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25/11/2010 | CEDH | N°27776/04

CEDH | AFFAIRE IVAN VATOV IVANOV c. BULGARIE


CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE IVAN VATOV IVANOV c. BULGARIE
(Requête no 27776/04)
ARRÊT
STRASBOURG
25 novembre 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ivan Vatov Ivanov c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en un Comité composé de :
Rait Maruste, président,   Mirjana Lazarova Trajkovska,   Zdravka Kalaydjieva, juges,  et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2

novembre 2010,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l...

CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE IVAN VATOV IVANOV c. BULGARIE
(Requête no 27776/04)
ARRÊT
STRASBOURG
25 novembre 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ivan Vatov Ivanov c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en un Comité composé de :
Rait Maruste, président,   Mirjana Lazarova Trajkovska,   Zdravka Kalaydjieva, juges,  et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 novembre 2010,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27776/04) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ivan Vatov Ivanov (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 juillet 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Mes S. Stefanova et M. Ekimdjiev, avocats à Plovdiv. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice.
3.  Le 10 septembre 2008, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. En application de l’article 28 § 1 de la Convention, la requête a été attribuée à un Comité.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  Le requérant est né en 1939 et réside à Plovdiv.
5.  Le 17 juillet 1997, suite à un contrôle financier d’une société publique dans laquelle le requérant occupait le poste de comptable, celui-ci se vit notifier un acte de mise en débet (акт за начет) pour un préjudice à hauteur de 10 525 116 levs (BGL).
6.  Le 26 septembre 1997, le ministère des Finances renvoya l’acte de mise en débet au parquet régional de Plovdiv. Dans la lettre d’accompagnement, le ministère précisa que s’il n’y avait pas lieu d’ouvrir une procédure pénale contre le requérant, il convenait de renvoyer le dossier au tribunal de district de Plovdiv en vue d’une procédure civile.
7.  Le 3 octobre 1997, le parquet régional ouvrit une instruction préliminaire contre le requérant et cinq autres personnes pour fautes de gestion dans le cadre de leurs fonctions ayant causé un préjudice considérable à la société, infraction visée à l’article 219, alinéa 1 du code pénal.
8.  Le 26 novembre 1997, la police économique demanda au requérant de lui présenter l’acte de mise en débet, ce que l’intéressé fit le même jour.
9.  Le 15 mai 2001, le requérant fut interrogé et mis en examen. Dans l’intervalle du 15 au 22 mai 2001, les cinq autres personnes furent également interrogées et mises en examen. Le 16 mai 2001, des témoins furent entendus. A une date non précisée, les services d’instruction renvoyèrent le dossier au parquet régional.
10.  Le 6 juin 2002, le procureur renvoya le dossier à l’enquêteur en indiquant que l’enquête devait être poursuivie. Il précisa en particulier que des témoins devaient être interrogés, des expertises effectuées et des documents supplémentaires rassemblés.
11.  Le 8 avril 2004, l’enquêteur proposa la clôture de l’affaire pour prescription des faits litigieux.
12.  Le 21 avril 2004, le procureur régional constata la prescription et ordonna un non-lieu.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le recours prévu à l’article 239a du Code de procédure pénale (CPP) de 1974
13.  Introduit le 30 mai 2003 (et repris en substance à l’article 368 du CPP de 2005), l’article 239a du CPP de 1974 permettait à la personne inculpée de demander au tribunal de première instance d’ordonner son renvoi en jugement si l’enquête pénale menée à son encontre avait duré plus de deux ans, pour les infractions pénales graves, ou plus d’un an, pour toutes les autres infractions. Le tribunal se prononçait dans un délai de sept jours et pouvait soit ordonner au procureur de renvoyer l’intéressé en jugement dans un délai de deux mois, soit prononcer le renvoi de l’intéressé en jugement, soit mettre un terme aux poursuites. Si le procureur n’exerçait pas ses prérogatives dans le délai de deux mois, le tribunal clôturait la procédure pénale.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
14.  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
15.  Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes en ce que le requérant ne s’est pas prévalu du recours offert par l’article 239a du CPP permettant à la personne inculpée de demander au tribunal de première instance d’ordonner son renvoi en jugement. Il estime par ailleurs que la procédure pénale a débuté avec l’ouverture de l’instruction préliminaire, le 3 octobre 1997, et que sa durée n’a pas présenté un caractère excessif.
16.  Le requérant ne répond pas à l’objection soulevée par le Gouvernement. Il réplique qu’il convient de retenir comme date de départ de la procédure le 17 juillet 1997, soit la date de la notification de l’acte de mise en débet au requérant.
A.  Sur la recevabilité
17.  La Cour considère qu’avant de se prononcer sur l’objection de non-épuisement des voies de recours internes, il convient d’établir la période à prendre en considération. Elle rappelle que dans l’affaire Nikolova c. Bulgarie (no 2), la Cour a considéré que la requérante avait été informée de l’existence d’une procédure pénale à son encontre par la notification de mise en débet dans la mesure où celle-ci contenait des affirmations que l’intéressée avait commis des actes constitutifs d’infractions pénales (Nikolova c. Bulgarie (no 2), no 40896/98, § 79, 30 septembre 2004). En revanche, en l’espèce il n’a pas été établi par l’acte de mise en débet si les actes attribués au requérant devaient faire l’objet d’une procédure pénale. Il n’y a dès lors pas lieu de constater que la procédure pénale a commencé le 17 juillet 1997 et la Cour retient que la période à prendre en considération a débuté, comme l’avance le Gouvernement, le 3 octobre 1997 avec l’ouverture de l’instruction préliminaire contre le requérant. Elle s’est terminée le 21 avril 2004 par l’ordonnance de non-lieu du procureur. La procédure a donc duré plus de six ans et cinq mois, sans dépasser le stade de l’instruction préliminaire.
18.  S’agissant de l’objection de non-épuisement du recours prévu par l’article 239a du CPP soulevée par le Gouvernement, la Cour relève que cette disposition a été adoptée le 30 mai 2003. Or, jusqu’à cette date, la procédure pénale contre le requérant avait déjà duré plus de cinq ans et sept mois. Par conséquence, même si le requérant avait obtenu le renvoi de l’affaire en jugement, ce recours n’était pas en mesure de répondre aux allégations du requérant concernant la durée importante écoulée avant 2003. Par conséquent, cette voie de recours aurait été inefficace en l’espèce et il convient de rejeter l’objection du Gouvernement.
19.  Enfin, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B.  Sur le fond
20.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).
21.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, parmi d’autres, Osmanov et Yousseïnov c. Bulgarie, nos 54178/00 et 59901/00, 23 septembre 2004, Ivan Hristov c. Bulgarie, no 32461/02, 20 mars 2008, et Vassilev et autres c. Bulgarie, no 61257/00, 8 novembre 2007). Concernant la présente espèce, elle relève que l’affaire, qui portait sur fautes de gestion dans le cadre des fonctions de l’intéressé ayant causé un préjudice considérable à la société, revêtait une certaine complexité factuelle en raison, notamment, du nombre de personnes impliquées et de la nécessité de connaissances techniques spéciales. La Cour observe cependant que ces circonstances ne sauraient expliquer à elles seules la durée considérable de l’instruction préliminaire. Elle constate en effet que pendant des périodes importantes (novembre 1997 – mai 2001, juin 2002 – avril 2004) la procédure est demeurée au point mort sans qu’aucun acte de procédure ou d’enquête soit effectué. La Cour ne relève par ailleurs aucun élément permettant de conclure que ces retards seraient dûs au comportement du requérant.
22.  En conclusion, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime que la durée de la procédure en l’espèce n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».
23.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
24.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
25.  Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
26.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.
27.  La Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 400 EUR au titre du préjudice moral.
B.  Frais et dépens
28.  Le requérant demande également 3 025 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il demande par ailleurs que les sommes qui lui seraient allouées à ce titre soient versées directement à ses avocats.
29.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.
30.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 600 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.
C.  Intérêts moratoires
31.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,
1.  Rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement et déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :
i.  2 400 EUR (deux mille quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii.  600 EUR (six cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire indiqué par les avocats du requérant en Bulgarie ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 novembre 2010, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stephen Phillips Rait Maruste   Greffier adjoint Président
ARRÊT IVAN VATOV IVANOV c. BULGARIE
ARRÊT IVAN VATOV IVANOV c. BULGARIE 


Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(P1-1-1) BIENS, (P1-1-1) RESPECT DES BIENS, (P1-1-2) ASSURER LE PAIEMENT DES CONTRIBUTIONS OU AMENDES


Parties
Demandeurs : IVAN VATOV IVANOV
Défendeurs : BULGARIE

Références :

Origine de la décision
Formation : Cour (cinquième section comité)
Date de la décision : 25/11/2010
Date de l'import : 21/06/2012

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 27776/04
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-11-25;27776.04 ?

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