suffisamment claire (voir, mutatis mutandis, Korbely précité, § 78).
a)  Portée du statut juridique du requérant et des villageois
200.  Pour les parties, comme pour les tiers intervenants et pour la chambre, le requérant peut se voir attribuer le statut juridique de « combattant ». Vu son engagement militaire en URSS et sa qualité de commandant de l'unité de partisans rouges qui était entrée à Mazie Bati (paragraphe 14 ci-dessus), il était en principe un combattant, eu égard aux critères régissant ce statut en droit international qui s'étaient cristallisés avant l'adoption du Règlement de La Haye19, qui avaient été codifiés par ce règlement20 et qui faisaient sans conteste partie du droit international en vigueur en 193921.
201.  La Grande Chambre observe qu'il n'a pas été contesté au niveau national et qu'il ne l'est pas davantage devant elle que le requérant et son unité portaient l'uniforme de la Wehrmacht au cours de l'attaque menée contre les villageois, de sorte que l'un des critères susmentionnés n'était pas rempli dans leur cas. Il pourrait en découler que le requérant avait perdu son statut de combattant22 (et de ce fait le droit d'attaquer23).
De surcroît, le port de l'uniforme ennemi durant le combat pouvait en soi être constitutif d'une infraction24. Si les tribunaux nationaux n'ont pas accusé le requérant d'un crime de guerre distinct à raison de ce fait, il reste toutefois que cet élément n'est pas sans incidence sur les autres crimes de guerre reprochés à l'intéressé (notamment ceux de meurtre et infliction de blessures par trahison, voir le paragraphe 217 ci-dessous). La Cour admettra donc que le requérant et les membres de son unité étaient des « combattants ». L'une des hypothèses admises par elle concernant les villageois décédés est qu'ils pourraient eux aussi être considérés comme des « combattants » (paragraphe 194 ci-dessus).
202.  Quant aux droits attachés au statut de combattant, le jus in bello reconnaissait en 1944 aux combattants qui étaient capturés, qui se rendaient ou qui étaient mis hors de combat le droit au statut de prisonnier de guerre, et les prisonniers de guerre avaient droit à un traitement humain25. Il était donc contraire au jus in bello en vigueur en 1944 d'infliger des mauvais traitements à un prisonnier de guerre ou de l'exécuter sommairement26, le recours aux armes étant cependant autorisé lorsque, par exemple, un prisonnier de guerre tentait de s'évader ou d'attaquer ceux qui l'avaient capturé27.
203.  Quant à la protection accordée aux « civils ayant pris part aux hostilités » – l'autre hypothèse retenue concernant les villageois décédés – la Cour note qu'en 1944 la distinction entre combattants et civils (et entre les protections qui leur étaient octroyées) était l'un des fondements des lois et coutumes de la guerre, la Cour internationale de Justice (la « CIJ ») ayant décrit cette distinction comme étant l'un des deux « principes cardinaux contenus dans les textes formant le tissu du droit humanitaire »28. Il se dégage de dispositions conventionnelles et de déclarations antérieures qu'en 1944 les « civils » étaient définis par opposition aux combattants29. Par ailleurs, en vertu du droit international coutumier en vigueur en 1944, les civils ne pouvaient être attaqués que lorsqu'ils participaient directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation30.
204.  Enfin, lorsque des civils ayant pris part aux hostilités étaient soupçonnés de s'être rendus coupables de violations du jus in bello (par exemple, de trahison de guerre par communication de renseignements à l'administration militaire allemande, paragraphe 194 ci-dessus), ils pouvaient être arrêtés, jugés – dans le cadre d'un procès équitable – et punis par une juridiction militaire ou civile pour les actes en question, mais leur exécution sommaire, sans procès, était contraire aux lois et coutumes de la guerre31.
b)  Les crimes de guerre engageaient-ils la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs en 1944 ?
205.  En 1944, on entendait par crime de guerre une violation des lois et coutumes de la guerre32.
206.  La Cour note ci-après les principales étapes de la codification des lois et coutumes de la guerre et de l'évolution du principe de la responsabilité pénale individuelle jusques et y compris la fin de la Seconde Guerre mondiale.
207.  Si la notion de crimes de guerre est connue depuis des siècles, les actes constitutifs de crimes de guerre susceptibles d'engager la responsabilité pénale de leur auteur ont commencé à faire l'objet d'une codification solide au milieu du XIXe siècle. Le Code Lieber de 1863 (paragraphes 63-77 ci-dessus) définissait un certain nombre d'infractions aux lois et coutumes de la guerre et précisait les sanctions qui s'y attachaient, et plusieurs de ses dispositions33 retenaient le principe d'une responsabilité pénale individuelle. D'origine américaine, ce code a constitué la première codification moderne des lois et coutumes de la guerre, et il a joué un rôle dans les conférences de codification ultérieures, notamment la conférence de Bruxelles tenue en 1874 (paragraphe 79 ci-dessus). Le Manuel d'Oxford de 1880 proscrivait quant à lui une multitude d'actes contraires aux lois et coutumes de la guerre et énonçait expressément que « les violateurs des lois de la guerre [étaient] passibles des châtiments spécifiés dans la loi pénale ». Ces premières codifications, et en particulier le projet de Déclaration de Bruxelles, ont à leur tour inspiré la Convention et le Règlement de La Haye de 1907. Ce sont ces deux derniers instruments qui ont été les plus marquants dans le processus de codification. En 1907, ils étaient déclaratifs des lois et coutumes de la guerre : ils définissaient notamment des notions clés pertinentes (combattants, levée en masse, hors de combat), énuméraient en détail les infractions aux lois et coutumes de la guerre et assuraient, par le biais de la Clause de Martens, une protection résiduelle aux populations et aux belligérants dans les cas non couverts par l'une de leurs dispositions. Ces textes posaient en principe la responsabilité des Etats, qui devaient donner à leurs forces armées des instructions conformes au Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre et verser une indemnité en cas de violation par des membres de leurs forces des dispositions dudit Règlement.
L'impact qu'avait eu la Première Guerre mondiale sur la population civile a entraîné l'insertion dans les Traités de Versailles et de Sèvres de dispositions sur la responsabilité, le jugement et le châtiment des criminels de guerre présumés. Les travaux de la Commission internationale de 1919 (après la Première Guerre mondiale) et de l'UNWCC (durant la Seconde Guerre mondiale) ont beaucoup contribué à la consolidation du principe de la responsabilité pénale individuelle dans le droit international. Le « droit de Genève » (notamment les conventions de 1864, 1906 et 1929, paragraphes 53-62 ci-dessus) protégeait les victimes de la guerre et fournissait des garanties aux membres des forces armées réduits à l'impuissance et aux personnes ne prenant pas part aux hostilités. Le droit de La Haye et celui de Genève sont étroitement liés, le second complétant le premier.
Le Statut du TMI de Nuremberg définissait de manière non limitative les crimes de guerre engageant la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs. Dans son jugement, le tribunal émit l'opinion que les règles humanitaires qui figuraient dans la Convention et le Règlement de La Haye de 1907 étaient « admises par tous les Etats civilisés et regardées par eux comme l'expression, codifiée, des lois et coutumes de la guerre » qui étaient applicables en 1939 et que les violations de ces textes constituaient des crimes dont les auteurs devaient être punis. La doctrine reconnaissait à l'époque que le droit international définissait déjà les crimes de guerre et exigeait que des poursuites fussent engagées contre leurs auteurs34. Le Statut du TMI de Nuremberg n'était donc pas une législation pénale ex post facto. Quant aux « principes de Nuremberg », dégagés ultérieurement du Statut et du jugement du TMI de Nuremberg, ils réitéraient la définition de la notion de crimes de guerre qui avait été énoncée dans le Statut et le principe selon lequel tout auteur d'un acte constitutif d'un crime de droit international est responsable de ce chef et passible d'un châtiment35.
208.  Tout au long de cette période de codification, les lois et coutumes de la guerre furent surtout appliquées par les juridictions pénales et militaires nationales, les poursuites internationales par le biais des TMI revêtant un caractère exceptionnel. Le jugement du TMI de Nuremberg reconnut du reste explicitement que les juridictions internes continuaient d'avoir un rôle à jouer en la matière. Par conséquent, l'avènement de la responsabilité internationale des Etats fondée sur les traités et conventions36 n'avait pas supprimé l'obligation que le droit coutumier faisait peser sur les Etats de poursuivre et punir, par l'entremise de leurs juridictions pénales et militaires, les individus s'étant rendus coupables de violations des lois et coutumes de la guerre. Tant le droit international que le droit national (celui-ci incluant les normes internationales transposées) servaient de base aux poursuites et à la détermination de la responsabilité au niveau national. En particulier, lorsque le droit national ne définissait pas les éléments constitutifs d'un crime de guerre, le tribunal national pouvait se fonder sur le droit international pour étayer son raisonnement, sans enfreindre les principes nullum crimen et nulla poena sine lege37.
209.  Quant à la pratique de ces tribunaux nationaux, la Cour relève que si la répression des crimes de guerre était prévue par les ordres juridiques et les manuels militaires de bon nombre d'Etats avant la Première Guerre mondiale, très peu de ces Etats poursuivaient leurs propres criminels de guerre38, les cours martiales américaines tenues aux Philippines constituant une exception notable et instructive39, tout comme les procès de Leipzig et les procès turcs organisés après la Première Guerre mondiale. Enfin, la volonté de poursuivre les auteurs de crimes de guerre commis à l'occasion de la Seconde Guerre mondiale s'est manifestée très tôt après le déclenchement de celle-ci40 et, parallèlement aux poursuites internationales, le principe d'une poursuite des criminels de guerre devant les juridictions internes fut maintenu41. C'est ainsi qu'outre les poursuites devant le TMI de Nuremberg, des procès internes concernant des crimes de guerre commis pendant la Seconde Guerre mondiale eurent lieu dans différents pays, notamment en URSS42, pendant la Seconde Guerre mondiale et immédiatement après son dénouement43. Certains de ces procès méritent d'être signalés en ce qu'ils ont traité de manière approfondie des principes pertinents des lois et coutumes de la guerre, en particulier concernant l'obligation d'accorder un procès équitable aux combattants et aux civils soupçonnés de crimes de guerre.
210.  La Grande Chambre a pris note des observations détaillées et contradictoires formulées par les parties et les tiers intervenants sur la question de la légalité de l'incorporation de la Lettonie à l'URSS en 1940 et, par conséquent, sur le point de savoir si les actes commis le 27 mai 1944 présentaient un lien avec un conflit armé international et pouvaient ainsi passer pour des crimes de guerre. Elle considère (comme la chambre au paragraphe 112 de son arrêt) qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur la question de la légalité de l'incorporation de la Lettonie à l'URSS et qu'en tout état de cause pareille appréciation ne s'impose pas en l'espèce. S'il était nécessaire en 1944 d'établir l'existence d'un lien avec un conflit armé international pour engager des poursuites du chef de crimes de guerre, cela ne signifie pas que seuls les membres des forces armées ou les ressortissants d'un Etat partie au conflit pouvaient faire l'objet de telles poursuites. Ce qui était requis, c'était un lien direct entre le crime allégué et le conflit armé international. Autrement dit, le crime allégué devait être un acte accompli aux fins des objectifs de la guerre44. En l'espèce, les tribunaux internes ont estimé que l'opération du 27 mai 1944 avait été organisée au motif que certains villageois étaient soupçonnés d'avoir coopéré avec l'administration allemande. Il est donc évident que les événements litigieux avaient un lien direct avec le conflit armé international entre l'URSS et l'Allemagne et que les actes en question avaient été ostensiblement accomplis aux fins des objectifs de guerre soviétiques.
211.  La Cour voit dans le principe de la responsabilité individuelle des commandants un mode de responsabilité pénale qui permet de sanctionner un supérieur ayant manqué à son devoir d'exercer son autorité, et non un mode de responsabilité reposant sur le fait d'autrui. La notion de responsabilité pénale pour les actes de subordonnés découle de deux règles coutumières établies de longue date qui veulent, premièrement, qu'un combattant soit commandé par un supérieur et, deuxièmement, qu'il obéisse aux lois et coutumes de la guerre (paragraphe 200 ci-dessus)45. La responsabilité pénale individuelle pour les actes accomplis par des subordonnés fut retenue dans certains procès menés avant la Seconde Guerre mondiale46, dans certains instruments de codification, dans des déclarations faites par des Etats pendant et immédiatement après cette guerre47 et dans des procès (nationaux et internationaux) pour des crimes commis durant la Seconde Guerre mondiale48. Cette responsabilité a depuis été confirmée comme principe du droit international coutumier49 et elle est systématiquement inscrite dans les Statuts des tribunaux internationaux50.
212.  Enfin, lorsque le droit international ne définissait pas avec une clarté suffisante les sanctions s'attachant à tel ou tel crime de guerre, un tribunal national pouvait, après avoir jugé un accusé coupable, fixer la peine sur la base du droit pénal interne51.
213.  Dès lors, la Cour considère qu'en mai 1944 les crimes de guerre étaient définis comme des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre, que le droit international exposait les principes fondamentaux sous-jacents à cette incrimination et qu'il donnait une large série d'exemples d'actes constitutifs de crimes de guerre. Les Etats avaient pour le moins l'autorisation (sinon l'obligation) de prendre des mesures pour punir les individus coupables de tels crimes, y compris sur la base du principe de la responsabilité des commandants. C'est ainsi que des tribunaux internationaux et nationaux ont, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, poursuivi des soldats pour des crimes de guerre commis durant ce conflit.
c)  Les crimes de guerre pour lesquels le requérant a été condamné
214.  La Cour examinera donc s'il existait à l'époque une base légale suffisamment claire pour les crimes de guerre spécifiques pour lesquels le requérant a été condamné. Pour ce faire, elle se fondera sur les principes généraux décrits ci-dessous.
215.  Elle rappelle que, dans l'affaire du Détroit de Corfou52, la CIJ a déclaré que les obligations de faire connaître l'existence d'un champ de mines dans les eaux territoriales et d'en avertir les navires s'en approchant étaient fondées non pas sur la huitième Convention de La Haye de 1907, qui était applicable en temps de guerre, mais sur certains « principes généraux et bien reconnus », tels que, en premier lieu, « des considérations élémentaires d'humanité », plus absolues encore en temps de paix qu'en temps de guerre. Dans l'avis consultatif « Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires » rendu par elle ultérieurement53, la CIJ s'est référée aux deux « principes cardinaux contenus dans les textes formant le tissu du droit humanitaire » : le premier, mentionné ci-dessus, était le principe de distinction, destiné à « protéger la population civile et les biens de caractère civil », et, selon le second, « il ne [fallait] pas causer des maux superflus aux combattants »54. S'appuyant expressément sur la Clause de Martens, la CIJ a fait remarquer que c'était sans doute parce qu'un grand nombre de règles du droit humanitaire applicables dans les conflits armés étaient si fondamentales pour « le respect de la personne humaine » et pour des « considérations élémentaires d'humanité » que les Conventions de La Haye et de Genève étaient devenues « des principes intransgressibles du droit international coutumier » dès le procès de Nuremberg. Ces principes, y compris la Clause de Martens, constituaient pour elle des normes juridiques à l'aune desquelles les tribunaux devaient apprécier les actes accomplis dans un contexte de guerre55.
216.  La Cour note premièrement que les juridictions pénales nationales se sont principalement fondées sur les dispositions de la quatrième Convention de Genève de 1949 (paragraphes 60-62 ci-dessus) pour condamner le requérant pour avoir infligé aux villageois des mauvais traitements, des blessures, puis la mort. Elle estime, eu égard notamment à l'article 23 c) du Règlement de La Haye de 1907, que, même à admettre que les villageois décédés étaient des combattants ou des civils ayant participé aux hostilités, il se dégageait du jus in bello tel qu'il existait en 1944 que les actes en question étaient contraires à une règle fondamentale des lois et coutumes de la guerre qui protégeait les ennemis hors de combat et donc constitutifs d'un crime de guerre. Pour bénéficier de cette protection, un individu devait être blessé, réduit à l'impuissance ou être incapable de se défendre pour une autre raison (et ne pas porter d'armes), il ne devait pas nécessairement jouir d'un statut juridique particulier ni s'être formellement rendu56. Comme combattants, les villageois auraient par ailleurs eu droit à une protection en tant que prisonniers de guerre tombés au pouvoir du requérant et de son unité, et leur traitement et leur exécution sommaire ultérieure auraient été contraires aux nombreuses règles et coutumes de la guerre protégeant les prisonniers de guerre (paragraphe 202 ci-dessus). Dès lors, l'infliction aux villageois de mauvais traitements, de blessures, puis de la mort était constitutive d'un crime de guerre.
217.  Deuxièmement, la Cour estime que c'est à bon droit que les juridictions nationales se sont appuyées sur l'article 23 b) du Règlement de La Haye de 1907 pour fonder une condamnation distincte pour infliction de blessures et de la mort par trahison. A l'époque des faits, la trahison et la perfidie étaient des notions proches, et les blessures ou la mort étaient réputées avoir été infligées par trahison si l'auteur avait fait croire à l'ennemi par des procédés illicites, par exemple le port indu de l'uniforme ennemi, qu'il n'était pas sous la menace d'une attaque. Ainsi que la Cour l'a noté aux paragraphes 16 et 201 ci-dessus, le requérant et son unité portaient effectivement l'uniforme allemand durant l'opération conduite à Mazie Bati. L'article 23 b) était manifestement applicable si les villageois étaient considérés comme des « combattants » et il pouvait aussi s'appliquer s'ils étaient considérés comme des civils ayant participé aux hostilités. Cette disposition interdisait de tuer ou de blesser par trahison des individus appartenant à la nation ou à l'armée ennemie, expression qui pouvait être interprétée comme englobant toutes les personnes soumises d'une manière ou d'une autre au pouvoir d'une armée hostile, y compris la population civile d'un territoire occupé.
218.  Troisièmement, les tribunaux lettons se sont appuyés sur l'article 16 de la quatrième Convention de Genève de 1949 pour conclure que le fait d'avoir brûlé vive une femme enceinte, au mépris de la protection spéciale accordée aux femmes, était constitutif d'un crime de guerre. Enoncé par des instruments aussi anciens que le Code Lieber de 1863 (articles 19 et 37), le principe selon lequel les femmes, a fortiori lorsqu'elles sont enceintes, doivent faire l'objet d'une protection particulière en temps de guerre faisait partie des lois et coutumes de la guerre à l'époque pertinente. Il a été renforcé par le « droit de Genève » sur les prisonniers de guerre (en raison de la vulnérabilité particulière des femmes se trouvant dans cette situation)57. La Cour estime que ces différentes expressions de la « protection spéciale » accordée aux femmes, combinées avec la protection prévue par la Clause de Martens (paragraphes 86-87 et 215 ci-dessus), sont suffisantes pour conclure que la condamnation du requérant pour un crime de guerre distinct à raison du meurtre de Mme Krupniks, qui fut brûlée vive, reposait sur une base légale plausible. Elle voit une confirmation de ce point de vue dans les nombreuses protections spéciales spécifiquement accordées aux femmes immédiatement après la Seconde Guerre mondiale dans les première, deuxième et quatrième Conventions de Genève de 1949, notamment à l'article 16 de la quatrième Convention.
219.  Quatrièmement, les juridictions internes se sont fondées sur l'article 25 du Règlement de La Haye de 1907, qui proscrivait les attaques de localités non défendues. Cet article s'inscrivait dans un ensemble de dispositions analogues du droit international (notamment l'article 23 g) du Règlement de La Haye de 1907), qui interdisaient les destructions de biens privés non « impérieusement commandées par les nécessités de la guerre »58. Il n'a pas été prouvé au niveau national, ni d'ailleurs soutenu devant la Cour, que l'incendie de la ferme à Mazie Bati eût été ainsi commandé.
220.  Cinquièmement, si diverses dispositions de la Convention de La Haye de 1907, de la quatrième Convention de Genève de 1949 et du Protocole additionnel de 1977 ont été invoquées au niveau national en ce qui concerne les accusations de pillage (vols de vêtements et de nourriture), les juridictions internes n'ont pas conclu formellement que pareils vols eussent été commis.
221.  Enfin, la Cour ajoutera que, même à admettre que les villageois (quelque statut juridique qu'on leur attribue) aient commis des crimes de guerre, en 1944 le droit international coutumier n'autorisait le requérant et son unité qu'à arrêter les villageois et, après seulement le prononcé d'une condamnation à l'issue d'un procès équitable, à exécuter le châtiment infligé (paragraphe 204 ci-dessus). Ainsi que le gouvernement défendeur l'a fait observer dans la version des événements qu'il a fournie devant la chambre (paragraphes 21-24 ci-dessus) et qu'il réitère devant la Grande Chambre (paragraphe 162 ci-dessus), le requérant décrit en réalité ce qu'il aurait dû faire (arrêter les villageois en vue de leur jugement). Quoi qu'il en soit, qu'un tribunal de partisans ait prononcé ou non un jugement (paragraphe 132 de l'arrêt de la chambre), on ne saurait qualifier d'équitable un procès tenu en l'absence des villageois accusés, à leur insu ou sans leur participation, et suivi de leur exécution.
222.  Estimant que les actes susmentionnés commis par le requérant pouvaient s'analyser en crimes de guerre en 1944 (Streletz, Kessler et Krenz précité, § 76), la Cour juge qu'il n'y a pas lieu d'aborder les autres accusations retenues contre lui.
223.  En outre, le sénat de la Cour suprême a noté que la chambre des affaires pénales avait établi, sur la base de preuves, que le requérant avait organisé, commandé et dirigé l'unité de partisans qui, entre autres, avait tué les villageois et détruit les fermes, et que ces actes avaient été prémédités. S'appuyant sur l'article 6 du Statut du TMI de Nuremberg, il a jugé ces éléments suffisants pour faire peser sur le requérant la responsabilité du commandement pour les actes de l'unité. En particulier, les faits établis indiquaient que l'intéressé avait dirigé de jure et de facto l'unité. Compte tenu du but de la mission, tel qu'établi au niveau interne, le requérant avait l'intention criminelle (mens rea) requise. D'ailleurs, les propres observations de l'intéressé devant la Grande Chambre (selon lesquelles son unité n'aurait pas pu arrêter les villageois, étant donné notamment sa mission et la situation de combat, paragraphe 162 ci-dessus) cadrent pleinement avec les faits susmentionnés établis par la chambre des affaires pénales. Eu égard à la responsabilité qui incombait au requérant en sa qualité de commandant, il n'y a pas lieu de rechercher si les juridictions internes auraient légitimement pu conclure que le requérant avait personnellement commis un des actes perpétrés à Mazie Bati le 27 mai 1944 (paragraphe 141 de l'arrêt de la chambre).
224.  Enfin, la Cour tient à clarifier deux derniers points.
225.  Le gouvernement défendeur soutient que les actes du requérant ne peuvent passer pour des représailles légales d'un belligérant. Ni le requérant ni le gouvernement de la Fédération de Russie n'ont répondu en substance à cet argument. Les juridictions internes ont certes considéré que l'intéressé avait mené l'opération de Mazie Bati à titre de « représailles », mais il est clair que si la légalité de ces représailles a été plaidée devant elles, elles n'ont pas accepté ce moyen. La Cour ne voit aucune raison de remettre en cause l'appréciation portée par les tribunaux internes à cet égard (que l'on considère les villageois comme des combattants ou des civils ayant participé aux hostilités)59.
226.  Quant au paragraphe 134 de l'arrêt de la chambre, la Grande Chambre estime, avec le gouvernement défendeur, que l'on ne peut se défendre d'une accusation de crimes de guerre en plaidant que d'autres ont aussi commis pareils crimes, à moins que ces actes imputés aux autres aient revêtu un caractère, une ampleur et une régularité propres à attester un changement dans la coutume internationale.
227.  En conclusion, à supposer même que l'on puisse considérer que les villageois décédés étaient des « civils ayant participé aux hostilités » ou des « combattants » (paragraphe 194 ci-dessus), la condamnation et la sanction infligées au requérant pour des crimes de guerre commis en sa qualité de commandant de l'unité responsable de l'attaque menée à Mazie Bati le 27 mai 1944 reposaient sur une base légale suffisamment claire eu égard à l'état du droit international en 1944. La Cour ajoute que si les villageois avaient été considérés comme des « civils » ils auraient eu droit par le fait même à une protection encore supérieure.
5.  Les accusations de crimes de guerre étaient-elles prescrites ?
228.  Le gouvernement de la Fédération de Russie soutient que les poursuites contre le requérant étaient prescrites au moins depuis 1954, eu égard au délai de prescription maximum prévu par l'article 14 du code pénal de 1926. Le gouvernement letton estime quant à lui qu'il n'y avait pas prescription, et le requérant, pour sa part, s'appuie sur l'arrêt de la chambre.
229.  Le requérant a été condamné sur le fondement de l'article 68 § 3 du code pénal de 1961, l'article 6 § 1 du même code énonçait que les crimes de guerre, entre autres, étaient imprescriptibles, et les deux dispositions avaient été insérées dans le code pénal en 1993. Le sénat de la Cour suprême a également cité la Convention de 1968 (paragraphes 130-132 ci-dessus) à l'appui de son raisonnement. Le point essentiel en litige entre les parties est donc de savoir si les poursuites intentées contre le requérant (sur la base de l'imprescriptibilité des infractions en cause) s'analysent ou non en une extension ex post facto du délai de prescription qui aurait été applicable au niveau national en 1944 et s'il faut y voir ou non, en conséquence, une application rétroactive du droit pénal (Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, CEDH 2000-VII).
230.  La Cour observe que si le requérant avait été poursuivi pour crimes de guerre en Lettonie en 1944, les faits visés n'auraient pas été couverts (le requérant et le gouvernement de la Fédération de Russie partagent ce point de vue) par le chapitre IX sur les crimes militaires qui figurait dans le code pénal de 1926 : un tribunal national aurait donc dû s'appuyer sur le droit international pour fonder de telles accusations (paragraphes 196 et 208 ci-dessus). De même, l'article 14 du code pénal de 1926, qui prévoyait des délais de prescription uniquement pour les infractions punies par ce code, n'était pas applicable aux crimes de guerre réprimés par le droit international et rien dans ce code n'indiquait que les dispositions en matière de prescription pouvaient s'appliquer à de tels crimes. Au contraire, la Cour note que le code pénal de 1926 était conçu comme un système permettant de poursuivre « les actes socialement dangereux » de nature à porter atteinte à l'ordre socialiste établi60, ce qu'illustre la terminologie des notes accompagnant l'article 14. Dans ces conditions, des poursuites pour crimes de guerre au niveau national en 1944 auraient exigé le recours au droit international, non seulement pour la définition de ces crimes, mais également pour la détermination du délai de prescription applicable.
231.  Toutefois, en 1944, le droit international était silencieux en la matière. Dans aucune déclaration internationale antérieure61 sur la responsabilité pour crimes de guerre et l'obligation de les poursuivre et de les réprimer il n'avait été prévu de délais de prescription62. Si l'article II § 5 de la Loi no 10 du Conseil de contrôle traitait la question relativement aux crimes de guerre commis sur le territoire allemand avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Statuts des TMI de Nuremberg et de Tokyo, la Convention de 1948 sur le génocide, les Conventions de Genève de 1949 et les Principes de Nuremberg ne prévoyaient rien concernant la prescriptibilité des crimes de guerre (comme le confirme le préambule de la Convention de 1968).
232.  La question essentielle devant être tranchée par la Cour est donc de savoir si, à quelque moment que ce soit avant l'engagement des poursuites contre le requérant, pareilles poursuites devaient être réputées prescrites en vertu du droit international. Il ressort du paragraphe précédent qu'en 1944 aucun délai de prescription n'était fixé par le droit international relativement à la poursuite des crimes de guerre, et dans son évolution postérieure à 1944 le droit international n'a jamais comporté de normes en vertu desquelles les crimes de guerre reprochés au requérant auraient été prescrits63.
233.  En résumé, la Cour estime, premièrement, qu'aucune des dispositions du droit interne relatives à la prescription n'était applicable (paragraphe 230 ci-dessus) et, deuxièmement, que les accusations portées contre le requérant n'ont jamais été prescrites en vertu du droit international (paragraphe 232 ci-dessus). Elle conclut donc que les poursuites dirigées contre le requérant n'étaient pas prescrites.
6.  Le requérant pouvait-il prévoir que les actes en cause s'analyseraient en des crimes de guerre et qu'il serait poursuivi ?
234.  Le requérant soutient en outre qu'il ne pouvait pas prévoir que les actes litigieux seraient jugés constitutifs de crimes de guerre et qu'il serait poursuivi ultérieurement.
Il plaide premièrement qu'il n'était en 1944 qu'un jeune soldat placé dans une situation de combat derrière les lignes ennemies et détaché du contexte international décrit ci-dessus et que, dans ces conditions, il ne pouvait prévoir que les actes pour lesquels il a été condamné s'analyseraient en des crimes de guerre. Il soutient deuxièmement qu'il était politiquement imprévisible qu'il serait poursuivi : sa condamnation après le rétablissement de l'indépendance de la Lettonie en 1991 aurait été un acte politique de la part de l'Etat letton et elle n'aurait pas répondu à un véritable souhait de ce pays de respecter son obligation internationale de poursuivre les criminels de guerre.
235.  Concernant le premier point, la Cour estime qu'eu égard au contexte, qui est celui du comportement d'un officier commandant au regard des lois et coutumes de la guerre, les notions d'accessibilité et de prévisibilité doivent être examinées conjointement.
Elle rappelle en outre que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s'agit, du domaine qu'il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. Les professionnels doivent faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d'eux qu'ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu'il comporte (Pessino c. France, no 40403/02, § 33, 10 octobre 2006).
236.  Quant au point de savoir si l'on peut considérer que, nonobstant le fait qu'elle était exclusivement fondée sur le droit international, la qualification des actes litigieux en crimes de guerre était suffisamment accessible et prévisible pour le requérant en 1944, la Cour rappelle qu'elle a précédemment estimé que la responsabilité pénale individuelle d'un simple soldat (garde-frontière) était définie avec suffisamment d'accessibilité et de prévisibilité par, notamment, l'obligation de respecter les instruments internationaux des droits de l'homme, même si ceux-ci, dont un n'avait du reste pas été ratifié par l'Etat en cause à l'époque des faits, ne permettaient pas d'inférer une responsabilité pénale individuelle du requérant (K.-H.W. précité, §§ 92-105). La Cour considère que même un simple soldat ne saurait complètement et aveuglément se référer à des ordres violant de manière flagrante non seulement les propres principes légaux de son pays, mais aussi les droits de l'homme sur le plan international et, surtout, le droit à la vie, qui est la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme (K.-H.W. précité, § 75).
237.  Il est vrai que (à la différence de l'affaire K.-H.W. c. Allemagne) le code pénal de 1926 ne renfermait aucune référence aux lois et coutumes internationales de la guerre et que (à la différence de l'affaire Korbely précitée, §§ 74-75) ces lois et coutumes internationales n'avaient pas fait l'objet d'une publication officielle en URSS ou en RSS de Lettonie. Toutefois, cet aspect ne saurait être décisif. Il ressort en effet clairement des conclusions formulées aux paragraphes 213 et 227 ci-dessus que les lois et coutumes internationales de la guerre étaient en soi suffisantes en 1944 pour fonder la responsabilité pénale individuelle du requérant.
238.  La Cour note en outre qu'en 1944 ces lois constituaient une lex specialis détaillée fixant les paramètres du comportement criminel en temps de guerre, qui s'adressait avant tout aux forces armées et, en particulier, aux commandants. Le requérant en l'espèce était sergent dans l'armée soviétique, et il était affecté au régiment de réserve de la division lettonne : à l'époque des faits, il était membre d'une unité de commando et à la tête d'un peloton qui avait pour activités principales le sabotage militaire et la propagande. Etant donné sa position de commandant militaire, la Cour estime qu'on pouvait raisonnablement attendre de lui qu'il appréciât avec un soin particulier les risques que comportait l'opération de Mazie Bati. Elle considère, eu égard au caractère manifestement illégal des mauvais traitements et de la mort infligés aux neuf villageois dans les circonstances, établies, de l'opération menée le 27 mai 1944 (paragraphes 15-20 ci-dessus), que même la réflexion la plus superficielle du requérant aurait indiqué à l'intéressé qu'à tout le moins les actes en cause risquaient d'enfreindre les lois et coutumes de la guerre telles qu'elles étaient interprétées à l'époque et, spécialement, d'être jugés constitutifs de crimes de guerre pour lesquels, en sa qualité de commandant, il pourrait voir sa responsabilité pénale individuelle engagée.
239.  Pour ces motifs, la Cour juge raisonnable de conclure que le requérant pouvait prévoir en 1944 que les actes litigieux seraient qualifiés de crimes de guerre.
240.  Quant au second point soulevé par le requérant, la Cour note que la Lettonie a proclamé son indépendance en 1990 et 1991, que la nouvelle république de Lettonie a immédiatement adhéré aux divers instruments de protection des droits de l'homme (notamment à la Convention de 1968 en 1992) et qu'en 1993 elle a inséré l'article 68 § 3 dans le code pénal de 1961.
241.  Elle rappelle qu'il est légitime et prévisible qu'un Etat succédant à un autre engage des poursuites contre des personnes qui se sont rendues coupables de crimes sous un régime antérieur, et l'on ne saurait reprocher aux juridictions d'un tel Etat successeur d'appliquer et d'interpréter à la lumière des normes régissant tout Etat de droit, en tenant compte des principes fondamentaux sur lesquels repose le mécanisme de la Convention, les dispositions légales qui étaient en vigueur à l'époque des faits sous le régime antérieur. Cela vaut en particulier lorsque la question litigieuse concerne le droit à la vie, valeur suprême dans la Convention et dans l'échelle des droits de l'homme au plan international, que les Etats contractants ont l'obligation primordiale de protéger en application de la Convention. Tout comme les lois et coutumes de la guerre font obligation aux Etats d'engager des poursuites, l'article 2 de la Convention astreint les Etats à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de leur juridiction, ce qui implique le devoir primordial d'assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale dissuadant les individus de commettre des atteintes contre la vie des personnes (Streletz, Kessler et Krenz, §§ 72 et 79-86, et K.-H.W., §§ 66 et 82-89, tous deux précités). Il suffit, aux fins de la présente espèce, de noter que les principes susmentionnés sont applicables à un changement de régime de la nature de celui intervenu en Lettonie après les déclarations d'indépendance de 1990 et 1991 (paragraphes 27-29 et 210 ci-dessus).
242.  Quant à l'appui des autorités soviétiques dont le requérant aurait toujours bénéficié après 1944, la Cour estime que cet argument est sans rapport avec la question juridique de savoir si l'intéressé pouvait prévoir en 1944 que les actes litigieux seraient jugés constitutifs de crimes de guerre.
243.  En conséquence, la Cour considère que les poursuites dirigées contre le requérant (et la condamnation ultérieure de l'intéressé) par la république de Lettonie sur le fondement du droit international en vigueur à l'époque de la commission des actes litigieux n'étaient pas imprévisibles.
244.  A la lumière de l'ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que, à l'époque où ils ont été commis, les actes du requérant étaient constitutifs d'infractions définies avec suffisamment d'accessibilité et de prévisibilité par les lois et coutumes de la guerre.
D.  Conclusion de la Cour
245.  Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la Cour estime que la condamnation du requérant pour crimes de guerre n'a pas emporté violation de l'article 7 § 1 de la Convention.
246.  Il n'y a donc pas lieu d'examiner cette condamnation sous l'angle de l'article 7 § 2.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Rejette, à l'unanimité, la demande du requérant tendant à l'examen des griefs déclarés irrecevables par la chambre ;
2.  Dit, par quatorze voix contre trois, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 7 de la Convention ;
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 17 mai 2010.
Michael O'Boyle Jean-Paul Costa   Greffier adjoint Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions séparées suivantes :
–  opinion concordante commune aux juges Rozakis, Tulkens, Spielmann et Jebens ;
–  opinion dissidente du juge Costa, à laquelle se rallient les juges Kalaydjieva et Poalelungi.
OPINION CONCORDANTE COMMUNE  AUX JUGES ROZAKIS, TULKENS, SPIELMANN  ET JEBENS
(Traduction)
1.  Si nous suivons pleinement la majorité lorsqu'elle estime que les griefs du requérant ne peuvent pas donner lieu à un constat de violation de l'article 7 de la Convention, il est un point particulier de son raisonnement auquel nous ne pouvons souscrire : celui relatif à sa conclusion au sujet de l'argument du gouvernement de la Fédération de Russie suivant lequel il faudrait voir dans les poursuites dirigées contre l'intéressé une application rétroactive du droit pénal.
2.  En effet, le gouvernement de la Fédération de Russie, partie intervenante dans la présente affaire, considérait que, compte tenu du délai de prescription maximum prévu par l'article 14 du code pénal de 1926, les poursuites contre le requérant étaient prescrites au moins depuis 1954. Il notait que le requérant avait été condamné sur le fondement de l'article 68 § 3 du code pénal de 1961 et que l'article 6 § 1 de ce code énonçait que les crimes de guerre, entre autres, étaient imprescriptibles. Dès lors, il soutenait, tout comme l'intéressé, que les poursuites intentées contre le requérant s'analysaient en une extension ex post facto du délai de prescription qui aurait été applicable au niveau national en 1944 et, par conséquent, en une application rétroactive du droit pénal (paragraphes 228 et 229 de l'arrêt).
3.  La réponse de la Cour est donnée dans les paragraphes 230 et 233 de l'arrêt qui expliquent, en substance, que ce n'est pas le code pénal de 1926 (qui intégrait une disposition relative à la prescriptibilité) qui aurait constitué le fondement de la responsabilité du requérant en 1944 si l'intéressé avait été poursuivi pour crimes de guerre en Lettonie en 1944. S'appuyant sur la manière dont le code en question était libellé, la Cour indique que « des poursuites pour crimes de guerre au niveau national en 1944 auraient exigé le recours au droit international, non seulement pour la définition de ces crimes, mais également pour la détermination du délai de prescription applicable ». Toutefois, elle poursuit ainsi : « en 1944, le droit international était silencieux en la matière. Dans aucune déclaration internationale antérieure sur la responsabilité pour crimes de guerre et l'obligation de les poursuivre et de les réprimer il n'avait été prévu de délais de prescription (...) les Statuts des TMI de Nuremberg et de Tokyo, la Convention de 1948 sur le génocide, les Conventions de Genève de 1949 et les Principes de Nuremberg ne prévoyaient rien concernant la prescriptibilité des crimes de guerre (comme le confirme le préambule de la Convention de 1968) ». L'absence de toute évocation de la question de la prescriptibilité dans les instruments adoptés après la guerre amène la Cour à conclure que les crimes commis par le requérant étaient imprescriptibles en vertu du droit international, qui était silencieux en la matière : en 1944 aucun délai de prescription n'était fixé par le droit international relativement à la poursuite des crimes de guerre et, dans son évolution postérieure à 1944, le droit international n'a jamais comporté de normes en vertu desquelles les crimes de guerre reprochés au requérant auraient été prescrits.
4.  A notre sens, la réponse donnée par la Cour sur ce point particulier n'est pas la bonne. Le simple silence du droit international ne suffit pas à prouver que le consentement et les intentions de la communauté internationale en 1944 étaient claires relativement à l'imprescriptibilité des crimes de guerre, en particulier si l'on tient compte du fait qu'avant Nuremberg et Tokyo l'état du droit pénal international concernant la responsabilité individuelle pour crimes de guerre n'avait pas encore atteint un degré de sophistication et d'exhaustivité permettant de conclure que les questions techniques et procédurales relatives à l'application de ce droit avaient été clairement tranchées. En substance, on pourrait dire qu'en 1944 le droit international général – appréhendé comme une combinaison des accords internationaux généraux existants et de la pratique des Etats – avait résolu la question de la responsabilité individuelle (et pas seulement celle de la responsabilité des Etats), et que ce n'est qu'après la guerre que furent précisées les questions procédurales, telles que celle de la prescriptibilité des crimes de guerre.
5.  Pourtant, il nous semble que la Cour a traité à tort la question de l'imprescriptibilité des crimes de guerre du requérant en 1944 comme un aspect distinct des exigences de l'article 7. L'impression créée par cette réponse donnée à un argument soulevé par les parties est que le lien établi par celles-ci entre (im)prescriptibilité des crimes de guerre et rétroactivité du droit les régissant est légitime, et que la Cour s'est bornée à chercher à démontrer que, dans les circonstances de l'espèce, les crimes reprochés étaient déjà imprescriptibles.
6.  Ce n'est pas la bonne approche. Le point de départ, selon nous, réside dans le fait que l'article 7 de la Convention et les principes qu'il consacre exigent que, dans un ordre juridique fondé sur l'Etat de droit, un justiciable qui envisage d'accomplir un acte déterminé puisse, en se reportant aux normes définissant les incriminations et les sanctions correspondantes, déterminer le caractère infractionnel ou non de cet acte et la peine qu'il risque de se voir infliger s'il l'accomplit. Partant, on ne peut parler d'application rétroactive du droit matériel lorsqu'une personne est condamnée, même tardivement, sur le fondement de dispositions qui étaient en vigueur au moment de la commission de l'acte. Considérer, comme la Cour le laisse entendre, que la question procédurale de la prescriptibilité fait partie intégrante de l'applicabilité de l'article 7, qu'elle est liée à la question de l'application rétroactive et qu'elle a le même poids que la condition d'existence d'une incrimination et d'une peine peut aboutir à des résultats indésirables de nature à affaiblir l'esprit même de l'article 7.
7.  Il fallait, bien sûr, répondre aux arguments des parties concernant la prescriptibilité, mais en envisageant celle-ci comme une question purement technique, davantage liée à l'équité de la procédure et à l'article 6 de la Convention. A notre sens, s'il est vrai que la question de la prescriptibilité n'était pas forcément résolue en 1944 – bien que le requérant ne puisse pas tirer avantage d'une telle lacune – il reste que l'évolution ultérieure, après la Seconde Guerre mondiale, démontre clairement que la communauté internationale a non seulement consolidé sa position en condamnant vigoureusement les crimes de guerre haineux, mais a progressivement formulé des règles détaillées – notamment procédurales – régissant la façon dont ces crimes devraient être traités par le droit international. Ces développements constituent une chaîne continue de production juridique, qui laisse peu de place à l'idée que l'ordre juridique international n'était pas prêt à poursuivre et condamner les crimes commis durant la guerre. Certes, à ce stade, le silence sur la question de la prescriptibilité était total, comme le démontre aussi l'adoption de la Convention de 1968, qui « proclamait » l'imprescriptibilité de ces crimes. C'est précisément cette série d'événements qui a permis à l'Etat letton de poursuivre et de punir le requérant pour ses crimes.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE COSTA,  À LAQUELLE SE RALLIENT  LES JUGES KALAYDJIEVA ET POALELUNGI
1.  Nous avons considéré, à l'instar de la majorité de la chambre et contrairement à la majorité de la Grande Chambre, que l'article 7 de la Convention a été méconnu par l'Etat défendeur du fait de la poursuite et de la condamnation du requérant pour crimes de guerre. Nous allons nous efforcer d'exposer notre position sur ce point.
2.  Une observation préliminaire s'impose, qui se rattache à la structure même de l'article 7 de la Convention.
3.  Comme on le sait, le premier des deux paragraphes de cet article pose de façon générale le principe de la légalité des délits et des peines, qui implique notamment leur non-rétroactivité ; le second paragraphe (lex specialis en quelque sorte) déroge au précédent, lorsque l'action ou l'omission était, au moment où elle a été commise, criminelle d'après « les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ». (Cette expression est celle-là même qui est utilisée à l'article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice, qui l'a évidemment inspirée.)
4.  La Grande Chambre a, à juste titre, rappelé au paragraphe 186 de l'arrêt, en citant la décision Tess c. Lettonie (no 34854/02, du 12 décembre 2002), qu'il faut interpréter de façon concordante les deux paragraphes de l'article 7. De même, l'arrêt a eu à notre sens raison, aux paragraphes 245 et 246, de conclure que, puisque la condamnation du requérant n'emportait pas violation de l'article 7 § 1, il n'y avait pas lieu d'examiner cette condamnation sous l'angle de l'article 7 § 2. En réalité, les raisonnements à suivre, non seulement doivent être concordants, mais ils sont étroitement liés. Il faut en effet, si on écarte la base juridique de l'incrimination selon le droit national, recourir au droit international conventionnel ou coutumier. Et si celui-ci n'offre pas non plus un fondement suffisant, l'article 7 est méconnu dans son ensemble.
5.  En ce qui concerne les faits, ainsi que notre collègue Egbert Myjer l'a rappelé dans son opinion concordante jointe à l'arrêt de violation de la chambre, en principe et sauf arbitraire avéré, notre Cour n'a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. Elle n'est pas une juridiction de quatrième instance, ni d'ailleurs une juridiction pénale internationale. Elle n'a pas à rejuger le requérant pour les faits survenus le 27 mai 1944 à Mazie Bati. Une décision de la Cour, rendue le 20 septembre 2007, qui revêt un caractère définitif, a écarté le grief tiré par le requérant de la violation de son droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 de la Convention. Le débat sur le fond de l'affaire se circonscrit donc à l'article 7, comme le dit la Grande Chambre au paragraphe 184 de l'arrêt. Mais à cet égard, et sans se substituer aux juridictions internes, la Cour doit exercer son contrôle sur l'application qui a été faite de ces dispositions conventionnelles, donc sur la légalité et la non-rétroactivité des sanctions pénales infligées au requérant. On sait d'ailleurs que, eu égard à la gravité des chefs d'accusation retenus, ces sanctions n'ont pas été très lourdes, à cause de l'âge du requérant, et du fait qu'il était infirme et inoffensif (paragraphe 39 de l'arrêt) ; mais la clémence à l'égard de l'accusé est sans influence directe sur le bien-fondé du grief tiré de la méconnaissance de l'article 7 de la Convention.
6.  La première question est celle du droit national. A l'époque des faits, le code pénal soviétique de 1926, rendu applicable au territoire letton par un décret du 6 novembre 1940 (paragraphe 41 de l'arrêt), ne prévoyait pas l'incrimination de crimes de guerre en tant que tels. Ce code a été remplacé le 6 janvier 1961 par le code pénal de 1961, postérieur aux faits, et c'est une loi du 6 avril 1993, adoptée après la restauration en 1991 de l'indépendance de la Lettonie, qui a ajouté au code de 1961 des dispositions réprimant les crimes de guerre, permettant l'application rétroactive du droit pénal contre ces crimes et les déclarant imprescriptibles (articles 6-1, 45-1 et 68-3 ajoutés au code de 1961, paragraphes 48-50 de l'arrêt). Il est dans ces conditions difficile de trouver une base juridique nationale existant à l'époque des faits et, si nous comprenons bien l'arrêt, et notamment ses paragraphes 196 à 227, ce n'est que par le biais du renvoi au droit international que la majorité trouve cette base juridique, même en tenant compte de l'intervention de la loi de 1993 (voir spécialement le paragraphe 196). Cette approche est d'ailleurs aussi celle des juridictions internes, du moins du sénat de la Cour suprême dans son arrêt du 28 septembre 2004, qui est la dernière décision interne définitive. Cette décision se fonde en effet, à titre principal, sur l'article 6, deuxième alinéa point b), du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, ainsi que sur la Convention des Nations unies de 1968 sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre (pour l'analyse de la décision du sénat de la Cour suprême, voir le paragraphe 40 de l'arrêt).
7.  La question de la base juridique en droit international est cependant beaucoup plus complexe. Elle soulève en effet de nombreuses difficultés : celle de l'existence même de cette base juridique, celle, le cas échéant, de la prescription ou au contraire de l'imprescriptibilité des accusations de crimes de guerre portées contre le requérant, celle, enfin, de la prévisibilité et de la possibilité de prévision, par le requérant, des poursuites qui furent engagées contre lui (à partir de 1998) et des condamnations prononcées à son encontre (en dernier ressort en 2004).
8.  Il faut, nous semble-t-il, distinguer le droit international tel qu'il existait au moment des faits, et celui qui s'est dégagé et progressivement affirmé postérieurement, essentiellement à partir du procès de Nuremberg qui commença en novembre 1945, et qui a revêtu et revêt une importance à bien des égards capitale.
9.  L'arrêt procède, et il faut le saluer, à une analyse longue et minutieuse du droit international humanitaire, et spécialement du jus in bello, avant 1944. Il est exact que ce droit s'est développé, à la fois sur le plan conventionnel et sur le plan coutumier, notamment à partir du « Code Lieber » de 1863, puis de la Convention et du Règlement de La Haye de 1907. On peut aussi faire référence à la déclaration, ou « clause » de Martens, insérée dans le préambule de la deuxième Convention de La Haye de 1899 et reprise dans celui de la Convention de La Haye de 1907 (paragraphes 86 et 87 de l'arrêt).
10.  Nous ne sommes toutefois pas convaincus, même en les regardant en 2010, à l'aune d'une longue et positive évolution ultérieure, que ces textes aient pu fonder, en 1944, une base juridique suffisamment solide et reconnue pour que les crimes de guerre soient considérés comme définis à cette époque avec précision, et que leur incrimination ait pu être prévisible. Comme le note à bon droit le juge Myjer dans son opinion concordante précitée, tous les crimes commis pendant les guerres ne sont pas des « crimes de guerre » ; le droit pénal doit être rigoureux, et la Cour a souvent relevé qu'on ne peut appliquer la loi pénale au détriment d'un accusé de matière extensive, notamment par analogie, car ce serait contraire au principe nullum crimen, nulla poena sine lege (voir, par exemple, l'arrêt Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, série A no 260-A). Le requérant a été poursuivi, jugé et condamné plus d'un demi-siècle après les faits, sur la base d'une loi pénale qui aurait existé à l'époque de ceux-ci, ce qui pose à l'évidence problème.
11.  Certes, l'arrêt cite aussi, aux paragraphes 97 à 103, des pratiques, antérieures à la Seconde Guerre mondiale, de poursuites pour violations des lois de la guerre (les cours martiales américaines pour les Philippines, les procès de Leipzig, les poursuites menées contre des agents de la Turquie). Ces exemples isolés et embryonnaires sont loin de révéler l'existence d'un droit coutumier suffisamment établi. Nous souscrivons plus volontiers à l'opinion exprimée par le professeur Georges Abi-Saab et Mme Rosemary Abi-Saab dans leur chapitre intitulé « les crimes de guerre » de l'ouvrage collectif « Droit international pénal » (Paris, Pedone, 2000), dirigé par les professeurs Hervé Ascensio, Emmanuel Decaux et Alain Pellet (p. 269) :
« 13.  Ainsi, jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la pénalisation des violations des règles du jus in bello, c'est-à-dire la définition des crimes de guerre et des pénalités qui s'y rattachent, est laissée à l'Etat belligérant et à son droit interne (bien que cette compétence ne puisse être exercée que par référence et dans les limites des règles du jus in bello, et que son exercice soit parfois en exécution d'une obligation conventionnelle). Un saut qualitatif intervient quand le droit international définit directement les crimes de guerre et ne laisse plus cette définition au droit interne des Etats ».
(Les auteurs enchaînent ensuite en faisant partir ce « saut qualitatif » du procès de Nuremberg)
12.  Avant de conclure sur le droit et la pratique antérieurs aux événements en cause dans la présente affaire, rappelons que malheureusement les nombreuses atrocités commises, en particulier au cours des deux guerres mondiales, dans l'ensemble n'ont nullement été poursuivies et réprimées avant que, précisément, les choses ne changent avec Nuremberg. Ceci confirme l'avis, cité ci-dessus, de M. et Mme Abi Saab.
13.  En ce qui concerne « Nuremberg » (le Statut, le procès et les principes), rappelons d'entrée de jeu qu'il s'agit d'un processus postérieur aux faits de plus d'un an. L'Accord de Londres qui a créé le Tribunal militaire international date du 8 août 1945. Le Statut du Tribunal, annexé à l'Accord, lui a donné compétence pour juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l'Axe, auront commis certains crimes, notamment des crimes de guerre. L'article 6 b) du Statut donne, pour la première fois, une définition juridique des crimes de guerre, et l'on a vu plus haut, au paragraphe 6 de la présente opinion, que les juridictions nationales ont considéré ces dispositions comme s'appliquant au requérant. Le jugement du Tribunal affirme que la qualification de tels crimes ne résulte pas seulement de cet article, mais aussi du droit international préexistant (notamment les Conventions de La Haye de 1907 et de Genève de 1929) ; toutefois, on peut se poser la question de savoir si la portée de cette phrase déclaratoire, clairement rétroactive, doit être entendue pour le passé erga omnes, ou au contraire être limitée à la compétence d'ensemble ratione personae du Tribunal, ou même à sa compétence quant aux seules personnes jugées par lui lors du procès. Cette question est cruciale, car si le requérant a bien été poursuivi pour des actes qu'il aurait commis ou dont il aurait été complice, il est clair que ce n'était pas pour le compte des « pays européens de l'Axe », contre lesquels il combattait. Si on exclut la possibilité de l'application extensive et par analogie de dispositions pénales, il est difficile d'accepter sans réticences la base juridique tirée des « principes de Nuremberg ».
14.  Historiquement, comme le note encore dans son opinion précitée le juge Myjer, c'est donc le procès de Nuremberg « qui, pour la première fois, a bien montré au monde extérieur que quiconque commettrait des crimes analogues à l'avenir pourrait être tenu pour personnellement responsable ». C'est par suite après les faits de la cause que le droit international nous semble avoir réglé le jus in bello avec suffisamment de précision. Que le procès de Nuremberg ait puni ex post facto les accusés traduits devant lui ne veut pas dire que tous les crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale pouvaient relever rétroactivement, aux fins de l'article 7 § 2 de la Convention, de l'incrimination de crimes de guerre et des pénalités y afférentes. Les « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » ont été, à notre avis, énoncés clairement à Nuremberg, et pas avant. Sauf à postuler par principe qu'ils préexistaient. S'ils préexistaient, à partir de quand ? De la Seconde Guerre mondiale ? De la Première ? De la Guerre de Sécession et du Code Lieber ? N'est-il pas, avec tout le respect, quelque peu spéculatif de l'établir dans un arrêt rendu au début du XXIe siècle ? La question mérite d'être posée.
15.  A plus forte raison, ni les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, ni la Convention des Nations unies sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre de novembre 1968, entrée en vigueur le 11 novembre 1970, ne semblent pouvoir donner rétroactivement une base légale aux poursuites engagées en 1998 contre le requérant, alors surtout que selon le droit national la prescription était acquise depuis 1954 (paragraphe 18 ci-dessous).
16.  Nous concluons de tous ces éléments que, à l'époque des faits, ni le droit national ni le droit international n'étaient suffisamment clairs en ce qui concerne les crimes de guerre, ou quant à la distinction entre crimes de guerre et crimes de droit commun, si graves que ceux-ci aient pu être. Et certainement les actes commis le 27 mai 1944 (quels que fussent leurs auteurs et/ou complices) ont revêtu une extrême gravité si on s'en rapporte aux faits tels qu'ils ont été établis par les juridictions internes.
17.  Peu clair, le droit applicable était-il, par ailleurs, et peut-être subsidiairement, toujours en vigueur, ou y avait-il prescription, s'opposant à ce que des poursuites puissent être engagées contre le requérant pour crimes de guerre, et a fortiori à ce qu'il puisse être condamné sur la base de ces poursuites ?
18.  A notre avis, l'action publique était prescrite depuis 1954, selon le droit national en vigueur, car le code pénal de 1926 prévoyait en matière criminelle une prescription de dix ans depuis la commission de l'infraction. Ce n'est que depuis la loi du 6 avril 1993 – près de 50 ans après les faits – que le code pénal (de 1961) a été amendé et a édicté l'imprescriptibilité à l'encontre des personnes s'étant rendues coupables de crimes de guerre. Nous pensons que c'est donc par une application rétroactive du droit pénal que cette imprescriptibilité a été appliquée au requérant, ce qui n'est normalement, à nos yeux, pas compatible avec l'article 7.
19.  La majorité estime certes (paragraphes 232 et 233 de l'arrêt) qu'aucun délai de prescription n'était fixé par le droit international en 1944 pour les crimes de guerre. Mais d'une part, comme nous l'avons dit, nous considérons que les faits ne pouvaient être qualifiés en 1944 de crimes de guerre faute de base légale suffisamment claire et précise, d'autre part ces faits étaient prescrits dès 1954. Nous ne sommes donc pas convaincus par ce raisonnement, qui implique en somme que l'imprescriptibilité en matière pénale est la règle et la prescription l'exception, alors que, nous semble-t-il, cela devrait être l'inverse. Il est clair que l'imprescriptibilité des crimes les plus graves est un progrès, car il fait reculer l'impunité et permet le châtiment. La justice pénale internationale s'est fortement développée, en particulier depuis la création des tribunaux internationaux ad hoc puis de la Cour pénale internationale. Mais il est difficile de décider ex post facto une imprescriptibilité sans texte clair qui la fonde.
20.  Se pose enfin, et peut-être surtout, la question de la prévisibilité, en 1944, de poursuites engagées en 1998, sur la base d'un texte de 1993, pour des faits commis en 1944. Le requérant pouvait-il prévoir à cette époque que, plus d'un demi-siècle plus tard, les faits pourraient être qualifiés par un tribunal de manière à fonder sa condamnation, et pour un crime imprescriptible ?
21.  Nous ne saurions entrer dans le débat sur la prévisibilité des changements historiques et juridiques postérieurs et parfois très postérieurs aux faits (procès de Nuremberg, Conventions de Genève de 1949, Convention des Nations unies sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité de 1968, loi de 1993 adoptée après la restauration en 1991 de l'indépendance de la Lettonie). Bornons nous à rappeler que c'est sur la base du droit international que le requérant a été condamné. A cet égard, l'analogie faite par l'arrêt (paragraphe 236) à l'affaire K.-H.W. c. Allemagne ([GC], no 37201/97, CEDH 2001-II) ne nous semble pas non plus décisive. Il s'agissait de faits survenus en 1972, punissables selon la législation nationale applicable à l'époque de ces faits, et la Cour a considéré qu'il fallait en outre les apprécier selon le droit international : mais celui existant en 1972 et non en 1944. De même, dans l'arrêt Korbely c. Hongrie ([GC], no 9174/02, 19 septembre 2008), les faits, survenus en 1956, étaient en tout cas postérieurs, notamment, aux Conventions de Genève de 1949.
22.  Au total, nous rappelons qu'il ne s'agit pas de rejuger le requérant, de déterminer sa responsabilité individuelle, en tant qu'auteur, dirigeant ou complice, ou de confirmer ou d'infirmer l'appréciation des faits à laquelle se sont livrées les juridictions nationales. Il ne s'agit pas non plus de minimiser la gravité des actes perpétrés le 27 mai 1944 à Mazie Bati. Ce qui est en cause, c'est l'interprétation et l'application de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme. Cette disposition n'est pas anodine ; elle est très importante, comme le montre en particulier le fait que l'article 7 est non dérogeable en vertu de l'article 15 de la Convention.
23.  Nous estimons finalement, au regard de l'article 7, que :
a)  la base juridique des poursuites engagées contre le requérant et de sa condamnation n'était pas suffisamment claire en 1944 ;
b)  qu'elle n'était pas non plus raisonnablement prévisible à cette époque, en particulier par le requérant lui-même ;
c)  que les faits étaient en outre prescrits dès 1954 selon le droit interne applicable ;
d)  et par suite que c'est par une application rétroactive du droit pénal au détriment du requérant que ces faits ont été considérés comme imprescriptibles, ce qui a fondé sa condamnation.
Pour toutes ces raisons, l'article 7 a été, à notre avis, violé.
1.  Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, Nuremberg, 14 novembre 1945-1er octobre 1946, édité à Nuremberg, Allemagne, 1947, Tome XXII, p. 494.
2.  G. Mettraux, US Courts-Martial and the Armed Conflict in the Philippines (1899-1902): Their Contribution to the National Case Law on War Crimes, Journal of International Criminal Justice 1 (2003), pp. 135-150, et les affaires qui y sont citées.
3.  Jugement dans l’affaire Lieutenants Dithmar et Boldt, navire-hôpital « Llandovery Castle », 16 juillet 1921.
4.  Dadrian, Vahakn N., Genocide as a Problem of National and International Law : The World War I Armenian Case and Its Contemporary Legal Ramifications, Yale Journal of International Law, 14, 1989, pp. 221-334.
5.  History of the United Nations War Crimes Commission and the Development of the Laws of War, His Majesty’s Stationery, Londres 1948, p. 91.
6.  Bassiouni, Cherif, L’expérience des premières juridictions pénales internationales, in Ascensio Hervé, Decaux Emmanuel et Pellet Alain, Droit international pénal, Pedone, Paris 2000, pp. 635-659, pp. 640 et suiv.
7.  Voir, notamment, les notes diplomatiques des 7 novembre 1941, 6 janvier 1942 et 27 avril 1942.
8.  Ginsburgs George, « The Nuremberg Trial: Background », in Ginsburgs George & Kudriavtsev V. N., The Nuremberg Trial and International Law, Martinus Nijhoff Publishers, Dordrecht, 1990, pp. 9-37., pp. 20 et suiv.
9.  Kladov, I.F., The People’s Verdict: A Full Report of the Proceedings at the Krasnodar and Kharkov German Atrocity Trials, London, New York [etc.] Hutchinson & Co., Ltd. (1944), pp. 113 et suiv.
10.  Ginsburgs, 1990, op. cit., pp. 28 et suiv.
11.  Ginsburgs G., Moscow and International Legal Cooperation in the Pursuit of War Criminals, 21 Review of Central and East European Law (1995), No 1, pp. 1-40, p. 10.
12.  Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, Nuremberg, 14 novembre 1945-1er octobre 1946, édité à Nuremberg, Allemagne, 1947.
13.  The United States of America vs. Wilhelm List, et al., UNWCC, Law Reports of Trials of War Criminals (« LRTWC »), Volume VIII, 1949 (« affaire des otages »).
14.  Trial of Shigeru Ohashi and Ors, Australian Military Court 1946, LRTWC, Volume V ; Trial of Yamamoto Chusaburo, British Military Court, 1946 LRTWC, Volume III ;  Trial of Eikichi Kato, Australian Military Court 1946, LRTWC, Volume I ; Trial of Eitaro Shinohara and Ors, Australian Military Court 1946, LRTWC, Volume V ; Re Yamashita 327 U.S. 1 (1946)  ; Procès de Karl-Hans Hermann Klinge, Cour suprême norvégienne 1946, LRTWC, Volume III ; Procès de Franz Holstein et autres, Tribunal militaire français 1947, LRTWC, Volume VIII ; Trial of Otto Skorzeny and Others, American Military Tribunal 1947, LRTWC, Volume IX ; The Dostler Case, US Military Commission 1945, LRTWC Volume I ; The Almelo Trial, British Military Court 1945, LRTWC Volume I ; The Dreierwalde case, British Military Court 1946, LRTWC Volume I ; Affaire Abbaye Ardenne, Tribunal militaire canadien 1945, LRTWC Volume IV ; Procès de Bauer, Schrameck et Falten, Tribunal militaire français 1945, LRTWC Volume VIII ; Procès de Takashi Sakai, Tribunal militaire chinois 1946, LRTWC Volume III ; Procès de Hans Szabados, Tribunal militaire permanent français 1946, LRTWC Volume IX ;  Trial of Franz Schonfeld et al., British Military Court 1946, LRTWC Volume XI (les dates sont celles du procès ou du prononcé du jugement).
15.  Les dispositions auxquelles renvoie ce texte concernent le droit au statut de prisonnier de guerre et définissent la notion de forces armées.
16.  Voir Oppenheim & Lauterpacht (1944), Oppenheim’s International Law vol. II: Disputes War and Neutrality, 6th ed. Longmans Green and Co.: London, p.454, cité et retenu dans l’affaire Shigeru Ohashi et autres, citée au paragraphe 129 ci-dessus.
17.  Voir l’affaire des otages, citée aux paragraphes 125-128 ci-dessus.
18.  Code Lieber (article 51), projet de Déclaration de Bruxelles de 1874 (article 10), Manuel d’Oxford de 1880 (article 2.4) et Règlement de La Haye de 1907 (article 2).
19.  Code Lieber de 1863 (articles 49, 57 et 63-65), projet de Déclaration de Bruxelles de 1874 (article 9) et Manuel d’Oxford de 1880 (article 2).
20.  Article premier du Règlement de La Haye de 1907 (paragraphe 89 ci-dessus).
21.  Le TMI de Nuremberg jugea que le Règlement de La Haye de 1907 devait être considéré comme représentant, en tout cas en 1939, l’expression codifiée des lois et coutumes de la guerre (paragraphes 88 et 118 ci-dessus et 207 ci-dessous).
22.  Code Lieber de 1863 (article 65).
23.  Code Lieber de 1863 (article 57).
24.  Voir, notamment, le Code Lieber de 1863 (articles 16, 63, 65 et 101), le projet de Déclaration de Bruxelles de 1874 (article 13 b) et f)), le Manuel d’Oxford de 1880 (article 8 b) et d)) et le Règlement de La Haye de 1907 (article 23 b) et f)). Voir également l’affaire Otto Skorzeny et autres, citée au paragraphe 129 ci-dessus, qui reprend et retient la définition donnée par Oppenheim & Lauterpacht (1944), p. 335.
25.  Voir le « droit de Genève » (paragraphes 53-62 ci-dessus), le code Lieber de 1863 (articles 49, 76 et 77), le projet de Déclaration de Bruxelles de 1874 (articles 23 et 28), le Manuel d’Oxford de 1880 (article 21 et chapitre III), le Règlement de La Haye de 1907 (chapitre II et, notamment, l’article 4), le rapport de la Commission internationale de 1919, la Charte du TMI de Nuremberg (article 6 b)), et la Loi no 10 sur le Conseil de contrôle allié (article 2).
26.  Affaire des otages, Re Yamashita et Procès de Takashi Sakai, cités aux paragraphes 125-129 ci-dessus.
27.  Projet de Déclaration de Bruxelles de 1874 (article 28), Manuel d’Oxford de 1880 (article 68) et Règlement de La Haye de 1907 (article 8).
28.  Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, CIJ §§ 74-87.
29.  Code Lieber de 1863 (article 22), Manuel d’Oxford de 1880 (article 1), projet de Déclaration de Bruxelles de 1874 (article 9) et projets de Conventions de Tokyo et d’Amsterdam de 1934 et 1938 (article 1 des deux textes). Voir également le Manuel des armées en campagne des Etats-Unis d’Amérique : Règlement de la guerre sur terre, § 8, 1er octobre 1940, et ex parte Quirin, 317, U.S. 1(1942).
30.  Ex Parte Milligan 71 U.S. 2(1866) ; Oppenheim & Lauterpacht (1944), p. 277 (« (…) le principe selon lequel les personnes privées ennemies ne devaient être ni tuées ni attaquées est devenu une règle coutumière universellement reconnue du droit des gens au XVIIIe siècle. Dans la mesure où ces personnes ne participent pas au combat, elles ne peuvent pas être directement attaquées, tuées ou blessées »).
31.  Concernant le droit à un procès avant l’imposition d’un châtiment pour des crimes de guerre, voir l’affaire des otages. Concernant le droit de juger des prisonniers de guerre pour des crimes de guerre, voir la Convention de Genève de 1929 (article 46). Quant au droit pour des espions présumés de bénéficier d’un procès, voir le projet de Déclaration de Bruxelles de 1874 (article 20), le Manuel d’Oxford de 1880 (articles 23-26), le Règlement de La Haye de 1907 (articles 29-31) et le Manuel des armées en campagne des Etats-Unis d’Amérique : Règlement de la guerre sur terre, 1940,  p. 60. Concernant le droit à un procès en cas d’accusations de trahison de guerre, voir le Manuel des armées en campagne des Etats-Unis d’Amérique : Règlement de la guerre sur terre, 1940, p. 59. Concernant la pratique en vigueur à l’époque, voir Ex parte Quirin, les procès de Krasnodar ainsi que les procès de Shigeru Ohashi et autres, Yamamoto Chusaburo, Eikichi Kato et Eitaro Shinohara et autres (cités aux paragraphes 106-110, 114 et 129 ci-dessus).
32.  Voir, en particulier, le titre de la Convention de La Haye de 1907, l’article 6 b) du Statut du TMI de Nuremberg, l’article 5 b) du Statut du TMI de Tokyo et les jugements de ces tribunaux. Voir également Oppenheim & Lauterpacht (1944), p. 451 ; et Lachs (1945), War Crimes – An Attempt to Define the Issues, Stevens & Sons London, pp. 100 et suiv.
33.  Notamment les articles 47, 59 et 71.
34.  Lauterpacht (1944), « The Law of Nations and the Punishment of War Crimes », 21 BYIL, pp. 58-95, pp. 65 et suiv., et Kelsen (1945), « The rule against Ex Post Facto Laws and the Prosecution of the Axis War Criminals », 2 The Judge Advocate Journal, pp. 8-12, p. 10.
35.  Voir également l’article 2 b) de la Loi no 10 du Conseil de contrôle allié et l’affaire des otages, citée aux paragraphes 125-128 ci-dessus.
36.  Voir, par exemple, l’article 3 de la Convention de La Haye de 1907.
37.  Traité de Versailles (article 229), Déclaration de Moscou de 1943 et procès de Kharkov, Accord de Londres de 1945 (article 6) et Principes de Nuremberg (no II). Voir également les cours martiales américaines tenues aux Philippines, notamment le procès du Lieutenant Brown, l’affaire Llandovery Castle et le procès de Karl Hans Herman Klinge, cités aux paragraphes 97-100, 102 et 129 ci-dessus, Lauterpacht (1944), p. 65, Kelsen (1945) pp. 10-11, Lachs (1945) p. 8, p. 22, pp. 60 et suiv., et G. Manner, The Legal Nature and Punishment of Criminal Acts of Violence contrary to the Laws of War, AJIL vol. 37, no 3 (juillet, 1943), pp. 407-435.
38.  Meron, T. (2006), Reflections on the Prosecution of War Crimes by International Tribunals, AJIL, vol.100, p. 558.
39.  G. Mettraux, US Courts-Martial and the Armed Conflict in the Philippines (1899-1902): Their Contribution to the National Case Law on War Crimes, Journal of International Criminal Justice (2003), 1, pp. 135-150.
40.  Déclaration de Saint James de 1942 (notamment l’article 3) ; Notes diplomatiques de l’URSS de 1941-1942 et décret de l’URSS du 2 novembre 1942 ; Déclaration de Moscou de 1943 et Accord de Potsdam.
41.  Création de l’UNWCC en 1943, Accord de Londres de 1945 (article 6), jugement du TMI de Nuremberg et Principes de Nuremberg (Principe II).
42.  Paragraphes 106-110 ci-dessus (« La poursuite des crimes de guerre par l’URSS », notamment les procès de Krasnodar et de Kharkov) et paragraphe 114 ci-dessus (ex parte Quirin).
43.  Paragraphes 123-129 ci-dessus.
44.  Lachs (1945), pp. 100 et suiv., l’affaire des otages, citée aux paragraphes 125-128 ci-dessus.
45.  Re Yamashita et Procès de Takashi Sakai, cités au paragraphe 129 ci-dessus.
46.  German War Trials: Judgment in the Case of Emil Müller, AJIL, vol. 16 (1922) No 4, pp. 684-696.
47.  Déclaration de Saint James de 1942 (article 3), Déclaration de Moscou de 1943, Accord de Potsdam, Accord de Londres de 1945 (préambule), Statut du TMI de Nuremberg (article 6) et Statut du TMI de Tokyo (article 5 c)).
48.  Procès de Takashi Sakai, cité au paragraphe 129 ci-dessus, Loi no 10 du Conseil de contrôle allié (article 2 § 2) appliquée dans l’affaire des otages, et affaire Re Yamashita précitée.
49.  Le procureur c. Delalić et consorts, IT-96-21-A, arrêt du 20 février 2001, § 195, Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), D. Sarooshi (2001), Command Responsibility and the Blaškić Case, International and Comparative Law Quarterly, vol. 50, No 2 p. 460 ; Le procureur c. Blaškić, IT-95-14-T, jugement du 3 mars 2000, § 290, Chambre de première instance du TPIY.
50.  Article 7 § 3 du Statut du TPIY, article 6 du Statut du Tribunal international pour le Rwanda, article 25 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et article 6 du Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone.
51.  Code Lieber (article 47), Manuel d’Oxford de 1880 (article 84), Lauterpacht (1944), p. 62, et Lachs (1945), pp. 63 et suiv.
52.  Affaire du détroit de Corfou, arrêt du 9 avril 1949, CIJ Recueil 1949, pp. 4-22. Voir également le Manuel des armées en campagne des Etats-Unis d’Amérique (description des « principes fondamentaux »).
53.  Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis précité, §§ 74-87.
54.  Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis précité, §§ 74-87. Voir, plus particulièrement, le Code Lieber de 1863 (articles 15 et 16), la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 (préambule), le Manuel d’Oxford de 1880 (préface et article 4), la Convention de La Haye de 1907 (préambule).
55.  Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis précité, § 87, Le procureur c. Kupreškić et consorts (IT-95-16-T, jugement du 14 janvier 2000, §§ 521-536, Chambre de première instance du TPIY, et Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 7 juillet 2004, CIJ Recueil 2004, § 157.
56.  Voir, notamment, le Code Lieber de 1863 (article 71), la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868, le projet de Déclaration de Bruxelles (articles 13 c) et 23), le Manuel d’Oxford de 1880 (article 9 b)), le Règlement de La Haye de 1907 (article 23 c)). Voir également le Procès du Commandant Waller, cité au paragraphe 98 ci-dessus, et l’article 41 du Protocole additionnel de 1977.
57.  Voir, en particulier, l’article 3 de la Convention de Genève de 1929.
58.  Code Lieber de 1863 (articles 15, 16 et 38), projet de Déclaration de Bruxelles de 1874 (article 13 g)), Manuel d’Oxford de 1880 (article 32 b)), Règlement de La Haye de 1907 (article 23 g)), Rapport de la Commission Internationale de 1919, article 6 b) du Statut du TMI de Nuremberg et Loi no 10 sur le Conseil de contrôle allié (article 2). Voir également le procès de Hans Szabados, cité ci-dessus, et Oppenheim & Lauterpacht (1944), p. 321.
59.  Manuel d’Oxford de 1880 (article 84), projet de Convention de Tokyo de 1934 (articles 9 et 10), Manuel des armées en campagne des Etats-Unis d’Amérique : Règlement de la guerre sur terre, 1940, Affaire des otages et Procès de Eikichi Kato, cités aux paragraphes 125-129 ci-dessus, et affaire Kupreškić et consorts, précitée. Voir également Oppenheim & Lauterpacht (1944), pp. 446-450.
60.  Les principes fondamentaux du droit pénal et de la procédure pénale de l’URSS, 1924, et Ancel M., « Les Codes pénaux européens », Tome IV, Paris, CFDC, 1971.
61.  Notamment la Déclaration de Saint James de 1942, la Déclaration de Moscou de 1943, et les Statuts des TMI de Nuremberg et de Tokyo.
62.  Préambule à la Convention de 1968.
63.  Commission des droits de l’homme des Nations unies (1966) Question de l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité : Etude soumise par le Secrétaire général, UN Doc. E/CN.4/906 p. 100, p. 104 ; Convention de 1968 ; Robert H. Miller « The Convention on the Non-Applicability of Statutory Limitations to War Crimes and Crimes Against Humanity », AJIL, vol. 65, No 3 (juillet 1971), pp. 476-501, avec d’autres références ; Convention de 1974 ; Statut du Tribunal pénal international ; et Kok R. (2001) « Statutory Limitations in International Criminal Law », Cambridge University Press, pp. 357-382.
ARRÊT KONONOV c. LETTONIE
ARRÊT KONONOV c. LETTONIE 
ARRÊT KONONOV c. LETTONIE – OPINIONS SÉPARÉES
ARRÊT KONONOV c. LETTONIE – OPINIONS SÉPARÉES 


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 36376/04
Date de la décision : 17/05/2010
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'art. 7

Analyses

(Art. 7-1) INFRACTION PENAL, (Art. 7-1) NULLUM CRIMEN SINE LEGE


Parties
Demandeurs : KONONOV
Défendeurs : LETTONIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-05-17;36376.04 ?

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